CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE HELHAL c. FRANCE, 19 février 2015, 10401/12

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Chronologie de l’affaire

Commentaires34

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Me André Icard · Jurisconsulte.net · 29 juillet 2017

Contentieux de l'accident de trajet 29/07/2017 - La loi « Badinter » est-elle applicable à un fonctionnaire victime d'un accident de trajet ? NON : car la notion d'accident de trajet reconnu par l'administration employeur exclut l'application de la loi « Badinter » n° 85-677du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation ainsi que l'article 1er de la loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957 attribuant compétence aux tribunaux judiciaires pour statuer sur les actions en responsabilité …

 

Gazette du Palais · 24 février 2015

www.dbfbruxelles.eu · 20 février 2015

Saisie d'une requête dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l'homme a interprété, le 19 février dernier, l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif à l'interdiction des traitements inhumains ou dégradants (Helhal c. France, requête n°10401/12). Le requérant au principal, ressortissant algérien, purge une peine de 30 ans de réclusion criminelle. En 2006, alors qu'il tentait de s'évader, il a fait une chute entrainant, notamment, une paraplégie des membres inférieurs. Le requérant alléguait que les locaux, en particulier sanitaires, n'étaient …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 19 févr. 2015, n° 10401/12
Numéro(s) : 10401/12
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arutyunyan c. Russie, no 48977/09, §§ 78-79, 10 janvier 2012
Cara-Damiani c. Italie, no 2447/05, 7 février 2012
D.G. c. Pologne, no 45705/07, 12 février 2013
Duval c. France, no 19868/08, 26 mai 2011
El Shennawy c. France, no 51246/08, 20 janvier 2011
Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, 2 décembre 2004
Grimailovs c. Lettonie, no 6087/03, § 161, 25 juin 2013
Henaf c. France, no 65436/01, §§ 54 à 58, CEDH 2003 XI
Kaprykowski c. Pologne, no 23052/05, § 74, 3 février 2009
Khider c. France, no 39364/05, 9 juillet 2009
Matencio c. France, no 58749/00, 15 janvier 2004
Mouisel c. France, no 67263/01, CEDH 2002 IX
Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 25, CEDH 2001 VII
Semikhvostov c. Russie, no 2689/12, 6 février 2014
Ürfi Çetinkaya c. Turquie, no 19866/04, §§ 87 à 92, 23 juillet 2013
V.D. c. Roumanie, no 7078/02, §§ 94 à 96, 16 février 2010
Vincent c. France, no 6253/03, 24 octobre 2006
Xiros c. Grèce, no 1033/07, 9 septembre 2010
Zarzycki c. Pologne, no 15351/03, 12 mars 2013
Références à des textes internationaux :
Rapport annuel d’activité du contrôleur général des lieux de privation et de liberté (CGLPL) pour le 2012;Rapport de visite du CGPLP au centre de détention d’Uzerche, octobre 2010
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel) ; Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-152257
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2015:0219JUD001040112
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE HELHAL c. FRANCE

(Requête no 10401/12)

ARRÊT

STRASBOURG

19 février 2015

DÉFINITIF

19/05/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Helhal c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,

et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 janvier 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 10401/12) dirigée contre la République française et dont un ressortissant algérien, M. Mohammed Helhal (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 novembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me P. Spinosi, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant, handicapé, allègue que son maintien en détention est incompatible avec l’article 3 de la Convention, de même que les soins qu’il reçoit en prison.

4.  Le 17 décembre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A.  Faits présentés au moment de l’introduction de la requête

5.  Le requérant, né en 1972, purge une peine de trente ans de réclusion criminelle prononcée le 31 mai 2007 par la cour d’assises de Meurthe‑et‑Moselle pour des faits d’assassinat, tentative d’assassinat et violence avec usage ou menace d’une arme. Il est écroué depuis le 17 mai 2002 et libérable le 18 juillet 2027.

6.  Le 18 mars 2006, lors de sa période d’incarcération à Nancy, le requérant fut victime, à la suite d’une tentative d’évasion, d’une chute de plusieurs mètres engendrant une fracture de la colonne vertébrale. Il passa plusieurs mois à l’hôpital de rééducation de Fresnes avant d’être transféré à la maison d’arrêt de Mulhouse où il a rencontré d’importantes difficultés (notamment à cause des escaliers qui l’empêchaient de se déplacer seul) et au centre pénitentiaire de Metz dans une cellule inadaptée à l’usage d’un fauteuil roulant. Par la suite, il fut à nouveau transféré à Fresnes du 5 novembre 2008 au 28 mai 2009. A compter de cette date, et jusqu’au 17 septembre 2014, il fut détenu au centre de détention d’Uzerche. Il fut transféré à cette date au centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne où il est actuellement détenu.

7.  Le 12 août 2010, le requérant forma auprès du juge de l’application des peines de Tulle une demande de suspension de peine pour raison médicale sur le fondement de l’article 720-1-1 du code de procédure pénale (ci-après « CPP », paragraphe 27 ci-dessous). Il expliqua que, paraplégique et se déplaçant en fauteuil roulant, les conditions de sa détention, dans des locaux non prévus pour les fauteuils roulants, étaient inadaptées à son état de santé d’une part et qu’il ne pouvait bénéficier des soins dont il avait besoin, d’autre part. Il souligna que l’accès aux toilettes dans sa cellule était indigne, qu’il ne pouvait pas atteindre l’ensemble de l’établissement par ses propres moyens et que les soins médicaux et paramédicaux, en particulier de kinésithérapie, étaient insuffisants. Il précisa qu’il ne pouvait se rendre aux douches par ses propres moyens et que le centre pénitentiaire avait mis un détenu à sa disposition, payé cinquante euros par mois pour l’assister. Cet auxiliaire détenu a en charge le nettoyage de sa cellule et l’accompagne pour se doucher afin qu’il puisse accéder aux sanitaires.

8.  Par une ordonnance du 27 septembre 2010, le juge désigna en qualité d’experts deux médecins qui déposèrent leur rapport d’expertise les 2 et 14 novembre 2010.

9.  Le rapport du Dr G., du 21 octobre 2010 conclut ainsi :

« (...) Monsieur Mohammed Helhal présente une paraplégie incomplète avec une incontinence urinaire efficace totale nécessitant des autos-sondages et le port de couches jour et nuit. Par ailleurs, il présente des anomalies hémorroïdaires importantes pour lesquelles il a refusé toute intervention.

Actuellement, Monsieur Mohammed Helhal présente un état musculaire avec décontraction active au niveau des deux membres inférieurs pour lequel une kinésithérapie pluri hebdomadaire doit être pratiquée de façon régulière et longue.

Dans ces conditions, Monsieur Mohammed Helhal présente un état de santé qui ne contre indique pas l’incarcération sous réserve expresse d’un établissement adapté à son handicap lui permettant de pratiquer de la kinésithérapie régulière et un accès adapté à une salle de sport. »

10.  Le rapport d’expertise du Dr R. fut établi le 28 octobre 2010. Il est ainsi rédigé :

« (...) Le 17/11/2009 (...) le docteur Dubois indique : (...) « son état de santé nécessite une prise en charge par un kinésithérapeute en milieu spécialisé et une prévention d’escarres quotidienne ». (...)

Le dernier bilan au CHU de Bordeaux, au cours d’une hospitalisation du 5 au 12 mars 2010, confirme l’existence de cette bonne récupération sensitivo-motrice des membres inférieurs, la possibilité de se déplacer avec deux cannes et un soutien alors que le patient déambule essentiellement en fauteuil roulant.

À l’évidence, une prise en charge kinésithérapique adaptée tant sur le plan articulaire que musculaire permettrait la possibilité au détenu de pouvoir assurer ses transferts avec un soutien technique, ce qui aurait pour avantage aussi de résoudre les complications au niveau des points de pression. En parallèle, avec cette pathologie séquellaire post-traumatique d’évolution favorable, le patient présente une pathologie anale séquellaire d’une chirurgie hémorroïdaire gênante essentiellement sur le plan fonctionnel.

Conclusion

(...)

