CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE MOREIRA FERREIRA c. PORTUGAL (N° 2), 11 juillet 2017, 19867/12

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Chronologie de l’affaire

Commentaires7

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CEDH · 23 novembre 2017

Communiqué de presse sur les affaires 76386/11, 76408/11 et 19867/12

 

www.dbfbruxelles.eu · 19 juillet 2017

Saisie d'une requête dirigée contre le Portugal, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a interprété, le 11 juillet dernier, l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme relatif au droit à un procès équitable (Moreira Ferreira c. Portugal n°2, requête n°19867/12). La requérante, ressortissante portugaise, a été condamnée au paiement d'une amende pour menaces et injures. La Cour d'appel a confirmé la condamnation et a considéré qu'il n'y avait pas lieu de procéder à une nouvelle appréciation des faits. La requérante a déposé une requête devant la …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Grande Chambre), 11 juill. 2017, n° 19867/12
Numéro(s) : 19867/12
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2017 (extraits)
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Anđelković c. Serbie, n° 1401/08, § 24, 9 avril 2013
Assanidzé c. Géorgie [GC], n° 71503/01, §§ 202 et 203, CEDH 2004 II
Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, CEDH 2015
Bota c. Roumanie, n° 16382/03, §§ 33 et 34, 4 novembre 2008
Bujniţa c. Moldova, n° 36492/02, § 20, 16 janvier 2007
Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], n° 25358/12, § 210, CEDH 2017
Lyons et autres c. Royaume-Uni (déc.), n° 15227/03, CEDH 2003-IX
Davydov c. Russie, n° 18967/07, § 29, 30 octobre 2014
Del Río Prada c. Espagne [GC], n° 42750/09, §§ 138 et 139, CEDH 2013
Dulaurans c. France, n° 34553/97, §§ 33-34 et 38, 21 mars 2000
Egmez c. Chypre, (déc.), n° 12214/07, 18 septembre 2012
Emre c. Suisse (n° 2), n° 5056/10, 11 octobre 2011
Fischer c. Autriche (déc.), n° 27569/02, CEDH 2003-VI
García Ruiz c. Espagne [GC], n° 30544/96, § 26, CEDH 1999 I
Giuran c. Roumanie, n° 24360/04, § 39, CEDH 2011 (extraits)
Henryk Urban et Ryszard Urban c. Pologne, n° 23614/08, § 66, 30 novembre 2010
Higgins et autres c. France, 19 février 1998, §§ 42-43, Recueil des arrêts et décisions 1998 I
Jeronovičs c. Lettonie [GC], n° 44898/10, § 118, CEDH 2016
Khamidov c. Russie, n° 72118/01, § 170, 15 novembre 2007
Lenskaïa c. Russie, n° 28730/03, §§ 39 et 40, 29 janvier 2009
Lhermitte c. Belgique [GC], n° 34238/09, §§ 66 et 67, CEDH 2016
Maresti c. Croatie, n° 55759/07, §§ 25 et 28, 25 juin 2009
Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, § 40, CEDH 2002 VII
Monnell et Morris c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 54, série A n° 115
Nikitine c. Russie, n° 50178/99, §§ 55-57, CEDH 2004 VIII
Öcalan c. Turquie (déc.), n° 5980/07, 6 juillet 2010
Öcalan c. Turquie, [GC], n° 46221/99, § 210, CEDH 2005 IV
Pavlović et autres c. Croatie, n° 13274/11, § 49, 2 avril 2015
Radchikov c. Russie, n° 65582/01, § 48, 24 mai 2007
Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29-30, série A n° 303 A
Savinski c. Ukraine, n° 6965/02, § 25, 28 février 2006
Sejdovic c. Italie, [GC], n° 56581/00, CEDH 2006 II
Ştefan c. Roumanie, n° 28319/03, § 18, 6 avril 2010
Tsanova-Gecheva c. Bulgarie, n° 43800/12, § 91, 15 septembre 2015
Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) ([GC], no 32772/02, CEDH 2009
Yaremenko c. Ukraine (n° 2), n° 66338/09, 30 avril 2015
Références à des textes internationaux :
Recommandation (2000) 2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe concernant la révision ou la réouverture de certains procès dans l’ordre juridique interne à la suite d’arrêts rendus par la Cour
Organisations mentionnées :
  • Comité des Ministres
  • ECHR
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Exception préliminaire rejetée (Article 35-3-a - Ratione materiae) ; Partiellement irrecevable (Article 35-3-a - Ratione materiae) ; Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Accès à un tribunal ; Accusation en matière pénale ; Procès équitable)
Identifiant HUDOC : 001-175647
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2017:0711JUD001986712
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Sur les parties

Texte intégral

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE MOREIRA FERREIRA c. PORTUGAL (No 2)

(Requête no 19867/12)

ARRÊT

STRASBOURG

11 juillet 2017

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Moreira Ferreira c. Portugal (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
Angelika Nußberger,
Luis López Guerra,
András Sajó,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Nona Tsotsoria,
Vincent A. De Gaetano,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller,
Paul Mahoney,
Krzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović,
Egidijus Kūris,
Jon Fridrik Kjølbro,
Síofra O’Leary,
Marko Bošnjak, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er juin 2016 et le 5 avril 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 19867/12) dirigée contre la République portugaise et dont une ressortissante de cet État, Mme Francelina Moreira Ferreira (« la requérante »), a saisi la Cour le 30 mars 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représentée par Me  J.J.F. Alves, avocat à Matosinhos. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme Maria de Fátima da Graça Carvalho.

3.  Invoquant notamment les articles 6 et 46 de la Convention, la requérante se plaint du rejet de sa demande de révision d’un jugement pénal prononcé à son encontre.

4.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 1er avril 2014, la présidente de la section a décidé, en vertu de l’article 54 § 2 b) du règlement, de communiquer les griefs susmentionnés au gouvernement défendeur. La requête a été déclarée irrecevable pour le surplus, en vertu l’article 54 § 3 du règlement.

5.  À la suite d’un changement dans la composition des sections de la Cour (article 25 § 1 du règlement), l’affaire a été attribuée à la quatrième section (article 52 § 1 du règlement).

6.  Le 12 janvier 2016, une chambre de cette section, composée d’András Sajó, président, de Vincent A. De Gaetano, Boštjan M. Zupančič, Nona Tsotsoria, Paulo Pinto de Albuquerque, Krzysztof Wojtyczek, Egidijus Kūris, juges, ainsi que de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).

7.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

8.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

9.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 1er juin 2016 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

(a)  pour le Gouvernement
Mme M. de Fátima da Graça Carvalho, agente,
M. J. Conde Correia, conseiller,
Mme A. Garcia Marques, conseillère ;

(b)  pour la requérante
MeJ.J.F. Alves, avocat.

La Cour a entendu Mme da Graça Carvalho et Me Alves en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par les juges.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

10.  La requérante est née en 1961 et réside à Matosinhos.

A.  Le contexte factuel

11.  À la suite d’une altercation avec d’autres personnes, la requérante fut poursuivie pour menaces par le parquet près le tribunal de Matosinhos. Un rapport d’expertise fut produit au cours de l’instruction. Il indiquait que la requérante disposait de capacités intellectuelles et cognitives diminuées, mais qu’elle devait être tenue pour pénalement responsable de ses actes.

12.  Par un jugement du 23 mars 2007, le tribunal de Matosinhos exclut la thèse de la responsabilité pénale diminuée défendue par la requérante et condamna celle-ci à 320 jours-amende, soit 640 euros (EUR) au total, pour menaces et injures, et au paiement aux victimes d’une somme au titre des dommages et intérêts.

13.  Le 13 avril 2007, la requérante fit appel du jugement devant la cour d’appel de Porto (« la cour d’appel »). Elle répéta qu’elle n’avait pas eu conscience du caractère illicite de ses actes et demandait à être reconnue pénalement irresponsable compte tenu des troubles psychiatriques dont elle se disait atteinte. Par conséquent, elle demandait une nouvelle appréciation des faits et la tenue d’une audience au cours de laquelle elle souhaitait être entendue.

14.  Le 12 décembre 2007, la cour d’appel tint une audience en présence de l’agent du ministère public et du conseil de la requérante. Cette dernière ne fut toutefois pas entendue.

15.  Par un arrêt définitif du 19 décembre 2007, la cour d’appel confirma la condamnation de la requérante pour menaces et injures, mais réduisit la peine à 265 jours-amende, soit 530 EUR au total. Elle considéra qu’il n’y avait pas lieu de procéder à une nouvelle appréciation des faits au motif que la requérante n’avait pas réussi à mettre en cause la validité de l’appréciation faite par le tribunal de première instance.

16.  La requérante régla l’amende en plusieurs tranches.

17.  À l’audience devant la Cour, il a été indiqué qu’au cours du mois de janvier 2016, soit cinq ans après le règlement de la totalité de l’amende, la mention de la condamnation de la requérante avait été rayée de son casier judiciaire.

B.  La requête no 19808/08 et l’arrêt rendu par la Cour le 5 juillet 2011

18.  Le 15 avril 2008, la requérante saisit la Cour d’une requête dans laquelle elle se plaignait de ne pas avoir été personnellement entendue par la cour d’appel, et ce en violation, selon elle, de l’article 6 § 1 de la Convention.

19.  Par un arrêt du 5 juillet 2011, la Cour déclara recevable le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et conclut en ces termes à la violation de cette disposition :

« (...)

33.  La Cour note que, dans la présente affaire, la cour d’appel se trouvait saisie de plusieurs questions relatives aux faits de l’espèce et à la personne de la requérante. Cette dernière soulevait notamment la question, comme elle l’avait déjà fait devant le tribunal de première instance, de savoir si sa responsabilité pénale devait être tenue pour diminuée, ce qui aurait pu avoir une influence importante sur la détermination de la peine.

34.  Aux yeux de la Cour, il s’agissait là d’une question que la cour d’appel ne pouvait résoudre sans une appréciation directe du témoignage personnel de la requérante, d’autant que le jugement du tribunal de Matosinhos s’écartait quelque peu des conclusions de l’expertise psychiatrique, sans toutefois énoncer les motifs d’une telle divergence comme l’exige la loi interne (...). Le réexamen, par la cour d’appel, de cette question aurait donc dû comporter une nouvelle audition intégrale de la requérante (...).

35.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’une audience publique devant la juridiction d’appel était nécessaire en l’espèce. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. »

20.  S’agissant des dommages matériel et moral réclamés au titre de l’article 41 de la Convention, la Cour s’exprima ainsi :

« 41.  La Cour estime d’abord que, lorsque, comme en l’espèce, un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée. À cet égard, elle note que l’article 449 du code de procédure pénale portugais permet la révision d’un procès sur le plan interne lorsque la Cour a constaté la violation des droits et libertés fondamentaux de l’intéressé. Cependant, les mesures de réparation spécifiques à prendre, le cas échéant, par un État défendeur pour s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention dépendent nécessairement des circonstances de la cause et doivent être définies à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire concernée (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV, et Panasenko c. Portugal, no 10418/03, § 78, 22 juillet 2008). En l’espèce, seul le défaut d’audition de la requérante par la cour d’appel est en cause.

42.  La Cour relève ensuite que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que la requérante n’a pu jouir des garanties de l’article 6. À cet égard, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En effet, la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel la cour d’appel aurait abouti si elle avait entendu la requérante au cours d’une audience publique (Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 51, 10 mars 2009). En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à l’intéressée 2 400 EUR pour préjudice moral. »

C.  La procédure d’exécution de l’arrêt du 5 juillet 2011 devant le Comité des Ministres

21.  Le 5 juillet 2012, le Gouvernement portugais présenta au Comité des Ministres un plan d’action relatif à l’exécution de l’arrêt de la Cour du 5 juillet 2011. Il confirma que l’indemnité octroyée à la requérante lui avait été versée le 14 décembre 2011. S’agissant des mesures générales, il indiqua que la Présidence du Conseil de Ministres avait proposé la modification du code de procédure pénale afin qu’une audience puisse avoir lieu devant toute juridiction d’appel chargée de se prononcer sur la culpabilité ou la peine infligée à un accusé.

22.  À l’audience devant la Cour, il a été indiqué que, faute d’approbation, la proposition susmentionnée n’avait finalement pas été incluse dans la version finale de la réforme du code de procédure pénale (« le CPP »).

23.  À la date de l’adoption du présent arrêt, aucun projet de réforme du code de procédure pénale n’était à l’ordre du jour des autorités internes. La procédure de surveillance de l’exécution de l’arrêt du 5 juillet 2011 était toujours pendante devant le Comité des Ministres.

D.  Le recours en révision formé par la requérante

24.  Parallèlement, le 18 octobre 2011, se prévalant de l’article 449 § 1 g) du CPP, la requérante avait saisi la Cour suprême d’un recours en révision. Elle soutenait que l’arrêt de la cour d’appel du 19 décembre 2007 était inconciliable avec l’arrêt de la Cour du 5 juillet 2011.

25.  Le ministère public demanda l’admission du recours au motif qu’il pouvait légitimement exister des doutes sérieux sur la condamnation et surtout sur la peine fixée.

26.  Par un arrêt du 21 mars 2012, la Cour suprême n’autorisa pas la révision. Elle estimait qu’il n’y avait pas lieu à révision car l’arrêt de condamnation rendu par la cour d’appel n’était pas inconciliable avec l’arrêt de la Cour. Elle considéra que l’absence d’audition de la requérante par la cour d’appel constituait une irrégularité procédurale non susceptible de révision. Elle s’exprima comme suit :

« (...) le recours en révision est limité, selon notre loi interne, aux jugements (notamment « condamnatoires ») et ne concerne pas les ordonnances d’orientation procédurale, étant entendu qu’un (...) jugement se définit par tout acte par lequel un juge statue sur une affaire ou sur un incident de procédure (article 156 § 2 du code de procédure civile).

Cependant, au regard de la loi nationale, la révision du jugement ne peut être autorisée sur le fondement invoqué par la requérante car la condamnation n’est pas inconciliable avec l’arrêt de la CEDH (article 449 § 1 g) du CPP). En revanche, la procédure suivie par la cour d’appel pour la tenue de l’audience à l’issue de laquelle il a été statué sur le recours est inconciliable avec celle que la CEDH a considérée comme indispensable pour garantir les droits de la défense.

En droit national, lorsque la comparution de l’accusé est exigée par la loi, son absence constitue une nullité irrémédiable (article 119 c) du CPP).

Or, même irrémédiable, une nullité ne peut donner lieu à un recours extraordinaire en révision du jugement (...).

Par ailleurs, comme la CEDH le note, il n’est pas permis de spéculer sur ce qu’aurait été la décision de la cour d’appel si la personne condamnée avait été entendue à l’audience à l’issue de laquelle il a été statué sur le recours, et notamment sur la question de savoir si la peine aurait été celle qui a été prononcée ou bien une autre.

La CEDH a ainsi exclu d’emblée que sa décision pût susciter des doutes sérieux sur la condamnation, indépendamment de la peine qui avait été effectivement infligée.

En résumé, la condamnation n’est pas inconciliable avec la décision contraignante de la CEDH et sa justesse n’est sujette à aucun doute sérieux.

C’est pourquoi, consciente qu’il n’est pas toujours possible d’obtenir un nouveau procès ou la réouverture du procès eu égard au droit national applicable, comme en l’espèce, la CEDH a décidé d’obliger l’État portugais à dédommager la requérante pour préjudice moral, et à réparer ainsi non pas l’injustice de la condamnation, qui en l’occurrence ne se vérifie pas, mais une faute grave dans le déroulement de la procédure qui a porté atteinte aux droits de la défense de l’intéressée (...)

Pour les raisons susmentionnées, le motif invoqué par la requérante à l’appui de sa demande d’autorisation de révision ne se vérifie pas.

Par conséquent, les juges de la Section criminelle de la Cour suprême décident de ne pas autoriser la révision. »

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  Le recours en révision

27.  La loi no 48/2007 du 29 août 2007 portant modification du code de procédure pénale (CPP) a consacré, à l’alinéa g) de son article 449 § 1, un nouveau fondement de recours en révision d’un jugement définitif. Cette disposition se lit ainsi:

Article 449 (motifs du recours en révision)

« 1.  Un jugement ayant acquis force de chose jugée peut être révisé pour les motifs suivants :

a)  un jugement définitif a établi que les éléments de preuve qui fondaient la condamnation étaient invalides ;

b)  l’un des juges ou des jurés qui avaient participé à la procédure close par le jugement ayant acquis force de chose jugée a été condamné définitivement pour une infraction liée à l’exercice de ses fonctions ;

c)  les faits à l’origine de la condamnation sont inconciliables avec les faits établis par un autre jugement lorsque cette contradiction fait naître des doutes sérieux sur la justesse de la condamnation ;

d)  après le jugement définitif, de nouveaux éléments de preuve qui jettent un doute sérieux sur la justesse de la condamnation, sont découverts ;

e)  la condamnation a été fondée sur des preuves obtenues illégalement ;

f)  la Cour constitutionnelle déclare inconstitutionnelle une norme sur laquelle la condamnation était fondée ;

g)  la condamnation est inconciliable avec un jugement contraignant pour l’État portugais prononcé par une instance internationale ou ce jugement fait naître des doutes sérieux sur la justesse de la condamnation en question.

2.  Aux fins du paragraphe précédent, toute décision mettant fin aux poursuites est assimilée à un jugement.

3.  En application du paragraphe 1 d), la demande de révision est irrecevable si son seul but est la modification de la peine.

4.  La demande de révision est recevable même en cas de fin des poursuites, d’exécution complète de la peine ou de l’intervention de la prescription. »

28.  Dans un arrêt du 27 mai 2009 (procédure interne no 55/01.OTBEPS‑A.S1), la Cour suprême a considéré que le nouveau fondement – prévu par l’article 449 § 1 g) du CPP – pour la révision d’un jugement définitif devait être interprété de façon restrictive. À la lumière de la recommandation no R (2000) 2 du Comité des Ministres, elle a dit que, la réouverture de la procédure était indispensable « lorsqu’une  décision de la Cour européenne des droits de l’homme avait conclu qu’un jugement interne était contraire à la Convention ou lorsque les erreurs ou les manquements dans la procédure étaient d’une gravité telle qu’ils avaient fait naître des doutes sérieux sur la décision (fortes dúvidas sobre a decisão) adoptée à l’issue de celle-ci, et, simultanément, lorsque la partie lésée continuait de subir les conséquences négatives très graves de la décision nationale, que celles-ci ne pouvaient être réparées par la satisfaction équitable allouée par la Cour et que la restitutio in integrum ne pouvait être réalisée que par le biais du réexamen ou de la réouverture de la procédure ».

Dans une opinion séparée, l’un des juges du collège de trois juges ayant examiné la demande de révision considéra, tout en étant d’accord avec la décision, que la Cour suprême avait interprété de façon trop restrictive l’article 449 § 1 g). Ce juge s’exprima ainsi :

« A mes yeux, le nouvel alinéa g) de l’article 449 § 1 du CPP a introduit un mécanisme d’exécution des jugements rendus par des tribunaux internationaux dont l’État portugais a reconnu le caractère contraignant ;  lorsqu’elle est appelée à examiner une demande en révision, la Cour suprême doit se limiter à vérifier l’existence de la condition formelle mentionnée [à l’article 449 § 1 g)] : l’existence d’un jugement d’une instance internationale contraignant pour l’État portugais inconciliable avec la condamnation ou faisant naître des doutes sérieux sur la justesse de cette dernière. A ce stade de la procédure, il incombe uniquement à la Cour suprême – je le rappelle – de vérifier si cette condition formelle d’ouverture de la révision existe. Il incombera à l’instance chargée de la révision de rendre un nouveau jugement (articles 460 et suivants du CPP), lequel devra exécuter la décision de la Cour européenne des droits de l’homme. »

29.  Dans cet arrêt, la Cour suprême a fait droit à une demande de réouverture d’une procédure pénale à l’issue de laquelle un journaliste avait été condamné pour violation du secret judiciaire (segredo de justiça), en tenant compte de ce que la Cour, dans l’affaire Campos Dâmaso c. Portugal (no 17107/05, 24 avril 2008), avait jugé que cette condamnation portait atteinte au droit de ce dernier découlant de l’article 10 de la Convention.

30.  La Cour suprême a fait droit à trois demandes de révision fondées sur l’article 449 § 1 g) du CPP relatives à des condamnations pour diffamation jugées contraires à l’article 10 de la Convention par la Cour :

–  dans son arrêt du 23 avril 2009 (procédure interne no 104/02.5TACTB-A.S1), qui concernait la condamnation pénale pour diffamation de l’auteur d’un livre, la Cour suprême a considéré que cette condamnation était inconciliable avec l’arrêt prononcé par la Cour dans l’affaire Azevedo c. Portugal (no 20620/04, 27 mars 2008) ;

–  dans son arrêt du 15 novembre 2012 (procédure interne no 23/04.0GDSCD-B.S1) qui portait sur une condamnation pour diffamation, la Cour suprême a jugé cette condamnation inconciliable avec l’arrêt prononcé par la Cour dans l’affaire alves da Silva c. Portugal (no 41665/07, 20 octobre 2009) ;

–  dans son arrêt du 26 mars 2014 (procédure interne no 5918/06.4TDPRT.P1) concernant la réouverture d’une procédure pénale qui avait abouti à la condamnation de l’auteur d’un livre à une amende pour diffamation, la Cour suprême a estimé que ce jugement était inconciliable avec l’arrêt prononcé par la Cour dans l’affaire Sampaio e Paiva de Melo c. Portugal (no 33287/10, 23 juillet 2013). Elle a notamment considéré que la procédure de révision ne tendait pas au réexamen d’un jugement déjà rendu, mais qu’elle visait plutôt au prononcé d’une nouvelle décision fondée sur un réexamen de l’affaire basé sur des éléments de faits nouveaux.

B.  Les autres dispositions pertinentes

31.  Au moment des faits, les autres dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisaient ainsi :

Article 119 (nullités irrémédiables)

« Les nullités suivantes sont irrémédiables (nulidades insanáveis) et doivent être relevées d’office à tout stade de la procédure, en sus de celles prévues par d’autres dispositions légales :

a)  la méconnaissance des dispositions légales régissant la composition du tribunal ;

b)  la méconnaissance des dispositions légales régissant le rôle du parquet dans la phase des poursuites ;

c)  l’absence de l’accusé ou de son défenseur dans les situations où la loi exige sa comparution ;

d)  l’omission d’étapes obligatoires dans le déroulement de la procédure ;

e)  la méconnaissance des règles de compétence du tribunal (...) ;

f)  des poursuites conduites en suivant les procédures inadéquates. »

Article 122 (effets de la nullité)

« 1.  L’acte dont la nullité est constatée, ainsi que tous les autres actes qui en dépendent, sont invalidés.

2.  Le tribunal qui constate une nullité indique quel acte est invalidé et ordonne, si possible et si nécessaire, la réfection de l’acte. Les frais y associés sont à la charge de la partie à l’origine de l’annulation de l’acte.

3.  Le tribunal qui invalide un acte confirme, si possible, la validité des autres actes de la procédure. »

Article 450 (locus standi)

« La révision d’un jugement peut être demandée par :

a)  le Procureur général ;

(...)

c)  la personne condamnée. »

Article 457 (autorisation de la révision)

« 1.  Si la révision est autorisée, la Cour suprême renvoie l’affaire au tribunal de catégorie et de composition identiques à celui qui a prononcé la décision appelée à être révisée et qui en est le plus proche géographiquement.

2.  Si la personne condamnée purge une peine de prison ou fait l’objet d’une mesure de sûreté, la Cour suprême décide, au regard du sérieux des doutes pesant sur la condamnation, si l’exécution de la peine ou de la mesure doit être suspendue.

3.  Si la suspension est décidée ou si l’exécution de la peine n’a pas encore commencé, la Cour suprême peut ordonner une mesure préventive. »

Article 458 (annulation des décisions inconciliables)

« 1.  Si la révision est autorisée en vertu de l’article 449 § 1 c) en raison de l’existence de décisions inconciliables qui ont abouti à la condamnation de personnes différentes pour les même faits, la Cour suprême annule ces décisions, ordonne un nouveau procès pour l’ensemble des personnes condamnées et renvoie l’affaire devant la juridiction compétente.

2.  En cas de nouveau procès, les affaires sont jointes.

3.  L’annulation de la décision met fin à son exécution. Toutefois, la Cour suprême peut ordonner des mesures préventives à l’encontre des personnes qui font l’objet d’un nouveau procès. »

Article 460 (nouveau procès)

« 1.  Après la mise en état du dossier, la date de l’audience est fixée et la procédure suit les règles de droit commun.

2.  Si la révision est autorisée en vertu de l’article 449 § 1 a) ou b), les personnes condamnées ou poursuivies pour des faits qui ont été déterminants pour l’issue de la procédure rouverte ne sont pas autorisées à intervenir dans le nouveau procès. »

III.  LA RECOMMANDATION No R (2000) 2 DU COMITÉ DES MINISTRES

32.  Dans sa Recommandation no R (2000) 2, adoptée le 19 janvier 2000 lors de la 694e réunion des Délégués des Ministres, le Comité des Ministres a indiqué qu’il se dégageait de la pratique relative au contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour qu’il existait des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le réexamen d’une affaire ou la réouverture d’une procédure se révélait être le moyen le plus efficace, voire le seul, de réaliser la restitutio in integrum. Il a donc invité les États à instaurer des mécanismes de réexamen pour les affaires concernées par des constats de violation de la Convention formulés par la Cour, en particulier lorsque :

« i.  la partie lésée continue de souffrir des conséquences négatives très graves à la suite de la décision nationale, conséquences qui ne peuvent être compensées par la satisfaction équitable et qui ne peuvent être modifiées que par le réexamen ou la réouverture, et

ii.  il résulte de l’arrêt de la Cour que :

a.  la décision interne attaquée est contraire sur le fond à la Convention, ou

b.  la violation constatée est causée par des erreurs ou défaillances de procédure d’une gravité telle qu’un doute sérieux est jeté sur le résultat de la procédure interne attaquée. »

33.  L’exposé des motifs présente ensuite des commentaires plus généraux sur des questions qui n’ont pas été abordées explicitement dans la recommandation. Concernant les affaires qui répondent aux critères susmentionnés, il est fait état de ce qui suit :

« 12.  (...) le sous-paragraphe (ii) indique le genre de violations qui nécessitent particulièrement le réexamen ou la réouverture de l’affaire. Des exemples de situations visées sous le point (a) sont les condamnations pénales violant l’article 10, du fait que les déclarations que les autorités nationales qualifient comme criminelles constituent l’exercice légitime de la liberté d’expression de la partie lésée, ou violant l’article 9 parce que les actions de la partie lésée qui ont été qualifiées comme criminelles constituent un exercice légitime de la liberté de religion. Comme illustration des situations visées sous le point (b), on peut mentionner le cas où la partie lésée n’a pas eu le temps ou les facilités pour préparer sa défense dans des procédures pénales, ou bien le cas où la condamnation se fonde sur des déclarations extorquées sous la torture ou sur la base de moyens que la partie lésée n’a jamais eu la possibilité de vérifier; ou encore, dans des procédures civiles, on peut mentionner le cas où les parties n’ont pas été traitées dans le respect du principe de l’égalité des armes. Comme le texte de la recommandation le signale, ces défaillances doivent être d’une gravité telle qu’un doute sérieux est jeté sur le résultat des procédures internes. »

IV.  LE DROIT ET LA PRATIQUE AU SEIN DES ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L’EUROPE

34.  Une étude comparative de la législation et de la pratique de quarante-trois États membres du Conseil de l’Europe montre que bon nombre d’entre eux ont mis en place des mécanismes internes permettant de demander, sur la base d’un constat de violation de la Convention formulé par la Cour, la révision ou la réouverture d’une affaire pénale tranchée par une décision de justice définitive.

35.  En particulier, dans une bonne partie de ces États, le code de procédure pénale national habilite expressément tout justiciable en faveur duquel la Cour a rendu un arrêt concluant à la violation de la Convention dans une affaire pénale à demander la révision ou la réouverture de l’affaire sur la base de ce constat. Parmi eux, figurent les États membres suivants : Allemagne, Andorre, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie‑Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, ex‑République yougoslave de Macédoine, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Moldova, Monaco, Monténégro, Norvège, Pays‑Bas, Pologne, République tchèque, Roumanie, Russie, Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suisse, Turquie et Ukraine.

