CEDH, Commission (plénière), LOPEZ OSTRA c. l'ESPAGNE, 31 août 1993, 16798/90
Chronologie de l’affaire
Commentaire • 0
Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Plénière), 31 août 1993, n° 16798/90 |
---|---|
Numéro(s) : | 16798/90 |
Type de document : | Rapport |
Date d’introduction : | 14 mai 1990 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusions : | Violation de l'art. 8 ; Non-violation de l'art. 3 |
Identifiant HUDOC : | 001-46494 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1993:0831REP001679890 |
Sur les parties
- Juge : Javier Borrego Borrego
Texte intégral
COMMISSION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME
Requête N° 16798/90
Gregoria Lopez Ostra
contre
Espagne
RAPPORT DE LA COMMISSION
(adopté le 31 août 1993)
TABLE DES MATIERES
Page
I. INTRODUCTION
(par. 1 - 15) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 - 3
A. La requête
(par. 2 - 6) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
B. La procédure
(par. 7 - 12). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 - 2
C. Le présent rapport
(par. 13 - 15) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
II. ETABLISSEMENT DES FAITS
(par. 16 - 39). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 - 9
A. Procédure judiciaire
(par. 16 - 28) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 - 6
B. Eléments de preuve présentés à la Commission
(par. 29 - 38) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 - 8
i) Expertises portant analyse de l'air et
mesurant le bruit
(par. 30 - 33) . . . . . . . . . . . . . . . . 6 - 7
ii) Expertises médicales
(par. 34 - 35) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
iii) Témoignages écrits effectués par trois
policiers au juge d'instruction de Lorca
(par. 36 - 38) . . . . . . . . . . . . . . . . 7 - 8
C. Législation applicable
(par. 39). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 - 9
III. AVIS DE LA COMMISSION
(par. 40 - 63). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 - 14
A. Griefs déclarés recevables
(par. 40). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .10
B. Points en litige
(par. 41). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .10
C. Sur la violation de l'article 8 de la Convention
(par. 42 - 58) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 - 13
CONCLUSION
(par. 59). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13
D. Sur la violation alléguée de l'article 3
de la Convention
(par. 60 - 61) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 - 14
CONCLUSION
(par. 62). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .14
RECAPITULATION
(par. 63) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .14
ANNEXE I : HISTORIQUE DE LA PROCEDURE . . . . . . . . . . . . . .15
ANNEXE II : DECISION SUR LA RECEVABILITE DE LA REQUETE . . . . . .16
I. INTRODUCTION
1. On trouvera ci-après un résumé des faits de la cause, tels qu'ils
ont été exposés par les parties à la Commission européenne des Droits
de l'Homme, ainsi qu'une description de la procédure.
A. La requête
2. La requérante est une ressortissante espagnole, née en 1955 et
domiciliée à Lorca. Devant la Commission, elle est représentée par
Maître J.L. Mazon Costa, avocat au barreau de Murcie.
3. Le Gouvernement espagnol est représenté par son Agent,
M. Javier Borrego Borrego, Chef du Service juridique des Droits de
l'Homme du Ministère de la Justice.
4. La requête concerne les nuisances provoquées par une station de
traitement des déchets provenant des tanneries installées à Lorca, et
située à quelques mètres du domicile de la requérante.
En juillet 1988, la station d'épuration démarra ses activités
sans avoir obtenu le permis ("licencia") municipal exigé par le
règlement de 1961 relatif aux activités classées insalubres, nocives
et dangereuses. Les émanations de la station causèrent immédiatement
des troubles de santé et des nuisances à de nombreux habitants de
Lorca, ce qui amena la municipalité à faire évacuer les personnes
vivant à proximité de la station et à les reloger gratuitement au
centre ville pendant les mois de juillet, août et septembre 1988.
Suite à de nombreuses plaintes et au vu des rapports d'expertise des
autorités sanitaires et de l'agence régionale pour la protection de
l'environnement, le conseil municipal de Lorca ordonna
le 9 septembre 1988 l'arrêt des activités de décantation des résidus
chimiques et organiques se réalisant dans des bassins d'eau
("lagunaje"). Toutefois, l'activité d'épuration des eaux résiduelles
souillées au chrome fut maintenue.
5. Revenue à son domicile, la requérante constata la persistance des
troubles de santé, de la dégradation de l'environnement et de la
qualité de vie. La requérante saisit la juridiction administrative d'un
recours en protection de ses droits fondamentaux, au motif en
particulier d'une ingérence illégitime dans son domicile ainsi que
d'atteintes à l'intégrité physique et morale. Par décision du
31 janvier 1989, la Chambre administrative de Murcie rejeta son
recours. La requérante interjeta appel auprès du Tribunal suprême en
invoquant expressément l'article 8 de la Convention. Par arrêt du
27 juillet 1989, le Tribunal suprême débouta la requérante au motif
qu'aucun agent public n'avait pénétré dans son domicile ni porté
atteinte à son intégrité physique. Le recours d'"amparo" présenté par
la requérante fut rejeté par le Tribunal constitutionnel
le 26 février 1990 comme étant manifestement mal fondé.
