CEDH, Commission, VAN LIERDE c. la BELGIQUE, 8 juillet 1986, 8837/79

  • Ordre des médecins·
  • Commission·
  • Conseil·
  • Tableau·
  • Roi·
  • Publicité·
  • Gouvernement·
  • Profession·
  • Appel·
  • Médecine

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission, 8 juill. 1986, n° 8837/79
Numéro(s) : 8837/79
Type de document : Rapport
Date d’introduction : 13 décembre 1979
Jurisprudence de Strasbourg : Cour Eur. D.H. arrrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23.6.81, série A no. 43 arrêt Albert et Le Compte du 10.2.83, série A no. 58
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Violation de l'art. 6-1
Identifiant HUDOC : 001-46244
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1986:0708REP000883779
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Texte intégral

I.      INTRODUCTION

1.      On trouvera ci-après un résumé des faits de la cause, tels

qu'ils ont été exposés par les parties à la Commission européenne des

Droits de l'Homme, ainsi qu'une description de la procédure.

A.      La requête

2.      Le requérant Léon Van Lierde, né en 1922, de nationalité

belge, est docteur en médecine (dermatologue) et a son domicile à

Bruxelles.  Dans la procédure devant la Commission il est représenté

par Maître Robert Boccart, avocat à Bruxelles.  Le Gouvernement belge

est représenté par son Agent, M. José Niset, du Ministère de la

Justice.

3.      Le requérant a fait l'objet de poursuites disciplinaires de la

part des conseils provincial et d'appel de l'Ordre des médecins du

Brabant.  La mesure disciplinaire qui lui a été infligée par le

conseil d'appel de l'Ordre des médecins a été la suspension du droit

d'exercer la profession médicale pour une période de trois mois en

raison d'un article paru dans le "Standaard-Nieuwsblad" du

27 février 1976 dont le requérant fut jugé responsable.  La Cour de

cassation rejeta le pourvoi dont elle avait été saisie par arrêt du

29 juin 1979.

4.      Devant la Commission, le requérant allègue en particulier la

violation de l'article 6 de la Convention (art. 6).  En effet il

s'élève contre l'absence de publicité de la procédure disciplinaire de

même que contre l'aspect arbitraire et la partialité de ces

juridictions qu'il qualifie de juridictions d'exception.

Enfin, il s'estime lésé dans ses droits garantis par les articles 7, 8

et 10 de la Convention (art. 7, art. 8, art. 10).

Comme il est exposé plus loin, la Commission n'a retenu la requête que

par rapport à la question de la publicité de la procédure

disciplinaire (article 6 par. 1) (art. 6-1).

B.      La procédure

5.      La présente requête a été introduite le 13 décembre 1979 et

enregistrée le 18 décembre 1979.

6.      La Commission décida le 10 juillet 1981 de donner connaissance

de la requête au Gouvernement belge sans toutefois demander des

observations sur la recevabilité de la requête, compte tenu de la

similitude des problèmes avec ceux soulevés dans l'affaire Albert et

Le Compte encore pendante.  Elle a donc ajourné l'examen de la requête

en attendant l'issue de cette affaire.

7.      La Cour européenne des Droits de l'Homme avait rendu le

23 juin 1981 son arrêt dans l'affaire Le Compte, Van Leuven et

De Meyere ; elle a rendu le 10 février 1983 son arrêt dans l'affaire

Albert et Le Compte.

8.      La Commission décida le 14 juillet 1983 de demander aux

parties de présenter des observations sur la recevabilité et le

bien-fondé de l'allégation portant sur l'absence de publicité

(article 6 par. 1) (art. 6-1) à la lumière de ces deux arrêts.  Le

mémoire du Gouvernement daté du 5 décembre 1983 fut communiqué au

requérant qui formula ses observations en réponse le 14 février 1984.

Le Gouvernement défendeur a présenté des observations complémentaires

sur la réponse du requérant, par lettre du 10 juillet 1984.

9.      Le 5 décembre 1984, la Commission déclara recevable, tous

moyens de fond réservés, le grief du requérant concernant la

méconnaissance de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), en tant que sa cause

n'aurait pas bénéficié des garanties de publicité prévues par cette

disposition ; elle déclara la requête irrecevable quant au surplus.

