CEDH, Commission, VAN LIERDE c. la BELGIQUE, 8 juillet 1986, 8837/79
Chronologie de l’affaire
Commentaire • 0
Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission, 8 juill. 1986, n° 8837/79 |
---|---|
Numéro(s) : | 8837/79 |
Type de document : | Rapport |
Date d’introduction : | 13 décembre 1979 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Violation de l'art. 6-1 |
Identifiant HUDOC : | 001-46244 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1986:0708REP000883779 |
Texte intégral
I. INTRODUCTION
1. On trouvera ci-après un résumé des faits de la cause, tels
qu'ils ont été exposés par les parties à la Commission européenne des
Droits de l'Homme, ainsi qu'une description de la procédure.
A. La requête
2. Le requérant Léon Van Lierde, né en 1922, de nationalité
belge, est docteur en médecine (dermatologue) et a son domicile à
Bruxelles. Dans la procédure devant la Commission il est représenté
par Maître Robert Boccart, avocat à Bruxelles. Le Gouvernement belge
est représenté par son Agent, M. José Niset, du Ministère de la
Justice.
3. Le requérant a fait l'objet de poursuites disciplinaires de la
part des conseils provincial et d'appel de l'Ordre des médecins du
Brabant. La mesure disciplinaire qui lui a été infligée par le
conseil d'appel de l'Ordre des médecins a été la suspension du droit
d'exercer la profession médicale pour une période de trois mois en
raison d'un article paru dans le "Standaard-Nieuwsblad" du
27 février 1976 dont le requérant fut jugé responsable. La Cour de
cassation rejeta le pourvoi dont elle avait été saisie par arrêt du
29 juin 1979.
4. Devant la Commission, le requérant allègue en particulier la
violation de l'article 6 de la Convention (art. 6). En effet il
s'élève contre l'absence de publicité de la procédure disciplinaire de
même que contre l'aspect arbitraire et la partialité de ces
juridictions qu'il qualifie de juridictions d'exception.
Enfin, il s'estime lésé dans ses droits garantis par les articles 7, 8
et 10 de la Convention (art. 7, art. 8, art. 10).
Comme il est exposé plus loin, la Commission n'a retenu la requête que
par rapport à la question de la publicité de la procédure
disciplinaire (article 6 par. 1) (art. 6-1).
B. La procédure
5. La présente requête a été introduite le 13 décembre 1979 et
enregistrée le 18 décembre 1979.
6. La Commission décida le 10 juillet 1981 de donner connaissance
de la requête au Gouvernement belge sans toutefois demander des
observations sur la recevabilité de la requête, compte tenu de la
similitude des problèmes avec ceux soulevés dans l'affaire Albert et
Le Compte encore pendante. Elle a donc ajourné l'examen de la requête
en attendant l'issue de cette affaire.
7. La Cour européenne des Droits de l'Homme avait rendu le
23 juin 1981 son arrêt dans l'affaire Le Compte, Van Leuven et
De Meyere ; elle a rendu le 10 février 1983 son arrêt dans l'affaire
Albert et Le Compte.
8. La Commission décida le 14 juillet 1983 de demander aux
parties de présenter des observations sur la recevabilité et le
bien-fondé de l'allégation portant sur l'absence de publicité
(article 6 par. 1) (art. 6-1) à la lumière de ces deux arrêts. Le
mémoire du Gouvernement daté du 5 décembre 1983 fut communiqué au
requérant qui formula ses observations en réponse le 14 février 1984.
Le Gouvernement défendeur a présenté des observations complémentaires
sur la réponse du requérant, par lettre du 10 juillet 1984.
9. Le 5 décembre 1984, la Commission déclara recevable, tous
moyens de fond réservés, le grief du requérant concernant la
méconnaissance de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), en tant que sa cause
n'aurait pas bénéficié des garanties de publicité prévues par cette
disposition ; elle déclara la requête irrecevable quant au surplus.
10. Après avoir déclaré la requête recevable, la Commission,
conformément à l'article 28 b) (art. 28-b) de la Convention, s'est
mise à la disposition des parties en vue de parvenir à un règlement
amiable de l'affaire. Des consultations suivies ont eu lieu avec les
parties entre le 20 décembre 1984 et le 26 mai 1986. Vu l'attitude
adoptée par les parties, la Commission constate qu'il n'existe aucune
base permettant d'obtenir un tel règlement.
