CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE BATTISTA c. ITALIE, 2 décembre 2014, 43978/09

  • Passeport·
  • Enfant·
  • Juge des tutelles·
  • Bulgarie·
  • Gouvernement·
  • Pensions alimentaires·
  • Étranger·
  • Protocole·
  • Liberté de circulation·
  • Ingérence

Chronologie de l’affaire

Commentaires9

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

revdh.revues.org · 24 mai 2021

1 Ce texte est le condensé d'un rapport de l'Observatoire parisien des libertés publiques qui se décl (...) 1Depuis plusieurs années, une technique de maintien de l'ordre se déploie lors des manifestations et rassemblements sur la voie publique qui, si elle n'est pas nouvelle, tend à se développer et à se banaliser, en dépit de son caractère liberticide. 2 Défenseur des droits, décembre 2017, rapport : « Le maintien de l'ordre au regard des règles de déo (...) 2La pratique dite de la nasse consiste, selon le Défenseur des droits, « à priver plusieurs personnes de leur liberté de …

 

Thierry Vallat · 25 décembre 2014

L'impossibilité d'obtenir un document d'identité en raison du non-paiement d'une pension alimentaire emporte violation de la Convention des droits de l'homme. En effet, dans son arrêt de chambre rendu le 2 décembre 2014 dans l'affaire Battista c. Italie (requête n°43978/09), la Cour européenne des droits de l'homme a dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 2 du Protocole n° 4 (liberté de circulation) de la Convention européenne des droits de l'homme. L'affaire concernait l'impossibilité pour le requérant d'obtenir un passeport ou une carte d'identité valable pour …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 2 déc. 2014, n° 43978/09
Numéro(s) : 43978/09
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2014
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : A.E. c. Pologne, no 14480/04, 31 mars 2009
Bartik c. Russie, no 55565/00, CEDH 2006 XV
Baumann c. France, no 33592/96, CEDH 2001 V
Bessenyei c. Hongrie, no 37509/06, 21 octobre 2008
Diamante et Pelliccioni c. Saint-Marin, no 32250/08, 27 septembre 2011
Földes et Földesné Hajlik c. Hongrie, no 41463/02, CEDH 2006 XII
Gochev c. Bulgarie, no 34383/03, 26 novembre 2009
Ignatov c. Bulgarie, no 50/02, 2 juillet 2009
Iordan Iordanov et autres c. Bulgarie, no 23530/02, 2 juillet 2009
Khlyustov c. Russie, no 28975/05, 11 juillet 2013
Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 60, série A no 43
Luordo c. Italie, no 32190/96, CEDH 2003 IX
Makedonski c. Bulgarie, no 36036/04, 20 janvier 2011
Marangos c. Chypre, no 31106/96, décision de la Commission du 20 mai 1997
M. c. Allemagne, no 10307/83, décision de la Commission du 6 mars 1984, DR 37, p. 113
Miażdżyk c. Pologne, no 23592/07, 24 janvier 2012
Nalbantski c. Bulgarie, no 30943/04, 10 février 2011
Napijalo c. Croatie, no 66485/01, 13 novembre 2003
Nordblad c. Suède, no 19076/91, décision de la Commission du 13 octobre 1993
Peltonen c. Finlande, no 19583/92, décision de la Commission du 20 février 1995, DR 80 A
Pfeifer c. Bulgarie, no 24733/04, 17 février 2011
Prescher c. Bulgarie, no 6767/04, 7 juin 2011
Riener c. Bulgarie, no 46343/99, 23 mai 2006
Roldan Texeira et autres c. Italie (déc.), no 40655/98, 26 octobre 2000
Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 52, CEDH 2000-V
Schmidt c. Autriche, no 10670/83, décision de la Commission du 9 juillet 1985, Décisions et rapports (DR) 44, p. 195
Sissanis c. Roumanie, no 23468/02, 25 janvier 2007
Stamose c. Bulgarie, no 29713/05, CEDH 2012
Références à des textes internationaux :
Règlement (CE) no 4/2009 du Conseil de l’Europe du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires;Convention de La Haye du 23 novembre 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d’autres membres de la famille;Convention de New York sur le recouvrement des aliments à l’étranger
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Partiellement irrecevable ; Violation de l'article 2 du Protocole n° 4 - Liberté de circulation-{général} (article 2 al. 2 du Protocole n° 4 - Liberté de quitter un pays) ; Préjudice moral - réparation
Identifiant HUDOC : 001-148177
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2014:1202JUD004397809
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE BATTISTA c. ITALIE

