CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE EBRAHIMIAN c. FRANCE, 26 novembre 2015, 64846/11

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Chronologie de l’affaire

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Conclusions du rapporteur public · 29 juin 2023

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 26 nov. 2015, n° 64846/11
Numéro(s) : 64846/11
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2015
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Ahmet Arslan et autres c. Turquie, no 41135/98, 23 février 2010
Bayatyan c. Arménie [GC], no 23459/03, § 111, CEDH 2011
Dahlab c. Suisse (déc.), no. 42393/98, ECHR 2001-V
Dogru c. France, no. 27058/05, 4 Décembre 2008
Eweida et autres c. Royaume-Uni, nos 48420/10, 59842/10, 51671/10 et 36516/10, CEDH 2013 (extraits)
Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 117, CEDH 2014 (extraits)
Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 31, série A no 260 A
Kurtulmuş c. Turquie (déc.), no. 65500/01, ECHR 2006-II
Leyla Şahin c. Turquie, no. 44774/98, ECHR 2005-XI
Obst c. Allemagne, no 425/03, § 42, 23 septembre 2010
Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, série A no 323
Références à des textes internationaux :
Rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité 2013-2014;Circulaire No DHOS/G/2005/57 du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé
Organisations mentionnées :
  • Cour de justice de l'Union européenne
  • ECHR
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusion : Non-violation de l'article 9 - Liberté de pensée de conscience et de religion (Article 9-1 - Manifester sa religion ou sa conviction)
Identifiant HUDOC : 001-158878
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2015:1126JUD006484611
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE EBRAHIMIAN c. FRANCE

(Requête no 64846/11)

ARRÊT

STRASBOURG

26 novembre 2015

DÉFINITIF

26/02/2016

Cet arrêt est définitif.


En l’affaire Ebrahimian c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal,
Síofra O’Leary, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 octobre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 64846/11) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet État, Mme Christiane Ebrahimian (« la requérante »), a saisi la Cour le 12 octobre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante a été représentée par Me W. Word, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. François Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante allègue que le non-renouvellement de son contrat d’assistante sociale, au motif qu’elle refuse d’enlever le voile qu’elle porte, est constitutif d’une violation de l’article 9 de la Convention.

4.  Le 10 juin 2013, le grief concernant l’article 9 a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  La requérante est née en 1951 et réside à Paris.

6.  Elle fut recrutée sous contrat à durée déterminée de trois mois, du 1er octobre au 31 décembre 1999, prolongé d’une durée de un an du 1er janvier au 31 décembre 2000, en qualité d’agent contractuel de la fonction publique hospitalière afin d’occuper les fonctions d’assistante sociale en service de psychiatrie au sein du Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre (CASH), un établissement public à caractère social et sanitaire de la ville de Paris.

7.  Le 11 décembre 2000, le directeur des ressources humaines du centre informa la requérante que son contrat ne serait pas renouvelé à compter du 31 décembre suivant. Cette décision était motivée par le refus de la requérante d’enlever la coiffe qu’elle portait et avait été prise à la suite de plaintes formulées par certains patients du centre.

8.  Le 28 décembre 2000, en réponse à une lettre de la requérante invoquant l’illégalité du non-renouvellement de son contrat au motif qu’il était motivé par ses croyances et son appartenance à la religion musulmane, le directeur des ressources humaines indiqua que, lors de l’entretien du 30 novembre 2000 qui avait précédé la décision de l’administration, il ne lui avait pas été reproché son appartenance religieuse mais simplement rappelé les droits et obligations des fonctionnaires, à savoir l’interdiction d’afficher une telle appartenance. Il poursuivit ainsi :

« J’ai souligné que j’avais été contrainte de vous recevoir, suite à des réclamations formulées auprès de Mme M., cadre socio-éducatif, à la fois par des patients qui refusaient de vous rencontrer compte tenu de cet affichage et par des travailleurs sociaux pour lesquels il devenait de plus en plus difficile de gérer cette situation très délicate. À noter que Mme M. a évoqué avec vous ces difficultés et a tenté de vous convaincre de ne pas afficher vos convictions religieuses, avant même que les réclamations ne remontent jusqu’à la DRH. Ce n’est d’ailleurs que peu avant votre entretien du 30 novembre que l’administration a été officiellement informée du problème que suscitait le port de votre coiffe.

Au sujet de votre coiffe au moment de l’embauche : comme vous le savez, l’entretien d’embauche dure tout au plus une heure. Les personnes se présentent en tenue de « ville » sans pour autant quitter manteau ou foulard. Le fait que vous étiez couverte au moment de cet entretien n’a pas été interprété comme pouvant être le signe d’une appartenance, mais comme une simple tenue vestimentaire.

La rupture de votre contrat repose sur un fondement juridique, non sur une situation de nature discriminatoire. »

Le directeur des ressources humaines rappela encore à la requérante dans cette lettre l’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000. Cet avis indique que le principe de liberté de conscience ainsi que celui de laïcité de l’État et de neutralité des services publics s’appliquent à l’ensemble de ceux-ci, fait obstacle à ce que les agents disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses et, enfin, que le port d’un signe destiné à marquer une appartenance à une religion constitue un manquement de l’agent à ses obligations (paragraphe 26 ci-dessous).

9.  Par une requête enregistrée le 7 février 2001, la requérante demanda au tribunal administratif de Paris l’annulation de la décision du 11 décembre 2000.

10.  Par des lettres des 15 et 28 février 2001, la requérante fut informée de la décision du directeur des ressources humaines du CASH de l’inscrire au concours sur titre d’assistants socio-éducatifs et de l’autoriser à y prendre part. Cette décision fut prise en vertu du décret du 26 mars 1993 portant statut particulier des assistants socio-éducatifs de la fonction publique hospitalière. Ce texte indiquait que les assistants ont pour mission d’aider les patients et leur famille qui connaissent des difficultés sociales dans leurs démarches, en participant à l’élaboration et à la mise en œuvre du projet de l’établissement dont ils relèvent ainsi que des projets sociaux et éducatifs, en coordination notamment avec d’autres institutions ou services sociaux. La requérante ne se présenta pas au concours.

11.  Par un jugement du 17 octobre 2002, le tribunal administratif jugea le non-renouvellement du contrat conforme au principe de laïcité et de neutralité des services publics :

« (...)

Vu la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 [portant droits et obligations des fonctionnaires, paragraphe 25 ci-dessous]

(...)

Considérant que si les agents publics bénéficient, comme tous les citoyens, de la liberté de conscience et de religion édictée par les textes constitutionnels, conventionnels et législatifs, qui prohibent toute discrimination fondée sur leurs croyances religieuses ou leur athéisme, notamment pour l’accès aux fonctions, le déroulement de carrière ou encore le régime disciplinaire, le principe de laïcité de l’État et de ses démembrements et celui de la neutralité des services publics font obstacle à ce que ces agents disposent, dans l’exercice de leurs fonctions, du droit de manifester leurs croyances religieuses notamment par une extériorisation vestimentaire ; que ce principe, qui vise à protéger les usagers du service de tout risque d’influence ou d’atteinte à leur propre liberté de conscience, concerne tous les services publics et pas seulement celui de l’enseignement ; que cette obligation trouve à s’appliquer avec une rigueur particulière dans les services publics dont les usagers sont dans un état de fragilité ou de dépendance ; »

Il débouta la requérante en rappelant que la décision de ne pas renouveler son contrat avait été prise en raison de son refus d’enlever le voile qu’elle portait « à la suite de plaintes formulées par certains patients du centre de soins et en dépit des mises en garde réitérées de sa hiérarchie et des conseils amicaux de ses collègues de travail ». Le tribunal considéra que, à raison des principes énoncés, relatifs à la manifestation d’opinions religieuses au sein des services publics, l’autorité administrative, en refusant de renouveler le contrat pour le motif implicite du port « d’un vêtement manifestant, de manière ostentatoire, l’appartenance à une religion », n’avait pas commis d’erreur d’appréciation. Il conclut « qu’ainsi, alors même que l’employeur [de la requérante] a toléré le port de ce voile pendant plusieurs mois et que ce comportement ne peut être regardé comme délibérément provoquant ou prosélyte, le centre hospitalier n’a commis aucune illégalité en décidant de ne pas renouveler le contrat à la suite de son refus d’enlever son voile ».

12.  Par un arrêt du 2 février 2004, la cour administrative d’appel de Paris considéra que la décision litigieuse présentait un caractère disciplinaire, car « il résult[ait] tant de la lettre en date du 28 décembre du directeur des ressources humaines du centre que des mémoires en défense de l’établissement qu’elle [avait] été prise en raison de la persistance de [la requérante] à porter, durant son service, une coiffe pour des motifs religieux ». En conséquence, elle annula la décision pour vice de procédure dès lors que la requérante n’avait pas été informée des motifs de la mesure envisagée avant qu’elle ne soit prise ni mise à même de consulter son dossier.

13.  En exécution de l’arrêt d’appel, le directeur du CASH invita la requérante à prendre connaissance de son dossier. Par une décision motivée du 13 mai 2005, il lui confirma le non-renouvellement de son contrat :

« En conséquence de l’intervention de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 2 février 2004, qui a retenu un caractère disciplinaire au motif de non-renouvellement de votre contrat à durée déterminée ayant expiré le 31 décembre 2000, nous vous avons invité à prendre de nouveau connaissance de votre dossier administratif le 10 mai dernier, afin de régulariser la procédure.

À ce jour et en tant que de besoin, en exécution de cette même décision de justice, nous vous informons que le motif disciplinaire ayant conduit au non-renouvellement de votre contrat tient à votre refus d’ôter votre coiffe en tant qu’elle manifeste ostensiblement votre appartenance religieuse.

En effet, par application des principes de laïcité de l’État et de neutralité des Services Publics, fondant le devoir de réserve auquel est soumis tout agent de l’État, fût-il contractuel, votre refus de vous découvrir dans l’exercice de vos fonctions, caractérise un manquement à vos obligations vous exposant à une sanction disciplinaire légitime tel que l’a retenu dans son principe l’avis du Conseil d’État, Mlle Marteaux, en date du 3 mai 2000.

La décision de non-renouvellement que nous avons prise s’avère d’autant justifiée en l’espèce, que pour vos fonctions, vous exerciez en contact avec des patients. »

14.  Par une lettre du 29 juin 2005, la cour administrative d’appel informa la requérante que le CASH avait pris les mesures impliquées par l’arrêt du 2 février 2004. Elle lui indiqua que lorsqu’une décision est annulée pour vice de procédure, l’autorité administrative peut légalement reprendre des décisions identiques à celles annulées, mais en respectant les formes prescrites, et que la nouvelle décision du 13 mai 2005 pouvait être contestée devant le tribunal administratif.

15.  En janvier 2006, la requérante demanda l’annulation de la décision du 13 mai 2005 auprès du tribunal administratif de Versailles. Elle fit notamment valoir que l’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000, mis en avant par son employeur, n’avait vocation à s’appliquer qu’aux enseignants.

16.  Par un jugement du 26 octobre 2007, le tribunal rejeta la requête sur le fondement du principe de laïcité de l’État et de neutralité des services publics :

« (...) Considérant cependant que si l’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000 porte en particulier sur le cas d’un agent du service public de l’enseignement, il précise également qu’il résulte des textes constitutionnels et législatifs que le principe de liberté de conscience ainsi que celui de la laïcité de l’État et de neutralité des services publics s’appliquent à l’ensemble des services publics ; que si les agents publics bénéficient comme tous les citoyens de la liberté de conscience et de religion édictée par des textes constitutionnels, conventionnels et législatifs, qui prohibent toute discrimination fondée sur leurs croyances religieuses ou leur athéisme, notamment pour l’accès aux fonctions, le déroulement de carrière ou encore le régime disciplinaire, le principe de laïcité de l’État et de ses démembrements et celui de la neutralité des services publics font obstacle à ce que ses agents disposent, dans l’exercice de leurs fonctions, du droit de manifester leurs croyances religieuses notamment par une extériorisation vestimentaire ; ce principe vise à protéger les usagers du service de tout risque d’influence ou d’atteinte à leur propre liberté de conscience.

Considérant qu’à raison des principes sus-énoncés relatifs à la manifestation d’opinions religieuses au sein des services publics, l’autorité administrative, en décidant de ne pas renouveler le contrat d’assistante sociale de [la requérante] pour le motif implicite du port d’un vêtement manifestant, de manière ostentatoire, l’appartenance à une religion n’a commis aucune illégalité. »

17.  La requérante interjeta appel du jugement.

18.  Par un arrêt du 26 novembre 2009, la cour administrative d’appel de Versailles confirma le jugement en reprenant les motifs retenus par les premiers juges.

19.  La requérante forma un pourvoi en cassation. Dans ses moyens de cassation, elle souligna que la cour administrative d’appel avait privé son arrêt de base légale en ne précisant pas la nature du vêtement dont le port avait justifié sa sanction. Elle invoqua le caractère disproportionné de celle-ci et sa contrariété avec l’article 9 de la Convention.

