CEDH, Commission (plénière), MANSUR c. la TURQUIE, 28 février 1994, 16026/90

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Plénière), 28 févr. 1994, n° 16026/90
Numéro(s) : 16026/90
Type de document : Rapport
Date d’introduction : 23 novembre 1989
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Bock du 29 mars 1989, série A n° 150, p. 22, par. 47
Arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 35, par. 80
Arrêt Foti et autres du 10 décembre 1982, série A n° 56, pp. 18-19, par. 53
Arrêt Herczegfalvy du 24 septembre 1992, série A n° 244, p. 23, par. 71
Arrêt Kemmache du 27 novembre 1991, série A n° 218, p. 23, par. 45
Arrêt Letellier du 26 juin 1991, série A n° 207, p. 19, par. 43
Cour Eur. D.H. Arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A n° 8, pp. 37, 39, par. 5, 10
Arrêt Pugliese (II) du 24 mai 1991, série A n° 206-A, p. 8, par. 19
Arrêt Triggiani du 19 février 1991, série A n° 197, p. 24, par. 17
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 5-3 ; Violation de l'art. 6-1
Identifiant HUDOC : 001-46516
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1994:0228REP001602690
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Texte intégral

              COMMISSION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

                          Requête No 16026/90

                              Sadi Mansur

                                contre

                                Turquie

                       RAPPORT DE LA COMMISSION

                      (adopté le 28 février 1994)

                          TABLE DES MATIERES

                                                                 Page

I.    INTRODUCTION

      (par. 1 - 17) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

      A.   La requête

           (par. 2 - 6) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

      B.   La procédure

           (par. 7 - 12). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

      C.   Le présent rapport

           (par. 13 - 17) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

II.   ETABLISSEMENT DES FAITS

      (par. 18 - 52)  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

      A.   Circonstances particulières de l'affaire

           (par. 18 - 50) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

      B.   Législation nationale pertinente

           (par. 51 - 52) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

III.  AVIS DE LA COMMISSION

      (par. 53 - 98). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

      A.   Griefs déclarés recevables

           (par. 53). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

      B.   Point en litige

      (par. 54) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

      C.   Sur la violation alléguée de l'article 5 par. 3

           de la Convention

           (par. 55 - 75) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

      CONCLUSION

      (par. 76) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .11

      D.   Sur la violation alléguée de l'article 6 par. 1

           de la Convention

      (par. 77 - 95) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

      CONCLUSION

      (par. 96) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .14

      RECAPITULATION

      (par. 97 - 98). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .14

ANNEXE I    : HISTORIQUE DE LA PROCEDURE. . . . . . . . . . . . . .15

ANNEXE II   : DECISION SUR LA RECEVABILITE. . . . . . . . . . . . .16

I.    INTRODUCTION

1.    On trouvera ci-après un résumé des faits de la cause, ainsi

qu'une description de la procédure.

A.    La requête

2.    Le requérant, ressortissant turc par naturalisation, né en 1955,

réside à istanbul.

3.    Le Gouvernement défendeur est représenté par son agent,

Prof. Bakir Caglar, et par son agent en exercice, M. Münci Özmen.

4.    Dans la procédure devant la Commission, le requérant est

représenté par Maître Tekin Akillioglu, avocat au barreau d'Ankara.

5.    Interpellé le 1er novembre 1984, le requérant a été condamné en

première instance en date du 19 février 1991 à Edirne. Cette

condamnation a été confirmée par arrêt de la Cour de cassation rendu

le 30 avril 1991. Suite à une modification du Code pénal, le requérant

a été mis en liberté le 1er juillet 1991.

6.    La requête concerne la durée de la détention provisoire du

requérant ainsi que la durée de la procédure pénale dont il a fait

l'objet. Le requérant allègue à ces égards une violation de

7.l'article 5 par. 3 et de l'article 6 par. 1 de la Convention.

B.    La procédure

8.    La présente requête a été introduite le 23 novembre 1989 et

enregistrée le 22 janvier 1990.

9.    Le 13 juillet 1990, la Commission, en application de

10.l'article 42 par. 2 b) (devenu 48 par. 2 b)) de son Règlement

intérieur, a décidé de porter la requête à la connaissance du

Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter par écrit ses

observations sur la recevabilité et le bien-fondé de celle-ci.

11.   Le Gouvernement a présenté ses observations le 9 novembre 1990

et le requérant y a répondu le 25 janvier 1991.

12.   Le 10 juillet 1991, la Commission a déclaré la requête recevable.

Le texte de la décision sur la recevabilité a été envoyé aux parties

le 16 juillet 1991.

13.   Le 5 août 1991 et le 16 septembre 1992, le requérant a présenté

à la Commission des observations complémentaires. Le Gouvernement a

fait parvenir les siennes le 14 octobre 1991.