10.     Après avoir déclaré la requête recevable, la Commission,

conformément à l'article 28 b) (art. 28-b) de la Convention, s'est

mise à la disposition des parties en vue de parvenir à un règlement

amiable de l'affaire.  Des consultations suivies ont eu lieu avec les

parties entre le 20 décembre 1984 et le 26 mai 1986.  Vu l'attitude

adoptée par les parties, la Commission constate qu'il n'existe aucune

base permettant d'obtenir un tel règlement.

C.      Le présent rapport

11.     Le présent rapport a été établi par la Commission,

conformément à l'article 31 (art. 31) de la Convention, après

délibérations et votes, en présence des membres suivants :

        MM. C.A. NØRGAARD, President

            G. SPERDUTI

            J.A. FROWEIN

            E. BUSUTTIL

            G. JÖRUNDSSON

            G. TENEKIDES

            S. TRECHSEL

            B. KIERNAN

            A.S. GÖZÜBÜYÜK

            A. WEITZEL

            J.C. SOYER

            H.G. SCHERMERS

            H. DANELIUS

            G. BATLINER

            J. CAMPINOS

            H. VANDENBERGHE

        Mme G.H. THUNE

        Sir Basil HALL

12.     Le texte du présent rapport a été adopté par la Commission le

8 juillet 1986 et sera transmis au Comité des Ministres du Conseil de

l'Europe, conformément à l'article 31 par. 2 (art. 31-2) de la

Convention.

13.     Ce rapport a pour objet, conformément à l'article 31 par. 1

(art. 31-1) de la Convention :

(i)  d'établir les faits, et

(ii) de formuler un avis sur le point de savoir si les faits constatés

révèlent de la part du Gouvernement défendeur une violation des

obligations qui lui incombent aux termes de la Convention.

14.     Sont joints au présent rapport un tableau retraçant

l'historique de la procédure devant la Commission (ANNEXE I), ainsi

que le texte de la décision sur la recevabilité de la requête

(ANNEXE II).

Le texte intégral de l'argumentation écrite des parties ainsi que les

pièces soumises à la Commission sont conservés dans les archives de la

Commission.

II.     ETABLISSEMENT DES FAITS

15.     La requête porte essentiellement sur la question de la

publicité de la procédure disciplinaire au regard de l'article 6

par. 1 (art. 6-1).

Il y a lieu de souligner d'entrée que les faits ne sont pas contestés

entre les parties.

A.      Législation belge portant sur l'institution, la composition

        et les règles de procédure des organes de l'Ordre des médecins

Institution

16.     L'Ordre des médecins fut créé par une loi du 25 juillet 1938.

Il fut réorganisé depuis lors par l'arrêté royal n° 79 du

10 novembre 1967 : celui-ci fut pris en vertu d'une loi du

31 mars 1967 - qualifiée de loi d'habilitation - qui avait, jusqu'au

14 novembre 1967, habilité le Roi à prendre, par arrêtés délibérés en

conseil des ministres, "toutes les dispositions utiles en vue (...) de

promouvoir la qualité et d'assurer la dispensation normale des soins

de santé par une révision et une adaptation de la législation relative

à l'exercice des différentes branches de l'art de guérir" et qui avait

précisé que ces arrêtés pouvaient "abroger, compléter, modifier ou

remplacer les dispositions légales en vigueur".

17.     D'après le premier alinéa de l'article 2 de la loi du

25 juillet 1938 créant l'Ordre des médecins, celui-ci devait

comprendre "tous les docteurs en médecine, chirurgie et accouchements,

domiciliés en Belgique, autorisés à y pratiquer l'art de guérir et

inscrits à l'un des tableaux de l'Ordre".

Ceux qui étaient désireux d'y pratiquer l'art de guérir devaient,

d'après le deuxième alinéa du même article, "préalablement obtenir

leur inscription au tableau de l'Ordre", celle-ci ne pouvant leur être

refusée par le conseil provincial de l'Ordre compétent à raison de

leur domicile que s'ils s'étaient rendus coupables "d'un fait dont la

gravité mérite la peine de l'interdiction définitive de pratiquer

l'art de guérir en Belgique".

18.     Ces dispositions ont été, depuis lors, remplacées en grande

partie par celles - pratiquement identiques en leur substance - de

l'article 2 de l'arrêté royal n° 79 du 10 novembre 1967, selon

lesquelles "l'Ordre des médecins comprend tous les docteurs en

médecine, chirurgie et accouchements, domiciliés en Belgique et

inscrits au tableau de l'Ordre de la province dans laquelle est situé

leur domicile" et "pour pouvoir pratiquer l'art médical en Belgique,

tout médecin doit être inscrit au tableau de l'Ordre".