36.  Dans la majorité de ces États, la révision ou la réouverture doivent être demandées devant le juge, mais le niveau de juridiction varie d’un État à l’autre. Dans certains États, c’est la plus haute juridiction qui doit être saisie, c’est-à-dire la Cour suprême (Albanie, Andorre, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Bulgarie, Espagne, Estonie, Grèce, Hongrie, Lituanie, Luxembourg, Moldova, Monaco, Pays-Bas, Pologne, Russie, Suisse) ou la Cour constitutionnelle (République tchèque). Dans d’autres, la révision ou la réouverture de l’affaire doivent être demandées devant la juridiction qui a rendu la décision litigieuse (Croatie, ex‑République yougoslave de Macédoine, Slovénie, Turquie et Ukraine).

37.  Dans certains États membres, la révision ou la réouverture doivent être demandées devant des organes non juridictionnels tels que des commissions indépendantes administratives ou quasi-juridictionnelles (Islande, Norvège et Royaume-Uni), devant le ministre de la Justice (Luxembourg), devant le Premier ministre qui dispose du pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire devant la cour d’appel statuant en matière criminelle (Malte) ou devant le procureur (Lettonie).

38.  En principe, la révision ou la réouverture ne sont pas de droit et la demande doit satisfaire à des critères de recevabilité tels que le respect de délais et des formalités procédurales. Certaines législations nationales prévoient d’autres conditions : il faut par exemple que le demandeur invoque à l’appui de sa demande un motif légal (Allemagne, ex-République yougoslave de Macédoine et Turquie), une nouvelle circonstance (Arménie) ou des faits et des preuves suffisants pour justifier la demande (ex‑République yougoslave de Macédoine et Italie).

39.  Enfin, dans d’autres États membres, la révision ou la réouverture en matière pénale sur la base d’un constat de violation de la Convention formulé par la Cour ne sont pas à ce jour expressément prévues dans les dispositions légales en vigueur (c’est le cas, par exemple, en Albanie, au Danemark, en Islande, en Italie, à Malte, au Royaume-Uni et en Suède). Dans certains de ces États, cette possibilité existe toutefois grâce à une interprétation extensive des dispositions générales relatives à la procédure de la révision (par exemple, en Albanie, au Danemark, en Italie et en Suède). Dans un seul État membre, le Liechtenstein, la révision ou la réouverture des affaires pénales fondée sur un arrêt par la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas possible.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

40.  La requérante se plaint du rejet par la Cour suprême de sa demande de révision du jugement pénal prononcé à son encontre. Elle voit dans l’arrêt de la Cour suprême un « déni de justice » parce que, selon elle, celle-ci a interprété et appliqué de manière erronée les dispositions pertinentes du code de procédure pénale et les conclusions de l’arrêt de la Cour de 2011, la privant ainsi du droit à la révision de sa condamnation. Elle allègue une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A.  Sur la recevabilité

1.  Thèses des parties

41.  Le Gouvernement excipe d’une incompétence ratione materiae de la Cour pour connaître du fond du grief soulevé par la requérante sous l’angle de l’article 6 de la Convention.

42.  D’une part, selon le Gouvernement, la nouvelle requête ne renferme pas de faits nouveaux par rapport à la précédente requête. Elle aurait pour seul objet l’exécution de l’arrêt de la Cour de 2011. L’article 46 ferait donc obstacle à son examen par la Cour.

43.  Le Gouvernement considère, d’autre part, que l’article 6 de la Convention n’est pas applicable à la procédure d’autorisation de la révision de l’arrêt de la cour d’appel du 19 décembre 2007 par la Cour suprême et que, en l’espèce, aucune question de fait ou de droit n’est de nature à donner lieu à un nouvel examen par la Cour sous l’angle de l’article 6 de la Convention.

Pour le Gouvernement, la requérante ne saurait revendiquer le moindre droit à la révision d’une condamnation pénale définitive. Le recours extraordinaire en révision établi par l’article 449 du code de procédure pénale se distinguerait par sa nature, par son étendue et par ses particularités des autres recours ordinaires de droit portugais (l’appel, qui renvoie au tribunal ad quem l’examen de l’ensemble de la cause, et le recours en revista, qui porte sur des questions de droit et exceptionnellement sur des vices graves concernant les faits). Selon les règles de procédure pénale portugaises, la Cour suprême ne serait compétente que pour autoriser ou non la réouverture de la procédure, une éventuelle décision de réouverture entraînant le renvoi du dossier devant le tribunal de première instance.

44.  En l’espèce, la Cour suprême se serait limitée à vérifier, à la lumière du droit interne et des conclusions de la Cour européenne, si les conditions autorisant la réouverture de la procédure étaient remplies. Elle aurait ainsi comparé l’arrêt rendu par la cour d’appel le 19 décembre 2007 à celui rendu par la Cour le 5 juillet 2011 dans le seul but de vérifier s’ils étaient conciliables et si ce dernier arrêt n’avait pas fait naître des doutes sérieux sur la justesse de la condamnation de la requérante.

45.  Pour sa part, la requérante considère que l’arrêt de la Cour suprême du 21 mars 2012 constitue un élément nouveau et que l’article 6 de la Convention était applicable à la procédure suivie dans le cadre de son recours en révision.

2.  Appréciation de la Cour

46.  Dans le cadre de son examen de la recevabilité, la Cour doit répondre en premier lieu à la question de savoir si elle est compétente pour examiner le grief de la requérante sans empiéter sur les prérogatives de l’État défendeur et du Comité des Ministres découlant de l’article 46 de la Convention et, dans l’affirmative, si les garanties de l’article 6 de la Convention s’appliquaient à la procédure en cause.

a)  L’article 46 de la Convention fait-il obstacle à l’examen par la Cour du grief tiré de l’article 6 de la Convention ?

i)  Principes généraux

47.  La Cour rappelle que, dans les arrêts Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, CEDH 2015, et Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) ([GC], no 32772/02, CEDH 2009, ainsi que dans la décision Egmez c. Chypre ((déc.), no 12214/07, §§ 48-56, 18 septembre 2012, elle a examiné la question de la compétence de la Cour eu égard aux prérogatives de l’État défendeur et du Comité des Ministres découlant de l’article 46 de la Convention. Les principes posés par la Cour dans ces arrêts et cette décision peuvent se résumer comme suit :

a)  Un constat de violation dans ses arrêts est essentiellement déclaratoire et, par l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2), précité, § 61).

b)  Le rôle du Comité des Ministres dans ce domaine ne signifie pas pour autant que les mesures prises par un État défendeur en vue de remédier à la violation constatée par la Cour ne puissent pas soulever un problème nouveau, non tranché par l’arrêt et, dès lors, faire l’objet d’une nouvelle requête dont la Cour pourrait avoir à connaître. En d’autres termes, la Cour peut accueillir un grief selon lequel la réouverture d’une procédure au niveau interne, en vue d’exécuter l’un de ses arrêts, a donné lieu à une nouvelle violation de la Convention (ibid., § 62, Bochan (no 2), précité, § 33, et Egmez, décision précitée, § 51).

c)  Sur ce fondement, la Cour s’est dite compétente pour connaître de griefs formulés dans un certain nombre d’affaires faisant suite à des arrêts rendus par elle, par exemple lorsque les autorités internes avaient procédé à un réexamen du dossier dans le cadre de l’exécution de l’un de ses arrêts, que ce soit par la réouverture de l’instance ou par la conduite d’un tout nouveau procès (Egmez, précitée, § 52, et les références cités).

d)  Il ressort de la jurisprudence de la Cour que le constat de l’existence d’un « problème nouveau » dépend dans une large mesure des circonstances particulières de l’affaire et que la distinction n’est pas toujours nette (Bochan (no 2), précité, § 34  et, pour l’examen de cette jurisprudence, décision Egmez précitée, § 54). Il n’y a pas empiètement sur les compétences que le Comité des Ministres tire de l’article 46 – surveiller l’exécution des arrêts de la Cour et apprécier la mise en œuvre des mesures prises par les États au titre de cet article – là où la Cour connaît de faits nouveaux dans le cadre d’une nouvelle requête (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2), précité, § 67).

48.  La Cour rappelle qu’elle n’a pas compétence pour ordonner, en particulier, la réouverture d’une procédure (ibid., § 89). Toutefois, ainsi qu’il ressort de la recommandation No R (2000) 2 du Comité des Ministres, il se dégage de la pratique relative au contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour qu’il existe des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le réexamen d’une affaire ou la réouverture des procédures se révèle être le moyen le plus efficace, voire le seul, de réaliser la restitutio in integrum, à savoir le rétablissement de la partie lésée, dans la mesure du possible, dans la situation où elle se trouvait avant la violation de la Convention. Parmi les affaires concernées par des constats de violation formulés par la Cour, celles qui nécessitent particulièrement le réexamen ou la réouverture concernent, d’après l’exposé des motifs de la recommandation, le domaine du droit pénal (paragraphes 32 et 33 ci-dessus).

49.  Ainsi, s’agissant de la réouverture d’une procédure, il est clair que la Cour n’a pas compétence pour ordonner pareille mesure. Toutefois, lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, la Cour peut indiquer qu’un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2), précité, § 89). Ainsi, dans le contexte spécifique des affaires relatives à l’indépendance et à l’impartialité en Turquie des cours de sûreté de l’État, elle a dit qu’en principe le redressement le plus approprié serait de faire rejuger le requérant par un tribunal indépendant et impartial Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003).

50.  Cette approche a été confirmée dans les arrêts Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, CEDH 2006‑II. Dans ce dernier arrêt, la Cour a posé les principes généraux (§§ 126 et 127), qui peuvent se résumer comme suit :

a)  Lorsqu’un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée. Cependant, les mesures de réparation spécifiques à prendre, le cas échéant, par un État défendeur pour s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention dépendent nécessairement des circonstances particulières de la cause et doivent être définies à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire concernée, compte dûment tenu de la jurisprudence de la Cour.

b)  En particulier, il n’appartient pas à la Cour d’indiquer les modalités et la forme d’un nouveau procès éventuel. L’État défendeur demeure libre de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation de placer le requérant, le plus possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour et avec les droits de la défense.

51.  Dans des cas exceptionnels, la nature même de la violation constatée n’offre pas de choix parmi différentes sortes de mesures susceptibles d’y remédier et la Cour est conduite à indiquer une seule de ces mesures (voir, par exemple, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, §§ 202 et 203, CEDH 2004‑II, et Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, §§ 138 et 139, CEDH 2013). En revanche, dans certains arrêts, la Cour a elle-même explicitement exclu la réouverture, après un constat de violation de l’article 6 de la Convention, des procédures closes par des décisions de justice définitives (voir, par exemple, Henryk Urban et Ryszard Urban c. Pologne, no 23614/08, § 66, 30 novembre 2010).

ii)  Application en l’espèce des principes susmentionnés

52.  Il ressort des principes généraux susmentionnés qu’un constat de violation de l’article 6 de la Convention par la Cour n’impose pas automatiquement une réouverture de la procédure pénale interne. Néanmoins, elle constitue, en principe, un moyen approprié et, souvent, le moyen le plus approprié pour mettre un terme à la violation constatée et d’en effacer les conséquences.

53.  Cette position est confortée par la grande variété des modèles qui régissent en Europe les voies de recours permettant de demander, sur la base d’un constat de violation de la Convention formulé par la Cour, la réouverture d’une affaire pénale tranchée par une décision de justice définitive. À cet égard, la Cour constate qu’il n’existe au sein de la communauté des États contractants aucune approche uniforme quant à la faculté de demander la réouverture d’une procédure close. Elle relève également que, dans la majorité de ces États, la réouverture n’est pas de droit et qu’elle doit satisfaire à des critères de recevabilité dont le contrôle est assuré par les juridictions nationales qui jouissent dans ce domaine d’une plus large marge d’appréciation (paragraphe 34 et suivants ci-dessus).

54.  En l’espèce, la Cour note que la procédure tranchée par la Cour suprême, bien qu’elle s’inscrive incontestablement dans l’exécution de l’arrêt rendu par la Cour en 2011, est nouvelle par rapport à la procédure interne visée par cet arrêt et postérieure à celle-ci. Quant au grief de la requérante, elle constate qu’il est dirigé contre le raisonnement suivi par la Cour suprême pour rejeter la demande de révision. Dès lors, la question de la compatibilité de la procédure d’examen de la demande de révision avec les standards du procès équitable découlant de l’article 6 de la Convention est détachable des aspects liés à l’exécution de l’arrêt rendu par la Cour en 2011 (voir, mutatis mutandis, Bochan (no 2), § 37).

55.  Ainsi, la Cour relève que, dans le cadre de son examen de la demande de révision, la Cour suprême s’est penchée sur une question nouvelle, à savoir l’analyse de la justesse de la condamnation de la requérante à la lumière du constat de violation du droit à un procès équitable. Pour rejeter la thèse de la requérante, qui estimait sa condamnation inconciliable avec les constats opérés par la Cour dans son arrêt de 2011, la Cour suprême a procédé à sa propre interprétation de l’arrêt de la Cour, dont les conclusions étaient, selon elle, conciliables avec l’arrêt de la cour d’appel. Elle a ainsi jugé que le motif à l’appui de la demande de révision, fondée sur l’article 449 § 1 g), article expressément mentionné par la Cour comme permettant la révision, ne se vérifiait pas.

56.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le manque d’équité allégué de la procédure conduite dans le cadre de la demande de révision, et plus précisément les erreurs qui, selon la requérante, ont entaché le raisonnement de la Cour suprême, constituent des éléments nouveaux par rapport au précédent arrêt de la Cour.

57.  La Cour note, par ailleurs, qu’une procédure de surveillance de l’exécution de l’arrêt est à ce jour pendante devant le Comité des Ministres (paragraphe 23 ci-dessus), mais ne l’empêche pas pour autant d’examiner une nouvelle requête dès lors que celle-ci renferme des éléments nouveaux non tranchés dans l’arrêt initial.

58.  Partant, la Cour estime que l’article 46 de la Convention ne fait pas obstacle à l’examen par la Cour du grief nouveau tiré de l’article 6 de la Convention.

59.  Ayant conclu qu’elle est compétente pour examiner le grief de la requérante, la Cour va à présent rechercher si l’article 6 de la Convention s’applique à la procédure en cause.

b)  Le nouveau grief de la requérante est-il compatible ratione materiae avec l’article 6 § 1 de la Convention ?

i)  Principes généraux

60.  La Cour rappelle que, dans l’arrêt Bochan (no 2), précité, elle a examiné la question de l’applicabilité de l’article 6 aux recours en réouverture de procédures civiles tranchées par des décisions de justice définitives. Les principes posés par elle dans cette affaire peuvent se résumer comme suit :

a)  Selon une jurisprudence ancienne et constante, la Convention ne garantit pas un droit à la réouverture d’une procédure close. Quant aux procédures extraordinaires permettant de solliciter pareille réouverture, il ne s’agit pas en principe de statuer sur des « contestations » relatives à des « droits ou obligations de caractère civil » ni sur le bien-fondé d’« accusations en matière pénale ». L’article 6 leur est donc jugé inapplicable. Ce raisonnement a été suivi aussi dans des cas où la réouverture d’une procédure interne close avait été demandée sur la base d’un constat par la Cour d’une violation de la Convention (ibidem, §§ 44‑45 et les affaires qui y sont citées).

b)  En revanche, si un recours extraordinaire conduit de plein droit ou concrètement à faire entièrement rejuger le litige, l’article 6 s’applique de la manière habituelle à la procédure de « réexamen ». L’article 6 a de même été considéré comme applicable dans certains cas où, bien qu’appelée « extraordinaire » ou « exceptionnelle » en droit interne, la procédure avait été jugée assimilable dans sa nature et son étendue à une procédure d’appel ordinaire, la qualification au niveau interne n’étant pas regardée comme déterminante pour la question de l’applicabilité de l’article 6 de la Convention (ibidem, §§ 46-47).

c)  En somme, si l’article 6 § 1 n’est en principe pas applicable aux recours extraordinaires permettant de solliciter la réouverture d’une procédure close, la nature, la portée et les particularités de pareille procédure dans tel ou tel ordre juridique peuvent être propres à la faire tomber dans le champ d’application de l’article 6 § 1 et des garanties d’équité du procès que cette disposition accorde au justiciable (ibidem, § 50).

61.  Pour ce qui concerne la procédure pénale, la Cour a jugé que l’article 6 n’est pas applicable à une procédure tendant à sa réouverture, car la personne qui, une fois sa condamnation passée en force de chose jugée, demande pareille réouverture n’est pas « accusée d’une infraction » au sens dudit article. De la même manière, l’article 6 n’est pas applicable à un pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi introduit aux fins de l’annulation d’une condamnation passée en force de chose jugée à la suite d’un constat de violation par la Cour, la personne en cause n’étant pas davantage « accusée d’une infraction » dans une telle procédure (voir, par exemple, Fischer c. Autriche (déc.), no 27569/02, CEDH 2003-VI, et Öcalan c. Turquie (déc.), no 5980/07, 6 juillet 2010).

62.  Toujours en matière pénale, la Cour a dit que l’exigence de sécurité juridique n’est pas absolue. Des considérations comme la survenance de faits nouveaux, la découverte d’un vice fondamental dans la procédure précédente de nature à affecter le jugement intervenu ou la nécessité d’accorder réparation, notamment dans le cadre de l’exécution des arrêts de la Cour, plaident en faveur de la réouverture d’une procédure. Dès lors, la Cour a jugé que la simple possibilité de rouvrir une procédure pénale est à première vue compatible avec la Convention (Nikitine c. Russie, no 50178/99, §§ 55-57, CEDH 2004‑VIII). Toutefois, elle a souligné que les juridictions supérieures ne doivent utiliser leur pouvoir de révision que pour corriger notamment des erreurs de fait ou de droit ou des erreurs judiciaires et non pour procéder à un nouvel examen. La révision ne doit pas devenir un appel déguisé et le simple fait qu’il puisse exister deux points de vue sur le sujet n’est pas un motif suffisant pour rejuger une affaire. Il ne peut être dérogé à ce principe que lorsque des motifs substantiels et impérieux l’exigent (Bujniţa c. Moldova, no 36492/02, § 20, 16 janvier 2007, et Bota c. Roumanie, no 16382/03, § 33 et 34, 4 novembre 2008).

63.  C’est ainsi que la Cour a estimé qu’une condamnation qui ne tient pas compte des éléments de preuve déterminants constitue une telle erreur judiciaire, dont le non-redressement peut porter gravement atteinte à l’équité, à l’intégrité et à la réputation auprès du public des procédures judiciaires (Lenskaïa c. Russie, no 28730/03, §§ 39 et 40, 29 janvier 2009, et Giuran c. Roumanie, no 24360/04, § 39, CEDH 2011 (extraits)). De même, la Cour a considéré que la confirmation, à l’issue d’une procédure de révision, du bien-fondé d’une condamnation prononcée en violation du droit à un procès équitable constitue une erreur d’appréciation qui perpétue cette violation (Yaremenko c. Ukraine (no 2), no 66338/09, §§ 52-56 et 64-67, 30 avril 2015). En revanche, la réouverture arbitraire d’une procédure pénale, en particulier au détriment du condamné, porte atteinte au droit à un procès équitable (Savinski c. Ukraine, no 6965/02, § 25, 28 février 2006, Radchikov c. Russie, no 65582/01, § 48, 24 mai 2007, et Ştefan c. Roumanie, no 28319/03, § 18, 6 avril 2010).

64.  La Cour s’est également penchée sur d’autres phases de la procédure pénale où les requérants étaient non plus des « accusés » mais des personnes « condamnées » par des décisions de justice regardées comme définitives au regard du droit national. Compte tenu de la portée autonome de la notion d’« accusation en matière pénale » et des conséquences de la procédure d’examen du pourvoi en cassation sur la manière dont il est jugé du bien-fondé d’une accusation en matière pénale, y compris s’agissant de la possibilité de corriger les erreurs de droit, elle a jugé que cette procédure est couverte par les garanties de l’article 6 (Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, § 40, CEDH 2002‑VII), quand bien même celle-ci serait considérée comme un recours extraordinaire en droit national et dirigée contre un jugement rendu en dernier ressort. De même, elle a dit que les garanties de l’article 6 sont applicables à la procédure pénale dans laquelle la juridiction compétente a examiné dans un premier temps la recevabilité des demandes d’autorisation d’appel ouvrant la voie de la cassation (Monnell et Morris c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 54, série A no 115).

65.  Il ressort des principes généraux exposés ci-dessus que l’article 6 de la Convention trouve à s’appliquer sous son volet pénal aux procédures pénales relatives aux recours qualifiés d’extraordinaires en droit national si la juridiction nationale est amenée à statuer sur le bien-fondé de l’accusation. La Cour examine donc la question de l’applicabilité de l’article 6 aux recours extraordinaires en recherchant si, lors de l’examen du recours en question, le juge national a été amené à statuer sur le bien-fondé de l’accusation en matière pénale.

66.  La Cour souligne que son examen de l’affaire Bochan (no 2) précitée portait sur des questions relatives au volet civil de l’article 6 de la Convention. Or, la procédure civile diffère sensiblement de la procédure pénale.

67.  La Cour considère que les droits de l’accusé et de l’inculpé exigent une protection plus forte que les droits des parties à un procès civil. Dès lors, les principes et standards applicables à la procédure pénale doivent être posés avec une précision et une clarté particulières. Enfin, si en matière civile les droits de l’une des parties peuvent entrer en conflit avec les droits de l’autre partie, ces considérations font défaut pour s’opposer aux mesures en faveur de l’accusé, inculpé ou condamné et cela, sans préjudice des droits que les victimes des infractions pourraient faire valoir devant les tribunaux internes.

ii)  Application en l’espèce des principes susmentionnés

68.  En appliquant les principes susmentionnés dans la présente affaire, la Cour tient à rappeler qu’elle prend en considération le droit national, tel qu’interprété par les juridictions de l’État défendeur. En l’espèce, elle note que le droit interne, en particulier l’article 449 § 1 g) du CPP, offrait à la requérante une voie de recours permettant de faire examiner dans le cadre d’une procédure contradictoire la compatibilité de la condamnation prononcée par la cour d’appel avec les constats de la Cour dans son arrêt de 2011 (comparer avec Bochan (no 2), précité, § 54).

69.  La Cour observe que la Cour suprême ne jouit d’aucune latitude dans le choix des motifs de révision, ces derniers étant énoncés de façon limitative à l’article 449 § 1 du CPP (paragraphe 27 ci-dessus). Ces motifs sont, d’une part, l’existence de faits nouveaux et, d’autre part, une violation des règles de droit matérielles ou procédurales. Dans cette seconde hypothèse, la Cour suprême est amenée à statuer sur la conformité au droit matériel de la décision rendue ou sur la légalité de la procédure suivie et à décider si les vices relevés justifient ou non la réouverture de la procédure.

En particulier, dans le cadre de l’examen prévu par l’alinéa g) de l’article 449 § 1 du CPP, le rôle de la Cour suprême consiste à contrôler, au regard des constats de la Cour ou d’une autre instance internationale, le déroulement et l’issue de la procédure interne close et d’ordonner, le cas échéant, le réexamen de l’affaire afin qu’il soit à nouveau statué sur le bien-fondé de l’accusation pénale dirigée contre la personne lésée. En application de l’article 457 du CPP, la Cour suprême peut, de surcroît, prononcer, si elle décide d’ordonner la révision et si elle l’estime nécessaire, la suspension de l’exécution de la peine ou de la mesure de sûreté.

La Cour constate donc que le cadre législatif amène la Cour suprême à confronter la condamnation en question aux motifs retenus par la Cour pour conclure à la violation de la Convention. L’examen fondé sur l’article 449 § 1 g) du CPP est par conséquent susceptible d’être déterminant pour le bien-fondé de l’accusation pénale et, en cela, il partage des traits communs avec les pourvois en cassation (comparer avec Maresti c. Croatie, no 55759/07, §§ 25 et 28, 25 juin 2009).

70.  S’agissant du contrôle concrètement opéré par la Cour suprême, la Cour constate que, si la haute juridiction était appelée à statuer sur la demande d’autorisation de révision, elle ne s’en est pas moins livrée à un réexamen sur le fond d’un certain nombre d’éléments de la question litigieuse de la non-comparution de la requérante en appel et des conséquences de cette absence sur le bien-fondé de sa condamnation et de l’établissement de sa peine.

71.  La Cour suprême a ainsi considéré que l’arrêt de la cour d’appel n’était pas inconciliable avec l’arrêt de la Cour. Elle s’est appuyée pour ce faire sur sa propre interprétation de l’arrêt de la Cour qui, selon elle, « exclu[ait] d’emblée que sa décision pût susciter des doutes sérieux sur la condamnation ». Bien qu’elle ait admis que la non-comparution en appel avait porté atteinte aux droits de la défense, elle a considéré que la Cour avait suffisamment et entièrement réparé ce vice en octroyant à la requérante une somme d’argent au titre de la satisfaction équitable. Ayant conclu que la justesse de la condamnation n’était sujette à aucun doute sérieux, elle ne pouvait que confirmer la condamnation et la peine prononcées par la cour d’appel.

72.  Au vu de la portée du contrôle opéré par la haute juridiction, la Cour estime que celui-ci doit être considéré comme un prolongement de la procédure close par l’arrêt du 19 décembre 2007. Ce contrôle a donc une nouvelle fois porté sur le bien-fondé, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, de l’accusation pénale dirigée contre la requérante. Dès lors, les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention s’appliquaient à la procédure devant la Cour suprême.

c)  Conclusion

73.  L’exception du Gouvernement tirée d’une incompétence ratione materiae de la Cour pour connaître du fond du grief soulevé par la requérante sous l’angle de l’article 6 de la Convention doit être rejetée.

74.  Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

75.  La Cour va à présent rechercher si les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention ont été respectées en l’espèce.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  La requérante

76.  La requérante dit que les constats de la Cour dans son arrêt du 5 juillet 2011 suscitaient des doutes sérieux sur le résultat de la procédure interne qui avait abouti à sa condamnation.

77.  Elle soutient qu’en rejetant sa demande de révision, la Cour suprême a commis une grave erreur dans l’interprétation et l’application de l’article 449 § 1 g) du CPP. Elle estime que sa demande de révision aurait dû être accueillie, ce d’autant plus que le ministère public avait demandé d’admettre la révision au motif que sa condamnation et particulièrement la peine fixée pouvaient légitimement faire naître des doutes sérieux.

b)  Le Gouvernement

78.  Selon le Gouvernement, la Cour suprême s’est limitée à comparer l’arrêt rendu par la cour d’appel le 19 décembre 2007 à celui de la Cour pour vérifier leur compatibilité et examiner si ce dernier arrêt n’avait pas suscité des doutes sérieux sur la condamnation de la requérante.

79.  Se référant à la jurisprudence de la Cour suprême concernant les demandes de révision, il remarque qu’en droit portugais, le droit à la révision d’une procédure pénale close n’est ni absolu ni automatique.

80.  Le Gouvernement dit que, à la différence des affaires de violation du droit à la liberté d’expression où le caractère inconciliable de la condamnation était manifeste, la Cour suprême a considéré qu’un vice procédural ne pouvait, sous peine d’atteinte à l’autorité de la chose jugée, entraîner la révision d’une condamnation pénale que s’il était d’une gravité exceptionnelle. Le simple doute sur la justesse d’une condamnation ou une simple irrégularité procédurale ne suffiraient donc pas pour autoriser la révision, seuls les vices ayant entaché la décision au point de la rendre insupportable pour la société pouvant justifier une telle réouverture.

81.  Or, tel n’aurait pas été le cas en l’espèce. Seules auraient été en cause l’étendue de la responsabilité pénale de la requérante et les éventuelles conséquences sur la détermination de sa peine. La peine d’amende ayant été exécutée, la réouverture de la procédure aurait été inutile du point de vue matériel et procédural.

