CEDH, Commission (deuxième chambre), DOUSTALY c. la FRANCE, 27 novembre 1996, 26256/95
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 27 nov. 1996, n° 26256/95 |
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Numéro(s) : | 26256/95 |
Type de document : | Rapport |
Date d’introduction : | 29 décembre 1994 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Violation de l'art. 6-1 |
Identifiant HUDOC : | 001-47228 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1996:1127REP002625695 |
Texte intégral
COMMISSION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME
DEUXIEME CHAMBRE
Requête N° 26256/95
Michel Doustaly
contre
France
RAPPORT DE LA COMMISSION
(adopté le 27 novembre 1996)
TABLE DES MATIERES
Page
I. INTRODUCTION
(par. 1-7) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
II. ETABLISSEMENT DES FAITS
(par. 8-22) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
III. AVIS DE LA COMMISSION
(par. 23-43) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
A. Grief déclaré recevable
(par. 23) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
B. Point en litige
(par. 24) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
C. Sur la violation de l'article 6 par. 1
de la Convention
(par. 25-42) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
CONCLUSION
(par. 43). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
ANNEXE : DECISION DE LA COMMISSION SUR
LA RECEVABILITE DE LA REQUETE. . . . . . . . . . . . . . 7
I. INTRODUCTION
1 Le présent rapport concerne la requête N° 26256/95, introduite
le 29 décembre 1994 contre la France, et enregistrée le
19 janvier 1995.
2. Le requérant est un ressortissant français né en 1939 et résidant
à Nîmes.
3. La requête est dirigée contre la France. Le Gouvernement
défendeur est représenté par M. Yves Charpentier, Sous-Directeur des
Droits de l'Homme au Ministère des Affaires étrangères, en qualité
d'Agent.
4. La requête, qui porte sur la durée d'une procédure administrative
(l'article 6 par. 1 de la Convention), a été communiquée le 22 mai 1995
au Gouvernement. A la suite d'un échange de mémoires, la requête a été
déclarée recevable le 29 février 1996. Le texte de la décision sur la
recevabilité se trouve annexé au présent rapport.
5. Ayant constaté qu'il n'existe aucune base permettant d'obtenir
un règlement amiable au sens de l'article 28 par. 1 b) de la
Convention, la Commission (Deuxième Chambre), après délibérations, a
adopté le 27 novembre 1996 le présent rapport aux termes de
l'article 31 par. 1 de la Convention, en présence des membres suivants:
Mme G.H. THUNE, Présidente
MM. J.-C. GEUS
G. JÖRUNDSSON
A. GÖZÜBÜYÜK
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
F. MARTINEZ
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
J. MUCHA
D. SVÁBY
P. LORENZEN
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
6. Dans ce rapport, la Commission a formulé son avis sur le point
de savoir si les faits constatés révèlent, de la part de la France, une
violation de la Convention.
7. Le texte du présent rapport sera transmis au Comité des Ministres
du Conseil de l'Europe conformément à l'article 31 par. 2 de la
Convention.
II. ETABLISSEMENT DES FAITS
8. Le 9 janvier 1984 la ville de Nîmes conclut avec le requérant,
architecte, un contrat lui confiant un marché d'ingéniérie et de
maîtrise d'oeuvre pour la construction d'un lycée. Les honoraires
convenus se montaient à 1.734.700 F TTC. En cours de mission, divers
acomptes, d'un montant total de 1.336.643,53 F, furent versés au
requérant conformément aux dispositions prévues à cet égard par le
marché.
9. Par lettre en date du 12 avril 1984, la ville de Nîmes demanda
en outre au requérant la réalisation de plans relatifs au bâtiment
d'internat, non prévus par le contrat initial.
10. A l'issue de la mission, invoquant l'exécution incomplète du
marché, la ville de Nîmes réduisit de 50 % le montant des honoraires
prévus et refusa de régler les honoraires correspondant à l'élaboration
des plans relatifs au bâtiment d'internat. En conséquence de ces
réductions, elle demanda en outre à l'architecte de reverser une
fraction des acomptes versés.
11. Par acte introductif d'instance daté du 26 juillet 1985, le
requérant, estimant ne pas avoir été réglé, à tort, de la totalité des
honoraires convenus, saisit le tribunal administratif de Montpellier
d'une demande visant à obtenir la condamnation de la ville de Nîmes à
lui payer la somme de 669.100 F.
12. Le mémoire en réponse de la ville de Nîmes fut enregistré au
greffe du tribunal administratif de Montpellier le 30 septembre 1985.
13. Le requérant présenta des observations complémentaires le
21 janvier 1988.
14. Par jugement avant dire droit du 19 décembre 1988, le tribunal
administratif ordonna une expertise en fixant un délai de quatre mois
à l'expert pour déposer son rapport.
15. Devant les difficultés financières rencontrées, le requérant fut
contraint de cesser définitivement son activité au 31 décembre 1988.
