CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE PETROPAVLOVSKIS c. LETTONIE, 13 janvier 2015, 44230/06

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Roseline Letteron · Liberté, Libertés chéries · 9 juillet 2017

L'arrêt Boudelal c. France rendu le 6 juillet 2017 la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) apporte un éclairage utile sur le droit à la nationalité et surtout sur ses limites. De manière très claire, la CEDH affirme en effet que les autorités françaises ont pu, sans violer la Convention européenne des droits de l'homme, subordonner la réintégration dans la nationalité à une condition de loyalisme. Le refus de réintégration Le requérant, Chérif Boudelal, est un ressortissant algérien né en 1945 et résidant en France depuis 1967. Il demande en 2009 se réintégration dans la …

 

CEDH · 6 juillet 2017

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 13 janv. 2015, n° 44230/06
Numéro(s) : 44230/06
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2015
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Bayatyan c. Arménie [GC], n° 23459/03, § 126, CEDH 2011
Bazjaks c. Lettonie, n° 71572/01, § 127, 19 octobre 2010
Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, § 52, série A n° 131
Fehér et Dolník c. Slovaquie (déc.), nos 14927/12 et 30415/12, § 41, 21 mai 2013
Garaudy c. France (déc.), n° 65831/01, CEDH 2003-IX
Genovese c. Malte, n° 53124/09, 11 octobre 2011
Gorzelik et autres c. Pologne [GC], n° 44158/98, § 95, CEDH 2004 I
Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, § 53, Recueil 1998-VII
Karassev c. Finlande (déc.), n° 31414/96, CEDH 1999 II
Kolosovskiy c. Lettonie (déc.), n° 50183/99, 29 janvier 2004
Koudechkina c. Russie, n° 29492/05, § 99, 26 février 2009
Kurić et autres c. Slovénie [GC], n° 26828/06, § 314, CEDH 2012 (extraits)
Steel et Morris c. Royaume-Uni, n° 68416/01, § 87, CEDH 2005-II
Mouvement raëlien suisse c. Suisse, n° 16354/06, § 48, CEDH 2012 (extraits)
Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 41342/98, 41343/98 et 41344/98, § 96, CEDH 2003 II
Riener c. Bulgarie, n° 46343/99, §§ 153-154, 23 mai 2006
S.A.S. c. France [GC], n° 43835/11, § 128, CEDH 2014 (extraits)
Slivenko et autres c. Lettonie (déc.) [GC], n° 48321/99, CEDH 2002-II
Stoll c. Suisse [GC], n° 69698/01, § 101, CEDH 2007 V
Syssoyeva et autres c. Lettonie (radiation) [GC], n° 60654/00, §§ 46-47, CEDH 2007 I
Tănase c. Moldova [GC], n° 7/08, §§ 166, CEDH 2010
Ždanoka c. Lettonie [GC], n° 58278/00, CEDH 2006 IV
Organisations mentionnées :
  • Cour de justice de l'Union européenne
  • Cour internationale de Justice
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Exception préliminaire retenue (Article 35-3 - Ratione materiae)
Identifiant HUDOC : 001-150488
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2015:0113JUD004423006
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE PETROPAVLOVSKIS cLETTONIE

(Requête no 44230/06)

ARRÊT

13 janvier 2015

DÉFINITIF

01/06/2015

Cet arrêt est définitif.


En l’affaire Petropavlovskis cLettonie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Päivi Hirvelä, présidente,
Ineta Ziemele,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Zdravka Kalaydjieva,
Krzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 18 novembre et 9 décembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 44230/06) dirigée contre la République de Lettonie et dont un « non-citoyen résident pemanent » de cet État, M. Jurijs Petropavlovskis (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 octobre 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me A. Dimitrovs, avocat à Bruxelles. Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par deux agents, Mme I. Reine et Mme K. Līce.

3.  Invoquant les articles 10, 11 et 13 de la Convention, le requérant expliquait dans sa requête que le refus qui avait été opposé à sa demande de naturalisation avait revêtu un caractère arbitraire et avait visé à le sanctionner pour avoir critiqué la position du gouvernement en exprimant des idées et en exerçant son droit de réunion pacifique.

4.  Par une décision du 3 juin 2008, la Cour a déclaré la requête recevable et joint au fond l’exception soulevée par le Gouvernement relativement à la compétence ratione materiae de la Cour.

5.  Tant le requérant que le Gouvernement ont soumis des observations écrites sur le fond (article 59 § 1 du règlement de la Cour).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Le requérant est né en 1955 ; il réside à Riga.

7.  Avant le 29 octobre 1998, date à laquelle le Parlement letton (Saeima) adopta une nouvelle loi sur l’éducation, l’enseignement dans les écoles d’État et municipales était, en vertu d’une pratique héritée de l’ère soviétique, dispensé en letton et en russe. La nouvelle loi, qui entra en vigueur le 1er juin 1999, prévoyait que la seule langue d’enseignement dans toutes les écoles d’État et municipales de la République de Lettonie devait être la langue officielle de l’État, à savoir le letton. Elle prévoyait également que la langue d’enseignement pouvait être différente dans les écoles privées, dans les écoles d’État et municipales dispensant des programmes pour les minorités et dans les autres établissements d’enseignement définis par la loi. Concernant les écoles d’État et municipales dispensant des programmes pour les minorités, il incombait au ministère de l’Éducation de définir des matières spécifiques à enseigner dans la langue officielle (article 9 §§ 1 et 2) et au ministre de l’Éducation de s’assurer que les règlements pertinents seraient soumis au Conseil des ministres (Ministru kabinets) avant le 1er septembre 1999 (dispositions transitoires, paragraphe 3). Il était également établi que toute personne devait apprendre la langue officielle et passer un test de maîtrise de cette langue pour pouvoir obtenir le diplôme d’enseignement primaire et secondaire (article 9 § 3).

8.  Entre 2003 et 2004, le requérant fut activement impliqué dans les mouvements de protestation contre la réforme de l’éducation. Il fut l’un des principaux dirigeants d’un mouvement nommé « Quartiers généraux pour la protection des écoles russes » (« Krievu skolu aizstāvības štābs » en letton), qui faisait campagne contre la réforme de l’éducation. Il participa à de nombreuses réunions et manifestations contre la réforme de l’éducation et fit des déclarations publiques prônant le droit pour la communauté russophone de bénéficier d’un enseignement en russe et la préservation des écoles financées par l’État qui avaient le russe comme unique langue d’enseignement. Le Gouvernement a fourni à la Cour des preuves de la couverture médiatique de ces mouvements de protestation pour la période du 28 juin 2003 au 23 septembre 2005, notamment des dépêches de l’agence de presse lettone LETA et des articles parus dans les quotidiens Diena et Lauku Avīze et dans le journal régional de langue russe Novaja Gazeta. Il s’agit de treize dépêches et articles au total.

9.  Le 5 février 2004, après plusieurs réunions et manifestations importantes, le Parlement adopta des modifications à la loi sur l’éducation. Le nouveau texte énonçait qu’à compter du 1er septembre 2004 tous les établissements d’enseignement secondaire d’État et municipaux dispensant des programmes pour les minorités nationales devaient assurer l’enseignement d’au moins 60 % du programme d’études en letton, y compris les langues étrangères, à partir de la classe de dixième. Ces écoles devaient également s’assurer que le programme relatif à la langue, à l’identité et à la culture minoritaires était dispensé dans la langue minoritaire (dispositions transitoires, paragraphe 3).

10.  En novembre 2003, le requérant sollicita la nationalité lettone par naturalisation devant la commission des naturalisations (Naturalizācijas Pārvalde). Le 1er décembre 2003, il passa les examens prévus par la législation (paragraphe 29 ci-dessous).

11.  La commission des naturalisations examina les documents présentés par le requérant et, estimant qu’il satisfaisait aux conditions des articles 11 et 12 de la loi sur la nationalité, inscrivit son nom sur la liste des candidats à la nationalité lettone. Cette liste fut jointe à la proposition de décision sur les demandes de nationalité et transférée au Conseil des ministres pour décision finale.

12.  Le 16 novembre 2004, le Conseil des ministres décida de retirer le nom du requérant de la liste, rejetant ainsi sa demande de naturalisation.

13.  Le 30 novembre 2004, la commission des naturalisations informa le requérant de la décision du Conseil des ministres.

14.  Le 7 décembre 2004, le requérant engagea une procédure administrative contre le Conseil des ministres. Il demanda au tribunal administratif de district (Administratīvā rajona tiesa) d’« obliger le Conseil des ministres à prendre une décision lui octroyant la nationalité lettone ». Il arguait que la décision relative à l’octroi de la nationalité lettone était un acte administratif et qu’elle ne pouvait être considérée comme une décision politique. Il soutenait, entre autres, que pour satisfaire à l’obligation de loyauté, il suffisait de remplir toutes les conditions prévues par la loi sur la nationalité, à moins que l’une des restrictions à l’acquisition de la nationalité énumérées par la loi ne pût être appliquée. Il plaidait que le refus de lui octroyer la nationalité était illégal, considérant qu’en application du principe de l’égalité de traitement, ses opinions ne pouvaient constituer un motif de refus. Il estimait que son nom avait été retiré de la liste en raison de son activité au sein du parti politique « Pour les droits de l’homme en Lettonie unie » (« Par cilvēka tiesībām vienotā Latvijā », PCTVL en abrégé) et de ses déclarations publiques. Il expliquait que le PCTVL l’avait désigné comme candidat au poste de maire de Riga, que le refus qui avait été opposé à sa demande de nationalité l’avait empêché de se présenter aux élections municipales et que la décision avait été motivée par des considérations politiques.