Les médecins militaires, déjà soumis à leurs propres autorités dans le

cadre des forces armées, ne doivent être inscrits au tableau de

l'Ordre que s'ils pratiquent l'art médical en dehors de leur emploi

militaire.  Par contre, les médecins qui n'ont pas la nationalité

belge doivent l'être, s'ils sont domiciliés en Belgique et veulent y

exercer leur profession ; ils ne sont toutefois pas éligibles comme

membres des organes de l'Ordre.

Il y a lieu de noter en outre que l'inscription obligatoire au tableau

de l'Ordre des médecins n'est pas la seule condition fixée en Belgique

pour l'exercice de la profession médicale : l'arrêté royal n° 78 du

10 novembre 1967, relatif à l'art de guérir, à l'exercice des professions

s'y rattachant et aux commissions médicales, prévoit que nul ne peut

exercer l'art médical s'il n'est porteur d'un diplôme légal de docteur

en médecine, chirurgie et accouchements ou s'il n'en est légalement

dispensé et qu'il n'a préalablement fait viser son titre par la

commission médicale de sa province.

Composition et fonctions

19.     Les organes de l'Ordre sont : les conseils provinciaux, les

conseils d'appel et le conseil national.  Avant la réforme de 1967,

qui n'a que très peu modifié leur composition, leurs attributions et

leur manière de procéder, on les appelait respectivement, sous le

régime de la loi de 1938, conseils de l'Ordre, conseils mixtes

d'appel et conseil supérieur.

20.     Les conseils provinciaux, au nombre de dix, dressent le

tableau de l'Ordre.  Ils peuvent refuser ou différer l'inscription de

ceux qui se sont rendus coupables de faits dont la gravité

entraînerait pour un membre de l'Ordre la radiation du tableau ou de

fautes graves entachant l'honneur ou la dignité de la profession et,

par ailleurs, omettent les noms de ceux qui ne remplissent plus les

conditions requises pour l'exercice de l'art médical et ne

maintiennent que sous condition restrictive les noms de ceux à l'égard

desquels des limitations s'imposent en raison de déficiences physiques

ou mentales.

Ils veillent "au respect des règles de la déontologie médicale et au

maintien de l'honneur, de la discrétion, de la probité et de la

dignité des membres de l'Ordre", en réprimant disciplinairement "les

fautes des membres inscrits à leur tableau, commises dans l'exercice

ou à l'occasion de l'exercice de la profession, ainsi que les fautes

graves commises en dehors de l'exercice de la profession, lorsque ces

fautes sont de nature à entacher l'honneur ou la dignité de la

profession".

Ils donnent aux membres de l'Ordre, sous réserve de l'approbation du

conseil national, des avis sur des questions de déontologie médicale.

Ils signalent aux autorités compétentes les actes d'exercice illégal

de l'art médical dont ils ont connaissance. Ils arbitrent les

contestations d'honoraires qui leur sont déférées conjointement par

les intéressés.  Ils répondent aux demandes d'avis des cours et

tribunaux relatives à des contestations de ce genre.  Ils déterminent

les cotisations à payer par les membrs de l'Ordre en y incluant le

montant fixé par le conseil national pour chaque membre inscrit.

En première instance, chaque conseil provincial est composé d'un

certain nombre de médecins titulaires et suppléants, élus pour six ans

par les médecins inscrits au tableau de l'Ordre de la province et d'un

assesseur magistrat titulaire et d'un magistrat suppléant, nommés par

le Roi, ce magistrat ayant une voix consultative. L'instruction de

l'affaire doit toujours être effectuée par un ou plusieurs membres du

conseil conjointement avec l'assesseur. L'assesseur magistrat dispose

du droit d'appel.

21.     Les conseils d'appel connaissent de l'appel des décisions

prises par les conseils provinciaux de leur ressort au sujet

d'inscriptions au tableau ou en matière disciplinaire.  Ils se

prononcent en premier et dernier ressort sur les réclamations

relatives à la régularité de l'élection des membres des conseils

provinciaux, des conseils d'appel ou du conseil national.  Ils peuvent

être amenés à se prononcer sur des affaires sur lesquelles les

conseils provinciaux n'ont pas statué dans le délai prescrit.  Ils

statuent aussi sur tout conflit entre conseils provinciaux relatif au

domicile d'un médecin.