20.  Par un arrêt du 9 mai 2011, le Conseil d’État déclara le pourvoi non admis.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Principe de laïcité et de neutralité des services publics

21.  Dans l’affaire Dogru c. France (no 27058/05, 4 décembre 2008), concernant le port des signes religieux à l’école, la Cour a eu l’occasion d’expliciter le concept de laïcité en France. Elle a rappelé à cette occasion que l’exercice de la liberté religieuse dans l’espace public est directement lié au principe de laïcité. Découlant d’une longue tradition française, celui-ci trouve ses origines dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dont l’article 10 dispose que « [n]ul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Il apparaît également dans les grandes lois scolaires de 1882 et 1886 qui instaurent l’école primaire obligatoire, publique et laïque. Mais la véritable clé de voûte de la laïcité française est la loi du 9 décembre 1905, dite loi de séparation de l’église et de l’État, qui marque la fin d’un long affrontement entre les républicains issus de la Révolution française et l’Église catholique. Son article 1er énonce : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » Le principe de séparation est affirmé par l’article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (...) » De ce « pacte laïque », découle plusieurs conséquences aussi bien pour les services publics que pour les usagers. Il implique la reconnaissance du pluralisme religieux et la neutralité de l’État à l’égard des cultes.

Le principe de laïcité, l’exigence de neutralité de l’État et de son corollaire, l’égalité, sont consacrés par l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, ainsi libellé :

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »

22.  À partir des années 1980, la pratique du port de signes religieux à l’école et à l’hôpital s’est développée en France, suscitant des réactions fondées sur le principe de laïcité (paragraphe 29 ci-dessous). Le 3 juillet 2003, le président de la République a installé « une commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République », qu’il a chargée de conduire « une réflexion approfondie et sereine (...) sur les exigences concrètes qui doivent découler pour chacun du respect du principe de laïcité ». Le rapport de cette commission, remis le 11 décembre 2003 au président de la République, dresse un constat de la menace pesant sur la laïcité à l’école et dans les services publics. C’est à la suite de ce rapport que la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse a été adoptée (Dogru, précité, §§ 30-31).

23.  C’est également à la suite de ce rapport que, saisi par le Premier ministre, le Haut conseil à l’intégration a présenté en janvier 2007 un avis comprenant un « projet de charte de la laïcité dans les services publics ». Ce projet a été repris dans la circulaire du Premier ministre no 5209/SG du 13 avril 2007 relative à la charte de la laïcité dans les services publics, qui rappelle les droits et obligations des agents ainsi que ceux des usagers du service public :

« Les agents du service public

Tout agent public a un devoir de stricte neutralité. Il doit traiter également toutes les personnes et respecter leur liberté de conscience.

Le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations.

Il appartient aux responsables des services publics de faire respecter l’application du principe de laïcité dans l’enceinte de ces services.

La liberté de conscience est garantie aux agents publics. Ils bénéficient d’autorisations d’absence pour participer à une fête religieuse dès lors qu’elles sont compatibles avec les nécessités du fonctionnement normal du service. »

« Les usagers du service public

Tous les usagers sont égaux devant le service public.

Les usagers des services publics ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène.

Les usagers des services publics doivent s’abstenir de toute forme de prosélytisme.

Les usagers des services publics ne peuvent récuser un agent public ou d’autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public. Cependant, le service s’efforce de prendre en considération les convictions des usagers dans le respect des règles auquel il est soumis et de son bon fonctionnement.

Lorsque la vérification de l’identité est nécessaire, les usagers doivent se conformer aux obligations qui en découlent.

Les usagers accueillis à temps complet dans un service public, notamment au sein d’établissements médico-sociaux, hospitaliers ou pénitentiaires ont droit au respect de leurs croyances et peuvent participer à l’exercice de leur culte, sous réserve des contraintes découlant des nécessités du bon fonctionnement du service. »

24.  Récemment, le Conseil constitutionnel a indiqué que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit et qu’il doit être défini ainsi :

« Considérant (...) qu’aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ; que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu’il en résulte la neutralité de l’État ; qu’il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu’il implique que celle-ci ne salarie aucune culte ; » (Décision no 2012-297 QPC, 21 février 2013, Association pour la promotion et l’expansion de la laïcité [traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle]).

25.  La fonction publique regroupe l’ensemble des agents publics, c’est-à-dire des personnels employés par une personne publique, affectés en principe dans un service public administratif, et soumis à un régime de droit public. Le statut général de la fonction publique est organisé en trois branches : la fonction publique de l’État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière. La liberté d’opinion, notamment religieuse, des agents du service public est garanti par l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. L’appartenance à une religion ne peut être inscrite dans le dossier d’un agent public, elle ne peut constituer un critère discriminant à l’égard d’un candidat ou d’un agent contractuel à une titularisation et certains aménagements du temps de travail sont autorisés au nom de la liberté religieuse, s’ils sont compatibles avec le bon fonctionnement du service.

En même temps, la liberté de conscience de ces agents doit être conciliée avec l’exigence de neutralité religieuse propre au service public. Les fonctionnaires sont soumis à un devoir déontologique de neutralité. Le fonctionnaire doit assurer une stricte égalité de traitement des administrés dans l’exercice de ses fonctions, quelles que soient leurs convictions ou croyances. Le principe de neutralité de l’État implique que « l’administration et les services publics doivent donner toutes les garanties de la neutralité, mais doivent aussi en présenter les apparences pour que l’usager ne puisse douter de cette neutralité. En conséquence, une obligation de neutralité particulièrement stricte s’impose à tout agent du service public » (Commission nationale consultative des droits de l’homme, Avis sur la laïcité, Journal officiel no 0235 du 9 octobre 2013). L’obligation de neutralité des fonctionnaires est précisée par la jurisprudence (paragraphe 26 ci-dessous). Toutefois, un projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires actuellement en cours de discussion a été adopté par l’Assemblée nationale, en première lecture, le 7 octobre 2015. Ce texte prévoit d’inscrire dans la loi du 13 juillet 1983 l’obligation pour les agents publics d’exercer leurs fonctions dans le respect du principe de laïcité en s’abstenant de manifester leur opinion religieuse dans l’exercice de leurs fonctions.

Le Conseil constitutionnel a aussi jugé à plusieurs reprises que la neutralité est un « principe fondamental du service public » et que le principe d’égalité en constitue le corollaire (Décisions de la Cour constitutionnel no 86-217 DC du 18 septembre 1986, et no 96-380 DC du 23 juillet 1996).

26.  Selon la jurisprudence du Conseil d’État, le principe de neutralité des services publics justifie que des limitations soient apportées à la manifestation des croyances religieuses des agents dans l’exercice de leurs fonctions. Le Conseil d’État s’est prononcé depuis longtemps dans le domaine de l’enseignement : le fait pour un agent du service public de l’enseignement de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses est un manquement au « devoir de stricte neutralité qui s’impose à tout agent collaborant à un service public » (Conseil d’État, 8 décembre 1948, Demoiselle Pasteau, no 91.406, Recueil Lebon ; Conseil d’État, 3 mai 1950, Demoiselle Jamet, no 98.284, Recueil Lebon). Dans son avis du 3 mai 2000 (Conseil d’État, avis, Mlle Marteaux, no 217017, Recueil Lebon), concernant la décision d’un recteur d’académie de mettre fin aux fonctions d’une surveillante d’un collège qui portait un foulard, il a affirmé que le principe de laïcité et de neutralité s’applique à l’ensemble des services publics et précisé l’interdiction faite aux agents de manifester leurs croyances religieuses dans leur fonction :

« 1)  Il résulte des textes constitutionnels et législatifs que le principe de liberté de conscience ainsi que celui de la laïcité de l’État et de neutralité des services publics s’appliquent à l’ensemble de ceux-ci ;

2)  Si les agents du service de l’enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ;

Il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre les agents de ce service public selon qu’ils sont ou non chargés de fonctions d’enseignement ;

3)  Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le fait pour un agent du service de l’enseignement public de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations ;

Les suites à donner à ce manquement, notamment sur le plan disciplinaire, doivent être appréciées par l’administration sous le contrôle du juge, compte tenu de la nature et du degré de caractère ostentatoire de ce signe, comme des autres circonstances dans lesquelles le manquement est constaté ; »

Cette jurisprudence a été étendue à l’ensemble des services publics. Dans un dossier thématique intitulé « Le juge administratif et l’expression des convictions religieuses » publié sur son site Internet en novembre 2014, le Conseil d’État indique, à propos de l’interdiction faite aux agents de manifester leur religion dans leurs fonctions, et en plus de l’avis du 3 mai 2000, ce qui suit :

« Le juge administratif est généralement saisi de ces questions dans le cadre du contentieux disciplinaire. La légalité de la sanction sera alors fonction de la nature de l’expression des convictions religieuses, du niveau hiérarchique de l’agent ainsi que des fonctions qu’il exerce ou encore des avertissements qui auraient déjà pu lui être adressés. La sanction doit également être proportionnée. Le Conseil d’État a ainsi confirmé la sanction prise à l’encontre d’un agent public qui faisait apparaître son adresse électronique professionnelle sur le site d’une association cultuelle (CE, 15 octobre 2003, M.O., no 244428) ou encore qui avait distribué aux usagers des documents à caractère religieux à l’occasion de son service (CE, 19 février 2009, M.B., no 311633). »

27.  L’exigence de neutralité vaut pour les services publics, même s’ils sont gérés par des organismes de droit privé (Conseil d’État, Sect., 31 janvier 1964, CAF de l’arrondissement de Lyon). C’est ce qu’a également rappelé récemment la Cour de cassation, dans une affaire concernant la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis, s’agissant d’une salariée travaillant comme « technicienne de prestations maladie » qui avait été licenciée au motif qu’elle portait un foulard islamique en forme de bonnet, en violation des dispositions du règlement intérieur. La chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que « les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé » et que « les agents des caisses primaires d’assurance maladie (...) sont (...) soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires ; » (Cass. soc., 19 mars 2013, no 12‑11.690) :

« (...) attendu qu’ayant retenu que la salariée exerce ses fonctions dans un service public en raison de la nature de l’activité exercée par la caisse, qui consiste notamment à délivrer des prestations maladie aux assurés sociaux de la Seine-Saint-Denis, qu’elle travaille en particulier comme « technicienne de prestations maladie » dans un centre accueillant en moyenne six cent cinquante usagers par jour, peu important que la salariée soit ou non directement en contact avec le public, la cour d’appel a pu en déduire que la restriction instaurée par le règlement intérieur de la caisse était nécessaire à la mise en œuvre du principe de laïcité de nature à assurer aux yeux des usagers la neutralité du service public ; »

28.  Récemment, au cours d’une procédure judiciaire médiatique, la chambre sociale de la Cour de cassation a, d’abord, dans un arrêt du 19 mars 2013, déclaré illégal le licenciement d’une salariée d’une crèche privée, dont le règlement intérieur appelait « au respect des principes de laïcité et de neutralité », en raison de son refus d’ôter son voile islamique. Puis, confrontée à la résistance de la cour d’appel de Paris devant laquelle l’affaire avait été renvoyée, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a finalement validé cette procédure par un arrêt du 25 juin 2014. À l’occasion de l’arrêt du 19 mars 2013 et de celui du même jour décrit au paragraphe 27 ci-dessus, le Défenseur des droits a demandé au Conseil d’État une étude (Étude adoptée par l’Assemblée générale du Conseil d’État le 19 décembre 2013). Le Défenseur souhaitait avoir l’avis du Conseil d’État sur diverses questions relatives à l’application du principe de neutralité religieuse dans les services publics, en vue de répondre à des réclamations qui soulèvent la question de la frontière entre mission de service public, participation au service public, mission d’intérêt général que certaines structures privées auraient en charge, et l’application du principe de neutralité et de laïcité. Dans cette étude, le Conseil d’État a notamment rappelé ceci :

« 1.  La liberté des convictions religieuses est générale. En revanche, des restrictions peuvent être apportées à leur expression dans certaines conditions. Le principe de laïcité de l’État, qui intéresse les relations entre les collectivités publiques et les particuliers, et le principe de neutralité des services publics, corollaire du principe d’égalité qui régit le fonctionnement des services publics, sont la source d’une exigence particulière de neutralité religieuse de ces services. Cette exigence s’applique en principe à tous les services publics mais ne trouve pas à s’appliquer, en tant que telle, en dehors de ces services (...)

2.  Le droit du travail respecte la liberté de conscience des salariés et prohibe les discriminations, quelles qu’elles soient. Il peut toutefois autoriser des restrictions à la liberté de manifester des opinions ou croyances religieuses à la condition que ces restrictions soient justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (...)

(...)