6. Devant la Commission, la requérante allègue la violation des
articles 8 et 3 de la Convention.
B. La procédure
7. La requête a été introduite le 14 mai 1990 et enregistrée
le 28 juin 1990 sous le N° 16798/90.
8. Le 2 juillet 1991, la Commission a procédé à un premier examen
de la requête. Elle a décidé de donner connaissance de la requête au
Gouvernement espagnol, en application de l'article 48 par. 2 b) de son
Règlement intérieur, et d'inviter celui-ci à présenter par écrit ses
observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.
Le Gouvernement a présenté ses observations le 23 octobre 1991.
Il a présenté des observations complémentaires les 14 et
19 novembre 1991 et le 26 mars 1992.
9. Le 13 décembre 1991, la Commission a décidé d'accorder à la
requérante le bénéfice de l'assistance judiciaire.
La requérante a fait parvenir ses observations en réponse
le 3 janvier 1992. Elle a transmis des observations complémentaires
les 10 janvier et 13 avril 1992.
10. La Commission a repris l'examen de la requête le 31 mars 1992,
date à laquelle elle a décidé de tenir une audience contradictoire
entre les parties sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête.
L'audience a eu lieu le 8 juillet 1992. Les parties étaient
représentées comme suit :
Pour le Gouvernement :
M. Javier BORREGO BORREGO du Ministère de la Justice, Agent du
Gouvernement.
Pour la requérante :
Me José Luis MAZÓN COSTA, Conseil
Me José Rios BRAVO, Conseil
La requérante assistait à l'audience accompagnée de son mari.
11. A l'issue de l'audience, la Commission a déclaré la requête
recevable. Le 14 septembre 1992, elle a invité les parties à lui faire
parvenir d'éventuelles offres de preuve ou observations
complémentaires. Les 26 et 31 mars 1993, le Gouvernement a présenté ses
observations complémentaires. Les 27 avril, 4 et 14 mai 1993, la
requérante a présenté les siennes.
12. Le Gouvernement a demandé à la Commission de revenir sur la
décision de recevabilité, le requérant n'ayant pas épuisé les voies de
recours internes. Après en avoir délibéré, la Commission n'a pas fait
application de l'article 29 de la Convention qui exige "la majorité des
deux tiers des membres de la Commission".
13. Après avoir déclaré la requête recevable, la Commission,
conformément à l'article 28 par. 1 b) de la Convention, s'est mise à
la disposition des parties en vue de parvenir à un règlement amiable
de l'affaire. Des consultations suivies ont eu lieu avec les parties
entre le 14 août 1992 et le 11 mars 1993. Vu l'attitude adoptée par les
parties, la Commission constate qu'il n'existe aucune base permettant
d'obtenir un tel règlement.
C. Le présent rapport
13. Le présent rapport a été établi par la Commission conformément
à l'article 31 de la Convention, après délibérations et vote, en
présence des membres suivants :
MM. C.A. NØRGAARD, Président
S. TRECHSEL
A. WEITZEL
F. ERMACORA
A.S. GÖZÜBÜYÜK
H. DANELIUS
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
J.-C. GEUS
M.P. PELLONPÄÄ
14. Le texte du présent rapport a été adopté par la Commission le
31 août 1993 et sera transmis au Comité des Ministres du Conseil de
l'Europe, conformément à l'artice 31 par. 2 de la Convention.
15. Ce rapport a pour objet, conformément à l'article 31 par. 1 de
la Convention :
(i) d'établir les faits, et
(ii) de formuler un avis sur le point de savoir si les
faits constatés révèlent de la part de l'Etat
intéressé une violation des obligations qui lui
incombent aux termes de la Convention.
Sont joints au présent rapport un tableau retraçant l'historique
de la procédure devant la Commission (ANNEXE I), ainsi que le texte de
la décision de la Commission sur la recevabilité de la requête
(ANNEXE II).
Le texte intégral de l'argumentation écrite des parties ainsi que
les pièces soumises à la Commission sont conservés dans les archives
de la Commission.
II. ETABLISSEMENT DES FAITS
A. Procédure judiciaire
16. La requérante et sa famille - son époux, ouvrier de profession,
et ses deux filles nées en 1980 et 1984 - résident à "Diputación del
Rio, el Lugarico", quartier éloigné de quelques centaines de mètres du
centre de Lorca, municipalité à laquelle il appartient. Lorca est le
lieu d'une forte concentration d'industries du cuir.
Plusieurs tanneries installées à Lorca, groupées au sein d'une
société nommée SACURSA, firent construire sur des terrains appartenant
à la commune une station d'épuration des eaux et des déchets. La
station d'épuration est située à 12 mètres de l'habitation de la
requérante.
17. En juillet 1988, la station d'épuration démarra ses activités
sans avoir obtenu le permis ("licencia") municipal exigé par le
règlement relatif aux activités classées insalubres, nocives et
dangereuses de 1961. Les émanations de gaz, d'odeurs pestilentielles
et la contamination de la station causèrent immédiatement des troubles
de santé et des nuisances à de nombreux habitants de Lorca, notamment
à ceux vivant à "Diputación del Río, el Lugarico". Le conseil municipal
évacua les résidents de ce quartier et les relogea gratuitement au
centre ville pendant les mois de juillet, août et septembre 1988.