82.  En conclusion, la procédure suivie par la Cour suprême et la solution à laquelle elle est parvenue auraient pleinement respecté les exigences du procès équitable. En vertu du principe de subsidiarité, la Cour suprême aurait disposé d’une marge d’appréciation considérable dans l’interprétation et l’application du droit interne, marge qu’il faudrait respecter.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

83.  La Cour rappelle que, dans l’arrêt Bochan (no 2), précité, elle a examiné, sous l’angle du volet civil de l’article 6 de la Convention, la question d’un manque d’équité résultant du raisonnement suivi par les juridictions internes. Les principes posés par la Cour dans cet arrêt peuvent se résumer comme suit :

a)  Il n’appartient pas à la Cour de connaître des erreurs de fait ou de droit éventuellement commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention, par exemple si elles peuvent exceptionnellement s’analyser en un « manque d’équité » incompatible avec l’article 6 de la Convention (ibidem, § 61).

b)  L’article 6 §1 de la Convention ne réglemente pas l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales. En principe, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent au contrôle de la Cour. Celle-ci n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (ibidem, § 61, voir également les affaires qui y sont citées : Dulaurans c. France, no 34553/97, §§ 33-34 et 38, 21 mars 2000, Khamidov c. Russie, no 72118/01, § 170, 15 novembre 2007, et Anđelković c. Serbie, no 1401/08, § 24, 9 avril 2013 ; ainsi que l’application de cette jurisprudence dans des arrêts plus récents : Pavlović et autres c. Croatie, no 13274/11, § 49, 2 avril 2015, Yaremenko (no 2), précité, §§ 64-67, et Tsanova-Gecheva c. Bulgarie, no 43800/12, § 91, 15 septembre 2015).

84.  La Cour rappelle également que, selon sa jurisprudence constante reflétant un principe lié à la bonne administration de la justice, les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. L’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 26, CEDH 1999‑I). Sans exiger une réponse détaillée à chaque argument du plaignant, cette obligation présuppose que la partie à une procédure judiciaire puisse s’attendre à une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure en cause (voir, parmi d’autres exemples, Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29-30, série A no 303‑A, et Higgins et autres c. France, 19 février 1998, §§ 42-43, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I). De plus, dans les affaires concernant les ingérences dans les droits protégés par la Convention, la Cour vérifie si la motivation des décisions rendues par les juridictions nationales n’est pas automatique ou stéréotypée (mutatis mutandis, Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, § 210, CEDH 2017). Par ailleurs, la Convention ne requiert pas que les jurés donnent les raisons de leur décision et l’article 6 ne s’oppose pas à ce qu’un accusé soit jugé par un jury populaire même dans le cas où son verdict n’est pas motivé. Il n’en demeure pas moins que pour que les exigences d’un procès équitable soient respectées, le public, et au premier chef l’accusé, doit être à même de comprendre le verdict qui a été rendu (Lhermitte c. Belgique [GC], no 34238/09, §§ 66 et 67, CEDH 2016).

b)  Application en l’espèce des principes susmentionnés

85.  Il ressort de la jurisprudence précitée qu’une décision de justice interne ne peut être qualifiée d’« arbitraire » au point de nuire à l’équité du procès que si elle est dépourvue de motivation ou si cette motivation est fondée sur une erreur de fait ou de droit manifeste commise par le juge national qui aboutit à un « déni de justice ».

86.  La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si la motivation de la décision de justice rendue par la Cour suprême est conforme aux standards de la Convention.

87.  La Cour note que ni l’article 6 de la Convention ni aucun autre article n’introduit une obligation générale de motiver toutes les décisions constatant l’irrecevabilité des recours extraordinaires. Le droit national peut dispenser ces décisions de toute motivation. Toutefois, dès lors que, dans le cadre de l’examen d’un recours extraordinaire, une juridiction nationale se prononce sur le bien-fondé d’une accusation pénale et motive sa décision, cette motivation doit satisfaire aux critères imposés par l’article 6 en matière de motivation des décisions de justice.

88.  En l’espèce, la Cour relève que, dans son arrêt du 21 mars 2012, la Cour suprême a jugé qu’au regard de l’article 449 § 1 g) du CPP, la révision de l’arrêt de la cour d’appel ne pouvait être autorisée pour le motif invoqué par la requérante. Elle a considéré que si l’irrégularité procédurale constatée par la Cour pouvait avoir une incidence sur la peine infligée à la requérante, elle n’était pas d’une gravité telle que la condamnation puisse être regardée comme inconciliable avec l’arrêt de la Cour.

89.  La Cour observe que la motivation de la décision de justice rendue a répondu aux principaux arguments soulevés par la requérante. Selon l’interprétation donnée par la Cour suprême à l’article 449 § 1 g) du CPP, les irrégularités procédurales du type de celle constatée en l’espèce n’entraînent pas de plein droit la réouverture de la procédure.

90.  La Cour estime que cette interprétation du droit portugais applicable, qui a pour conséquence de limiter les cas de réouverture des procédures pénales définitivement closes ou au moins de les assujettir à des critères soumis à l’appréciation des juridictions internes, n’apparaît pas arbitraire.

91.  La Cour relève que cette interprétation est confortée par la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle la Convention ne garantit pas le droit à la réouverture d’une procédure ou à d’autres formes de recours permettant d’annuler ou de réviser des décisions de justice définitive et par l’absence d’approche uniforme parmi les États membres quant aux modalités de fonctionnement des mécanismes de réouverture existants. Par ailleurs, la Cour rappelle qu’un constat de violation de l’article 6 de la Convention ne crée pas généralement une situation continue et ne met pas à la charge de l’État défendeur une obligation procédurale continue (voir, a contrario, Jeronovičs c. Lettonie [GC], no 44898/10, § 118, CEDH 2016).

92.  S’agissant de la lecture faite par la Cour suprême de l’arrêt rendu par la Cour en 2011, la Grande Chambre souligne que dans cet arrêt, la chambre a dit qu’un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représentait « en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée ». Un nouveau procès ou une réouverture de la procédure étaient ainsi qualifiés de moyens appropriés mais non pas nécessaires ou uniques. De plus, l’emploi de l’expression « en principe » relativise la portée de la recommandation, laissant supposer que dans certaines situations, un nouveau procès ou la réouverture de la procédure n’apparaîtront pas comme des moyens appropriés (paragraphe 20 ci-dessus).

93.  Il ressort de la lecture de cette partie de l’arrêt et notamment de l’emploi des mots « en principe » et « cependant » (paragraphe 20 ci‑dessus) que la Cour s’est abstenue de donner des indications contraignantes quant aux modalités d’exécution de son arrêt et a choisi de laisser à l’État une marge de manœuvre étendue dans ce domaine. En outre, la Cour rappelle qu’elle ne saurait préjuger de l’issue de l’examen par les juridictions internes de la question de l’opportunité d’autoriser, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire, le réexamen ou la réouverture (Davydov c. Russie, no 18967/07, § 29, 30 octobre 2014).

94.  Dès lors, la révision du procès n’apparaissait pas comme la seule façon d’exécuter l’arrêt de la Cour du 5 juillet 2011 ; elle constituait tout au plus l’option la plus souhaitable dont l’opportunité en l’espèce devait être examinée par les juridictions internes au regard du droit national et des circonstances particulières de l’affaire.

95.  La Cour suprême, dans la motivation de son arrêt du 21 mars 2012, a analysé le contenu de l’arrêt de la Cour du 5 juillet 2011. Certes, elle a inféré de la lecture de l’arrêt du 5 juillet 2011 que la Cour avait « exclu d’emblée que sa décision pût susciter des doutes sérieux sur la condamnation » (paragraphe 26 ci-dessus) faute pour la requérante d’avoir comparu en appel. Il s’agit là de la propre interprétation par elle de l’arrêt de la Cour. Compte tenu de la marge d’appréciation dont jouissent les autorités internes dans l’interprétation des arrêts de la Cour, à la lumière des principes relatifs à l’exécution (voir, mutatis mutandis, Emre c. Suisse (no 2), no 5056/10, § 71, 11 octobre 2011), celle-ci estime qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la validité de cette interprétation.

96.  En effet, il lui suffit de s’assurer que l’arrêt du 21 mars 2012 n’est pas entaché d’arbitraire, en ce qu’il y aurait eu une déformation ou une dénaturation par les juges de la Cour suprême de l’arrêt rendu par la Cour (voir et comparer avec Bochan (no 2), précité, §§ 63-65, et Emre (no 2), précité, §§ 71-75).

97.  La Cour ne saurait conclure que la lecture par la Cour suprême de l’arrêt rendu par la Cour en 2011, était, dans son ensemble, le résultat d’une erreur de fait ou de droit manifeste aboutissant à un « déni de justice ».

98.  Eu égard au principe de subsidiarité et aux formules employées par la Cour dans l’arrêt de 2011, celle-ci estime que le refus par la Cour suprême d’octroyer à la requérante la réouverture de la procédure n’a pas été arbitraire. L’arrêt rendu par cette juridiction le 21 mars 2012 indique de manière suffisante les motifs sur lesquels il se fonde. Ces motifs relèvent de la marge d’appréciation des autorités nationales et n’ont pas dénaturé les constats de l’arrêt de la Cour.

99.  La Cour souligne que les considérations ci-dessus n’ont pas pour but de nier l’importance qu’il y a à garantir la mise en place de procédures internes permettant le réexamen d’une affaire à la lumière d’un constat de violation de l’article 6 de la Convention. Au contraire, de telles procédures peuvent être considérées comme un aspect important de l’exécution de ses arrêts et leur existence démontre l’engagement d’un État contractant de respecter la Convention et la jurisprudence de la Cour (Lyons et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 15227/03, CEDH 2003-IX).

100.  Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

101.  La requérante soutient par ailleurs que le rejet par la Cour suprême de sa demande de révision emporte également violation de l’article 46 de la Convention à raison d’un défaut de mise en œuvre des mesures individuelles dans le cadre de l’exécution de l’arrêt de la Cour de 2011.

102.  La Cour rappelle que, si elle n’est pas soulevée dans le cadre de la « procédure en manquement » prévue à l’article 46 §§ 4 et 5 de la Convention, la question du respect par les Hautes Parties contractantes de ses arrêts échappe à sa compétence (Bochan (no 2), précité, § 33).

103.  Dès lors, pour autant que la requérante dénonce un défaut de redressement de la violation de l’article 6 § 1 constatée par la Cour dans son arrêt de 2011, la Cour n’a pas compétence ratione materiae pour connaître de ce grief.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Déclare, à la majorité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit, par neuf voix contre huit, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 11 juillet 2017.

Françoise Elens-PassosGuido Raimondi
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

(a)  opinion dissidente commune aux juges Raimondi, Nußberger, De Gaetano, Keller, Mahoney, Kjølbro et O’Leary (traduction partielle) ;

(b)  opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque, à laquelle se rallient les juges Karakaş, Sajó, Lazarova Trajkovska, Tsotsoria, Vehabović et Kūris (traduction) ;

(c)  opinion dissidente du juge Kūris, à laquelle se rallient les juges Sajó, Tsotsoria et Vehabović (traduction) ;

(d)  opinion dissidente du juge Bošnjak (traduction).

G.R.
F.E.P.


OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES RAIMONDI, NUßBERGER, DE GAETANO, KELLER, MAHONEY, KJØLBRO ET O’LEARY

(Traduction partielle)

1.  Ayant pris acte de l’avis de la majorité, nous n’entendons pas y souscrire, pour les raisons que nous exposerons ci-après. Nous nous pencherons, en premier lieu, sur l’article 46 de la Convention aux fins d’en apprécier la portée, compte tenu des considérations factuelles propres à notre affaire (I). Il conviendra, dans un second temps, de porter notre attention sur l’article 6 § 1 de la Convention, qui se situe au cœur de l’argumentaire de la requérante et dont l’applicabilité à la réouverture d’une procédure pénale est sujette à caution en vertu d’une jurisprudence bien établie (II). Pour finir, une conclusion clôturera cette démonstration (III).

I.  Irrecevabilité à raison de la compétence du Comité des Ministres

2.  Rappelons les faits : après un premier arrêt rendu par la Cour en 2011 constatant une violation de l’article 6 § 1 de la Convention par le Portugal, la requérante saisit la Cour Suprême d’un recours en révision du premier arrêt rendu par la cour d’appel de Porto, considérant que celui-ci était inconciliable avec l’arrêt de la Cour. Par un arrêt du 21 mars 2012, ce recours fut rejeté par la Cour Suprême. Sur la base de ce refus de révision de la procédure pénale, la requérante saisit ici une seconde fois la Cour en invoquant l’article 46 de la Convention et en alléguant une nouvelle violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

3.  À notre sens, la question cruciale soulevée par ce litige est intimement liée à la répartition des compétences entre notre Cour et le Comité des Ministres et s’inscrit dès lors, sans équivoque, dans le contentieux afférent au droit institutionnel. In casu, la requête dirigée contre l’État portugais échappe clairement à la compétence de la Cour ; elle aurait dû, par conséquent, être déclarée irrecevable.

4.  Si l’on a égard à la lettre de cette disposition cardinale – l’article 46 –, celle-ci prescrit, en son paragraphe 2, que « l’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution ». Il est dès lors patent que la lettre de l’article 46 fait du Comité des Ministres, en tant qu’organe politique, l’unique titulaire de la compétence en matière d’exécution des arrêts de la Cour, expressément habilité par le texte de 1950 à veiller à la mise en œuvre adéquate des arrêts rendus[1]. Partant, la Cour ne détient, a contrario, aucune compétence, de quelque nature que ce soit, dans le domaine de l’exécution des arrêts[2]. L’argumentaire déployé ci-dessus relativement à la question de l’applicabilité de l’article 46 de la Convention conforte, du reste, l’opinion dissidente du juge Malinverni jointe à l’arrêt Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) ([GC], 30 juin 2009, no 32772/02, CEDH 2009), à laquelle nous adhérons sans réserve. Le juge Malinverni rappelait que la compétence en matière de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour était confiée uniquement au Comité des Ministres par l’article 46 § 2 de la Convention. Il estimait que la Cour était uniquement habilitée à intervenir si la présence de faits nouveaux était établie. Il précisait ensuite que le refus d’une réouverture de procédure ne constituait pas, à lui seul, un fait nouveau.

5.  Nous n’occultons pas ici les évolutions récentes qui ont touché les rapports entre le Comité des Ministres et la Cour ; nous n’ignorons pas non plus que la Cour prend une part de plus en plus active dans le processus d’exécution des arrêts[3]. En outre, le nouveau libellé de l’article 46, issu du Protocole no 14 entré en vigueur le 1er juin 2010, tend à corroborer notre interprétation.

6.  La répartition des compétences entre le Comité des Ministres et la Cour fait l’objet d’une exception : conformément à l’arrêt VgT (no 2) précité, notre juridiction peut légitimement porter son examen sur une nouvelle requête ayant trait à des mesures prises par l’État défendeur en exécution de l’un de ses arrêts « si cette requête renferme des éléments pertinents nouveaux touchant des questions non tranchées dans l’arrêt initial » (§§ 61-63). L’exigence de l’existence de faits nouveaux conditionne donc la compétence de la Cour.

7.  Or, à la lumière des principes découlant des arrêts VgT (no 2) et Emre c. Suisse (no 2) (11 octobre 2011, no 5056/10) – lesquels ont été la cible de critiques[4] –, la demande sur laquelle la Cour doit se prononcer en l’espèce est fondamentalement la même que la précédente, présentée par la même requérante dans le cadre de l’affaire à l’origine de l’arrêt Moreira Ferreira c. Portugal (5 juillet 2011, no 19808/08). On ne décèle a priori dans cette seconde requête aucun élément détachable qui la distinguerait de la demande initialement formulée et sur lequel la requérante pourrait raisonnablement fonder ses prétentions. En particulier, suivant une jurisprudence fermement établie, le refus, exprimé par les autorités nationales, de rouvrir la procédure postérieurement à un arrêt débouchant sur un constat de violation de l’article 6 § 1 prononcé par la Cour, ne saurait être qualifié de fait nouveau (Lyons et autres c. le Royaume-Uni (déc.), 8 août 2003, no 15227/03, CEDH 2003-IX). Qu’il nous soit permis, au vu des circonstances de l’espèce, de douter que l’arrêt rendu par la Cour suprême du Portugal – lequel a rejeté le recours en révision formé par la requérante – puisse, en aucune manière, être assimilé à un fait nouveau au sens où l’entend la jurisprudence susmentionnée.

8.  Qui plus est, il est possible d’avancer un double argument, qui milite en défaveur de la compétence de la Cour et à juste titre en faveur de celle du Comité des Ministres. Tout d’abord, la surveillance de l’exécution de l’arrêt Moreira Ferreira était pendante à la date de l’introduction de la présente requête, le 30 mars 2012. Surtout, la procédure de surveillance de l’exécution de l’arrêt de la Cour rendu le 5 juillet 2011 est, à ce jour (à tout le moins au 22 mai 2017), toujours pendante devant le Comité des Ministres. À l’évidence, elle échappe au contrôle de la Cour, étant donné que c’est en priorité au Comité des Ministres qu’il appartient de mettre lui‑même un terme à la procédure.

II.  Irrecevabilité ratione materiae

9.  Si, en dépit des arguments développés ci-dessus, il fallait persister à déclarer la Cour compétente en l’espèce, il faudrait alors procéder, dans un second temps, à un examen sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention. Nous sommes d’avis que la disposition visée ne peut valablement être considérée comme applicable à la révision d’une procédure pénale.

10.  D’abord, la Convention ne garantit aucun droit à la réouverture d’une procédure judiciaire close, qu’elle soit civile ou pénale, comme la Cour a pris soin de le souligner à de nombreuses reprises (voir, comme exemple le plus récent, Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 44, CEDH 2015). Surtout, comme le reconnaît la synthèse des principes généraux opérée aux paragraphes 60 et 61 du présent arrêt, il existe également une jurisprudence bien établie, confirmée elle aussi récemment en 2015 dans l’arrêt de Grande Chambre Bochan (no 2) (§§ 44-45), qui veut qu’un recours extraordinaire visant à la réouverture d’une procédure judiciaire close, civile comme pénale, sorte en principe du champ d’application de l’article 6 § 1. Dans le domaine pénal, en voici l’explication, tirée du paragraphe 61 du présent arrêt : « l’article 6 n’est pas applicable à une procédure tendant à sa réouverture, car la personne qui, une fois sa condamnation passée en force de chose jugée, demande pareille réouverture n’est pas « accusée d’une infraction » au sens dudit article ». Toutefois, à titre exceptionnel, l’article 6 et les garanties que celui-ci énonce en matière d’équité du procès en matière aussi bien civile que pénale seront applicables si, en raison des caractéristiques particulières de l’ordre juridique national en cause, la décision concernant la demande extraordinaire en réouverture de la procédure peut conduire à « faire entièrement rejuger le litige » (paragraphe 60 b) et c) de l’arrêt).

11.  À nos yeux, le présent arrêt contrevient aux principes qu’il énonce lui-même en ses paragraphes 60 et 61. Il les bafoue en assimilant i) une décision sur la solidité de la condamnation une fois celle-ci devenue définitive (le type de décision qu’une juridiction nationale rend habituellement dans le cadre d’un recours extraordinaire en réouverture d’une procédure pénale close) à ii) une décision sur l’« accusation en matière pénale » contre l’accusé (l’objet de l’article 6 § 1). Il y a là confusion entre deux choses différentes. C’est cette confusion qui est à l’origine de la conclusion de la majorité selon laquelle l’article 6 § 1 est applicable à la procédure de réouverture ouverte par la requérante en l’espèce devant la Cour suprême portugaise.

12.  Ainsi, l’arrêt (au dernier sous-paragraphe du paragraphe 69) s’appuie sur le fait que le droit interne (à savoir l’article 449 § 1 g) du code de procédure pénale portugais ; « le CPP ») offrait à la requérante un recours permettant aux juridictions nationales d’apprécier la compatibilité de sa condamnation avec les conclusions tirées par la Cour dans son arrêt de 2011 concernant la requête antérieurement introduite par elle. Si tout cela est certes vrai, ce sera à chaque fois le cas lorsqu’une juridiction nationale est saisie, sur la base d’un arrêt rendu par la Cour, d’une demande extraordinaire en réouverture d’une procédure pénale close. Il ne faut pas pour autant en conclure qu’en soi l’« accusation en matière pénale » dirigée contre l’intéressé soit exceptionnellement l’objet en même temps d’une nouvelle décision sur son « bien-fondé » (determination of a criminal charge, pour reprendre le texte anglais de l’article 6 § 1). Or c’est ce que la majorité de nos collègues sous-entendent dans cette partie de leur raisonnement.

13.  La majorité explique elle-même que « le rôle de la Cour suprême consiste à contrôler, au regard des constats de la Cour ou d’une autre instance internationale, le déroulement et l’issue de la procédure interne close et d’ordonner, le cas échéant, le réexamen de l’affaire afin qu’il soit à nouveau statué sur le bien-fondé de l’accusation pénale dirigée contre la personne lésée » (paragraphe 69, deuxième sous-paragraphe de l’arrêt). À nos yeux, ce que la Cour suprême portugaise a fait en connaissant de la « demande de révision » extraordinaire formée par la requérante sur la base de l’article 449 § 1 g) du CPP, c’est examiner si la « justesse » – pour reprendre les termes employés par la haute juridiction elle-même dans sa décision (paragraphe 26 de l’arrêt) – de la condamnation en cause a été heurtée par les défaillances procédurales constatées par la Cour dans son arrêt de 2011 au point de devoir être annulée et de conduire à un nouveau procès devant une juridiction inférieure. Ce serait à la suite d’une décision positive de la Cour suprême ordonnant la réouverture, dans le cadre du nouveau procès ainsi ordonné, que la décision sur l’accusation en matière pénale initiale serait alors ressuscitée et que l’article 6 § 1 serait donc applicable.

14.  En assimilant la décision sur la solidité, ou « justesse », de la condamnation à une décision sur l’accusation en matière pénale initiale, la majorité a concrètement opéré un revirement, sans le reconnaître, de la jurisprudence ancienne antérieure examinée en détail et confirmée par la Grande Chambre il y a seulement deux ans dans l’arrêt Bochan (no 2). Parler du « bien-fondé »/determination d’une condamnation – pour reprendre les termes employés par l’article 6 § 1 dans ses versions française et anglaise lorsqu’il s’agit de l’« accusation en matière pénale » initiale – ne suffit pas à lever la confusion dans la logique (entre la solidité de la condamnation et la décision sur l’accusation en matière pénale) sur laquelle la conclusion de la majorité se fonde. Pour reprendre ce qu’a dit la décision Fischer c. Autriche (déc.), no 27569/02, CEDH 2003‑VI, la procédure devant la Cour suprême portugaise formée sur la base de l’article 449 § 1 g) du CPP a été « introduite par une personne dont la condamnation [était] devenue définitive et vis[ait] à faire statuer non pas sur une « accusation en matière pénale », mais sur la question de savoir si les conditions permettant le renouvellement de la procédure pénale [étaient] réunies ».

15.  Rien dans la jurisprudence évoquée aux paragraphes 62 à 64 de l’arrêt ne permet de jeter un quelconque doute sur la règle de principe, énoncée auparavant aux paragraphes 60 et 61, de l’inapplicabilité de l’article 6 § 1 aux recours extraordinaires, ni sur les nombreux précédents cités dans l’arrêt Bochan (no 2) confirmant cette règle.

16.  Ainsi, l’arrêt rendu en l’affaire Nikitine c. Russie, no 50178/99, §§ 55‑57, CEDH 2004‑VIII (cité au paragraphe 62 du présent arrêt) concernait la situation toute différente de la réouverture éventuelle, au détriment de l’accusé, d’une procédure pénale qui s’était soldée par un acquittement. L’arrêt prend fin avec le passage suivant (§60) :

« (...) selon la jurisprudence constante des organes de la Convention, l’article 6 ne s’applique pas aux instances qui se concluent par le rejet d’une demande de réouverture d’une affaire. Seule la nouvelle procédure engagée après qu’il a été fait droit à pareille demande de réouverture peut passer pour porter sur une accusation en matière pénale ».

Ainsi qu’il a été expliqué ci-dessus (au paragraphe 13 de la présente opinion séparée), cela coïncide avec la manière dont, à l’inverse de la majorité, nous analyserions le fonctionnement de la « demande de révision » extraordinaire formée devant la Cour suprême portugaise en l’espèce.

17.  À l’instar de l’arrêt Nikitine, les arrêts Bujniţa c. Moldova, no 36492/02, § 20, 16 janvier 2007, et Bota c. Roumanie, no 16382/03, §§ 33-34, 4 novembre 2008), cités eux aussi au paragraphe 62 du présent arrêt, concernaient la réouverture injustifiée de procédures pénales lorsque les juridictions qui en avaient été saisies avaient ordonné la substitution de la condamnation par le verdict original d’acquittement du requérant accusé. La majorité n’explique nulle part en quoi ces affaires permettent d’écarter de quelque manière que ce soit de la règle de principe de l’inapplicabilité de l’article 6 § 1 aux recours extraordinaires dans lesquels un accusé condamné demande la réouverture de son procès pénal clos (que ce soit ou non sur la base d’un arrêt rendu par la Cour).

18.  La requérante dans l’affaire Lenskaïa c. Russie, no 28730/03, §§ 39‑40, 29 janvier 2009 – citée au paragraphe 63 de l’arrêt) alléguait avoir été agressée par son époux. Elle se disait victime d’une violation de ses propres droits découlant de l’article 6 § 1 (sous son volet civil et non pénal) à raison de l’infirmation de la condamnation de son époux, convertie en acquittement, en conséquence de quoi sa demande d’indemnisation avait été rejetée. La Cour a jugé « établi que les intérêts de la justice imposaient la réouverture et l’annulation du jugement [condamnant l’époux et indemnisant l’épouse] » (§ 42). Une nouvelle fois, la question soulevée (celle de savoir si, par l’effet de la procédure de révision pénale extraordinaire en question, formée avec succès par son époux, la requérante avait été privée de son « droit à un tribunal » sous le volet civil de l’article 6 § 1 eu égard à sa demande en indemnisation au civil pour agression) est très différente de la question de l’applicabilité de l’article 6 § 1 en l’espèce. On a du mal à comprendre en quoi le raisonnement sur ce point dans l’arrêt Lenskaïa change quoi que ce soit à la règle de principe de l’inapplicabilité de l’article 6 § 1 aux recours extraordinaires par lesquels des personnes condamnées demandent la réouverture de leur procès pénal clos. Il en va de même de l’arrêt Giuran c. Roumanie, no 24360/04, § 39, CEDH 2011 (extraits), cité lui aussi au paragraphe 63 du présent arrêt, dans lequel les circonstances actuelles pertinentes et les questions soulevées sur le terrain de la Convention étaient similaires à celles de l’affaire Lenskaïa.

19.  Les affaires Lenskaïa et Giuran confirment que « la Convention en principe permet la réouverture des arrêts définitifs afin de redresser les erreurs judiciaires » (Giuran, précité, § 39), même si « l’un des attributs les plus fondamentaux de la prééminence du droit est le principe de la sécurité juridique, qui interdit notamment la remise en question de la décision d’un tribunal ayant tranché de manière définitive un litige » (Giuran, précité, § 28). Sur ce dernier point, l’idée voulant que la réouverture abusive d’un procès pénal clos au détriment de la personne condamnée ou acquittée bafoue les exigences tenant à la prééminence du droit inhérentes au droit à un procès équitable (notamment eu égard au caractère définitif du verdict rendu à l’issue du procès initial) est illustrée non seulement par les affaires précitées Nikitine, Bujnita et Bota, mais aussi par les affaires citées à la fin du paragraphe 63 du présent arrêt (Savinkiy c. Ukraine, no 6965/02, 28 février 2006, § 25 – dans laquelle le requérant avait été reconnu coupable de l’un des chefs d’inculpation retenus contre lui mais acquitté des autres –, Radchikov c. Russie, no 65582/01, 24 mai 2007, §§ 45-53 – qui concernait l’annulation d’un acquittement –, et Stefan c. Roumanie, no 28319/03, 6 avril 2010, § 18 – dans laquelle le requérant avait été condamné, mais en bénéficiant de circonstances atténuantes).