4.  L’exigence de neutralité religieuse interdit aux agents des personnes publiques et aux employés des personnes morales de droit privé auxquelles a été confiée la gestion d’un service public de manifester leurs convictions religieuses dans l’exercice de leurs fonctions. Cette interdiction doit toutefois être conciliée avec le principe de proportionnalité des atteintes à la liberté d’expression religieuse résultant de l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (...) »

B.  Principe de neutralité dans le service public hospitalier

29.  Le rapport annuel 2013-2014 de l’Observatoire de la laïcité indique, en sa partie « État des lieux concernant la laïcité dans les établissements de santé » que, à la suite du rapport de la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité (paragraphe 22 ci-dessus), une loi sur la laïcité à l’hôpital avait été envisagée. Le rapport de cette commission indiquait ce qui suit:

« (...) L’hôpital n’est plus épargné par ce type de remises en cause. Il avait déjà été confronté à certains interdits religieux, tels que l’opposition à des transfusions par des témoins de Jéhovah. Plus récemment se sont multipliés les refus, par des maris ou des pères, pour des motifs religieux, de voir leurs épouses ou leurs filles soignées ou accouchées par des médecins de sexe masculin. Des femmes ont ainsi été privées de péridurale. Des soignants ont été récusés au prétexte de leur confession supposée. Plus généralement, certaines préoccupations religieuses des patients peuvent perturber le fonctionnement de l’hôpital : des couloirs sont transformés en lieux privatifs de prière ; des cantines parallèles aux cantines hospitalières sont organisées pour servir une nourriture traditionnelle, au mépris des règles sanitaires.

(...)

Certaines revendications religieuses sont maintenant portées par des agents publics. Des fonctionnaires ont exigé de porter, sur leur lieu de travail, une kippa ou un voile manifestant leur appartenance confessionnelle. Récemment des internes en médecine ont également exprimé cette volonté.

De tels comportements, contraires au principe de neutralité qui structure le service public, sont gravement préoccupants. (...) »

L’Observatoire de la laïcité explique que le ministère de la Santé a « en réalité cadré la question par voie de circulaire » (paragraphe 30 ci-dessous) et que, à ce stade, l’arsenal juridique est suffisant. Il précise que les informations recueillies dans les établissements de soins font état d’une situation apaisée et sous contrôle. Les problèmes les plus fréquents, s’agissant du personnel hospitalier, sont le port du voile, les prières à certains moments de la journée et le souhait d’aménagement horaire pour ne pas travailler les jours de fêtes religieuses. Il précise que les informations dont il dispose « montrent qu’avec un dialogue approprié, ces situations aboutissent à un règlement dans le respect des principes de neutralité des agents publics ».

30.  La circulaire du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés et comportant une charte du patient hospitalisé indique que les droits des patients « s’exercent dans le respect de la liberté des autres » (Circulaire DGS/DH/95 no 22). Outre les indications concernant les usagers du service public hospitalier rappelé plus haut (paragraphe 23 ci-dessus), la circulaire DHOS/G/2005/57 du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé énonce ce qui suit:

« (...)

I.  Liberté religieuse, principes de neutralité et de non-discrimination

Comme le rappelle le rapport Stasi (p. 22) remis au président de la République le 11 décembre 2003, la laïcité qui est consacrée par l’article 1er de la Constitution de 1958 impose à la République d’assurer « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Pour l’hôpital, cela implique que :

–  tous les patients soient traités de la même façon quelles que puissent être leurs croyances religieuses ;

–  les patients ne puissent douter de la neutralité des agents hospitaliers.

A.  Égalité de traitement des patients

(...)

(...) La charte du patient hospitalisé précitée, tout en affirmant la liberté d’action et d’expression des patients dans le domaine religieux, rappelle : « Ces droits s’exercent dans le respect de la liberté des autres. Tout prosélytisme est interdit, qu’il soit le fait d’une personne accueillie dans l’établissement, d’une personne bénévole, d’un visiteur ou d’un membre du personnel. »

À cet égard, il convient de veiller à ce que l’expression des convictions religieuses ne porte pas atteinte :

–  à la qualité des soins et aux règles d’hygiène (le malade doit accepter la tenue vestimentaire imposée compte tenu des soins qui lui sont donnés) ;

–  à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches ;

–  au fonctionnement régulier du service.

(...)

B.  Neutralité du service public hospitalier et des fonctionnaires et agents publics

L’obligation de neutralité est posée depuis plus d’un demi-siècle dans la jurisprudence (Conseil d’État, 8 décembre 1948, Dlle Pasteau – 3 mai 1950, Dlle Jamet). Dans un litige concernant un établissement scolaire, le Conseil d’État a émis un avis en date du 3 mai 2000 (...) [paragraphe 26 ci-dessus]

(...)

Dans un [jugement] en date du 17 octobre 2002 (Mme E.), [paragraphe 11 ci-dessus] (...), le tribunal rappelle que le principe de neutralité s’impose à tous les agents publics et pas seulement à ceux de l’enseignement :

(...)

Dans un arrêt en date du 27 novembre 2003 (Mlle Nadjet Ben Abdallah), la cour administrative d’appel de Lyon a considéré que : « Le port, par Mlle Ben Abdallah (...) d’un foulard dont elle a expressément revendiqué le caractère religieux, et le refus réitéré d’obéir à l’ordre qui lui a été donné de le retirer, alors qu’elle était avertie de l’état non ambigu du droit applicable, a (...) constitué une faute grave de nature à justifier légalement la mesure de suspension dont elle a fait l’objet. » (...)

Ces principes s’appliquent à tous les fonctionnaires et agents publics, à l’exception des ministres des différents cultes mentionnés à l’article R. 1112-46 du code de la santé publique. Il est rappelé que les agents publics sont des agents qui concourent à l’exécution du service public : contractuels, internes... Vous veillerez à ce que, en application de l’article L. 6143-7 du code de la santé publique, les directeurs des établissements publics de santé respectent strictement ces principes en sanctionnant systématiquement tout manquement à ces obligations ou en signalant aux directeurs départementaux des Affaires sanitaires et sociales toute faute commise par un agent dont l’autorité de nomination est le préfet ou le ministre.

II.  Libre choix du praticien et discrimination à l’encontre d’un agent du service public

(...)

Enfin, ce libre choix du malade ne permet pas que la personne prise en charge puisse s’opposer à ce qu’un membre de l’équipe de soins procède à un acte de diagnostic ou de soins pour des motifs tirés de la religion connue ou supposée de ce dernier.

(...) »

C.  Jurisprudence pertinente

31.  Les décisions pertinentes concernant le port du voile par les agents des services publics sont citées dans la circulaire précitée (paragraphe 30 ci-dessus). Le jugement du tribunal administratif rendu le 17 octobre 2002 dans la présente espèce est très fréquemment cité en exemple, parce qu’il confirme que le principe de neutralité vaut pour l’ensemble des services publics, et pas seulement pour le domaine de l’enseignement public. L’arrêt du 27 novembre 2003 rendu par la cour administrative d’appel de Lyon dans l’affaire Mlle Ben Abdallah (paragraphe 30 ci-dessus), à propos d’une femme contrôleur du travail refusant de retirer son foulard, est également un arrêt de référence. Le Conseil d’État n’a cependant pas été saisi dans cette affaire. L’arrêt indique que la suspension d’un agent en attente d’une sanction est décidée en fonction « de l’ensemble des circonstances de l’espèce et, entre autres, de la nature et du degré du caractère ostentatoire de ce signe, de la nature des fonctions confiées à l’agent, ainsi que de l’exercice par lui soit de prérogatives de puissance publique, soit de fonctions de représentation ». Dans cette affaire, le commissaire du Gouvernement soulignait ceci :

« (...) une appréciation différenciée de l’obligation de neutralité dans la fonction publique, de la nature de celle que préconise la Cour de Strasbourg (Dahlab c. Suisse (déc.), no 42393/98, CEDH 2001‑V), serait parfaitement en phase avec la démarche adoptée par la jurisprudence judiciaire pour les salariés du secteur privé. Le juge judiciaire tient, en effet, déjà compte, s’agissant du cas particulier du port du voile islamique, de la nature des fonctions exercées et de l’image de l’entreprise que véhicule le fait pour une employée d’arborer ce signe. Cette démarche conduirait alors à définir des critères d’appréciation qui, sans renier le principe de neutralité, en feraient une application peut-être plus pragmatique, tenant compte de la nature des fonctions exercées (enseignement, fonctions d’autorité) et des conditions de leur exercice (contacts avec le public, port ou non d’un uniforme ou d’un costume réglementaire, degré de vulnérabilité ou de sensibilité des usagers comme les élèves ou les malades). »

Il proposait cependant de ne pas entrer dans une telle démarche en indiquant qu’il ne paraissait finalement pas possible de transiger sur l’obligation de neutralité des fonctionnaires.

« Pour des raisons de principe d’abord. Le fonctionnaire, qu’il le veuille ou non, mais aussi, quelque part parce qu’il l’a voulu, appartient d’abord à la sphère publique, dont les raisons d’être sont le service de l’intérêt général et le traitement égalitaire de tous les usagers. Comme le rappelait le commissaire du gouvernement Rémy Schwartz, la neutralité du service est « conçue avant tout pour les usagers ; c’est au nom du respect de leurs convictions que l’État est neutre afin de permettre leur pleine expression » ; c’est cette fonction sociale qui justifie que l’individu que continue d’être l’agent public, s’efface derrière le dépositaire d’une parcelle de l’autorité publique, derrière le fonctionnaire investi d’une mission de service public. Si la notion de service public peut effectivement, à l’avenir, évoluer dans le sens d’un champ d’application plus étroit, il ne paraît finalement pas possible de transiger sur les principes irréductibles qui en font précisément la spécificité, et notamment avec la soumission de ses agents, à travers le statut, à une déontologie, à une éthique.

Nous n’insisterons pas davantage en outre, sur les craintes déjà évoquées quant au grignotage progressif sous l’impulsion des communautarismes, de ce qui constitue la cohérence du tissu social caractérisée par l’adhésion à des valeurs universelles garanties par l’État.

Au demeurant, les conclusions de Rémy Schwartz soulignaient aussi combien serait impraticable une solution différenciée selon la nature des fonctions et le degré de maturité du public concerné, en raison de la variété et même de la variabilité dans le temps des situations envisageables ; on ne voit pas en outre pourquoi la liberté de conscience d’un agent justifierait, par une revendication excessive en service de ses convictions religieuses, une atteinte à la liberté de conscience dont bénéficient également ses collègues de travail : l’intérêt du service peut ainsi justifier également que, même en l’absence de contact direct avec les usagers, la liberté d’expression des convictions d’un agent soit limitée. (...)

La réaffirmation du principe de neutralité absolue du service débouche donc sur le nécessaire rappel à l’ordre de tout écart considéré en soi comme faute disciplinaire : à partir de ce constat, rien n’empêche alors, l’autorité disciplinaire et selon les termes mêmes de l’avis Dlle Marteaux, d’apprécier distinctement les cas d’espèce et de tenir compte des circonstances particulières pour, après avoir fait cesser le comportement fautif, en apprécier les suites en incluant sans aucun doute dans son appréciation, le degré d’obéissance ou au contraire d’intransigeance du fonctionnaire, lorsqu’il aura été invité à respecter la neutralité du service. (...) »

III.  DROIT COMPARÉ

32.  Dans l’arrêt Eweida et autres c. Royaume-Uni (nos 48420/10 et 3 autres, § 47, CEDH 2013), la Cour a indiqué qu’il ressortait d’une analyse du droit et de la pratique de vingt‑six États membres du Conseil de l’Europe que :

« (...) majoritairement, [le port de vêtements ou de symboles à caractère religieux sur le lieu de travail] n’est pas réglementé. Dans trois États, à savoir l’Ukraine, la Turquie et la Suisse (pour certains cantons), le port de vêtements ou de symboles de ce type est interdit aux fonctionnaires et aux autres agents du secteur public mais autorisé en principe pour les employés du secteur privé. Dans cinq États – Allemagne, Belgique, Danemark, France et Pays-Bas –, les tribunaux internes ont expressément reconnu, au moins en principe, le droit pour tout employeur d’imposer certaines restrictions au port de symboles religieux par les employés ; cependant, il n’y a dans ces pays aucun texte législatif ou réglementaire permettant à un employeur de le faire. En Allemagne et en France, il est strictement interdit aux fonctionnaires et aux agents de l’État de porter des symboles religieux tandis que, dans les trois autres pays, le régime est plus souple. Nulle part n’est permise une interdiction totale du port par les employés du secteur privé de vêtements ou de symboles religieux sur le lieu de travail. Au contraire, en France, pareille interdiction est expressément exclue par la loi. Selon la législation française, pour qu’une restriction de ce type soit légale, elle doit poursuivre un but légitime, tenant au respect des normes sanitaires, à la protection de la santé et des bonnes mœurs, et à la crédibilité de l’image de l’employeur aux yeux du client, et satisfaire à un critère de proportionnalité. »

33.  Récemment, dans un arrêt du 27 janvier 2015, la Cour constitutionnelle allemande a considéré qu’une interdiction générale du port du voile par les enseignantes dans les écoles publiques était contraire à la Constitution, sauf si elle constitue un danger suffisamment concret pour la neutralité de l’État ou la paix scolaire (1 BvR 471/10, 1 BvR 1181/10).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

34.  La requérante allègue que le non-renouvellement de son contrat d’assistance sociale est contraire à son droit à la liberté de manifester sa religion tel que prévu par l’article 9 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2.  La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publics, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur la recevabilité

35.  La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  La requérante

36.  La requérante soutient que, à la date du 11 décembre 2000, aucun texte de loi n’interdisait de manière expresse à un agent public, qu’il soit fonctionnaire ou contractuel, le port d’un signe religieux dans l’exercice de ses fonctions. L’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000 (paragraphe 26 ci-dessus) invoqué par le Gouvernement ne visait que les services de l’enseignement public, et la circulaire du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé (paragraphe 30 ci-dessus) n’était pas encore publiée. Elle estime, au contraire, qu’à cette date, la liberté de manifester sa religion, y compris pour un agent public, ne faisait pas l’objet de restrictions particulières. Selon elle, le droit applicable était formulé dans l’avis du Conseil d’État du 27 novembre 1989 relatif à la compatibilité du port de signes d’appartenance à une communauté religieuse dans les établissements scolaires ; dans cet avis, le Conseil d’État admettait que le principe de neutralité n’est nullement remis en cause par le simple port d’un signe religieux dès lors qu’aucun comportement prosélyte ne peut être reproché à son porteur (l’avis est intégralement cité dans l’affaire Dogru c. France (no 27058/05, § 26, 4 décembre 2008). Elle en conclut que l’ingérence n’est pas prévue par la « loi » au sens de la Convention.