Suite à de nombreuses plaintes et au vu des rapports des autorités
sanitaires et de l'agence régionale pour la protection de
l'environnement, le conseil municipal ordonna le 9 septembre 1988
l'arrêt de l'une des activités de la station d'épuration, à savoir
celle de décantation de résidus chimiques et organiques dans des
bassins d'eau ("lagunaje"). Toutefois, l'activité d'épuration des eaux
résiduelles souillées au chrome fut maintenue.
18. Les versions des parties divergent quant aux conséquences de
cette décision du 9 septembre 1988. D'après le Gouvernement, la station
ne provoque plus de nuisances à la suite de l'arrêt partiel de ses
activités. Elle ne dégage plus de fumées, ni d'odeurs, ni de bruit, ce
qui fait que, toujours selon la version du Gouvernement, le cadre de
vie autour de la station est à présent agréable.
19. Selon la version de la requérante, une fois revenue à son
domicile, elle constata la persistance des troubles de santé
(allergies, difficultés respiratoires, problèmes dermatologiques,
malaises), de la dégradation de l'environnement (air nauséabond,
insectes, bruit, fumée) et de la qualité de vie (impossibilité d'ouvrir
les fenêtres, odeurs persistantes sur les vêtements) résultant de
l'activité de la station. De plus, le stockage de produits chimiques
dangereux à proximité des habitations constituait à ses yeux un risque
pour sa sécurité.
20. Après avoir tenté vainement de trouver une solution auprès de la
mairie, la requérante saisit la juridiction administrative d'un recours
en protection de ses droits fondamentaux. Elle se plaignait notamment
d'une ingérence illégitime dans son domicile et dans la jouissance
pacifique de celui-ci, d'une violation de son droit de choisir
librement un domicile et d'atteintes à l'intégrité physique et morale,
à la liberté et à la sécurité. Dans son recours elle demandait à la
Chambre administrative de Murcie d'ordonner soit la fermeture de la
station d'épuration, soit l'arrêt total de ses activités. Malgré l'avis
favorable du ministère public, le 31 janvier 1989 la Chambre
administrative rejeta le recours. L'arrêt considérait que malgré la
détérioration de la santé et de la qualité de vie de la requérante due
au fonctionnement de la station, cela n'était pas suffisamment grave
pour constituer une violation des droits fondamentaux invoqués. Par
ailleurs, le fonctionnement sans permis de la station, indiquait
l'arrêt, n'était pas une question susceptible d'être examinée dans le
cadre d'une procédure spéciale de protection des droits fondamentaux
telle que celle qui avait été engagée en l'espèce.
21. La requérante fit appel, alléguant que divers témoignages et
expertises montraient que la station dégageait des fumées polluantes,
des odeurs pestilentielles et irritantes ainsi que des bruits nuisibles
et persistants responsables entre autres des problèmes de santé qu'une
de ses filles et elle-même subissaient. Le refus de l'administration
municipale d'ordonner sa fermeture malgré l'absence de permis de
fonctionnement constituait donc une ingérence illégitime dans le droit
au respect de son domicile et une atteinte à son intégrité physique.
L'article 8 par. 1 de la Convention était cité expressément.
22. Le procureur près le Tribunal suprême formula, en date du
13 mars 1989, un avis selon lequel il y avait lieu de faire droit à la
demande de la requérante qui subissait des nuisances de santé et une
détérioration de sa qualité de vie en raison d'une activité illégale,
comme cela avait été reconnu par l'arrêt du 31 janvier 1989.
23. Par arrêt du 27 juillet 1989, le Tribunal suprême rejeta le
recours au motif qu'aucun agent public n'avait pénétré dans le domicile
de la requérante - qui était libre de déménager - ni porté atteinte à
son intégrité physique, la question de l'absence de permis de
fonctionnement devant être traitée dans le cadre d'une procédure
judiciaire ordinaire. La requérante saisit alors le Tribunal
constitutionnel d'un recours d'"amparo" fondé sur la violation des
articles 15 (droit à l'intégrité physique), 18 (droit à la vie privée
et à l'inviolabilité du domicile familial) et 19 (droit de choisir
librement son domicile) de la Constitution espagnole.
24. Le 26 février 1990, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours
comme étant manifestement mal fondé. Cette juridiction indiquait que
l'existence de fumées, odeurs et bruits ne constituait pas en soi une
violation du domicile, que le refus d'ordonner la fermeture de la
station n'était pas un traitement dégradant pour la requérante dont la
vie et l'intégrité physique n'étaient pas en danger, et qu'il n'y avait
pas atteinte au droit de choisir un domicile car aucune autorité
n'avait chassé la requérante de son domicile. Le Tribunal
constitutionnel estimait enfin que le grief concernant l'atteinte à la
vie privée n'avait pas été dûment soulevé devant les tribunaux
ordinaires.