C. Le présent rapport
11. Le présent rapport a été établi par la Commission,
conformément à l'article 31 (art. 31) de la Convention, après
délibérations et votes, en présence des membres suivants :
MM. C.A. NØRGAARD, President
G. SPERDUTI
J.A. FROWEIN
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
G. TENEKIDES
S. TRECHSEL
B. KIERNAN
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
G. BATLINER
J. CAMPINOS
H. VANDENBERGHE
Mme G.H. THUNE
Sir Basil HALL
12. Le texte du présent rapport a été adopté par la Commission le
8 juillet 1986 et sera transmis au Comité des Ministres du Conseil de
l'Europe, conformément à l'article 31 par. 2 (art. 31-2) de la
Convention.
13. Ce rapport a pour objet, conformément à l'article 31 par. 1
(art. 31-1) de la Convention :
(i) d'établir les faits, et
(ii) de formuler un avis sur le point de savoir si les faits constatés
révèlent de la part du Gouvernement défendeur une violation des
obligations qui lui incombent aux termes de la Convention.
14. Sont joints au présent rapport un tableau retraçant
l'historique de la procédure devant la Commission (ANNEXE I), ainsi
que le texte de la décision sur la recevabilité de la requête
(ANNEXE II).
Le texte intégral de l'argumentation écrite des parties ainsi que les
pièces soumises à la Commission sont conservés dans les archives de la
Commission.
II. ETABLISSEMENT DES FAITS
15. La requête porte essentiellement sur la question de la
publicité de la procédure disciplinaire au regard de l'article 6
par. 1 (art. 6-1).
Il y a lieu de souligner d'entrée que les faits ne sont pas contestés
entre les parties.
A. Législation belge portant sur l'institution, la composition
et les règles de procédure des organes de l'Ordre des médecins
Institution
16. L'Ordre des médecins fut créé par une loi du 25 juillet 1938.
Il fut réorganisé depuis lors par l'arrêté royal n° 79 du
10 novembre 1967 : celui-ci fut pris en vertu d'une loi du
31 mars 1967 - qualifiée de loi d'habilitation - qui avait, jusqu'au
14 novembre 1967, habilité le Roi à prendre, par arrêtés délibérés en
conseil des ministres, "toutes les dispositions utiles en vue (...) de
promouvoir la qualité et d'assurer la dispensation normale des soins
de santé par une révision et une adaptation de la législation relative
à l'exercice des différentes branches de l'art de guérir" et qui avait
précisé que ces arrêtés pouvaient "abroger, compléter, modifier ou
remplacer les dispositions légales en vigueur".
17. D'après le premier alinéa de l'article 2 de la loi du
25 juillet 1938 créant l'Ordre des médecins, celui-ci devait
comprendre "tous les docteurs en médecine, chirurgie et accouchements,
domiciliés en Belgique, autorisés à y pratiquer l'art de guérir et
inscrits à l'un des tableaux de l'Ordre".
Ceux qui étaient désireux d'y pratiquer l'art de guérir devaient,
d'après le deuxième alinéa du même article, "préalablement obtenir
leur inscription au tableau de l'Ordre", celle-ci ne pouvant leur être
refusée par le conseil provincial de l'Ordre compétent à raison de
leur domicile que s'ils s'étaient rendus coupables "d'un fait dont la
gravité mérite la peine de l'interdiction définitive de pratiquer
l'art de guérir en Belgique".
18. Ces dispositions ont été, depuis lors, remplacées en grande
partie par celles - pratiquement identiques en leur substance - de
l'article 2 de l'arrêté royal n° 79 du 10 novembre 1967, selon
lesquelles "l'Ordre des médecins comprend tous les docteurs en
médecine, chirurgie et accouchements, domiciliés en Belgique et
inscrits au tableau de l'Ordre de la province dans laquelle est situé
leur domicile" et "pour pouvoir pratiquer l'art médical en Belgique,
tout médecin doit être inscrit au tableau de l'Ordre".