(Requête no 43978/09)

ARRÊT

STRASBOURG

2 décembre 2014

DÉFINITIF

02/03/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Battista c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Guido Raimondi,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Egidijus Kūris,
Robert Spano, juges,
et de Abel Campos, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 novembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43978/09) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Alessandro Battista (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 août 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me A. Battista, avocat à Naples. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora.

3.  Le 11 avril 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4.  Le requérant est né en 1967 et réside à Naples.

5.  Alors qu’il était en instance de séparation de corps avec son épouse (D.L.), la garde des deux enfants du couple (G.L. et M.T.) avait été attribuée de manière provisoire conjointement aux deux parents.

6.  Le 29 août 2007, le requérant sollicita auprès du juge des tutelles un nouveau passeport en demandant qu’y soit inscrit le nom de son fils G.L. Son ex-épouse s’y opposa en faisant valoir que le requérant ne versait pas la pension alimentaire fixée par le président du tribunal lors de la séparation de corps.

7.  Par un décret du 18 septembre 2007, le juge des tutelles rejeta la demande du requérant, estimant qu’il n’était pas opportun de délivrer le passeport demandé compte tenu de l’impératif de protéger le droit des enfants à recevoir la pension alimentaire. A cet égard, il souligna que le requérant, qui était tenu de verser une pension alimentaire de 600 euros (EUR), n’en versait qu’une petite partie (de 45 à 90 EUR) et qu’il était à craindre qu’en cas de déplacement à l’étranger il ne se soustraie complètement à son obligation.

8.  Par une décision du 26 octobre 2007, le juge des tutelles ordonna que l’inscription du nom de M.T. soit effacée du passeport du requérant.

9.  Le 31 octobre 2007, le commissaire de police (questore) de Naples ordonna au requérant de déposer son passeport au commissariat et invalida sa carte d’identité valable pour l’étranger.

10.  Le requérant attaqua la décision du juge des tutelles devant le tribunal de Naples. Il soutenait :

–  que selon les dispositions prises par le président du tribunal lors de la séparation de corps, les enfants devaient passer avec lui, pendant les vacances d’été, la période du 10 au 26 août ; que, dans cette optique, il avait souhaité les emmener en Sicile en avion ; mais qu’il fallait pour cela que les noms des deux enfants soient inscrits sur son passeport ;

–  qu’à cause de l’opposition de son ex-épouse et du décret du juge des tutelles, lui-même et ses enfants n’avaient pas pu partir en vacances ;

–  que les noms des enfants étaient inscrits sur le passeport de la mère ;

–  que le rejet de sa demande constituait une sanction non prévue par la loi.

11.  Le 7 février 2008, le requérant demanda au juge des tutelles de Naples de lui délivrer un nouveau passeport, expliquant que son ex-épouse avait gardé dans l’habitation familiale sa carte d’identité et son passeport.

12.  Par un décret du 29 février 2008, le juge des tutelles de Naples rejeta la demande du requérant au motif qu’il ne s’était pas acquitté de la pension alimentaire au titre de ses enfants et qu’il était à craindre qu’il ne parte à l’étranger pour se soustraire complétement à son obligation.

Le requérant attaqua également cette décision devant le tribunal de Naples, en alléguant une atteinte à son droit à la liberté de circulation.

13.  Par une décision du 5 février 2009, le tribunal de Naples joignit les recours et les rejeta. Le tribunal nota tout d’abord que la base légale de la décision du juge des tutelles était la loi no 1185 du 21 novembre 1967, telle que modifiée par la loi no 3 de 2003 sur les passeports.