25. D'autre part, d'autres résidents du même quartier ayant introduit
un recours contre le fonctionnement illégal de la station, la Chambre
Administrative du Tribunal supérieur de Murcie rendit, le
18 septembre 1991, un arrêt ordonnant la fermeture de la station faute
des permis exigés par la loi. L'exécution de cet arrêt est demeurée en
suspens à la suite de l'appel du conseil municipal et de la
société SACURSA. L'affaire est désormais pendante devant le Tribunal
suprême.
26. Par ailleurs, une plainte pour délit écologique présentée par un
résident du même quartier déboucha sur une ordonnance de fermeture de
la station rendue par le juge d'instruction n° 2 de Lorca le
15 novembre 1991. Toutefois, à la suite d'un recours du ministère
public contre cette décision, l'ordonnance fut révoquée
le 25 novembre 1991.
27. Enfin, suite à une plainte déposée en 1989 par deux belles-soeurs
de la requérante qui habitent le même immeuble, le juge d'instruction
n° 2 de Lorca a entamé, en février 1990, une procédure pour un délit
écologique contre la société propriétaire de la station d'épuration,
procédure dans laquelle les deux belles-soeurs de la requérante se sont
constituées partie civile et qui se trouve toujours au stade de
l'instruction. Dans le cadre de cette procédure, le juge d'instruction
n° 2 de Lorca a ordonné la commission de plusieurs expertises sur la
gravité des nuisances provoquées par la station d'épuration et sur ses
conséquences sur la santé des personnes habitant à proximité.
28. Depuis le 1er février 1992, la requérante et sa famille ont été
relogées dans un appartement situé au centre de Lorca et dont les frais
de loyer sont pris en charge par la municipalité de Lorca.
B. Eléments de preuve présentés à la Commission
29. Les parties ont présenté un certain nombre d'éléments de preuve
(expertises, témoignages) recueillis notamment pendant l'instruction
menée par le juge d'instruction n° 2 de Lorca dans le cadre de la
procédure pour délit écologique en cours, concernant l'impact des
nuisances provoquées par la station d'épuration. La teneur des pièces
pertinentes est exposée succintement ci-dessous.
i) Expertises portant analyse de l'air et mesurant le bruit
30. Le Gouvernement a soumis cinq rapports d'expertise portant
analyse de l'air de la zone jouxtant la station d'épuration et un
rapport mesurant le bruit.
Le premier, daté du 13 octobre 1992 et réalisé par le
professeur Joaquin Moreno Clavel, Docteur en sciences chimiques de
l'Université de Murcie, à la demande du juge d'instruction N° 2 de
Lorca, conclut à la présence de sulfure d'hydrogène à des niveaux
- 45 microgrammes/m3 - supérieurs à ceux autorisés, ce qui de l'avis
de l'expert constitue un danger pour la santé des habitants des
logements proches de la station. Pour ce qui est des eaux résiduelles,
le rapport indique que, selon une circulaire de la Direction Générale
des Travaux Hydrauliques, celles-ci doivent être incolores,
transparentes et inodores. L'expert est d'avis que le déversement des
eaux usées contenant du sulfure dans les cours d'eau constitue une
situation inacceptable. Le rapport conclut en revanche qu'il n'a pas
été détecté un niveau significatif de chrome dans les échantillons
prélevés. Ces conclusions ont été confirmées dans un deuxième rapport,
complémentaire du premier, remis au juge d'instruction le
25 janvier 1993.
31. Le troisième, réalisé à la demande du même juge d'instruction par
l'Institut National de Toxicologie et remis le 27 octobre 1992, estime
en particulier que les niveaux d'acide sulfhydrique détectés dans
les habitations situées à proximité des installations émettrices de ce
gaz, bien qu'ayant probablement atteint des niveaux supérieurs à ceux
considérés comme constituant le maximum permis pour une période de
24 heures, n'ont pas constitué un risque pour la santé des personnes
qui habitaient ces logements.
32. Dans un autre rapport présenté par ce même institut
le 10 février 1993, il est indiqué que les niveaux de mercaptan
détectés aux abords de l'installation litigieuse ne sont pas, a priori,
et au vu des connaissances actuelles, dangereux pour la santé des
personnes qui occupent temporairement les maisons riveraines de
l'installation qui émet les gaz cités. Il est ajouté qu'on ne saurait
affirmer que l'occupation desdits logements pendant 24 heures ne peut
constituer un danger, étant donné que les calculs faits portent sur une
durée de 8 heures par jour pendant 5 jours.
33. De son côté, l'Agence pour l'Environnement et la Nature de la
région de Murcie, dans son rapport du 29 mars 1993 réalisé à la demande
de la mairie de Lorca, a effectué une étude sur les nuisances sonores
à Lorca. Il y est affirmé que le niveau du bruit produit par la station
en fonctionnement n'est pas supérieur au bruit normal mesuré dans
d'autres quartiers de la ville éloignés de l'installation.
ii) Expertises médicales (soumises par la requérante)
34. Certificat médical délivré par le Docteur pédiatre
José Angel de Ayola Sanchez le 12 décembre 1991
Il y est déclaré que l'enfant Cristina Gómez Lopez (fille de la
requérante) de 6 ans a été examinée dans son cabinet à plusieurs
reprises en raison de nausées, vomissements, réactions allergiques,
anorexies, etc. qui ne trouvent pas d'explication clinique sauf dans
le fait de vivre dans une zone hautement polluée par des sels de chrome
très préjudiciables et toxiques pour la santé. Devant cette situation,
le Docteur déclare qu'il est indispensable d'éloigner la fillette du
site en question.