Les médecins militaires, déjà soumis à leurs propres autorités dans le
cadre des forces armées, ne doivent être inscrits au tableau de
l'Ordre que s'ils pratiquent l'art médical en dehors de leur emploi
militaire. Par contre, les médecins qui n'ont pas la nationalité
belge doivent l'être, s'ils sont domiciliés en Belgique et veulent y
exercer leur profession ; ils ne sont toutefois pas éligibles comme
membres des organes de l'Ordre.
Il y a lieu de noter en outre que l'inscription obligatoire au tableau
de l'Ordre des médecins n'est pas la seule condition fixée en Belgique
pour l'exercice de la profession médicale : l'arrêté royal n° 78 du
10 novembre 1967, relatif à l'art de guérir, à l'exercice des professions
s'y rattachant et aux commissions médicales, prévoit que nul ne peut
exercer l'art médical s'il n'est porteur d'un diplôme légal de docteur
en médecine, chirurgie et accouchements ou s'il n'en est légalement
dispensé et qu'il n'a préalablement fait viser son titre par la
commission médicale de sa province.
Composition et fonctions
19. Les organes de l'Ordre sont : les conseils provinciaux, les
conseils d'appel et le conseil national. Avant la réforme de 1967,
qui n'a que très peu modifié leur composition, leurs attributions et
leur manière de procéder, on les appelait respectivement, sous le
régime de la loi de 1938, conseils de l'Ordre, conseils mixtes
d'appel et conseil supérieur.
20. Les conseils provinciaux, au nombre de dix, dressent le
tableau de l'Ordre. Ils peuvent refuser ou différer l'inscription de
ceux qui se sont rendus coupables de faits dont la gravité
entraînerait pour un membre de l'Ordre la radiation du tableau ou de
fautes graves entachant l'honneur ou la dignité de la profession et,
par ailleurs, omettent les noms de ceux qui ne remplissent plus les
conditions requises pour l'exercice de l'art médical et ne
maintiennent que sous condition restrictive les noms de ceux à l'égard
desquels des limitations s'imposent en raison de déficiences physiques
ou mentales.
Ils veillent "au respect des règles de la déontologie médicale et au
maintien de l'honneur, de la discrétion, de la probité et de la
dignité des membres de l'Ordre", en réprimant disciplinairement "les
fautes des membres inscrits à leur tableau, commises dans l'exercice
ou à l'occasion de l'exercice de la profession, ainsi que les fautes
graves commises en dehors de l'exercice de la profession, lorsque ces
fautes sont de nature à entacher l'honneur ou la dignité de la
profession".
Ils donnent aux membres de l'Ordre, sous réserve de l'approbation du
conseil national, des avis sur des questions de déontologie médicale.
Ils signalent aux autorités compétentes les actes d'exercice illégal
de l'art médical dont ils ont connaissance. Ils arbitrent les
contestations d'honoraires qui leur sont déférées conjointement par
les intéressés. Ils répondent aux demandes d'avis des cours et
tribunaux relatives à des contestations de ce genre. Ils déterminent
les cotisations à payer par les membrs de l'Ordre en y incluant le
montant fixé par le conseil national pour chaque membre inscrit.
En première instance, chaque conseil provincial est composé d'un
certain nombre de médecins titulaires et suppléants, élus pour six ans
par les médecins inscrits au tableau de l'Ordre de la province et d'un
assesseur magistrat titulaire et d'un magistrat suppléant, nommés par
le Roi, ce magistrat ayant une voix consultative. L'instruction de
l'affaire doit toujours être effectuée par un ou plusieurs membres du
conseil conjointement avec l'assesseur. L'assesseur magistrat dispose
du droit d'appel.
21. Les conseils d'appel connaissent de l'appel des décisions
prises par les conseils provinciaux de leur ressort au sujet
d'inscriptions au tableau ou en matière disciplinaire. Ils se
prononcent en premier et dernier ressort sur les réclamations
relatives à la régularité de l'élection des membres des conseils
provinciaux, des conseils d'appel ou du conseil national. Ils peuvent
être amenés à se prononcer sur des affaires sur lesquelles les
conseils provinciaux n'ont pas statué dans le délai prescrit. Ils
statuent aussi sur tout conflit entre conseils provinciaux relatif au
domicile d'un médecin.