15.  Le 10 décembre 2004, le requérant accorda une interview à un journaliste du quotidien Lauku Avīze. Sa réponse à la question de savoir s’il espérait gagner devant les tribunaux nationaux et internationaux fut rapportée comme suit :

« Si j’avais voulu conquérir le pouvoir politique, j’aurais été naturalisé il y a longtemps et élu au [Parlement]. Les chances de gagner devant un tribunal en Lettonie sont peut-être de 50-50. Mais je n’en ai pas besoin. Sincèrement, nous avons besoin d’un scandale à l’échelle internationale. C’est ce que nous avons obtenu grâce à mon problème de nationalité, ainsi qu’une vaste campagne gratuite de relations publiques pour le PCTVL. »

16.  Dans les observations soumises par lui au tribunal administratif de district le 5 janvier 2005, le Conseil des ministres expliqua que le ministre de la Justice avait attiré l’attention sur les dispositions de la loi sur la nationalité selon lesquelles tout candidat à la nationalité lettone devait démontrer son allégeance à la République de Lettonie, non seulement par une promesse, mais aussi par ses actes ; or, selon lui, les actes du requérant n’étaient pas compatibles avec le serment d’allégeance à la République de Lettonie. Sur la base des informations en sa possession, le Conseil des ministres avait décidé qu’au moment des faits les actes du requérant ne témoignaient pas d’une quelconque loyauté envers la République de Lettonie.

17.  Dans des observations additionnelles déposées par lui devant le tribunal administratif de district le 17 novembre 2005, le Conseil des ministres exposa, entre autres, que sa décision politique avait été fondée sur les actes du requérant, dont il ressortait clairement selon lui que l’intéressé ne pouvait pas honnêtement prêter serment d’allégeance. Ses déclarations publiques prouvaient selon le Conseil des ministres qu’il n’avait pas de lien véritable avec la République de Lettonie, qu’il ne souhaitait pas en établir un et qu’il n’avait demandé la nationalité que dans le cadre d’une campagne politique visant à nuire à la République de Lettonie. Et le Conseil des ministres de citer les déclarations faites par l’intéressé lors de l’interview du 10 décembre 2004 (paragraphe 15 ci-dessus). Invoquant le principe selon lequel « la démocratie devait pouvoir se défendre », le Conseil des ministres soutenait que la sécurité nationale, la protection d’autres personnes et la langue officielle étaient des valeurs démocratiques que l’État était censé protéger. Or les déclarations publiques du requérant révélaient que ses actions visaient à déstabiliser la situation dans le pays et qu’il ne souhaitait obtenir la nationalité que dans ce but. Ses déclarations et actions montraient qu’il constituait une menace pour la sécurité nationale : i) il était le dirigeant d’une organisation dont les activités visaient à troubler l’ordre public et la sécurité[1] ; ii) les activités de l’organisation attestaient de la possibilité de la voir recourir à la violence[2] ; iii) les déclarations du requérant indiquaient qu’il était prêt à recourir à la violence[3] ; iv) les actions du requérant démontraient son refus de permettre aux autorités nationales de contrôler la légalité des activités de l’organisation[4] ; et v) le véritable objectif du requérant n’était pas d’acquérir la nationalité lettone mais de conduire une campagne organisée visant à déclencher un scandale politique[5].

18.  Le 16 décembre 2005, le tribunal administratif de district décida de clore la procédure sans examiner l’affaire au fond. Il conclut que la décision du Conseil des ministres concernant l’octroi de la nationalité lettone (lēmums par personas uzņemšanu Latvijas pilsonībā) était une « décision politique » (paragraphe 33 ci-dessous) et ne pouvait donc pas faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Le requérant fit appel, déclarant, entre autres, que la loi sur la nationalité ne pouvait être utilisée comme une arme politique et que les juridictions devaient avoir pleine compétence pour connaître de telles décisions.

19.  Le 13 février 2006, la cour administrative régionale (Administratīvā apgabaltiesa) confirma la décision du tribunal administratif de district, considérant elle aussi que la décision du Conseil des ministres était de nature politique. Le requérant forma un pourvoi, déclarant, entre autres, que l’octroi de la nationalité ne pouvait être utilisé comme une arme politique et que les juridictions devaient se reconnaître pleinement compétentes pour contrôler les décisions en la matière.

20.  Le 11 avril 2006, la chambre administrative du sénat de la Cour suprême (Augstākās tiesas Senāta Administratīvo lietu departaments) confirma la décision de la cour administrative régionale. Elle estima que, en vertu de la loi sur la nationalité, la commission des naturalisations devait établir une proposition de décision concernant l’établissement des faits juridiques. La décision finale était prise par le Conseil des ministres. Le Conseil des ministres prenait sa décision par un vote s’appuyant sur la proposition préparée par la commission des naturalisations. Les membres du Conseil n’avaient pas à donner les raisons de leur vote et la loi ne fixait pas le détail du processus de décision à cet égard. La Cour suprême s’exprima notamment comme suit :

« [8.3]  (…) le Conseil des ministres [a] des compétences non limitées en matière d’octroi ou de refus de la nationalité à ceux qui, selon la commission des naturalisations, remplissent les critères requis pour la naturalisation. Sa liberté d’action dans ce domaine, qui tranche nettement [krasi kontrastē] avec la réglementation détaillée qui encadre les décisions de la commission des naturalisations, montre qu’il exerce en la matière une fonction constitutionnelle plutôt qu’administrative. Ainsi, le Conseil des ministres ne peut être considéré comme une autorité publique aux fins de la procédure administrative. Par conséquent, l’argument du grief subsidiaire selon lequel la décision visée remplit tous les critères d’un acte administratif est infondé.

Au vu de ce qui vient d’être exposé, c’est à bon droit que la [cour administrative régionale] a conclu que la décision attaquée ne constitue pas un acte administratif mais une décision politique. (...)

[10]  Selon la cour administrative, quiconque satisfait à toutes les conditions requises et ne relève d’aucune des restrictions à la naturalisation a seulement un droit subjectif à obtenir une proposition de décision concernant l’octroi de la nationalité qui sera examinée par le Conseil des ministres.

[11]  Le fait que la législation ne prévoie pas de recours contre une décision du Conseil des ministres ne signifie pas qu’une telle décision peut être attaquée comme un acte administratif en vertu de la loi sur la procédure administrative. Il n’existe pas en Lettonie de pratique constante qui consisterait à indiquer expressément dans un acte juridique que la décision pertinente n’est pas susceptible de recours (…)

[12]  (...) Selon la cour administrative, le droit letton prévoit une possibilité de contrôle [kontrolēt] des décisions prises en matière de naturalisation. De fait, les décisions prises par la commission des naturalisations (actes administratifs) sont susceptibles d’un recours juridictionnel au titre de la loi sur la procédure administrative, tandis que si une décision du Conseil des ministres ou une partie de celle-ci est contraire au droit, un procureur peut former un recours en révision [protests] au titre de l’article 19 de la loi sur le ministère public. Par conséquent, la référence [faite par le requérant] à [l’article 12 de] la Convention européenne sur la nationalité est infondée. »

21.  À ce jour, le requérant n’a pas présenté de nouvelle demande d’obtention de la nationalité lettone par naturalisation.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La Constitution (Satversme)

22.  En vertu de l’article 4 de la Constitution, la langue officielle de la République de Lettonie est le letton.

23.  En vertu de l’article 100 de la Constitution, toute personne a droit à la liberté d’expression ; celle-ci comprend la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et d’exprimer son opinion. La censure est interdite.

24.  En vertu de l’article 102 de la Constitution, toute personne a le droit de fonder des associations, partis politiques ou autres organisations publiques et de s’y affilier.

25.  En vertu de l’article 103 de la Constitution, l’État protège la liberté de tenir des réunions, manifestations ou rassemblements pacifiques préalablement annoncés.

26.  En vertu de l’article 116, les droits de la personne énoncés, entre autres, aux articles 100, 102 et 103 de la Constitution peuvent être limités, dans les cas prévus par la loi, à des fins de protection des droits d’autrui, de la structure démocratique de l’État ou de la sécurité, de la prospérité et de la moralité publiques. Sur le fondement des conditions énoncées ci-dessus, l’expression des convictions religieuses peut également être restreinte.

B.  La loi sur la nationalité (Pilsonības likums) en vigueur au moment des faits

27.  L’article 1 § 1 de la loi sur la nationalité disposait que la nationalité lettone était le lien juridique durable (noturīga tiesiska saikne) entre une personne et l’État letton (Latvijas valsts). Plus généralement, la législation lettone sur la nationalité et l’immigration distinguait entre plusieurs catégories de personnes, chacune ayant un statut spécifique. Ces catégories ont été résumées dans les arrêts Slivenko c. Lettonie ([GC], no 48321/99, §§ 50-53, CEDH 2003‑X) et Syssoyeva et autres c. Lettonie ((radiation) [GC], no 60654/00, §§ 46-47, CEDH 2007‑I).

28.  L’article 11 énumérait les restrictions en matière de naturalisation. Il prévoyait, entre autres, que nul ne pouvait obtenir la nationalité s’il avait agi, par des méthodes inconstitutionnelles, contre l’indépendance de la République de Lettonie, la structure démocratique et parlementaire de l’État ou l’autorité de l’État existante en Lettonie, étant entendu que ces agissements devaient être établis par une décision juridictionnelle.

29.  L’article 12 était libellé ainsi :

« 1)  Seules les personnes inscrites au registre de la population peuvent se voir octroyer la nationalité lettone par naturalisation si :

1.  à la date de présentation de la demande de naturalisation, elles résident de manière permanente en Lettonie depuis au moins cinq ans, à compter du 4 mai 1990 (pour les personnes arrivées en Lettonie après le 1er juillet 1992, la période de cinq ans est calculée à partir du moment où un permis de résidence permanente a été obtenu) ;

2.  elles savent parler [prast] letton ;

3.  elles connaissent [zināt] les principes fondamentaux de la Constitution de la République de Lettonie et la loi constitutionnelle [du 10 décembre 1991] sur les droits et obligations des personnes et citoyens ;

4.  elles connaissent le texte de l’hymne national et l’histoire de la Lettonie ;

5.  elles disposent d’une source légale de revenus ;

6.  elles ont prêté un serment d’allégeance à la République de Lettonie ;

7.  elles ont présenté une preuve de leur renonciation à leur ancienne citoyenneté (nationalité) et ont reçu un permis d’expatriation de l’État de leur précédente citoyenneté (nationalité) si un tel permis est prévu par le droit de cet État, ou ont reçu un document attestant la perte de leur citoyenneté (nationalité) ou, s’il s’agit de ressortissants de l’ex-URSS dont le lieu de résidence permanent au 4 mai 1990 était la Lettonie, un certificat attestant qu’ils n’ont pas acquis la citoyenneté (nationalité) d’un autre État ;

8.  elles ne relèvent pas des restrictions à la naturalisation prévues à l’article 11 de la présente loi.