35. Rapport d'expertise de l'institut médico-légal de Cartagène du
Ministère de la Justice daté du 16 avril 1993, commis par le juge
d'instruction de Lorca
Dans ce rapport, il est exposé que le niveau d'émission de gaz
sulfhydrique dans les maisons proches de la station est supérieur au
niveau autorisé. Il est ajouté que les enfants Cristina Gómez Lopez
(fille de la requérante) et Fernando Lopez Gómez (fils de la belle-
soeur de la requérante) présentent un état typique d'imprégnation
chronique d'acide sulfhydrique avec des poussées qui se manifestent
sous forme d'infections broncho-pulmonaires aigües. Il conclut qu'il
existe une relation de cause à effet entre le niveau de concentration
de l'acide sulfhydrique et les situations cliniques décrites.
iii) Témoignages écrits effectués par trois policiers au juge
d'instruction de Lorca (pièces soumises par la requérante)
36. Déclaration de M. Francisco Palazón Ruiz, policier,
le 7 avril 1992, devant le juge d'instruction de Lorca :
"Le 9 janvier 1992, suite à un appel de l'épouse
d'Antonio Alcaraz au Commissariat expliquant qu'elle s'inquiétait
sérieusement parce que son mari était très nerveux et n'avait pas pu
manger, les policiers se dirigèrent vers la station d'épuration des
résidus des tanneries. Antonio Alcaraz, qui se disposait à partir au
travail, leur dit qu'il n'avait pas pu manger à cause de l'odeur, et
leur demanda de constater par eux-mêmes. Les policiers s'approchèrent
du lieu indiqué et, remarquant les fortes odeurs pestilentielles de la
zone, ils ne descendirent même pas de la voiture de police et partirent
rapidement, les fortes odeurs risquant de les faire vomir."
37. Déclaration de M. José Maria Perez Garcia, policier,
le 7 avril 1992, devant le juge d'instruction de Lorca :
"Le 9 janvier dernier, l'épouse d'Antonio Alcaraz téléphona au
Commissariat, expliquant que son mari était très nerveux et n'avait pas
pu manger. Elle demanda aux policiers de se rendre sur les lieux, ce
qu'ils firent, avec deux autres policiers. Ils trouvèrent
Antonio Alcaraz dans un état de grande nervosité, se plaignant de
n'avoir pu manger à cause des mauvaises odeurs.
S'étant rendus aux alentours de la station d'épuration des
résidus des tanneries, ils constatèrent qu'une forte odeur nauséabonde
s'en dégageait, et qu'effectivement, il était impossible d'y manger à
cause de ces odeurs."
38. Déclaration de M. Carmelo Ruiz Sanchez, policier,
le 7 avril 1992, devant le juge d'instruction de Lorca :
"Le 8 janvier 1992, suite à un appel de l'épouse d'Antonio
Alcaraz au Commissariat expliquant que son mari n'avait pas pu manger
à cause de la mauvaise odeur dans la maison, les policiers, à sa
demande, se rendirent sur les lieux en compagnie de deux autres
policiers. Sur place, ils trouvèrent Antonio Alcaraz qui sortait de sa
maison en disant qu'il n'avait pas pu manger à cause de la mauvaise
odeur. Ils constatèrent qu'effectivement, l'odeur était très forte et
nauséabonde et provoquait des nausées."
C. Législation applicable
39. Código Penal - Sección Segunda - Delitos contra la salud pública
y el medio ambiente
Artículo 347 bis
"Será castigado con la pena de arresto mayor y multa de 50.000
a 1.000.000 de pesetas el que, contraviniendo las Leyes o
Reglamentos protectores del medio ambiente, provocare o realizare
directa o indirectamente emisiones o vertidos de cualquier clase,
en la atmósfera, el suelo o a las aguas terrestres o marítimas,
que pongan en peligro grave la salud de las personas, o puedan
perjudicar gravemente las condiciones de la vida animal, bosques,
espacios naturales o plantaciones útiles.
Se impondrá la pena superior en grado si la industria funcionara
clandestinamente, sin haber obtenido la preceptiva autorización
o aprobación administrativa de sus instalaciones, o se hubiere
desobedecido las órdenes expresas de la autoridad administrativa
de corrección o suspensión de la actividad contaminante, o se
hubiere aportado información falsa sobre los aspectos ambientales
de la misma o se hubiere obstaculizado la actividad inspectora
de la Administración.
...
En todos los casos previstos en este artículo podrá acordarse la
clausura temporal o definitiva del establecimiento ..."
Traduction
Code pénal - Section seconde - Délits contre la santé publique
et l'environnement
Article 347 bis
"Sera puni de la peine d'emprisonnement de courte durée ("arresto
mayor") et amende de 50.000 à 1.000.000 de pesetas, la
personne qui, enfreignant les lois ou règlements protecteurs de
l'environnement, provoquera ou réalisera directement ou
indirectement des émissions ou déversements de tout type dans
l'atmosphère, le sol ou les eaux souterraines ou maritimes,
susceptible de mettre en grave danger la santé des personnes, ou
qui peuvent porter gravement atteinte aux conditions de la vie
animale, aux forêts, espaces naturels ou plantations utiles.