14.   Après avoir déclaré les requêtes recevables, la Commission s'est

mise à la disposition des parties conformément à

15.l'article 28 par. 1 b) de la Convention en vue de parvenir à un

règlement amiable de l'affaire. Des consultations suivies ont eu lieu

avec les parties entre le 16 septembre 1992 et le 6 janvier 1993. Vu

l'attitude adoptée par les parties, la Commission constate qu'il n'y

a aucune base permettant d'obtenir un tel règlement.

C.    Le présent rapport

16.   Le présent rapport a été établi par la Commission, conformément

à l'article 31 de la Convention, après délibérations et votes, en

présence des membres suivants :

      MM.  C.A. NØRGAARD, Président

           S. TRECHSEL

           A. WEITZEL

           F. ERMACORA

           E. BUSUTTIL

           G. JÖRUNDSSON

           A.S. GÖZÜBÜYÜK

           J.-C. SOYER

           H.G. SCHERMERS

           H. DANELIUS

      Mme  G.H. THUNE

      M.   C.L. ROZAKIS

      Mme  J. LIDDY

      MM.  L. LOUCAIDES

           J.-C. GEUS

           M.P. PELLONPÄÄ

           B. MARXER

           G.B. REFFI

           M.A. NOWICKI

           I. CABRAL BARRETO

           B. CONFORTI

           N. BRATZA

           I. BÉKÉS

           J. MUCHA

           E. KONSTANTINOV

           D. SVÁBY

17.   Le texte du présent rapport a été adopté par la Commission le

28 février 1994 et sera transmis au Comité des Ministres, conformément

à l'article 31 par. 2 de la Convention.

18.   Ce rapport a pour objet, conformément à l'article 31 par. 1 de

la Convention :

      i.  d'établir les faits, et

      ii. de formuler un avis sur le point de savoir si les faits

      constatés révèlent, de la part de l'Etat intéressé, une

      violation des obligations qui lui incombent aux termes de

      la Convention.

19.   Sont joints au présent rapport un tableau retraçant l'historique

de la procédure devant la Commission (Annexe I) et le texte de la

décision de la Commission sur la recevabilité de la requête

(Annexe II).

20.   Le texte intégral de l'argumentation des parties, ainsi que les

pièces soumises à la Commission sont conservés dans les archives de la

Commission.

II.   ETABLISSEMENT DES FAITS

A.    Circonstances particulières de l'affaire

21.   Le requérant, citoyen iranien à l'époque des faits, fut condamné

en Grèce le 12 juin 1981 pour trafic de stupéfiants commis en date du

24 février 1980.

22.   Entre-temps, le parquet d'Ipsala (Edirne - Turquie), à l'issue

d'une instruction préliminaire déclenchée suite à la condamnation du

requérant en Grèce par la cour d'appel de Salonique, intenta, le

18 avril 1984, une action pénale par contumace contre le requérant pour

exportation de stupéfiants devant la 1ère cour d'assises d'Edirne sous

le numéro 984/110.

23.   Le requérant fut libéré en Grèce en date du 12 septembre 1984 et

rentra aussitôt en Turquie afin d'acquérir la nationalité turque. Il

fut interpellé à Istanbul le 1er novembre 1984 et, sur demande du

parquet d'Edirne,  mis en détention provisoire par décision du tribunal

de police d'Ipsala (Edirne) rendue le 5 novembre 1984.

24.   Le parquet d'Edirne intenta dès lors, le 6 novembre 1984, une

autre action pénale contre le requérant devant la 2ème cour d'assises

d'Edirne sous le numéro 84/360 pour les mêmes faits que ceux qui

faisaient l'objet de l'action pénale pendante devant la 1ère cour

d'assises d'Edirne.

25.   Les deux procédures furent ensuite menées parallèlement et sans

que les deux cours d'assises aient eu connaissance du procès pendant

devant l'autre, et ce jusqu'à leur jonction le 6 mai 1987.

1.    La procédure devant la 1ère cour d'assises d'Edirne

26.   Le 18 avril 1984, une action pénale par contumace fut intentée

par le parquet d'Ipsala (Edirne) contre le requérant et A.D., son

prétendu complice, pour exportation de stupéfiants. Le parquet demanda

leur condamnation à la réclusion à perpétuité pour trafic de

stupéfiants, infraction prévue par l'article 403 par. 1 et par. 2 du

Code pénal turc.

27.   Le 1er mai 1984, la 1ère cour d'assises d'Edirne demanda aux

juridictions pénales grecques, par une commission rogatoire transmise

par le truchement du ministère de la Justice, les procès verbaux de la

déposition du requérant faite devant les tribunaux grecs, ainsi que les

autres documents (jugement, rapport d'analyse des substances

confisquées) qui se trouvaient dans le dossier ouvert en Grèce au nom

du requérant et de A.D.

28.   Le 4 octobre 1984, le ministère de la Justice grec informa la

cour d'assises d'Edirne que les autorités grecques avaient déjà envoyé

deux fois, le 30 juin 1982 et le 23 novembre 1982, les documents requis

par l'ambassade de Turquie à Athènes.