-  Le détenu présente des séquelles sensitivo-motrices d’une fracture rachidienne dorso-lombaire ;

-  Ces séquelles sont stables avec une récupération évidente de la motricité des membres inférieurs ;

-  Une prise en charge kinésithérapique serait justifiée au quotidien pour améliorer la motricité des membres inférieurs et la qualité des transferts, ce qui n’est pas possible au centre de détention d’Uzerche, dès lors qu’il n’y a pas d’intervenant kinésithérapeute ;

-  À titre définitif, il persiste des séquelles sensitives dans le territoire L5-S1 nécessitant des auto-sondages dont la gestion au quotidien se fait correctement par le détenu ;

-  L’ensemble de ces séquelles rachidiennes actuellement stables ne sont pas susceptibles de s’aggraver mais pourraient évoluer, avec une bonne prise en charge, vers une amélioration ;

-  L’ensemble des pathologies séquellaires, tant au niveau traumatique rachidien que anal, n’engage pas le pronostic vital du condamné ;

-  L’état de santé du condamné n’est pas, à mon sens, durablement incompatible avec le maintien en détention ;

-  Les pathologies constatées actuellement sont stables et continueront à évoluer de façon chronique, justifiant des soins palliatifs. »

11.  Par un jugement du 3 février 2011, le tribunal de l’application des peines de Limoges rejeta la demande de suspension de peine. Il prit en compte les deux expertises médicales concordantes pour considérer que l’état de santé du requérant était durablement compatible avec son incarcération. En revanche, le tribunal observa que « le centre de détention d’Uzerche ne correspond manifestement pas aux critères requis pour un régime de détention du requérant, tant sur le plan des locaux que sur celui des soins para médicaux et ce malgré la mise en place non contestée par les responsables et les intervenants de ce centre pour faciliter au mieux des possibilités les conditions de vie du condamné ». Il fit alors valoir qu’il existait des établissements pénitentiaires adaptés à l’état de santé du requérant comme celui de Fresnes ou celui de Roanne « dont la conception et l’organisation est compatible avec l’accueil des personnes handicapées et où [il] pourra suivre régulièrement les séances de kinésithérapie qu’il réclame à juste titre puisqu’un masseur-kinésithérapeute intervient quasiment tous les jours au sein de cet établissement pénitentiaire ». Le tribunal conclut ainsi :

« Il ressort donc de cet ensemble d’éléments tant médicaux que d’organisation des conditions d’incarcération envisageables et adaptées que le condamné ne remplit pas les conditions lui permettant de bénéficier d’une mesure de suspension de peine pour raison médicale. »

12.  Le requérant interjeta appel du jugement du 3 février 2011. Il réitéra qu’au-delà de l’inadaptation structurelle de l’établissement d’Uzerche, aucune adaptation en termes de soins médicaux et paramédicaux (kinésithérapie et accès à une salle de sport) ne lui était proposée. Il fit par ailleurs valoir que le centre de Roanne n’était pas plus adapté que celui d’Uzerche car il ne comportait pas de structure de rééducation.

13.  Par un arrêt du 3 mai 2011, la chambre de l’application des peines de la cour d’appel de Limoges confirma le jugement du 3 février :

« Attendu que les deux experts concluent de manière concordante que l’état de santé [du requérant] n’est pas durablement incompatible avec la détention sous réserve qu’il puisse bénéficier des soins kinésithérapiques et accéder à une salle de sport ; que si ces conditions ne peuvent effectivement être satisfaites au centre de détention d’Uzerche où [le requérant] a été transféré à sa demande dans le cadre d’un rapprochement familial, il n’est pas démontré qu’il ne puisse être accueilli dans des conditions adaptées à sa problématique au centre pénitentiaire de Roanne de sorte que les critères d’octroi d’une suspension de peine ne sont pas remplis et ce d’autant que [le requérant] est toujours ainsi qu’il l’écrit dans son courrier du 23 mars 2011, dans la contestation des faits criminels pour lesquels il a été condamné. »

14.  Le requérant forma un pourvoi en cassation. Par un arrêt du 31 août 2011, la Cour de cassation déclara le pourvoi non admis.

15.  Par un courrier du 28 février 2012 adressé au greffe de la Cour, le requérant fit valoir qu’il ne bénéficiait pas de rééducation, en l’absence de kinésithérapeute dans le centre d’Uzerche, et qu’il ne pouvait pas accéder à la salle de sport. Il écrivit que sa santé se dégradait au quotidien et qu’il était victime de maltraitance en l’absence de soins.

B.  Faits portés à la connaissance de la Cour figurant dans les observations des parties des 10 avril et 14 juin 2013 ainsi que dans les observations complémentaires du Gouvernement du 24 juillet 2013

1.  Sur les soins

16.  Selon le Gouvernement, le requérant a bénéficié des suivis médicaux suivants :

a)  Douze extractions réalisées entre le 3 mai 2011 et le 26 juin 2012 aux fins de consultations spécialisées et d’examens médicaux d’imagerie médicale en milieu hospitalier au centre hospitalier de Tulle et au centre hospitalier universitaire (CHU) de Limoges ;

b)  Trente-trois rendez-vous médicaux avec un médecin de l’unité de soins, soit un examen médical pratiqué le 28 mai 2009 suivi de consultations réparties sur la période passée au centre de détention (dix en 2009, trois en 2010, dix en 2011, six en 2012, une en 2013) ;

c)  Trois hospitalisations en 2010, 2011 et 2012 de quelques jours ;

d)  Cinquante-cinq soins techniques infirmiers entre 2009 et 2013 auxquels il faut ajouter des rencontres hebdomadaires avec l’infirmière du centre de détention ;

e)  Huit consultations psychiatriques et seize rencontres avec une infirmière psychiatrique ;

f)  Une mise à disposition de matériel médical de compensation du handicap ou de correction incluant un déambulateur (juin 2009), un coussin anti-escarre (août 2009), des lunettes de vue (janvier 2010), un nouveau fauteuil roulant (septembre 2012), et un appareil d’électro-stimulation (février 2013).

17.  En plus de ces soins, le Gouvernement informe la Cour que le requérant a bénéficié, à compter de septembre 2012, de séances de kinésithérapie réalisées au sein du centre de détention d’Uzerche. L’intervention de ce praticien fait suite à trois courriers des 18 novembre 2011, 28 décembre 2011 et 19 mars 2012 par lesquels la directrice interrégionale des services pénitentiaires a alerté le directeur général de l’agence régionale de santé du Limousin des conséquences dommageables résultant de l’absence de kinésithérapeute pour la prise en charge des détenus.

18.  Le Gouvernement ajoute que l’accès à des cours de yoga a été proposé au requérant mais qu’il a été radié de la liste des inscrits à ces cours parce qu’il ne s’y rendait pas.

19.  Le requérant confirme les extractions évoquées par le Gouvernement mais précise qu’elles sont réalisées en ambulance - avec menottes aux poignets et aux pieds - et précédées d’une fouille corporelle complète et suivies d’une fouille par palpation. Il ajoute que les fouilles corporelles intégrales pratiquées à l’issue des parloirs et des extractions sont profondément humiliantes ; il serait contraint de subir le contrôle de sa couche et, pour aller plus vite, les surveillants se mettraient à plusieurs pour le faire. Lors d’une inspection, un gradé aurait déclaré devant tout le monde que le « chef avait donné des instructions pour qu’on lui contrôle sa couche ». Le requérant affirme que ces pratiques l’ont amené à demander à sa sœur d’espacer ses visites.

20.  Quant aux extractions et fouilles dont le requérant se plaint, le Gouvernement précise qu’en dépit des séquelles dont il souffre, celles-ci ne peuvent être considérées comme ayant entraîné la disparition de tout risque d’atteinte à la sécurité, son état de santé n’ayant aucun effet sur les connexions extérieures dont il pourrait disposer et sur les risques d’évasion. A cet égard, il produit copie de deux décisions de fouilles individuelles (intégrales) datées de 2011 (mois illisible) et de juin 2012 et prises au moment d’extractions médicales. Il précise que le requérant a été sanctionné en mai 2013 à dix jours de cellule disciplinaire pour des faits de violences envers un codétenu et découverte d’un téléphone portable dans sa cellule. Il indique que les fouilles au sein de la prison ne sont pas systématiques, mais pratiquées en fonction des incidents constatés au niveau des parloirs ou dans les cellules. Il produit trois décisions de fouilles individuelles datées des 14 mai et 26 décembre 2011 ainsi que du 10 mai 2013 (pour la fouille de la cellule du requérant), et sept décisions de fouille sectorielle temporaire après les parloirs des 10 juin 2011, 10 novembre 2011, 26 juin 2012, 1er octobre 2012, 14 décembre 2012, 22 mars 2013 et 31 mai 2013.