Les conseils d'appel sont composés de cinq médecins titulaires et
suppléants élus pour une durée de six ans par les conseils provinciaux
en dehors de leurs membres et de cinq magistrats, conseillers à la
cour d'appel, nommés par le Roi pour une durée de six ans, et d'un
greffier. Parmi les membres magistrats, le Roi nomme le président et
le rapporteur. En cas de partage de voix, le président a voix
prépondérante.
22. Le conseil national de l'Ordre des médecins élabore "les
principes généraux et les règles relatifs à la moralité, l'honneur, la
discrétion, la probité, la dignité et le dévouement indispensables à
l'exercice de la profession, qui constituent le code de déontologie
médicale" ; ces principes et règles peuvent être rendus obligatoires
par des arrêtés royaux délibérés en conseil des ministres. Il tient à
jour un répertoire des décisions disciplinaires des conseils
provinciaux et des conseils d'appel qui ne sont pas susceptibles de
recours. Il donne des avis motivés "sur des questions d'ordre
général, sur des problèmes de principe ou sur des règles de
déontologie médicale". Il prend "toutes mesures nécessaires pour la
réalisation de l'objet de l'Ordre". Il détermine le montant réclamé
aux médecins comme cotisation pour l'Ordre.
Le conseil national est composé de dix membres, élus respectivement
par chacun des conseils provinciaux de l'Ordre parmi les médecins
inscrits à son tableau, et de six membres nommés par le Roi parmi les
médecins présentés, sur des listes comprenant chacune trois candidats,
par les facultés de médecine. Il est présidé par un conseiller à la
Cour de cassation nommé par le Roi. Il est divisé en deux sections
qui élisent, chacun en son sein, un vice-président.
Règles de procédure
23. La procédure relative aux inscriptions au tableau et la
procédure disciplinaire sont organisées à trois niveaux : celui du
conseil provincial, statuant en premier ressort, celui du conseil
d'appel, statuant en dernier ressort, celui de la Cour de cassation,
statuant sur la légalité et le respect des formes.
Elle comporte, en première instance, une instruction préalable, à
laquelle doit nécessairement participer l'assesseur du conseil
provincial qui est un magistrat du tribunal de première instance et,
en appel, l'examen de l'affaire et, le cas échéant, son instruction
complémentaire par un rapporteur qui est conseiller à la cour d'appel.
C'est donc, à chacun de ces niveaux, un membre de l'ordre judiciaire
qui participe à l'instruction de l'affaire. De plus, le rapporteur du
conseil provincial peut toujours être entendu par le conseil d'appel.
La procédure est, à chaque niveau, contradictoire. Elle est secrète
au niveau du conseil provincial et à celui des conseils d'appel, mais
publique à celui de la Cour de cassation. Enfin, l'appel et le
pourvoi en cassation sont suspensifs de la peine.
Elle comporte l'obligation d'informer le médecin intéressé "dans le
plus bref délai" de ce qu'une enquête est ordonnée à sa charge, des
délais et des formes lui permettant de disposer du temps et des
facilités nécessaires à la préparation de sa défense, ainsi que des
garanties quant à l'emploi des langues.
Elle comporte, pour le médecin intéressé, un droit de récusation, la
possibilité de se faire assister par un ou plusieurs conseils et,
aussi bien pour ceux-ci que pour lui-même, celle de prendre
connaissance du dossier, ainsi que l'obligation pour tous les organes
de statuer dans un délai raisonnable, de garder le secret de leurs
délibérations et de motiver leur décision, ainsi que le droit de
l'intéressé d'être rapidement informé de celle-ci et des recours
éventuellement introduits.
Les décisions prononçant la radiation d'un médecin du tableau de
l'Ordre ou sa suspension pour plus d'un an doivent, tant au niveau des
conseils provinciaux qu'à celui des conseils d'appel, être prises à la
majorité d'au moins deux tiers des voix. Il en va de même, aux
conseils d'appel, des décisions refusant ou différant l'inscription au
tableau, appliquant une sanction alors que le conseil provincial n'en
a prononcé aucune ou aggravant la sanction prononcée par celui-ci.
La procédure de cassation est, à de minimes détails près, régie par
les règles suivies en matière civile.