29.   Le 27 novembre 1985, la cour d'assises d'Edirne n'ayant toujours

pas reçu de réponse à sa demande, ordonna à l'Institut turc de médecine

légale de se prononcer, après examen du dossier, sur la nature des

substances chimiques confisquées. L'Institut remit son rapport le

7 février 1986 en précisant qu'il s'agissait d'héroïne.

30.   Le 31 mars et le 21 novembre 1986, la 1ère cour d'assises demanda

au ministère de la Justice turc des renseignements sur la suite donnée

à ses demandes faites aux juridictions grecques.

31.   Lors de l'audience du 1er mai 1987, la 1ère cour d'assises

d'Edirne ayant pris connaissance du fait que le requérant faisait

l'objet d'un procès ouvert devant la 2ème cour d'assises de la même

ville et de ce qu'il était détenu à Edirne, décida de demander la

jonction des deux dossiers sous le numéro 984/110. Lors de cette même

audience, le parquet présenta ses réquisitions et le requérant y

répondit. Par ailleurs, la 1ère cour d'assises d'Edirne, constatant que

la réponse fournie entre-temps par les autorités grecques concernait

uniquement une autre personne, A.D., complice présumé du requérant,

décida de réitérer sa demande en sollicitant des renseignements

spécifiques pour chaque type de stupéfiant confisqué dans la voiture

du requérant.

32.   Le 6 mai 1987, la procédure pendante devant la 2ème cour

d'assises d'Edirne fut jointe à celle pendante devant la 1ère cour

d'assises d'Edirne (voir supra. par. 22 et infra. par. 45)

33.   Le 12 avril 1988, la 1ère cour d'assises d'Edirne demanda à la

1ère cour d'assises d'Ankara de faire traduire vers le turc le rapport

d'expertise d'une page produit par les autorités judiciaires grecques

et daté du 28 octobre 1987. Le 19 juillet 1988, la 1ère cour d'assises

d'Edirne, n'ayant toujours rien reçu, réitéra sa demande de traduction

auprès de la cour d'assises d'Ankara.

34.   Le 7 novembre 1988, la cour d'assises d'Ankara retourna la copie

du rapport rédigé en grec, sans pouvoir y annexer une traduction en

langue turque, faute d'avoir pu trouver de traducteur assermenté.

35.   La 1ère cour d'assises d'Edirne demanda, dès lors, le

11 novembre 1988, par commission rogatoire, à la cour d'assises

d'Istanbul de faire traduire en turc le document rédigé en langue

grecque. Elle réitéra sa demande le 25 janvier 1989. La cour d'assises

d'Istanbul retourna à son tour le document à la 1ère cour d'assises

d'Edirne, sans traduction, faute d'avoir pu trouver de traducteur

assermenté.

36.   Le 5 mai 1989, le requérant acquit la nationalité turque.

37.   Lors de l'audience du 15 juin 1989, le requérant produisit une

traduction du rapport d'analyse. La 1ère cour d'assises d'Edirne

constata que ce document se limitait à préciser que le requérant

n'était pas un toxicomane. Elle décida alors de réitérer sa demande

auprès des autorités judiciaires grecques pour que soit transmis le

rapport d'analyse des stupéfiants saisis en Grèce.

38.   Suite à cette demande, un document fut transmis à la 1ère cour

d'assises d'Edirne par le ministère de la Justice turc en date du

13 juillet 1990. La 1ère cour d'assises d'Edirne transmit ce document

le 19 juillet 1990 par commission rogatoire à la cour d'assises

d'Ankara pour que cette dernière en fasse faire une traduction turque.

En octobre 1990, la 1ère cour d'assises d'Edirne n'était toujours pas

encore en possession de cette traduction.

39.   Par jugement du 19 février 1991, la 1ère cour d'assises d'Edirne

déclara le requérant coupable de l'exportation organisée des

stupéfiants et le condamna à 30 ans de réclusion criminelle. Elle

rappela que le requérant avait été déjà condamné par arrêt du

12 juin 1981 rendu par la cour d'appel de Salonique (Grèce) pour avoir

importé de l'héroïne provenant de la Turquie. Bien que le rapport

d'analyse du stupéfiant saisi dans la voiture du requérant n'eût pas

été produit par les autorités grecques malgré plusieurs demandes

formulées à cet égard, la 1ère cour d'assises d'Edirne établit que la

substance exportée par le requérant de la Turquie était bien de

l'héroïne (d'une quantité de 4700 grammes). La 1ère cour d'assises

d'Edirne se basa sur d'autres preuves, à savoir l'arrêt du 12 juin 1981

précité, sur les observations de l'Institut turc de médecine légale

turc présentées le 7 février 1986 et les aveux du requérant faits

devant les juridictions grecques et turques.

40.   Le pourvoi en cassation formé par le requérant fut rejeté par la

Cour de cassation par arrêt du 30 avril 1991.

41.   Suite à une modification apportée à l'article 403 du Code pénal,

la 1ère cour d'assises d'Edirne convertit la peine du requérant en

10 ans de réclusion criminelle.