21.  Concernant les soins de kinésithérapie, dont il ne bénéficie que depuis le mois de septembre 2012, le requérant précise qu’ils se limitent à une séance d’une quinzaine de minutes hebdomadaire. Il fournit un certificat médical du 10 mai 2013 du médecin de l’Unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) qui indique que sa « pathologie nécessite une rééducation journalière que le CD d’Uzerche ne peut pas assurer tant par son manque de personnel qualifié que par l’inadaptation de ses locaux. En conséquence, ce patient ne peut pas rester dans cet établissement sans qu’il y ait des conséquences sur son état de santé. Il doit pouvoir être admis dans un centre spécialisé ». Il fait valoir que ce médecin réitère ce que ses confrères avaient déjà signalé le 17 novembre 2009 (paragraphe 10 ci‑dessus) et le 11 mars 2011 ; il fournit un certificat médical de cette date signé par le médecin de l’UCSA qui indique qu’il ne peut pas rester dans l’établissement sans qu’il y ait de conséquences sur sa santé et qui poursuit ainsi : « sa paraplégie doit être prise en charge dans un centre de rééducation ».

22.  Concernant l’appareil d’électrostimulation, le requérant fait valoir que c’est son médecin qui a réuni la somme nécessaire à son acquisition, et que l’administration pénitentiaire ne lui permet pas d’en faire l’acquisition. Quant à la possibilité d’assister aux cours de yoga, le requérant précise qu’il lui a été enjoint de n’y aller qu’une fois par semaine pour ne pas « accaparer » l’ascenseur qui permet de s’y rendre.

23.  Le requérant souligne encore qu’il est dépendant du détenu chargé de l’assister dans les gestes du quotidien. Il précise que le détenu actuellement « classé » à ce poste est le troisième depuis son arrivée dans l’établissement, et qu’il est dépendant de lui pour la fourniture des produits d’incontinence, l’accompagnement à la douche (une marche l’empêche d’y accéder seul en fauteuil) et l’entretien de la cellule. Ce niveau de dépendance et les situations occasionnées par son incontinence rendent les rapports avec l’auxiliaire compliqués. Il affirme que la douche représente un moment éprouvant car la structure ne permet pas de s’isoler de la vue d’autrui et son incontinence l’expose à des situations très humiliantes, entraînant l’irritation voire l’hostilité des codétenus qui acceptent difficilement de tels désagréments lors des soins d’hygiène corporelle.

24.  Enfin, le requérant informe la Cour qu’il a été transféré temporairement dans une cellule du quartier de régime fermé, sur décision de la commission de placement, consécutivement à la découverte du téléphone portable en cellule. Compte tenu de ce régime, il a accès à la promenade une heure le matin et une autre l’après-midi alors qu’un médecin lui a établi, le 7 juin 2013, un certificat aux termes duquel son état requiert l’accès à la promenade au minimum cinq heures par jour. Le Gouvernement indique que le requérant a été réaffecté dans sa cellule le 26 juin 2013.

2.  Sur un éventuel transfert à Roanne

25.  Selon le requérant, s’il est vrai que la direction s’est efforcée de l’amener à demander son transfert à Roanne, cette démarche était dictée par des considérations purement gestionnaires et étrangères aux nécessités de soin. Il soutient que l’administration s’est refusée à prendre le moindre engagement sur les conditions de sa prise en charge à Roanne, et sur les soins qu’il pourrait recevoir. Il fait valoir que l’administration ne pouvait pas s’engager sur les modalités de soins puisqu’il y a six cellules pour handicapés dans cet établissement et qu’elles étaient toutes occupées, et que seul un kinésithérapeute intervient pour cinq cent détenus à raison de quatre demi‑journées par semaine. Il soutient qu’il n’a pas formulé de demande de transfert au motif que cet établissement n’offrait pas de prise en charge adaptée et n’aurait constitué qu’un bouleversement et une épreuve supplémentaire, après un parcours pénitentiaire fait de déplacements incessants (douze transferts entre 2002 et 2009). Il se réfère à des éléments d’information recueillis par sa sœur et par son conseil, auprès de l’observatoire international des prisons (OIP) et produit copie d’un mail envoyé par l’OIP à son avocat daté du 3 janvier 2011 qui indique ce qui suit :

« Je ne crois pas que Meaux et Roanne soient particulièrement aménagés bien que, comme tous les établissements récents, ils disposent de cellules handicapés. Je vous joins une décision de la cour d’appel de Douai concernant également une personne en fauteuil roulant qui estimait « qu’aucun établissement pénitentiaire n’est adapté à l’état de santé du requérant » et accordait en conséquence la suspension de peine. (..) Il me paraît néanmoins important d’insister sur les conséquences d’un changement d’établissement, en termes notamment de liens familiaux, mais aussi sur la procédure de demande de suspension de peine, qui devra alors être reprise au début. (...) »

Le requérant rappelle en tout état de cause que le service médical de la prison d’Uzerche n’a pas pris parti pour un transfert vers Roanne mais pour une prise en charge dans un centre spécialisé.

26.  Le Gouvernement soutient qu’un transfert vers le centre pénitentiaire de Roanne a été envisagé par les professionnels de santé du centre d’Uzerche mais fait observer que le requérant n’a jamais formulé une telle demande de transfert ; après l’avoir évoqué, il aurait indiqué dès le lendemain, le 9 août 2011, ne pas souhaiter maintenir celle-ci pour des raisons confuses. Le Gouvernement produit encore une note rédigée le 12 juin 2010 dont il ressort, selon lui, que « la principale motivation de l’intéressé concernait la jurisprudence des autorités judiciaires s’agissant des demandes d’aménagement de peine et non les soins dont il pourrait bénéficier ». Le Gouvernement réfute les dires du requérant sur l’incapacité du centre de Roanne de l’accueillir et fait valoir, dans ses observations complémentaires, que, sur les six cellules réservées aux personnes à mobilité réduite, seules trois sont occupées. Il produit copie d’un mail de l’administration pénitentiaire daté du mois de juillet 2013 indiquant une telle disponibilité. Il précise également qu’une convention a été signée en juin 2013 entre cet établissement, l’UCSA et une association afin de mettre en œuvre une prise en charge adaptée pour les personnes détenues dépendantes avec une aide spécialisée et professionnelle.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  La suspension de peine pour raisons médicales

27.  L’article 720-1-1 du CPP, à l’époque des faits, était ainsi libellé :

« Sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, la suspension peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux.

La suspension ne peut être ordonnée que si deux expertises médicales distinctes établissent de manière concordante que le condamné se trouve dans l’une des situations énoncées à l’alinéa précédent. Toutefois, en cas d’urgence, lorsque le pronostic vital est engagé, la suspension peut être ordonnée au vu d’un certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle est pris en charge le détenu ou son remplaçant (...). »

La loi no 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, entrée en vigueur le 1er octobre 2014, a modifié le dispositif de la suspension de peine. S’agissant des personnes condamnées, elle prévoit notamment que le recours à une seconde expertise est supprimé. L’alinéa 2 de l’article 720-1-1 du CPP dispose désormais que « la suspension ne peut être ordonnée que si une expertise médicale établit que le condamné se trouve dans l’une des situations énoncées à l’alinéa précédent ». Ce même alinéa n’exige plus, en cas d’urgence, la mention « lorsque le pronostic vital est engagé ».