La peine supérieure sera prononcée lorsque l'industrie
fonctionne clandestinement, sans avoir obtenu les autorisations
administratives pertinentes, ou lorsqu'il aura été désobéi aux
ordres exprès de l'autorité administrative tendant à
l'aménagement ou à la suspension des activités polluantes, ou
lorsqu'il aura été soumis une information mensongère sur les
aspects relatifs à l'impact sur l'environnement ou lorsqu'il aura
été fait entrave à l'activité d'inspection de l'Administration.
...
Dans tous les cas prévus dans le présent article, la fermeture
provisoire ou définitive de l'installation pourra être
décidée...".
III. AVIS DE LA COMMISSION
A. Griefs déclarés recevables
40. La Commission a déclaré recevables les griefs de la requérante
selon lesquels les nuisances causées par la station d'épuration des
résidus des tanneries portent atteinte à son droit au respect de sa vie
privée et familiale, au respect de son domicile et constituent de
surcroît un traitement dégradant.
B. Points en litige
41. Les points en litige en l'espèce sont les suivants :
- Les nuisances provoquées par la station d'épuration située à
proximité de l'habitation de la requérante constituent-elles une
ingérence injustifiée dans son droit au respect de sa vie privée et
familiale ?
- Le fait de devoir vivre dans un tel environnement constitue-t-il
un traitement dégradant au sens de l'article 3 (art. 3) de la
Convention ?
C. Sur la violation de l'article 8 (art. 8) de la Convention
42. L'article 8 (art. 8) de la Convention dispose que :
"1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans
l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est
prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à
la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense
de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la
protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des
droits et libertés d'autrui."
i) Sur la qualité de victime de la requérante
43. Se plaignant des nuisances qu'elle a subies et qu'elle continue
de subir du fait de l'exploitation de la station d'épuration sise à
proximité de son domicile, la requérante soutient qu'elle n'a pas perdu
la qualité de victime en raison de son relogement à partir du
1er février 1992 aux frais de la municipalité de Lorca. Elle fait
valoir qu'il s'agit là d'une mesure de nature provisoire et de durée
limitée qui ne saurait effacer les conséquences des violations de
l'article 8 (art. 8) de la Convention qu'elle estime avoir subies.
44. Le Gouvernement fait valoir que, même à supposer que la
requérante ait subi après le 9 septembre 1988 quelques nuisances - de
toute façon non excessives - provoquées par le fonctionnement partiel
et limité de la station d'épuration sise près de son domicile, elle a
perdu entre-temps la qualité de victime, au sens de l'article 25
(art. 25) de la Convention, des violations dont elle se plaint. Il fait
en effet valoir que le conseil municipal de Lorca verse à partir du
1er février 1992 le prix du loyer de l'appartement que la requérante
occupe dans un emplacement de son choix au centre de Lorca. Par
conséquent, ni elle ni sa famille ne subissent plus les prétendus
effets indésirables causés par le fonctionnement de la station
d'épuration.
45. En l'espèce, la Commission relève qu'il n'est pas contesté que
la requérante et sa famille aient subi des nuisances provoquées
directement par la station d'épuration. Elle considère que l'existence
d'un foyer d'odeurs, de bruits, de fumées à quelques mètres de son
domicile est à tout moment susceptible de porter atteinte aussi bien
à la vie privée que familiale de la requérante.
46. La Commission constate que nonobstant les nombreux recours
introduits par la requérante, celle-ci n'a pu obtenir le redressement
des violations alléguées. Dès lors, la Commission estime que le fait
que depuis février 1992, elle ait été relogée aux frais de la mairie
de Lorca dans un appartement situé en dehors de la zone jouxtant la
station d'épuration ne saurait, compte tenu notamment du caractère
provisoire de la mesure, être de nature à lui ôter la qualité de
victime au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention.
ii) Sur l'observation du droit garanti par l'article 8 par. 1
(art. 8-1)
47. La requérante estime qu'en dépit de l'arrêt partiel des activités
de la station décidé le 9 septembre 1988, elle-même et sa famille,
comme nombre d'habitants de son quartier, continuent de souffrir des
problèmes sérieux de santé comme conséquence de l'activité de la
station qui n'a pas cessé de dégager des fumées, odeurs, bruits, ce qui
rend leur cadre de vie insupportable. Elle se réfère notamment à des
certificats médicaux selon lesquels sa fille souffre de problèmes
dermatologiques, respiratoires, diarrhées et vomissements résultant de
son exposition constante aux émanations polluantes provenant de la
station toute proche de son domicile. L'existence d'odeurs
nauséabondes, fumées pestilentielles, bruits persistants est, selon la
requérante, confirmée par divers témoignages et rapports datés après
le 9 septembre 1988. Elle attire l'attention sur le fait que les
décisions judiciaires rendues dans les autres procédures concernant la
station d'épuration en question, pendantes maintenant en Espagne,
notamment l'arrêt du Tribunal supérieur de Murcie du 18 septembre 1991
et l'ordonnance du juge d'instruction n° 2 de Lorca du
15 novembre 1991, confirment l'existence des graves nuisances qu'elle
dénonce dans sa requête.