2)  Seules les personnes qui satisfont à toutes les conditions définies au premier paragraphe du présent article peuvent se voir octroyer la nationalité lettone par naturalisation.

(...)

6)  Les personnes déboutées d’une demande relative à une question de nationalité peuvent renouveler leur demande un an après l’adoption de la décision. »

30.  L’article 17 § 1 prévoyait que c’était la commission des naturalisations qui recevait et examinait les demandes de naturalisation. Une décision de cet organe refusant la naturalisation était susceptible de recours devant un tribunal (article 17 § 3). Les décisions relatives à l’accession à la nationalité lettone étaient prises par le Conseil des ministres (article 17 § 2).

31.  Au moment des faits (avant les amendements législatifs entrés en vigueur le 1er octobre 2013), toutes les personnes qui avaient obtenu la nationalité lettone devaient, en vertu de l’article 18, signer le serment suivant concernant l’allégeance à la République de Lettonie :

« Je, soussigné (prénom, nom), né (lieu de naissance, date de naissance), jure de n’être loyal qu’à la République de Lettonie.

Je m’engage à respecter de bonne foi la Constitution et les lois de la République de Lettonie et à m’efforcer de les protéger.

Je m’engage, sans égard pour ma vie, à défendre l’indépendance de l’État letton [Latvijas valsts] et à vivre et travailler en toute bonne foi, en vue d’accroître la prospérité de l’État letton et de son peuple. »

32.  Le 1er octobre 2013, plusieurs amendements à la loi sur la nationalité sont entrés en vigueur ; ils modifiaient, entre autres, l’ensemble des dispositions mentionnées ci-dessus.

C.  La loi sur la procédure administrative (Administratīvā procesa likums)

33.  En vertu de l’article 1 § 3 de la loi sur la procédure administrative (dans la version qui a été en vigueur du 1er février 2004 au 30 novembre 2006), un acte administratif est un instrument juridique dirigé vers l’extérieur qui est adopté par une autorité publique (iestāde) dans le domaine du droit public à l’égard d’une personne (ou de personnes) nommément désignée(s) et qui établit, modifie, définit ou rompt des relations juridiques spécifiques (tiesiskās attiecības) ou définit une situation existante. Une décision concernant l’établissement, la modification ou la cessation du statut juridique d’un fonctionnaire (amatpersona) ou de toute personne spécialement subordonnée à l’autorité publique (īpaši pakļauta persona) et une sanction disciplinaire ou autre décision portant une atteinte significative aux droits de l’homme du fonctionnaire ou de la personne spécialement subordonnée à l’autorité publique sont également des actes administratifs. Les décisions ou autres types d’actes pris par une autorité publique dans la sphère du droit privé, et les décisions internes qui ne concernent que l’autorité publique elle-même, un organisme qui lui est subordonné (padota institūcija) ou une personne qui lui est spécialement subordonnée ne sont pas des actes administratifs ; les décisions politiques (annonces politiques, déclarations, invitations, notifications concernant l’élection de fonctionnaires, etc.) adoptées par la Saeima, le président, le Conseil des ministres ou les assemblées délibérantes des collectivités locales (conseils de district et conseils paroissiaux), ainsi que les décisions adoptées dans le cadre de procédures pénales et les décisions de justice ne sont pas non plus des actes administratifs.

D.  Règlement du Conseil des ministres no 34 (1999), « La réception et le traitement des demandes de naturalisation »

34.  Le paragraphe 32 du règlement du Conseil des ministres no 34 (1999), intitulé « La réception et le traitement des demandes de naturalisation » (Naturalizācijas iesniegumu pieņemšanas un izskatīšanas kārtība), dans la version qui a été en vigueur du 5 février 1999 au 9 juillet 2011, pose certains principes selon lesquels le chef de la commission des naturalisations peut prendre une décision de refus de la naturalisation. Une telle décision doit être prise, par exemple, s’il a été établi par une décision de justice passée en force de chose jugée qu’une personne a intentionnellement fourni de fausses informations (paragraphe 32.1) ou s’il a été établi, après examen de la demande, qu’il n’existe pas ou plus de motif légal de naturalisation (paragraphe 32.2).

35.  Si une personne doit être naturalisée, un fonctionnaire de la commission des naturalisations, s’appuyant sur des documents contenus dans le dossier de naturalisation, prépare une proposition de décision du Conseil des ministres octroyant la nationalité lettone par naturalisation (paragraphe 33). La commission des naturalisations informe la personne de la décision adoptée par le Conseil des ministres (paragraphe 34).

E.  La jurisprudence de la Cour constitutionnelle

36.  Le 13 mai 2010, la Cour constitutionnelle (Satversmes tiesa), statuant sur l’affaire no 2009-94-01, a rendu un arrêt concernant la conformité de certains termes de la première et de la deuxième phrase du paragraphe 1 des dispositions transitoires de la loi sur la nationalité aux articles 1 et 2 de la Constitution et au Préambule de la Déclaration du 4 mai 1990 sur la restauration de l’indépendance de la République de Lettonie. Ladite affaire avait été déférée à la Cour constitutionnelle par la section des affaires administratives du sénat de la Cour suprême (Augstākās tiesas Senāta Administratīvo lietu departaments) qui s’interrogeait sur la question de savoir si les conditions définies par la loi pour la double nationalité étaient compatibles avec la doctrine de la continuité de l’État de Lettonie. La Cour constitutionnelle a jugé la réglementation compatible avec la Constitution et la Déclaration. Les parties pertinentes de son arrêt se lisent comme suit (références omises) :

« 16.  Le requérant soutient que la nationalité doit être considérée comme l’un des droits de l’homme et que les dispositions contestées sont incompatibles avec les principes de proportionnalité et de sécurité juridique découlant de l’article 1 de la Constitution.

16.1  La Cour constitutionnelle a reconnu dans sa jurisprudence qu’il résulte du concept de République démocratique consacré par l’article 1 de la Constitution que l’État a l’obligation de se conformer à un certain nombre de principes fondamentaux de l’état de droit [tiesiska valsts], notamment à ceux de proportionnalité et de sécurité juridique (...)

En matière de nationalité, l’État dispose d’une ample marge d’appréciation (...) Cette marge ne peut toutefois pas être considérée comme illimitée. Dans le cadre de la doctrine de la continuité [de l’État], le législateur a l’obligation de veiller à ce qu’aucune personne ayant conservé la nationalité lettone pendant la période de l’occupation ne soit exclue du corps des citoyens, et que les conditions définies pour la restitution de la nationalité soient proportionnées.

Ainsi, la Cour constitutionnelle doit apprécier si, en permettant à certaines personnes, par l’adoption de la décision du 27 novembre 1991, de nourrir des certitudes relativement à la possibilité de conserver la double nationalité, le législateur a dépassé la marge d’appréciation dont il dispose pour réglementer la nationalité. Cela signifie que la Cour constitutionnelle doit vérifier si les dispositions contestées n’ont pas violé le droit de certaines personnes à la nationalité d’un État spécifique.

16.2  [Il est indiqué dans] la requête que la nationalité ou le lien d’une personne avec l’État constitue l’un des droits de l’homme au motif qu’il est inclus dans l’article 15 de la Déclaration [universelle] des droits de l’homme et, par conséquent, dans l’article 89 de la Constitution. La fixation d’un délai au terme duquel un individu s’inscrivant en tant que citoyen letton doit renoncer à la nationalité d’un autre État s’analyserait en une privation de nationalité, voire en une privation de nationalité en masse ou au détriment d’un groupe de personnes identifiables à une caractéristique spécifique.

La Cour constitutionnelle observe que la Déclaration des droits de l’homme est une source qui fait autorité en matière de droits de l’homme et que le contenu de ses dispositions a évolué dans le temps et servi de fondement au développement des principes et coutumes du droit international. Pour établir précisément la portée de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme, qui en vertu de l’article 89 de la Constitution revêt un caractère contraignant pour l’État, un examen supplémentaire est toutefois nécessaire.

L’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme dispose que tout individu a droit à une nationalité. Cependant, il ne garantit pas un droit à la nationalité d’un État particulier. Même si le contenu de l’article a évolué au fil du temps et si le développement du droit international a influencé la marge d’appréciation des États concernant les questions de nationalité, son contenu reste limité.

Selon la doctrine, la nationalité n’est pas un droit naturel ou inaliénable, car elle découle essentiellement de l’existence d’un État souverain (...)

À l’heure actuelle, l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme contient trois éléments principaux : le droit à une nationalité ou la prévention de l’apatridie ; l’interdiction des privations arbitraires de nationalité (qu’il s’agisse de mesures individuelles ou collectives) ; et le droit pour toute personne de changer de nationalité. La privation de nationalité fondée sur des considérations politiques ou discriminatoires est considérée comme une privation arbitraire de nationalité (...) De même, toute privation de nationalité qui entraîne l’apatridie est considérée comme arbitraire (...) L’interdiction de discrimination ne peut être interprétée largement. Par exemple, une exigence de maîtrise de la langue n’est pas considérée comme discriminatoire. En outre, il est possible d’identifier un consensus dans les deux domaines suivants : l’égalité des sexes, qui emporte réduction des cas d’apatridie en cas de mariage et, plus encore, l’obligation pour tout État d’octroyer la nationalité à tout enfant né sur son territoire et qui serait sans cela apatride (...) »

III.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS

A.  La jurisprudence de la Cour permanente de justice internationale

37.  Dans son avis consultatif concernant les décrets de nationalité promulgués à Tunis et au Maroc (7 février 1923, CPJI série B no 4), la Cour permanente de justice internationale s’exprima ainsi :

« Les mots « compétence exclusive » semblent plutôt envisager certaines matières qui, bien que pouvant toucher de très près aux intérêts de plus d’un État, ne sont pas, en principe, réglées par le droit international. En ce qui concerne ces matières, chaque État est seul maître de ses décisions.