B. Circonstances particulières de l'affaire
24. Le requérant, de nationalité belge, né le 23 mars 1922, est
docteur en médecine, dermatologue, et a son domicile à Bruxelles.
25. Le requérant, ayant fait l'objet, le 12 septembre 1969 d'une
saisie effectuée sur ses meubles et effets mobiliers à la charge de
son épouse en raison de ce qu'ils étaient mariés sous le régime de la
séparation des biens, a engagé le 30 octobre 1969 une action devant le
tribunal de première instance de Bruxelles tendant à la revendication
de ses biens. Le 2 décembre 1971, le tribunal ordonna la levée de
cette saisie et condamna l'Etat à lui payer la somme de 5.000 francs
belges à titre de dommages-intérêts. Sur appel de l'Etat belge, la
cour d'appel de Bruxelles confirma, le 8 mars 1972, le jugement de
première instance mais ramena le montant des dommages-intérêts à un
franc.
26. Faisant suite à une lettre du conseil de l'Ordre des médecins
de Brabant d'expression néerlandaise du 16 février 1972, le président
du conseil de l'Ordre des médecins de Brabant d'expression française
adressa, le 2 mars 1972, une lettre au président de la commission
médicale provinciale du Brabant relevant du Ministère de la Santé
publique et de la Famille pour lui demander de procéder à un examen
psychiatrique du requérant au motif qu'il reflétait "un certain
trouble de comportement" et qu'"à une séance de la chambre de la cour
d'appel de Bruxelles, son attitude générale avait également une allure
manifestement psycho-pathologique".
L'examen fut confié par la commission médicale à trois médecins
experts et trois suppléants, chargés d'examiner "si son état de santé
lui permettait de poursuivre sans risque l'exercice total ou partiel
de la profession, en précisant s'il s'agit éventuellement d'un état
transitoire ou permanent". Le rapport devait être déposé avant le
31 août 1972. Ayant été convoqué par un des suppléants, en dehors du
délai, le requérant estima ne pas devoir y donner suite, d'autant plus
qu'il n'avait pas été informé d'une prorogation du délai et qu'en tous
cas cette prorogation n'avait pas été décidée sur demande motivée des
experts. Le requérant refusa pour des motifs analogues sa coopération
avec les deux autres experts et ne donna jamais suite aux diverses
convocations si ce n'était de critiquer les procédures par écrit.
Le 29 mars 1973, les trois experts déposèrent leur rapport
d'expertise. Les experts conclurent que n'ayant pu ni entendre le
requérant ni le soumettre aux examens auxquels ils pensaient devoir
procéder, ils ne pouvaient exécuter leur mission. Toutefois, le
Dr De W. a versé comme addendum au rapport une étude des écrits que le
requérant avait adressés à différentes personnalités ainsi que d'un
certain nombre d'exemplaires d'une revue éditée par le requérant. Il
y conclut que l'examen des écrits du requérant démontrait que leur
auteur était gravement atteint dans ses facultés mentales.
27. Le 19 mai 1973, le requérant porta plainte auprès du Procureur
du Roi pour faux en écritures, usages de faux dans le chef du
président de la commission médicale provinciale et pour calomnies et
diffamation dans le chef du Dr De W. La chambre du conseil du
tribunal de première instance de Bruxelles déclara, le
22 octobre 1973, qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre. Le requérant
fit opposition. L'opposition fut déclarée non fondée par la cour
d'appel le 21 décembre 1973.
Le 4 juin 1973, la commission médicale provinciale décida qu'à défaut
d'éléments probants, il n'y avait pas lieu de statuer sur la plainte
des conseils de l'Ordre des médecins du Brabant. Le même jour, le
président de la commission adressa une lettre à l'Ordre des médecins
du Brabant d'expression néerlandaise communiquant la décision de
justice en lui suggérant d'examiner l'attitude "peu collégiale" du
requérant qui ressortait des écrits, afin de déterminer si l'honneur
et la dignité du corps médical étaient atteints. Le 26 avril 1974 le
président de la commission réitéra ces propos.
28. Le requérant engagea ensuite une action civile contre les
présidents des sections francophone et néerlandophone des conseils
provinciaux de l'Ordre, le président de la commission médicale
provinciale ainsi que le Dr De W. qui avait rédigé l'addendum à
l'expertise.