48. Le Gouvernement, tout en admettant qu'entre le 9 juillet et le
9 septembre 1988, le fonctionnement de la station a provoqué de graves
nuisances à tous les habitants de Lorca, considère que la requérante
n'a plus subi à partir de l'arrêt partiel de l'activité de la station
décidé par le conseil municipal de Lorca le 9 septembre 1988, aucune
des nuisances dont elle se plaint. Il explique que la seule activité
de la station à partir de cette date est le traitement des eaux
souillées au chrome, processus qui a lieu en circuit fermé sans dégager
de fumée ni d'odeur et sans provoquer de bruit excessif. Le
Gouvernement affirme que le cadre de vie aux alentours de la station
est devenu depuis ladite date tout à fait convenable. Dès lors, le
droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale et de
son domicile, ne fait pas l'objet à présent des ingérences dont elle
se plaint devant la Commission, de sorte qu'aucun problème ne se pose
sous l'angle de l'article 8 (art. 8) de la Convention.
49. Pour déterminer si le niveau des nuisances subies atteint un
seuil tel qu'il puisse être considéré comme étant constitutif d'une
ingérence au sens de l'article 8 par. 1 (art. 8-1) de la Convention,
la Commission se basera sur les rapports d'expertises commis par le
juge d'instruction de Lorca et qui ont été présentés par le
Gouvernement espagnol dans ses observations, ainsi que sur les
expertises médicales et techniques soumises par la requérante.
S'agissant tout d'abord du rapport élaboré par le professeur Joaquin
Moreno Clavel, et daté du 13 octobre 1992, la Commission relève qu'il
y est affirmé que les niveaux de sulfure d'hydrogène
(45 microgrammes/m3) dépassent le seuil autorisé par la législation en
vigueur. Elle note que de l'avis de l'expert, des niveaux de ce gaz
supérieurs à ceux autorisés peuvent entraîner un danger pour la santé
des habitants des logements proches de la station. Pour ce qui est des
eaux résiduelles, selon une circulaire de la Direction Générale des
Travaux Hydrauliques, celles-ci doivent être incolores, transparentes
et inodores. L'expert estime que le déversement d'eaux usées contenant
du sulfure n'est pas acceptable. Le rapport conclut en revanche qu'il
n'a pas été détecté un niveau significatif de chrome dans les
échantillons prélevés. La Commission observe que ces conclusions ont
été confirmées par l'expert dans un rapport complémentaire remis au
juge d'instruction le 25 janvier 1993.
50. La Commission se réfère également aux conclusions d'autres
rapports d'expertise résumés aux paragraphes 30 à 32 du présent
rapport.
51. La Commission relève également que selon les conclusions du
rapport de l'institut médico-légal de Cartagène, il existerait une
relation de cause à effet entre les affections dont souffre la fille
de la requérante et les émanations polluantes de la station. Ce constat
vient corroborer le contenu du certificat médical concernant les
problèmes de santé de la fille de la requérante délivré le
12 décembre 1991 par le médecin pédiatre.
52. La Commission note également que selon divers rapports
d'expertise et témoignages, de fortes odeurs nauséabondes se
dégageaient aux abords de la station d'épuration.
53. A la lecture des divers rapports, expertises et témoignages qui
figurent au dossier, la Commission estime que les nuisances provoquées
par la station d'épuration atteignent un tel degré de gravité,
notamment pour la santé de la requérante et de sa famille, qu'elles
privent la requérante de la possibilité de jouir normalement des
agréments de son domicile, l'empêchant de mener une vie familiale et
privée normale, de sorte qu'elles portent atteinte à son droit au
respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 par. 1
(art. 8-1) de la Convention.
54. Quant à la question de savoir si les autorités espagnoles ont
pris toutes les dispositions permettant d'éviter ou de réprimer de tels
agissements, la Commission considère tout d'abord que les autorités
espagnoles ne paraîssent pas être à première vue responsables directs
des violations alléguées par la requérante, la station d'épuration
étant exploitée par une société privée. Toutefois, aux yeux de la
Commission, cette circonstance ne saurait en elle-même exempter les
autorités espagnoles des obligations découlant de l'article 8 (art. 8)
de la Convention. En l'espèce, la Commission note que le conseil
municipal de Lorca a contribué de manière importante à l'installation
de la station d'épuration puisque les terrains sur lesquels est située
la station lui appartiennent.