28.  S’agissant de cette disposition, la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 28 septembre 2005 (Cass., crim., 05-81.010), que c’est nécessairement à court terme que la pathologie dont souffre le condamné doit engager le pronostic vital. Dans un arrêt du 7 janvier 2009 (Cass., crim., 08-83364), la Cour de cassation jugea, à propos du rejet d’une demande de suspension formulée par un détenu handicapé par la chambre de l’application des peines de la cour d’appel d’Amiens, que cette dernière n’avait pas justifié sa décision au regard des dispositions de l’article 720-1-1 du CPP car elle n’avait pas recherché, comme l’y invitaient les conclusions du demandeur, s’il ne résultait pas des deux expertises que les conditions effectives de sa détention étaient durablement incompatibles avec son état de santé. Finalement, par une décision du 26 juin 2013 (Cass., crim, 12‑88284), la Cour de cassation a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 720-1-1 du CPP. Cette question portait sur l’atteinte à la mission du juge judiciaire de protéger la liberté individuelle dès lors qu’il est lié par les deux avis concordants des experts, ainsi que sur la condition d’une absence de risque grave de renouvellement de l’infraction pour l’octroi de la mesure et sur l’absence de précision de la disposition au regard du respect de la dignité humaine. La chambre criminelle a considéré que la question posée ne présentait pas de caractère sérieux pour les raisons suivantes :

« (...) d’une part, (...) la personne concernée a été privée de sa liberté pour l’exécution d’une peine jugée nécessaire par l’autorité judiciaire, la suspension pour motif médical constituant une mesure exceptionnelle, et d’autre part, (...) même en présence de deux expertises concordantes établissant que le condamné ne se trouve pas dans l’une des situations prévues par l’article 720-1-1 [du CPP], il entre de manière normalement prévisible dans l’office du juge qui reste saisi d’une demande de suspension de peine, soit d’ordonner une nouvelle expertise, soit de rechercher si le maintien en détention de l’intéressé n’est pas constitutif d’un traitement inhumain ou dégradant, notamment par son incompatibilité avec les garanties qui lui sont dues pour protéger sa santé. »

29.  Dans son rapport annuel d’activité 2012, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) consacre un chapitre « vieillesse, invalidité et handicap en prison » dans lequel il fait le constat que ces populations sont exclues du fait même de l’architecture des prisons et de l’organisation de la vie quotidienne en prison. Il explique que les cellules à mobilité réduite sont souvent situées au rez-de-chaussée, réservé aux personnes placées en régime dit « portes fermées », ce qui ne favorise aucune communication. Le rythme de vie est également source d’angoisse : « peur de la confrontation à la violence, peur d’une population majoritairement jeune, peur d’aller en cours de promenade. L’ennui aussi, parce que l’activité professionnelle ne leur est plus accessible et les activités mis en place ne sont pas en adéquation avec leur état physique. L’humiliation de la dépendance enfin. Si de nombreux établissements ont signé des conventions avec des associations d’aide à la personne, on trouve encore trop de prisons où ce sont les détenus affectés au service général, les « auxi », qui font office de « tierce personne » ou d’aide-ménagère ; situation inacceptable en raison des risques de chantage, de l’absence de formation et rémunération adaptée ».

Le CGLPL recommande de repenser l’architecture et l’organisation de la vie en détention, mais souligne que c’est la mise en œuvre de la peine en milieu ouvert pour ces populations à laquelle il convient de réfléchir. Il préconise par ailleurs « de mieux adapter la suspension de peine pour raison médicale à la réalité des situations qui peuvent en relever ». À cet égard, il dénonce notamment les conditions restrictives posées par l’article 720-1-1 du CPP qui amènent à n’accorder une suspension de peine que dans des cas d’une extrême gravité, à court terme. Il ajoute « qu’il faut noter que les experts auxquels il est demandé d’examiner la compatibilité de l’état de santé de la personne détenue avec son maintien en détention, ne tiennent pas suffisamment compte des conditions matérielles d’incarcération, tout simplement parce qu’ils en ignorent parfaitement les contraintes ». Il préconise une modification de l’article 720-1-1 précité par le législateur « pour y introduire, outre le pronostic vital et l’incompatibilité durable de l’état de santé avec la détention, une troisième possibilité, celle de fonder une demande de suspension de peine dès lors que les soins que la personne doit recevoir, non seulement ne peuvent pas être dispensés en détention mais encore ne peuvent pas faire l’objet de permission de sortir ou d’extraction en raison de leur caractère répétitif et régulier ».

30.  Le 20 novembre 2013, le groupe de travail interministériel Justice/Santé a remis au garde des Sceaux et au ministre de la Santé un rapport sur les « Aménagements de peine et suspensions de peine pour raison médicale » qui préconise notamment d’élargir le champ d’application de la suspension de peine pour raison médicale en prenant mieux en compte le handicap dans le cadre des demandes : « le groupe de travail s’accorde sur la nécessité de préciser dans le guide pratique que la suspension de peine pour raison médicale est applicable à l’égard des personnes dont le handicap est durablement incompatible avec la détention et qu’il convient, dans cette appréciation, de bien prendre en compte les conditions effectives de détention ordinaire (rappel de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation). Il est recommandé que les experts bénéficient de l’ensemble des moyens afin de vérifier si l’état de santé de la personne est compatible avec les conditions de détention ordinaire. Si certains membres du groupe de travail souhaitaient qu’il soit expressément fait référence au handicap dans le texte de l’article 720-1-1 du CPP, d’autres estiment que le handicap peut déjà être pris en compte en application des dispositions en vigueur ».

B.  Dispositions pertinentes sur les soins de santé

31.  Il est renvoyé aux arrêts Mouisel c. France, no 67263/01, § 26, CEDH 2002‑IX) et Rivière c. France (no 33834/03, § 29, 11 juillet 2006) pour les dispositions relatives aux soins de santé en prison. Il est rappelé que la prise en charge sanitaire des personnes détenues dépend du service public hospitalier depuis la loi du 18 janvier 1994. Les consultations externes, les hospitalisations d’urgence et de courtes durées sont effectuées dans l’hôpital de rattachement de l’Unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), structure interne de l’hôpital de rattachement implantée en détention. Les soins qui ne peuvent être assurés au sein de l’UCSA sont administrés soit au sein de l’hôpital de proximité, soit dans l’une des huit unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) ou à l’établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF). Les UHSI ont une compétence médico-chirurgicale pour accueillir les personnes détenues adressées par les médecins de l’UCSA pour des séjours de plus quarante-huit heures. L’EPSNF dispose quant à lui de services de médecine, de soins de suite et de réadaptation, permettant une hospitalisation des détenus dont l’état de santé nécessite une hospitalisation prolongée ou des soins de rééducation importants (voir le guide du prisonnier, Observatoire international des prisons, 2012, en sa partie « La médecine générale »). Dans son rapport annuel de 2014, la Cour des comptes consacre un chapitre à « La santé des personnes détenues : des progrès encore indispensables », dans lequel elle rappelle le dispositif d’hospitalisation des personnes détenues et fait notamment valoir le « faible usage des capacités d’hospitalisation somatique » et en particulier la sous-occupation des UHSI. Le rapport évoque aussi « une démarche de santé trop souvent dépendante du fonctionnement pénitentiaire », pour conclure que « les rigidités et les contraintes du milieu pénitentiaire se conjuguent avec une offre de soins encore incomplète, des besoins de modernisation de locaux et d’équipements non satisfaits et des modes de coopération entre acteurs fragiles et inaboutis ». Le rapport appelle encore à « organiser plus fermement et plus clairement une politique de santé publique » en mobilisant les agences régionales de santé qui « évaluent et identifient les besoins sanitaires des personnes en détention. Elles définissent et régulent l’offre de soins en milieu pénitentiaire ».

32.  Selon l’article D. 82 du CPP, l’affectation peut être modifiée soit à la demande du directeur de l’établissement dans lequel le détenu exécute sa peine, soit à la demande du condamné. La circulaire DAP du 21 février 2012 sur l’orientation en établissement pénitentiaire des personnes détenues précise les modalités des demandes de changement d’affectation. L’article D. 360 du CPP a trait au transfert de la personne détenue par l’administration pénitentiaire vers un établissement plus adapté à son état de santé. L’article R. 57-8-6 du CPP concerne le droit de la personne détenue se trouvant dans une situation de handicap. Ces deux dernières dispositions sont ainsi libellées :

Article D. 360

« Le transfèrement dans un établissement pénitentiaire mieux approprié peut être sollicité dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l’article D 382, pour les détenus qui ne bénéficient pas, dans l’établissement où ils sont écroués, de conditions matérielles de détention adaptées à leur état de santé et pour ceux qui nécessitent une prise en charge particulière.