29. La procédure disciplinaire, qui avait été introduite contre le
requérant devant le conseil provincial de l'Ordre des médecins suite à
des plaintes formulées par le Dr A. pour certains articles parus dans
le périodique "Cravachol", édité par le requérant, fut suspendue par
le conseil provincial en attendant le résultat de cette action civile.
Toutefois, le conseil national de l'Ordre des médecins porta l'affaire
devant la section néerlandaise du conseil d'appel de l'Ordre des
médecins, puisque la première instance n'avait pas statué dans le
délai de six mois.
Le 10 février 1975, le conseil d'appel prononça à l'encontre du
requérant la suspension pour la durée d'un mois du droit d'exercer la
profession médicale. Le pourvoi en cassation introduit par le
requérant fut rejeté le 12 décembre 1975 par la Cour de cassation.
30. Le 5 janvier 1976, le Dr. A. introduisit une nouvelle plainte
contre le requérant auprès du conseil provincial de l'Ordre du chef de
violation du secret professionnel. Le 4 mars 1976, le Dr. A. formula
une autre plainte pour conduite anti-déontologique et propos calomnieux
tenus à son endroit à la suite de la parution dans la revue quotidienne
d'articles le concernant.
31. Le 29 juin 1976, le conseil provincial de l'Ordre suspendit la
procédure en attendant une expertise.
Le 1er mars 1977, le requérant est frappé d'une crise cardiaque grave
qui nécessite une intervention chirurgicale suivie d'une invalidité de
plusieurs mois.
Le 18 avril 1978, le requérant, par pli judiciaire, oblige les parties
défenderesses au civil (les docteurs A., R., De W. et V.) à
comparaître devant le tribunal où les moyens dilatoires sont à nouveau
multipliés.
32. Le 19 avril 1978, c'est-à-dire le lendemain, le requérant est
cité devant le conseil d'appel de l'Ordre des médecins pour répondre
de trois plaintes déposées plus de deux années auparavant, 28 mois
exactement : il s'agissait des plaintes pour lesquelles le conseil
provincial avait pris, le 29 juin 1976, la décision de surseoir.
33. Sur appel introduit par l'Ordre national, le conseil d'appel
de l'Ordre déclara l'appel fondé, annula la décision de suspension de
la procédure et prononça, le 26 juin 1978, à l'encontre du requérant
une suspension du droit d'exercer la médecine pour une période de
trois mois en raison d'un article paru dans le "Standaard-Nieuwsblad"
du 27 février 1976, dont le requérant fut jugé responsable.
34. Le requérant se pourvut en cassation. Il y invoqua notamment
l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention au motif que la
décision de suspension n'aurait nullement apporté la preuve qu'une
procédure publique aurait nui à l'intérêt de la moralité, de l'ordre
public ou de la sécurité nationale des mineurs ou de la protection de
la vie privée des parties. En se référant à la jurisprudence de la
Cour dans l'affaire König, le requérant estime que la décision de
suspension du droit d'exercer la profession médicale constituait une
décision sur un "droit civil" et que, par conséquent, l'article 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention aurait été violé.
35. La Cour de cassation exprima l'avis que l'article 6 (art. 6)
n'était pas applicable en matière disciplinaire. Elle considéra en
outre que la publicité de la procédure disciplinaire est incompatible
avec le principe selon lequel, tant dans l'intérêt public que dans
l'intérêt des personnes concernées, une discrétion doit être observée
en matière disciplinaire et rejeta le pourvoi par arrêt du
29 juin 1979.
La suspension du requérant devint effective le 17 août 1979 et prit
fin le 16 novembre 1979.
III. ARGUMENTATION DES PARTIES
36. Quant à la prétendue méconnaissance de l'article 6 par. 1
(art. 6-1) en tant que la cause du requérant n'aurait pas bénéficié
des garanties de publicité prévues par cette disposition, tant le
requérant que le Gouvernement défendeur se bornent à faire référence à
la conclusion à laquelle la Cour européenne des Droits de l'Homme est
parvenue dans les affaires Le Compte, Van Leuven et De Meyere, d'une
part, Albert et Le Compte d'autre part (Cour Eur. D.H., arrêt
Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A n° 43,
p. 20, par. 44 et ss. et arrêt Albert et Le Compte du 10 février 1983,
série A n° 58, p. 14, par. 27 et ss.) ainsi qu'à l'arrêt de la Cour de
cassation belge du 14 avril 1983 (en cause Radoux c/Ordre des
Architectes).