14.  Le tribunal considéra que le juge des tutelles avait bien compétence pour se prononcer sur la demande de passeport du requérant et sur l’insertion du nom de son fils. Quant au bien-fondé du recours, le tribunal releva que le requérant ne s’acquittait pas de l’obligation qui lui incombait au titre de la pension alimentaire et que ce cas de figure constituait l’un des motifs légaux de refus de délivrance de passeport dans l’intérêt des enfants, conformément à l’article 12 de la loi sur les passeports.

15.  Le 4 novembre 2008, D.L. fut condamnée à payer une amende de 100 EUR pour non-présentation d’enfants au requérant.

16.  Par un décret du 8 avril 2009, le juge des tutelles délivra à sa demande à D.L. un passeport avec le nom des deux enfants.

17.  Le 21 août 2012, le requérant demanda au juge des tutelles de Naples de délivrer des passeports individuels à ses enfants en application du décret législatif no 135 de 2009.

18.  D.L. s’y opposa, arguant que ces passeports n’étaient pas nécessaires pour les enfants, que le requérant ne s’acquittait pas de son obligation alimentaire depuis 2007 et qu’une procédure pénale était même pendante à ce sujet.

19.  Par une décision du 3 octobre 2012, le juge des tutelles rejeta la demande du requérant. Il considéra que la procédure de séparation entre le requérant et D.L. était encore pendante et qu’à la lumière des considérations exprimées par D.L., qui avait la garde des enfants, il y avait lieu de surseoir à toute délivrance de passeports aux enfants. Le requérant n’interjeta pas appel de cette décision.

II.  LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

20.  La loi no 1185 du 21 novembre 1967, telle que modifiée par la loi no 3 de 2003, prévoit :

Article 3

Un passeport ne peut pas être délivré :

a) à des enfants, assujettis à l’autorité parentale, en l’absence de consentement des parents ou, à défaut, d’autorisation du juge des tutelles ;

b) à des parents d’enfants mineurs, en l’absence d’autorisation du juge des tutelles. Pareille autorisation n’est pas nécessaire s’il y a consentement de l’autre parent, ou si l’un des deux parents a la garde exclusive (...).

Article 12

Son passeport peut être retiré à une personne qui se trouve à l’étranger et n’est pas en mesure de prouver le paiement de la pension alimentaire établie par décision de l’autorité judiciaire en faveur de ses enfants mineurs (...).

21.  Dans la pratique, il existe deux exceptions où la délivrance du passeport reste admise : lorsque l’intéressé a démontré la nécessité de se soigner à l’étranger et lorsqu’il doit se rendre à l’étranger pour des raisons de travail.

22.  Le décret législatif no 135 de 2009 a introduit l’obligation pour les enfants mineurs de détenir un passeport individuel. Ainsi, depuis le 25 novembre 2009, il n’est plus possible d’inscrire les mineurs sur les passeports des parents. Les inscriptions effectuées avant cette date restent valables selon les modalités prévues par la législation alors en vigueur. La durée de validité du passeport pour les enfants mineurs varie en fonction de l’âge : 3 ans de la naissance à trois ans et 5 ans pour les enfants âgés de trois ans à dix-huit ans.

23.  Le Règlement (CE) no 4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, propose une série de mesures visant à faciliter le paiement des créances alimentaires dans des situations transfrontalières.

24.  La Convention de La Haye du 23 novembre 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d’autres membres de la famille établit un système de coopération administrative entre les autorités des États contractants et un régime de reconnaissance et d’exécution des décisions et des accords en matière d’obligations alimentaires.