Le directeur régional fait procéder, à l’intérieur de sa région et dans les conditions prévues à l’article D 301, à tout transfèrement ayant pour objet de permettre à un détenu malade d’être pris en charge dans de meilleures conditions.

S’il s’agit de prévenus, le magistrat saisi du dossier de l’information doit avoir donné préalablement son accord au transfèrement, après avoir été informé de la durée probable du traitement envisagé ».

Article R. 57-8-6

Créé par décret no 2010-1634 du 23 décembre 2010

« Les personnes détenues se trouvant durablement empêchées, du fait de limitations fonctionnelles des membres supérieurs en lien avec un handicap physique, d’accomplir elles-mêmes des gestes liés à des soins prescrits par un médecin peuvent désigner un aidant, y compris une autre personne détenue, pour permettre la réalisation de ces actes, durant les périodes d’absence des professionnels soignants. La personne désignée doit expressément y consentir. (...)

Le chef d’établissement peut s’opposer à la désignation d’un aidant notamment pour des motifs liés à la sécurité des personnes ou au maintien de l’ordre au sein de l’établissement » [Voir, également le guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice, ministère de la Justice et ministère des Affaires sociales et de la santé, 2012, p. 90].

C.  Rapport de visite du CGLPL / centre de détention d’Uzerche (octobre 2010)

33.  Le CGLPL a publié un rapport détaillé à la suite de la visite du centre de détention d’Uzerche, mis en service en 1990, dont seules certaines parties sont pertinentes pour la présente affaire. Il ne mentionne pas de problèmes liés à la situation des personnes handicapées. S’agissant plus généralement de l’hygiène corporelle, le CGLPL constate qu’« il n’a pas été rapporté de difficultés particulières auxquelles seraient confrontées les personnes détenues. Les douches sont accessibles en permanence pour les régimes « porte ouverte », et une fois par jour pour le régime « porte fermée » du bâtiment B. Quant aux cours de promenade, il indique qu’elles sont identiques dans toutes les ailes du bâtiment : un préau, deux ou trois bancs en béton, une table de ping pong en béton et une aire de jeux de boules en constituent l’équipement. Elles sont dotées de WC « à la turque », inutilisables pour certaines formes de handicap. Aux bâtiments C et D, l’accès à la cour de promenade a longtemps été libre : les personnes détenues pouvaient y aller et en revenir à leur guise. Tel n’est plus le cas. Des créneaux ont été définis imposant l’entrée au début de la promenade et une sortie à la fin, sans autre possibilité : de 9 heures à 11 heures le matin, de 14 heures à 16 heures puis de 16 heures à 17 h 30 l’après-midi. Par ailleurs, il note qu’« aucun kinésithérapeute n’intervient au centre de détention depuis le départ en retraite, en 2009, de celui qui assurait ce service. Plusieurs détenus s’en sont plaints ».

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

34.  Le requérant se plaint de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention du fait de l’inaccessibilité des soins en détention. La disposition invoquée par le requérant est ainsi libellée :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.  Sur la recevabilité

35.  Le Gouvernement demande de rejeter la requête comme étant manifestement mal fondée.

36.  La Cour considère que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

37.  Le requérant estime tout d’abord que les conditions de son incarcération sont contraires à la dignité, et souligne à cet égard la position du juge de l’application des peines et de la chambre d’application des peines, dont le Gouvernement prend le contrepied, qui conditionnent le maintien en détention à la présence de locaux adaptés à son handicap et à l’accessibilité des soins. Il soutient que la position du Gouvernement est d’autant moins acceptable que ces juridictions s’en tiennent aux aspects les plus immédiatement visibles de sa situation, à savoir la question de la configuration des locaux et des soins accessibles en détention. Se référant aux rapports du CGLPL et du groupe de travail interministériel Justice/Santé mentionnés aux paragraphes 29 et 30 ci-dessus, il estime que les autorités compétentes ont une appréciation de la dignité limitée à la question de l’offre de soin et non pas à celle des conditions concrètes d’existence. Or, l’état de totale dépendance dans lequel il se trouve vis-à-vis du détenu auxiliaire, les conditions dans lesquelles il prend sa douche, les mesures de sécurité qui lui sont imposées lors des extractions et les fouilles corporelles constituent, de son avis, des humiliations à répétition qui ébranlent sa personnalité. Il fait valoir que toutes ces mesures ont été jugées inhumaines et dégradantes par la Cour (Vincent c. France, no 6253/03, 24 octobre 2006 ; Khider c. France, no 39364/05, 9 juillet 2009 ; Duval c. France, no 19868/08, 26 mai 2011), et que la même conclusion s’impose dans son cas, compte tenu de l’effet cumulé des mauvais traitements et de sa situation de handicap, ainsi que de l’absence totale de justification des mesures de sécurité imposées.

38.  Quant à la qualité des soins dispensés, le requérant observe que le Gouvernement reconnaît l’absence de soins de kinésithérapie jusqu’en 2012 et que, à compter de cette date, il ne donne aucune précision sur leur fréquence. Il affirme qu’ils sont dérisoires (paragraphe 21 ci-dessus) alors que les conséquences de l’absence de soins adaptés à son état de santé ont sans cesse été rappelées par les experts et les médecins. Il ajoute qu’un transfert vers le centre pénitentiaire de Roanne ne lui garantirait pas une meilleure prise en charge. Il fait valoir que les cellules destinées aux personnes à mobilité réduite étaient toutes occupées par des détenus présentant des handicaps lourds. Il indique également qu’un détenu en fauteuil roulant s’est suicidé en novembre 2012 dans cette prison, et rappelle en tout état de cause que les médecins ont préconisé un service spécialisé pour sa rééducation.

39.  Quant à l’opportunité de son maintien en détention, le requérant dénonce une lecture restrictive de l’article 720-1-1 du CPP qui assimile conditions de détention conformes à la dignité humaine et niveau de soins suffisant. Il souligne également que la cour d’appel s’est fondée sur une circonstance non prévue par le texte pour refuser la demande de suspension, à savoir la non reconnaissance des faits. Se référant à l’arrêt Gülay Çetin c. Turquie (no 44084/10, 5 mars 2013), il insiste sur l’absence de norme claire en droit interne qui impose de prendre en compte l’aptitude personnelle à subir la détention indépendamment de la qualité des soins requis, et qui permet que des situations contraires à la dignité humaine perdurent sans fin. L’intensité de l’épreuve infligée à une personne handicapée conduit à annihiler les finalités de la peine pour en faire une pure rétribution, un châtiment aveugle. Il souligne que les UCSA ne sont nullement chargées de soustraire leurs patients à la réalité de leur existence mais qu’elles assurent les missions de diagnostic et de soins.

40.  Le Gouvernement justifie le maintien en détention du requérant, à la lumière notamment des arrêts Matencio c. France (no 58749/00, 15 janvier 2004) et Vincent (précité), dès lors qu’il n’est pas établi qu’il souffre d’une absence d’autonomie. Il rappelle à cet égard les deux expertises médicales qui ont conclu à la compatibilité de l’état de santé du requérant avec la détention, sous réserve de conditions adaptées à celui-ci.

41.  S’agissant de ces conditions, il fait observer que le requérant se trouve dans une cellule aménagée pour les personnes à mobilité réduite dans laquelle il est possible de se déplacer en fauteuil. Elle se situe en rez-de-cour afin de permettre l’accès aux promenades et au secteur socioéducatif. De même, l’accès à l’UCSA, aux cantines, aux parloirs et au greffe se fait sans qu’il doive emprunter un escalier.