Les conseils d'appel sont composés de cinq médecins titulaires et

suppléants élus pour une durée de six ans par les conseils provinciaux

en dehors de leurs membres et de cinq magistrats, conseillers à la

cour d'appel, nommés par le Roi pour une durée de six ans, et d'un

greffier.  Parmi les membres magistrats, le Roi nomme le président et

le rapporteur.  En cas de partage de voix, le président a voix

prépondérante.

22.     Le conseil national de l'Ordre des médecins élabore "les

principes généraux et les règles relatifs à la moralité, l'honneur, la

discrétion, la probité, la dignité et le dévouement indispensables à

l'exercice de la profession, qui constituent le code de déontologie

médicale" ; ces principes et règles peuvent être rendus obligatoires

par des arrêtés royaux délibérés en conseil des ministres.  Il tient à

jour un répertoire des décisions disciplinaires des conseils

provinciaux et des conseils d'appel qui ne sont pas susceptibles de

recours.  Il donne des avis motivés "sur des questions d'ordre

général, sur des problèmes de principe ou sur des règles de

déontologie médicale".  Il prend "toutes mesures nécessaires pour la

réalisation de l'objet de l'Ordre".  Il détermine le montant réclamé

aux médecins comme cotisation pour l'Ordre.

Le conseil national est composé de dix membres, élus respectivement

par chacun des conseils provinciaux de l'Ordre parmi les médecins

inscrits à son tableau, et de six membres nommés par le Roi parmi les

médecins présentés, sur des listes comprenant chacune trois candidats,

par les facultés de médecine.  Il est présidé par un conseiller à la

Cour de cassation nommé par le Roi.  Il est divisé en deux sections

qui élisent, chacun en son sein, un vice-président.

Règles de procédure

23.     La procédure relative aux inscriptions au tableau et la

procédure disciplinaire sont organisées à trois niveaux : celui du

conseil provincial, statuant en premier ressort, celui du conseil

d'appel, statuant en dernier ressort, celui de la Cour de cassation,

statuant sur la légalité et le respect des formes.

Elle comporte, en première instance, une instruction préalable, à

laquelle doit nécessairement participer l'assesseur du conseil

provincial qui est un magistrat du tribunal de première instance et,

en appel, l'examen de l'affaire et, le cas échéant, son instruction

complémentaire par un rapporteur qui est conseiller à la cour d'appel.

C'est donc, à chacun de ces niveaux, un membre de l'ordre judiciaire

qui participe à l'instruction de l'affaire.  De plus, le rapporteur du

conseil provincial peut toujours être entendu par le conseil d'appel.

La procédure est, à chaque niveau, contradictoire.  Elle est secrète

au niveau du conseil provincial et à celui des conseils d'appel, mais

publique à celui de la Cour de cassation.  Enfin, l'appel et le

pourvoi en cassation sont suspensifs de la peine.

Elle comporte l'obligation d'informer le médecin intéressé "dans le

plus bref délai" de ce qu'une enquête est ordonnée à sa charge, des

délais et des formes lui permettant de disposer du temps et des

facilités nécessaires à la préparation de sa défense, ainsi que des

garanties quant à l'emploi des langues.

Elle comporte, pour le médecin intéressé, un droit de récusation, la

possibilité de se faire assister par un ou plusieurs conseils et,

aussi bien pour ceux-ci que pour lui-même, celle de prendre

connaissance du dossier, ainsi que l'obligation pour tous les organes

de statuer dans un délai raisonnable, de garder le secret de leurs

délibérations et de motiver leur décision, ainsi que le droit de

l'intéressé d'être rapidement informé de celle-ci et des recours

éventuellement introduits.

Les décisions prononçant la radiation d'un médecin du tableau de

l'Ordre ou sa suspension pour plus d'un an doivent, tant au niveau des

conseils provinciaux qu'à celui des conseils d'appel, être prises à la

majorité d'au moins deux tiers des voix.  Il en va de même, aux

conseils d'appel, des décisions refusant ou différant l'inscription au

tableau, appliquant une sanction alors que le conseil provincial n'en

a prononcé aucune ou aggravant la sanction prononcée par celui-ci.