25.  La Convention de New York sur le recouvrement des aliments à l’étranger fut adoptée et ouverte à la signature le 20 juin 1956 par la Conférence des Nations unies sur les obligations alimentaires convoquée en vertu de la résolution 572 (XIX) du Conseil économique et social des Nations Unies, adoptée le 17 mai 1955.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 4 À LA CONVENTION

26.  Le requérant se plaint d’une atteinte à sa vie privée et à sa liberté de circulation. En particulier, il expose qu’aucune norme n’interdit à un parent qui ne payerait pas sa pension alimentaire d’avoir un passeport et d’y faire inscrire le nom de ses enfants.

Il invoque l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un État a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.

2.  Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.

3.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

4.  Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent également, dans certaines zones déterminées, faire l’objet de restrictions qui, prévues par la loi, sont justifiées par l’intérêt public dans une société démocratique. »

27.  Le Gouvernement conteste la thèse du requérant.

A.  Sur la recevabilité

28.  La Cour constate que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

29.  Le requérant soutient qu’il n’y a aucune base légale au refus des autorités de lui délivrer un passeport. En particulier, il fait valoir qu’il n’a jamais été condamné pour violation des obligations d’assistance familiale (violazione degli obblighi di assistenza familiare), infraction punie par l’article 570 du code pénal, et qu’aucune juridiction ne l’a condamné pour non-paiement de la pension alimentaire. De plus, il affirme que son casier judiciaire est vierge.

30.  Le Gouvernement rappelle que l’article 16 de la Constitution prévoit que la liberté du citoyen de sortir du territoire de la République est subordonnée à l’observation des obligations prévues par la loi.

31.  Il considère ensuite que l’ingérence dans le droit du requérant est expressément prévue par loi, à savoir l’article 3 a) et b) de la loi no 1185 de 1967, et explique qu’elle a pour finalité la protection des enfants : il s’agit d’assurer que le requérant paye sa pension alimentaire et de prévenir la commission d’un délit. Aux yeux du Gouvernement, cette ingérence répond au critère de la « nécessité dans une société démocratique », spécialement à la lumière de la jurisprudence de la Cour en matière de dettes impayées.

32.  À cet égard, le Gouvernement rappelle que le tribunal de Naples a décidé de transmettre sa décision du 22 octobre 2008 au procureur de la République pour vérifier si une information judiciaire pouvait être ouverte pour violation des obligations d’assistance familiale, infraction punie par l’article 570 du code pénal.

33.  Le Gouvernement indique que la Cour constitutionnelle, dans son arrêt 0464 de 1997, a affirmé que l’essence de l’article en question de la loi no 1185 de 1967 est de « garantir que le parent remplisse ses obligations à l’égard de ses enfants ».

Il ajoute que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la décision du juge des tutelles en la matière représente une mesure de « juridiction gracieuse », c’est-à-dire qu’elle ne vise pas à régler de façon définitive un conflit entre les droits subjectifs des parents.

34.  Le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour concernant les restrictions à la liberté de circulation dans des situations de procès pénaux en cours, de faillites ou encore de violations des obligations relatives au service militaire.

2.  Appréciation de la Cour

35.  La Cour observe tout d’abord que la présente affaire soulève une question nouvelle, puisqu’elle n’a pas encore eu l’occasion de se pencher sur des mesures restreignant la liberté de quitter un pays en raison de l’existence envers un tiers de dettes ayant une importance particulière, comme les obligations alimentaires.

36.  Dans de précédentes affaires examinées sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 4, la Cour ou l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme se sont intéressées à de telles interdictions, prononcées par exemple dans le contexte :

–  d’une procédure pénale en cours (Schmidt c. Autriche, no 10670/83, décision de la Commission du 9 juillet 1985, Décisions et rapports (DR) 44, p. 195 ; Baumann c. France, no 33592/96, CEDH 2001‑V ; Földes et Földesné Hajlik c. Hongrie, no 41463/02, CEDH 2006‑XII ; Sissanis c. Roumanie, no 23468/02, 25 janvier 2007 ; Bessenyei c. Hongrie, no 37509/06, 21 octobre 2008 ; A.E. c. Pologne, no 14480/04, 31 mars 2009 ; Iordan Iordanov et autres c. Bulgarie, no 23530/02, 2 juillet 2009 ; Makedonski c. Bulgarie, no 36036/04, 20 janvier 2011 ; Pfeifer c. Bulgarie, no 24733/04, 17 février 2011 ; Prescher c. Bulgarie, no 6767/04, 7 juin 2011, et Miażdżyk c. Pologne, no 23592/07, 24 janvier 2012) ;