55. Au-delà même du degré de responsabilité plus ou moins directe
pouvant être imputé aux autorités municipales de Lorca, la Commission
rappelle que selon la jurisprudence des organes de la Convention,
celle-ci contient des articles qui non seulement protègent l'individu
contre l'Etat mais obligent l'Etat à protéger les droits de l'individu
même contre les agissements d'autrui (cf. Cour eur. D.H., Arrêt Marckx
du 13 juin 1979, série A n° 31, p.15, par.31 ; Affaire Young, James et
Webster, N° 7601/76 et 7806/77, série B n° 39, rapport Comm. 14.12.79,
par. 168 ; Affaire X. et Y. c/Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, série A
n° 91, p. 11, par. 23). Ainsi, dans sa décision sur la recevabilité
dans l'affaire Rayner c/Royaume-Uni, la Commission a estimé que
"...l'article 8 par. 1 (art. 8-1) de la Convention (....) ne saurait
s'interpréter comme s'appliquant uniquement aux mesures directes prises
par les autorités et portant atteinte à la vie privée et/ou au domicile
d'un individu. L'article peut également couvrir les intrusions
indirectes, conséquences inévitables de mesures qui ne visent pas du
tout des particuliers". Il était ajouté qu'"une nuisance sonore
considérable peut sans nul doute affecter le bien-être physique d'un
individu et dès lors porter atteinte à sa vie privée. Elle peut
également priver un individu de la possibilité de jouir des agréments
de son domicile" (N° 9310/81, déc. 16.7.86, D.R. 47, p. 22).
56. En l'espèce, la Commission relève que le conseil municipal tolère
le fonctionnement de la station et ce, sans que le permis municipal
nécessaire à son fonctionnement ait été délivré.
57. Quant aux autorités judiciaires,la Commission observe que les
tribunaux espagnols ont refusé de prendre position sur la question de
l'absence d'autorisation municipale en estimant que l'absence de permis
constituait un problème étranger à la violation des droits fondamentaux
dont se plaignait la requérante. Sans préjuger du résultat des diverses
plaintes déposées, en particulier par des membres de la famille de la
requérante habitant le même immeuble, et qui se trouvent en cours
d'instruction, la Commission ne peut que relever que ces autorités
judiciaires, non plus, ne semblent pas avoir porté remède aux
violations alléguées. Ainsi, les tribunaux, d'une part, ont estimé,
contrairement à l'avis du ministère public, que les nuisances n'étaient
pas de nature à porter atteinte aux droits fondamentaux de la
requérante, tout en admettant qu'elle et sa famille aient pu subir des
troubles de santé et une dégradation de leur qualité de vie. D'autre
part, les tribunaux ont considéré que l'administration publique ne
s'était rendue elle-même responsable d'aucune violation des droits
invoqués par la requérante.
58. Compte tenu de ce qui précède, la Commission est d'avis que le
Gouvernement défendeur a omis de prendre les mesures susceptibles
d'assurer une protection concrète et effective du droit à la vie privée
et familiale garanti par l'article 8 par. 1 (art. 8-1) de la
Convention.
CONCLUSION
59. La Commission conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de
l'article 8 (art. 8) de la Convention.
D. Sur la violation alléguée de l'article 3 (art. 3)
de la Convention
60. La requérante se plaint que le fait d'avoir été obligée de
résider à côté d'un égout immonde constitue un traitement dégradant
prohibé par l'article 3 (art. 3) de la Convention dont se sont rendues
coupables les autorités espagnoles par leur inactivité.
Le Gouvernement combat cette thèse.
61. La Commission estime que, quoique difficiles, les conditions dans
lesquelles la requérante a été obligée de vivre, qui constituent par
ailleurs une atteinte à l'article 8 (art. 8) de la Convention,
n'atteignent pas un degré de gravité tel qu'elles puissent être
considérées comme constituant un traitement contraire à l'article 3
(art. 3) de la Convention.
CONCLUSION
62. La Commission conclut, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu
violation de l'article 3 (art. 3) de la Convention.
RECAPITULATION
63. La Commission conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de
l'article 8 (art. 8) de la Convention.
La Commission conclut, à l'unanimité, qu'il n'y a pas eu
violation de l'article 3 (art. 3) de la Convention.
Le Secrétaire Le Président
de la Commission de la Commission
(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)
ANNEXE I
HISTORIQUE DE LA PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
Date Acte
____________________________________________________________________
1 mai 1990 Introduction de la requête
28 juin 1990 Enregistrement de la requête
Examen de la recevabilité
2 juillet 1991 Décision de la Commission de communiquer
la requête au Gouvernement et d'inviter
les parties à présenter leurs observations
sur la recevabilité et le bien-fondé de la
requête
23 octobre 1991 Observations du Gouvernement défendeur
14 et 19 novembre 1991 Observations complémentaires du
26 mars 1992 Gouvernement défendeur
13 décembre 1991 Octroi de l'assistance judiciaire à la
requérante
3 janvier 1992 Observations en réponse de la requérante
10 janvier 1992 Observations complémentaires de la
13 avril 1992 requérante
31 mars 1992 Décision de la Commission de tenir une
audience sur la recevabilité et le bien-
fondé de la requête
8 juillet 1992 Audience et décision de la Commission de
déclarer la requête recevable
26 et 31 mars 1993 Observations complémentaires et offres de
preuve du Gouvernement défendeur
27 avril 1993 Observations complémentaires et offres de
4 et 14 mai 1993 preuve de la requérante
Examen du bien-fondé
31 août 1993 Délibérations de la Commission sur le
bien-fondé et vote final
31 août 1993 Adoption du rapport