De ces deux courants de jurisprudence se dégagent des critères permettant de dire quand, à titre exceptionnel, il sera peut-être nécessaire d’écarter le principe de la sécurité juridique inhérent au droit à un procès équitable découlant de l’article 6 en rouvrant un procès pénal de manière à rectifier une erreur judiciaire. Mais quelle est la pertinence de ces critères s’agissant de l’applicabilité ou non de l’article 6 au déroulement de la « demande de révision » formée en l’espèce, par laquelle la requérante avait sollicité – en vain – la réouverture de son procès pénal clos ?

20.  En revanche, l’affaire Yaremenko c. Ukraine (no 2) (no 66338/09, 30 avril 2015, §§ 52-56 et 64-67 – citée elle aussi au paragraphe 63 de l’arrêt) présente bel et bien des similarités avec la présente affaire, en ce que le requérant était une personne condamnée qui avait demandé la réouverture de son procès pénal clos sur la base d’un arrêt de la Cour constatant une violation de l’article 6 commise à l’occasion de ce procès. La Cour, appliquant les principes énoncés quelques mois auparavant dans l’arrêt de Grande Chambre Bochan (no 2), a confirmé son adhésion à la règle de principe de l’exclusion du champ d’application de l’article 6 des procédures en révision extraordinaires, tout en observant qu’« un nouveau procès, une fois la réouverture ordonnée, peut être regardé comme se rapportant au bien-fondé d’une accusation en matière pénale » (§ 56 – les italiques sont de nous). La Cour a jugé que, en faisant droit aux demandes en révision présentées par le requérant (en partie) et par le procureur (en totalité), et en excluant certaines preuves avant de se livrer à sa propre appréciation des preuves restantes, la Cour suprême ukrainienne avait opéré un réexamen complet du dossier du requérant, comme dans l’affaire Bochan (no 2), de sorte qu’une nouvelle décision sur le bien-fondé avait été rendue. Elle a jugé l’article 6 applicable à raison de cette nouvelle décision sur la culpabilité du requérant à l’aune des preuves produites (§§ 55-56). On pourrait reformuler cette conclusion en disant que, conformément à la législation interne pertinente, la Cour suprême ukrainienne avait rejugé l’affaire lorsqu’elle s’était prononcée sur le recours extraordinaire ouvert au requérant. Le présent arrêt (en son paragraphe 63) prête à confusion en ce qu’il peut être interprété comme disant que c’est « la confirmation, à l’issue d’une procédure de révision, du bien-fondé d’une condamnation prononcée en violation du droit à un procès équitable » qui a rendu applicable l’article 6.

21.  En revanche, en l’espèce, rien ne permet d’assimiler la procédure en révision devant la Cour suprême portugaise à un nouveau jugement en matière pénale ou à une nouvelle décision sur l’« accusation en matière pénale » initiale dirigée contre la requérante, comme dans l’affaire Yaremenko (no 2), où le rôle attribué à la juridiction de réouverture était quelque peu différent en vertu du régime légal interne applicable. Nous tenons une nouvelle fois à rappeler le rôle de la Cour suprême portugaise à cet égard, résumé au paragraphe 69, deuxième sous-paragraphe, de l’arrêt (cité ci-dessus au paragraphe 13 de la présente opinion). Le « réexamen de l’affaire en vue de parvenir à une nouvelle décision sur le bien-fondé de l’accusation en matière pénale dirigée contre la partie lésée » est livré non pas par la haute juridiction elle-même dans le cadre de la « demande de révision » extraordinaire dont elle est saisie mais ultérieurement par une autre juridiction, de rang inférieur. Les garanties procédurales de l’article 6 s’appliqueront alors au nouveau procès ultérieur et à la nouvelle décision sur l’« accusation en matière pénale » dirigée contre l’accusé dont la « demande de révision » extraordinaire a abouti. Bref, la Cour suprême portugaise peut ordonner mais ne peut conduire elle-même le « réexamen » susceptible de rendre applicable l’article 6.

22.  Enfin, l’interprétation donnée (paragraphe 64 du présent arrêt) aux arrêts Meftah et autres c. France (GC, nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, CEDH 2002-VII, § 40), et Morrell et Morris c. Royaume‑Uni (2 mars 1987, série A no 115, § 54) est plutôt forcée. Nul n’a jamais sérieusement mis en doute, malgré la vaine argumentation de l’État défendeur dans l’affaire Meftah, que le pourvoi en cassation (appeal on points of law en anglais) en matière pénale que l’on trouve dans les systèmes de civil law et dans les systèmes de common law entre dans le champ d’application de l’article 6, étant donné qu’il est un volet normal (et fait partie intégrante, pourrait-on dire) d’une procédure pénale ordinaire. Les arrêts Meftah et Monnell et Morris mettent sur le même pied les instances de cassation et les instances d’appel de droit commun s’agissant de l’applicabilité de l’article 6 (§§ 41 et 54, respectivement), bien que les modalités d’application de cette disposition à ces deux types d’instance dépendent des caractéristiques particulières de celles-ci (§§ 41 et 56, respectivement). D’ailleurs, dès 1970, la Cour avait dit ceci dans l’arrêt Delcourt c. Belgique (17 janvier 1970, série A no 11, § 25) :

« Certes, (...) la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 ».

Aux fins de la question de l’applicabilité de l’article 6, la Grande Chambre dans l’arrêt Bochan (no 2) (§§ 47-49), a qualifié de « procédure[s] d’appel ordinaire[s] » les procédures dites « extraordinaires » de cassation en matière pénale à Malte et en matière civile en Croatie, respectivement visées dans les arrêts San Leonard Boat Club c. Malte (no 77562/01, CEDH 2004-IX, §§ 41-48) et Maresti c. Croatie (no 55759/07, 25 juin 2009).

23.  Il apparaît donc assez artificiel, et symptomatique de la faiblesse du raisonnement sur l’applicabilité de l’article 6 en l’espèce, de comparer le pourvoi en cassation ordinaire en matière pénale à la « demande de révision » extraordinaire en droit portugais (voir, par exemple, le dernier sous-paragraphe du paragraphe 69 du présent arrêt). S’agissant des pourvois en cassation en matière pénale, la jurisprudence de la Cour indique clairement depuis au moins 1970 qu’ils doivent être considérés comme des volets normaux de la procédure pénale et comme entrant dans le champ d’application de l’article 6, alors que, au contraire, les procédures extraordinaires en révision (une fois le jugement passé en force de chose jugée) – dont la « demande de révision » portugaise est un exemple – sort en principe du champ d’application de cette disposition.

24.  Si on l’analyse bien, la jurisprudence évoquée aux paragraphes 62 à 64 du présent arrêt ne conforte en rien l’idée que la règle de principe (de l’inapplicabilité de l’article 6 § 1 aux recours extraordinaires) aurait d’une certaine manière évolué vers l’applicabilité dès lors que le recours extraordinaire peut passer pour impliquer une décision sur la solidité, la justesse ou le bien-fondé (merits en anglais) de la condamnation, par opposition à une nouvelle décision sur le chef d’accusation initial).

25.  En somme, la conclusion de la majorité (au dernier sous-paragraphe du paragraphe 69 de l’arrêt) selon laquelle l’examen par la Cour suprême de la « demande de révision » présentée par la requérante sur la base de l’article 449 § 1 g) du CPP permettait de statuer sur (en anglais « determine ») le bien-fondé de l’accusation en matière pénale initiale dirigée contre elle ne trouve guère d’appui, que ce soit dans les dispositions de la législation portugaise applicable ou dans la jurisprudence antérieure de la Cour. La thèse voulant que l’article 449 § 1 g) du CPP partage des points communs avec les recours en cassation ordinaires non seulement est exagérée mais s’appliquerait aussi généralement aux procédures de réexamen extraordinaires dans la plupart des pays habilitant l’accusé reconnu coupable à demander la réouverture de son procès pénal clos – opérant ainsi un revirement en cachette de la jurisprudence bien établie existant sur ce point. Voilà qui ne constitue guère une manière d’agir très judiciaire pour la Cour deux ans seulement après le prononcé de l’arrêt de Grande Chambre Bochan (no 2).

26.  Pour les raisons exposées ci-dessus, il nous faut donc conclure que, à supposer même que la Cour puisse par ailleurs être regardée comme compétente pour connaître de la requête, l’article 6 de la Convention n’était pas applicable à la procédure de réexamen extraordinaire au pénal dont il est question en l’espèce, en conséquence de quoi la requête devrait être déclarée irrecevable ratione materiae.

III.  Conclusion

27.  Sur la base de ces considérations, nous avons voté en défaveur de la recevabilité du grief tiré de l’article 6 de la Convention et par conséquence en faveur de la non-violation de cet article.

28.  La jurisprudence afférente au contentieux de l’article 46 nécessiterait quelques éclaircissements compte tenu de sa nature ambiguë et en partie contradictoire. Le Comité des Ministres ne semble pas avoir tiré profit de toutes les possibilités offertes par l’article 46 § 3, tel qu’il a été modifié par le Protocole no 14. Cette version actualisée tente de clarifier la répartition des compétences entre les deux institutions en présence (la Cour et le Comité des Ministres).

29.  Il reste qu’une requête individuelle fondée sur la non-conformité de jugements nationaux avec un arrêt rendu par la Cour qui constaterait une violation doit être déclarée, ipso facto, irrecevable du fait de l’absence de compétence de la Cour. Parallèlement, toutefois, il est clair que le rôle éminent du Comité des Ministres dans le domaine de l’exécution des arrêts de la Cour ne s’oppose nullement à ce que cette dernière examine une demande portant sur les mesures adoptées par l’État défendeur en vue de se conformer à un arrêt rendu à son encontre, pourvu qu’une telle demande contienne des informations nouvelles et pertinentes[5]. Ainsi qu’il a été démontré, la demande litigieuse en l’espèce ne concerne aucun élément nouveau ; qui plus est, elle a trait à l’exécution elle-même des arrêts de la Cour qui, en principe, échappe à la compétence de celle-ci.

30.  En définitive, il paraît néanmoins justifié que la Cour cherche à avoir une certaine emprise sur l’exécution de ses arrêts. Elle peut légitimement jouer ce rôle lorsqu’une nouvelle requête est introduite, caractérisée sur le fond par des faits nouveaux non antérieurement traités, ou bien encore dans l’hypothèse d’une nouvelle condamnation de l’État défendeur. En revanche, il semble tout aussi primordial de veiller à ce que la Cour ne se disperse pas, et qu’elle n’en vienne pas à accroître ses activités, déjà fort nombreuses. Un équilibre doit être préservé à cet égard, lequel passe immanquablement par le respect de répartition des compétences, étant entendu que la protection des droits de l’homme doit être à la fois concrète et effective, et non théorique et illusoire.


OPINION DISSIDENTE DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE, À LAQUELLE SE RALLIENT
LES JUGES KARAKAŞ, SAJÓ, LAZAROVA TRAJKOVSKA, TSOTSORIA, VEHABOVIĆ ET KŪRIS

(Traduction)

Table des matières

I.  Introduction (§ 1)

Première partie (§§ 2-34)

II.  La compétence de la Cour pour imposer des mesures individuelles de redressement des violations de la Convention (§§ 2-18)

a.  La clause de réouverture (§§ 2-7)

b.  Le développement d’autres mesures d’ordre individuel (§§ 8-18)

III.  Le droit à la réouverture du procès pénal à la suite d’un constat de violation par la Cour (§§ 19-34)

a.  Le critère strict tiré de la Recommandation (2000) 2 du Comité des Ministres (§§ 19-27)

b.  Le large consensus européen dans la mise en œuvre de la Recommandation (§§ 28-34)

Seconde partie (§§ 35-56)

IV.  L’applicabilité de l’article 6 aux recours extraordinaires en réouverture au pénal (§§ 35-44)

a.  L’interprétation évolutive par la majorité de l’article 6 de la Convention (§§ 35-39)

b.  L’interprétation erronée du droit portugais par la majorité (§§ 40-44)

V.  L’application de l’article 6 en l’espèce (§§ 45-56)

a.  L’interprétation par la Cour suprême de l’article 449 § 1 g) du code de procédure pénale (§§ 45-50)

b.  L’interprétation par la Cour suprême de l’arrêt Moreira Ferreira (§§ 51-56)

VI.  Conclusion (§§ 57-60)

I.  Introduction (§ 1)

1.  L’affaire Moreira Ferreira (no 2) concerne la compétence dont jouit la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») pour imposer les mesures individuelles que sont un nouveau procès ou la révision, le réexamen ou la réouverture d’une procédure pénale[6], afin de redresser une violation de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »), ainsi que la valeur juridique de ces mesures. Cette question compliquée sera analysée dans le contexte encore plus compliqué de l’inexécution d’un arrêt de la Cour renfermant une clause de réouverture. En l’espèce, la clause de réouverture figurant dans l’arrêt Moreira Ferreira[7] n’a pas été mise en œuvre par les autorités internes dans la procédure de recours extraordinaire en révision (recurso extraordinário) ultérieurement conduite au niveau interne à la demande de la victime de la violation de la Convention. La requérante a saisi la Cour une seconde fois pour demander justice. Hélas, c’est précisément ce que la majorité de la Grande Chambre lui a refusé.

Première partie (§§ 2-34)

II.  La compétence de la Cour pour imposer des mesures individuelles de redressement des violations de la Convention (§§ 2-18)

a.  La clause de réouverture (§§ 2-7)

2.  Lorsqu’elle recherche si l’article 46 de la Convention fait obstacle à l’examen par la Cour du grief fondé sur l’article 6 de la Convention, la majorité de la Grande Chambre rappelle que la Cour n’a pas compétence pour ordonner la réouverture d’une procédure, mais elle reconnaît aussi que, dans certaines circonstances exceptionnelles, cette mesure représente une forme appropriée, ou la forme la plus appropriée, de redressement de la violation de la Convention[8]. Ainsi qu’il sera démontré ci-dessous, il s’agit d’une sous-estimation de la riche jurisprudence de la Cour en matière de redressement des violations de la Convention.

3.  La Cour a dit maintes et maintes fois que ses arrêts sont essentiellement déclaratoires par nature et que, en principe, c’est au premier chef à l’État en cause qu’il appartient de choisir, sous la surveillance du Comité des Ministres, les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention[9]. Lorsque l’ordre juridique de l’État défendeur ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation de la Convention constatée[10], la Cour peut accorder une satisfaction équitable à la partie lésée. Le principe sous-tendant l’octroi d’une satisfaction équitable est qu’il faut, autant que faire se peut, placer l’intéressé dans une situation équivalente à celle où il se trouverait si la violation de la Convention n’avait pas eu lieu (restitutio in integrum)[11], pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour et avec les droits de la défense[12]. L’indemnisation est compatible avec d’autres mesures d’ordre général ou individuel nécessaires pour faire cesser la violation constatée par la Cour[13].

4.  Or la Cour a également reconnu qu’il arrive que la nature même de la violation constatée n’offre pas réellement de choix parmi différentes sortes de mesures propres à y remédier, auquel cas la Cour peut décider de n’indiquer qu’une seule mesure de ce type, par exemple la restitution d’un terrain exproprié[14], la restitution d’un bâtiment[15], la libération d’une personne[16], l’effacement de toutes conséquences négatives, passées ou futures, d’une peine disciplinaire[17], la levée d’une détention provisoire et sa substitution par une autre mesure de contrainte raisonnable et moins lourde, ou par une combinaison de mesures de cette nature[18], la commutation d’une peine de réclusion à perpétuité par une peine d’emprisonnement compatible avec la Convention, d’une durée maximale de 30 ans[19], l’ouverture d’une nouvelle enquête pénale[20] ou la clôture d’une enquête en cours[21], l’obtention d’assurances de la part des autorités libyennes que les requérants ne seront pas l’objet d’un traitement incompatible avec l’article 3 de la Convention ni arbitrairement rapatriés[22], et la réintégration d’une personne au sein de la fonction publique[23].

5.  La clause de réouverture a été formulée pour la première fois dans le contexte particulier d’affaires turques qui concernaient l’indépendance et l’impartialité des cours de sûreté nationales. Sur le terrain de l’article 41 de la Convention, la Cour a indiqué qu’« en principe le redressement le plus approprié serait de faire rejuger le requérant en temps utile par un tribunal indépendant et impartial »[24]. C’est ce qu’on appelle la clause Gençel. Elle a adopté une position similaire sous l’angle de l’article 41 dans une affaire italienne où le constat d’une violation des garanties d’équité découlant de l’article 6 tenait non pas au manque d’indépendance ou d’impartialité des tribunaux internes, mais à la violation du droit du requérant à participer à son procès[25]. Par la suite, la clause de réouverture était appelée la clause Gençel-Somogyi. Il est important de noter que, dans l’une et l’autre de ces affaires, le constat d’une violation valait en lui-même satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant. Aucune mention n’était faite dans le dispositif du nouveau procès ou de la réouverture de l’affaire.

6.  Dans l’arrêt Öçalan c. Turquie[26], la Grande Chambre a confirmé l’approche générale adoptée dans la jurisprudence susmentionnée, mais en retenant une terminologie et un cadre normatif différents. Elle a considéré, sur le terrain de l’article 46 de la Convention que, lorsqu’un particulier, comme en l’espèce, a été condamné par un tribunal qui ne remplissait pas les conditions d’indépendance et d’impartialité voulues par la Convention, « un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée » (ce qu’il est convenu d’appeler la clause Öçalan)[27]. Elle a toutefois ajouté que les mesures de réparation spécifiques à prendre, le cas échéant, par un État défendeur pour s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 46 de la Convention dépendent nécessairement des circonstances particulières de la cause et doivent être définies à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire concernée, compte dûment tenu de la jurisprudence précitée de la Cour. Elle a dit enfin que les constats de violation des articles 3, 5 et 6 de la Convention constituaient en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage éventuellement subi par le requérant[28].

7.  Dans son arrêt Verein gegen Tierfabriken VgT (no 2), la Grande Chambre a explicité en détail le sens de la clause Öçalan. L’idée centrale qui ressort de cet arrêt est que la réouverture de la procédure interne est un « moyen privilégié » en vue de la bonne exécution des arrêts de la Cour et devrait être conforme « aux conclusions et à l’esprit de l’arrêt de la Cour à exécuter »[29]. La Cour a fait usage de sa compétence inhérente (implicite) lui permettant d’examiner les mesures prises par les autorités internes à la suite du premier arrêt Verein gegen Tierfabriken, la justification en étant que, si elle n’avait pas été en mesure de le faire, ces mesures auraient échappé à tout contrôle sous l’angle de la Convention. Ainsi, si l’on suit le raisonnement de l’arrêt Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (no 2), la compétence de la Cour englobe non seulement les mesures prises par les autorités nationales en conflit avec la clause de réouverture, mais aussi a fortiori la non-réouverture par celles-ci de la procédure pénale[30].

b.  Le développement d’autres mesures d’ordre individuel (§§ 8-18)

8.  La jurisprudence de la Cour a rapidement évolué, comprenant d’autres sujets et branches du droit, si bien que la compétence de la Cour lui permettant d’ordonner un nouveau procès ou la réouverture de la procédure est désormais bien établie. D’ailleurs, la clause de réouverture a été appliquée à la suite d’un constat de violation de l’article 6 à raison d’atteintes au droit d’accès à un tribunal[31], au droit d’être jugé par un tribunal établi par la loi[32], au principe de l’impartialité ou de l’indépendance des tribunaux[33], au droit d’être associé à son procès[34], au droit d’interroger des témoins[35], au droit d’être entendu en personne[36], au droit d’être informé en détail de l’accusation[37], au droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense[38], aux principes du contradictoire et de l’égalité des armes[39], au droit à l’assistance d’un défenseur[40], au principe de l’équité du procès, notamment à l’interdiction des guet-apens policiers[41], et au droit à un jugement motivé[42].

Outre les affaires article 6, la clause a été utilisée dans des affaires article 2[43] et article 7[44]. De plus, elle a été étendue aux affaires civiles, administratives et fiscales[45]. Les critères d’application de la clause de réouverture ailleurs que dans le domaine pénal ne sont pas toujours clairs, la Cour ayant refusé de l’accorder alors que le requérant l’avait explicitement demandée[46]. Il en résulte que les requérants n’ont eu d’autre choix que de saisir une nouvelle fois la Cour dans le cadre d’un contentieux international onéreux et fastidieux lorsque les États défendeurs n’avaient pas respecté les conclusions initiales de la Cour.

9.  Au vu de ces éléments, dire, comme le fait la majorité dans le présent arrêt, qu’il s’agit de cas exceptionnels revient à sous-estimer indûment la riche jurisprudence de la Cour. De plus, la majorité n’analyse pas en détail la nature, la portée et les effets de la clause de réouverture. Les paragraphes 49 à 51 de l’arrêt ne les examinent pas du tout, se contentant d’un aperçu répétitif et partial de la jurisprudence de la Cour.

10.  Normalement, la Cour dit que la clause de réouverture relève des « principes » mais parfois elle la qualifie de « règle »[47], mettant sur le même pied principes et règles de droit. Le nouveau procès ou la réouverture de la procédure sont également évoqués sans se voir attribuer le qualificatif de « principe » ou de « règle », parce qu’ils constituent « le redressement le plus approprié au vu des circonstances de l’espèce »[48].

11.  Contrairement aux premiers arrêts, la clause Öçalan a été utilisée sur le terrain de l’article 41[49] et la clause Gençel sur celui de l’article 46[50]. Dans des cas moins fréquents, une clause de réouverture spécifique a été insérée dans le dispositif de l’arrêt lui-même. Par exemple, dans le dispositif de l’arrêt Lungoci, la Cour a dit que l’État défendeur devait rouvrir la procédure interne dans les six mois à compter de la date où l’arrêt serait devenu définitif, si la requérante en faisait la demande[51]. Dans le dispositif de l’arrêt Maksimov, elle a dit : « l’État défendeur doit prendre toutes les mesures afin de rouvrir la procédure en cassation prévue par la loi provisoire »[52]. Dans d’autres affaires, elle a ordonné dans le dispositif non pas la réouverture de la procédure mais déjà la production de l’effet juridique considéré comme « le redressement le plus approprié », par exemple le rétablissement complet de la requérante dans sa qualité de propriétaire de l’appartement en question et l’annulation de la décision d’expulsion la visant[53]. Dans les affaires de ce type, elle a imposé, sur le terrain de l’article 41, l’invalidation de la décision d’expulsion rendue par les tribunaux internes, ainsi qu’une indemnisation. Selon elle, si l’appartement n’était plus la propriété de l’État ou s’il avait par ailleurs été aliéné, l’État défendeur devait s’assurer que le requérant reçoive un « appartement équivalent »[54]. Dans d’autres affaires, la Cour a dit dans le dispositif de l’arrêt que, en sus de la satisfaction équitable accordée, une décision de justice interne devait être exécutée et produire ses effets concrets[55].

12.  Dans l’arrêt Laska et Lika, la Cour est allée plus loin et a jugé, sur le terrain de l’article 46, que l’État défendeur avait l’obligation positive « d’éliminer, dans son ordre juridique interne, tout obstacle éventuel à un redressement adéquat de la situation du requérant (...) ou d’instaurer un nouveau recours » afin de permettre la réouverture du procès, en l’absence d’un tel recours en droit interne[56]. Plus précisément, elle ne s’est pas contentée de rappeler que les États contractants étaient tenus d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent satisfaire aux exigences de la Convention : au contraire, elle a ajouté, dans un esprit novateur, que ce principe s’appliquait aussi à la réouverture des procédures et à la révision du procès des requérants. Or cette prescription n’a pas été reprise dans le dispositif, qui fait mention de la somme octroyée au titre du préjudice moral, sans évoquer la réouverture de la procédure[57].

13.  Dans l’arrêt M.S.S., compte tenu des circonstances particulières de l’espèce et de la nécessité urgente de faire cesser les violations constatées des articles 13 et 3 de la Convention, la Cour a jugé qu’il « incomb[ait] à la Grèce de procéder à brève échéance à un examen du bien-fondé de la demande d’asile du requérant qui satisfasse aux exigences de la Convention et de s’abstenir, en attendant l’issue de cet examen, de tout éloignement du requérant »[58]. Or aucune de ces mesures individuelles indiquées en vertu de l’article 46 ne figure dans le dispositif de l’arrêt.

14.  La jurisprudence est également fluctuante pour ce qui est du cumul de la satisfaction équitable et de la clause de réouverture. Bien que ni l’arrêt Gençel ni l’arrêt Öçalan n’aient accordé une satisfaction équitable, la Cour impose cumulativement la satisfaction équitable et la clause de réouverture dans une vaste majorité d’affaires[59]. Moins fréquemment, elle rejette la demande de satisfaction équitable compte tenu de la clause de réouverture[60] ou les impose alternativement[61]. Les motifs justifiant tel ou tel choix ne ressortent pas à l’évidence.

15.  Occasionnellement, la Cour se contente d’évoquer l’existence d’un mécanisme national de révision des jugements internes, parfois en sus de la somme accordée au titre de la satisfaction équitable[62], parfois en son absence[63].

16.  Pour résumer, la Cour peut imposer des mesures d’ordre individuel selon l’un des trois types de solutions suivants :

i.  Obligations imposées dans le dispositif :

  1. L’obligation de produire un effet réel précis « dans les plus brefs délais » ou « immédiatement » (la solution Assanidzé).
  2. L’obligation d’invalider une décision de justice interne et de produire un effet réel précis considéré comme « le redressement le plus approprié », ce dans un certain délai, par exemple trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif (la solution Gladysheva).
  3. L’obligation de mettre en œuvre une décision de justice interne et d’en produire ses effets concrets, ce sans délai précis (la solution Plotnikovy-Gluhaković).

ii.  Obligations ne figurant que dans la motivation :

  1. L’obligation de rendre « à brève échéance » une décision de justice interne « qui satisfasse aux exigences de la Convention » et de s’abstenir de toute action en attendant le prononcé de cette décision (la solution M.S.S.)
  2. L’obligation de prendre la mesure d’ordre individuel précise qui est « inévitable » et « doit être déterminée » selon certains impératifs énoncés dans l’arrêt de la Cour (la solution Abuyeva).
  3. L’obligation de prendre la mesure d’ordre individuel précise en combinaison avec les mesures d’ordre général nécessaires à sa mise en œuvre, ce sans le moindre délai (la solution Laska et Lika).
  4. L’obligation de prendre la mesure d’ordre individuel précise qui « constitue le redressement le plus approprié dans les circonstances de l’espèce » (la solution Vojtěchová).
  5. L’obligation de prendre la mesure d’ordre individuel précise qui est « en principe le redressement le plus approprié » (la solution Gençel-Somogyi).
  6. L’obligation de prendre, à la demande de l’intéressé, la mesure d’ordre individuel précise qui « représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée » (la solution Öçalan‑Sejdovic).

iii.  Autres mesures d’ordre individuel figurant dans la motivation :

  1. L’obligation de prendre « toutes les mesures possibles » (non précisées) pour redresser les conséquences de tout dommage passé ou futur causé par la violation de la Convention (la solution Maestri).
  2. L’obligation (de moyens) de prendre « toute mesure » pour obtenir une garantie d’un État non partie à la Convention (la solution Hirsi).
  3. La possibilité (implicite) de recourir aux recours internes en révision évoqués dans la motivation.

17.  Au vu de ces éléments, il ressort indéniablement de la pratique de la Cour établie de longue date que les obligations imposées dans le dispositif et celles énoncées seulement dans la motivation de l’arrêt ont la même valeur juridique, quand bien même elles seraient libellées différemment. La clause de réouverture est un moyen privilégié d’exécuter les arrêts de la Cour, dont la valeur juridique ne dépend pas de savoir si cette clause figure dans la motivation ou dans le dispositif de l’arrêt. En conclure autrement reviendrait à dire que le libellé des arrêts est dicté soit par des sautes d’humeur fantaisistes soit, ce qui serait encore pire, par des considérations politiques. Le choix de la formulation des arrêts de la Cour n’est tributaire ni des goûts du rédacteur ni de la politique de la chambre dépendant de la nécessité d’indiquer plus ou moins emphatiquement la mesure d’ordre individuel selon que l’on attend de l’État défendeur qu’il ne suive pas ou suive la mesure en question.