La question de savoir si une certaine matière rentre ou ne rentre pas dans le domaine exclusif d’un État est une question essentiellement relative ; elle dépend du développement des rapports internationaux. C’est ainsi que, dans l’état actuel du droit international, les questions de nationalité sont, en principe, de l’avis de la Cour, comprises dans ce domaine réservé.

Aux fins du présent avis, il suffit de remarquer qu’il se peut très bien que, dans une matière qui, comme celle de la nationalité, n’est pas, en principe, réglée par le droit international, la liberté de 1’État de disposer à son gré soit néanmoins restreinte par des engagements qu’il aurait envers d’autres États (...) »

B.  La jurisprudence de la Cour internationale de justice

38.  Dans l’affaire Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala, arrêt du 6 avril 1955, CIJ Recueil 1955), la Cour internationale de justice (CIJ) s’est exprimée comme suit :

« Il appartient au Liechtenstein comme à tout État souverain de régler par sa propre législation l’acquisition de sa nationalité ainsi que de conférer celle-ci par la naturalisation octroyée par ses propres organes conformément à cette législation. Il n’y a pas lieu de déterminer si le droit international apporte quelques limites à la liberté de ses décisions dans ce domaine. D’autre part, la nationalité a ses effets les plus immédiats, les plus étendus et, pour la plupart des personnes, ses seuls effets dans l’ordre juridique de 1’État qui l’a conférée. La nationalité sert avant tout à déterminer que celui à qui elle est conférée jouit des droits et est tenu des obligations que la législation de cet État accorde ou impose à ses nationaux. Cela est implicitement contenu dans la notion plus large selon laquelle la nationalité rentre dans la compétence nationale de l’État.

(...)

Selon la pratique des États, les décisions arbitrales et judiciaires et les opinions doctrinales, la nationalité est un lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d’existence, d’intérêts, de sentiments jointe à une réciprocité de droits et de devoirs. Elle est, peut-on dire, l’expression juridique du fait que l’individu auquel elle est conférée, soit directement par la loi, soit par un acte de l’autorité, est, en fait, plus étroitement rattaché à la population de l’État qui la lui confère qu’à celle de tout autre État. Conférée par un État, elle ne lui donne titre à l’exercice de la protection vis-à-vis d’un autre État que si elle est la traduction en termes juridiques de l’attachement de l’individu considéré à 1’État qui en a fait son national.

(...)

La naturalisation n’est pas une chose à prendre à la légère. La demander et l’obtenir n’est pas un acte courant dans la vie d’un homme. Elle comporte pour lui rupture d’un lien d’allégeance et établissement d’un autre lien d’allégeance. Elle entraîne des conséquences lointaines et un changement profond dans la destinée de celui qui l’obtient. Elle le concerne personnellement et ce serait en méconnaître le sens profond que de n’en retenir que le reflet sur le sort de ses biens. Pour en apprécier l’effet international, on ne peut être indifférent aux circonstances dans lesquelles elle a été conférée, à son caractère sérieux, à la préférence effective et non pas simplement verbale de celui qui la sollicite pour le pays qui la lui accorde. »

C.  La Convention européenne sur la nationalité

39.  Le principal document du Conseil de l’Europe relatif à la nationalité est la Convention européenne sur la nationalité (STE no 166), adoptée le 6 novembre 1997 et entrée en vigueur le 1er mars 2000. Elle a été ratifiée par vingt États membres du Conseil de l’Europe. La Lettonie a signé cette Convention le 30 mai 2001 mais ne l’a pas ratifiée.

40.  Les articles pertinents de ladite Convention sont les suivants :

Article 2 – Définitions

« Au sens de cette Convention,

a)  « nationalité » désigne le lien juridique entre une personne et un État et n’indique pas l’origine ethnique de la personne ;

(...) »

Article 3 – Compétence de l’État

« 1.  Il appartient à chaque État de déterminer par sa législation quels sont ses ressortissants.

2.  Cette législation doit être admise par les autres États, pourvu qu’elle soit en accord avec les conventions internationales applicables, le droit international coutumier et les principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité. »

Article 4 – Principes

« Les règles sur la nationalité de chaque État Partie doivent être fondées sur les principes suivants :

a)  chaque individu a droit à une nationalité ;

b)  l’apatridie doit être évitée ;

c)  nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité ;

d)   ni le mariage, ni la dissolution du mariage entre un ressortissant d’un État Partie et un étranger, ni le changement de nationalité de l’un des conjoints pendant le mariage ne peuvent avoir d’effet de plein droit sur la nationalité de l’autre conjoint. »

41.  Le rapport explicatif de cette Convention dispose, entre autres, relativement à l’article 2 :

Article 2 – Définitions

« 22.  Le concept de nationalité a été examiné par la Cour internationale de justice dans l’arrêt Nottebohm. La Cour y a défini la nationalité comme étant « un lien juridique ayant [pour fondement] un fait social [de rattachement], une solidarité effective d’existence, d’intérêts et de sentiments, jointe à une réciprocité de droits et de devoirs » (arrêt Nottebohm, rapports de la CIJ 1955, p. 23).

23.  La « nationalité » est définie à l’article 2 de la Convention comme étant le lien juridique qui existe entre une personne et un État, et elle n’indique pas l’origine ethnique de la personne. Elle désigne donc une relation juridique spécifique entre une personne et un État, relation qui est reconnue par cet État. Ainsi qu’on l’a déjà indiqué dans la note relative au paragraphe 1 du présent rapport explicatif, en ce qui concerne les effets de la Convention, les termes « nationalité » et « citoyenneté » sont synonymes. »

D.  La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne

42.  Dans l’affaire C-135/08 Janko Rottmann c. Freistaat Bayern (arrêt du 2 mars 2010), la Cour de justice a statué comme suit (références omises) :

« 45.  Ainsi, les États membres doivent, dans l’exercice de leur compétence en matière de nationalité, respecter le droit de l’Union (…)

(...)

48.  La réserve selon laquelle il y a lieu de respecter le droit de l’Union ne porte pas atteinte au principe de droit international déjà reconnu par la Cour (…), selon lequel les États membres sont compétents pour définir les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité, mais consacre le principe selon lequel, lorsqu’il s’agit de citoyens de l’Union, l’exercice de cette compétence, dans la mesure où il affecte les droits conférés et protégés par l’ordre juridique de l’Union, comme c’est notamment le cas pour une décision de retrait de la naturalisation telle que celle en cause au principal, est susceptible d’un contrôle juridictionnel opéré au regard du droit de l’Union.

(...)

55.  Toutefois, dans un tel cas de figure, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la décision de retrait en cause au principal respecte le principe de proportionnalité en ce qui concerne les conséquences qu’elle comporte sur la situation de la personne concernée au regard du droit de l’Union, outre, le cas échéant, l’examen de la proportionnalité de cette décision au regard du droit national. »

E.  La jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme

43.  Dans les Proposed Amendments to the Naturalisation Provision of the Constitution of Costa Rica (avis consultatif OC-4/84, 19 janvier 1984), la Cour interaméricaine des droits de l’homme s’est prononcée comme suit :

« 31.  Les questions soulevées par le Gouvernement concernent deux séries de problèmes juridiques généraux, que la Cour examinera séparément. Tout d’abord, il y a la question du droit à la nationalité établi par l’article 20 de la Convention. Une deuxième série de questions concerne la discrimination interdite par la Convention.

32.  Il est aujourd’hui généralement admis que la nationalité est un droit inhérent à tout être humain. Non seulement la nationalité est la condition de base pour l’exercice des droits politiques, mais elle a également un impact important sur la capacité juridique de l’individu.

Ainsi, même s’il est traditionnellement admis que l’octroi et la réglementation de la nationalité relèvent de la compétence de chaque État, des développements récents indiquent que le droit international impose certaines limites aux larges pouvoirs dont jouissent les États en la matière et que la manière dont les États régissent les questions ayant un impact sur la nationalité ne peut plus aujourd’hui être considérée comme relevant de leur seule compétence. Ces pouvoirs reconnus aux États sont également limités par l’obligation qu’ils ont d’assurer la pleine protection des droits de l’homme.

33.  La doctrine classique qui voyait dans la nationalité un attribut octroyé par l’État à ses sujets a graduellement évolué jusqu’à être désormais perçue comme concernant tant la compétence de l’État que les questions relatives aux droits de l’homme. Cela a été reconnu dans un instrument régional, la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme du 2 mai 1948 (...) [texte de l’article 19]. Un autre instrument, la Déclaration universelle des droits de l’homme (...) prévoit ce qui suit [texte de l’article 15].

34.  Le droit de tout être humain à la nationalité a été reconnu en tant que tel par le droit international. Deux aspects de ce droit se reflètent dans l’article 20 de la Convention : premièrement, le droit à une nationalité qui y est établi fournit à l’individu un minimum de protection juridique dans les relations internationales à travers le lien que la nationalité établit entre lui et l’État en question ; et, deuxièmement, la protection accordée à l’individu contre la privation arbitraire de la nationalité, sans laquelle il serait privé à toutes fins pratiques de l’ensemble de ses droits politiques ainsi que des droits civils liés à la nationalité.

35.  La nationalité peut être considérée comme un lien politique et juridique qui relie une personne à un État donné et le rattache à celui-ci par les liens de loyauté et de fidélité, et qui lui donne droit à la protection diplomatique de cet État. De différentes manières, la plupart des États ont offert à des individus qui ne possédaient pas initialement leur nationalité la possibilité de l’acquérir plus tard, généralement par une déclaration d’intention faite une fois remplies certaines conditions. Dans de tels cas, la nationalité ne dépend plus du hasard de la naissance sur un territoire donné ou de la possession de cette nationalité par les parents. Elle est plutôt fondée sur un acte volontaire tendant à établir une relation avec une société politique donnée, sa culture, son mode de vie et ses valeurs.