IV. AVIS DE LA COMMISSION
37. Au regard des faits tels qu'ils ont été établis, la Commission
est appelée à se prononcer sur le point de savoir si la procédure
devant les organes de l'Ordre des médecins entre dans le domaine
d'application de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et,
dans l'affirmative, si les garanties de publicité prévues par cette
disposition ont été respectées.
A. Sur l'applicabilité de l'article 6 par. 1 de la Convention
(art. 6-1)
38. La Commission tient à souligner d'emblée l'identité des
problèmes en cause, dans le cas d'espèce, avec ceux dans les affaires
Le Compte, Van Leuven et De Meyere, d'une part, Albert et Le Compte,
d'autre part, sur lesquelles la Cour européenne des Droits de l'Homme
s'est prononcée (Cour Eur. D.H., arrêt du 23 juin 1981, série A n° 43
et arrêt du 10 février 1983, série A n° 58).
39. Au demeurant les parties se bornent à faire un renvoi aux deux
arrêts précités sans développer davantage leurs moyens sur la question
litigieuse.
40. La Commission constate que "le droit de continuer à exercer la
profession de médecin revêtait dans le cas des intéressés, un
caractère privé, donc civil, au sens de l'article 6 par. 1
(art. 6-1), nonobstant la nature spécifique et d'intérêt général de la
profession de médecin et les devoirs particuliers s'y rattachant"
(cf. Cour eur. D.H. arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere, série A
n° 43, p. 22, par. 48 et arrêt Albert et Le Compte, série A n° 58,
p. 15, par. 28).
41. La mesure de suspension pour une durée de trois mois prononcée
contre le Dr. Van Lierde par les organes disciplinaires de l'Ordre des
médecins a abouti à le dépouiller de manière temporaire du droit de
pratiquer l'art médical à titre libéral, droit acquis par lui et qui
lui permettait de réaliser les fins de sa vie professionnelle. Or, ce
droit se trouvait directement en cause devant le conseil d'appel et la
Cour de cassation.
En outre dans le chef de médecins travaillant à titre libéral, tel le
requérant, le droit de continuer à pratiquer est mis en oeuvre dans
des relations d'ordre privé avec leurs clients et patients ; en
Belgique, elles prennent de coutume la forme de relations
contractuelles et, de toute façon, se nouent directement entre
individus sur un plan personnel. Dès lors, le droit susmentionné
avait, dans le cas de l'intéressé, un caractère privé, donc civil au
sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) en dépit de la nature spécifique
et d'intérêt général de la profession de médecin et les devoirs
particuliers qui s'y rattachent.
42. En conséquence, la Commission estime que l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention s'applique à la situation litigieuse.
B. Sur l'observation de l'article 6 par. 1 de la Convention
(art. 6-1)
43. Le requérant soutient que les garanties énoncées à l'article 6
par. 1 (art. 6-1) n'ont pas été respectées dans les procédures
engagées à son encontre devant les organes de l'Ordre des médecins.
En particulier, il fait valoir que sa cause n'a pas bénéficié des
garanties de publicité prévues par cette disposition. Sur ce point
également tant le requérant que le Gouvernement défendeur font
référence aux deux arrêts précités.
44. Compte tenu de ce que la "contestation" de la décision prise à
son encontre portait sur un "droit de caractère civil", le requérant
avait droit à l'examen de sa cause par un "tribunal" réunissant les
conditions de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). De nombreux Etats
membres du Conseil de l'Europe confient à des juridictions ordinales
le soin de statuer sur des infractions disciplinaires. Même quand
l'article 6 par. 1 (art. 6-1) trouve à s'appliquer, une telle
attribution de compétence n'enfreint pas en soi la Convention.