42.  Le Gouvernement indique que le requérant est assisté quotidiennement par un détenu auxiliaire. Il précise dans ses observations complémentaires que la prison n’est pas équipée de douches individuelles, mais que celles-ci sont d’accès libre. Sans indiquer où se situent les douches ni la fréquence avec laquelle le requérant peut s’y rendre, il fait valoir que le requérant a la possibilité de choisir son horaire, le nombre maximal de personnes étant de treize sur l’ensemble de la journée ; en outre, chaque douche dispose d’un box séparé de nature à garantir l’intimité.

43.  Le Gouvernement souligne encore l’attention portée au bien-être du requérant en lui donnant accès à une activité physique, à savoir des cours de yoga. Il reconnaît que la zone sportive est inaccessible en fauteuil roulant mais soutient que le requérant peut s’y rendre au moyen de ses béquilles ou de son déambulateur et précise en tout état de cause que le requérant ne s’y est jamais rendu.

44.  Le Gouvernement conclut que l’administration a pris toutes les dispositions pour concilier au mieux le handicap du requérant avec les impératifs de la détention, en lui permettant d’être le plus autonome possible et en assurant son bien-être grâce à des activités culturelles et physiques.

45.  Le Gouvernement considère que les mesures prises lors des extractions médicales étaient justifiées (paragraphe 20 ci-dessus) compte tenu des faits pour lesquels le requérant a été condamné, de la peine prononcée ainsi que de la tentative d’évasion ; il précise que les dispositifs de sécurité sont adaptés et réévalués régulièrement. Les fouilles sont également adaptées aux circonstances et ne peuvent, du seul fait de l’état de santé du requérant, être considérées comme injustifiées.

46.  Quant aux soins apportés au requérant, le Gouvernement indique que l’administration pénitentiaire lui a fourni l’ensemble du matériel requis par son handicap, ce matériel incluant notamment un coussin anti-escarre pour le parloir, un matelas anti-escarre dans sa cellule ou encore une chaise plastique lui permettant de prendre sa douche. Il rappelle également les hospitalisations et extractions dont a fait l’objet le requérant (paragraphe 16 ci-dessus), ainsi que les diligences accomplies pour qu’un kinésithérapeute intervienne au centre de détention d’Uzerche à partir de septembre 2012 (paragraphe 17 ci-dessus), pour conclure que les conditions de détention du requérant au regard de son état de santé ne peuvent être regardées comme constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

i.  Obligations de soins

47.  La Cour renvoie à sa jurisprudence constante selon laquelle le devoir de soigner la personne malade au cours de sa détention met à la charge de l’État les obligations particulières suivantes : veiller à ce que le détenu soit capable de purger sa peine, lui administrer les soins médicaux nécessaires et adapter, le cas échéant, les conditions générales de détention à la situation particulière de son état de santé. Ces obligations sont rappelées très clairement dans son arrêt Xiros c. Grèce (no 1033/07, § 73, 9 septembre 2010 ; voir, plus récemment, l’arrêt Ürfi Çetinkaya c. Turquie, no 19866/04, §§ 87 à 92, 23 juillet 2013) et peuvent être ainsi résumées.

48.  Quant à la première obligation, dans un État de droit, la capacité à subir une détention est la condition pour que l’exécution de la peine puisse être poursuivie. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de remettre en liberté ou bien de transférer dans un hôpital civil un détenu, même si ce dernier souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner, la Cour ne saurait exclure que, dans des conditions particulièrement graves, on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale exige que des mesures de nature humanitaire soient prises pour y parer. Partant, dans des cas exceptionnels où l’état de santé du détenu est absolument incompatible avec sa détention, l’article 3 peut exiger la libération de la personne concernée sous certaines conditions (Xiros, précité, § 74).

Concernant la deuxième obligation, le manque de soins médicaux appropriés peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3. La Cour exige, tout d’abord, l’existence d’un encadrement médical pertinent du malade et l’adéquation des soins médicaux prescrits à sa situation particulière. La diligence et la fréquence avec lesquelles les soins médicaux sont dispensés à l’intéressé sont deux éléments à prendre en compte pour mesurer la compatibilité de son traitement avec les exigences de l’article 3. En particulier, ces deux facteurs ne sont pas évalués par la Cour en des termes absolus, mais en tenant compte chaque fois de l’état particulier de santé du détenu. En général, la dégradation de la santé du détenu ne joue pas en soi un rôle déterminant quant au respect de l’article 3 de la Convention. La Cour examine dans chaque cas si la détérioration de l’état de santé de l’intéressé était imputable à des lacunes dans les soins médicaux dispensés (idem, § 75).

Pour ce qui est de la troisième obligation, la Cour exige que l’environnement carcéral soit adapté, si nécessaire, aux besoins spéciaux du détenu afin de lui permettre de purger sa peine dans des conditions qui ne portent pas atteinte à son intégrité morale (idem, § 76).

ii.  Détenus handicapés

49.  Un lourd handicap physique est une situation, à l’instar de l’état de santé et de l’âge, pour laquelle la question de la capacité à la détention est posée au regard de l’article 3 de la Convention (Mouisel c. France, no 67263/01, § 38, CEDH 2002‑IX ; Matencio, précité, § 76).

50.  Lorsque les autorités nationales décident de placer ou de maintenir en détention une personne invalide, elles doivent veiller avec une rigueur particulière à ce que  les conditions de sa détention répondent aux besoins spécifiques de son infirmité (Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 25, CEDH 2001‑VII ; Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 56, 2 décembre 2004 ; Zarzycki c. Pologne, no 15351/03, § 102, 12 mars 2013).

51.  La détention d’une personne handicapée dans un établissement où elle ne peut se déplacer par ses propres moyens, et en particulier quitter sa cellule, et qui a duré longtemps, constitue un traitement dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention (Vincent, précité, § 103 ; Cara-Damiani c. Italie, no 2447/05, § 72, 7 février 2012).

52.  S’il est vrai que la Convention ne garantit pas en soi un droit à une assistance sociale, l’Etat ne peut s’exonérer de son obligation d’assurer des conditions de détention devant répondre aux besoins spécifiques des détenus handicapés en transférant la responsabilité de leur surveillance ou de leur assistance à des codétenus (Kaprykowski c. Pologne, no 23052/05, § 74, 3 février 2009 ; Grimailovs c. Lettonie, no 6087/03, § 161, 25 juin 2013 ; voir enfin, l’arrêt Semikhvostov c. Russie, no 2689/12, § 85, 6 février 2014, dans lequel il est fait mention du risque de stigmatisation des détenus handicapés en cas d’assistance dans les activités de la vie quotidienne par des codétenus). Dans certains cas, dépendre de l’aide de codétenus pour aller aux toilettes, se laver, s’habiller ou se déshabiller peut s’avérer rabaissant ou humiliant (voir, la jurisprudence citée dans l’arrêt Zarzycki, précité, § 104; D.G. c. Pologne, no 45705/07, § 147, 12 février 2013). L’accès aux installations sanitaires soulève un problème particulier sous l’angle de l’article 3 de la Convention (D.G, précité, §§ 147 et 150 ; Semikhvostov, précité, § 81).

b)  Application en l’espèce

53.  La Cour observe tout d’abord qu’il n’est pas contesté que le requérant présente un handicap qui le contraint à se déplacer principalement en chaise roulante même s’il semble qu’il puisse parfois se déplacer avec des cannes ou un déambulateur (paragraphe 10 ci-dessus). Il y a donc lieu d’examiner le grief du requérant à la lumière des principes rappelés ci-dessus, régissant les obligations de soins de l’Etat à l’égard des personnes handicapées, eu égard à leur vulnérabilité face aux difficultés de la détention.

i.  Le maintien en détention

54.  La Cour rappelle que les experts désignés dans le cadre de la demande de suspension de peine ont considéré que l’état de santé du requérant était compatible avec la détention à condition qu’il puisse bénéficier des soins de kinésithérapie au quotidien. L’un d’eux a précisé dans ses conclusions qu’une prise en charge kinésithérapique n’était pas possible au centre de détention d’Uzerche (paragraphe 10 ci-dessus). Par la suite, les juridictions de l’application des peines ont considéré que le requérant ne remplissait pas les conditions lui permettant de bénéficier d’une suspension de peine tout en prenant soin d’indiquer que le centre de détention dans lequel il se trouvait n’était pas adapté à sa situation. La Cour de cassation a déclaré le pourvoi du requérant non admis.

