CEDH, Commission (plénière), DALBAN c. la ROUMANIE, 22 janvier 1998, 28114/95

  • Commission·
  • Sénateur·
  • Neamt·
  • Gouvernement·
  • Liberté d'expression·
  • Autriche·
  • Journaliste·
  • Diffamation·
  • Ingérence·
  • Information

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Plénière), 22 janv. 1998, n° 28114/95
Numéro(s) : 28114/95
Type de document : Rapport
Date d’introduction : 20 avril 1995
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Castells du 23 avril 1992, série A n° 236, pp. 22-24 and 38, par. 42-43, 46 and 67
Arrêt De Haes et Gijsels du 24 février 1997, Recueil 1997-I n° 30, par. 48
Cour eur. D.H. Arrêt Handyside du 7 décembre 1976, série A n° 24, par. 49
Arrêt Lingens du 8 juillet 1986, série A n° 103, pp. 24-108, par. 34-37
Arrêt Observer et Guardian du 26 novembre 1991, série A n° 216, pp. 29-30, par. 59
Arrêt Prager et Oberschlick du 26 avril 1995, série A n° 313, pp. 17-18, par. 34-35
Arrêt Schwabe du 28 août 1992, série A n° 242-B, pp. 32-33, par. 29
Arrêt Sunday Times (n° 2) du 26 novembre 1991, série A n° 217, pp. 28-29, par. 50
Arrêt Thorgeir Thorgeirson du 25 juin 1992, série A n° 239, p. 27, par. 63
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 10 ; Non-lieu à examiner l'art. 6-1
Identifiant HUDOC : 001-47744
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1998:0122REP002811495
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Texte intégral

              COMMISSION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

                          Requête N° 28114/95

                             Ionel Dalban

                                contre

                              la Roumanie

                       RAPPORT DE LA COMMISSION

                      (adopté le 22 janvier 1998)

                        TABLE DES MATIERES

                                                                 Page

I.    INTRODUCTION

      (par. 1 - 16) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

      A.   La requête

           (par. 2 - 4) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

      B.   La procédure

           (par. 5 - 11)  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

      C.   Le présent rapport

           (par. 12 - 16) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

II.   ETABLISSEMENT DES FAITS

      (par. 17 - 35). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

      A.   Circonstances particulières de l'affaire

           (par. 17 - 32) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

      B.   Eléments de droit interne

           (par. 33 - 35) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

III.  AVIS DE LA COMMISSION

      (par. 36 - 71)  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

      A.   Griefs déclarés recevables

           (par. 36)  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

      B.   Points en litige

           (par. 37)  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

      C.   Sur la violation de l'article 10

           de la Convention

           (par. 38 - 60) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

           CONCLUSION

           (par. 61). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  10

      D.   Sur la violation de l'article 6

           de la Convention

           (par. 62 - 68) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .  11

           CONCLUSION

           (par. 69) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .   11

      E.   Récapitulation

           (par. 70 - 71) . . . . . . . . . . . . . . . . . . .    12

ANNEXE :   DECISION DE LA COMMISSION SUR

           LA RECEVABILITE DE LA REQUETE . . . . . . . . . .       13

I.    INTRODUCTION

1.    On trouvera ci-après un résumé des faits de la cause, tels qu'ils

ont été exposés par les parties à la Commission européenne des droits

de l'homme, ainsi qu'une description de la procédure.

A.    La requête

2.    Le requérant, de nationalité roumaine, est né en 1928 et est

domicilié à Roman (Roumanie).  Dans la procédure devant la Commission

il est représenté par Maître Ioan Popa, avocat au barreau de Bacau.

3.    La requête est dirigée contre la Roumanie. Le Gouvernement

défendeur est représenté par Adrian Telu du Ministère de la Justice,

agent du Gouvernement.

4.    La requête concerne la condamnation du requérant du chef de

diffamation pour la publication de deux articles et l'équité de la

procédure devant les juridictions internes. Le requérant invoque les

articles 6 et 10 de la Convention.

B.    La procédure

5.    La présente requête a été introduite le 20 avril 1995 et

enregistrée le 3 août 1995.

6.    Le 29 novembre 1995, la Commission (Première Chambre) a décidé

de donner connaissance de la requête au Gouvernement roumain, en

application de l'article 48 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et

d'inviter les parties à présenter des observations sur sa recevabilité.

7.    Le Gouvernement a présenté ses observations le 11 mars 1996,

après prorogation du délai imparti. Le requérant y a répondu le

23 avril 1996.  Le 19 septembre 1997, la Commission a accordé au

requérant le bénéfice de l'aide judiciaire.

8.     Le 2 septembre 1996 la requête a été transférée de la Première

Chambre à la Commission plénière, par décision de cette dernière. Le

9 septembre 1996, la Commission a déclaré la requête recevable.

9.    Le 19 septembre 1996, la Commission a adressé aux parties le

texte de sa décision sur la recevabilité de la requête et les a

invitées à lui soumettre les observations complémentaires sur le  bien-

fondé de la requête qu'elles souhaiteraient présenter.  Le Gouvernement

a présenté ses observations le 25 octobre 1996, demandant à la

Commission de faire application de l'article 29 de la Convention et de

déclarer la requête irrecevable. Le requérant a présenté ses

observations le 24 octobre 1996.