–  de l’exécution d’une peine (M. c. Allemagne, no 10307/83, décision de la Commission du 6 mars 1984, DR 37, p. 113) ;

–  de la condamnation de l’intéressé pour une infraction pénale, tant qu’il n’aurait pas été réhabilité (Nalbantski c. Bulgarie, no 30943/04, 10 février 2011) ;

–  d’une procédure de faillite en cours (Luordo c. Italie, no 32190/96, CEDH 2003‑IX) ;

–  du refus de payer une amende douanière (Napijalo c. Croatie, no 66485/01, 13 novembre 2003) ;

–  d’un manquement à acquitter un impôt (Riener c. Bulgarie, no 46343/99, 23 mai 2006) ;

–  d’un manquement à rembourser à un créancier privé une dette établie par une décision judiciaire (Ignatov c. Bulgarie, no 50/02, 2 juillet 2009, et Gochev c. Bulgarie, no 34383/03, 26 novembre 2009, et Khlyustov c. Russie, no 28975/05, 11 juillet 2013) ;

–  de la connaissance de « secrets d’État » (Bartik c. Russie, no 55565/00, CEDH 2006‑XV) ;

–  du défaut d’accomplissement des obligations du service militaire (Peltonen c. Finlande, no 19583/92, décision de la Commission du 20 février 1995, DR 80‑A, p. 38, et Marangos c. Chypre, no 31106/96, décision de la Commission du 20 mai 1997, non publiée) ;

–  de la maladie mentale de l’intéressé, associée à l’absence de dispositif permettant sa prise en charge adéquate dans l’État de destination (Nordblad c. Suède, no 19076/91, décision de la Commission du 13 octobre 1993, non publiée) ;

–  d’une décision judiciaire interdisant d’emmener un enfant mineur à l’étranger (Roldan Texeira et autres c. Italie (déc.), no 40655/98, 26 octobre 2000, et Diamante et Pelliccioni c. Saint-Marin, no 32250/08, 27 septembre 2011) ;

–  de l’interdiction faite à un Bulgare de quitter le territoire national pendant deux ans pour avoir violé les lois des États-Unis en matière d’immigration (Stamose c. Bulgarie, no 29713/05, CEDH 2012).

La Cour considère que, malgré les différences entre ces affaires et la présente espèce, les principes qui y sont dégagés sont applicables ici aussi.

37.  L’article 2 § 2 du Protocole no 4 garantit à toute personne le droit de quitter n’importe quel pays pour se rendre dans n’importe quel autre pays de son choix où elle est susceptible d’être admise. Le refus de délivrer un passeport au requérant et l’annulation de sa carte d’identité pour les voyages à l’étranger par les juridictions internes s’analysent en une atteinte à ce droit (voir la décision précitée Peltonen, p. 43, et les arrêts précités Baumann, §§ 62-63, Napijalo, §§ 69-73, et Nalbantski, § 61). Dès lors, il convient de déterminer si cette atteinte était « prévue par la loi », poursuivait un ou plusieurs des buts légitimes définis à l’article 2 §  3 du Protocole no 4, et si elle était « nécessaire, dans une société démocratique  » à la réalisation de ce ou ces buts.

38.  En ce qui concerne la légalité de cette mesure, la Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’expression « prévue par la loi » non seulement impose que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais vise aussi la qualité de la loi en cause : celle-ci doit être accessible au justiciable et prévisible quant à ses effets (Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 52, CEDH 2000-V). Afin que la loi satisfasse à la condition de prévisibilité, elle doit énoncer avec suffisamment de précision les conditions dans lesquelles une mesure peut être appliquée, et ce pour permettre aux personnes concernées de régler leur conduite en s’entourant au besoin de conseils éclairés.