36.  Dans la mesure où c’est l’État qui offre la possibilité d’acquérir sa nationalité à des personnes d’origine étrangère, il est normal que les conditions et les procédures d’acquisition de cette nationalité soient régies avant tout par son droit national. Tant que ces règles ne sont pas en contradiction avec des normes supérieures, c’est l’État octroyant la nationalité qui est le mieux à même de juger quelles conditions imposer pour veiller à ce qu’un lien effectif existe entre le candidat à la naturalisation et les systèmes de valeurs et les intérêts de la société avec laquelle il cherche à s’associer pleinement. Cet État est également le mieux à même de décider si ces conditions sont remplies. Dans ces mêmes limites, il est également logique que les besoins perçus par chaque État puissent déterminer la décision de faciliter ou non la naturalisation à un degré plus ou moins grand ; et dans la mesure où les besoins perçus de l’État ne sont pas statiques, il est normal que les conditions pour la naturalisation puissent être libéralisées ou restreintes lorsque les circonstances changent. Il n’est donc pas surprenant qu’à un moment donné, l’État juge opportun d’imposer de nouvelles conditions afin d’éviter que des individus qui n’ont pas établi avec le pays des liens réels et durables aptes à justifier un acte aussi sérieux et profond que le changement de nationalité ne cherchent à changer de nationalité que pour résoudre des difficultés temporaires rencontrées par eux. »

44.  Dans l’affaire Case of the Girls Yean and Bosico v. Dominican Republic (exceptions préliminaires, fond, réparations et dépens, arrêt du 8 septembre 2005, série C no 130), la Cour interaméricaine des droits de l’homme s’est exprimée comme suit (notes de bas de page omises) :

« 139.  La Convention américaine reconnaît les deux aspects du droit à la nationalité : le droit d’avoir une nationalité, l’individu étant censé bénéficier « dans les relations internationales d’un minimum de protection juridique à travers le lien que la nationalité établit entre lui et un État déterminé, et la protection de l’individu contre la privation arbitraire de sa nationalité, sans laquelle il serait privé de l’ensemble de ses droits politiques ainsi que des droits civils liés à la nationalité ».

140.  Si chaque État conserve la faculté de déterminer qui sont ses ressortissants, sa marge d’appréciation à cet égard a graduellement été limitée par l’évolution du droit international, le but étant d’assurer une meilleure protection de l’individu face à des actes arbitraires des États. Ainsi, au stade actuel du développement du droit international des droits de l’homme, cette prérogative des États est limitée, d’une part, par leur obligation de fournir aux individus une protection égale et effective de la loi et, d’autre part, par leur obligation de prévenir, d’éviter et de réduire l’apatridie.

141.  La Cour estime que les principes juridiques impératifs de protection égale et effective de la loi et de non-discrimination supposent que, lorsqu’ils adoptent des mécanismes régissant l’octroi de la nationalité, les États s’abstiennent d’adopter des réglementations discriminatoires ou ayant des effets discriminatoires sur l’exercice de leurs droits par certains groupes de population. En outre, les États doivent lutter contre les pratiques discriminatoires à tous niveaux, en particulier dans les organismes publics, et adopter les mesures antidiscriminatoires nécessaires pour assurer le droit effectif à une égale protection pour tous.

142.  Les États ont l’obligation de ne pas adopter de pratiques ou de lois concernant l’octroi de la nationalité dont l’application entraînerait une augmentation du nombre d’apatrides. Cette situation découle de l’absence de nationalité lorsque, en vertu des lois d’un État donné, un individu ne peut pas obtenir la nationalité de cet État en raison de la privation arbitraire ou de l’octroi d’une nationalité qui, en réalité, n’est pas effective. L’apatridie prive l’individu de la possibilité de jouir de droits civils et politiques et le place dans une situation d’extrême vulnérabilité. »

45.  Les principes découlant de ladite jurisprudence ont récemment été confirmés par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Expelled Dominicans and Haitians v. Dominican Republic (exceptions préliminaires, fond, réparations et dépens, arrêt du 28 août 2014, série C no 282, §§ 253‑264).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 10 ET 11 DE LA CONVENTION

46.  Le requérant se plaint, sous l’angle des articles 10 et 11 de la Convention, du refus d’octroi de la nationalité lettone opposé à sa demande de naturalisation, lequel aurait été arbitraire et aurait visé à le sanctionner pour avoir exprimé des idées et exercé son droit de réunion pacifique afin de critiquer la position du gouvernement. L’intéressé allègue également que les violations susmentionnées de ses droits n’étaient pas prévues par la loi, qu’elles ne poursuivaient aucun but légitime et qu’elles étaient disproportionnées et non nécessaires dans une société démocratique, contrairement aux exigences de l’article 10 § 2 et de l’article 11 § 2 de la Convention. Les articles 10 et 11 de la Convention sont ainsi libellés :

Article 10 – Liberté d’expression

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

Article 11 – Liberté de réunion et d’association

« 1.  Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2.  L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État. »

47.  Le Gouvernement plaide qu’il n’y a eu aucune violation de ces articles.

A.  Les thèses des parties

1.  Le requérant

48.  Le requérant soutient que lorsqu’elles affectent les droits de l’homme les questions relatives à la nationalité ne sont pas de la compétence exclusive des États. Selon lui, l’avis consultatif sur les décrets de nationalité promulgués à Tunis et au Maroc et l’affaire Nottebohm, tous deux précités, reflètent l’état du droit international tel qu’il se présentait respectivement en 1923 et 1955, et non pas l’état du droit international actuel. Il existerait un consensus international émergent en vertu duquel les lois et pratiques en matière de nationalité devraient être conformes aux principes généraux du droit international, et en particulier au droit des droits de l’homme. La marge d’appréciation dont jouiraient les États en matière d’octroi de la nationalité ne serait pas illimitée. Se référant à l’article 15 § 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le requérant allègue que les décisions en matière de nationalité doivent être considérées à la lumière des droits de l’homme. Il cite respectivement les paragraphes 32 et 140 de deux affaires traitant de cette question qui ont été examinées par la Cour interaméricaine des droits de l’homme (paragraphes 43-44 ci-dessus). Se référant à l’article 4 de la Convention européenne sur la nationalité et au rapport explicatif de celle-ci, il arguë que l’approche interaméricaine est également confirmée en Europe. Il décrit son statut comme celui d’un « non-citoyen » et se considère comme un apatride « privilégié » au regard du droit international. Invoquant l’affaire Nottebohm, il explique qu’il est né en Lettonie, que sa résidence habituelle et ses centres d’intérêt sont en Lettonie et que sa femme et ses deux filles vivent en Lettonie. Il affirme qu’il n’a aucun lien véritable ou effectif avec un autre pays.

49.  Reconnaissant que le droit à une nationalité spécifique n’est pas en tant que tel garanti par la Convention ou ses Protocoles, le requérant se réfère à la décision rendue par la Cour dans l’affaire Karassev c. Finlande ((déc.), no 31414/96, CEDH 1999‑II) et soutient qu’un refus arbitraire d’octroi de la nationalité peut, dans certaines conditions, poser un problème au regard de l’article 8 de la Convention à raison de l’impact de la décision sur les droits de l’individu. Il mentionne également l’affaire Genovese c. Malte (no 53124/09, § 45, 11 octobre 2011), dans laquelle la Cour aurait conclu à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 relativement à l’accès à la nationalité. Il indique que d’autres instances internationales ont estimé que la compétence nationale pour l’établissement de règles en matière de nationalité n’est pas exclusive. À titre d’exemple, il cite l’affaire Janko Rottmann, précitée, jugée par la Cour de justice de l’Union européenne. Il plaide également qu’en l’espèce l’obligation de réduire l’apatridie limite la marge d’appréciation de l’État et, invoquant l’affaire Andrejeva c. Lettonie ([GC], no 55707/00, § 88, CEDH 2009), il déclare que la Lettonie est le seul État avec lequel il ait des liens stables.

50.  Le requérant reconnaît que la Convention ne lui confère pas un droit à acquérir la nationalité lettone. Il estime en revanche que ses droits découlant des articles 10 et 11 ont été violés pendant le processus de naturalisation. Il expose que rien dans la jurisprudence de la Cour ne suggère qu’il ne peut y avoir de problèmes que sous l’angle des articles 8 et 14. Le « refus arbitraire de nationalité » pourrait en réalité également poser des problèmes au regard des articles 10 et 11. Le requérant plaide qu’il existe un lien de causalité suffisant entre sa participation à des activités qui étaient dirigées contre l’introduction de la langue officielle de la République de Lettonie dans les écoles qui avaient le russe comme langue d’enseignement et la décision ultérieure du Conseil des ministres de refuser sa naturalisation. Il considère le « refus de nationalité » comme une mesure punitive prise contre lui en réponse à ses activités et déclarations.

51.  Le requérant ne partage pas l’avis du Gouvernement selon lequel l’affaire Ezelin c. France (26 avril 1991, série A no 202) doit être distinguée de la présente cause. Invoquant l’arrêt Sürek c. Turquie (no 1) ([GC], no 26682/95, § 64, CEDH 1999‑IV), il considère que la nature et la gravité de la sanction imposée sont des facteurs à prendre en considération lorsqu’il s’agit d’apprécier la proportionnalité de l’ingérence. Il expose que le refus de lui octroyer la nationalité lettone a eu de nombreuses conséquences immédiates. Il mentionne, à titre d’exemple, l’impossibilité à laquelle il s’est trouvé confronté de se présenter aux élections municipales de 2005 du fait du délai d’un an qu’il devait laisser s’écouler avant de présenter une nouvelle demande de naturalisation (article 12 § 6 de la loi sur la nationalité). Eu égard à l’avis positif émis par la police de sécurité, il n’aurait pu prévoir semblable conséquence. Le requérant resterait un « non-citoyen » et il serait exclu d’une participation à part entière au processus politique. Il n’aurait ni le droit de voter, ni celui de se présenter comme candidat aux élections municipales, parlementaires ou européennes.