55.  Au vu de ce qui précède, la Cour constate qu’il n’a pas été exclu que

le requérant puisse bénéficier des soins de kinésithérapie en milieu carcéral (voir, a contrario, Cara-Damiani précité, § 74). La Cour observe qu’il a été tenu compte du handicap du requérant dans l’appréciation de sa demande de suspension de peine. En effet, celle-ci a été refusée sur le fondement de rapports d’expertise concluant de manière concordante que l’état de santé du requérant n’était pas durablement incompatible avec la détention sous réserve qu’il puisse bénéficier des soins kinésithérapiques et accéder à une salle de sport. En outre, le tribunal a relevé que le centre de détention d’Uzerche ne correspondait manifestement pas aux critères requis pour un régime de détention du requérant, tant sur le plan des locaux que sur celui des soins para médicaux (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). La Cour note à cet égard les évolutions du droit national et de la réflexion d’organes officiels sur la nécessaire prise en compte du handicap dans les demandes de suspension de peine (paragraphes 27, 28, 29 et 30 ci-dessus). Enfin, elle relève qu’il ne ressort pas du dossier que la santé du requérant se soit détériorée durant sa détention ou que son incapacité se soit aggravée du fait des conditions de détention. A la lumière notamment du rapport de visite au centre de détention d’Uzerche établi par le CGLPL (paragraphe 33 ci‑dessus), qui n’est pas consacré à la situation des personnes handicapées, il n’apparaît pas que ces conditions sont telles qu’elles ont pu rendre le maintien en détention du requérant incompatible avec l’article 3 de la Convention. De plus, si l’état de santé du requérant venait à s’aggraver, le droit français lui offre la possibilité de faire une nouvelle demande de suspension de peine pour motif médical, mécanisme que le législateur a récemment assoupli afin d’en faciliter l’usage (voir paragraphes 27 et 28 ci‑dessus).

Ce n’est donc pas la question de la capacité du requérant à purger sa peine que pose la présente affaire mais celle de la qualité des soins dispensés, et notamment celle de savoir si les autorités nationales ont fait ce qu’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour lui prodiguer la rééducation dont il avait besoin et lui offrir une chance de voir son état s’améliorer.

ii  La qualité des soins

56.  La Cour observe qu’il n’y a pas de désaccord entre les parties sur la diligence et la fréquence des soins médicaux apportés au requérant depuis son transfert au centre de détention d’Uzerche, comprenant l’accès à des consultations spécialisées (paragraphes 16 et 19 ci-dessus), y compris sur la fourniture du matériel médical, à l’exception de l’appareil d’électro stimulation que le requérant affirme ne pouvoir acquérir en raison du blocage de l’administration. Sur ce seul point, la Cour ne dispose pas d’allégation étayée, en particulier sur la raison opposée au requérant par les autorités compétentes pour refuser qu’il se procure lui-même cet appareil, ce qu’il semble pouvoir faire (paragraphes 16 et 22 ci-dessus) en l’absence de doléance de sa part quant à la prise en charge de cet appareil par la Sécurité sociale (a contrario, voir, par exemple, V.D. c. Roumanie, no 7078/02, §§ 94 à 96, 16 février 2010). Compte tenu de ces circonstances, la Cour n’est pas en mesure de prendre position sur ce point.

57.  Quant aux soins de kinésithérapie prescrits par l’ensemble des médecins ayant examiné le requérant, la Cour observe qu’ils ont tous préconisé une rééducation journalière et un accès à une salle de sport. Or, le requérant n’a pu bénéficier d’aucun soin paramédical de ce type jusqu’en septembre 2012, soit pendant plus de trois ans à compter de son incarcération au centre de détention d’Uzerche, faute de personnel qualifié au sein de l’établissement. En outre, l’accès à la salle de sport lui était malaisé, celle-ci étant inaccessible en fauteuil roulant comme le précise le Gouvernement. La Cour rappelle que la demande de suspension de peine a été rejetée sous réserve de la délivrance de soins de kinésithérapie appropriés à l’état de santé du requérant, et qu’il a été précisé à ce moment‑là par les juridictions nationales que ces soins ne pouvaient être prodigués au centre de détention d’Uzerche, mais dans d’autres établissements pénitentiaires (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). Les médecins de l’UCSA ont souligné que la rééducation devait se faire dans un milieu spécialisé (paragraphe 21 ci‑dessus). La Cour n’est pas en mesure d’apprécier l’adéquation ou non du milieu carcéral ordinaire, hors hospitalisation (paragraphe 31 ci-dessus), à la thérapie préconisée mais elle se doit de vérifier que des mesures ont été prises par les autorités pénitentiaires pour offrir au requérant les soins prescrits par les médecins.

58.  À cet égard, elle rappelle tout d’abord qu’aucun kinésithérapeute n’est intervenu au sein du centre de détention d’Uzerche de 2009 à septembre 2012. Il ressort des informations données par le Gouvernement que la directrice interrégionale de l’administration pénitentiaire a alerté à plusieurs reprises les autorités de santé compétentes pour qu’elles mettent fin à la carence des soins de kinésithérapie au sein de ce centre (paragraphe 17 ci-dessus), mais force est de constater que cet appel est resté sans réponse pendant plus de trois ans. La Cour observe que si la responsabilité d’assurer la présence d’un kinésithérapeute au sein de cette prison relève d’une administration différente de l’administration pénitentiaire, cela ne peut justifier un tel délai d’inertie et n’exonère en tout état de cause pas l’État de ses obligations à l’égard du requérant.

Par ailleurs, la Cour observe que le Gouvernement n’a pas démontré qu’une solution ait été recherchée pour que le requérant puisse être transféré dans une autre prison ou en milieu spécialisé. Elle ne saurait valider l’argument du Gouvernement selon lequel l’absence d’un tel transfert, en particulier vers le centre de détention de Roanne, serait entièrement imputable au requérant. Certes, l’affirmation de ce dernier selon laquelle il n’aurait pu y bénéficier des soins nécessaires ne peut être regardée que comme une spéculation ; les observations des parties sur ce point diffèrent sensiblement puisqu’elles évoquent la situation de cet établissement à des époques différentes (paragraphes 25 et 26 ci-dessus). De même, il est exact que le requérant n’a pas formellement demandé son transfert, mais, selon le Gouvernement, renoncé à en faire la demande, d’abord parce que, en juin 2010, « sa principale motivation concernait la jurisprudence des autorités judiciaires s’agissant des demandes d’aménagement des peines et non les soins dont il pourrait bénéficier », ensuite pour des raisons confuses en août 2011 (paragraphe 26 ci-dessus). Toutefois, la Cour estime que ce renoncement n’est pas synonyme d’un renoncement aux soins : elle rappelle que le requérant attendait en août 2011 l’aboutissement de son recours judiciaire pour obtenir une suspension de peine, ce qui peut expliquer qu’il n’ait pas entamé de démarches auprès des autorités pénitentiaires à ce moment-là. Par ailleurs, si l’article D. 360 du CPP énonce que le détenu peut solliciter un transfert vers un centre de détention plus adapté à son état de santé, il prévoit avant tout que la responsabilité d’un tel transfert incombe au directeur interrégional de l’administration pénitentiaire qui procède à l’intérieur de sa région à « tout transfèrement vers un établissement ayant pour objet de permettre à un détenu malade d’être pris en charge dans de meilleures conditions » (paragraphe 32 ci-dessus). Or, il ne ressort pas du dossier qu’une mesure spécifique quelconque ait été prise pendant tout ce laps de temps ou qu’une solution ait été cherchée pour que le requérant puisse bénéficier de séances de kinésithérapie adaptées à son état, malgré les recommandations répétées des médecins de l’UCSA de le prendre en charge dans un environnement spécialisé (paragraphe 21 ci‑dessus). Le seul comportement du requérant, qui semble avoir été réticent à un éventuel transfert, en raison notamment de l’éloignement familial (paragraphe 25 ci-dessus), ne saurait justifier l’inertie des autorités pénitentiaires et sanitaires qui n’ont pas su coopérer (paragraphe 31 ci‑dessus) pour lui assurer les soins dont l’exigence avait été formulée par les médecins qui l’avaient examiné. La Cour relève d’ailleurs que ceux dont il a bénéficié depuis le mois de septembre 2012 se limitent à une séance hebdomadaire de quinze minutes (paragraphe 21 ci-dessus).