18.  En somme, l’article 46 de la Convention prévoit bel et bien, le cas échéant, que les arrêts de la Cour produisent des effets juridiques individuels impératifs dans l’ordre juridique interne de l’État défendeur, et permet notamment d’imposer un nouveau procès, ou la révision ou la réouverture d’une procédure pénale. La clause Öçalan doit être interprétée de manière cohérente et uniforme par rapport à la jurisprudence de la Cour en évolution. Ainsi qu’il sera démontré, la variété des formulations que l’on trouve dans la jurisprudence ne soulève pas seulement le problème de la lisibilité de l’arrêt et, par voie de conséquence, de la sécurité juridique : elle nuit également à l’exécution complète et effective des arrêts de la Cour. Malheureusement, le présent arrêt ne donne pas en la matière les indications ô combien nécessaires pour ce qui est d’apprécier la clause Öçalan à l’aune de la riche jurisprudence de la Cour sur les mesures individuelles de redressement d’une violation à la Convention et de réaffirmer leur valeur juridique.

III.  Le droit à la réouverture du procès pénal à la suite d’un constat de violation par la Cour (§§ 19-34)

a.  Le critère strict tiré de la Recommandation (2000) 2 du Comité des Ministres (§§ 19-27)

19.  La majorité de la Grande Chambre refuse le droit à la réouverture d’un procès pénal à la suite d’un constat de violation par la Cour parce qu’il n’existe « au sein de la communauté des États contractants aucune approche uniforme ». Examinant la mise en œuvre de la Recommandation (2000) 2 concernant la révision ou la réouverture de certains procès dans l’ordre juridique interne à la suite d’arrêts rendus par la Cour (ci-après « la Recommandation »), elle conclut que « dans la majorité de ces États, la réouverture n’est pas de droit et (...) doit satisfaire à des critères de recevabilité »[64]. Dans son arrêt de principe du 27 mai 2009, la Cour suprême, par une majorité de deux voix contre une, a également interprété l’article 449 § 1 g) du code de procédure pénale à la lumière de la Recommandation (2000) 2 du Comité des Ministres[65], en en reprenant la teneur exacte.

Puisque la majorité de la Grande Chambre comme la majorité de la Cour suprême dans son arrêt du 27 mai 2009 s’appuient sur les critères tirés de la Recommandation (2000) 2 comme point de départ de leur propre raisonnement, il faut analyser ladite recommandation et sa mise en œuvre par les Parties contractantes à la Convention.

20.  La recommandation du Comité des Ministres dit qu’« il y a des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le réexamen d’une affaire ou la réouverture d’une procédure s’est avéré être le moyen le plus efficace, voire le seul, pour réaliser la restitutio in integrum ». De plus, le Comité des Ministres encourage les États parties à la Convention à prévoir la réouverture de la procédure interne en cas de violation matérielle ou procédurale de la Convention. Dans un cas comme dans l’autre, il faut que la victime d’une violation des droits de l’homme soit encore lésée par les conséquences négatives très graves de celle-ci à la date où la Cour la constate et que seule la réouverture permette d’en effacer ses conséquences. Lorsqu’un vice ou une lacune dans la procédure a été établi(e) par la Cour, la réouverture de l’affaire dépend aussi de la gravité de ce vice ou de cette lacune et du caractère sérieux du doute qui en résulte sur l’issue du procès interne.

21.  La différence de régime entre violation matérielle et violation procédurale de la Convention pour les besoins de la réouverture d’une procédure interne crée une incertitude malvenue. La Cour ne faisant pas toujours la différence entre violation matérielle et violation procédurale, préférant constater une violation globale, les critères à appliquer n’apparaîtront pas toujours clairement : faudra-t-il retenir le critère de réouverture plus strict à la suite d’un constat de violation procédurale ou le critère de réouverture moins strict à la suite d’un constat de violation matérielle ?

22.  De plus, la réouverture du litige ne doit être autorisée que lorsque sont satisfaites deux conditions cumulatives : la persistance de conséquences négatives très graves et l’impossibilité d’y remédier au moyen de la satisfaction équitable. Aucune de ces conditions ne figure à l’article 4 § 2 du Protocole no 7. On comprend mal pourquoi la réouverture à la suite d’un constat de violation de la Convention dans un arrêt de la Cour devrait être soumise à des conditions plus strictes que celles posées à l’article 4 § 2 du Protocole no 7 pour toute autre procédure de réouverture interne.

23.  De plus, la condition selon laquelle les conséquences négatives d’une violation de la Convention « ne peuvent être compensées par la satisfaction équitable et (...) ne peuvent être modifiées que par le réexamen ou la réouverture » crée un lien de subsidiarité entre la réouverture de la procédure interne et la satisfaction équitable. Par conséquent, dès qu’il est possible, la préférence doit être donnée à la satisfaction équitable par rapport à la réouverture de la procédure interne. Cette règle de subsidiarité de la réouverture contredit l’article 41 de la Convention lui-même. Selon cette disposition, l’État défendeur doit faire tout son possible pour offrir une réparation totale (et non une « réparation partielle ») en cas de constat de violation de la Convention, de préférence au moyen d’une restitutio in integrum, ce qui implique d’effacer les conséquences juridiques et matérielles du fait illicite en rétablissant la situation qui aurait existé si celui-ci n’avait pas été commis et, à cette fin, de rouvrir la procédure interne à l’origine du fait illicite[66]. L’indemnisation peut assurément s’ajouter à la restitution dans l’hypothèse où le dommage ne serait pas réparé par celle‑ci[67], mais il ne faudrait pas y voir une alternative à la restitution, et encore moins comme une solution préférable. Du point de vue de la logique, la recommandation renverse l’ordre de préférence logique établi par l’article 41 de la Convention. En dernière analyse, les dispositions très strictes de la recommandation ne sont pas conformes aux principes de droit international voulant que l’État responsable d’un fait illicite soit tenu dans la mesure du possible à la restitution et que la compensation ne soit envisagée qu’une fois conclut que, pour une raison pour une autre, la restitution ne peut pas être opérée[68].

24.  Pire encore, les conditions posées dans la recommandation sous‑entendent que les violations des droits de l’homme peuvent être « achetées ». Les gouvernements pourraient éviter la réouverture d’un procès interne en versant la compensation pour une une violation de la Convention établie par un arrêt définitif de la Cour quelle que soit la nature du droit ou de la liberté en question découlant de la Convention.

25.  De plus, la condition de « persistance du dommage » contredit la raison d’être du recours extraordinaire visant à la réouverture de la procédure interne. Dans la vaste majorité des États membres, la réouverture d’un litige est permise même lorsque la peine a déjà été purgée ou que la personne condamnée est déjà décédée.

26.  Par ailleurs, la condition de « persistance du dommage » est éminemment restrictive en ce qu’elle requiert « un lien de causalité direct entre la violation constatée et les graves conséquences dont la partie lésée continue à souffrir »[69] et des « conséquences négatives très graves à la suite de la décision nationale ». On peut douter que parmi ces « conséquences négatives très graves » figurent la mention d’une condamnation dans le casier judiciaire de l’intéressé[70], le paiement échelonné d’une amende[71] ou l’imposition de restrictions dans la vie sociale et professionnelle du condamné par l’effet d’une peine assortie d’un sursis ou d’une libération sous caution ou avec sursis.

27.  Lorsque la violation de la Convention est commise à l’occasion d’une procédure pénale, elle peut avoir une influence sur la condamnation ou sur la peine. Rétablir le requérant dans la situation où il se serait trouvé si la violation ne s’était pas produite peut justifier la révision de la condamnation comme de la peine, ou simplement de celle-ci, quelle qu’en puisse être la gravité.

b.  Le large consensus européen dans la mise en œuvre de la Recommandation (§§ 28-34)

28.  Dans la vaste majorité des États membres, la législation interne prévoit expressément le droit de demander la révision ou la réouverture d’un procès pénal sur la base d’un constat de violation par la Cour ou d’un jugement d’un tribunal international, ce qui inclut la Cour[72]. Tel est le cas de l’article 30 bis de la loi transitoire d’Andorre sur les procédures judiciaires et de l’article 19 bis de la loi sur la justice[73], des articles 363 a à 363 c du code de procédure pénale autrichien[74], des articles 442 bis et 442 quinquies du code d’instruction criminelle belge et de l’article 116 de la loi du 5 février 2016[75], de l’article 327 § 1 f) du code de procédure pénale de Bosnie-Herzégovine[76], de l’article 422 § 1 4) du code de procédure pénale bulgare, de l’article 502 du code de procédure pénale croate[77], de l’article 119 de la loi sur la Cour constitutionnelle tchèque[78], de la loi chypriote no 23(I)/2015 du 25 février 2015[79], de l’article 457 § 1 b) du code de procédure pénale néerlandais[80], de l’article 367 § 7 du code de procédure pénale estonien, de l’article 622-1 du code de procédure pénale français[81], de l’article 310 e) du code de procédure pénale géorgien[82], de l’article 359 § 6 du code de procédure pénale allemand[83], de l’article 525 § 1 e) du code de procédure pénale grec[84], de l’article 416 § 1 g) du code de procédure pénale hongrois[85], de l’article 655 § 2 (5) de la loi lettone sur la procédure pénale[86], de l’article 456 du code de procédure pénale lituanien[87], de l’article 443 § 5 du code de procédure pénal luxembourgeois[88], de l’article 449 § 1 6) de la loi macédonienne sur la procédure pénale, de l’article 508 § 4 du code de procédure pénale monégasque, de l’article 464 du code de procédure pénale moldave[89], de l’article 424 § 6 du code de procédure pénal monténégrin, de l’article 391 § 2 de la loi norvégienne sur la procédure pénale[90], de l’article 540 § 3 du code de procédure pénale polonais[91], de l’article 449 § 1 g) du code de procédure pénale portugais, de l’article 465 du code de procédure pénale roumain[92], de l’article 200 du code de procédure pénale de Saint-Marin[93], de l’article 394 §§ 1-3 du code de procédure pénale slovaque[94], de l’article 954 § 3 du code de procédure pénale espagnole[95], de l’article 122 de la loi fédérale du 17 juin 2005 relative au Tribunal fédéral suisse[96], de l’article 311 f) du code de procédure pénale turc[97] et de l’article 445 du code de procédure pénale ukrainien[98].

Dans seulement deux États membres, l’Azerbaïdjan[99] et la Russie[100], l’existence de dispositions prévoyant expressément la réouverture de la procédure pénale sur la base d’un arrêt de la Cour ne confère pas un droit individuel à la réouverture à la personne condamnée.

29.  Dans certains États membres, l’absence de dispositions permettant expressément la réouverture d’un procès pénal sur la base d’un arrêt définitif de la Cour est palliée par une interprétation dynamique des dispositions générales du code de procédure pénale ou de la loi procédurale en matière de révision. Tel est le cas dans les pays suivants : Albanie[101], Danemark[102], Finlande[103], Islande[104], Irlande[105], Italie[106], Suède[107] et Royaume-Uni[108].

À Malte, il serait possible de rouvrir la procédure sur la base de l’article 6 de la loi sur la Convention européenne, qui permet à la Cour constitutionnelle d’exécuter tout arrêt de la Cour visé par une déclaration faite par le gouvernement maltais conformément à l’article 46 de la Convention. De plus, le Premier ministre peut, d’office ou à la demande d’une personne condamnée « sur la base d’un acte d’inculpation », saisir la Cour des appels criminels. Dans cette hypothèse, cette juridiction peut y voir un appel formé par le condamné, et elle pourra vraisemblablement tenir compte de tout constat par la Cour de violation de la Convention lorsqu’elle dira s’il y a lieu d’annuler la condamnation et d’ordonner un nouveau procès. Or, ni l’un ou l’autre de ces deux mécanismes (exécution par la Cour constitutionnelle et saisine par le Premier ministre de la Cour des appels criminels) n’a jamais été utilisé[109].

En Serbie, l’article 473 du nouveau code de procédure pénale pourrait permettre la réouverture d’un procès pénal fondé sur la base d’un arrêt de la Cour si à l’avenir ce motif en vient à être analysé en un « fait nouveau » ou en une « preuve nouvelle », mais ce n’est pas encore arrivé[110]. Il en va de même en Arménie[111] et en Slovénie[112].

30.  Enfin, le Liechtenstein est le seul État membre dans lequel la réouverture ou la révision d’une condamnation pénale sur la base d’un arrêt de la Cour n’est pas possible. L’absence ce droit est justifiée par les notions juridiques de l’autorité de la chose jugée et de la sécurité juridique[113].

31.  La réouverture est parfois soumise à des conditions spécifiques conformément aux critères énoncés dans la Recommandation (2000)2 du Comité des Ministres (II (i) et (ii)). Certains États membres exigent que la personne condamnée continue à subir les conséquences négatives de la violation constatée par la Cour ou les effets de sa condamnation (Belgique, Espagne, France, République de Moldova, Monaco, Portugal[114], Roumanie, Fédération de Russie[115], Saint-Marin, Slovaquie et Suède[116]). Dans d’autres États membres, il n’y a pas de condition de lien de causalité effectif entre la violation et le dommage causé par le jugement interne, un lien potentiel étant suffisant. Par exemple, certains États imposent en outre, aux fins de la réouverture, que le jugement interne en cause soit « fondé » sur la violation constatée par la Cour (Allemagne, Bosnie-Herzégovine et Monténégro), que la violation soit d’une « importance essentielle pour le litige » (Bulgarie) ou qu’il faille supposer qu’un nouveau procès conduira à une décision différente (Norvège). D’autres apparaissent retenir un critère moins strict, prescrivant seulement qu’il ne peut être exclu que la violation a pu toucher la teneur du jugement interne d’une manière préjudiciable à l’intéressé (Autriche) ou que le constat de violation était susceptible d’avoir une incidence sur l’issue du litige (Estonie). Pour ce qui est des violations de la Convention commises à l’occasion d’un procès interne, la réouverture dans certains États n’est permise que lorsque le vice de procédure jette le doute sur l’issue de la procédure en cause (Belgique, Lituanie, Norvège et Pologne). Au Royaume-Uni, la Commission de contrôle des procédures pénales (Criminal Cases Review Commission) saisit la Cour d’Appel si elle estime « qu’il existe une possibilité réelle que la condamnation ne sera pas confirmée en cas de saisine » (c’est-à-dire s’il existe une possibilité réelle que la condamnation sera annulée par la Cour d’Appel). À Malte, si le premier ministre saisit la Cour des appels criminels, celle-ci peut ordonner un nouveau procès au motif que la procédure était entachée d’une irrégularité ou d’une mauvaise interprétation ou application de la loi susceptible d’avoir eu une incidence sur le verdict initial « s’il apparaît à la cour que les intérêts de la justice l’exigent ».

Les législations d’autres États membres exigent que les conséquences de la violation constatée ne puissent être effacées que par la révision ou la réouverture, l’une ou l’autre de ces mesures étant nécessaire à cette fin, ou que l’indemnisation ou la satisfaction équitable ne peuvent y remédier (Andorre, Belgique, Espagne, Estonie, France, Italie, Lituanie, République de Moldova, Monaco, Pays-Bas, Norvège, Portugal[117], Roumanie, Saint‑Marin, Slovaquie et Suisse). Au Monténégro, il suffit que la réouverture de la procédure permette de remédier à la violation constatée par la Cour. En Suède, la jurisprudence interne établit que la réouverture peut être ordonnée si elle est considérée comme une mesure plus adéquate que les autres mesures disponibles.

Dans certains des États membres, la législation prévoit que les deux types de conditions (la réouverture comme seul moyen de remédier aux conséquences de la violation et la persistance des conséquences négatives de la violation) doivent être satisfaites cumulativement (Belgique, Espagne, France, République de Moldova, Monaco, Portugal, Roumanie, Saint-Marin et Slovaquie).

32.  Pour ce qui est du type de violation constatée par la Cour, la vaste majorité des États membres n’opère aucune distinction entre les affaires dans lesquelles c’est la procédure en cause qui était inéquitable (violation de l’article 6) et les affaires dans lesquelles c’est l’issue de la procédure ou la décision sur le fond qui était contraire à la Convention (par exemple à l’article 10). Certaines législations visent expressément les deux types de violations, conformément à la Recommandation (2000) 2 du Comité des Ministres (Belgique, Grèce, Hongrie, Norvège et Pologne), mais seulement trois d’entre eux prévoient un régime différent selon la nature de la violation (Belgique, Norvège et Pologne).

33.  Dans un certain nombre de pays, la réouverture a bien eu lieu. Lorsque la Cour avait constaté des violations de l’article 6, elle a conduit à l’annulation des jugements internes initiaux et au réexamen de l’affaire, puis à la rectification des vices constatés par la Cour avec une issue similaire (condamnation) ou différente (par exemple l’acquittement). Dans ces affaires, les violations de l’article 6 étaient variables ; il s’agissait notamment de violations du principe de la sécurité juridique[118], du droit à un jugement motivé[119], du droit à un procès public et à ce que la juridiction de jugement examine elle-même les preuves[120], des droits de la défense au regard de l’article 6 § 3 d)[121], du droit à un procès équitable en cas de guet-apens policier[122] et du droit à être présumé innocent[123].

Dans certains systèmes judiciaires tels que ceux de l’Arménie, du Danemark, de l’Irlande, de Malte, de Saint-Marin et de Serbie, l’absence ou la rareté d’une pratique judiciaire en matière de réouverture de procès pénaux sur la base d’arrêts de la Cour constatant une violation de la Convention est un signe d’indifférence préoccupant de la part de leurs juridictions à l’égard de ces arrêts. La situation est encore plus grave en Russie et en Azerbaïdjan, où les victimes de violation des droits de l’homme ne jouissent même pas d’un droit à la réouverture. Cette situation fait contraste avec l’ouverture à l’égard des arrêts de la Cour dont font preuve d’autres systèmes judiciaires tels que ceux de l’Albanie, de l’Autriche, de la Belgique, de la France, de la Géorgie, de la Grèce, de la Lituanie et de Moldova.

34.  Pour résumer, il existe un consensus européen en faveur du droit individuel à la réouverture de la procédure pénale sur la base d’un constat de violation par la Cour, trois États seulement s’écartant de cette solution[124]. De plus, une petite minorité d’États européens prévoit que les conséquences de la violation constatée ne peuvent être effacées que par la réouverture et une minorité encore plus petite dispose que la personne condamnée doit continuer de subir les conséquences négatives de la violation constatée par la Cour. Seuls neuf États imposent les deux critères de recevabilité matériels.

Dès lors, les conclusions tirées du droit comparé par la majorité, exposées aux paragraphes 34 à 39 de l’arrêt, ne reflètent pas la situation dans la réalité. La mauvaise méthode d’analyse de droit comparé retenue par la majorité, fondée sur une approche strictement descriptive, est critiquable pour deux raisons principales : premièrement, elle ne définit pas bien la finalité de la comparaison (pourquoi comparer, à quelle fin ?) et, par conséquent, elle ne parvient pas à déterminer les bonnes sources et le bon niveau de comparaison (quoi comparer, comment le faire ?) L’exhaustivité de la comparaison laisse aussi beaucoup à désirer, la majorité optant pour une approche purement descriptive et quantitative dans son analyse des éléments disponibles, sans se livrer à la moindre appréciation des différences et spécificités des systèmes de droits nationaux, notamment la jurisprudence des juridictions internes compétentes et la pratique d’autres autorités compétentes, politiques et administratives. Une méthodologie de comparaison aussi mauvaise ne peut que conduire à une dénaturation du consensus européen.

Seconde partie (§§ 35-56)

IV.  L’applicabilité de l’article 6 aux recours extraordinaires en réouverture au pénal (§§ 35-44)

a.  L’interprétation évolutive par la majorité de l’article 6 de la Convention (§§  35-39)

35.  Conformément à l’opinion traditionnelle voulant que l’article 6 § 1 ne garantisse aucun droit à la réouverture d’une procédure[125], la position de la Cour est qu’elle n’a pas compétence ratione materiae à l’égard des griefs tirés des recours extraordinaires visant à la réouverture d’un procès pénal au motif qu’ils se rapportent à un stade de la procédure où l’accusé ne peut plus être considéré comme faisant l’objet d’une « accusation en matière pénale ».

36.  En 2015, la Cour a fait un pas en avant dans le domaine du droit civil, reconnaissant que l’article 6 n’est en principe pas applicable aux recours extraordinaires visant à la réouverture d’une procédure judiciaire close à moins que la nature, la portée et les particularités de cette procédure dans tel ou tel ordre juridique ne puissent être propres à la faire tomber dans le champ d’application de l’article 6 § 1 et des garanties d’équité du procès que cette disposition accorde au justiciable[126]. Cette jurisprudence de Grande Chambre a été appliquée la même année, en 2015, dans une affaire pénale[127] à l’issue de laquelle la Cour a jugé que, en excluant du dossier, à la suite de l’arrêt antérieurement rendu par celle-ci, les aveux faits par le requérant en absence de son avocat et en réexaminant le reste des preuves pour conclure que la condamnation du requérant tenait, la Cour suprême s’était livrée à une nouvelle analyse de l’affaire. Elle a assimilé la situation juridique dans laquelle le requérant se trouvait à celle dans laquelle s’était trouvée la requérante dans l’affaire Bochan (no 2). Elle a conclu à cet égard que l’article 6 s’appliquait puisque la Cour suprême s’était livrée à un « réexamen » des prétentions du requérant sur la base de tout nouveaux motifs se rapportant à l’interprétation de l’arrêt rendu par la Cour, bien qu’elle eût décidé de ne pas modifier l’issue du litige. Donc, la procédure en cause concernait la décision sur l’accusation en matière pénale dont faisait l’objet le requérant, au sens de l’article 6 de la Convention. Un tel réexamen constituait un fait nouveau dans le cadre d’une nouvelle requête dont la Cour pourrait être saisie.

37.  Selon le présent arrêt, l’article 6 de la Convention est applicable aux recours extraordinaires en réouverture d’un procès pénal dès lors que l’instance d’appel est appelée à statuer sur une accusation en matière pénale[128]. En dernière analyse, cette interprétation évolutive de l’article 6 assimile les recours ordinaires aux recours extraordinaires en réouverture de procédure en faisant des seconds un « prolongement » des premiers[129]. Pour être tout à fait clair, il s’agit de la dernière étape dans le processus de reconnaissance de l’applicabilité totale de l’article 6 aux recours extraordinaires en réouverture en matière pénale, et c’est là que réside l’apport du présent arrêt[130].

38.  À ce développement jurisprudentiel courageux et louable s’ajoute la reconnaissance non moins remarquable de la compétence de la Cour à raison de l’inexécution de ses arrêts, c’est-à-dire lorsque les juridictions internes refusent de rouvrir le procès pénal à la suite d’un constat de violation de la Convention. Là encore, la Cour consolide sa propre jurisprudence. Le rôle dévolu au Comité des Ministres par l’article 46 § 2 de la Convention, qui est de surveiller l’exécution des arrêts de la Cour, ne veut pas dire que les mesures prises par l’État défendeur afin d’exécuter un arrêt rendu par la Cour ne puissent pas soulever de nouvelles questions sur le terrain de la Convention et faire ainsi l’objet d’une nouvelle requête dont pourra être saisie la Cour[131].

39.  L’arrêt Emre (no 2)[132] est le couronnement de cette jurisprudence. Dans l’arrêt Emre[133], la chambre avait critiqué une mesure d’expulsion pour une durée indéterminée. Dans l’arrêt Emre (no 2), une autre chambre a reconnu la compétence de la Cour à raison de l’inexécution de ses arrêts alors même que le Tribunal fédéral suisse avait fait droit à la demande en réouverture du procès et substitué à la mesure d’expulsion du requérant du territoire suisse pour une durée indéterminée une expulsion d’une durée de de 10 ans à compter du 2 juin 2003. Elle a conclu à la violation de l’article 8, en combinaison avec l’article 46, au motif que le Tribunal fédéral avait mal exécuté le premier arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Emre[134]. Avec le présent arrêt, la Grande Chambre revêt de son autorité l’activisme dont avait fait preuve l’arrêt Emre (no 2) sur la question du défaut d’exécution ou de l’inexécution des arrêts de la Cour.

b.  L’interprétation erronée du droit portugais par la majorité (§§ 40-44)

40.  Les louables progrès accomplis par la majorité concernant l’applicabilité de l’article 6 de la Convention aux recours extraordinaires en réouverture des procédures pénales sont d’autant plus significatifs qu’ils sont fondés sur une interprétation erronée du droit national. La majorité a mal interprété le régime portugais des recours extraordinaires en matière pénale afin de parvenir à la conclusion que le recours extraordinaire en réouverture devant la Cour suprême fondé sur l’article 449 du code de procédure pénale statue sur « le bien-fondé d’une accusation pénale » et tombe donc sous le coup de l’article 6 de la Convention[135]. Cette interprétation erronée du droit national permet d’adapter commodément le cas d’espèce à l’extension par la majorité du raisonnement de l’arrêt Bochan (no 2) dans le domaine pénal, dans la mesure où celui-ci exige que le recours extraordinaire en réouverture de la procédure soit « assimilable dans sa nature et son étendue à une procédure d’appel ordinaire »[136], de manière à ce que les garanties de l’article 6 de la Convention s’appliquent aux recours extraordinaires en question.

41.  Ce point justifie que l’on s’intéresse plus avant aux subtilités du droit national. D’un point de vue juridique, il est erroné de dire que, en droit portugais, le recours extraordinaire en réouverture d’un procès pénal « partage des traits communs avec les pourvois en cassation »[137]. En effet, il s’en distingue pour ce qui est des critères de recevabilité, de la qualité pour agir, des délais, des formalités, de la juridiction compétente, des pouvoirs de celle-ci et des garanties procédurales offertes à son auteur, comme le Gouvernement lui-même le souligne à juste titre[138]. Les recours ordinaires (recursos ordinários) et les recours extraordinaires (recursos extraordinários) sont régis, respectivement, par les titres I et II du livre IX du code de procédure pénale. Il y a des dispositions communes applicables aussi bien aux recours ordinaires devant les juridictions d’appel qu’aux recours devant la Cour suprême (articles 399 à 426-A), mais il n’y a aucune disposition commune applicable aussi bien aux recours ordinaires qu’aux recours extraordinaires. Ils sont régis séparément, sous différents titres du code. L’article 448 prévoit l’application subsidiaire des dispositions régissant les recours ordinaires aux recours en uniformisation de la jurisprudence, mais il n’y a aucune règle équivalente pour les recours en réouverture d’un litige. Il est donc faux de dire que, en droit portugais, le recours extraordinaire prévu par l’article 449 du code de procédure pénale est un « prolongement » de la procédure antérieure conclue par l’arrêt du 19 décembre 2007[139]. La Cour suprême elle-même a toujours dit que le recours en révision n’était pas un « appel déguisé » ni un « substitut aux recours ordinaires » et qu’il ne devait pas être « permissif au point de banaliser et, par voie de conséquence, de sous-estimer la révision » comme s’il s’agissait d’une simple extension de la procédure antérieure[140].

42.  En somme, la Cour suprême n’est pas appelée à « statuer sur une accusation en matière pénale »[141] lorsqu’elle exerce les pouvoirs que lui confère l’article 449 du code de procédure pénale. Elle se contente dans ce cadre d’examiner les critères de recevabilité de la demande de révision et, si elle y fait droit, la nouvelle décision sur l’accusation en matière pénale est confiée à une autre juridiction conformément à l’article 457[142].

43.  La conclusion de la majorité selon laquelle « [le] contrôle [opéré par la Cour suprême] a donc une nouvelle fois porté sur le bien-fondé, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, de l’accusation pénale dirigée contre la requérante » pousse jusqu’à ses limites la notion autonome de « décision sur une accusation en matière pénale ». Si rien n’empêche la Cour de donner un sens autonome à cette notion aux fins de l’applicabilité de l’article 6 aux recours extraordinaires en réouverture d’une procédure pénale, il ne faudrait pas le faire sur la base d’une interprétation du droit national qui déformerait le recours extraordinaire dans la conception qu’en donne le code de procédure pénale portugais.