52.  Tout en reconnaissant que les sanctions ne l’ont pas empêché de s’exprimer, il explique qu’elles ont néanmoins constitué une espèce de censure propre à le dissuader à l’avenir de formuler de telles critiques (Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 44, série A no 103). Plus généralement, il estime que les mesures prises par les autorités nationales étaient de nature à décourager la participation de « non-citoyens » à des débats sur des questions d’intérêt général (Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 64, CEDH 1999‑III).

53.  En réponse à l’argument du Gouvernement selon lequel il ne satisfaisait pas à la condition préalable de loyauté, le requérant fait une distinction entre loyauté envers l’État et loyauté envers le gouvernement. Il reconnaît la légitimité de l’exigence de loyauté envers l’État, mais il estime qu’elle ne doit pas être utilisée pour contrer le pluralisme d’opinions lorsque les opinions sont exprimées dans le respect de la loi (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, §§ 166-167, CEDH 2010). Il ajoute que le Gouvernement n’a pas prouvé ses supposés appels à renverser le gouvernement, à recourir à la violence et à déclencher un scandale international. Il se dit surpris que le Gouvernement se réfère à des dépêches pour démontrer le bien-fondé des allégations en cause, estimant qu’il aurait pu s’efforcer d’apporter des preuves plus objectives. Il cite l’avis positif émis par la police de sécurité et indique qu’il n’a été puni qu’une fois par un avertissement écrit pour participation à une manifestation et qu’il n’a jamais été condamné au pénal. Il considère que les dépêches ne reflètent que les opinions de leurs auteurs. Il invoque les mêmes propos parus dans les médias (paragraphe 17 ci-dessus) pour soutenir que ses protestations n’étaient dirigées que contre le gouvernement dirigé par le Premier ministre de l’époque et contre la coalition au pouvoir, et non contre tout gouvernement légitime quel qu’il fût, et il ajoute qu’il n’a jamais souhaité employer la violence. Son invitation « à un combat de boxe dans un club de sports de la police » n’aurait visé qu’à éviter toute violence dans la rue. Enfin, les déclarations faites par lui au cours de l’interview du 10 décembre 2004 ne pourraient avoir constitué un motif de refus puisqu’elles auraient été faites après le refus du Conseil des ministres de lui octroyer la nationalité lettone.

54.  En tout état de cause, la liberté d’expression couvrirait également les informations ou idées qui heurtent, choquent ou inquiètent (Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49, série A no 24) et la liberté de réunion protégerait également les manifestations qui heurtent ou mécontentent des éléments hostiles aux idées ou revendications qu’elles veulent promouvoir (Plattform « Ärzte für das Leben » c. Autriche, 21 juin 1988, § 32, série A no 139). En outre, les limites de la critique seraient plus larges à l’égard du gouvernement qu’elles ne le seraient à l’égard d’un simple particulier (Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 46, série A no 236).

2.  Le Gouvernement

55.  Le Gouvernement soutient que le grief du requérant s’analyse en une tentative déguisée de contestation du rejet de sa demande de naturalisation. L’intéressé n’aurait pas démontré en quoi ledit refus aurait constitué une atteinte à ses droits et libertés découlant des articles 10 et 11 de la Convention ou en quoi il aurait eu un impact négatif sur eux.

56.  Le Gouvernement considère que le refus de naturalisation n’a en aucune manière affecté les droits et libertés du requérant. Il indique que les médias se sont largement fait l’écho des déclarations publiques du requérant, dans lesquelles l’intéressé aurait librement exposé ses opinions et positions sur la réforme de l’éducation et ses plans et actions dans ce contexte. Les médias auraient également répercuté la participation du requérant à d’autres réunions et manifestations en 2005. Le requérant serait devenu l’assistant d’un membre du Parlement européen, Mme Ždanoka, et il aurait continué à s’exprimer contre la politique du gouvernement concernant la réforme de l’éducation. Le Gouvernement cite des exemples spécifiques de réunions auxquelles le requérant aurait participé depuis la décision du 16 novembre 2004 (par exemple, une réunion du 6 décembre 2004 concernant la réforme de l’éducation). Il ajoute qu’en 2012 l’intéressé a été l’un des organisateurs d’une collecte de signatures tendant à provoquer l’organisation d’un référendum sur la nationalité pour les « non-citoyens ». La même année, le requérant aurait participé à la création d’un organisme appelé « le Congrès des non-citoyens » et, dans ce cadre, il aurait été élu le 1er juin 2013 membre d’un « Parlement des non-représentés » autoproclamé. Il aurait participé à de nombreuses conférences, protestations et manifestations, au cours desquelles il aurait librement exprimé son opinion selon laquelle la nationalité devrait être automatiquement octroyée aux « non-citoyens ».

57.  Le Gouvernement ajoute que le requérant n’a été soumis à aucune sanction, peine, poursuite ou condamnation par les institutions de l’État pour ses opinions ou déclarations publiques. Il renvoie à l’arrêt Jokšas c. Lituanie (no 25330/07, 12 novembre 2013), qu’il estime pertinent aux fins de l’espèce au motif que, compte tenu de l’absence de toute sanction disciplinaire, poursuite ou condamnation à raison de déclarations publiques, aucune ingérence et, par conséquent, aucune violation n’y aurait été constatée.

58.  Le Gouvernement ne partage pas l’avis du requérant selon lequel le refus des autorités lettones de lui octroyer la nationalité s’analyse en une mesure punitive et distingue la présente affaire de l’arrêt Ezelin, précité. Il explique que dans cette dernière le requérant avait fait l’objet d’une sanction disciplinaire pour avoir participé à une manifestation et que cette sanction avait eu des conséquences juridiques négatives sur son parcours professionnel. En l’espèce, le refus d’octroi de la nationalité n’aurait eu qu’une conséquence immédiate : l’impossibilité à un moment donné d’obtenir la nationalité lettone. Le Gouvernement réaffirme qu’il n’a eu aucun effet négatif sur les droits du requérant découlant des articles 10 et 11 de la Convention et que rien n’empêche le requérant de présenter une nouvelle demande à l’avenir.

59.  Le Gouvernement estime également que la présente affaire doit être distinguée des affaires Redfearn et Vogt, expliquant que dans celles-ci les requérants avaient rencontré des difficultés à retrouver un emploi après leur licenciement (Redfearn c. Royaume-Uni, no 47335/06, 6 novembre 2012, et Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, série A no 323). En l’espèce, le refus d’octroi de la nationalité lettone par naturalisation n’aurait pas entraîné de difficultés irréversibles pour le requérant, qui pourrait présenter une nouvelle demande d’obtention de la nationalité lettone. De même, la décision n’aurait eu aucune conséquence négative pour la carrière politique de l’intéressé. La non-introduction par celui-ci d’une nouvelle demande de naturalisation montrerait qu’il n’a jamais eu véritablement l’intention d’obtenir la nationalité lettone.

60.  Se référant à l’avis consultatif concernant les décrets de nationalité promulgués à Tunis et au Maroc et à l’affaire Nottebohm, tous deux précités, le Gouvernement soutient que, en vertu du droit international, les questions de nationalité relèvent de la compétence exclusive des États. La réglementation en matière de nationalité resterait fragmentée en droit international. Elle ne couvrirait que certains domaines, tels que les conflits de compétence pour trancher les questions de nationalité et de succession d’États, aucun d’entre eux n’étant pertinents en l’espèce. Le Gouvernement indique que des tentatives d’élaboration de principes plus uniformes pour les questions de nationalité en général sont toujours en cours, ajoutant que la Convention européenne sur la nationalité n’avait été ratifiée que par seize États au moment du dépôt de ses premières observations (aujourd’hui vingt États, paragraphe 39 ci-dessus).

61.  S’appuyant sur la jurisprudence de Strasbourg (Famille K. et W. c. Pays-Bas, no 11278/84, décision de la Commission du 1er juillet 1985, Décisions et rapports (DR) 43, p. 216, Slepčik c. Pays-Bas, no 30913/96, décision de la Commission du 2 septembre 1996, DR 86-B, p. 176, et Jazvinský c. Slovaquie (déc.), nos 33088/96 et 8 autres, 7 septembre 2000), le Gouvernement rappelle que le droit à la nationalité d’un État déterminé ne fait pas partie des droits garantis par la Convention ou ses Protocoles.

62.  Se référant à la décision rendue par la Cour constitutionnelle dans l’affaire no 2009-94-01, le Gouvernement soutient que l’État dispose d’une large marge d’appréciation pour définir les règles en matière de nationalité (paragraphe 36 ci-dessus). Il réaffirme que la naturalisation est une décision politique de l’État et que chaque État dispose d’un mécanisme visant à l’identification des citoyens loyaux envers lui. Un État ne pourrait être obligé d’octroyer sa nationalité à des personnes jugées non intégrées, déloyales ou indignes de confiance.

63.  La Lettonie ne garantirait pas un droit à l’acquisition de la nationalité lettone par naturalisation. Il ne prévoirait que le droit de la demander sous réserve du respect de certaines conditions. La procédure de naturalisation comporterait deux étapes. Premièrement, la commission des naturalisations accomplirait la tâche administrative de recevoir et examiner les demandes individuelles à la lumière des conditions définies par la loi, et sa décision serait susceptible de recours en vertu de l’article 17 § 3 de la loi sur la nationalité. Deuxièmement, le Conseil des ministres exercerait une fonction de nature discrétionnaire qui tiendrait compte, entre autres, de considérations politiques et notamment de la loyauté de la personne envers la République de Lettonie. Le Conseil des ministres aurait ainsi conclu que les déclarations et actions du requérant visaient à déstabiliser la situation au sein de l’État et que l’intéressé avait fait un usage abusif de la procédure de naturalisation pour atteindre cet objectif (paragraphe 17 ci-dessus).