16. L'expert déposa son rapport le 21 mai 1991.
17. Par jugement du 21 janvier 1993, le tribunal administratif de
Montpellier constata que "contrairement aux allégations de la commune
de Nîmes (...), il [résultait] notamment du rapport d'expertise que
l'architecte [avait] bien effectué une mission de type M 11" telle que
prévue par le marché. Il considéra en outre qu'en ce qui concerne la
réalisation des plans relatifs au bâtiment d'internat demandée par
lettre du 12 avril 1984, la ville de Nîmes "s'[était] (...) trouvée
engagée à l'égard de M. Doustaly par cette demande écrite; que, dès
lors, dans la mesure où cette demande [avait] eu pour effet d'imposer
à l'architecte des travaux non compris dans la rémunération résultant
de la convention initiale, la ville lui en [devait] le paiement".
18. En conséquence, le tribunal administratif de Montpellier condamna
la ville de Nîmes à payer au requérant la somme de 470.301,28 F dont
310.301,28 F portant intérêts moratoires à compter du 27 novembre 1984
et 160.000 F portant intérêts moratoires à compter du 20 octobre 1991.
19. Le 17 mai 1993, le requérant, qui estimait la somme allouée au
principal insuffisante et souhaitait obtenir la capitalisation des
intérêts, interjeta appel de cette décision.
20. Par ailleurs, l'appel n'étant pas suspensif en la matière, le
requérant, devant les difficultées rencontrées pour obtenir l'exécution
du jugement de première instance, saisit la section du rapport et des
études du Conseil d'Etat par lettre en date du 16 juillet 1993.
Cependant, suite à un premier paiement effectué par la ville de Nîmes,
le dossier fut classé le 11 octobre 1993 au motif que le jugement était
en voie d'exécution. La Préfecture du Gard poursuivit seule son
intervention jusqu'à deux autres paiements de la ville en décembre 1993
et en février 1994.
21. Par arrêt du 4 juillet 1994, la cour administrative de Bordeaux
confirma le jugement du tribunal administratif quant au principal mais
condamna la ville de Nîmes à verser des intérêts sur les intérêts
alloués en première instance et échus depuis le 17 mai 1993.
22. Par lettres des 30 janvier, 3 mai et 10 mai 1995, le requérant
se vit à nouveau dans l'obligation d'intervenir auprès du Préfet du
Gard pour obtenir l'exécution par la ville de l'arrêt précité. La somme
due au requérant, soit 778.127,27 F, ne lui fut effectivement versée
que le 18 mai 1995.
III. AVIS DE LA COMMISSION
A. Grief déclaré recevable
23. La Commission a déclaré recevable le grief du requérant, selon
lequel sa cause n'aurait pas été entendue dans un délai raisonnable.
B. Point en litige
24. Le seul point en litige est le suivant : la durée de la procédure
litigieuse a-t-elle excédé le délai raisonnable prévu à l'article 6
par. 1 (art. 6-1) de la Convention ?
C. Sur la violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention
25. L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, en ses
dispositions pertinentes, est ainsi rédigé :
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...)
dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera
(...) des contestations sur ses droits et obligations de
caractère civil (...)."
26. L'objet de la procédure en question était d'obtenir le paiement
d'honoraires dus au requérant en vertu d'un marché conclu avec la ville
de Nîmes le 9 janvier 1984. Cette procédure tendait à faire décider
d'une contestation sur des "droits et obligations de caractère civil"
et se situe donc dans le champ d'application de l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention.
27. La procédure litigieuse a débuté le 26 juillet 1985 par la
saisine par le requérant du tribunal administratif de Montpellier et
s'est terminée le 4 juillet 1994 par un arrêt de la cour administrative
d'appel de Bordeaux. Elle a donc duré environ neuf ans, voire presque
dix ans si l'on prend en compte la durée de la procédure d'exécution
de l'arrêt du 4 juillet 1994 qui n'intervint que le 18 mai 1995 (voir,
mutatis mutandis, Cour eur. D.H., arrêt Silva Pontes c. Portugal du
23 mars 1994, série A n° 286, p. 13, par. 30).
28. Le Gouvernement défendeur estime que, si le délai de jugement
devant le tribunal administratif de Montpellier apparaît long, il est
dû en grande partie à l'expertise demandée par le jugement avant dire
droit dudit tribunal du 19 décembre 1988, ainsi qu'au comportement du
requérant, à qui deux ans et demi ont été nécessaires pour produire les
observations complémentaires annoncées dans son mémoire introductif
d'instance.
29. Par ailleurs, le Gouvernement affirme que le retard à juger n'a
occasionné aucun préjudice pécuniaire au requérant qui, ayant obtenu
gain de cause, a bénéficié devant le tribunal administratif et la cour
administrative d'appel des intérêts moratoires et de leur
capitalisation sur l'intégralité des sommes allouées.