42.   Le requérant fut mis en liberté le 1er juillet 1991.

2.    La procédure devant la 2ème cour d'assises d'Edirne

43.   A la suite de l'interpellation du requérant le 1er novembre 1984,

une action pénale fut intentée le 6 novembre 1984 contre lui devant la

2ème cour d'assises d'Edirne par le parquet d'Edirne pour les mêmes

infractions que celles par lesquelles il était poursuivi devant la

1ère cour d'assises d'Edirne.

44.   La 2ème cour d'assises d'Edirne demanda aux juridictions

grecques, par une commission rogatoire, de lui faire parvenir les

textes des jugements condamnant le requérant et le rapport d'analyse

des substances chimiques.

45.   Le 18 juin 1985, le ministère de la Justice turc transmit à la

2ème cour d'assises d'Edirne la réponse qu'il avait reçue des

juridictions grecques.

46.   Le 7 août 1985, la 2ème cour d'assises d'Edirne, faute de pouvoir

trouver un traducteur assermenté à Edirne, envoya, par commission

rogatoire, les documents en grec à la cour d'assises d'Ankara pour que

cette dernière les fasse traduire. Le 9 octobre 1985, la traduction

demandée fut versée au dossier.

47.   Lors de l'audience du 25 octobre 1985, la 2ème cour d'Edirne

constata que le rapport de l'analyse ne figurait pas parmi les

documents traduits. Sur une nouvelle demande de la 2ème cour d'assises

d'Edirne, les autorités grecques répondirent que les documents demandés

avaient déjà été envoyés à deux reprises à l'Ambassade de Turquie à

Athènes. La 2ème cour d'assises d'Edirne réitéra donc sa demande auprès

du ministère de la Justice qui, par courrier du 7 octobre 1986,

transmit le rapport d'analyse. La 2ème cour d'assises d'Edirne demanda

à nouveau à la cour d'assises d'Ankara par commission rogatoire du

7 novembre 1986 la traduction de ce document complémentaire.

48.   Examinant la réponse de la cour d'assises d'Ankara qui indiquait

avoir déjà envoyé la traduction de ce document, la 2ème cour d'assises

d'Edirne, à la suite de recherches, constata qu'une autre procédure

pénale était pendante devant la 1ère cour d'assises d'Edirne. Lors de

l'audience du 6 mai 1987, la 2ème cour d'assises d'Edirne décida de

joindre le dossier à celui ouvert devant la 1ère cour d'assises

d'Edirne et de se dessaisir de l'affaire au profit de cette dernière.

3.    Procédure concernant la détention du requérant

49.   Le requérant, qui avait été interpellé à Istanbul le

1er novembre 1984, fut, à la demande du parquet d'Ipsala (Edirne), mis

en détention par le tribunal de police d'Edirne le 5 novembre 1984. Ce

tribunal tint compte de la nature des crimes reprochés et de la date

de mise en détention. L'opposition du requérant contre l'ordonnance de

mise en détention fut rejetée le 6 décembre 1984 par la 2ème cour

d'assises d'Edirne.

50.  Par la suite, lors des audiences tenues dans le cadre de la

procédure pendante devant elle, la 2ème cour d'assises d'Edirne ordonna

le maintien de la détention du requérant pour les motifs suivants :

      - le 17 décembre 1984, le 5 février 1985 et le 10 avril 1985 pour

la nature du crime reproché et du contenu du dossier ;

      - lors des 25 audiences tenues entre le 7 juin 1985 et le

22 avril 1987, soit sans motif, soit parce que les motifs de la

détention étaient toujours valables.

51.   La 1ère cour d'assises d'Edirne ordonna à son tour le maintien

de la détention du requérant pour les motifs suivants :

      - lors des 17 audiences tenues entre le 12 mai 1987 et le

2 août 1988, sans invoquer de motifs précis ;

      - le 29 août, le 28 septembre et le 2 novembre 1988, pour la

nature du crime reproché au requérant ;

      - le 30 novembre 1988, sans invoquer de motifs précis ;

      - lors de 19 audiences tenues entre le 23 décembre 1988 et le

26 juin 1990, pour la nature du crime reproché au requérant ;

      - le 25 juillet et le 22 août 1990, sans indiquer de motifs

précis ;

      - le 11 septembre et le 9 octobre 1990, pour la nature du crime

reproché au requérant.

52.   Il ressort du dossier que, le 24 novembre 1987, le requérant fit

observer au président de la 1ère cour d'assises d'Edirne que sa

détention avait été prolongée au-delà de trois ans, que deux ans

uniquement avaient été consacrés à la correspondance entre les

autorités judiciaires turques et grecques et que cette détention était

devenue pour lui une "forte souffrance", d'autant plus qu'il avait déjà

purgé une peine de quatre ans en Grèce pour le même délit. Il demanda

que le procès prenne fin dans les meilleurs délais. La cour d'assises

ne donna pas suite à cette demande.

53.   Le requérant, qui fut condamné par jugement du 19 février 1991

rendu par la 1ère cour d'assises d'Edirne, fut mis en liberté le

1er juillet 1991 (voir par. 39).