39.  Comme le souligne le Gouvernement, l’ingérence reposait sur l’article 12 de la loi no 1185 du 21 novembre 1967 sur les passeports, telle que modifiée par la loi no 3 de 2003, en relation avec le fait que le requérant ne s’acquittait pas de la pension alimentaire qu’il était tenu de verser à l’égard de ses enfants. L’ingérence possédait ainsi manifestement une base légale en droit interne. A cet égard, la Cour note également que la Cour constitutionnelle, dans son arrêt no 0464 de 1997, a affirmé que l’essence de l’article en question de la loi no 1185 de 1967 est de « garantir que le parent remplisse ses obligations à l’égard de ses enfants ».

40.  La Cour estime également que l’imposition de la mesure en question tendait à garantir les intérêts des enfants du requérant et poursuivait en principe un objectif légitime de protection des droits d’autrui – dans le cas présent, ceux des enfants à recevoir une pension alimentaire.

41.  Pour ce qui est de la proportionnalité d’une restriction imposée au motif de dettes impayées, la Cour rappelle que pareille mesure ne se justifie qu’aussi longtemps qu’elle tend à l’objectif poursuivi de garantir le recouvrement des dettes en question (Napijalo, précité, §§ 78 à 82, 13 novembre 2003). Par ailleurs, fût-elle justifiée au départ, une mesure restreignant la liberté de circulation d’une personne peut devenir disproportionnée et violer les droits de cette personne si elle se prolonge automatiquement pendant longtemps (Luordo, précité, § 96, CEDH 2003‑IX,et Földes et Földesné Hajlik, précité, § 35).

42.  En tout état de cause, les autorités internes ont l’obligation de veiller à ce que toute atteinte portée au droit d’une personne de quitter son pays soit, dès le départ et tout au long de sa durée, justifiée et proportionnée au regard des circonstances. Elles ne peuvent prolonger longtemps des mesures restreignant la liberté de circulation d’une personne sans réexaminer périodiquement si elles sont justifiées (Riener, précité, § 124, et Földes et Földesné Hajlik, précité, § 35). Ce contrôle doit normalement être assuré, au moins en dernier ressort, par le pouvoir judiciaire, car il offre les meilleures garanties d’indépendance, d’impartialité et de régularité des procédures (Sissanis c. Roumanie, no 23468/02, § 70, 25 janvier 2007). L’étendue du contrôle juridictionnel doit permettre au tribunal de tenir compte de tous les éléments, y compris ceux liés à la proportionnalité de la mesure restrictive (voir, mutatis mutandis, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 60, série A no 43).

43.  Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour remarque que le requérant n’a plus de passeport ni de carte d’identité valable pour l’étranger depuis 2008. Elle note qu’il s’est vu refuser la délivrance d’un passeport et d’une carte d’identité valable pour l’étranger à cause du non-paiement de la pension alimentaire. Les juridictions internes (paragraphes 11-12 ci-dessus) ont souligné que le requérant ne s’était pas acquitté de la pension alimentaire qu’il était tenu de verser au titre de ses enfants et qu’il y avait un risque qu’il ne la paye plus s’il se rendait à l’étranger.

44.  Ainsi qu’il ressort du dossier et notamment des décisions nationales pertinentes, les juridictions internes n’ont pas jugé nécessaire d’examiner la situation personnelle de l’intéresse ni sa capacité à s’acquitter des sommes dues, et ont appliqué la mesure litigieuse de manière automatique. En l’espèce, aucune pondération des droits en cause ne semble avoir été faite. Seuls les intérêts patrimoniaux des bénéficiaires des aliments ont été pris en considération.