30. Le requérant estime qu'il appartenait au tribunal administratif
de faire respecter le délai de quatre mois fixé dans son jugement avant
dire droit du 19 décembre 1988 pour la production du rapport
d'expertise. Il conteste en outre l'utilité d'une telle expertise, sa
demande visant l'exécution pure et simple du marché conclu le
9 janvier 1984.
31. Quant à ses observations complémentaires produites le
21 janvier 1988, le requérant souligne que son mémoire introductif
d'instance n'annonçait rien, mais réservait une faculté de produire de
telles observations, le mémoire de la ville de Nîmes se réservant
d'ailleurs la même faculté. Il relève, par ailleurs, n'avoir fait
l'objet d'aucune critique, ni mise en demeure par le tribunal
administratif de Montpellier durant toute la procédure.
32. Enfin, le requérant estime avoir subi, du fait de la durée
excessive de la procédure, un important préjudice résultant pour
l'essentiel du maintien au delà de délais raisonnables d'une situation
de non-droit objectivement attentatoire à sa réputation, exploitable
par ses adversaires et à ce point pénalisante pour l'exercice de sa
profession qu'elle a entraîné la fermeture de son cabinet avant que la
justice n'ait dit le droit.
33. La Commission rappelle que le caractère raisonnable de la durée
d'une procédure doit s'apprécier suivant les circonstances de la cause
et à l'aide des critères suivants : la complexité de l'affaire, le
comportement des parties et le comportement des autorités saisies de
l'affaire (cf. Cour eur. D.H., arrêt Vernillo c. France du
20 février 1991, série A n° 198, p. 12, par. 30).
34. En l'espèce, elle relève que la production par le requérant
d'observations complémentaires correspondait à une simple faculté et
non à un acte requis pour la poursuite de la procédure susceptible
d'avoir une quelconque incidence sur sa durée.
35. En revanche, la Commission relève que si la procédure devant la
cour administrative d'appel de Bordeaux ne dura qu'un an et un mois,
d'importantes périodes d'inactivité imputables à l'Etat affectèrent la
procédure devant le tribunal administratif de Montpellier.
36. La première période d'inactivité imputable à l'Etat s'étend du
26 juillet 1985, date de la saisine du tribunal administratif, au
19 décembre 1988, date du jugement avant dire droit ordonnant une
expertise, soit près de trois ans et cinq mois. Par ailleurs, ledit
jugement fixait un délai de quatre mois pour le dépôt du rapport de
l'expert. Or ce dépôt n'eut lieu que le 21 mai 1991, soit avec un
retard de plus de deux ans et un mois. Enfin, il s'écoula encore un an
et huit mois avant que le tribunal administratif de Montpellier ne
rende son jugement.
37. La Commission considère qu'aucune explication convaincante de ces
délais n'a été fournie par le Gouvernement défendeur.
38. Elle réaffirme qu'il incombe aux Etats contractants d'organiser
leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent
garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les
contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil
dans un délai raisonnable (cf. Cour eur. D.H., arrêt Vocaturo c. Italie
du 24 mai 1991, série A n° 206-C, p. 32, par. 17).
39. La Commission rappelle qu'en vertu d'une jurisprudence constante
de la Cour (voir, par exemple, arrêt König c. Allemagne du
28 juin 1978, Série A n° 27, p. 40, par. 111), l'enjeu du litige pour
l'intéressé peut, dans certains cas, entrer en ligne de compte.
40. A cet égard, elle estime qu'en l'espèce, une diligence
particulière s'imposait aux juridictions saisies, compte tenu de
l'enjeu financier capital pour le requérant. En effet, le montant de
la part d'honoraires dû par la ville de Nîmes, en vertu du marché
conclu avec le requérant le 9 janvier 1984, représentait plus de 30%
du chiffre d'affaires du cabinet du requérant pour l'année en question.
41. En outre, l'enjeu financier du litige se rapportait à l'activité
professionnelle du requérant (voir mutatis mutandis arrêt Ruotolo c.
Italie du 27 février 1992, série A n° 230-D, p. 39, par. 17). En effet,
l'adversaire du requérant, à savoir la ville de Nîmes, était non
seulement le maître d'ouvrage de très loin le plus important de la
ville, mais aussi l'autorité dotée de la compétence exclusive pour la
délivrance des permis de construire. Le requérant exerçant la
profession d'architecte, il était d'autant plus important de mettre un
terme dans les meilleurs délais à un litige opposant le requérant à une
autorité intervenant directement dans l'exercice de sa profession.
42. A la lumière des critères dégagés par la jurisprudence et compte
tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, la Commission
considère que la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne
répond pas à la condition du "délai raisonnable".
CONCLUSION
43. La Commission conclut à l'unanimité qu'il y a eu, en l'espèce,
violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
M.-T. SCHOEPFER G.H. THUNE
Secrétaire Présidente
de la Deuxième Chambre de la Deuxième Chambre