B.    Législation nationale pertinente

54.   L'article 403 du Code pénal turc, tel qu'en vigueur à l'époque

des faits, dispose que :"1°. Quiconque fabrique, importe ou exporte des

stupéfiants sans permis ou contrairement au permis, ou tente de le

faire sera puni de dix ans de réclusion au moins...; 2°. Si les

stupéfiants visés au paragraphe précédent sont l'héroïne, la cocaïne,

la morphine de base ou le haschich, le délinquant sera passible de la

réclusion à perpétuité."

55.   La loi n° 3756 (adoptée le 5 juin 1991 et publiée dans le journal

officiel du 14 juin 1991) modifia l'article 403 du Code pénal turc.

Elle remplaça la peine de perpétuité, prévue pour le délit

d'exportation organisée de substances hautement toxiques par une peine

de 18 ans de réclusion et stipula également que la détention subie à

l'étranger soit décomptée des peines prononcées en Turquie.

III.  AVIS DE LA COMMISSION

A.    Griefs déclarés recevables

56.   La Commission a déclaré recevables :

      - le grief du requérant selon lequel la durée de sa détention

provisoire aurait été excessive,

      - le grief du requérant selon lequel  sa cause n'aurait pas été

entendue dans un délai raisonnable.

B.    Points en litige

57.   La Commission est appelée à se prononcer sur la question de

savoir

      - si la détention provisoire du requérant a excédé "le délai

raisonnable" prévu à l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention et

      - si la durée de la  procédure pénale engagée contre lui s'est

prolongée au delà du délai raisonnable prévu à l'article 6 par. 1

(art. 6-1) de la Convention.

C.    Sur la violation alléguée de l'article 5 par. 3 (art. 5-3)

      de la Convention

58.   L'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention dispose :

      "Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues

      au paragraphe 1. c. du présent article (art. 5-1-c), a le droit

      d'être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la

      procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une

      garantie assurant la comparution de l'intéressé à l'audience."

1.    Période à prendre en considération

59.   La Commission rappelle en premier lieu que sa compétence ratione

temporis débute le 28 janvier 1987, date à laquelle a pris effet la

reconnaissance par la Turquie du droit de recours individuel. En

examinant la durée de la détention subie après cette date, la

Commission tient compte de l'état où se trouvait la procédure à cette

date (cf., mutatis mutandis, Cour eur. D.H., arrêt Foti et autres du

10 décembre 1982, série A n° 56, pp. 18-19, par. 53).

60.   En ce qui concerne la détermination de la durée de la détention

provisoire du requérant dans le cas d'espèce , la Commission note que

le requérant a été interpellé le 1er novembre 1984, et a été condamné

par la 1ère cour d'assises d'Edirne le 19 février 1991. Il s'est donc

trouvé en détention pendant six ans et quatre mois environ, dont quatre

ans et un mois environ relevant de la compétence ratione temporis de

la Commission.

2.    Caractère raisonnable de la durée de la détention

61.   La Commission rappelle qu'il incombe en premier lieu aux

autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas

donné, la durée de la détention provisoire d'un accusé ne dépasse pas

la limite du raisonnable (cf. Cour eur. D.H., arrêt Kemmache du

27 novembre 1991, série A n° 218, p. 23, par. 45).

62.   Selon la jurisprudence de la Cour, la durée doit s'apprécier tout

d'abord en relation aux circonstances de nature à faire admettre ou à

faire écarter l'existence d'une véritable exigence d'intérêt public,

justifiant une dérogation à la règle du respect de la liberté

individuelle. C'est essentiellement sur la base des motifs indiqués

dans les décisions relatives aux demandes de mise en liberté

provisoire, ainsi que des faits non controuvés indiqués par le

requérant dans ses recours que doit être appréciée la question de

savoir s'il y a eu ou non violation de la Convention (Cour eur. D.H.,

arrêt Neumeister du 27 juin 1968, série A n° 8, p. 37, par. 5).

63.   Quand une arrestation se fonde sur des raisons plausibles de

soupçonner quelqu'un d'avoir accompli une infraction, leur persistance

est une condition sine qua non de la régularité du maintien de la

détention, mais au bout d'un certain temps elle ne suffit plus ; la

Commission doit alors établir si les autres motifs adoptés par les

autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté.

S'ils se révèlent "pertinents" et "suffisants", elle recherche de

surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une

"diligence particulière" à la poursuite de la procédure (cf. Cour eur.

D.H., arrêt Herczegfalvy du 24 septembre 1992, série A n° 244, p. 23,

par. 71).

64.   En l'espèce, pour maintenir le requérant en détention provisoire,

la 1ère et la 2ème cour d'assises d'Edirne ont invoqué principalement

les motifs suivants :

      - la nature de l'infraction reprochée au requérant qui peut être

qualifiée de crime, ce qui constitue une présomption de danger de

fuite ;

      - la date de la mise en détention ;

      - le contenu du dossier.