La procédure de cassation est, à de minimes détails près, régie par

les règles suivies en matière civile.

B.      Circonstances particulières de l'affaire

24.     Le requérant, de nationalité belge, né le 23 mars 1922, est

docteur en médecine, dermatologue, et a son domicile à Bruxelles.

25.     Le requérant, ayant fait l'objet, le 12 septembre 1969 d'une

saisie effectuée sur ses meubles et effets mobiliers à la charge de

son épouse en raison de ce qu'ils étaient mariés sous le régime de la

séparation des biens, a engagé le 30 octobre 1969 une action devant le

tribunal de première instance de Bruxelles tendant à la revendication

de ses biens.  Le 2 décembre 1971, le tribunal ordonna la levée de

cette saisie et condamna l'Etat à lui payer la somme de 5.000 francs

belges à titre de dommages-intérêts.  Sur appel de l'Etat belge, la

cour d'appel de Bruxelles confirma, le 8 mars 1972, le jugement de

première instance mais ramena le montant des dommages-intérêts à un

franc.

26.     Faisant suite à une lettre du conseil de l'Ordre des médecins

de Brabant d'expression néerlandaise du 16 février 1972, le président

du conseil de l'Ordre des médecins de Brabant d'expression française

adressa, le 2 mars 1972, une lettre au président de la commission

médicale provinciale du Brabant relevant du Ministère de la Santé

publique et de la Famille pour lui demander de procéder à un examen

psychiatrique du requérant au motif qu'il reflétait "un certain

trouble de comportement" et qu'"à une séance de la chambre de la cour

d'appel de Bruxelles, son attitude générale avait également une allure

manifestement psycho-pathologique".

L'examen fut confié par la commission médicale à trois médecins

experts et trois suppléants, chargés d'examiner "si son état de santé

lui permettait de poursuivre sans risque l'exercice total ou partiel

de la profession, en précisant s'il s'agit éventuellement d'un état

transitoire ou permanent".  Le rapport devait être déposé avant le

31 août 1972.  Ayant été convoqué par un des suppléants, en dehors du

délai, le requérant estima ne pas devoir y donner suite, d'autant plus

qu'il n'avait pas été informé d'une prorogation du délai et qu'en tous

cas cette prorogation n'avait pas été décidée sur demande motivée des

experts.  Le requérant refusa pour des motifs analogues sa coopération

avec les deux autres experts et ne donna jamais suite aux diverses

convocations si ce n'était de critiquer les procédures par écrit.

Le 29 mars 1973, les trois experts déposèrent leur rapport

d'expertise.  Les experts conclurent que n'ayant pu ni entendre le

requérant ni le soumettre aux examens auxquels ils pensaient devoir

procéder, ils ne pouvaient exécuter leur mission.  Toutefois, le

Dr De W. a versé comme addendum au rapport une étude des écrits que le

requérant avait adressés à différentes personnalités ainsi que d'un

certain nombre d'exemplaires d'une revue éditée par le requérant.  Il

y conclut que l'examen des écrits du requérant démontrait que leur

auteur était gravement atteint dans ses facultés mentales.

27.     Le 19 mai 1973, le requérant porta plainte auprès du Procureur

du Roi pour faux en écritures, usages de faux dans le chef du

président de la commission médicale provinciale et pour calomnies et

diffamation dans le chef du Dr De W.  La chambre du conseil du

tribunal de première instance de Bruxelles déclara, le

22 octobre 1973, qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre.  Le requérant

fit opposition.  L'opposition fut déclarée non fondée par la cour

d'appel le 21 décembre 1973.

Le 4 juin 1973, la commission médicale provinciale décida qu'à défaut

d'éléments probants, il n'y avait pas lieu de statuer sur la plainte

des conseils de l'Ordre des médecins du Brabant.  Le même jour, le

président de la commission adressa une lettre à l'Ordre des médecins

du Brabant d'expression néerlandaise communiquant la décision de

justice en lui suggérant d'examiner l'attitude "peu collégiale" du

requérant qui ressortait des écrits, afin de déterminer si l'honneur

et la dignité du corps médical étaient atteints.  Le 26 avril 1974 le

président de la commission réitéra ces propos.