37.  La requérante estime par ailleurs que l’ingérence litigieuse ne poursuit pas un but légitime dès lors qu’aucun incident ou trouble ne sont survenus au cours de l’exercice de ses fonctions au sein du CASH. Elle déduit de la jurisprudence de la Cour qu’un État peut limiter la liberté de manifester une religion, par exemple le port du foulard islamique, si l’usage de cette liberté nuit à l’objectif visé de protection des droits et liberté d’autrui, de l’ordre et de la sécurité publique (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 111, CEDH 2005‑XI, Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98 et 3 autres, § 92, CEDH 2003‑II).

38.  Pour le reste, la requérante indique qu’elle porte une simple coiffe, qui présente un aspect banal, destinée à cacher sa chevelure qui ne porte pas atteinte, en soi, à la neutralité du service public. Elle fait valoir que le port de cette coiffe n’a causé aucune menace à la sécurité et à l’ordre public ni aucun trouble au sein de son service, un tel port ne constituant pas à lui seul un acte de prosélytisme, lequel suppose une attitude adoptée dans le but de susciter l’adhésion à une croyance. Selon la requérante, seul le port d’une tenue complète comme la burqa ou le niqab doit être perçu comme un signe de séparatisme social et symbole d’un refus d’intégration, et être susceptible de faire l’objet d’une interdiction particulière.

39.  La requérante précise qu’elle a pu porter sa coiffe jusqu’à un changement de poste au sein de la direction de l’établissement et qu’aucune remarque ne lui a jamais été faite avant ce changement, ni par le personnel hospitalier ni par les patients eux-mêmes. Elle fournit plusieurs attestations datant de décembre 2000 rédigées par des médecins du service psychiatrique concerné qui louent ses qualités professionnelles. Elle considère que le Gouvernement ne justifie pas les dysfonctionnements du service qu’il rapporte et soutient que le non-renouvellement de son contrat n’était motivé que par son appartenance à la religion musulmane et qu’il était disproportionné dans une société démocratique.

40.  La requérante souligne à cet égard que la France est isolée. Elle fait valoir que, dans la majorité des pays européens, le port d’un signe religieux, tel que le foulard, par des élèves ou par des agents publics ne fait pas l’objet de mesures d’interdictions particulières. S’agissant des premiers, elle fait valoir que la loi française du 15 mars 2004 (Dogru, précité, § 30), inapplicable en l’espèce, encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, a suscité l’incompréhension générale. Quant aux agents publics, ils seraient autorisés à porter le foulard dans de nombreux pays : au Danemark, en Suède, en Espagne, en Italie, en Grèce et au Royaume-Uni. La requérante s’attarde sur la situation de ce dernier pays dans lequel le port du foulard islamique dans les écoles et dans les services publics est admis, ainsi que celui des couvre-chefs religieux en ce qui concerne les policiers, les soldats, les motocyclistes et les travailleurs de la construction. Enfin, la requérante estime utile de rappeler que les symboles religieux chrétiens dans l’espace public sont tolérés (crucifix dans les salles de classe, les tribunaux et les administrations) en Italie, en Irlande et en Autriche, ainsi que les signes non chrétiens.

b)  Le Gouvernement

41.  Le Gouvernement considère que l’ingérence litigieuse est « prévue par la loi », car le droit interne, au moment des faits, expose clairement le principe de stricte neutralité de tous les agents publics ainsi que les sanctions auxquelles ils s’exposent en cas de non-respect de ce principe. La « loi » en question, au sens de la jurisprudence de la Cour, comprend en premier lieu la loi de 1905 qui a consacré la neutralité de l’État face aux religions et l’article 1er de la Constitution qui affirme le principe d’égalité devant la loi de tous les citoyens (paragraphe 21 ci-dessus). Elle englobe également la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qui prévoit en son article 29 que toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire. De plus, tant la jurisprudence des juridictions administratives depuis plus d’un demi-siècle (paragraphe 26 ci-dessus) que celle du Conseil constitutionnel (paragraphe 25 ci-dessus) rappellent l’obligation de neutralité des agents du service public dans leur fonction. Dans son avis du 3 mai 2000, le Conseil d’État est venu rappeler le principe général préexistant qu’est le principe de neutralité pour le décliner au cas qui lui était soumis.

42.  Le Gouvernement ajoute que la requérante a librement adhéré au statut de la fonction publique hospitalière et à ses obligations, au titre desquelles figure l’obligation de neutralité de tout agent dans ses fonctions, lorsqu’elle a conclu les différents contrats la liant au CASH. Elle ne pouvait pas ignorer ces règles, compte tenu des rappels à ses obligations, par la directrice des ressources humaines le 30 novembre 2000, et antérieurement, par un cadre socio-éducatif de l’établissement lors d’un entretien faisant suite à des plaintes de certains patients refusant de la rencontrer en raison de sa tenue vestimentaire.

43.  Selon le Gouvernement, l’interdiction pour un agent public de manifester ses croyances religieuses est motivée par la sauvegarde du principe constitutionnel de laïcité autour duquel la République française s’est construite. Comme l’a déjà admis la Cour, la neutralité imposée par un État à ses agents poursuit ainsi le but légitime de protection des droits et libertés d’autrui (Dahlab c. Suisse (déc.), no 42393/98, CEDH 2001-V).

44.  Le Gouvernement soutient que le non-renouvellement du contrat de la requérante était nécessaire dans une société démocratique. Le principe de neutralité des services publics impose que l’agent ne puisse porter aucun signe religieux, quel qu’il soit, même s’il ne se livre à aucun acte de prosélytisme. Il se réfère à cet égard à la jurisprudence de la Cour relative aux membres de la fonction publique quant à leur obligation de discrétion et à leur tenue vestimentaire (Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, § 53, série A no 323 ; Kurtulmuş c. Turquie (déc.), no 65500/01, CEDH 2006‑II). Il souligne l’importance toute particulière que revêt le principe de neutralité dans les circonstances de l’espèce où il est difficile d’apprécier l’impact qu’un signe extérieur particulièrement visible peut avoir sur la liberté de conscience de patients fragiles et influençables. Le Gouvernement ajoute que certains patients ont expressément refusé de rencontrer la requérante et que cette situation a créé un climat général de tension et de difficultés au sein de l’unité, entraînant pour les collègues de celle-ci, et certains travailleurs sociaux, la gestion de situations délicates. C’est au regard de ce climat général que le CASH a pris la décision litigieuse, après avoir rappelé à la requérante à plusieurs reprises l’obligation de neutralité, et non en raison des compétences de celle-ci, toujours reconnues. Le Gouvernement estime que la décision litigieuse a respecté l’exigence de mise en balance des intérêts en présence ; elle est la conséquence du refus de la requérante de se conformer aux règles applicables à tout agent public dont elle était parfaitement informée et non, comme elle soutient, en raison de ses convictions religieuses. Enfin, si le port du signe religieux par la requérante a été admis par l’établissement hospitalier jusqu’en l’an 2000, cet élément ne saurait priver l’ingérence litigieuse de sa nécessité selon le Gouvernement. Il rappelle qu’« une application moins stricte d’une règle existante en fonction d’un contexte donné ne la prive pas de ses justifications et ne la rend pas juridiquement non contraignante » (Kurtulmuş, décision précitée).

45.  Le Gouvernement soutient enfin que la mesure apparait proportionnée au but poursuivi. Il souligne qu’en droit français, il n’y a aucun droit pour un agent public non titulaire au renouvellement de son contrat. L’autorité publique apprécie librement l’opportunité de renouvellement et seul un motif fondé sur la manière de servir de l’agent ou sur l’intérêt du service peut justifier le refus de renouvellement. En l’espèce, et comme l’ont relevé les juridictions nationales, c’est bien dans l’intérêt du service que la décision de non-renouvellement a été prise et cette décision n’est manifestement pas disproportionnée. Le Gouvernement conclut que l’ingérence était justifiée dans son principe et proportionnée à l’objectif visé.

2.  Appréciation de la Cour

46.  À titre liminaire, la Cour observe que le CASH a toujours employé le mot « coiffe » pour désigner la tenue de la requérante. Celle-ci a produit devant la Cour une photo d’elle entourée de ses collègues de service sur laquelle elle apparaît vêtue d’une coiffe qui couvre ses cheveux, sa nuque et ses oreilles, et son visage est complètement apparent. Ce couvre-chef qui s’apparente à un foulard ou à un voile islamique a été majoritairement qualifié par les juridictions nationales saisies du litige de voile, et c’est cette dernière dénomination que la Cour utilisera pour l’examen du grief de la requérante.

a)  Sur l’existence d’une ingérence

47.  La Cour relève que le non-renouvellement du contrat de la requérante est motivé par son refus d’enlever son voile qui, bien que non désigné ainsi par l’administration, était l’expression non contestée de son appartenance à la religion musulmane. La Cour n’a pas de raison de douter que le port de ce voile constituait une « manifestation » d’une conviction religieuse sincère protégée par l’article 9 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Leyla Şahin, précité, § 78, Bayatyan c. Arménie [GC], no 23459/03, § 111, CEDH 2011, Eweida et autres c. Royaume-Uni, nos 48420/10 et 3 autres, §§ 82, 89 et 97, CEDH 2013). C’est à l’État, en tant qu’employeur de la requérante, que doit être imputé la décision de ne pas renouveler son contrat et d’engager une procédure disciplinaire contre elle. Cette mesure doit en conséquence s’analyser comme une ingérence dans son droit à la liberté de manifester sa religion ou sa conviction tel qu’il se trouve garanti par l’article 9 de la Convention (Eweida et autres, précité, §§ 83-84 et 97).

b)  Sur la justification de l’ingérence

i.  Prévue par la loi

48.  Les mots « prévue par la loi » veulent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée, qui de surcroît doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle, et sa compatibilité avec la prééminence du droit. Cette expression implique donc notamment que la législation interne doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à recourir à des mesures affectant leurs droits protégés par la Convention. D’après la jurisprudence constante de la Cour, la notion de « loi » doit être entendue dans son acception « matérielle » et non « formelle ». En conséquence, elle y inclut l’ensemble constitué par le droit écrit, y compris les textes de rang infralégislatif, ainsi que la jurisprudence qui l’interprète (Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 117, CEDH 2014, Dogru, précité, § 52).

49.  En l’espèce, la requérante souligne l’absence de textes dans la législation française, à la date du 11 décembre 2000, visant à interdire le port de signes religieux. Elle estime que l’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000 ne concernait que les enseignants et que seul celui du 27 novembre 1989 relatif au port de signes d’appartenance à une communauté religieuse dans les établissements scolaires constituait la « loi » applicable (paragraphe 36 ci-dessus). La Cour observe que ce dernier avis ne concerne que le droit reconnu aux élèves de manifester leurs croyances religieuses et qu’il ne traite pas de la situation des agents du service public.

50.  La Cour constate que l’article 1er de la Constitution française dispose notamment que la France est une République laïque, qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens. Elle observe que, dans le droit de l’État défendeur, cette disposition constitutionnelle établit le fondement du devoir de neutralité et d’impartialité de l’État à l’égard de toutes les croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci et qu’elle est interprétée et lue conjointement avec l’application qu’en ont fait les juridictions nationales. À cet égard, la Cour retient qu’il ressort de la jurisprudence administrative que la neutralité des services publics constitue un élément de la laïcité de l’État et que, dès 1950, le Conseil d’État a affirmé le « devoir de stricte neutralité qui s’impose à tout agent », notamment dans le domaine de l’enseignement (paragraphes 26-27 ci-dessus). Par ailleurs, elle relève que le Conseil Constitutionnel a souligné que le principe de neutralité, qui a pour corollaire celui d’égalité, constitue un principe fondamental du service public (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour en déduit que la jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel constituaient une base légale suffisamment sérieuse pour permettre aux autorités nationales de restreindre la liberté religieuse de la requérante.