iii  Les conditions de détention

59.  Le centre pénitentiaire d’Uzerche dispose d’une cellule pour les détenus invalides, située au rez-de-chaussée, à proximité de l’unité de consultation et de soins, de la cantine, des parloirs, de l’accès à la promenade et du secteur socio-éducatif. La Cour relève qu’elle n’est pas saisie de doléances sur l’aménagement de la cellule du requérant et que celle-ci permet le passage d’un fauteuil roulant (a contrario, Vincent précité, §§ 101 et 102). De même, le requérant n’exprime pas de souffrance quant à ses déplacements dans les différentes ailes du bâtiment et la Cour observe que celui-ci est équipé d’un ascenseur qu’il peut utiliser à l’occasion (voir, a contrario, Arutyunyan c. Russie, no 48977/09, §§ 78-79, 10 janvier 2012). Même s’il ne ressort pas du dossier que le requérant sorte souvent de sa cellule, la Cour ne peut déceler dans ses écritures de problèmes particuliers concernant ses déplacements dans l’établissement qui atteignent le seuil de gravité nécessaire pour que l’article 3 entre en jeu, y compris quant à l’accès à la promenade et à l’air libre.

60.  La Cour doit encore examiner la partie du grief concernant les fouilles auxquelles le requérant a été soumis ainsi que les mesures prises lors des extractions médicales qui constituent, selon le requérant, des humiliations à répétition, ainsi que l’accès aux douches et l’organisation de la dépendance du requérant.

61.  S’agissant en premier lieu des fouilles corporelles, et des mesures de sécurité imposées lors des transferts du requérant à l’hôpital, la Cour souligne que le requérant ne s’en était pas plaint dans son formulaire de requête initiale et que cette question n’a été soulevée que dans ses observations, auxquelles le Gouvernement a répliqué en apportant des précisions sur leur fréquence et leur motif (paragraphe 20 ci-dessus). Elle a déjà reconnu que des mesures de cette nature peuvent atteindre le seuil de gravité requis par l’article 3 pour constituer un traitement dégradant ou inhumain (Khider, précité; El Shennawy c. France, no 51246/08, 20 janvier 2011 ; Duval, précité), mais elle estime que tel n’est pas le cas en l’espèce. Il ressort en effet des observations complémentaires du Gouvernement sur ce point que les fouilles n’ont pas été systématiques mais qu’elles ont été pratiquées à des moments précis de la détention du requérant et, pour certaines d’entre elles, ont concerné l’ensemble de la population carcérale de l’établissement. Par ailleurs, seules deux décisions de fouilles lors d’extractions médicales sont produites au dossier. Eu égard aux justifications apportées par le Gouvernement sur ces mesures ponctuelles (paragraphe 20 ci-dessus), qui ne visaient pas toujours le seul requérant, la Cour est d’avis, malgré leur caractère éprouvant, qu’elles n’apparaissent pas atteindre le seuil de gravité nécessaire pour que l’article 3 entre en jeu. La Cour observe à ce titre que les conditions de transfert et les modalités des fouilles dénoncées en l’espèce n’ont pas de commune mesure avec celles observées dans d’autres affaires comparables (Duval et El Shenawy précités ; Mouisel, précité, §§ 46 et 47 ; Henaf c. France, no 65436/01, §§ 54 à 58, CEDH 2003‑XI).

62.  S’agissant en second lieu de l’accès aux sanitaires, et plus précisément à la douche, celle-ci ne se situant pas dans la cellule, la Cour relève que le requérant se plaint de ne pouvoir y accéder seul, mais uniquement avec l’aide d’un codétenu, et que cette dépendance l’expose à des situations humiliantes vis-à-vis de cet auxiliaire et des autres détenus du fait de son incontinence. La Cour ne dispose pas d’information sur la situation exacte des douches, ni sur la fréquence avec laquelle le requérant peut s’y rendre. Toutefois, il n’est pas contesté par le Gouvernement que celui-ci ne peut s’y rendre seul (paragraphe 23 ci-dessus) et qu’elles ne sont pas aménagées pour être accessibles aux personnes à mobilité réduite. En outre, il se déduit de l’état du requérant que le détenu en charge de l’assister quotidiennement selon le Gouvernement (paragraphe 42 ci-dessus) doit l’aider à réaliser sa toilette. Cette situation, où l’accès aux douches n’est pas adapté à l’utilisation d’un fauteuil roulant, et où le requérant doit compter sur un détenu auxiliaire pour se laver, a été jugée inacceptable par le CGLPL (paragraphe 29 ci-dessus). Par ailleurs, si le législateur a ouvert en 2009 la possibilité à toute personne détenue se trouvant dans une situation de handicap de désigner un aidant de son choix (paragraphe 32 ci-dessus), la Cour observe qu’une telle mesure, à supposer que les conditions de ce choix aient été remplies en l’espèce, n’est pas suffisante en l’espèce pour répondre aux besoins du requérant qui vit difficilement le moment de la douche, compte tenu de son incontinence, du manque d’intimité et du rôle d’assistance confié au codétenu (voir, mutatis mutandis, D.G, précité, § 177). Il ne ressort en effet du dossier ni que cette aide constitue un complément à la prise en charge du requérant par des professionnels de santé ni que le détenu désigné pour l’assister ait reçu la formation nécessaire à la pratique des gestes requis pour une personne invalide. La Cour rappelle à cet égard qu’elle a, à plusieurs reprises, estimé que l’assistance d’un codétenu, même volontaire, ne signifie pas que les besoins spéciaux du requérant sont satisfaits et que l’Etat s’est acquitté à cet égard des obligations lui incombant au titre de l’article 3 de la Convention. Elle a souligné qu’elle ne pouvait approuver une situation dans laquelle le personnel d’une prison se dérobe à son obligation de sécurité et de soins vis-à-vis des détenus les plus vulnérables en faisant peser sur leurs compagnons de cellule la responsabilité de leur fournir une assistance quotidienne ou, le cas échéant, des soins d’urgence ; cette situation engendre de l’angoisse et les place dans une position d’infériorité vis-à-vis des autres détenus (Farbtuhs, précité, § 60 ; D.G. précité, § 147).

iv.  Conclusion

63.  En définitive, la Cour est d’avis que le maintien en détention du requérant n’est pas incompatible en soi avec l’article 3 de la Convention mais que les autorités nationales ne lui ont pas assuré une prise en charge propre à lui épargner des traitements contraires à cette disposition. Compte tenu de son grave handicap, et du fait qu’il souffre d’incontinence urinaire et anale, la période de détention qu’il a vécue sans pouvoir bénéficier d’aucun traitement de rééducation, et dans un établissement où il ne peut prendre des douches que grâce à l’aide d’un codétenu, sont des circonstances qui l’ont soumis à une épreuve d’une intensité qui a dépassé le niveau inévitable de souffrances inhérentes à une privation de liberté. Ces circonstances constituent un traitement dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention et emportent violation de cette disposition. L’absence d’éléments laissant penser que les autorités aient agi dans le but d’humilier ou de rabaisser le requérant ne change en rien ce constat (Farbtuhs, précité, §§ 50 et 60).

II.  SUR L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

64.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

65.  Le réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral subi.

66.  Le Gouvernement estime que la demande est excessive. En cas de violation, un montant de 6 000 EUR pourrait être alloué au requérant.

67.  Dans les circonstances de la cause, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 7 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

68.  Le requérant demande également 4 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

69.  Le Gouvernement ne s’oppose pas au versement de cette somme.

70.   En l’espèce, et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 4 000 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

C.  Intérêts moratoires

71.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3.  Dit :

a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i)  7 000 EUR (sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii)  4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;


4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 février 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

              Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE HELHAL c. FRANCE, 19 février 2015, 10401/12