28.     Le requérant engagea ensuite une action civile contre les

présidents des sections francophone et néerlandophone des conseils

provinciaux de l'Ordre, le président de la commission médicale

provinciale ainsi que le Dr De W. qui avait rédigé l'addendum à

l'expertise.

29.     La procédure disciplinaire, qui avait été introduite contre le

requérant devant le conseil provincial de l'Ordre des médecins suite à

des plaintes formulées par le Dr A. pour certains articles parus dans

le périodique "Cravachol", édité par le requérant, fut suspendue par

le conseil provincial en attendant le résultat de cette action civile.

Toutefois, le conseil national de l'Ordre des médecins porta l'affaire

devant la section néerlandaise du conseil d'appel de l'Ordre des

médecins, puisque la première instance n'avait pas statué dans le

délai de six mois.

Le 10 février 1975, le conseil d'appel prononça à l'encontre du

requérant la suspension pour la durée d'un mois du droit d'exercer la

profession médicale.  Le pourvoi en cassation introduit par le

requérant fut rejeté le 12 décembre 1975 par la Cour de cassation.

30.     Le 5 janvier 1976, le Dr. A. introduisit une nouvelle plainte

contre le requérant auprès du conseil provincial de l'Ordre du chef de

violation du secret professionnel.  Le 4 mars 1976, le Dr. A. formula

une autre plainte pour conduite anti-déontologique et propos calomnieux

tenus à son endroit à la suite de la parution dans la revue quotidienne

d'articles le concernant.

31.     Le 29 juin 1976, le conseil provincial de l'Ordre suspendit la

procédure en attendant une expertise.

Le 1er mars 1977, le requérant est frappé d'une crise cardiaque grave

qui nécessite une intervention chirurgicale suivie d'une invalidité de

plusieurs mois.

Le 18 avril 1978, le requérant, par pli judiciaire, oblige les parties

défenderesses au civil (les docteurs A., R., De W. et V.) à

comparaître devant le tribunal où les moyens dilatoires sont à nouveau

multipliés.

32.     Le 19 avril 1978, c'est-à-dire le lendemain, le requérant est

cité devant le conseil d'appel de l'Ordre des médecins pour répondre

de trois plaintes déposées plus de deux années auparavant, 28 mois

exactement : il s'agissait des plaintes pour lesquelles le conseil

provincial avait pris, le 29 juin 1976, la décision de surseoir.

33.     Sur appel introduit par l'Ordre national, le conseil d'appel

de l'Ordre déclara l'appel fondé, annula la décision de suspension de

la procédure et prononça, le 26 juin 1978, à l'encontre du requérant

une suspension du droit d'exercer la médecine pour une période de

trois mois en raison d'un article paru dans le "Standaard-Nieuwsblad"

du 27 février 1976, dont le requérant fut jugé responsable.

34.     Le requérant se pourvut en cassation.  Il y invoqua notamment

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention au motif que la

décision de suspension n'aurait nullement apporté la preuve qu'une

procédure publique aurait nui à l'intérêt de la moralité, de l'ordre

public ou de la sécurité nationale des mineurs ou de la protection de

la vie privée des parties.  En se référant à la jurisprudence de la

Cour dans l'affaire König, le requérant estime que la décision de

suspension du droit d'exercer la profession médicale constituait une

décision sur un "droit civil" et que, par conséquent, l'article 6

par. 1 (art. 6-1) de la Convention aurait été violé.

35.     La Cour de cassation exprima l'avis que l'article 6 (art. 6)

n'était pas applicable en matière disciplinaire.  Elle considéra en

outre que la publicité de la procédure disciplinaire est incompatible

avec le principe selon lequel, tant dans l'intérêt public que dans

l'intérêt des personnes concernées, une discrétion doit être observée

en matière disciplinaire et rejeta le pourvoi par arrêt du

29 juin 1979.

La suspension du requérant devint effective le 17 août 1979 et prit

fin le 16 novembre 1979.

III.    ARGUMENTATION DES PARTIES

36.     Quant à la prétendue méconnaissance de l'article 6 par. 1

(art. 6-1) en tant que la cause du requérant n'aurait pas bénéficié

des garanties de publicité prévues par cette disposition, tant le

requérant que le Gouvernement défendeur se bornent à faire référence à

la conclusion à laquelle la Cour européenne des Droits de l'Homme est

parvenue dans les affaires Le Compte, Van Leuven et De Meyere, d'une

part, Albert et Le Compte d'autre part (Cour Eur. D.H., arrêt

Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981, série A n° 43,

p. 20, par. 44 et ss. et arrêt Albert et Le Compte du 10 février 1983,

série A n° 58, p. 14, par. 27 et ss.) ainsi qu'à l'arrêt de la Cour de

cassation belge du 14 avril 1983 (en cause Radoux c/Ordre des

Architectes).