44.  La conclusion de la majorité non seulement est juridiquement mal fondée mais elle soulève aussi une autre question grave se rapportant à l’épuisement des voies de recours internes. Le silence de la majorité sur ce point permet de tirer la conclusion éminemment problématique qu’une demande tendant à la réouverture d’une procédure ou à l’utilisation d’un recours similaire doit en principe être prise en compte aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention[143]. Ce serait un regrettable développement jurisprudentiel.

V.  L’application de l’article 6 en l’espèce (§§ 45-56)

a.  L’interprétation par la Cour suprême de l’article 449 § 1 g) du code de procédure pénale (§§ 45-50)

45.  Dans son arrêt du 21 mars 2012, la Cour suprême a conclu que la condamnation de la requérante n’était pas inconciliable avec l’arrêt Moreira Ferreira et exclu du champ d’application de l’article 449 § 1 g) certaines violations procédurales, comme l’absence de l’accusé dans la procédure, au motif que celles-ci n’étaient pas assez graves pour que la condamnation soit considérée comme compatible avec l’arrêt Moreira Ferreira. Autrement dit, la Cour suprême a suivi en substance la position de sa majorité dans son arrêt du 27 mai 2009. Elle a ajouté que le vice de procédure constaté par la Cour dans l’arrêt du 5 juillet 2011 correspondait à une nullité irrémédiable (nulidade insanável) non susceptible en elle-même et par elle-même de conduire à la réouverture de la procédure en vertu de l’article 449.

46.  Cette interprétation est problématique pour trois raisons. Premièrement, l’article 449 § 1 g) ne fait aucune différence entre violation matérielle et violation procédurale. Deuxièmement, cette interprétation restrictive s’écarte d’une série d’arrêts antérieurement rendus par la Cour suprême sur la base de ce même article[144]. Troisièmement, l’argument de la nullité irrémédiable se veut un obstacle juridique à l’exécution de l’arrêt de la Cour dans l’ordre juridique interne. Le contre-argument est évident : le droit national ne saurait être opposé à la restitutio in integrum sous la forme de la réouverture du procès interne[145].

47.  Or la majorité de la Grande Chambre admet que l’interprétation par la Cour suprême de l’article 449 § 1 g) « n’apparaît pas arbitraire »[146], au motif qu’elle est censément conforme à la jurisprudence de la Cour voulant que la Convention ne garantisse aucun droit à la réouverture du procès[147]. Il a été démontré ci-dessus que ce principe ne correspond pas à l’image complète de la jurisprudence de la Cour.

48.  De plus, la majorité ne constate « au sein de la communauté des États contractants aucune approche uniforme quant à la faculté de demander la réouverture d’une procédure close »[148]. Le motif avancé par elle, qui est que « dans la majorité de ces États, la réouverture n’est pas de droit et qu’elle doit satisfaire à des critères de recevabilité »[149], est tout simplement hors sujet. La question ici n’est pas celle de l’automaticité ou non de la réouverture. D’ailleurs, la réouverture n’est jamais automatique, comme le montre de manière concluante l’analyse du droit comparé. Il y a toujours des critères de recevabilité formels, tels que ceux se rapportant à la qualité pour agir. Mais là n’est pas le sujet. Ce qui importe, c’est l’existence ou non de critères de recevabilité matériels.

De même, l’argument tiré de « l’absence d’approche uniforme parmi les États membres quant aux modalités de fonctionnement des mécanismes de réouverture existants »[150] est sans rapport avec la question qui se pose en l’espèce. La question est non pas celle des « modalités de fonctionnement des mécanismes de réouverture existants », mais celle de l’existence de critères de recevabilité matériels offrant au juge interne une latitude dans son examen des demandes en réouverture des procès pénaux conclus par un jugement définitif, à la suite d’un constat par la Cour d’une violation de la Convention.

49.  Ainsi qu’il a été démontré ci-dessus, il existe un consensus européen évident parmi les États membres en faveur d’un droit individuel à la révision du procès, notamment à la réouverture de la procédure ou à un nouveau jugement lorsque la Cour conclut à une violation de la Convention. Seule une minorité d’États prévoit des critères de recevabilité matériels afin de déterminer si la réouverture doit être accordée en retenant l’un ou l’autre des deux critères énoncés par le Comité des Ministres (les conséquences négatives de la violation doivent perdurer et elles ne peuvent être effacées que par la réouverture) et une minorité encore plus réduite exige les deux critères. Compte tenu de ce consensus européen, force est de se rallier au juge auteur d’une opinion séparée jointe à l’arrêt rendu par la Cour suprême le 27 mai 2009. Son interprétation de l’obligation internationale pesant sur le Portugal de rouvrir la procédure pénale à la suite d’un constat par la Cour d’une violation de la Convention, sans que la Cour suprême ne jouisse de la moindre latitude, correspond au consensus européen. Le juge Maia Costa a effectivement raison.

50.  Par l’effet combiné d’une appréciation erronée du consensus européen existant en matière de réouverture des procès pénaux à la suite d’un constat par la Cour d’une violation de la Convention et de la marge d’appréciation des autorités de l’État défendeur dans l’interprétation des arrêts de la Cour, la majorité de la Grande Chambre suit une approche minimaliste qui nuit à l’autorité de la Cour et ne donnera vraisemblablement guère d’éclaircissements aux juridictions internes. Elle fait le choix malheureux de retenir un critère particulièrement strict eu égard à ce consensus européen, ce qui risque d’élargir la marge d’appréciation de l’État au-delà de ses limites. Sans le justifier par le moindre motif, elle fixe la barre du consensus au plus haut niveau possible d’une réglementation « uniforme »[151] de l’institution qu’est le recours extraordinaire en réouverture du procès pénal. La manière contradictoire dont la majorité apprécie la valeur déterminante du consensus européen et les éléments objectifs retenus pour établir celui-ci sont poussées jusqu’à leur limite ici, faisant naître une grande incertitude juridique.

b.  L’interprétation par la Cour suprême de l’arrêt Moreira Ferreira (§§ 51-56)

51.  Dans son arrêt du 21 mars 2012, la Cour suprême a supposé que la Cour avait exclu d’emblée toute possibilité que sa décision pût susciter des doutes sérieux sur la condamnation, indépendamment de la peine effectivement infligée. Elle a ajouté que, en accordant à la requérante une somme au titre de la satisfaction équitable, la Cour avait offert un redressement suffisant pour la violation procédurale constatée. Le parquet près la Cour suprême avait défendu la position inverse, estimant que la condamnation de la requérante pouvait légitimement susciter des doutes sérieux. C’est pourquoi il avait demandé que le recours extraordinaire fût accueilli.

52.  En l’espèce, le refus par la Cour suprême de mettre en œuvre l’arrêt rendu par la Cour en 2011 n’apporte aucun élément nouveau dans les volets factuels ou juridiques du litige. Il n’ajoute absolument rien à la substance de l’accusation en matière pénale initiale dirigée contre la requérante. La Cour suprême n’a avancé aucune raison pertinente et suffisante pour conclure que l’arrêt rendu le 19 décembre 2007 par la cour d’appel de Porto était compatible avec l’arrêt rendu par la Cour le 5 juillet 2011. Autrement dit, dans son arrêt Moreira Ferreira (no 2), la Grande Chambre est saisie non pas d’une nouvelle accusation en matière pénale mais de l’inexécution pure et simple de l’arrêt Moreira Ferreira.

53.  La majorité de la Grande Chambre conclut que l’interprétation par la Cour suprême de l’arrêt Moreira Ferreira n’était pas « arbitraire »[152]. En sous-estimant à la base la valeur contraignante de la clause Öçalan, ce qui ne cadre pas avec l’historique de celle-ci comme je l’ai démontré ci-dessus, elle suppose que, dans l’arrêt Moreira Ferreira, la chambre avait accordé à l’État défendeur une « marge de manœuvre étendue »[153]. Dès lors, selon elle, l’interprétation par la Cour suprême de l’arrêt de chambre relevait de la « marge d’appréciation dont jouissent les autorités internes dans l’interprétation des arrêts de la Cour »[154].

54.  Il s’agit du motif le plus regrettable avancé par la majorité dans tout l’arrêt, pour des raisons tenant aussi bien au droit interne qu’au droit de la Convention. À ce stade, il y a lieu de noter que la majorité de la Grande Chambre se refuse à livrer la bonne interprétation de l’arrêt Moreira Ferreira, tout en approuvant le jugement interne du 21 mars 2012 en disant qu’il ne dénature pas le sens de l’arrêt de chambre antérieure du 5 juillet 2011. Comme le parquet près la Cour suprême l’a fort justement souligné, la bonne interprétation de l’arrêt Moreira Ferreira va dans la direction opposée.

Dans l’arrêt Moreira Ferreira, la Cour a indiqué que la question de la responsabilité pénale de la requérante était importante pour l’issue du litige au point que la cour d’appel n’aurait pas dû statuer sans avoir entendu au préalable la requérante sur tous les points. Elle a donc constaté l’existence d’un grave vice de procédure susceptible d’avoir une influence sur l’issue du procès pénal de la requérante, à savoir le degré d’imputabilité à celle-ci d’une responsabilité pénale et la peine fixée[155], si bien que la clause Öçalan aurait dû donner lieu à la réouverture de ce procès.

Dans son arrêt du 5 juillet 2011, la Cour n’a pas recherché si la condamnation était douteuse ou non, et elle n’avait pas à le faire. Elle n’a donc pas exclu d’emblée toute possibilité que l’arrêt contesté du 19 décembre 2007 suscite des doutes sérieux sur la condamnation. Lorsqu’elle a dit qu’elle ne pouvait « spéculer sur le résultat auquel la cour d’appel aurait abouti si elle avait entendu la requérante au cours d’une audience publique », il faut y voir non pas une confirmation de la justesse de la condamnation mais un énoncé du principe de subsidiarité. Par conséquent, le refus par la Cour suprême de rouvrir le procès de la requérante est fondé sur une interprétation en excès de pouvoir et non téléologique de l’arrêt Moreira Ferreira qui ne tient aucun compte de l’objet et du but de celui-ci, c’est-à-dire « [des] conclusions et [de] l’esprit de l’arrêt de la Cour à exécuter »[156], rendant illusoire le principe de la restitutio in integrum et vidant de sa substance même le droit pour la requérante de comparaître devant le tribunal chargé de statuer sur l’accusation en matière pénale dirigée contre elle, à savoir la cour d’appel de Porto[157].

Enfin, ce rejet par la Cour suprême ne tient pas même à la lumière des critères exposés dans son arrêt de principe du 27 mai 2009. À la date du prononcé de l’arrêt de la Cour suprême relatif à la demande en révision formée par la requérante (le 21 mars 2012), les conséquences de l’arrêt interne contesté du 19 décembre 2007 (paiement de l’amende en plusieurs tranches et mention de la condamnation dans le casier judiciaire de la requérante[158]) n’avaient pas été effacés par l’effet de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Moreira Ferreira et, dès lors, la requérante subissait toujours les conséquences négatives de l’arrêt interne[159].

55.  Il ne peut y avoir plus grande frustration. L’approche favorable aux droits de l’homme promise par la majorité au stade de la recevabilité est mise en échec au stade du fond. Très bizarrement, le critère de l’arbitraire est retenu à ce stade dans l’appréciation de l’interprétation par les autorités internes des arrêts de la Cour ainsi que de leur interprétation du droit national[160]. La majorité de la Grande Chambre assimile l’interprétation des arrêts de la Cour par les autorités internes à l’interprétation du droit national par celles-ci, comme si les arrêts de la Cour et le droit national se trouvaient au même rang. Elle s’appuie entièrement sur l’interprétation par le juge interne lui-même des arrêts de la Cour, ne prêtant pas à celle-ci l’expertise nécessaire pour interpréter ses propres arrêts. En pratique, le critère de l’arbitraire est un chèque en blanc remis aux juridictions internes, l’appréciation par la majorité du refus opposé par la Cour suprême se limitant à la vérification formelle que la Cour suprême a indiqué « de manière suffisante les motifs sur lesquels [elle] se fond[ait] »[161]. La position de la majorité qui consiste à se dispenser de tout examen sur le fond de l’interprétation par la Cour suprême de l’arrêt Moreira Ferreira implique que la Cour renonce à sa propre compétence pour interpréter ses arrêts, désormais expressément consacrée au paragraphe 46 § 3 de la Convention. Autrement dit, cette limitation auto-imposée des pouvoirs d’interprétation de la Cour est contraire à la Convention elle-même et à la volonté explicite des Parties contractantes telle qu’exprimée dans la réforme de l’article 46 § 3 de la Convention opérée par le Protocole no 14.

56.  En statuant ainsi, la majorité envisage la Cour comme un simple organe consultatif auprès de la Cour suprême laquelle, au bout du compte, sera libre d’interpréter les arrêts de la Cour comme il lui plaira du moment que la Cour suprême expose des motifs, n’importe quels motifs d’interprétation, quelle qu’en soit la teneur. Appliquant à la Cour sa propre jurisprudence, en particulier l’arrêt pionnier Benthem c. Pays-Bas,[162] il faudra en conclure que, selon la majorité, la Cour n’est pas un organe judiciaire car elle n’a même pas compétence pour ordonner une mesure d’ordre individuel en vue de redresser une violation de la Convention, telle que la réouverture d’une procédure interne, ni pour interpréter son propre arrêt lorsqu’une nouvelle requête est introduite parce que sa décision n’a pas été respectée.

VI.  Conclusion (§§ 57-60)

57.  Les arrêts de la Cour ne sont pas seulement déclaratoires. La jurisprudence sur le terrain de l’article 46 de la Convention n’est pas restée fossilisée dans le passé : elle prévoit aujourd’hui, le cas échéant, que ces arrêts produisent des effets juridiques individuels dans l’ordre juridique interne de l’État défendeur, et notamment que la Cour peut ordonner la révision, un nouveau procès ou la réouverture de la procédure pénale. La clause Öçalan doit être interprétée à la lumière de cette interprétation évolutive.

58.  Le libellé très strict de la Recommandation no R (2000) 2 du Comité des Ministres pose problème au regard de l’article 4 § 2 du Protocole no 7. De plus, non seulement la raison d’être de l’institution de la réouverture en matière pénale mais aussi celle des principes du droit international en matière de réparation appellent une interprétation plus généreuse du droit de rouvrir un procès pénal à la suite d’un constat par la Cour d’une violation de la Convention. D’ailleurs, cette recommandation est mise en œuvre d’une manière qui va bien au-delà de ce qu’impose son libellé. Il existe aujourd’hui un consensus européen en faveur du droit individuel à la réouverture en matière pénale sur la base d’un constat par la Cour d’une violation, sans laisser aux autorités internes compétentes la moindre latitude pour écarter cette mesure sur la base de critères de recevabilité matériels.

59.  Au vu de ces éléments, l’article 6 de la Convention est applicable aux recours extraordinaires en réouverture de procès pénaux. L’interprétation de la Convention par la Cour étant de nature autonome, le louable effort fait par la majorité pour reconnaître le principe de l’applicabilité de l’article 6 de la Convention aux recours extraordinaires concernant la réouverture en matière pénale n’est pas contrecarré par le fait qu’il se fonde sur une mauvaise interprétation du droit interne.

60.  Sous-estimant à la base la portée juridique de la clause Öçalan, ce qui n’est pas conforme à l’historique de cette clause, la majorité suppose à tort que la chambre, en 2011, avait accordé à l’État défendeur « une marge de manœuvre étendue ». À l’instar du parquet près la Cour suprême, je conclus que la Cour suprême aurait dû rouvrir le procès de la requérante et que, en refusant de le faire, elle n’a pas tenu compte de l’objet et du but de l’arrêt Moreira Ferreira. Il y a donc eu violation de l’article 6.


OPINION DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS, À LAQUELLE SE RALLIENT LES JUGES SAJÓ, TSOTSORIA ET VEHABOVIĆ

(Traduction)

1.  Je n’ai pas pu voter en faveur d’un constat de non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention (point 2 du dispositif de l’arrêt) pour des raisons correspondant à celles exposées par le juge Pinto de Albuquerque dans son opinion dissidente. Je souhaite souligner l’importance d’une approche plus nuancée quant à la différence entre les « commandements » directs par la Cour de rouvrir la procédure, effectivement adressés aux autorités judiciaires internes, et ses indications moins affirmatives selon lesquelles la réouverture serait le moyen (le plus) approprié, voire le seul moyen de redresser la violation de la Convention (voir, par exemple, les paragraphes 2, 8, 18 et 57 du texte de l’opinion du juge Pinto de Albuquerque), indications qui, non assimilables à des « commandements » au sens propre du terme, ne prescrivent qu’indirectement aux autorités judiciaires internes de rouvrir la procédure de manière à satisfaire, au bout du compte, les exigences de la Convention. Néanmoins, cette différence dans nos approches en matière de « commandements » et d’« indications » n’est pas vraiment pertinente en l’espèce. Même si les « recommandations » de la Cour (aussi abondantes et diverses soient-elles) tendant à la réouverture de la procédure ou à l’application d’autres mesures d’ordre individuel ne sont pas toutes interprétables comme des « commandements » directs, je partage l’idée maîtresse du raisonnement du juge Pinto de Albuquerque quant à la manière dont cette affaire particulière doit être tranchée.

Sur certains points, toutefois, je souhaite souligner, ou parfois compléter, les considérations exposées par mon éminent collègue. Ce sont ces points que je vais exposer dans la présente opinion dissidente additionnelle, en me fondant sur la conclusion de la majorité (et, au bout du compte, en me laissant convaincre) que l’article 46 ne fait pas obstacle à l’examen du grief tiré par le requérant d’une violation de l’article 6.

2.  Le langage employé par la Cour d’un bout à l’autre de sa jurisprudence « recommandant » aux États défendeurs, une fois une violation de l’article 6 constatée par elle, de conduire un nouveau procès ou de rouvrir la procédure est souvent trop hésitant et donc quelque peu inégal, déroutant et incohérent par rapport à la substance du message qu’il entend adresser aux États concernés.[163] La position de la Cour que ce langage révèle, ou parfois effectivement dissimule, peut elle aussi être regardée comme déroutante, du moins dans certaines affaires.

Le présent arrêt a rendu la situation non pas moins mais peut-être encore plus déroutante.

3.  Ces incohérences générales (qui ne sont pas si écrasantes, si bien qu’il ne faut pas en exagérer la portée) dans les « recommandations » en question sont toutefois sans objet en l’espèce. En effet, la position de la Cour sur la question de la réouverture du procès – examinée dans l’arrêt du 5 juillet 2011 – est sans ambiguïté, ou plutôt était sans ambiguïté jusqu’à l’adoption du présent arrêt. Il ne serait pas facile, ni même possible, de discerner quoi que ce soit au paragraphe 41 de l’arrêt rendu par la Cour le 5 juillet 2011 qui aurait permis à la Cour suprême portugaise de se dispenser de rouvrir le procès de la requérante.

4.  La Cour aurait-elle dû dire plus explicitement en 2011 qu’il fallait rouvrir le procès de la requérante en l’espèce ? Avec du recul, on pourrait le penser. Une telle précision l’aurait sauvée du grave embarras causé par le présent arrêt.

5.  En tout état de cause, même en l’absence d’une telle précision, le message que renfermait la dernière phrase du paragraphe 41 de l’arrêt rendu par la Cour le 5 juillet 2011 était très clair. Très très clair. La Cour avait évoqué le « défaut d’audition de la requérante par la Cour d’appel [de Porto] » (les italiques sont de moi).

Autrement dit, la Cour avait ainsi conclu que ce qu’avait offert la Cour d’appel de Porto à la requérante n’était pas une audition, parce qu’une audition exige au minimum qu’une personne accusée d’une activité de nature pénale soit entendue.

La requérante n’a pas été entendue. La procédure judiciaire en question était tout sauf une audition.

6.  Ce constat fondamental, dans toute son évidence, ne peut pas et ne doit pas être occulté par des considérations telles que les « circonstances particulières de l’affaire » (paragraphes 20, 93 et 94 de l’arrêt).

Malheureusement, il l’a été.

7.  Ce message ne peut pas et ne doit pas non plus être camouflé – or, hélas, il l’a été – par l’admission de la Cour se disant « assurée » que la Cour suprême de l’État défendeur, le Portugal, n’avait pas fait preuve d’arbitraire dans le traitement de la présente affaire puisque, selon l’avis de la majorité, il n’y a pas eu « déformation ou (...) dénaturation (...) de l’arrêt rendu par la Cour » (voir paragraphe 96 de l’arrêt).

En fait, il y a bien eu cela.

8.  Il ne fait aucun doute que la Cour suprême portugaise était fondée à conclure de la jurisprudence de la Cour, dans son ensemble, qu’un nouveau procès ou la réouverture de la procédure n’était peut-être pas toujours indispensable. La Cour elle-même a confirmé cette interprétation de sa jurisprudence en reconnaissant, dans le présent arrêt, qu’« un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente « en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée » » et que « l’État [jouit d’]une marge de manœuvre étendue dans ce domaine » (voir paragraphes 92 et 93 de l’arrêt). Or, la Cour suprême a mal interprété non pas la jurisprudence de la Cour dans son ensemble, mais l’arrêt du 5 juillet 2011, particulièrement la dernière phrase du paragraphe 41 (dans le contexte d’une représentation plus générale des « recommandations » formulées dans les autres phrases de ce paragraphe, lorsque la Cour cite sa jurisprudence antérieure et s’y réfère), concluant qu’un nouveau procès ou la réouverture de la procédure étaient inutiles non pas de manière générale mais dans le cas d’espèce.

9.  Du point de vue de la science de la logique, il s’agit de la défectuosité de l’inférence par induction. Les inférences par induction, à l’inverse des inférences par déduction, ne sont jamais certaines : elles ne sont – au mieux – que probables et doivent être étayées par des preuves ou arguments supplémentaires.

S’agissant de la question ici examinée, un nouveau procès ou la réouverture de la procédure, en général, ne seront peut-être effectivement pas nécessaires dans chaque cas.

Ces solutions pourront même – là encore de manière générale – être « exceptionnelles », pour reprendre la Recommandation no R (2000) 2 du 19 janvier 2000 (voir paragraphe 32 de l’arrêt).

Il ne faut pas en conclure pour autant qu’elles seront également inutiles dans une affaire où aucune audition n’a été conduite.

10.  Cette défectuosité, aussi banale soit-elle, apparaît moins visiblement dans le raisonnement de la Cour suprême portugaise parce que ce n’est qu’incidemment que celle-ci a explicitement abordé la jurisprudence de la Cour dans sa globalité. La Cour suprême était avant tout soucieuse d’appliquer le droit interne portugais en matière d’octroi (ou non) d’un nouveau procès ou de la réouverture de la procédure, plutôt que d’examiner globalement ou d’analyser en détail la jurisprudence de la Cour « recommandant » plus ou moins magistralement l’une ou l’autre de ces solutions.[164]

Mais cette défectuosité est apparente, palpable voire affichée de façon criante dans le présent arrêt de la Grande Chambre. En effet, une fois admis qu’« un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente « en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée » » et que « l’État [jouit d’]une marge de manœuvre étendue dans ce domaine » (voir paragraphes 92 et 93 de l’arrêt), la majorité conclut ensuite que « [d]ès lors, la révision du procès n’apparaissait pas comme la seule façon d’exécuter l’arrêt de la Cour du 5 juillet 2011 » (voir paragraphe 94 ; les italiques sont de moi).

« Dès lors » ?

Il s’agit d’une induction par excellence, dans sa manifestation la plus perverse et la plus viciée.

11.  La majorité fait grand cas des mots « en principe » et « cependant » employés au paragraphe 41 de l’arrêt rendu par la Cour le 5 juillet 2011 (voir paragraphe 92 de l’arrêt).

Cela ne prouve pas grand-chose, voire rien, et ce n’est pas seulement parce que ces mots, contrairement à la dernière phrase dudit paragraphe, laquelle se rapporte effectivement à la situation ici examinée, ont été importés – comme la Cour le fait habituellement dans sa jurisprudence – de sa jurisprudence antérieure vers cet arrêt, sans avoir été « adaptés » aux circonstances de la présente espèce.

Il ne serait guère possible d’être en désaccord avec la majorité lorsque celle-ci dit que « l’emploi de l’expression « en principe » relativise la portée de la recommandation, laissant supposer que dans certaines situations, un nouveau procès ou la réouverture de la procédure n’apparaîtront pas comme des moyens appropriés » (ibid.) Or la majorité prouve-t-elle d’une quelconque manière que, précisément, cette recommandation ne devait pas être suivie dans la situation de la requérante ?

Fort malheureusement, non.

12.  Il est particulièrement lamentable de relever des défectuosités logiques (« illogiques » ne serait-il pas un meilleur terme ?) aussi prononcées dans le raisonnement explicite de la Grande Chambre. Or le lecteur est forcé de lire ce qui est écrit, même si ce qui est écrit défie les lois de la logique. Désormais ces illogismes sont gravés dans le marbre du droit de la Convention, tel qu’interprété et appliqué par la Cour.

13.  L’article 6 § 1 dit explicitement que toute cause doit être « entendue équitablement [et] publiquement », ce qui est l’essence même du droit à un procès équitable.

Il faut être entendu, rien de moins.

Parlerait-on encore de football s’il n’y avait aucun ballon sur le terrain ?

Parlerait-on encore d’une compétition de natation s’il n’y avait pas d’eau dans la piscine ?

Pour qu’un procès soit « équitable » (ou « inéquitable »), il faut tout d’abord que l’accusé soit concrètement entendu.

Un zéro, un ensemble vide, le néant, quelque chose qui n’a jamais eu lieu, n’a jamais existé et persiste à ne pas exister ne saurait être « équitable » ou « inéquitable ».

Dans son arrêt du 5 juillet 2011, la Cour elle-même a constaté qu’il n’y avait pas eu la moindre audition en l’espèce. Il ne reste donc rien qui puisse être qualifié d’« équitable ».

Ni rien qui puisse être compatible avec l’article 6 § 1 – non seulement sous son volet procédural (auquel la Cour suprême portugaise a limité sa déformation et sa dénaturation de l’arrêt rendu par la Cour le 5 juillet 2011), mais aussi et surtout (!) sous son volet matériel.

14.  Quelque chose a-t-il changé sur ce point depuis le 5 juillet 2011 – dans le droit ou dans la réalité ?

Pas vraiment. Il n’y avait eu aucune audition à l’époque, et il n’y en a pas eu après celle-ci – dans le cadre de la même affaire pénale.

Il y a six ans, le fait de ne pas conduire une audition dans une affaire pénale était jugé par la Cour, à l’unanimité, contraire à l’article 6 § 1. Or, aujourd’hui, l’absence continue d’audition dans la même affaire pénale n’est pas jugée contraire à l’article 6 § 1.

15.  La Cour suprême portugaise et la majorité de la Grande Chambre ont tout simplement (?!) occulté le « défaut d’audition de la requérante » dans le cadre de cette affaire pénale. Si – comme la majorité l’accepte avec si peu de réserves – l’État défendeur, le Portugal, jouissait bel et bien, non pas en général mais aussi dans le cas particulier de l’espèce, d’une « marge de manœuvre étendue » pour « redresser la violation » constatée par la Cour dans son arrêt du 5 juillet 2011, il aurait été particulièrement heureux que la majorité donne de cette « marge de manœuvre » offrant un choix si « étendu » un ou deux exemples qui n’auraient pas conduit à un « défaut d’audition de la requérante », surtout après avoir dit que la réouverture de la procédure – dans le cadre de laquelle l’accusé aurait été vraisemblablement « entendu » – aurait été « l’option la plus souhaitable » (ibid.)

Or aucun exemple de la sorte ne figure dans l’arrêt.

Ce n’est pas étonnant.

L’arrêt n’en donne aucun parce que, du point de vue des principes, aucun exemple de ce type ne peut être formulé de manière satisfaisante.

Et aucun exemple de ce type ne peut être formulé de manière satisfaisante parce qu’on ne peut redresser un « défaut d’audition » qu’en accordant une audition (enfin !) à la personne qui en a été privée.

16.  Qu’est-ce qui a donc permis à la majorité de dire qu’elle s’était « assurée » du traitement donné à l’affaire par la Cour suprême portugaise ? Qu’était-ce donc, alors que ce traitement a consisté à la base à snober le constat explicite par la Cour que la requérante s’était vue privée d’une audition dans son procès pénal, ce qui revenait effectivement à dénaturer l’arrêt rendu par la Cour le 5 juillet 2011 ?