64.  En outre, les déclarations et actions du requérant seraient incompatibles avec les valeurs fondamentales de l’État démocratique que constituerait la République de Lettonie, et l’intéressé n’aurait pas satisfait à la condition préalable de loyauté prévue par l’article 18 de la loi sur la nationalité. Se référant à l’affaire Nottebohm, précitée, le Gouvernement considère qu’il est normal d’exiger des candidats à la naturalisation qu’ils démontrent l’existence d’un lien véritable avec le pays, y compris un certain degré de loyauté envers lui. Tout en reconnaissant que l’article 10 de la Convention protège en principe le droit de s’exprimer d’une manière qui heurte, choque ou inquiète, il plaide que quiconque exerce sa liberté d’expression assume des devoirs et des responsabilités dont l’étendue dépend de la situation (Handyside, précité, § 49). Selon lui, le requérant avait le devoir de choisir la manière dont il souhaitait atteindre ses buts et de s’abstenir de déclarations provocantes concernant la possibilité d’employer la violence, propres à saper les valeurs fondamentales de la société démocratique. De même, l’article 11 de la Convention ne protégerait pas ceux dont les intentions violentes entraîneraient des troubles à l’ordre public (G. c. Allemagne, no 10833/84, décision de la Commission du 13 octobre 1987, non publiée).

65.  En l’occurrence, le requérant ne pourrait être considéré comme exerçant sa liberté d’expression ou de réunion lorsqu’il diffuse ses idées sur la communauté russophone et la réforme de l’éducation. En refusant de lui octroyer la nationalité par naturalisation, le Conseil des ministres n’aurait pas eu pour objectif de punir l’intéressé à raison de quelque méfait, il aurait simplement cherché à protéger la démocratie comme le prévoit la Constitution.

66.  Enfin, dans ses observations postérieures à la décision sur la recevabilité, le Gouvernement indiquait que lors de la procédure suivie au niveau national, le requérant n’avait jamais évoqué une quelconque atteinte à sa liberté d’expression et de réunion, ni une quelconque restriction de celle-ci. L’intéressé se serait expressément plaint de la décision écartant sa demande de naturalisation, ce qui différencierait la présente cause de l’affaire Heinisch c. Allemagne (no 28274/08, CEDH 2011).

B.  L’appréciation de la Cour

1.  Principes généraux

67.  L’arrêt rendu par la Grande Chambre dans l’affaire Mouvement raëlien suisse c. Suisse ([GC], no 16354/06, § 48, CEDH 2012) a rappelé les principes fondamentaux concernant la liberté d’expression (Stoll c. Suisse [GC], no 69698/01, § 101, CEDH 2007‑V, et Steel et Morris c. Royaume-Uni, no 68416/01, § 87, CEDH 2005‑II) :

« i.  La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui (...) appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante (...)

ii.  L’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10 § 2, implique un « besoin social impérieux ». Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10.

iii.  La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (...) Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (...) »

68.  La Cour souligne également l’effet dissuasif que la crainte de sanctions peut avoir sur l’exercice de la liberté d’expression. Cet effet, qui œuvre au détriment de la société dans son ensemble, est également un facteur qui intéresse la proportionnalité des sanctions imposées aux individus et leur justification (Koudechkina c. Russie, no 29492/05, § 99, 26 février 2009, et les affaires qui y sont citées).

69.  Les exceptions à la règle de la liberté d’association prévues à l’article 11, comme les exceptions prévues à l’article 10, appellent une interprétation stricte, seules des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions à cette liberté. Toute ingérence doit répondre à un « besoin social impérieux » ; le terme « nécessaire » n’a donc pas la souplesse de termes tels qu’« utile » ou « opportun » (Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 95, CEDH 2004‑I).

70.  La Cour a récemment rappelé que pluralisme, tolérance et esprit d’ouverture caractérisent une « société démocratique ». Bien qu’il faille parfois subordonner les intérêts d’individus à ceux d’un groupe, la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l’opinion d’une majorité, mais commande un équilibre qui assure aux individus minoritaires un traitement juste et qui évite tout abus d’une position dominante. Le pluralisme et la démocratie doivent également se fonder sur le dialogue et un esprit de compromis, qui impliquent nécessairement de la part des individus des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idéaux et valeurs d’une société démocratique (S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, § 128, CEDH 2014, et les affaires qui y sont citées). Le fait pour l’État de respecter l’opinion d’une minorité en tolérant une conduite qui n’est pas en soi incompatible avec les valeurs d’une société démocratique ou totalement hors des règles de conduite d’une telle société, bien loin de créer des inégalités injustes ou une discrimination, est de nature à assurer le pluralisme dans la cohésion et la stabilité et à promouvoir l’harmonie et la tolérance au sein de la société (voir, mutatis mutandis, Bayatyan c. Arménie [GC], no 23459/03, § 126, CEDH 2011).

71.  La Cour a également jugé que, eu égard à l’article 17, les « propos dirigés contre les valeurs qui sous-tendent la Convention » ne sauraient bénéficier de la protection de l’article 10 (Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, § 53, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII, et Garaudy c. France (déc.), no 65831/01, CEDH 2003‑IX). Les libertés garanties par les articles 10 et 11 de la Convention ne sauraient priver les autorités d’un État du droit de protéger les institutions lorsqu’une association les met en danger par ses activités. À cet égard, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé inhérente au système de la Convention une certaine forme de conciliation entre les impératifs de la défense de la société démocratique et ceux de la sauvegarde des droits individuels. Une telle conciliation requiert que l’intervention des autorités se fasse en conformité avec le paragraphe 2 de l’article 11. Ce n’est qu’une fois examinée cette question de conformité que la Cour peut décider, à la lumière de toutes les circonstances de la cause, s’il y a lieu de faire jouer l’article 17 de la Convention (Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98 et 3 autres, § 96, CEDH 2003‑II).

72.  La Cour considère que nul ne peut se prévaloir des dispositions de la Convention pour affaiblir ou détruire les idéaux et valeurs d’une société démocratique. Par conséquent, afin d’assurer la stabilité et l’effectivité d’un régime démocratique, l’État peut être amené à prendre des mesures concrètes pour se protéger. Chaque fois que l’État entend se prévaloir du principe d’une « démocratie apte à se défendre » afin de justifier une atteinte aux droits individuels, il doit donc évaluer avec soin la portée et les conséquences de la mesure envisagée, afin que l’équilibre susvisé soit respecté (Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, §§ 99-100, CEDH 2006‑IV).

73.  Enfin, la Cour rappelle que la Convention et ses Protocoles ne garantissent ni un « droit à la nationalité » analogue à celui prévu par l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ni un droit à acquérir ou à conserver une nationalité déterminée. Néanmoins, elle n’exclut pas la possibilité qu’un refus arbitraire d’octroi de la nationalité puisse, dans certaines circonstances, poser problème au regard de l’article 8 de la Convention à raison de son impact sur la vie privée de l’individu (Karassev, décision précitée, et Slivenko et autres c. Lettonie (déc.) [GC], no 48321/99, § 77, CEDH 2002‑II). De même, la Cour a jugé que si la Convention et ses Protocoles ne garantissent pas un droit à renoncer à une nationalité, on ne peut exclure que le refus arbitraire d’une demande de renonciation à la nationalité puisse, dans certaines circonstances très exceptionnelles, poser problème au regard de l’article 8 de la Convention si un tel refus a un impact sur la vie privée de l’individu (Riener c. Bulgarie, no 46343/99, §§ 153-154, 23 mai 2006).

74.  Ainsi, la Cour a considéré que dans le cas où un État membre a été au-delà de ses obligations découlant de l’article 8 en créant un droit à la nationalité par filiation et en établissant une procédure à cette fin, il doit veiller à ce que ce droit soit garanti sans discrimination au sens de l’article 14 de la Convention (Genovese, précité, § 34).

2.  Application de ces principes en l’espèce

75.  La Cour observe que le requérant voit dans le rejet par le Conseil des ministres de sa demande d’obtention de la nationalité lettone par naturalisation une atteinte à sa liberté d’expression et de réunion et, par conséquent, une sanction du fait de ses opinions, qu’il dit avoir un effet dissuasif sur l’exercice de ses libertés. Le Gouvernement distingue entre la décision de ne pas octroyer la nationalité par naturalisation et le droit à la liberté d’expression, ce dernier pouvant être librement exercé par le requérant, avec ou sans la nationalité lettone.

76.  Compte tenu de sa décision de joindre au fond l’exception d’incompétence ratione materiae soulevée par le Gouvernement (paragraphe 4 ci-dessus), la première question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si les articles 10 et 11 sont applicables en l’espèce.

77.  Le requérant allègue que le refus de lui octroyer la nationalité lettone par naturalisation était une mesure qui visait à le punir pour les opinions qu’il avait exprimées au cours de différentes manifestations contre la réforme de l’éducation. La Cour observe toutefois que l’intéressé avait pu librement exprimer ses opinions, qui avaient été largement rapportées dans les médias à l’époque (paragraphes 8, 15, 17 et 56 ci-dessus). Il a de plus continué à exprimer ses opinions sur la réforme de l’éducation sans entraves après le rejet de sa demande de naturalisation (paragraphes 8 et 15 ci-dessus) et il est demeuré politiquement actif et a continué à exprimer ses opinions sur d’autres questions d’intérêt général (paragraphe 56 ci-dessus). La Cour note que la question de la possibilité pour le requérant de bénéficier de tel ou tel état civil ne semble pas avoir constitué une ingérence dans les activités civiques de l’intéressé. Même si le requérant affirme que la décision relative à sa demande de naturalisation a eu un impact négatif sur son courage de s’exprimer et a, par conséquent, empêché sa participation à des débats sur des questions d’intérêt général, le Gouvernement a largement prouvé le contraire (paragraphes 8, 15, 17 et 56 ci-dessus) et le requérant n’a pas étayé ses allégations ou fourni de preuves à cet égard. De même, aucune autre information en possession de la Cour ne suggère que la politique du gouvernement letton en matière de nationalité pourrait avoir eu un effet dissuasif sur le requérant ou ceux exprimant des opinions analogues aux siennes.