45.  Par ailleurs, la Cour constate que la question du recouvrement des créances alimentaires fait l’objet d’une coopération en matière civile au niveau européen et international. Elle rappelle qu’il existe des moyens susceptibles de parvenir au recouvrement du crédit en dehors des frontières nationales, en particulier le Règlement (CE) no 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, la Convention de La Haye du 23 novembre 2007 sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d’autres membres de la famille et la Convention de New York sur le recouvrement des aliments à l’étranger. Ces instruments n’ont pas été pris en compte par les autorités au moment de l’application de la mesure litigieuse. Celles-ci se sont limitées à souligner que le requérant aurait pu se rendre à l’étranger avec son passeport et se soustraire ainsi à son obligation.

46.  De plus, la Cour note que dans le cas d’espèce, la restriction imposée au requérant n’a pas garanti le paiement de la pension alimentaire.

47.  Partant, elle estime que l’intéressé a été soumis à une mesure à caractère automatique, sans aucune limitation quant à sa portée ou à sa durée (Riener, précité, § 127). En outre, les juridictions internes n’ont procédé depuis 2008 à aucun réexamen de la justification et de la proportionnalité de la mesure au regard des circonstances de l’espèce.

48.  A la lumière de ce qui précède, la Cour considère que l’imposition automatique d’une telle mesure pendant une durée indéterminée, sans prise en compte des circonstances propres à l’intéressé, ne saurait être qualifiée de nécessaire dans une société démocratique.

49.  Il y a donc eu violation de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

50.  Le requérant allègue que le refus de lui délivrer un passeport constitue une atteinte à son droit au respect de sa vie privée tel que prévu par l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

51.  La Cour relève que ce grief, tel qu’il a été présenté par le requérant, est étroitement lié à celui tiré de l’article 2 du Protocole no  4, examiné ci‑dessus, et doit donc lui aussi être déclaré recevable.

52.  Eu égard aux conclusions auxquelles elle est parvenue plus haut (paragraphes 48 et 49 ci-dessus), la Cour ne juge pas nécessaire de l’examiner séparément.

III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

53.  Le requérant allègue que la mère de ses enfants bénéficie d’un traitement préférentiel en ce qu’elle a obtenu, contrairement à lui, l’insertion du nom des enfants sur son passeport, ce qui emporte selon lui violation de l’article 5 du Protocole no 7 à la Convention.

54.  La Cour note tout d’abord que ce grief n’est pas étayé. Pour autant qu’il soulève une question distincte de celle examinée plus haut et qu’elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et des libertés garantis par la Convention. Partant, elle déclare ce grief irrecevable.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

55.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

56.  Le requérant réclame 30 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi en son nom et au nom de ses enfants à cause de l’impossibilité de se rendre à l’étranger.

57.  Le Gouvernement conteste cette prétention. Il estime que le montant sollicité est en tout état de cause excessif et non conforme aux critères en usage à la Cour.

58.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

59.  Le requérant demande également 20 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, mais sans présenter de justificatifs à l’appui.

60.  Le Gouvernement considère ce montant comme excessif et soutient que le requérant n’a pas démontré que les frais et dépens allégués étaient nécessaires et raisonnables.

61.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, relevant que le requérant n’a pas fourni de justificatifs à l’appui de sa demande, la Cour décide de ne lui allouer aucune somme à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

62.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article  2 du Protocole no 4 à la Convention et de l’article 8 de la Convention ;

2.  Déclare, à la majorité, la requête irrecevable pour le surplus ;

3.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 2 du protocole no 4 à la Convention ;

4.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 8 de la Convention ;

5.  Dit, à l’unanimité,

a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette, par six voix contre une, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 décembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Abel CamposIşıl Karakaş
Greffier adjointPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de la déclaration de dissentiment du juge Kūris.

A.I.K.
A.C.


DÉCLARATION DE DISSENTIMENT DU JUGE KŪRIS

J’ai voté contre les points 2 et 6 du dispositif du présent arrêt. J’estime que la question abordée aux paragraphes 53 et 54 de l’arrêt méritait d’être examinée sous l’angle de l’article 5 du Protocole no 7 à la Convention. En conséquence, cette partie de la requête aurait dû être déclarée recevable.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE BATTISTA c. ITALIE, 2 décembre 2014, 43978/09