17.  La réponse donnée par la majorité est ahurissante. Elle s’est dite convaincue que « la lecture par la Cour suprême de l’arrêt rendu par la Cour en 2011 (...), dans son ensemble, [n’était pas] le résultat d’une erreur de fait ou de droit manifeste aboutissant à un « déni de justice » » (voir paragraphe 97 de l’arrêt ; les italiques sont de moi).

Pour dire les choses crûment, désormais, une procédure conduisant à la condamnation d’une personne peut se justifier au regard de l’article 6 « dans son ensemble » alors même que dans cet « ensemble » ne figure aucune audition. Une condamnation sans audition serait acceptable du point de vue de la Convention ! Pour la Cour, condamner quelqu’un au pénal sans pour autant avoir tenu d’audition n’est pas un déni de justice !

Qu’est-ce qui constitue alors un tel déni ?

Poursuivons : désormais, justice peut être faite dans un procès pénal en l’absence d’audition.

Je pose cette question de pure forme : quelle serait la valeur d’une telle justice ?

18.  Aux yeux de la requérante en l’espèce, voici ce que signifie le présent arrêt : i) elle a été privée d’audition dans son procès pénal ; ii) la Cour a jugé que ce n’était pas conforme à la Convention ; iii) ensuite, une nouvelle fois, l’audition lui a été refusée ; iv) la Cour juge que, à présent, ce défaut d’audition est conforme à la Convention.

19.  Il semble que la majorité de la Grande Chambre estime que cette audition, que la requérante n’a jamais obtenue, n’était pas nécessaire de toute façon. Dès lors, la condamnation de la requérante tient, alors qu’elle a été prononcée hors d’une procédure d’audition. La Cour suprême portugaise a dit que « [s]a condamnation n’[était] pas inconciliable avec la décision contraignante de la CEDH et [que] sa justesse n’[était] sujette à aucun doute sérieux » (voir paragraphe 26 de l’arrêt), et la « Cour européenne » a confirmé cette appréciation fondamentalement erronée alors même qu’elle avait conclu auparavant que cette condamnation avait été prononcée hors d’une procédure d’audition.

Est-ce que cela revient effectivement – fût-ce indirectement et implicitement – à infirmer rétroactivement l’arrêt de chambre du 5 juillet 2011 – des années plus tard ? Une infirmation virtuelle, par laquelle quelque chose considéré auparavant comme un vice de fond fondamental et essentiel dans le processus judiciaire ici examiné a été rétrogradé en un vice de forme mineur et insignifiant.

20.  La Cour suprême portugaise a dit à tort que « [l]a CEDH a[vait] (...) exclu d’emblée que sa décision pût susciter des doutes sérieux sur la condamnation, indépendamment de la peine qui avait été effectivement infligée » (voir paragraphe 26 de l’arrêt).

Or sa décision a bel et bien suscité des doutes – et des doutes sérieux ! – à l’époque comme aujourd’hui, même si ces doutes pouvaient être levés en accordant à la requérante une audition. (J’aurais été moi-même disposé à accepter qu’ils auraient été levés si la requérante avait été entendue dans son procès pénal.) Cependant, ces doutes n’ont pas été levés d’un iota par l’arrêt qui, du reste, a été adopté par une petite majorité d’une seule voix (9 voix contre 8, au sein de laquelle l’un des juges qui avait effectivement voté en faveur du dispositif de l’arrêt du 5 juillet 2011 figure dans la majorité et deux autres dans la minorité).

21.  Qui plus est, non seulement cet arrêt n’a pas du tout clarifié la jurisprudence de la Cour en matière de nouveau procès ou de réouverture de procédures à la suite d’un constat par la Cour d’une violation de l’article 6 mais aussi il a fait naître de nouveaux doutes. Je n’en citerai que quelques-uns ci-dessous (l’un en rapport avec la condamnation de la requérante, l’autre hypothétique et le dernier à caractère plus général) :

22.  S’agissant de la situation de la requérante, il y a un doute quant à la légitimité (dans un sens plus large, non juridique, qui se juxtapose et parfois s’oppose à la légalité formelle) de sa condamnation en l’absence d’audition, qui plus est assortie d’un déni explicite d’audition. Cette condamnation peut-elle être regardée comme conforme aux critères de l’article 6 § 1, lequel met l’accent sur l’obligation d’être « entendu » ?

La Cour juge qu’elle le peut. Néanmoins, on peut, et probablement on doit, se demander ceci : en quoi cette conclusion est-elle légitime au regard (non seulement) du droit mais (aussi) de la justice fondamentale, pour laquelle le droit n’est (ou ne devrait être) qu’un moyen tendant vers une fin et non une fin en soi ?

23.  Le doute hypothétique est le suivant : si le même requérant se trouve à un moment quelconque dans une situation similaire à celle examinée par le tribunal de Matosinhos et la cour d’appel de Porto, ces juridictions peuvent-elles une nouvelle fois se passer d’une audition et condamner cette personne ?

Je crains que la Cour n’ait jugé qu’elles le peuvent. Ou plutôt qu’elles ne le pouvaient pas avant l’adoption du présent arrêt, mais qu’elles le peuvent désormais.

24.  Quoiqu’il en soit, le présent arrêt soulève aussi une question de principe plus générale, à savoir une question troublante quant à l’éventail, ou à la variété, des mesures que les États membres peuvent prendre pour condamner des personnes en l’absence d’audition[165] tout en restant « couverts » par cette « marge de manœuvre » que la Cour leur a si généreusement accordée ? Quelle est l’étendue de cet éventail ? Combien d’autres situations de « défaut d’audition » risqueraient éventuellement d’en relever et donc de ne pas être considérées comme ayant occasionné un déni de justice ?

25.  Dans ce contexte, la réserve émise au paragraphe 99 de l’arrêt n’a guère d’utilité pratique et ne donne guère de réconfort à ceux qui attendent encore de la Cour de Strasbourg qu’elle rende justice dans les affaires qu’elle tranche. Dans ce paragraphe, la Cour rappelle, pour la énième fois dans sa jurisprudence, « l’importance qu’il y a à garantir la mise en place de procédures internes permettant le réexamen d’une affaire à la lumière d’un constat de violation de l’article 6 de la Convention » et que « de telles procédures peuvent être considérées comme un aspect important de l’exécution de ses arrêts et leur existence démontre l’engagement d’un État contractant de respecter la Convention et la jurisprudence de la Cour » (les italiques sont de moi). Puisque non seulement la « mise en place » desdites procédures mais aussi l’interprétation (erronée) du sens des « recommandations » de la Cour dépendent entièrement de la volonté des autorités des États contractants, même lorsque leur volonté est de ne pas rouvrir la procédure, et que la Cour a tendance à limiter son rôle à la simple approbation d’une telle volonté, cette réserve n’est qu’un rappel sans mordant et angélique de ce à quoi la Convention était destinée mais de ce que parfois – comme en l’espèce – elle ne parvient pas à accomplir.


OPINION DISSIDENTE DU JUGE BOŠNJAK

(Traduction)

1.  Je ne puis malheureusement me rallier à la majorité lorsqu’elle constate en l’espèce la non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

2.  À mon sens, la majorité dit à juste titre que l’article 46 de la Convention n’empêche pas l’examen par la Cour du grief de la requérante fondé sur l’article 6 de la Convention. S’il se rapporte peut-être à la question de l’exécution de l’arrêt rendu par la Cour le 5 juillet 2011 concernant la première requête introduite par la requérante, le grief en l’espèce est axé sur l’approche suivie par la Cour suprême portugaise (ci-après « la Cour suprême ») lorsque celle-ci a examiné la demande formulée par la requérante tendant à la révision de son procès pénal. Je considère également que la majorité est fondée à conclure à l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention. Indépendamment des motifs avancés sur ce point dans l’arrêt de la Cour, j’estime qu’en l’espèce l’examen de la demande en révision du procès pénal ne saurait être entièrement détachée de l’appréciation des points de fait et de droit retenus dans la décision initiale sur le bien-fondé de l’accusation en matière pénale dirigée contre la requérante. Dans ces conditions, la Cour suprême était censée réexaminer à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour les constats de fait et l’application du droit pertinent dans le cadre de la procédure pénale initiale. Elle a jugé que la condamnation de la requérante n’était pas inconciliable avec l’arrêt de la Cour et qu’elle n’était sujette à aucun doute sérieux. Je ne vois donc rien qui fasse obstacle à l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention en l’espèce.

3.  Analysant l’approche suivie par la Cour suprême dans l’examen par celle-ci de la demande formulée par la requérante tendant à la réouverture de la procédure pénale, la majorité juge cette approche compatible avec l’article 6 § 1 de la Convention. Je ne puis partager cette opinion.

4.  La Cour suprême n’a exposé aucun motif substantiel permettant d’expliquer pourquoi, à ses yeux, la condamnation de la requérante n’était pas inconciliable avec l’arrêt de la Cour. Cette lacune n’est guère compatible en elle-même avec les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. De plus, la Cour suprême s’est appuyée sur une interprétation de l’arrêt rendu par la Cour le 5 juillet 2011 qui va manifestement à l’encontre du véritable sens de celui-ci. Si la Cour a certes dit qu’elle « ne saurait spéculer sur le résultat auquel la cour d’appel [de Porto] aurait abouti si elle avait entendu la requérante au cours d’une audience publique », la Cour suprême y a vu une indication excluant que l’arrêt de la Cour puisse susciter des doutes quant à la condamnation de la requérante.

5.  Cette interprétation est d’autant plus inacceptable au vu des principaux motifs exposés par la Cour dans son arrêt. Plus précisément, la Cour constate que la cour d’appel était appelée à examiner plusieurs questions se rapportant à des faits ainsi qu’à la personnalité de la requérante, notamment le problème de ses capacités supposément réduites, des éléments qui pouvaient alors avoir une influence décisive sur la détermination de la peine. Aux yeux de la Cour, ces questions ne pouvaient être tranchées sans avoir directement entendu le témoignage de la requérante (paragraphes 33 et 34 de l’arrêt). À la lumière de ces motifs, il est clair que la violation en question ne pouvait être entièrement tranchée qu’en ouvrant la procédure devant la cour d’appel, ce qui devait impliquer notamment l’audition de la requérante.

6.  Dans le texte de son opinion dissidente, le juge Pinto de Albuquerque, auquel se rallient plusieurs de nos pairs dissidents, analyse la jurisprudence de la Cour pour en conclure notamment que la Cour a le pouvoir d’ordonner la réouverture d’une procédure pénale dans tel ou tel cas en cas de constat de violation de l’article 6 de la Convention. En tout état de cause, il devrait être incontesté que les autorités nationales ne sauraient recourir à une interprétation manifestement erronée du droit, et encore moins des sources fondamentales des droits de l’homme que sont les arrêts de la Cour. La Cour suprême s’étant effectivement livrée en l’espèce à une telle interprétation, la violation de l’article 6 § 1 de la Convention est évidente.


[1]  Sur la nature des mesures d’exécution des arrêts constatant une violation de la Convention et sur la pratique actuelle de la Cour européenne en la matière, voir Alastair Mowbray, An Examination of the European Court of Human Rights’ Indication of Remedial Measures, Human Rights Law Review, à paraître.

[2]  Cette interprétation est en tout point conforme au Rapport explicatif du Protocole n° 14 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la Convention, 13 mai 2004, Strasbourg, p. 18 et 19.

[3]  Ainsi que le démontrent le Sixième Rapport annuel du Comité des Ministres – 2012, intitulé « Surveillance de l’exécution des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme », Conseil de l’Europe, avril 2013, qui évoque une « interaction accrue entre la Cour européenne et le Comité des Ministres » (p. 28) et l’intervention du Juge Linos-Alexandre Sicilianos intitulée « Le rôle de la Cour dans la mise en œuvre de ses arrêts, ses pouvoirs et leurs limites » dans le cadre du « Dialogue entre juges, Cour européenne des droits de l’homme, Conseil de l’Europe, 2014 », dans laquelle il mentionne que «[d]urant les dix dernières années, la Cour a rendu 150 arrêts environ qui se réfèrent à l’article 46 de la Convention et concernent le processus d’exécution » (p. 19).

[4] Sur les arrêts VgT (n° 2) et Emre (n° 2), précités, voir, respectivement, Maya Hertig Randall / Xavier-Baptiste Ruedin, « Judicial activism » et exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, Rev. trim. dr. h. 2010, n° 82, p. 421-443 ; Maya Hertig Randall, Commentaire de l’arrêt Emre (n° 2) du 11 octobre 2011 de la Cour européenne des droits de l’homme, Pratique juridique actuelle 2012, n° 4, p. 567-573.

[5]  Voir, pour le surplus, l’opinion concordante de la juge Keller jointe à l’arrêt Sidabras et autres c. Lituanie (23 juin 2015, n° 50421/08 et 56213/08).

[6]  Dans la présente opinion, ces expressions sont employées de manière interchangeable.

[7]  Voir Moreira Ferreira c. Portugal, n° 19808/08, 5 juillet 2011.

[8] Voir paragraphe 48 de l’arrêt.

[9]  Pour un exemple ancien, voir Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 58, série A n° 31.

[10]  Pour certains exemples anciens en matière de réparation intégrale, voir Neumeister c. Autriche (article 50), n° 1936/63, §§ 40-41, 7 mai 1974, et de réparation partielle, voir Van Mechelen et autres c. Pays-Bas (article 50), nos 21363/93, 21364/93, 21427/93, § 16, 30 octobre 1997.

[11]  Voir Piersack c. Belgique (article 50), arrêt du 26 octobre 1984, série A n° 85, §§ 11-12. La Cour a retenu la notion plus large de restitutio in integrum, qui exige l’examen hypothétique de la situation qui aurait existé si le fait illicite n’avait pas été commis. La conception moins exigeante de la notion de restitution, qui vise à rétablir la situation qui existait avant la commission du fait illicite, avait été écartée (voir le commentaire de l’article 35 des Projets d’articles de la Commission internationale sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (« les projets d’articles »), paragraphe 2). Ajoutons que le commentaire de l’article 36 des Projets d’articles, en son paragraphe 19, dit ceci : « les décisions des organes de protection des droits de l’homme relatives à l’indemnisation se fondent sur les principes de la réparation en droit international général ». Il faut donc interpréter la Convention en tenant compte des principes découlant des Projets d'articles en matière de réparation, en particulier des articles 34 à 37.

[12]  Voir Lyons et autres c. Royaume-Uni (déc.), n° 15227/03, CEDH 2003-IX.

[13]  Voir Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000-VIII, et Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], n° 28957/95, § 120, CEDH 2002-VI.

[14]  Voir Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), n°14556/89, § 38, 31 octobre 1995. Le dispositif reprend l’obligation figurant dans la motivation. Faute de restitution, l’État défendeur devait verser une certaine somme aux requérants. Voir aussi Ramadhi et autres c. Albanie, n° 38222/02, § 102, 13 novembre 2007.

[15]  Voir Brumarescu c. Roumanie (article 41), n° 28342/95, § 22, 23 janvier 2001, Hirschhorn c. Roumanie, n° 29294/02, § 114, 26 juillet 2007, et Katz c. Roumanie, n° 29739/03, § 42, 20 janvier 2009. Dans toutes ces affaires, le dispositif reprend l’obligation énoncée dans la motivation de l’arrêt sur le terrain de l’article 41. Faute de restitution, l’État défendeur devait verser une certaine somme aux requérants.

[16]  Voir Assanidzé c. Géorgie [GC], n° 71503/01, § 203, CEDH 2004-II. Le langage employé est impératif (« il incombe à l’État défendeur d’assurer (…) dans les plus brefs délais ») et l’obligation énoncée sur le terrain de l’article 41 est répétée au point 14 a) du dispositif de l’arrêt. Voir aussi Ilaşcu c. Moldova et Russie (GC), n° 48787/99, § 490, CEDH 2004-VII, et point 22 du dispositif de l’arrêt, Fatullayev c. Azerbaïdjan, n° 40984/07, § 177, 22 avril 2010, et point 6 du dispositif, et Del Rio Prada c. Espagne [GC], n° 42750/09, § 138, CEDH 2013, et point 3 du dispositif. Dans les deux dernières affaires, la décision a été imposée sur le terrain de l’article 46.

[17]  Voir Maestri c. Italie, n° 39748/98, § 47, 17 février 2004. Malgré le langage employé (« il incombe à l’État défendeur de mettre en œuvre les moyens propres à effacer les conséquences du préjudice relatif à la carrière de l’intéressé »), aucune mention n’est faite dans le dispositif de l’obligation imposée dans la motivation de l’arrêt sur le terrain de l’article 41.

[18]  Voir Alexanian c. Russie, n° 46468/06, § 239, 22 décembre 2008. Le langage employé est impératif (« must remplace ») et l’obligation imposée dans la partie relative consacrée à la motivation sur le terrain de l’article 46 est reprise au point 9 du dispositif de l’arrêt.

[19]  Voir Scoppola c. Italie (n° 2) (GC), n° 10249/03, § 154, 17 septembre 2009. Le langage employé est impératif (« il incombe à l’État défendeur d’assurer que (…) ») et l’obligation imposée sur le terrain de l’article 46 est reprise au point 6 a) du dispositif de l’arrêt. 

[20]  Voir Abuyeva et autres c. Russie, n° 27065/05, § 243, 2 décembre 2010. Malgré le langage employé (« it considers inevitable that (…) must be determined (…) » le dispositif de l’arrêt ne fait pas mention de l’obligation imposée dans la motivation de l’arrêt sur le terrain de l’article 46). Voir aussi Benzer et autres c. Turquie, n° 23502/06, § 219, 12 novembre 2013.

[21]  Voir Nihayet Arıcı et autres c. Turquie, 24604/04 et 16855/05, § 176, 23 octobre 2012. Le langage est impératif (« doit mettre en œuvre (…) dans les plus brefs délais »), mais le dispositif de l’arrêt ne fait pas mention de l’obligation imposée dans la motivation de l’arrêt sur le terrain de l’article 41.

[22]  Voir Hirsi Jamaa et autres c. Italie (GC), n° 27765/09, § 211, CEDH 2012-II. Malgré le langage employé (« il incombe (…) d’entreprendre »), le dispositif de l’arrêt ne fait pas mention de l’obligation imposée dans la motivation de l’arrêt sur le terrain de l’article 46.

[23]  Voir Oleksandr Volkov c. Ukraine, n° 21722/11, § 208, CEDH 2013-I. Le langage employé est impératif (« doit assurer (…) dans les plus brefs délais ») et l’obligation imposée dans la motivation de l’arrêt sur le terrain des articles 41 et 46 est reprise au point 9 du dispositif. Or la Cour n’a pas suivi cette jurisprudence dans l’arrêt Kulykov et autres c. Ukraine, nos 5114/09 et 17 autres, § 148, 19 janvier 2017.

[24]  Voir Gençel c. Turquie, n° 53431/99, § 27, 23 octobre 2003.

[25]  Voir Somogyi c. Italie, n° 67972/01, § 86, CEDH 2004-IV.

[26]  Voir Öcalan c. Turquie [GC], n° 46221/99, § 210 in fine, CEDH 2005‑IV.

[27]  Cette clause est aussi appelée la clause Öçalan-Sejdovic puisqu’elle a été confirmée et étoffée dans l’arrêt Sejdovic c. Italie [GC], n° 56581/00, § 86, CEDH 2006‑II. Voir aussi Abbasov c. Azerbaïdjan, n° 24271/05, § 42, 17 janvier 2008, et Laska et Lika c. Albanie, nos 12315/04 et 17605/04, § 76, 20 avril 2010.

[28]  Malgré l’intervention de la Grande Chambre dans l’affaire Öçalan c. Turquie puis deux ans plus tard dans l’affaire Sejdovic c. Italie, la pratique de la Cour demeurait incertaine comme en atteste le fait que plusieurs chambres ont conservé l’ancienne clause Gençel, comme il sera démontré ci-dessous. Aggravant encore cette incertitude, la Grande Chambre est elle-même revenue à la clause Gençel sur le terrain de l’article 41 de la Convention dans son arrêt Salduz c. Turquie (GC), n° 36391/02, § 72, 27 novembre 2008, et, dans son arrêt Sakhnovski c. Russie [GC], n° 21272/03, § 112, 2 novembre 2010, elle a fait usage de la clause Gençel mais a cité erronément le précédent Öçalan.

[29]  Voir Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (n° 2) [GC], n° 32772/02, § 90, CEDH 2009.

[30]  Voir aussi Wasserman c. Russie (n° 2), n° 21071/05, § 37, 10 avril, 2008, et Ivanţoc et autres c. Moldova et Russie, n° 23687/05, §§ 86 et 95-96, 15 novembre 2011.

[31]  À la suite d’un constat de violation du droit d’accès à un tribunal, la clause Öçalan-Sejdovic a été utilisée dans l’arrêt Perlala c. Grèce, n° 17721/04, § 36, 22 février 2007, mais c’est la clause Gençel-Somogyi qui a été utilisée dans les arrêts Kostadin Mihaylov c. Bulgarie, n° 17868/07, § 60, 27 mars 2008, et Demerdžieva et autres c. Ex-république yougoslave de Macédoine, n° 19315/06, § 34, 10 juin 2010. Dans une affaire de même nature où l’annulation du procès avait été sollicitée, la Cour n’a pas ordonné un nouveau procès (De la Fuente Ariza c. Espagne, n° 3321/04, § 31, 8 novembre 2007).

[32]  La clause Gençel-Somogyi a été utilisée, mutatis mutandis, dans les arrêts Claes et autres c. Belgique, nos 46825/99, 47132/99, 47502/99, 49010/99, 49104/99, 49195/99 et 49716/99, § 53, 2 juin 2005, Lungoci c. Roumanie, n° 62710/00, 26 janvier 2006, et Ilatovskiy c. Russie, n° 6945/04, § 49, 9 septembre 2009 (citant erronément l’arrêt Öçalan).

[33]  Mis à part les affaires turques concernant les cours de sûreté d’État, on retrouve la clause Öçalan-Sejdovic dans des affaires relatives à la condamnation de civils par des tribunaux militaires, consécutives à l’arrêt de principe Ergin c. Turquie (n° 6), n° 47533/99, CEDH 2006, § 61. Mais, dans certaines autres affaires d’objet similaire, la Cour n’a pas appliqué la clause de réouverture (voir Karatepe c. Turquie, n° 41551/98, § 37, 31 juillet 2007, et Hûseyin Simsek c. Turquie, n° 68881/01, § 83, 20 mai 2008). Dans ces affaires, le requérant avait bénéficié d’une libération conditionnelle avant le prononcé par la Cour de son arrêt. Néanmoins, l’élargissement du requérant ne saurait être considéré comme justifiant la non‑application de la clause de réouverture parce que la Cour a également appliqué celle-ci dans des affaires où la peine d’emprisonnement avait fait l’objet d’un sursis (voir Kenar c. Turquie, n° 67215/01, § 50, 13 décembre 2007, et Zekeriya Sezer c. Turquie, n° 63306/00, § 32, 29 novembre 2007). 

[34]  À la suite d’un constat de violation du droit à participer au procès, la clause Gençel‑Somogyi a été utilisée dans l’arrêt R.R. c. Italie, n° 42191/02, § 76, 9 juin 2005, avant d’être ultérieurement abandonnée en faveur de la clause Öçalan-Sejdovic dans les arrêts Hu c. Italie, n° 5941/04, § 71, 28 novembre 2006, Csikos c. Hongrie, n° 37251/04, § 26, 5 décembre 2006, Kollcaku c. Italie, n° 25701/03, § 81, 8 février 2007, Pititto c. Italie, n° 19321/03, § 79, 12 juin 2007, Kunov c. Bulgarie, n° 24379/02, § 59, 23 mai 2008, et Georghe Gaga c. Roumanie, n° 1562/02, § 68, 25 mars 2008. Dans une affaire de même objet, la Cour n’a pas formulé aucune clause de réouverture (Da Luz Domingues Ferreira c. Belgique, n° 50049/99, 24 mai 2007).

[35]  À la suite d’un constat de violation du droit d’interroger des témoins, la clause Öçalan a été utilisée dans les arrêts Bracci c. Italie, n° 36822/02, § 75, 13 octobre 2005, Vaturi c. France, n° 75699/01, § 63, 13 avril 2006, Zentar c. France, n° 17902/02, § 35, 13 avril 2006, Balšán c. République tchèque, n° 1993/02, § 40, 18 juillet 2006 (citant erronément l’arrêt Somogyi), Reiner et autres c. Roumanie, n° 1505/02, § 93, 27 septembre 2007 (citant erronément l’arrêt Gençel), mais la clause Gençel a été utilisée dans les arrêts Majadallah c. Italie, n° 62094/00, § 49, 19 octobre 2006, Popov c. Russie, n° 26853/04, § 263, 13 juillet 2006 (citant erronément l’arrêt Öçalan), Sakhnovski c. Russie [GC], n° 21272/03, § 112, 2 novembre 2010 (citant erronément l’arrêt Öçalan), et Duško Ivanovski c. ex‑République yougoslave de Macédoine, n° 10718/05, § 64, 24 avril 2014.

[36]  Voir Spinu c. Roumanie, n° 32030/02, § 82, 29 avril 2008.

[37]  Voir Miraux c. France, n° 73529/01, § 42, 26 septembre 2006, et Drassich c. Italie, n° 25575/04, § 46, 11 décembre 2007.

[38]  Voir Mattei c. France, n° 34043/02, § 51, 19 décembre 2006.

[39]  Voir Ünel c. Turquie, n° 35686/02, § 55, 27 mai 2008. Outre le refus d’interroger certains témoins, le requérant dénonçait un défaut d’accès à certaines pièces du dossier, par exemple la transcription d’enregistrements audio pris pendant sa détention.

[40]  La clause Öçalan-Sejdovic a été utilisée dans les arrêts Sannino c. Italie, n° 30961/03, § 70, 27 avril 2006, Kemal Kahraman et Ali Kahraman c. Turquie, n° 42104/02, § 44, 26 avril 2017, et Sacettin Yildiz c. Turquie, n° 38419/02, § 55, 5 juin 2007, mais c’est la clause Gençel-Somogyi qui a été utilisée dans les arrêts Salduz c. Turquie (GC), n° 36391/02, § 72, 27 novembre 2008, et Shulepov c. Russie, n° 15435/03, § 46, 26 juin 2008.

[41]  Voir Malininas c. Lituanie, n° 10071/04, § 43, 1er juillet 2008.

[42]  Voir Huseyn et autres c. Azerbaïdjan, nos 35485/05, 45553/05, 35680/05 et 36085/05, §§ 213 et 262, 26 juillet 2011.

[43]  Voir Abuyeva et autres, précité.

[44]  Voir Dragotoniu et Militaru-Pidhorni c. Roumanie, n° 77193/01 et 77196/01, § 55, 24 mai 2007, qui se réfère également à l’article 408 du code de procédure pénale.

[45]  Voir Yanakiev c. Bulgarie, n° 40476/98, § 90, 10 août 2006, Paulik c. Slovaquie, n° 10699/05, § 72, 10 octobre 2006, Mehmet et Suna Yigit c. Turquie, n° 52658/99, § 47, 17 juillet 2007, CF Mrebeti c. Géorgie, n° 38736/04, § 61, 31 juillet 2007, Paykar Yev Haghtanak c. Arménie, n° 21638/03, § 58, 20 décembre 2007, Cudak c. Lituanie (GC), n° 15869/02, § 79, 23 mars 2010, Kostadin Mihailov c. Bulgarie, n° 17868/07, § 60, 27 mars 2008, Vusic c. Croatie, n° 48101/07, § 58, 1er juillet 2010, Bulfracht Ltd c. Croatie, n° 53261/08, § 46, 21 juin 2011, et Vojtěchová c. Slovaquie, n° 59102/08, §§ 27 et 48, 25 septembre 2012.

[46]  Freitag c. Allemagne, n° 71440/01, § 61, 19 juillet 2007, arrêt dans lequel sont évoqués les arrêts Sejdovic, précité, § 119, et Monnat c. Suisse, n° 73604/01, § 84, CEDH 2006, où la Cour a refusé de lever l’interdiction de la vente du reportage en cause, mesure jugée contraire à l’article 10 de la Convention.