65.   Le requérant fait observer, en premier lieu, que les deux cours

d'assises qui se sont prononcées en l'espèce sur la question du

maintien de la détention provisoire n'ont pas suffisamment motivé leurs

décisions. Selon le requérant, le motif invoqué par les deux

juridictions afin de justifier sa détention et se résumant à "la nature

du crime reproché au requérant" ne reflète aucunement la situation

réelle dans laquelle il se trouvait. Les cours n'auraient pris en

considération ni l'état de santé du requérant, ni sa "souffrance

morale".

66.   Se basant sur une chronologie détaillée des actes de procédure

accomplis dans cette affaire, le Gouvernement fait observer qu'à chaque

audience, la situation du requérant a été examinée par la cour soit à

sa demande, soit d'office. Le Gouvernement souligne que les

juridictions pénales ont fondé leurs décisions de prolonger la

détention provisoire du requérant sur la gravité des faits qui lui

étaient reprochés, sur celle des peines encourues, ainsi que sur

l'absence de domicile fixe du requérant en Turquie.

67.   Le Gouvernement ajoute que le requérant a été condamné à une

peine d'emprisonnement largement supérieure à la durée de sa détention

provisoire. Il en résulte, selon le Gouvernement, que la détention

était légale et justifiée.

68.   La Commission a examiné les arguments présentés par les parties

et est parvenue aux conclusions suivantes.

69.   En ce qui concerne le risque de fuite, motivé par la 1ère et

la 2ème cour d'assises par la "nature des infractions reprochées" (en

fonction de la présomption de danger de fuite que prévoit la loi pour

les accusés de crime) et par "la date de mise en détention", la

Commission rappelle que pareil risque ne peut s'apprécier uniquement

sur la base de la gravité de la peine encourue ; il doit s'analyser en

fonction d'un ensemble d'éléments supplémentaires pertinents, tels que

le caractère de l'intéressé, sa moralité, son domicile, sa profession,

ses ressources, permettant soit de le confirmer, soit de le faire

apparaître à ce point réduit qu'il ne peut plus au-delà d'un certain

temps justifier une détention provisoire (arrêt Neumeister précité,

série A n° 8, p. 39, par. 10 ; arrêt Letellier du 26 juin 1991, série A

n° 207, p. 19, par. 43).

70.   La Commission relève que lors de sa détention provisoire, le

requérant n'avait pas d'adresse précise en Turquie étant donné qu'il

avait été arrêté un mois après son arrivée en Turquie. Cette

circonstance pourrait donner à penser que c'est à bon droit que les

juridictions ont pu conclure à la réalité du danger de voir le

requérant se soustraire à la justice, au moins pour ce qui est des

premières années de sa détention.

71.   La Commission constate, en revanche, que le requérant, après

avoir purgé sa peine d'emprisonnement en Grèce de 1980 à 1984, est

rentré en Turquie afin d'acquérir la nationalité turque, qui lui fut

accordée en mai 1989. On peut raisonnablement en déduire, dès lors, que

le requérant avait l'intention de mener sa vie en Turquie. Ce fait

semble militer en faveur de la conclusion selon laquelle la fuite du

requérant en cas de mise en liberté paraissait dans les circonstances

de la cause plus qu'improbable.

72.   La Commission observe également que les décisions judiciaires

concernant la détention du requérant ne sont pas suffisamment motivées

afin d'établir que le danger de fuite existait jusqu'à la condamnation

du requérant, plus de six ans après sa mise en détention. Les cours

d'assises ont examiné de manière purement abstraite la nécessité de

prolonger la privation de liberté, se bornant à insister notamment sur

la "nature des infractions reprochées".

73.   Quant au motif tiré du "contenu du dossier", tel que mentionné

dans les décisions de maintien en détention, la Commission estime qu'il

n'a pas une signification indépendante des autres motifs invoqués par

la cour d'assises.

74.   Par ailleurs, la Commission considère qu'il se pose également,

en l'espèce, la question de savoir si, au fur et à mesure que la

détention était maintenue et que les motifs invoqués pour la justifier

perdaient de leur pertinence, les autorités judiciaires turques ont

fait preuve de la "diligence particulière" requise dans le cas d'un

détenu.

75.   La Commission relève à cet égard que suite à la saisine, par

erreur, de deux cours d'assises de la même affaire, la procédure pénale

s'est déroulée à partir du 1er novembre 1984 jusqu'au 6 mai 1987 devant

ces deux instances, qui ont procédé en fait à l'accomplissement d'actes

de procédure similaires. Ainsi, plus de deux ans et demi, dont plus de

trois mois situés dans la période pour laquelle la Commission est

compétente ratione temporis, se sont écoulés sans que la 1ère cour

d'assises soit en possession d'une partie des éléments de preuve

contenus dans le dossier ouvert au sein de l'autre juridiction qui

s'est par la suite déclarée incompétente.

76.   Par ailleurs, du 12 avril 1988 au 15 juin 1989, pendant plus de

quatorze mois, la 1ère cour d'assises d'Edirne, essaya d'obtenir en

vain, auprès des cours d'assises d'Ankara et d'Istanbul, la traduction

d'un document pouvant constituer un des éléments de preuve.