IV.     AVIS DE LA COMMISSION

37.     Au regard des faits tels qu'ils ont été établis, la Commission

est appelée à se prononcer sur le point de savoir si la procédure

devant les organes de l'Ordre des médecins entre dans le domaine

d'application de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et,

dans l'affirmative, si les garanties de publicité prévues par cette

disposition ont été respectées.

A.      Sur l'applicabilité de l'article 6 par. 1 de la Convention

(art. 6-1)

38.     La Commission tient à souligner d'emblée l'identité des

problèmes en cause, dans le cas d'espèce, avec ceux dans les affaires

Le Compte, Van Leuven et De Meyere, d'une part, Albert et Le Compte,

d'autre part, sur lesquelles la Cour européenne des Droits de l'Homme

s'est prononcée (Cour Eur. D.H., arrêt du 23 juin 1981, série A n° 43

et arrêt du 10 février 1983, série A n° 58).

39.     Au demeurant les parties se bornent à faire un renvoi aux deux

arrêts précités sans développer davantage leurs moyens sur la question

litigieuse.

40.     La Commission constate que "le droit de continuer à exercer la

profession de médecin revêtait dans le cas des intéressés, un

caractère privé, donc civil, au sens de l'article 6 par. 1

(art. 6-1), nonobstant la nature spécifique et d'intérêt général de la

profession de médecin et les devoirs particuliers s'y rattachant"

(cf. Cour eur. D.H. arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere, série A

n° 43, p. 22, par. 48 et arrêt Albert et Le Compte, série A n° 58,

p. 15, par. 28).

41.     La mesure de suspension pour une durée de trois mois prononcée

contre le Dr. Van Lierde par les organes disciplinaires de l'Ordre des

médecins a abouti à le dépouiller de manière temporaire du droit de

pratiquer l'art médical à titre libéral, droit acquis par lui et qui

lui permettait de réaliser les fins de sa vie professionnelle.  Or, ce

droit se trouvait directement en cause devant le conseil d'appel et la

Cour de cassation.

En outre dans le chef de médecins travaillant à titre libéral, tel le

requérant, le droit de continuer à pratiquer est mis en oeuvre dans

des relations d'ordre privé avec leurs clients et patients ; en

Belgique, elles prennent de coutume la forme de relations

contractuelles et, de toute façon, se nouent directement entre

individus sur un plan personnel.  Dès lors, le droit susmentionné

avait, dans le cas de l'intéressé, un caractère privé, donc civil au

sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) en dépit de la nature spécifique

et d'intérêt général de la profession de médecin et les devoirs

particuliers qui s'y rattachent.

42.     En conséquence, la Commission estime que l'article 6 par. 1

(art. 6-1) de la Convention s'applique à la situation litigieuse.

B.      Sur l'observation de l'article 6 par. 1 de la Convention

(art. 6-1)

43.     Le requérant soutient que les garanties énoncées à l'article 6

par. 1 (art. 6-1) n'ont pas été respectées dans les procédures

engagées à son encontre devant les organes de l'Ordre des médecins.

En particulier, il fait valoir que sa cause n'a pas bénéficié des

garanties de publicité prévues par cette disposition.  Sur ce point

également tant le requérant que le Gouvernement défendeur font

référence aux deux arrêts précités.

44.     Compte tenu de ce que la "contestation" de la décision prise à

son encontre portait sur un "droit de caractère civil", le requérant

avait droit à l'examen de sa cause par un "tribunal" réunissant les

conditions de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).  De nombreux Etats

membres du Conseil de l'Europe confient à des juridictions ordinales

le soin de statuer sur des infractions disciplinaires.  Même quand

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) trouve à s'appliquer, une telle

attribution de compétence n'enfreint pas en soi la Convention.

Toutefois, celle-ci commande alors, pour le moins, l'un des deux

systèmes suivants : ou bien lesdites juridictions remplissent

elles-mêmes les exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), ou bien

elles n'y répondent pas mais subissent le contrôle ultérieur d'un

organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties

de cet article (art. 6-1) (arrêt Albert et Le Compte précité série A

n° 58, p. 16, par. 29).