51.  La Cour reconnaît néanmoins que le contenu de l’obligation de neutralité ainsi affirmée, même s’il était de nature à mettre en garde la requérante, ne comportait pas de mention ou d’application se référant explicitement à la profession qu’elle exerçait. Elle accepte donc que, lorsqu’elle a pris ses fonctions, la requérante ne pouvait pas prévoir que l’expression de ses convictions religieuses subirait des restrictions. Elle considère cependant qu’à compter de la publication de l’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000, rendu plus de six mois avant la décision de ne pas renouveler son contrat, et dont les termes lui ont été rappelés par l’administration (paragraphe 8 ci-dessus), ces restrictions étaient énoncées avec suffisamment de clarté pour qu’elle prévoie que le refus d’ôter son voile constituait une faute l’exposant à une sanction disciplinaire. Cet avis, bien que répondant spécifiquement à une question portant sur le service public de l’enseignement, indique en effet que le principe de laïcité de l’État et de neutralité des services publics s’applique à l’ensemble des services publics. Il souligne que l’agent doit bénéficier de la liberté de conscience, mais que cette liberté doit se concilier, du point de vue de son expression, avec le principe de neutralité du service, qui fait obstacle au port d’un signe destiné à marquer son appartenance à une religion. En outre, en cas de manquement à cette obligation de neutralité, il précise que les suites à donner sur le plan disciplinaire doivent être appréciées au cas par cas en fonction des circonstances particulières (paragraphe 26 ci-dessus). La Cour constate ainsi que l’avis du 3 mai 2000 détermine clairement les modalités de l’exigence de neutralité religieuse des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions au regard du principe de laïcité et de neutralité, et satisfait à l’exigence de prévisibilité et d’accessibilité de « la loi » au sens de la jurisprudence de la Cour. La mesure critiquée était donc prévue par la loi au sens du paragraphe 2 de l’article 9.

ii.  But légitime

52.  À la différence des parties dans l’affaire Leyla Şahin (précitée, § 99), la requérante et le Gouvernement ne s’accordent pas sur l’objectif de la restriction litigieuse. Le Gouvernement invoque le but légitime de la protection des droits et libertés d’autrui qu’implique le principe constitutionnel de laïcité tandis que la requérante dénie tout incident au cours de l’exercice de ses fonctions qui aurait pu motiver l’ingérence dans son droit à la liberté de manifester ses convictions religieuses.

53.  Eu égard aux circonstances de la cause et au motif retenu pour ne pas renouveler le contrat de la requérante, à savoir l’exigence de neutralité religieuse dans un contexte de vulnérabilité des usagers du service public, la Cour estime que l’ingérence litigieuse poursuivait pour l’essentiel le but légitime qu’est la protection des droits et libertés d’autrui (voir, mutatis mutandis, Leyla Şahin, précité, §§ 99 et 116, Kurtulmuş, précité, Ahmet Arslan et autres c. Turquie, no 41135/98, § 43, 23 février 2010). Il s’agissait en l’espèce de préserver le respect de toutes les croyances religieuses et orientations spirituelles des patients, usagers du service public et destinataires de l’exigence de neutralité imposée à la requérante, en leur assurant une stricte égalité. L’objectif était également de veiller à ce que ces usagers bénéficient d’une égalité de traitement sans distinction de religion. La Cour rappelle à cet égard qu’elle a considéré que la politique d’un employeur visant à promouvoir l’égalité des chances ou à éviter tout comportement discriminatoire à l’égard d’autrui poursuivait le but légitime de protéger les droits d’autrui (voir, mutatis mutandis, le cas de Mme Ladele et celui de M. McFarlane, dans l’arrêt Eweida et autres, précité, §§ 105-106 et 109). Elle rappelle également que la sauvegarde du principe de laïcité constitue un objectif conforme aux valeurs sous-jacentes de la Convention (Leyla Şahin, précité, § 114). Dans ces conditions, la Cour est d’avis que l’interdiction faite à la requérante de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions poursuivait un objectif de protection « des droits et libertés d’autrui » et que cette restriction ne devait pas nécessairement être motivée, en plus, par des contraintes de « sécurité publique » ou de « protection de l’ordre » qui figurent au second paragraphe de l’article 9 de la Convention.

iii.  Nécessaire dans une société démocratique

α)  Principes généraux

54.  S’agissant des principes généraux, la Cour renvoie à l’arrêt Leyla Şahin (précité, §§ 104-111) dans lequel elle a rappelé que si la liberté de conscience et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique » (ibidem, § 104 ; voir, également sur les principes généraux, Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 31, série A no 260‑A) l’article 9 de la Convention ne protège toutefois pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction. Dans une société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même population, il peut se révéler nécessaire d’assortir la liberté de manifester sa religion ou ses convictions de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun. Cela découle à la fois du paragraphe 2 de l’article 9 et des obligations positives qui incombent à l’État en vertu de l’article 1 de la Convention de reconnaître à toute personne relevant de sa juridiction les droits et libertés définis dans la Convention (Leyla Şahin, précité, § 106).

55.  Dans cet arrêt, la Cour a également rappelé qu’à maintes reprises, elle avait mis l’accent sur le rôle de l’État en tant qu’organisateur neutre et impartial de l’exercice des diverses religions, cultes et croyances, et indiqué que ce rôle contribue à assurer l’ordre public, la paix religieuse et la tolérance dans une société démocratique. Ainsi, le devoir de neutralité et d’impartialité de l’État est incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation de la part de celui-ci quant à la légitimité des croyances religieuses ou des modalités d’expression de celles-ci, et la Cour considère que ce devoir impose à l’État de s’assurer que des groupes opposés se tolèrent. Dès lors, le rôle des autorités dans ce cas n’est pas de supprimer la cause des tensions en éliminant le pluralisme, mais de s’assurer que des groupes opposés l’un à l’autre se tolèrent (ibidem, § 107).

56.  Par ailleurs, lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l’État et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. La Cour a souligné que tel était le cas lorsqu’il s’agit de la réglementation du port de symboles religieux dans les établissements d’enseignement, d’autant plus au vu de la diversité des approches nationales quant à cette question. Renvoyant notamment à l’affaire Dahlab précitée, la Cour a précisé qu’il n’était pas possible de discerner à travers l’Europe une conception uniforme de la signification de la religion dans la société et que le sens ou l’impact des actes correspondant à l’expression publique d’une conviction religieuse n’étaient pas les mêmes suivants les époques et les contextes. Elle a observé que la réglementation en la matière pouvait varier par conséquent d’un pays à l’autre en fonction des traditions nationales et des exigences imposées par la protection des droits et liberté d’autrui et le maintien de l’ordre public. Elle en a déduit que le choix quant à l’étendue et aux modalités d’une telle réglementation doit, par la force des choses, être dans une certaine mesure laissé à l’État concerné, puisqu’il dépend du contexte national considéré (Leyla Şahin, précité, § 109).

57.  Dans l’affaire Kurtulmuş précitée, qui concernait l’interdiction faite à une enseignante de l’université d’Istanbul de porter le foulard islamique, la Cour a souligné que les principes rappelés au paragraphe 51 ci-dessus s’appliquent également aux membres de la fonction publique : « s’il apparaît légitime pour l’État de soumettre ces derniers, en raison de leur statut, à une obligation de discrétion dans l’expression publique de leurs convictions religieuses, il s’agit néanmoins d’individus qui, à ce titre, bénéficient de la protection de l’article 9 de la Convention ». Elle a indiqué à cette occasion, en renvoyant aux affaires Leyla Şahin et Dahlab précitées, que, « dans une société démocratique, l’État peut limiter le port du foulard islamique si cela nuit à l’objectif visé de protection des droits et libertés d’autrui et de l’ordre ». Faisant application de ces principes, la Cour a relevé que « les règles relatives à la tenue vestimentaire des fonctionnaires s’imposent de manière égale à tous les fonctionnaires, quelles que soient leurs fonctions et leurs convictions religieuses. Elles impliquent que tout fonctionnaire, représentant de l’État dans l’exercice de ses fonctions, ait une apparence neutre afin de préserver le principe de la laïcité et celui de la neutralité de la fonction publique qui en découle. Selon ces règles, un fonctionnaire doit être nu-tête sur son lieu de travail » (Kurtulmuş, décision précitée). Elle a admis, eu égard notamment à l’importance du principe de laïcité, fondateur de l’État turc, que « l’interdiction de porter le voile était justifiée par les impératifs liés aux principes de neutralité de la fonction publique », et rappelé à cet égard, en se référant à l’arrêt Vogt précité, qu’elle avait admis dans le passé « qu’un État démocratique [puisse être] en droit d’exiger de ses fonctionnaires qu’ils soient loyaux envers les principes constitutionnels sur lesquels il s’appuie ».

58.  Toujours dans le contexte de l’enseignement public, la Cour a mis l’accent sur l’importance du respect de la neutralité de l’État dans le cadre de l’activité d’enseignement dans le primaire public, où les enfants en bas âge sont influençables (Dahlab, précité).

59.  Récemment, dans plusieurs affaires concernant la liberté de religion au travail, la Cour a énoncé que « [v]u l’importance que revêt la liberté de religion dans une société démocratique, la Cour considère que, dès lors qu’il est tiré grief d’une restriction à cette liberté sur le lieu de travail, plutôt que de dire que la possibilité de changer d’emploi exclurait toute ingérence dans l’exercice du droit en question, il vaut mieux apprécier cette possibilité parmi toutes les circonstances mises en balance lorsqu’est examiné le caractère proportionné de la restriction » (Eweida et autres, précité, § 83).

β)  Application au cas d’espèce

60.  La Cour relève d’emblée que, outre le rappel du principe de neutralité des services publics, l’administration a indiqué à la requérante les raisons pour lesquelles ce principe justifiait une application particulière à l’égard d’une assistante sociale dans un service psychiatrique d’un hôpital. L’administration avait identifié les problèmes qu’entraînait son attitude au sein du service concerné et tenté de l’inciter à renoncer à afficher ses convictions religieuses (paragraphe 8 ci-dessus).

61.  La Cour observe que les juridictions nationales ont validé le non-renouvellement du contrat de la requérante en affirmant explicitement que le principe de neutralité des agents s’applique à tous les services publics, et pas seulement à celui de l’enseignement, et qu’il vise à protéger les usagers de tout risque d’influence ou d’atteinte à leur propre liberté de conscience. Le tribunal administratif, dans le jugement du 17 octobre 2002, avait accordé du poids à la fragilité de ces usagers et considéré que l’exigence de neutralité imposée à la requérante était d’autant plus impérative qu’elle était en contact avec des patients se trouvant dans un état de fragilité ou de dépendance (paragraphe 11 ci-dessus).

62.  La Cour observe encore qu’il n’a pas été reproché à la requérante d’actes de pression, de provocation ou de prosélytisme vis-à-vis des patients ou des collègues de l’hôpital. Le port de son voile fut cependant considéré comme une manifestation ostentatoire de sa religion incompatible avec l’espace de neutralité qu’exige un service public. Il a alors été décidé de ne pas renouveler son contrat et d’entamer une procédure disciplinaire contre elle en raison de sa persistance à le porter durant son service.

63.  C’est le principe de laïcité, au sens de l’article 1er de la Constitution française, et le principe de neutralité des services publics qui en découle, qui ont été opposés à la requérante, en raison de la nécessité d’assurer l’égalité de traitement des usagers de l’établissement public qui l’employait et qui exigeait, quels que puissent être ses croyances religieuses ou son genre, qu’elle obéisse au strict devoir de neutralité dans l’exercice de ses fonctions. Il s’agissait, selon les juridictions nationales, d’assurer la neutralité de l’État afin de garantir son caractère laïc et de protéger ainsi les usagers du service, les patients de l’hôpital, de tout risque d’influence ou de partialité, au nom de leur droit à la liberté de conscience (paragraphes 11, 16 et 25 ci-dessus ; voir, également, la formulation retenue par la suite dans la circulaire relative à la laïcité dans les établissements de santé, paragraphe 30 ci-dessus). Il ressort ainsi clairement du dossier que c’est bien l’impératif de la protection des droits et liberté d’autrui, c’est-à-dire le respect de la liberté de religion de tous, et non ses convictions religieuses, qui a fondé la décision litigieuse.