[47]  Voir Yanakiev c. Bulgarie, n° 40476/98, § 90, 10 août 2006, Lesjak c. Croatie, n° 25904/06, § 54, 18 février 2010, Putter c. Bulgarie, n° 38780/02, § 62, 2 décembre 2010, et Kardoš c. Croatie, n° 25782/11, § 67, 26 avril 2016.

[48]  Voir Vojtěchová c. Slovaquie, n° 59102/08, §§ 27 et 48, 25 septembre 2012, Harabin c. Slovaquie, n° 58688/11, §§ 60 et 178, 20 novembre 2012, et Zachar et Čierny c. Slovaquie, nos 29376/12 et 29384/12, § 85, 21 juillet 2015.

[49]  Voir, par exemple, Hu, précité, § 71, ou Sacettin Yildiz, précité, § 55, et Flueraş c. Roumanie, n° 17520/04, 9 avril 2013 (citant erronément l’arrêt Gençel).

[50]  Voir, par exemple, Karelin, précité, § 97, Scoppola, précité, § 154, et Oleksandr Volkov, précité, § 206.

[51]  Voir Lungoci c. Roumanie, n° 62710/00, 26 janvier 2006. La même chose s’est produite dans l’arrêt Ajdarić c. Croatie, n° 20883/09, 13 décembre 2011.

[52]  Voir Maksimov c. Azerbaïdjan, n° 38228/05, 8 octobre 2009, et Claes et autres, précité.

[53]  Voir Gladisheva c. Russie, n° 7097/10, § 106, 6 décembre 2011, et Anna Popova c. Russie, n° 59391/12, § 48, 4 octobre 2016.

[54]  Voir Ponyayeva et autres c. Russie, n° 63508/11, § 66, 17 novembre 2016, Alentseva c. Russie, n° 31788/06, § 86, 17 novembre 2016 et Pchelintseva et autres c. Russie, n° 47724/07, § 110, 17 novembre 2016.

[55]  Gluhaković c. Croatie, n° 21188/09, § 89, 12 avril 2011, Plotnikovy c. Russie, n° 43883/02, § 33, 24 février 2005, et Makarova et autres c. Russie, n° 7023/03, § 37, 24 février 2005. Or, saisie d’une situation exactement similaire dans l’affaire OOO Rusatommet c. Russie, n° 61651/00, § 33, 14 juin 2005, la Cour s’est abstenue d’en faire de même.

[56]  Laska et Lika c. Albanie, nos 12315/04 et 17605/04, § 76, 20 avril 2010. Saisie d’un problème systémique similaire dans l’affaire Karelin c. Russie, n° 926/08, 20 septembre 2016, la Cour n’a pas suivi la même approche.

[57]  Cette affaire diffère de l’affaire Klaus et Iouri Kiladzé c. Géorgie, n° 7975/06, §§ 85 et 90, 2 février 2010, qui a fait de l’indemnisation une alternative à l’adoption de mesures d’ordre général. Dans les arrêts Ürper et autres c. Turquie, nos 14526/07, 14747/07, 15022/07, 15737/07, 36137/07, 47245/07, 50371/07, 50372/07 et 54637/07, § 52, 20 octobre 2009, et Gözel et Öser c. Turquie, nos 43453/04 et 31098/05, § 76, 6 juillet 2010, la Cour a ordonné la mise en place de mesures législatives, c’est-à-dire d’ordre général, s’ajoutant à l’indemnisation.

[58]  M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], n° 30696/09, § 402, CEDH 2011.

[59]  Telle est la position de la Cour même lorsqu’elle faisait la distinction entre la décision sur le fond et la décision sur la satisfaction équitable (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, arrêt du 13 juin 1994, série A n° 285-C, p. 56, § 15, et Schuler-Zgraggen c. Suisse (article 50), n° 14518/89, §§ 14 et 15, 31 janvier 1995). Aujourd’hui, la satisfaction équitable est accordée même lorsqu’une clause de réouverture figure dans le dispositif de l’arrêt (Lungoci, précité).

[60]  Bocos-Cuesta c. Pays-Bas, n° 54789/00, § 82, 10 novembre 2005, Kaste et Mathisen c. Norvège, nos 18885/04 et 21166/04, § 61, 9 novembre 2006, Vusic c. Croatie, n° 48101/07, § 58, 1er juillet 2010, et Bulfracht Ltd c. Croatie, n° 53261/08, § 47, 21 juin 2011.

[61]  Caes et autres, précité.

[62]  Taxquet c. Belgique (GC), n° 926/05, § 107, 16 novembre 2010, Delespesse c. Belgique, n° 12949/05, § 44, 27 mars 2008, Nikolitsas c. Grèce, no 63117/09, § 47, 3 juillet 2014, Mitrov c. c. Ex-république yougoslave de Macédoine, n° 25703/11, § 64, 2 juin 2016.

[63]  Dvorski c. Croatie (GC), n° 25703/11, § 117, 20 octobre 2015.

[64]  Voir paragraphe 53 de l’arrêt.

[65]  Voir paragraphe 28 de l’arrêt.

[66]  Le lien logique et ontologique entre la restitutio in integrum et la réouverture de la procédure pénale avait déjà été établi dans l’arrêt Piersack c. Belgique (article 50), précité, § 11. Il est remarquable que, dans cette affaire, la réouverture a conduit à une peine identique à celle initialement infligée. La Cour a néanmoins jugé que la seconde procédure interne avait « conduit à un résultat aussi proche d’une restitutio in integrum que la nature des choses s’y prêtait », étant donné que le nouveau procès devant la Cour d’assises avait été entouré de toutes les garanties exigées par la Convention.

[67]  Dans ce sens, voir l’article 34 des Projets d’articles et le commentaire y afférent, paragraphe 2.

[68]  Dans ce sens précis, voir le commentaire de l’article 35 des Projets d’articles, paragraphe 3.

[69]  Voir l’exposé des motifs de la Recommandation.

[70]  Voir paragraphe 16 de l’arrêt.

[71]  Voir paragraphe 17 de l’arrêt.

[72]  Pour les besoins de la présente opinion, j’ai consulté toutes les législations des États membres du Conseil de l’Europe et vérifié les informations à l’aide de la « Compilation de contributions écrites sur les possibilités dans l’ordre juridique interne pour le réexamen ou la réouverture d’affaires à la suite d’arrêts de la Cour » du 31 mars 2016 (DH‑GDR(2015)002REV), préparée par le Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH) et le Comité d’experts sur la réforme de la Cour (DH-GDR), ainsi que les documents dont dispose la Grande Chambre.

[73]  Instaurées par la loi n° 16/2014 du 27 juillet 2014, ces dispositions n’ont à ce jour pas encore été appliquées.

[74]  Il est remarquable de constater que, dans son arrêt du 1er août 2007, la Cour suprême autrichienne a étendu son pouvoir en matière de réouverture des procédures pénales. Dans cette affaire, elle a appliqué de manière analogue les critères de recevabilité énoncés aux articles 34 et 35 de la Convention.

[75]  Voir entre autres la décision P.08.05 F de la Cour de cassation belge, en date du 9 avril 2008.

[76]  En outre, des collectivités locales en Bosnie-Herzégovine prévoient elles aussi le droit à la réouverture lorsque la Cour constate une violation des droits de l’homme et que le jugement du tribunal interne est fondé sur cette violation (code de procédure pénale de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, article 343 § 1 f) ; code de procédure pénale de la Republika Srpska, article 342 § 1 đ) ; code de procédure pénale du district de Brčko, article 327 § 1 f). À la suite de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Maktouf et Damjanovic, les procédures pénales en cause furent rouvertes.

[77]  Voir la décision n° U-III -3304/2011 de la Cour constitutionnelle croate du 23 janvier 2013, qui fixe les critères d’examen d’une demande en réouverture de la procédure sur la base d’un constat par la Cour d’une violation de la Convention.

[78]  En République tchèque, la réouverture de la procédure à la suite d’un arrêt de la Cour est possible lorsque la Cour constitutionnelle le décide. En vertu de l’article 119 de la loi relative à la Cour constitutionnelle (n° 182/1993), l’intéressé peut demander la réouverture de la procédure devant la Cour constitutionnelle si la Cour a jugé que ses droits ont été violés. Sur la jurisprudence interne, voir la compilation précitée, p. 15.

[79]  Jamais encore la Cour suprême n’a été saisie sur la base de cette loi, adoptée pour se mettre en conformité avec deux arrêts rendus par la Cour (Kyprianou c. Chypre et Panovitz c. Chypre).

[80]  Sur la jurisprudence interne, voir la Compilation précitée, p. 67.

[81]  Sur la jurisprudence interne, voir la Compilation précitée, pp. 37-42.

[82]  Voir la procédure de réouverture à la suite de l’affaire de principe Taktakishvili c. Géorgie (déc.), n° 46055/06, 16 octobre 2012, et Sulkan Molashvili c. Géorgie (déc.), n° 39726/04, 30 septembre 2014.

[83]  Il n’existe pas de présomption légale de lien de causalité entre une violation de droits procéduraux fondamentaux garantis par la Convention et un arrêt définitif (voir la décision rendue par la Cour constitutionnelle fédérale le 12 janvier 2000), ainsi, dans l’affaire Gäfgen, la cour d’appel de Francfort a refusé la réouverture de la procédure au motif que, selon elle, la violation de la Convention au cours de la procédure d’instruction n’a eu aucune incidence sur la condamnation définitive prononcée par le jugement contesté, cette condamnation étant fondée sur les aveux de l’accusé pendant la phase de jugement (cour d’appel de Francfort, décision du 29 juin 2012).

[84]  Sur la jurisprudence interne, voir les arrêts de la Cour suprême grecque n° 1566/2010 et n° 1613/2010.

[85]  Voir, par exemple, les arrêts rendus par la Cour suprême hongroise ordonnant la réouverture des procès internes dans les affaires Vajnai c. Hongrie, Fratanolo c. Hongrie et Magyar c. Hongrie.

[86]  Sur la jurisprudence interne, voir la Compilation précitée, pp. 55-56.

[87]  Sur la jurisprudence interne, voir la Compilation précitée, p. 60.

[88]  Voir par exemple l’arrêt de la Cour de cassation du 9 juin 2016 (n° 26/16 pén., n° 3742).

[89]  Sur la jurisprudence interne, voir la Compilation précitée, p. 64.

[90]  Voir par exemple l’arrêt rendu par la Cour suprême le 7 septembre 2016 à la suite de l’arrêt Kristiansen c. Norvège.

[91]  Voir la résolution interprétative adoptée par la Cour suprême le 26 juin 2014 ainsi que la jurisprudence dans la compilation précitée, pp. 71-72.

[92]  Sur la jurisprudence interne, voir la Compilation précitée, pp. 80-82.

[93]  Tel que modifié par la loi n° 20 du 24 février 2000 puis par la loi n° 89 du 27 juin 2003. La réouverture n’a été ordonnée qu’une seule fois, à la suite de l’arrêt Tierce c. Saint‑Marin.

[94]  Voir par exemple la réouverture obtenue à la suite de l’arrêt Zachar et Čierny (CM/ResDH(2016)294).

[95]  Sur la jurisprudence interne, voir la Compilation précitée, p. 107, et en particulier l’arrêt de principe de la Cour constitutionnelle n° 245/1991, rendu le 16 décembre 1991 à la suite de l’arrêt Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne. Voir aussi l’accord non juridictionnel passé par le Tribunal suprême du 21 octobre 2014 ainsi que son arrêt n° 145/2015, rendu le 12 mars 2015 à la suite de l’arrêt Almenara Alvarez c. Espagne.

[96]  Sur la jurisprudence interne, voir la Compilation précitée, p. 116, et en particulier l’arrêt du Tribunal fédéral suisse n° 6S.362/2006 du 3 novembre 2006.

[97]  Voir par exemple Öçalan c. Turquie (déc.), n° 5980/07, 6 juillet 2010, et Erdemli c. Turquie (déc.), n° 33412/03, 5 février 2004.

[98]  Voir par exemple Yaremenko c. Ukraine (n° 2), n° 66338/09, 30 avril 2015, ainsi que la procédure de réouverture consécutive à l’arrêt Zhyzitskyy c. Ukraine.

[99]  Article 456 du code de procédure pénale de la République d’Azerbaïdjan. Le Gouvernement peut discrétionnairement demander la réouverture, le plénum de la Cour suprême étant tenu de rouvrir le litige dans les trois mois après avoir reçu la copie requise de l’arrêt définitif de la Cour. La victime de la violation des droits de l’homme n’a pas le droit de demander la réouverture.

[100]  Sur la jurisprudence interne, voir la Compilation précitée, pp. 86-87. Dans sa décision n° 21 du 27 juin 2013, le plénum de la Cour suprême a souligné que, dans l’examen de la nécessité de la révision d’un jugement, le lien de causalité entre la violation établie de la Convention et la persistance des conséquences négatives dont souffre le requérant doivent être pris en compte. Dans sa décision du 6 décembre 2013, la Cour constitutionnelle de Russie a souligné ceci : « une juridiction de droit commun ne peut refuser la révision d’une décision de justice devenue définitive au stade de la recevabilité à la suite d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. » Plus récemment, dans sa décision du 14 janvier 2016, elle a dit ceci : « [s]i [la Cour] constate une violation de la Convention, en particulier à raison d’un manque d’équité d’un jugement pénal définitif à cause d’une erreur grave d’un magistrat touchant l’arrêt dans sa substance, et si donc il y a lieu de réviser ce jugement, le président de la Cour suprême est tenu de former la demande [de révision] correspondante ». La victime d’une violation des droits de l’homme n’a pas le droit de demander la réouverture.

[101]  En Albanie, la Cour constitutionnelle a reconnu, sur la base d’une interprétation des articles 10 et 450 du code de procédure pénale, le pouvoir pour la Cour suprême d’ordonner le réexamen des jugements définitifs sur la base des conclusions de la Cour. Sur la jurisprudence interne, voir la Compilation précitée, pp. 3-4.

[102]  En vertu de l’article 977 (1) de la loi danoise sur l’administration de la justice, une personne condamnée peut demander la réouverture de son procès pénal s’il ressort à l’évidence de circonstances spéciales que l’affaire n’a pas été bien jugée. D’ailleurs, l’arrêt Jersild rendu par la Cour a conduit à la réouverture de la procédure au motif qu’il s’agissait d’une « circonstance spéciale » (voir Résolution DH (95) 212)). La pratique est restrictive, la réouverture sur la base de telles circonstances n’ayant été ordonnée que dans une seule autre affaire.

[103]  Chapitre 31, article 1, paragraphe 1, alinéa 4, et articles 8 et 8a du code de procédure judiciaire finlandais. La pratique de la Cour suprême varie, mais sa décision de principe du 24 mai 2012 renvoie à la Recommandation 2000 (2) (voir la Compilation précitée, pp. 27‑29).

[104]  La réouverture peut être demandée si la procédure est entachée de vices matériels touchant l’issue du litige. Les critères de réouverture de la procédure pénale sont régis par la loi sur la procédure pénale (articles 211 et 215), en l’occurrence l’apparition de nouveaux éléments qui auraient été considérés comme revêtant une grande importance pour l’issue du litige s’ils avaient été disponibles avant le prononcé du jugement définitif. Par exemple, la procédure interne a été rouverte à la suite de l’arrêt Arnarsson c. Islande.

[105]  En Irlande, tout requérant ayant obtenu un constat de violation de l’article 6 tombe sous le coup des dispositions de l’article 2 de la loi de 1993 sur la procédure pénale, qui permet à toute personne condamnée plaidant l’erreur judiciaire en raison d’un fait nouveau ou nouvellement découvert de demander à la Court of Criminal Appeal l’annulation de sa condamnation. D’ailleurs, à la suite de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Quinn c. Irlande, la High Court a annulé la condamnation sur cette base. C’est le seul exemple de ce type.

[106]  Dans son arrêt n° 113 du 4 avril 2011, la Cour constitutionnelle italienne a dit que l’article 630 du code de procédure pénale était illégitime dans la mesure où il ne prévoyait pas, parmi les cas de révision d’un jugement ou d’un arrêté, la réouverture de la procédure pénale consécutivement à un constat de violation de la Convention par un arrêt définitif de la Cour. Or, avant cet arrêt, la Cour suprême avait déjà admis la révision ou la réouverture de la procédure pénale à la suite des arrêts de la Cour, en l’occurrence sur la base de l’article 670 du code de procédure pénale. Voir, à titre d’exemple, les arrêts de la Cour de cassation n° 2800/2006, dans l’affaire Dorigo, et n° 4463/2011, dans l’affaire Labita, le premier antérieur à l’intervention de la Cour constitutionnelle et le second postérieur à celle-ci.

[107]  Dans son arrêt du 13 juillet 2013, la Cour suprême suédoise a jugé que la réouverture pouvait être accordée dans certain cas fondés sur l’article 13 de la Convention et sur la loi procédurale suédoise, par exemple dans des situations où la réouverture est considérée comme une mesure de satisfaction équitable bien plus adéquate que les autres mesures disponibles, à condition que la violation en question soit grave.

[108]  En vertu de l’article 13 de la loi de 1995 sur l’appel en matière pénale, la Commission de contrôle des procédures pénales (Criminal Cases Review Commission) saisit la Cour d’Appel si elle estime « qu’il existe une possibilité réelle que la condamnation ne sera pas confirmée en cas de saisine ». À la suite de l’arrêt Salduz, les critères de saisine de la commission écossaise de contrôle des procédures pénales ont été modifiés (article 194C (2) de la loi de 1995 sur la procédure pénale (Écosse), telle que modifiée).

[109]  Néanmoins, dans son rapport de 2008, le CDDH fait aussi figurer Malte, l’Irlande et le Royaume-Uni parmi les États membres dans lesquels la réouverture d’un procès pénal est possible (CDDH(2008)008 Add. I, § 8).

[110]  Dans le passé, sur la base de l’ancien code de procédure pénale, il n’y a eu que deux cas de réouverture de procès pénaux à la suite d’arrêts rendus par la Cour, en l’occurrence Stanimirovic c. Serbie et Hajnal c. Serbie. 

[111]  Article 408 du code de procédure pénale arménien.

[112]  Article 416 du code de procédure pénale slovène. Jusqu’à peu, il n’y avait aucune pratique en matière de réouverture de procès pénaux à la suite d’un arrêt de la Cour (Compilation, précité, p. 96), mais voir aussi la décision de la Cour constitutionnelle slovène n° U-I-223/09, Up-140/02 du 14 avril 2001 concernant la réouverture des procès civils.

[113]  Comité d’experts sur la réforme de la Cour (DH-GDR) : Aperçu de l’échange de vues, tenu lors de la 8e réunion du DH-GDR, sur les possibilités dans l’ordre juridique interne pour le réexamen ou la réouverture d’affaires à la suite d’arrêts de la Cour, p. 4, § 8. À la suite de l’arrêt Steck-Risch et autres c. Liechtenstein, n° 63151/00, les requérants demandèrent à la réouverture du procès interne. Les juridictions nationales le refusèrent, ce qui conduisit à l’arrêt Steck-Risch c. Liechtenstein (n° 2). Cette requête a été déclarée irrecevable.

[114]  Voir l’interprétation donnée par la Cour suprême de l’article 449 § 1 g) dans son arrêt de principe du 27 mai 2009.

[115]  En tant que circonstance à retenir dans l’examen de la nécessité de la révision d’un jugement, selon la décision n° 21 du 27 juin 2013 rendue par le Plénum de la Cour suprême russe.

[116]  L’un des motifs de réouverture permis par la jurisprudence suédoise est que la mesure est nécessaire pour mettre fin à une privation de liberté assimilable à une violation de droits individuels. Voir la décision rendue par la Cour suprême le 13 juillet 2013.

[117]  Voir l’arrêt de principe rendu par la Cour suprême le 27 mai 2009.

[118]  Réouverture à la suite de l’arrêt Xheraj c. Albanie, 29 juillet 2008.

[119]  Réouverture à la suite de l’arrêt Fraumens c. France, 10 janvier 2013.

[120]  Réouverture à la suite des arrêts Popovici c. Moldova, 27 novembre 2007, et Almenara Alvarez c. Espagne, 25 octobre 2011.

[121]  Réouverture à la suite de l’arrêt Taal c. Estonie, 22 novembre 2005.

[122]  Réouverture à la suite de l’arrêt Lalas c. Lituanie, 1er mars 2011.

[123]  Réouverture à la suite de l’arrêt A.P., M.P. et T.P. c. Suisse, 29 août 1997.

[124]  Le Lichtenstein n’offre aucune possibilité de rouvrir une procédure pénale sur la base d’un arrêt de la Cour, tandis que l’Azerbaïdjan et la Russie prévoient une telle possibilité, mais sans qu’il y ait un droit individuel à la réouverture du procès pour la victime de la violation des droits de l’homme.

[125]  Voir, entre autres, Zawadzki c. Pologne (déc.), n° 34158/96, 6 juillet 1999, et Sablon c. Belgique, n° 36445/97, § 86, 10 avril 2001.

[126]  Bochan c. Ukraine (n° 2) [GC], n° 22251/08, § 50, 5 février 2015.

[127]  Yaremenko c. Ukraine (n° 2), précité. 

[128]  Voir paragraphe 65 de l’arrêt.

[129]  Voir paragraphe 72 de l’arrêt.

[130]  Ce qui va dans le sens de la position du Comité des Ministres exposée dans sa résolution DH (2004) 31 en l’affaire Sadak, Zana, Dogan et Dicle c. Turquie, selon laquelle les États doivent garantir le principe de la présomption d’innocence et les principes en matière de détention provisoire au cours de la procédure de réouverture. Autrement dit, les articles 5 et 6 de la Convention s’appliquent postérieurement à la décision de réouverture en matière pénale.

[131]  Voir, entre autres, Mehemi c. France (n° 2), n° 53470/99, § 43, CEDH 2003‑IV, et Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (n° 2) [GC], précité, § 62.

[132]  Emre c. Suisse (n° 2), n° 5056/10, 11 octobre 2011.

[133]  Emre c. Suisse, n° 42034/04, 22 mai 2008.

[134]  Emre c. Suisse (n° 2), précité, § 75.

[135]  Voir paragraphe 70 de l’arrêt.

[136]  Voir paragraphe 60 b) de l’arrêt.

[137]  Voir paragraphe 69 de l’arrêt.

[138]  Voir paragraphe 43 de l’arrêt.

[139]  Voir paragraphe 72 de l’arrêt.

[140]  Voir par exemple, les arrêts de la Cour suprême du 17 juin 2015, procédure interne n° 157/05.4JELSB-O.01, et du 26 mars 2014, procédure interne n° 5918/06.4TDPRT.P1.

[141]  Voir paragraphe 72 de l’arrêt.

[142]  L’argumentation de la majorité aux paragraphes 69 et 72 est un exemple typique de raisonnement livré sur une pente savonneuse. La majorité avait d’abord interprété la compétence de la Cour suprême conférée par l’article 449 § 1 g) du code de procédure pénale comme « ordonnant » la révision, avant de reconnaître que la décision de la Cour suprême était « susceptible d’être déterminant[e] » pour le bien-fondé de l’accusation pénale et d’en conclure que la Cour suprême était « axée sur le bien-fondé ».

[143]  En disant cela, la majorité contredit la jurisprudence établie (Jeronovics c. Lettonie (GC), n° 44898/10, § 120, CEDH 2016).

[144]  Voir paragraphes 29 et 30 de l’arrêt.

[145]  Commentaire de l’article 35 des Projets d’articles, § 8 : « la restitution n’est pas impossible uniquement du fait de difficultés juridiques ou pratiques, même si l’État responsable peut avoir à faire des efforts particuliers pour les surmonter. Aux termes de l’article 32 [des Projets d’articles], l’État responsable ne peut pas se prévaloir des dispositions de son droit interne pour justifier un manquement à accorder une réparation intégrale ».

[146]  Paragraphe 90 de l’arrêt.

[147]  La majorité de la Grande Chambre analyse la propre jurisprudence de la Cour sans distinguer le droit à leur ouverture en général du droit à la réouverture à la suite d’un constat par la Cour d’une violation de la Convention.

[148]  Paragraphe 53 de l’arrêt.

[149]  Paragraphe 53 de l’arrêt.

[150]  Paragraphe 91 de l’arrêt.

[151]  Voir paragraphes 53 et 91 de l’arrêt.

[152]  Paragraphe 96 de l’arrêt.

[153]  Paragraphe 93 de l’arrêt.

[154]  Paragraphes 95 et 98 de l’arrêt. On pourrait débattre ici de l’applicabilité de la marge d’appréciation à la réouverture d’une procédure pénale, cette question étant régie par une disposition non susceptible de dérogation (l’article 3 du Protocole n° 7). Assez contradictoirement, cette absence de toute latitude dans l’interprétation de l’article 449 § 1 g) a été effectivement reconnue par la majorité de la Grande Chambre (voir paragraphe 69 de l’arrêt).

[155]  Voir Moreira Ferreira, précité, § 33.

[156]  Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) (n° 2), précité, § 90.

[157]  Il faut noter à cet égard que la Cour suprême espagnole, dans son arrêt précité n° 145/2015, a adopté une position très différente, davantage favorable aux droits de l’homme, dans un ensemble des circonstances similaire, en ordonnant la réouverture d’une procédure interne après le constat dans l’arrêt Almenara Alvarez c. Espagne d’une violation de l’article 6 de la Convention pour défaut d’audition devant la juridiction de deuxième instance qui avait condamné la requérante.

[158]  Paragraphes 16 et 17 de l’arrêt.

[159]  Le Gouvernement soutenait devant la Cour que la réouverture en l’espèce n’aurait en l’espèce aucune conséquence pratique, la peine ayant déjà été purgée et étant donc éteinte. Cette thèse ne tient pas. L’article 449 § 4 du code de procédure pénale prévoit expressément la réouverture même lorsque la peine a déjà été intégralement purgée. Le Gouvernement a également informé le Comité des Ministres qu’il avait approuvé une proposition de réforme du code de procédure pénale portugais afin de redresser les défaillances du type de celles constatées dans l’arrêt Moreira Ferreira. En réalité, cette proposition n’a jamais été présentée au Parlement (voir paragraphe 22 de l’arrêt).

[160]  Voir paragraphes 90 et 96 de l’arrêt.

[161]  Paragraphe 98 de l’arrêt.

[162]  Benthem c. Pays-Bas, n° 8848/80, § 40, 23 octobre 1985, arrêt dans lequel la Cour a dit ceci : « la compétence de décider est inhérente à la notion même de « tribunal » au sens de la Convention ».

[163]  Tel qu’il ressort entre autres de la « Compilation de contributions écrites sur les possibilités dans l’ordre juridique interne pour le réexamen ou la réouverture d’affaires à la suite d’arrêts de la Cour », du 31 mars 2016, rédigée par le Comité directeur pour les droits de l’homme et le Comité d’experts sur la réforme de la Cour, abondamment citée par le juge Pinto de Albuquerque dans son opinion dissidente.

[164]  Je ne tiens pas me livrer ici à une analyse de l’interprétation par la Cour suprême des dispositions de la législation interne ni de l’appréciation faite par la Cour de cette interprétation. Il me faut néanmoins dire, fût-ce incidemment, que je suis sceptique quant à la conclusion selon laquelle ces dispositions permettaient effectivement de justifier l’absence de réouverture de la procédure. À mon sens, ces dispositions, jumelées avec l’arrêt rendu par la Cour le 5 juillet 2011 (surtout au paragraphe 41) et la Recommandation n° R (2000) 2 (de même que l’exposé de ses motifs, qui met fortement l’accent sur le principe de l’égalité des armes ; voir le paragraphe 33 de l’arrêt) appelaient la réouverture.

[165]  Ou même en l’absence de toute procédure judiciaire, c’est-à-dire au moyen d’un acte législatif, donc de nature politique ? Voir, par exemple, l’arrêt récemment rendu dans l’affaire Béres et autres c. Hongrie (nos 59588/12, 59632/12 et 59865/12, 17 janvier 2017).

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CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE MOREIRA FERREIRA c. PORTUGAL (N° 2), 11 juillet 2017, 19867/12