77.   Ce document, traduit en définitive par la défense, ne fut pas

considéré comme pertinent dans cette affaire. Plus de treize mois plus

tard, en date du 19 juillet 1990,  un autre document en langue grecque

fut transmis à la 1ère cour d'assises d'Edirne. En octobre 1990,

celle-ci n'était toujours pas en possession de la traduction en turc

de ce dernier document. Pendant tout ce laps de temps, le requérant se

trouvait toujours en détention provisoire.

78.   Compte tenu de l'ensemble de ces considérations, la Commission

estime que la détention provisoire du requérant pendant quatre ans et

un mois environ à partir du 28 janvier 1987, alors qu'il était déjà à

cette date en détention provisoire depuis deux ans et trois mois

environ, a connu une durée excessive et qu'en l'espèce, les autorités

judiciaires n'ont pas témoigné de la diligence nécessaire en pareille

matière.

CONCLUSION

79.   La Commission conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de

l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention.

D.    Sur la violation alléguée de l'article 6 par. 1 (art. 6-1)

      de la Convention.

80.   L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dispose :

      "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue ... dans

      un délai raisonnable, par un tribunal .. qui décidera ... du

      bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre

      elle."

1.    Détermination de la durée de la procédure

81.   La Commission rappelle en premier lieu que sa compétence ratione

temporis débute le 28 janvier 1987, date à laquelle a pris effet la

reconnaissance par la Turquie du droit de recours individuel. En

examinant la durée de la procédure pénale qui s'est déroulée après

cette date, la Commission doit tenir compte de l'état où se trouvait

la procédure à cette date (cf. supra par. 56).

82.   Le requérant fut arrêté en Turquie le 1er novembre 1984. Le

jugement de condamnation du requérant rendu par la cour d'assises le

19 février 1991 fut confirmé par la Cour de cassation en date du

30 avril 1991.

83.   La durée de la procédure mise en cause en l'espèce s'étend donc

du 1er novembre 1984 au 30 avril 1991, soit de six ans et six mois

environ, dont quatre ans et trois mois environ relevant de la

compétence ratione temporis de la Commission.

2.    Appréciation de la durée de la procédure

84.   Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure doit

s'apprécier suivant les circonstances de la cause et eu égard au

critères consacrés par la jurisprudence des organes de la Convention.

Alors qu'il est vrai que seules les lenteurs imputables à l'Etat

peuvent amener à conclure à l'inobservation du "délai raisonnable", il

échet de relever que le caractère raisonnable de la durée de la

procédure s'apprécie en tenant compte de la complexité de l'affaire,

du comportement du requérant et de celui des autorités compétentes

(Cour eur. D.H., arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 35,

par. 80).

85.   Le Gouvernement conclut à l'absence de violation de la

Convention. Il argue de la difficulté d'obtenir des éléments de preuve

dans le cadre du système bilatéral d'entraide judiciaire entre la

Turquie et la Grèce.

86.   Le requérant estime que le délai raisonnable prescrit à

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention n'a pas été respecté.

      a. La complexité de l'affaire

87.   Le Gouvernement défendeur expose que l'affaire présentait une

certaine complexité en raison des difficultés d'obtenir des éléments

de preuve qui se trouvaient dans le dossier pénal du requérant en

Grèce. Il met surtout l'accent sur les retards auxquels les

juridictions pénales ont été confrontées afin d'obtenir un rapport

d'expertise contenu dans le dossier en Grèce et concernant la nature

des stupéfiants transportés par le requérant de la Turquie en Grèce.

88.   Le requérant conteste que l'affaire ait revêtu une complexité

particulière. Il expose que les documents sollicités par les

juridictions turques, notamment les rapports d'analyse des stupéfiants

saisis, avaient été transmis par les autorités grecques en temps utile.

Il ajoute que les juridictions turques ont finalement fondé leur

jugement sur d'autres éléments de preuve que les rapports d'analyse

contenus dans le dossier pénal grec.

89.   La Commission constate que les juridictions pénales turques,

appelées à se prononcer sur les accusations portées contre le requérant

et tirées de l'exportation de stupéfiants, ont considéré ce fait comme

établi, en tenant compte des conclusions auxquelles les juridictions

grecques étaient parvenues dans le cadre des poursuites pénales

engagées contre le requérant en Grèce pour importation de drogues. Les

documents concernant ces poursuites avaient été versés au dossier de

la 2ème cour d'assises d'Edirne le 18 juin 1985. La 1ère cour d'assises

d'Edirne a été en possession de ces documents au plus tard le

6 mai 1987.

90.   La Commission relève également que dans son jugement du

19 février 1991, la 1ère cour d'assises d'Edirne, alors qu'elle avait

longtemps attendu la production et la traduction d'un rapport d'analyse

qui avait été préparé en Grèce et qui portait sur la composition des

stupéfiants saisis, s'est finalement basée sur d'autres éléments de

preuve que ceux contenus dans le rapport précité, afin d'établir la

culpabilité du requérant. Dans ces circonstances, la Commission ne

saurait admettre que l'affaire présentait une complexité particulière.

      b. Comportement du requérant

91.   Le requérant soutient qu'en l'espèce, aucun retard de la

procédure ne lui est imputable. Le Gouvernement ne le conteste pas.