64.  La Cour a déjà admis que les États pouvaient invoquer le principe de laïcité et de neutralité de l’État pour justifier des restrictions au port de signes religieux par des fonctionnaires, en particulier des enseignants exerçant dans des établissements publics (paragraphe 57 ci-dessus). C’est leur statut d’agent public, qui les distingue des simples citoyens qui « ne sont aucunement des représentants de l’État dans l’exercice d’une fonction publique » et qui ne sont pas « soumis, en raison d’un statut officiel, à une obligation de discrétion dans l’expression publique de leurs convictions religieuses » (Ahmet Arslan et autres, précité, § 48), qui leur impose vis-à-vis des élèves une neutralité religieuse. De la même manière, la Cour peut accepter dans les circonstances de l’espèce que l’État qui emploie la requérante au sein d’un hôpital public, dans lequel elle se trouve en contact avec les patients, juge nécessaire qu’elle ne fasse pas état de ses croyances religieuses dans l’exercice de ses fonctions pour garantir l’égalité de traitement des malades. Dans cet esprit, la neutralité du service public hospitalier peut être considérée comme liée à l’attitude de ses agents et exigeant que les patients ne puissent douter de leur impartialité.

65.  Il reste donc à la Cour à vérifier que l’ingérence litigieuse est proportionnée par rapport à ce but. Quant à la marge d’appréciation reconnue à l’État en l’espèce, la Cour observe qu’une majorité d’États au sein du Conseil de l’Europe ne réglementent pas le port de vêtements ou symboles à caractère religieux sur le lieu de travail, y compris pour les fonctionnaires (paragraphe 32 ci-dessus) et que seuls cinq États (sur vingt‑six) dont la France sont recensés comme interdisant totalement le port de signes religieux à leur égard. Toutefois, comme cela a été rappelé (paragraphe 56 ci-dessus), il convient de prendre en compte le contexte national des relations entre l’État et les Églises, qui évolue dans le temps, avec les mutations de la société. Ainsi, la Cour retient que la France a opéré une conciliation entre le principe de neutralité de la puissance publique et la liberté religieuse, déterminant de la sorte l’équilibre que doit ménager l’État entre des intérêts privés et publics concurrents ou différents droits protégés par la Convention (paragraphes 21-28 ci-dessus), ce qui laisse au gouvernement défendeur une ample marge d’appréciation (Leyla Şahin, précité, § 109, Obst c. Allemagne, no 425/03, § 42, 23 septembre 2010). En outre, la Cour a déjà indiqué que dans le milieu hospitalier une large marge d’appréciation doit être accordée aux autorités internes, les responsables hospitaliers étant mieux placés pour prendre des décisions dans leur établissement que le juge ou, qui plus est, un tribunal international (Eweida et autres, précité, § 99).

66.  La question principale qui se pose en l’espèce est donc celle de savoir si l’État a outrepassé sa marge d’appréciation en décidant de ne pas renouveler le contrat de la requérante. À cet égard, la Cour constate qu’en France, les agents du service public bénéficient du droit au respect de leur liberté de conscience qui interdit notamment toute discrimination fondée sur la religion dans l’accès aux fonctions ou dans le déroulement de leur carrière. Cette liberté est spécialement garantie par l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et doit se concilier avec les nécessités du fonctionnement du service (paragraphe 25 ci-dessus). Il leur est cependant interdit de manifester leurs croyances religieuses dans l’exercice de leurs fonctions (paragraphes 25-26 ci-dessus). L’avis du 3 mai 2000 précité énonce ainsi clairement que la liberté de conscience des agents doit se concilier, exclusivement du point de vue de son expression, avec l’obligation de neutralité. La Cour réitère qu’une telle limitation trouve sa source dans le principe de laïcité de l’État, qui, selon le Conseil d’État, « intéresse les relations entre les collectivités publiques et les particuliers » (paragraphe 28 ci-dessus), et de celui de neutralité des services publics, corollaire du principe d’égalité qui régit le fonctionnement de ces services et vise au respect de toutes les convictions.

67.  Or la Cour souligne qu’elle a déjà approuvé une mise en œuvre stricte du principe de laïcité (désormais érigée au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit, paragraphe 24 ci-dessus) et de neutralité lorsqu’il s’agit d’un principe fondateur de l’État, ce qui est le cas de la France (voir, mutatis mutandis, Kurtulmuş, et Dalhab, précités). Le principe de laïcité et de neutralité constitue l’expression d’une règle d’organisation des relations de l’État avec les cultes, qui implique son impartialité à l’égard de toutes les croyances religieuses dans le respect du pluralisme et de la diversité. La Cour estime que le fait que les juridictions nationales ont accordé plus de poids à ce principe et à l’intérêt de l’État qu’à l’intérêt de la requérante de ne pas limiter l’expression de ses croyances religieuses ne pose pas de problème au regard de la Convention (paragraphes 54-55 ci-dessus).

68.  Elle observe à cet égard que l’obligation de neutralité s’applique à l’ensemble des services publics, ainsi que l’ont maintes fois rappelé le Conseil d’État et la Cour de cassation récemment (paragraphes 26-27 ci-dessus), et que le port d’un signe d’appartenance religieuse par les agents dans l’exercice de leurs fonctions constitue, par principe, un manquement à leurs obligations (paragraphes 25-26 ci-dessus). Il ne ressort en effet d’aucun texte ou d’aucune décision du Conseil d’État que l’obligation de neutralité litigieuse pourrait être modulée selon les agents et les fonctions qu’ils exercent (paragraphes 26 et 31 ci-dessus). La Cour est consciente qu’il s’agit d’une obligation stricte qui puise ses racines dans le rapport traditionnel qu’entretiennent la laïcité de l’État et la liberté de conscience, tel qu’il est énoncé à l’article 1er de la Constitution (paragraphe 21 ci-dessus). Selon le modèle français, qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier en tant que tel, la neutralité de l’État s’impose aux agents qui le représentent. La Cour retient toutefois qu’il incombe au juge administratif de veiller à ce que l’administration ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté de conscience des agents publics lorsque la neutralité de l’État est invoquée (paragraphes 26 et 28 ci-dessus).

69.  Dans ce contexte, la Cour observe que les conséquences disciplinaires du refus de la requérante de retirer son voile pendant son service ont été appréciées par l’administration « compte tenu de la nature et du degré de caractère ostentatoire [du] signe, comme des autres circonstances » (paragraphe 26 ci-dessus). L’administration a utilement souligné à ce titre que l’exigence de neutralité requise était impérative compte tenu des contacts qu’elle avait avec les patients (paragraphe 13 ci-dessus). Elle a par ailleurs, en des termes qui auraient mérité d’être plus développés, fait état de difficultés dans le service (paragraphe 8 ci-dessus). Les juges du fond ont, pour leur part, essentiellement retenu la conception française du service public et le caractère ostentatoire du voile pour considérer qu’il n’était pas porté une atteinte excessive à la liberté religieuse de la requérante. Ainsi, si le port d’un signe religieux par la requérante a constitué un manquement fautif à son devoir de neutralité, l’impact de cette tenue dans l’exercice de ses fonctions a été pris en compte pour évaluer la gravité de cette faute et décider de ne pas renouveler son contrat. La Cour constate que l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983 ne donne pas de définition de la faute (paragraphe 41 ci-dessus) et que l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire en la matière. Elle remarque que cette dernière a recueilli des témoignages pour considérer qu’elle disposait d’éléments suffisants pour intenter une procédure disciplinaire contre la requérante (paragraphe 8 ci-dessus). Le juge administratif n’a par ailleurs pas censuré la sanction de non-renouvellement du contrat, la considérant proportionnée à la faute, eu égard au devoir de neutralité des agents publics. La Cour considère que les autorités nationales sont les mieux placées pour apprécier la proportionnalité de la sanction, qui doit être déterminée au regard de l’ensemble des circonstances dans lesquelles un manquement a été constaté, afin de respecter l’article 9 de la Convention.

70.  La Cour relève que la requérante, pour qui il était important de manifester sa religion par le port visible d’un voile en raison de ses convictions religieuses, s’exposait à la lourde conséquence d’une procédure disciplinaire. Cependant, il ne fait pas de doute que, postérieurement à la publication de l’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000, elle savait qu’elle était tenue de se conformer à une obligation de neutralité vestimentaire au cours de l’exercice de ses fonctions (paragraphes 26 et 51 ci-dessus). L’administration le lui a rappelé et lui a demandé de reconsidérer le port de son voile. C’est en raison de son refus de se conformer à cette obligation que la requérante s’est vu notifier le déclenchement de la procédure disciplinaire, indépendamment de ses qualités professionnelles. Elle a alors bénéficié des garanties de la procédure disciplinaire ainsi que des voies de recours devant les juridictions administratives. Elle a par ailleurs renoncé à se présenter au concours d’assistante sociale organisé par le CASH, alors qu’elle était inscrite sur la liste des candidats que cet établissement a dressée en parfaite connaissance de cause (paragraphe 10 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation en constatant l’absence de conciliation possible entre les convictions religieuses de la requérante et l’obligation de ne pas les manifester puis en décidant de faire primer l’exigence de neutralité et d’impartialité de l’État.

71.  Il ressort du rapport annuel 2013-2014 de l’Observatoire de la laïcité, en sa partie « État des lieux concernant la laïcité dans les établissements de santé » (paragraphe 29 ci-dessus), que les différends nés de la manifestation des convictions religieuses de personnes travaillant au sein des services hospitaliers sont appréciés au cas par cas, la conciliation des intérêts en présence étant faite par l’administration dans le souci de trouver des solutions à l’amiable. Cette volonté de conciliation est confirmée par la rareté du contentieux de cette nature porté devant les juridictions, ainsi qu’il ressort de la circulaire de 2005 ou des études récentes sur la laïcité (paragraphes 26 et 30 ci-dessus). Enfin, la Cour observe que l’hôpital est un lieu où il est demandé également aux usagers, qui ont pourtant la liberté d’exprimer leurs convictions religieuses, de contribuer à la mise en œuvre du principe de laïcité en s’abstenant de tout prosélytisme et en respectant l’organisation du service et les impératifs de santé et d’hygiène en particulier (paragraphes 23 et 29-30 ci-dessus) ; en d’autres termes, la réglementation de l’État concerné y fait primer les droits d’autrui, l’égalité de traitement des patients et le fonctionnement du service sur les manifestations des croyances religieuses, ce dont elle prend acte.

72.  Eu égard à tout ce qui précède, la Cour estime que l’ingérence litigieuse peut passer pour proportionnée au but poursuivi. Partant, l’ingérence dans l’exercice par la requérante de sa liberté de manifester sa religion était nécessaire dans une société démocratique, et il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2.  Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9 de la Convention ;

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 novembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Milan BlaškoJosep Casadevall
Greffier adjointPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

–  opinion en partie concordante et en partie dissidente de la juge O’Leary ;

–  opinion dissidente du juge De Gaetano.

J.C.M.
M.B.


OPINION EN PARTIE CONCORDANTE
ET EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE O’LEARY

(Traduction)

En l’espèce, j’ai voté en faveur du constat de non-violation de l’article 9 de la Convention, pour deux raisons. D’une part, la jurisprudence de la Cour relative à l’article 9 – en particulier les pans qui traitent du principe de laïcité et de neutralité dans certains secteurs, principalement dans l’éducation, et dans certains États membres, surtout en France et en Turquie – pourrait être invoquée à l’appui de la conclusion de la majorité selon laquelle l’ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit de manifester sa conviction religieuse sur son lieu de travail était justifiée et proportionnée (partie I). D’autre part, il est clairement établi que les États membres jouissent d’une ample, voire très ample, marge d’appréciation lorsque se trouvent en jeu des questions relatives aux rapports entre l’État et les religions (partie II).

Cela étant, l’appréciation par la majorité de certains aspects de la présente affaire appelle, à mon sens, d’autres observations et réflexions.

I.  L’arrêt Ebrahimian dans le contexte de la jurisprudence existante de la Cour relative à l’article 9

Comme indiqué ci-dessus, la jurisprudence de la Cour citée aux paragraphes 52 à 59 du présent arrêt pourrait être invoquée à l’appui de l’interdiction faite en France aux agents publics d’arborer des symboles religieux.

Toutefois, toutes les affaires citées, à l’exception d’une, avaient pour objet des restrictions au droit d’un individu de manifester sa liberté de religion dans un contexte éducatif. En ce qui concerne les enseignants, la Cour a examiné dans chacune de ces affaires le point de savoir si un juste équilibre avait été ménagé entre, d’une part, le droit des enseignants de manifester leurs convictions religieuses et, d’autre part, le respect de la neutralité de l’enseignement public et la protection des intérêts légitimes des élèves et des étudiants, dans le but d’assurer la cohabitation pacifique d’étudiants de croyances diverses et de protéger ainsi l’ordre public et les croyances d’autrui. Dans ces affaires, le raisonnement de la Cour, lorsqu’elle a conclu à la non-violation ou rejeté les griefs pour défaut manifeste de fondement, était intimement lié au rôle de l’éducation et des enseignants dans la société, à la vulnérabilité relative des élèves et à l’impact ou influence que des symboles religieux pouvaient avoir sur ces derniers[1]. Dans la jurisprudence concernant les élèves, les mêmes préoccupations émergent relativement à la neutralité de l’enseignement public et à la nécessité de protéger des élèves et des étudiants vulnérables facilement influençables contre les pressions et le prosélytisme[2]. Dans une de ces affaires seulement (Kurtulmuş) la Cour s’est exprimée en termes plus larges, ne se limitant apparemment pas aux spécificités du secteur de l’éducation, lorsqu’elle a conclu que l’enseignante requérante avait choisi de devenir fonctionnaire et que les règles relatives à la tenue vestimentaire des fonctionnaires s’imposaient de manière égale à tous les fonctionnaires, quelles que fussent leurs fonctions et leurs convictions religieuses[3].