78.  Le requérant n’a mentionné qu’une conséquence tangible du refus de naturalisation : il n’a pas pu voter ou se présenter aux élections municipales, parlementaires ou européennes. La Cour observe toutefois que le grief formulé par le requérant en l’espèce ne concerne pas les droits prévus à l’article 3 du Protocole no 1 (voir, a contrario, Ždanoka, précité, § 73). De même, le requérant n’allègue pas que l’impossibilité pour lui de préserver son état civil ait emporté violation de l’article 8 de la Convention (voir, a contrario, Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 314, CEDH 2012). Surtout, la décision rendue par la Cour sur la recevabilité de la présente requête détermine la portée de l’affaire dont elle est saisie, et celle-ci n’inclut aucun grief autre que ceux articulés sur le terrain des articles 10, 11 et 13 de la Convention (paragraphes 3-4 ci-dessus).

79.  Par ailleurs, le requérant a admis n’avoir jamais été pénalement sanctionné pour avoir exprimé ses opinions ou participé à une manifestation. Il apparaît qu’il a reçu un avertissement pour sa participation à un mouvement de protestation, mais il n’a pas fourni plus de détails (date, lieu ou contexte) à cet égard.

80.  La Cour va maintenant examiner si la décision contestée par le requérant avait un quelconque caractère punitif aux fins de l’exercice par lui de sa liberté d’expression et de réunion. Selon le droit international, les décisions relatives à la naturalisation ou à toute autre forme d’octroi de la nationalité relèvent essentiellement de la compétence propre des États. Elles sont normalement fondées sur différents critères qui visent à établir un lien entre l’État concerné et la personne qui demande la nationalité (paragraphes 37-38 ci-dessus). La Convention européenne sur la nationalité n’a pas été largement ratifiée par les États membres du Conseil de l’Europe (paragraphe 39 ci-dessus), mais la définition qu’elle donne de la nationalité s’appuie, comme l’observe son rapport explicatif, sur le sens traditionnel du lien de nationalité dégagé par la CIJ dans l’affaire Nottebohm (paragraphes 40-41 ci-dessus). Le choix des critères aux fins de la procédure de naturalisation n’est, en principe, pas soumis à des règles particulières de droit international, et les États décident librement d’accorder ou non la naturalisation aux individus qui la demandent (paragraphe 38 ci-dessus). Dans certaines situations, toutefois, la marge d’appréciation de l’État peut être limitée par le principe de non-intervention, selon lequel un État ne peut s’immiscer dans les affaires internes ou étrangères d’un autre État (Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, CIJ Recueil 1986, §§ 202-205). Pareille limitation ne peut toutefois être considérée comme pertinente en l’espèce.

81.  À cet égard, le requérant avance deux arguments à l’appui de sa thèse selon laquelle la marge d’appréciation de l’État n’est pas totalement libre en matière d’octroi de la nationalité. Tout d’abord, il invoque la Déclaration universelle des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Toutefois, comme la Cour l’a déjà observé ci-dessus, la Convention ne garantit pas un « droit à la nationalité » analogue à celui prévu par l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (paragraphe 73 ci-dessus). La référence faite par le requérant à la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme est également inopérante, puisque la Convention américaine des droits de l’homme, qui est un instrument régional, prévoit explicitement un droit à la nationalité dans son article 20 (paragraphes 43-45 ci-dessus).

82.  Le second argument du requérant consiste à dire que la marge d’appréciation de l’État est limitée par l’obligation de réduire l’apatridie. La Cour observe que le requérant appartient à une catégorie de résidents lettons auxquels le droit national a accordé un statut spécifique, celui de « non-citoyens résidents permanents » (nepilsoņi), applicable aux ressortissants de l’ex-URSS ayant perdu la nationalité soviétique à la suite de la disparition de l’URSS mais n’ayant obtenu aucune autre nationalité depuis lors (pour plus de détails sur les catégories de résidents lettons, voir Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, §§ 50-53, CEDH 2003-X, et Syssoyeva et autres c. Lettonie (radiation) [GC], no 60654/00, §§ 46-47, CEDH 2007-I). Le requérant n’a pas montré en quoi la possibilité ou non de bénéficier d’un statut donné en vertu du droit national aurait affecté l’exercice par lui de sa liberté d’expression et de réunion.

83.  Pour en revenir au système de la Convention, la Cour rappelle que dans certaines circonstances elle a jugé que des décisions arbitraires ou discriminatoires rendues dans le domaine de la nationalité peuvent soulever des questions en matière de droits de l’homme en général et au regard de la Convention en particulier (Karassev, décision précitée, Genovese, précité, § 34, et Riener, précité, § 153). Toutefois, ainsi qu’elle l’a observé ci-dessus, ni la Convention ni le droit international en général ne prévoient un droit à acquérir une nationalité spécifique. Le requérant le reconnaît, du reste. La Cour observe que rien dans la loi lettone sur la nationalité n’indique que le requérant pût revendiquer un droit inconditionnel à l’obtention de la nationalité lettone (paragraphes 20, 29 et 63 ci-dessus) ou que la décision du Conseil des ministres pût être considérée comme un refus arbitraire de lui octroyer cette nationalité (voir, a contrario, Genovese, précité, § 34).

84.  La question de savoir si le requérant dans une affaire a ou non un droit défendable à obtenir la nationalité d’un État doit en principe être résolue par référence au droit interne de l’État concerné (Kolosovskiy c. Lettonie (déc.), no 50183/99, 29 janvier 2004). De même, la question de savoir si une personne s’est vu refuser la nationalité d’un État de manière arbitraire et contraire à la Convention doit être tranchée sur la base du droit interne applicable (Fehér et Dolník c. Slovaquie (déc.), nos 14927/12 et 30415/12, § 41, 21 mai 2013). Le choix des critères censés régir l’octroi de la nationalité par naturalisation en droit interne est lié à la nature du lien entre l’État et l’individu concerné que chaque société juge nécessaire d’assurer. Dans de nombreux pays, l’acquisition de la nationalité s’accompagne d’un serment d’allégeance par lequel l’individu jure loyauté à l’État. La Cour a abordé la question de la loyauté, dans le contexte toutefois un peu différent des droits électoraux, et fait la distinction entre loyauté envers l’État et loyauté envers le gouvernement (Tănase, précité, § 166).

85.  La Cour observe qu’en l’espèce l’appréciation de la loyauté effectuée aux fins de la décision sur la demande de naturalisation ne renvoie pas à la loyauté envers le gouvernement au pouvoir, mais plutôt à la loyauté envers l’État et la Constitution. La Cour estime qu’un État démocratique peut demander aux personnes qui souhaitent acquérir sa nationalité d’être loyales envers lui et, en particulier, envers les principes constitutionnels qui le fondent. Le requérant ne le conteste pas, du reste. La Cour convient avec le requérant que, dans le cadre de l’exercice de sa liberté d’expression et de réunion, il est libre de marquer son désaccord avec les politiques du gouvernement, pourvu que la critique s’exprime dans le respect de la loi ; il est vrai également que les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard du gouvernement qu’elles ne le sont à l’égard d’un simple particulier, ou même d’un homme politique. Il s’agit là toutefois d’une question entièrement différente de celle des critères qui encadrent la naturalisation et la procédure y afférente, lesquels sont déterminés par le droit interne. L’exigence de loyauté envers l’État et la Constitution à laquelle le droit letton subordonne l’octroi de la nationalité ne saurait être considérée comme une mesure punitive de nature à restreindre la liberté d’expression et de réunion. Il s’agit plutôt d’un critère qui doit être rempli par tout individu qui cherche à obtenir la nationalité lettone par naturalisation.

86.  La Cour ne voit pas en quoi le requérant aurait été empêché d’exprimer son désaccord avec la politique du gouvernement sur la question qui l’intéressait. Elle ne discerne de même aucun fait indiquant qu’il ait été empêché de participer à quelque rassemblement ou mouvement que ce soit.

87.  En conséquence, les articles 10 et 11 de la Convention ne s’appliquent pas dans les circonstances de l’espèce et la Cour accueille l’exception du Gouvernement.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

88.  Le requérant se plaint également, sous l’angle de l’article 13 de la Convention, de n’avoir disposé d’aucun recours interne effectif pour faire valoir les droits dont il allègue la violation, le sénat de la Cour suprême ayant estimé que la décision du Conseil des ministres revêtait un caractère politique. Il estime qu’une demande en révision par un procureur ne peut s’analyser en un recours effectif, expliquant qu’une décision du procureur en la matière ne serait pas susceptible d’appel.

89.  L’article 13 de la Convention se lit ainsi :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

90.  Le Gouvernement défend la thèse inverse.

91.  Ainsi que la Cour l’a affirmé à plusieurs reprises, l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés tels qu’ils peuvent se trouver consacrés dans la Convention. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait l’article 13 (voir, par exemple, Bazjaks c. Lettonie, no 71572/01, § 127, 19 octobre 2010, et les affaires qui y sont citées).

92.  Ayant conclu à l’inapplicabilité des articles 10 et 11 de la Convention en l’espèce, la Cour parvient à la même conclusion à l’égard de l’article 13 faute de « grief défendable » au sens de la Convention (Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, § 52, série A no 131).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit que les articles 10 et 11 de la Convention ne sont pas applicables ;

2.  Dit que l’article 13 de la Convention n’est pas applicable.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 13 janvier 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Françoise Elens-PassosPäivi Hirvelä
GreffièrePrésidente


[1].  Il était fait référence aux dépêches des 27 avril, 28 juillet, 14 et 17 août 2004.

[2].  Il était fait référence aux dépêches des 21 février et 13 mars 2004.

[3].  Il était fait référence aux dépêches des 21 février, 8 mars et 1er avril 2004.

[4].  Il était fait référence à la dépêche du 21 février 2004.

[5].  Il était fait référence à la dépêche du 10 décembre 2004.



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CEDH, Cour (quatrième section), AFFAIRE PETROPAVLOVSKIS c. LETTONIE, 13 janvier 2015, 44230/06