45.     En l'espèce, trois organes traitèrent le cas du requérant : le

conseil provincial et le conseil d'appel de l'Ordre qui sont des

organes professionnels,  disciplinaires et la Cour de cassation.

46.     Ainsi que la Cour l'a précisé dans son arrêt dans l'affaire

Albert et Le Compte (cf. arrêt précité série A n° 58, p. 16, par. 29),

point n'est besoin de rechercher ce qu'il en était du conseil

provincial ; il suffit de s'assurer que devant le conseil d'appel ou,

à défaut, devant la Cour de cassation le requérant jouissait du "droit

à un tribunal" et à une solution juridictionnelle du litige, tant pour

les points de fait que pour les points de droit.

La Commission va donc examiner ci-après la question de savoir si, en

l'espèce, les organes professionnels, disciplinaires, tout au moins le

conseil d'appel, ont qualité de juridiction au sens de l'article 6

par. 1 (art. 6-1).  Dans une telle hypothèse l'exigence d'un recours

devant un organe judiciaire serait superflue.

47.     De même que dans les affaires Le Compte, Van Leuven et De

Meyere et Albert et Le Compte, le requérant Van Lierde a fait valoir

que l'ensemble de la procédure devant les organes disciplinaires -

tant les débats que le prononcé de la décision - s'est déroulé à huis

clos.  Selon le requérant, cette absence de publicité ne répond pas

aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).  Certes le contrôle

judiciaire de la Cour de cassation existe, mais il ne s'agit que d'un

contrôle judiciaire de la légalité des décisions des organes

disciplinaires et non pas d'un examen du fond du litige.

48.     Il est vrai que l'arrêté royal du 6 février 1970 exclut toute

publicité tant pour les audiences du conseil d'appel que pour le

prononcé de la décision. "A moins de se voir corriger à un stade

ultérieur de la procédure, pareille interdiction peut priver les

intéressés de l'une des garanties que prescrit la première phrase de

l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).  Sous réserve des

exceptions que ménage la seconde, le médecin en cause a droit à cette

publicité si, dans la poursuite disciplinaire intentée contre lui,

surgit une contestation relative à des droits et obligations de

caractère civil" (arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere précité,

série A n° 43, p. 25, par. 59 et arrêt Albert et Le Compte précité,

série A n° 58, p. 18, par. 34).

49.     Les conditions auxquelles l'article 6 par. 1 (art. 6-1)

subordonne lesdites exceptions ne se trouvaient pas remplies dans le

cas du Dr. Van Lierde.  Il y a lieu de constater que la nature même

des manquements reprochés au requérant et de ses propres griefs contre

l'Ordre (par. 26 et 27 ci-dessus) ne relevait pas de l'art de guérir.

Les points en litige devant les organes de l'Ordre touchaient

principalement la liberté d'expression.  D'ailleurs le requérant Van

Lierde réclamait la publicité de la procédure.  Or l'article 6 par. 1

(art. 6-1) n'autorisait pas à la lui refuser puisque l'on ne se

trouvait dans aucun des cas exceptionnels mentionnés dans sa seconde

phase.

50.     Le caractère public de l'instance en cassation ne suffit pas à

combler la lacune constatée au stade de la procédure disciplinaire. La

haute juridiction ne connaît pas du fond des affaires, si bien que de

nombreux aspects des "contestations" relatives à des "droits et

obligations de caractère civil" échappent à son contrôle, dont

l'examen des faits et l'appréciation de la proportionnalité entre

faute et sanction (arrêt Albert et le Compte précité, série A n° 58,

p. 19, par. 36).

51.     De l'ensemble de ces considérations il se déduit que la cause

du Dr. Van Lierde n'a pas été entendue "publiquement" par un

tribunal jouissant de la plénitude de juridiction et statuant en

public, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

Conclusion

52.     La Commission conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, en ce que la cause du

requérant n'a pas été entendue "publiquement".

        Le Secrétaire                          Le Président

       de la Commission                      de la Commission

        (H.C. KRÜGER)                        (C.A. NØRGAARD)

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Commission, VAN LIERDE c. la BELGIQUE, 8 juillet 1986, 8837/79