La seule autre affaire examinée au regard de l’article 9 sur le port de symboles religieux sur le lieu de travail est l’affaire Eweida et autres c. Royaume-Uni[4], qui à la fois est pertinente pour la présente affaire (voir ci-après) et s’en distingue totalement. Elle se différencie de la présente espèce en ce que, concernant Mme Eweida, la première requérante dans ladite affaire, la Cour a conclu à la violation de l’article 9 ; tout en considérant que la volonté de l’employeur du secteur privé de la requérante de protéger sa marque était légitime, elle a estimé que l’ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit était disproportionnée. Quant à Mme Chaplin, la seconde requérante, qui était infirmière dans un hôpital public, l’interdiction qui lui avait été faite d’arborer une croix était motivée par des raisons de santé publique et de sécurité dans un service hospitalier. Dans ces conditions, la Cour n’a pas pu conclure que les mesures en question étaient disproportionnées.

Un aperçu de la jurisprudence existante renferme donc des exemples clairs, dans des affaires dirigées contre la Turquie et la France, où la Cour a tenu compte du principe de laïcité et de neutralité pour justifier des interdictions de porter des symboles religieux. Toutefois, une lecture attentive de ces affaires permet également de constater que ces principes abstraits ont été dans chaque cas traduits dans une forme plus concrète[5] que dans le présent arrêt, avant qu’ils ne puissent être invoqués pour mettre en échec le droit individuel du requérant en question de manifester ses convictions religieuses. En outre, dans toutes ces affaires, et nonobstant l’ample référence aux fonctionnaires dans l’affaire Kurtulmuş, les décisions et arrêts de la Cour sont adaptés au contexte éducatif en jeu.

En tant que tel, le présent arrêt en l’espèce étend au service public de manière générale une jurisprudence auparavant restreinte à un secteur et fondée sur une justification spécifiquement liée à ce secteur et au rôle de l’éducation dans la société. En outre, si l’issue de la présente affaire est dans une certaine mesure limitée – la requérante, employée sur la base d’un contrat à durée déterminée, a découvert que celui-ci n’avait pas été renouvelé en raison de son refus de retirer son foulard – les conséquences de l’arrêt ne le sont pas. Selon l’interprétation donnée à la dernière partie de l’arrêt sur la proportionnalité (partie V), le port ostensible de symboles religieux par les employés des organismes publics français est interdit et conduit à leur licenciement ou au non-renouvellement de leur contrat[6]. Une interdiction générale est donc justifiée au regard du principe de laïcité et de neutralité et jugée proportionnée. Toutefois, l’arrêt ne traite guère de cette extension considérable d’une jurisprudence développée exclusivement dans le domaine de l’éducation.

II.  L’ample marge d’appréciation des États membres et l’article 9

La marge d’appréciation très ample accordée aux États membres dans ce contexte constitue une autre raison, peut-être plus forte encore, de voter pour un constat de non-violation, eu égard aux arrêts récents de la Grande Chambre concernant l’article 9 et à d’autres arrêts plus anciens[7]. Comme le présent arrêt le rappelle, lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l’État et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. Comme nous l’avons vu ci-dessus, tel est notamment le cas lorsqu’il s’agit de la réglementation du port de symboles religieux dans les établissements d’enseignement, d’autant plus au vu de la diversité des approches nationales quant à cette question[8].

À la lumière de cette jurisprudence constante, eu égard au rôle subsidiaire de la Cour et compte tenu de l’importance fondamentale dans la société française des principes invoqués par le Gouvernement, il ne faut pas interpréter la présente opinion séparée comme un déni de la marge d’appréciation de l’État français dans ce domaine. Il n’appartient pas à la Cour, comme le présent arrêt le souligne au paragraphe 68, d’apprécier le modèle français de laïcité en tant que tel.

Cependant, une ample marge d’appréciation va de pair avec un contrôle européen dans les cas où la Convention s’applique, ce qui est clairement le cas en l’espèce, et la marge d’appréciation, aussi ample soit-elle, ne peut suffire à éviter ce contrôle.

III.  Sur le point de savoir si la mesure était « prévue par la loi » à l’époque des faits

En concluant que la restriction apportée aux droits de la requérante était prévue par la loi, le présent arrêt s’appuie sur la Constitution française ainsi que sur la jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, citant en particulier l’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000, qui concernait le port de symboles religieux dans les établissements d’enseignement.

Or, si l’on examine attentivement le cadre législatif et jurisprudentiel présenté aux paragraphes 21 à 31 de l’arrêt, en accordant une attention particulière à la chronologie, il n’est pas certain que l’interdiction en question dans la présente affaire fût accessible et prévisible au sens de la jurisprudence de notre Cour en 1999, lorsque la requérante a été engagée, ou en 2000, lorsque son contrat n’a pas été renouvelé. La loi de 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (mentionnée au paragraphe 25 de l’arrêt) semble vague et floue, tout comme la circulaire de 1995 relative aux droits des patients. Seule une décision pertinente du Conseil d’État antérieure à la date du non-renouvellement du contrat de la requérante est invoquée et encore elle n’est antérieure que de quelques mois[9]. La décision dans cette affaire concernait le port de symboles religieux dans des établissements d’enseignement et renfermait simplement un obiter d’une ligne selon lequel il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre les agents du service public selon qu’ils sont ou non chargés de fonctions d’enseignement. Cependant, dans un avis antérieur de 1989, invoqué par la requérante, le Conseil d’État avait dit que « le port par les élèves de signes par lesquels ils entend[ai]ent manifester leur appartenance à une religion n’[était] pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité »[10]. D’après cet avis du Conseil d’État, des problèmes se posent uniquement si par les conditions dans lesquelles les signes seraient arborés, et en particulier par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, ils constitueraient un acte de pression ou de provocation.

Toutes les autres décisions, circulaires, etc., mentionnées dans ces paragraphes de l’arrêt sont postérieures, dans certains cas de plus d’une décennie, au non-renouvellement du contrat de la requérante. Au paragraphe 25 du présent arrêt, il est confirmé que l’Assemblée nationale n’a adopté qu’en octobre 2015 un projet de loi modifiant la loi de 1983 en vue d’y inscrire une obligation expresse pour les agents publics d’exercer leurs fonctions dans le respect du principe de laïcité en s’abstenant de manifester leur opinion religieuse dans l’exercice de leurs fonctions. Il ressort du paragraphe 30 qu’une circulaire relative à la laïcité dans les établissements de santé n’a été adoptée qu’en 2005[11].

Dans ces circonstances, il est difficile de conclure que lorsque la requérante a signé son contrat avec le CASH, elle aurait pu prévoir que le port du foulard islamique (qu’elle avait de surcroît porté lors de son entretien et pendant plusieurs mois après avoir commencé à travailler sans provoquer aucun commentaire) conduirait à une procédure disciplinaire et, en fait, à son renvoi. Bien sûr, ainsi que la Cour l’a reconnu, le sens ou l’impact des actes correspondant à l’expression publique d’une conviction religieuse ne sont pas les mêmes suivant les époques et les contextes, et la réglementation en la matière peut par conséquent varier d’un pays à l’autre[12]. Toutefois, plus la marge d’appréciation accordée à l’État est large, plus le cadre juridique sur lequel elle se fonde doit être accessible et prévisible. Il n’est pas certain que ce critère fût satisfait en 1999-2000 et le présent arrêt peut être interprété comme appréciant l’exigence de légalité non pas en référence à la loi, telle qu’elle était en vigueur à l’époque, mais en référence à la loi telle qu’elle est en vigueur actuellement, à la suite d’un large débat, incontestablement sensible, durant quinze ans dans la société française.

IV.  Sur le point de savoir si la mesure poursuivait un but légitime

L’affaire en l’espèce représente un autre cas où un État membre invoque un principe abstrait ou des idéaux – celui de neutralité et de laïcité – pour justifier une ingérence dans l’exercice par une requérante du droit individuel de manifester ses convictions religieuses. Si ce droit n’est évidemment pas absolu, l’article 9 § 2 dispose que les restrictions apportées à cette liberté ou à ce droit doivent être « nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publics, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». Le présent arrêt cherche à faire relever le respect du principe de laïcité et de neutralité invoqué par l’État membre du dernier des buts légitimes exhaustivement énumérés à l’article 9 § 2, à savoir la protection des droits et libertés d’autrui. Ici aussi, on pourrait soutenir que l’arrêt se borne à appliquer l’approche déjà développée par la Cour sous l’angle de l’article 9 dans la sphère de l’éducation. Toutefois, ainsi qu’il est souligné ci-dessus, le principe de neutralité et de laïcité dans ces affaires entendait protéger les droits et libertés des élèves et étudiants et était intimement lié aux valeurs que les établissements d’enseignement sont censés enseigner (voir, entre autres, Dahlab, ou Leyla Şahin, § 116, précités). La décision rendue dans l’affaire Kurtulmuş apparaît de nouveau être la seule exception à cette règle.

Dans l’affaire Eweida et autres, la Cour a estimé, en ce qui concerne la première requérante, qu’il avait été accordé trop d’importance au but légitime de l’employeur de protéger une certaine image commerciale dans des circonstances où « aucune atteinte réelle aux intérêts d’autrui n’a[vait] été établie » (Eweida et autres, précité, §§ 94-95). En ce qui concerne la deuxième requérante dans cette affaire, le but très concret et légitime de la protection de la santé et de la sécurité dans un service hospitalier l’a emporté sur le droit individuel de la requérante d’arborer une croix (ibidem, §§ 99-100). En l’espèce, eu égard à la nature et au contexte du travail de la requérante dans un service psychiatrique, le Gouvernement aurait pu invoquer un tel but légitime et concret, expressément prévu par l’article 9 § 2. Au lieu de quoi il a cherché à s’appuyer sur des principes abstraits à l’appui d’une interdiction générale applicable à tous les agents d’organismes publics.

Il n’est pas contesté dans ce contexte que le principe de laïcité et de neutralité est un principe essentiel dont l’importance a déjà été reconnue par la Cour, et à maintes reprises par la Grande Chambre. En France, la neutralité du service public est une valeur constitutionnelle consacrée. Cependant, cette reconnaissance ne dispense pas la Cour de l’obligation découlant de l’article 9 § 2 d’établir si l’interdiction du port de symboles religieux imposée à la requérante était nécessaire pour assurer le respect de ce principe et répondait, dès lors, à un besoin social impérieux. S’agissant de l’appréciation de la proportionnalité par la chambre (voir ci-dessous), il apparaît que le caractère abstrait du principe invoqué pour faire échec au droit découlant de l’article 9 tend également à rendre cette appréciation abstraite. Le risque est donc que toute mesure prise au nom du principe de laïcité et de neutralité et qui n’excède pas la marge d’appréciation d’un État – elle-même très large car ce sont des choix de société qui se trouvent en cause[13] – soit compatible avec la Convention[14].

V.  Sur le point de savoir si la mesure était nécessaire dans une société démocratique

Existe-t-il, en l’espèce, un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et les buts légitimes poursuivis par l’ingérence ?

Aux paragraphes 60 à 71 de l’arrêt, il semble que la majorité combine deux approches très différentes pour apprécier la proportionnalité de l’ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit. D’une part, la majorité procède à une appréciation relativement concrète de la proportionnalité en se fondant sur les fonctions particulières exercées par la requérante (son travail en tant qu’assistante sociale), sur le contexte dans lequel ces fonctions sont exercées (l’intéressée était assistante sociale dans un service psychiatrique) et sur la vulnérabilité et les besoins des patients avec lesquels l’intéressée était en contact (paragraphes 60-61, 64-65 et 69‑70 de l’arrêt). D’autre part, la majorité procède à une appréciation bien plus abstraite de la proportionnalité, ancrée dans la nature très abstraite du principe de laïcité et de neutralité essentiellement invoqué par les autorités nationales et le Gouvernement (paragraphes 63-69 de l’arrêt).

Pour autant que le présent arrêt conclue à la non-violation du droit de la requérante, garanti par l’article 9, de manifester ses convictions religieuses, en s’appuyant sur l’appréciation « fonctionnelle » de la proportionnalité de la mesure litigieuse, j’y souscris sans difficulté. C’est aussi une approche qui s’applique dans le secteur privé en France[15] et que les autorités françaises semblent avoir discutée à un certain moment en ce qui concerne le secteur public mais qu’elles ont par la suite écartée[16].