92.   La Commission ajoute pour sa part qu'en l'espèce, le requérant,

en produisant lui-même, lors de la session du 15 juin 1989, la

traduction d'un document en grec qui se trouvait dans le dossier du

procès, a débloqué une période d'inactivité alors que la 1ère cour

d'assises d'Edirne attendait la traduction officielle de ce document

et a ainsi contribué à accélérer la procédure.

      c. Le comportement des autorités judiciaires

93.   Le Gouvernement défendeur estime qu'en l'espèce, la 1ère cour

d'assises d'Edirne s'est efforcée de conclure rapidement le procès, en

tenant une audience tous les mois, conformément au Code de procédure

pénale. Selon le Gouvernement, c'est le retard mis par les autorités

grecques pour produire les pièces de procédure qui a été à l'origine

de la durée de la procédure. Il fait observer en outre que le rapport

d'analyse des stupéfiants saisis, n'a jamais été communiqué aux

autorités judiciaires turques. Il soutient que la 1ère cour d'assises

d'Edirne, dès qu'elle a pu établir la nature des stupéfiants en cause

par d'autres moyens, a rendu son jugement sans délai.

94.   Le requérant conteste l'argumentation du Gouvernement et soutient

que les autorités grecques ont communiqué les pièces de procédure

conformément à la demande des juridictions turques, mais que celles-ci

n'ont pas utilisé ces pièces en temps utile pour diverses raisons,

entre autres pour n'avoir pas trouvé de traducteur assermenté.

95.   La Commission rappelle qu'il incombe aux Etats contractants

d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs

juridictions puissent rendre, dans un délai raisonnable, une décision

définitive sur le bien-fondé de toute accusation en matière pénale

dirigée contre un justiciable (cf. mutatis mutandis Cour eur. D.H.,

arrêt Pugliese (II) du 24 mai 1991, série A n° 206 A, p. 8, par. 19).

Elle rappelle également que les longues périodes d'inactivité pour

lesquelles le Gouvernement ne fournit aucune explication adéquate (voir

entre autres Cour eur. D.H., arrêt Triggiani du 19 février 1991,

série A n° 197, p. 24, par. 17) ainsi qu'une activité judiciaire trop

intense concentrée sur une phase déterminée de la procédure (cf.

mutatis mutandis Cour eur. D.H., arrêt Bock du 29 mars 1989, série A

n° 150, p. 22, par.47) entrent en ligne de compte pour apprécier le

comportement des autorités judiciaires.

96.   La Commission se réfère, à cet égard, à ses considérations

concernant le comportement des autorités judiciaires turques dans la

conduite de la procédure pénale en cause (voir par. 71-74).

97.   Il est vrai que le mauvais fonctionnement du système de

l'entraide judiciaire entre la Turquie et la Grèce, semble avoir

contribué à allonger la procédure. Cependant, la Commission est d'avis

qu'il n'en demeure pas moins que les juridictions pénales turques ont

mis un temps considérable pour obtenir la traduction des documents de

faible volume reçus par la voie d'entraide judiciaire, ce qui a retardé

d'autant la procédure.

98.   Sur la base des éléments considérés, la Commission estime que la

durée de la procédure dans la mesure où elle se situe dans la période

pour laquelle la Commission est compétente ratione temporis, est

imputable au comportement tenu en l'occurrence par les autorités, en

particulier les autorités judiciaires qui ont connu de l'affaire.

CONCLUSION

99.   La Commission conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

RÉCAPITULATION

100.  La Commission conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de

l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention (par. 76).

101.  La Commission conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de

l'article 6 par 1 (art. 6-1) de la Convention (par. 96).

Le Secrétaire de la Commission          Le Président de la Commission

        (H.C. KRÜGER)                           (C.A. NØRGAARD)

                               ANNEXE I

                      HISTORIQUE DE LA PROCEDURE

23 novembre 1989      Introduction de la requête

22 janvier 1990       Enregistrement de la requête

Examen de la recevabilité

13 juillet 1990       Décision de la Commission de porter la requête

                      à la connaissance du Gouvernement défendeur et

                      d'inviter les parties à présenter des

                      observations sur sa recevabilité et son

                      bien-fondé

9 novembre 1990       Observations du Gouvernement

25 janvier 1991       Observations en réponse du requérant

10 juillet 1991       Décision de la Commission sur la

                      recevabilité de la requête.

Examen du bien-fondé

15 août 1991 et       Observations complémentaires du requérant

16 septembre 1992

14 octobre 1991       Observations complémentaires du Gouvernement

28 février 1994       Adoption du rapport

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Textes cités dans la décision

  1. CODE PENAL
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CEDH, Commission (plénière), MANSUR c. la TURQUIE, 28 février 1994, 16026/90