Toutefois, celle-ci commande alors, pour le moins, l'un des deux
systèmes suivants : ou bien lesdites juridictions remplissent
elles-mêmes les exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), ou bien
elles n'y répondent pas mais subissent le contrôle ultérieur d'un
organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties
de cet article (art. 6-1) (arrêt Albert et Le Compte précité série A
n° 58, p. 16, par. 29).
45. En l'espèce, trois organes traitèrent le cas du requérant : le
conseil provincial et le conseil d'appel de l'Ordre qui sont des
organes professionnels, disciplinaires et la Cour de cassation.
46. Ainsi que la Cour l'a précisé dans son arrêt dans l'affaire
Albert et Le Compte (cf. arrêt précité série A n° 58, p. 16, par. 29),
point n'est besoin de rechercher ce qu'il en était du conseil
provincial ; il suffit de s'assurer que devant le conseil d'appel ou,
à défaut, devant la Cour de cassation le requérant jouissait du "droit
à un tribunal" et à une solution juridictionnelle du litige, tant pour
les points de fait que pour les points de droit.
La Commission va donc examiner ci-après la question de savoir si, en
l'espèce, les organes professionnels, disciplinaires, tout au moins le
conseil d'appel, ont qualité de juridiction au sens de l'article 6
par. 1 (art. 6-1). Dans une telle hypothèse l'exigence d'un recours
devant un organe judiciaire serait superflue.
47. De même que dans les affaires Le Compte, Van Leuven et De
Meyere et Albert et Le Compte, le requérant Van Lierde a fait valoir
que l'ensemble de la procédure devant les organes disciplinaires -
tant les débats que le prononcé de la décision - s'est déroulé à huis
clos. Selon le requérant, cette absence de publicité ne répond pas
aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Certes le contrôle
judiciaire de la Cour de cassation existe, mais il ne s'agit que d'un
contrôle judiciaire de la légalité des décisions des organes
disciplinaires et non pas d'un examen du fond du litige.
48. Il est vrai que l'arrêté royal du 6 février 1970 exclut toute
publicité tant pour les audiences du conseil d'appel que pour le
prononcé de la décision. "A moins de se voir corriger à un stade
ultérieur de la procédure, pareille interdiction peut priver les
intéressés de l'une des garanties que prescrit la première phrase de
l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1). Sous réserve des
exceptions que ménage la seconde, le médecin en cause a droit à cette
publicité si, dans la poursuite disciplinaire intentée contre lui,
surgit une contestation relative à des droits et obligations de
caractère civil" (arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere précité,
série A n° 43, p. 25, par. 59 et arrêt Albert et Le Compte précité,
série A n° 58, p. 18, par. 34).
49. Les conditions auxquelles l'article 6 par. 1 (art. 6-1)
subordonne lesdites exceptions ne se trouvaient pas remplies dans le
cas du Dr. Van Lierde. Il y a lieu de constater que la nature même
des manquements reprochés au requérant et de ses propres griefs contre
l'Ordre (par. 26 et 27 ci-dessus) ne relevait pas de l'art de guérir.
Les points en litige devant les organes de l'Ordre touchaient
principalement la liberté d'expression. D'ailleurs le requérant Van
Lierde réclamait la publicité de la procédure. Or l'article 6 par. 1
(art. 6-1) n'autorisait pas à la lui refuser puisque l'on ne se
trouvait dans aucun des cas exceptionnels mentionnés dans sa seconde
phase.
50. Le caractère public de l'instance en cassation ne suffit pas à
combler la lacune constatée au stade de la procédure disciplinaire. La
haute juridiction ne connaît pas du fond des affaires, si bien que de
nombreux aspects des "contestations" relatives à des "droits et
obligations de caractère civil" échappent à son contrôle, dont
l'examen des faits et l'appréciation de la proportionnalité entre
faute et sanction (arrêt Albert et le Compte précité, série A n° 58,
p. 19, par. 36).
51. De l'ensemble de ces considérations il se déduit que la cause
du Dr. Van Lierde n'a pas été entendue "publiquement" par un
tribunal jouissant de la plénitude de juridiction et statuant en
public, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
Conclusion
52. La Commission conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de
l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, en ce que la cause du
requérant n'a pas été entendue "publiquement".
Le Secrétaire Le Président
de la Commission de la Commission
(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)