En revanche, l’appréciation plus abstraite de la proportionnalité qui se trouve au cœur du présent arrêt semble être le résultat inévitable du recours au premier chef à des principes abstraits pour justifier l’ingérence dans l’exercice du droit garanti par l’article 9. D’après la majorité, le fait que les juridictions nationales aient accordé plus de poids au principe de laïcité et de neutralité et à l’intérêt de l’État qu’à celui de la requérante ne soulève aucun problème au regard de la Convention. Les juridictions nationales se sont essentiellement fondées sur la conception française du service public et sur le caractère « ostentatoire » du foulard porté par la requérante pour conclure à l’absence d’ingérence disproportionnée dans le droit de l’intéressée découlant de l’article 9 (paragraphes 67-69 de l’arrêt).

En concluant ainsi, la majorité admet que rien n’indique que la requérante, par son attitude, son comportement ou ses actes, a manqué au principe de laïcité et de neutralité en exerçant des actes de pression, de provocation ou de prosélytisme, en faisant de la propagande ou en portant atteinte aux droits d’autrui[17]. Il y a lieu de noter que le présent arrêt critique aussi l’absence de précision concernant les difficultés, invoquées par l’administration nationale, qui auraient été causées dans le service par le fait que la requérante portait le voile (paragraphe 69 de l’arrêt).

En outre, on n’aperçoit aucune véritable prise en compte des lourdes conséquences (procédures disciplinaires et, en fait, licenciement), fortement soulignées dans l’arrêt Eweida et autres (précité, § 106), que la requérante subirait si, en raison de la force de ses convictions religieuses, elle ne se sentait pas en mesure de retirer le symbole religieux litigieux. Dans l’arrêt Eweida et autres, la Cour a dit, au paragraphe 83, que dans les affaires soulevant un grief sur le terrain de l’article 9, plutôt que de dire que la possibilité de changer d’emploi exclurait toute ingérence, il valait mieux apprécier cette possibilité parmi toutes les circonstances mises en balance lorsqu’était examiné le caractère proportionné de la restriction. Les traces de l’arrêt Eweida et autres et toute considération d’aménagement raisonnable sont quelque peu perdues dans l’arrêt rendu en l’espèce[18].

Il y a lieu de noter aussi que le simple port du foulard est considéré comme une manifestation ostentatoire des convictions religieuses de la requérante, appréciation qui se concilie mal avec la tolérance dont avait fait preuve la Cour, dans le contexte plus sensible de l’enseignement dans l’affaire Lautsi et autres, à l’égard de ce qu’elle avait considéré comme de simples symboles passifs[19].

VI.  Conclusion

Si la Cour ne doit pas perdre de vue son rôle subsidiaire, elle ne peut se dégager de son rôle de supervision en ajustant les termes de l’article 9 § 2, élargissant – par rapport à des principes et idéaux de plus en plus abstraits – la portée des restrictions exhaustivement prévues par cette disposition, et en se dégageant des exigences de proportionnalité.

Il aurait été possible, à mon sens, de parvenir à un constat de non-violation au moyen d’une appréciation plus conforme aux exigences de la Convention tout en assurant un degré de cohérence plus élevé entre les différents aspects de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 9. Une large marge d’appréciation doit s’appuyer sur un cadre juridique qui est à la fois prévisible et accessible. De même, cette marge d’appréciation ne doit pas exonérer les États membres, en premier lieu, et la Cour, dans un deuxième temps, de leur obligation de procéder à une appréciation concrète de la proportionnalité, en particulier lorsque se trouve en jeu une interdiction générale qui porte atteinte aux droits d’un individu, tout en ayant potentiellement des répercussions sur les possibilités d’emploi de toute une communauté.

Lorsque les États membres se fondent sur des notions, principes et idéaux flexibles pour justifier des ingérences dans l’exercice par un individu de sa liberté de manifester sa religion, la Grande Chambre a dit précédemment qu’elle devait procéder à un examen attentif de la restriction contestée (S.A.S c. France, précité, § 122). On peut se demander si la Cour s’est livrée à pareil examen en l’espèce, l’appréciation de la proportionnalité étant, tout à la fois, tant ciblée et fonctionnelle que vague et large.


OPINION DISSIDENTE DU JUGE DE GAETANO

(Traduction)

Ayant eu l’avantage de lire l’opinion séparée de la juge O’Leary, je tiens à préciser que je partage entièrement les préoccupations qu’elle y exprime avec tant d’érudition en ce qui concerne le raisonnement suivi dans l’arrêt.

Toutefois, ces mêmes préoccupations m’amènent inéluctablement à la conclusion qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 9. L’idée maîtresse de l’arrêt est que le principe abstrait de laïcité de l’État exige de soumettre les agents publics à une interdiction générale de porter sur leur lieu de travail un symbole révélant leur conviction religieuse. Ce principe abstrait devient en lui-même et par lui-même un « besoin social impérieux » justifiant l’ingérence dans l’exercice d’un droit fondamental. La tentative de cloisonner l’affaire et d’en limiter la portée aux faits spécifiques applicables à la requérante est, comme le souligne la juge O’Leary, très faible et parfois contradictoire. Le jugement part de et repose sur la fausse (et, j’ajouterai, très dangereuse) hypothèse, qui est exprimée au paragraphe 64 de l’arrêt et selon laquelle les usagers des services publics ne peuvent se voir garantir un service impartial si l’agent public à leur disposition manifeste de quelque façon son appartenance religieuse – alors que très souvent le nom même de l’agent que le public peut voir sur son bureau ou ailleurs permet de déduire de façon relativement certaine l’appartenance religieuse de l’intéressé.

En outre, il semblerait également, en ce qui concerne les agents publics, que le droit français interdise la manifestation subjective de leur conviction religieuse et non le port objectif d’un vêtement particulier ou d’un autre symbole. Une femme peut porter un foulard non pour manifester une conviction religieuse, ou une toute autre conviction, mais pour de multiples raisons. Il en va de même pour un homme qui porte la barbe, ou une personne portant une croix en pendentif. Exiger d’un agent public qu’il « révèle » si ce vêtement constitue ou non une manifestation de sa conviction religieuse ne se concilie pas avec les prétendus avantages dont jouissent les agents publics, comme il est mentionné au paragraphe 66 de l’arrêt.

Les États disposent certes d’une ample marge d’appréciation relativement aux conditions de service des agents publics, mais cette marge n’est pas illimitée. Un principe du droit constitutionnel ou une « tradition » constitutionnelle peuvent aisément finir par être sacralisés, ce qui porterait atteinte à toutes les valeurs qui sous-tendent la Convention, et c’est exactement ce dont le présent arrêt se rapproche dangereusement.


[1].  Voir, selon le cas, Dahlab c. Suisse (déc.), no 42393/98, CEDH 2001‑V, Kurtulmuş c. Turquie (déc.), no 65500/01, CEDH 2006‑II, et Karaduman c. Turquie (déc.), no 41296/04, 3 avril 2007.

[2].  Voir, selon le cas, Köse et autres c. Turquie (déc.), no 26625/02, CEDH 2006‑II, Dogru c. France, no 27058/05, 4 décembre 2008, Kervanci c. France, no 31645/04, 4 décembre 2008, Gamaleddyn c. France (déc.), no 18527/08, 30 juin 2009, Aktas c. France (déc.), no 43563/08, 30 juin 2009, Ranjit Singh c. France (déc.), no 27561/08, 30 juin 2009, Jasvir Singh c. France (déc.), no 25463/08, 30 juin 2009, et Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, CEDH 2005‑XI.

[3].  Voir, pour confirmation de Kurtulmuş, bien que dans un contexte différent, Ahmet Arslan et autres c. Turquie, no 41135/98, § 48, 23 février 2010.

[4].  Eweida et autres c. Royaume-Uni, nos 48420/10 et 3 autres, CEDH 2013.

[5].  Voir la référence, par exemple, dans Leyla Şahin (précité, § 116), aux « valeurs de pluralisme, de respect des droits d’autrui et, en particulier, d’égalité des hommes et des femmes ».

[6].  L’arrêt ne se limite pas non plus aux fonctionnaires, la requérante ayant été simplement employée d’un organisme public et n’ayant pas joui des avantages que confère la fonction publique ni, sans doute, des obligations qu’elle impose. Cet aspect à lui seul distingue la présente affaire de l’affaire S.A.S. c. France ([GC], no 43835/11, CEDH 2014), où le but légitime et la marge d’appréciation reconnue par la Cour étaient également très larges mais où le champ d’application de la législation dénoncée était très étroit.

[7].  Voir, notamment, S.A.S. c. France, précité, et Lautsi et autres c. Italie [GC], no 30814/06, CEDH 2011.

[8].  Voir le paragraphe 56 de l’arrêt et la jurisprudence qui y est citée. Voir, toutefois, l’opinion dissidente jointe à l’arrêt Leyla Şahin, paragraphe 3, sur la question de savoir si l’on peut réellement considérer qu’il existe une « diversité des pratiques nationales » et, donc, une absence de consensus européen. Voir également l’analyse comparative des États membres du Conseil de l’Europe au paragraphe 47 de l’arrêt Eweida et autres.

[9].  Si, quoi qu’il en soit, l’avis du Conseil d’État de 2000 est l’événement essentiel en l’espèce (paragraphe 70 de l’arrêt), on peut se demander pourquoi l’équité n’exigeait pas un délai raisonnable pour que les personnes intéressées puissent en prendre connaissance. Voir, dans le contexte de l’épuisement, Valada Matos das Neves c. Portugal, no 73798/13, § 105, 29 octobre 2015.

[10].  Voir l’avis du Conseil d’État (no 346.893) du 27 novembre 1989, qui concernait des élèves, reproduite au paragraphe 26 de l’arrêt Dogru, précité.

[11].  Voir, a contrario, le cadre juridique très différent décrit aux paragraphes 37, 39, 41 et 120 de l’arrêt Leyla Şahin, précité, ou le cadre juridique français, beaucoup plus clair, en jeu dans l’arrêt Dogru, précité, §§ 17-32.

[12].  Voir, entre autres, Leyla Şahin, précité, § 109.

[13].   S.A.S. c. France, précité, §§ 153-154.

[14].  P. Bosset, « Mainstreaming religious diversity in a secular and egalitarian State: the road(s) not taken in Leyla Şahin v. Turkey » in E. Brems (ed.), Diversity and European Human Rights: Rewriting Judgments of the ECHR, Cambridge University Press, 2013, pp.192-217, p.198.

[15].  Eweida et autres, précité, § 47.

[16].  Voir les observations du commissaire du Gouvernement reproduites au paragraphe 31 de l’arrêt. Il n’est pas inutile de rappeler, incidemment, que la France est membre de l’Union européenne et dès lors soumise à la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16). Cette directive interdit toute discrimination directe et indirecte fondée sur la religion et les convictions. La Cour de justice de l’Union européenne n’a pas encore été saisie d’une demande préjudicielle ou d’un recours en manquement en ce qui concerne le port de symboles religieux sur le lieu de travail. Il reste à voir si elle suivra une approche « fonctionnelle » (comme les termes de l’article 4 § 1 pourraient le suggérer) ou si, sur la base des termes plus larges de l’article 2 § 5 de la directive, qui dans une large mesure se rapproche de l’article 9 § 2 de la Convention, une approche comparable à celle du présent arrêt remplirait les conditions requises. Voir, toutefois, pour des exemples du raisonnement « fonctionnel » adopté par la CJUE en application de cette directive, les arrêts du 12 janvier 2010, Wolf, C-229/08, EU:C:2010:3, et du 13 septembre 2011, Prigge et autres, C-447/09, EU:C:2011:573. La directive s’appliquant à l’emploi tant dans le secteur public que dans le secteur privé français, la jurisprudence de la Cour à cet égard souligne la fragilité éventuelle de l’interdiction de porter des symboles religieux lorsqu’elle est évaluée par rapport au principe de non-discrimination dans le contexte du travail.

[17].  Comparer l’approche adoptée dans la présente affaire avec les paragraphes 94 et 95 de l’arrêt Eweida et autres ou avec la décision du Comité des droits de l’homme des Nations unies dans l’affaire Bikramjit Singh c. France, § 8.7, communication no 1852/2008, d’après laquelle l’État partie n’avait pas donné de preuve convaincante qu’en portant son keski, l’auteur avait représenté une menace pour les droits et libertés des autres élèves ou pour l’ordre au sein de l’établissement scolaire.

[18].  Le rapport annuel 2013-2014 de l’Observatoire de la laïcité mentionne certes des règlements amiables et des conciliations (paragraphe 71 de l’arrêt), mais les faits de l’espèce laissent entrevoir une réalité légèrement différente. Voir également, en ce qui concerne un aménagement raisonnable, l’opinion dissidente jointe à l’arrêt Francesco Sessa c. Italie, no 28790/08, CEDH 2012, et K. Alidadi, « Reasonable Accommodations for Religion and Belief: Adding Value to Article 9 ECHR and the European Union’s Anti-Discrimination Approach to Employment? », European Law Review, 2012, pp. 693-715.

[19].  Lautsi et autres, précité, § 72.



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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE EBRAHIMIAN c. FRANCE, 26 novembre 2015, 64846/11