10.   Le 19 janvier 1997, la Commission a décidé de ne pas appliquer

l'article 29 de la Convention.

11.   Après avoir déclaré la requête recevable, la Commission,

conformément à l'article 28 par. 1 b) de la Convention, s'est mise à

la disposition des parties en vue de parvenir à un règlement amiable

de l'affaire.  Vu l'attitude adoptée par les parties, la Commission

constate qu'il n'existe aucune base permettant d'obtenir un tel

règlement.

C.    Le présent rapport

12.   Le présent rapport a été établi par la Commission, conformément

à l'article 31 de la Convention, après délibérations et votes en

présence des membres suivants :

           M.    S. TRECHSEL, Président

           MM.   J.-C. GEUS

                 E. BUSUTTIL

                 G. JÖRUNDSSON

                 A.S. GÖZÜBÜYÜK

                 A. WEITZEL

                 J.-C. SOYER

           M.    H. DANELIUS

           Mme   G.H. THUNE

           MM    F. MARTINEZ

                 C.L. ROZAKIS

           Mme   J. LIDDY

           MM.   L. LOUCAIDES

                 B. MARXER

                 M.A. NOWICKI

                 I. CABRAL BARRETO

                 B. CONFORTI

                 N. BRATZA

                 I. BÉKÉS

                 J. MUCHA

                 D. SVÁBY

                 G. RESS

                 A. PERENIC

                 C. BÎRSAN

                 P. LORENZEN

                 K. HERNDL

                 E. BIELIUNAS

                 E.A. ALKEMA

                 M. VILA AMIGÓ

           Mme   M. HION

           MM.   R. NICOLINI

                 A. ARABADJIEV

           M.    M. de SALVIA, Secrétaire de la Commission

13.   Le texte du présent rapport a été adopté par la Commission le

22 janvier 1998 et sera transmis au Comité des Ministres du Conseil de

l'Europe, en application de l'article 31 par. 2 de la Convention.

14.   Ce rapport a pour objet, conformément à l'article 31 de la

Convention :

      (i)  d'établir les faits, et

      (ii) de formuler un avis sur le point de savoir si les faits

           constatés révèlent de la part du Gouvernement défendeur une

           violation des obligations qui lui incombent aux termes de

           la Convention.

15.   La décision de la Commission sur la recevabilité de la requête

est jointe au présent rapport.

16.   Le texte intégral de l'argumentation des parties ainsi que les

pièces soumises à la Commission sont conservés dans les archives de la

Commission.

II.   ETABLISSEMENT DES FAITS

A.    Circonstances particulières de l'affaire

17.   Le requérant est journaliste et directeur du magazine

hebdomadaire local "Cronica Romascana".

18.   Dans le numéro no. 90/1992 (23-29 septembre 1992) du magazine,

le requérant publia un article sous le titre "Des dizaines des millions

fraudés à IAS de Roman". L'article dévoilait les fraudes prétendument

commises par le directeur de l'entreprise agricole d'Etat FASTROM de

Roman, G.S. Comme source d'informations il citait des rapports de la

section économique de la Police Générale. En particulier, le requérant

écrivit :

      "...une nouvelle fraude ayant des proportions incroyables a été

      découverte à FASTROM SA Roman, l'ex-IAS (entreprise agricole

      d'Etat), avec au premier plan un privilégié de la nomenklatura

      communiste locale, monsieur G.S. Les dégâts qu'il a causés [...]

      s'élèvent, selon les estimations de la police économique et

      d'autres experts, à plus de 23 millions de lei ! La fraude

      consiste dans l'enregistrement de marchandises dans l'inventaire

      du dépôt central [de FASTROM Roman], marchandises qui sont

      introuvables dans les inventaires des entreprises subordonnées.

      Il a été établi que beaucoup de ces marchandises ont été

      remplacées par des marchandises dont avaient besoin monsieur G.S.

      et ses proches, ou bien ont été échangées en lei partagés ensuite

      d'une manière fraternelle. Voilà des agissements qui rappellent

      les bandits de grand chemin, sans foi ni loi (Jaf ca-n codru)!...

      L'opinion publique de Roman se demande comment cela a été

      possible. Peut-être que monsieur le sénateur R.T., qui, jusqu'à

      présent [...], a été le représentant de l'Etat au sein de

      l'entreprise FASTROM Roman, nous donnera des éclaircissements.

      En cette qualité il a reçu comme traitement, chaque mois, des

      centaines de milliers de lei. Pour quelles raisons, ou autrement

      dit comment il a défendu les intérêts de l'Etat, on a bien vu..."

19.   Dans un article paru dans le numéro 104/1993 du 6 janvier 1993

du même journal "Cronica Romascana", le requérant écrivit :

      "Une Dacia break [appartenant à la société FASTROM] a été

      «acquise» pendant un an et demi par le sénateur R.T., de vendredi

      jusqu'à lundi, pour l'amener et le ramener de l'aéroport de Bacau

      (chauffeur R.M.), histoire déjà finie, mais pas oubliée encore".

20.   Estimant les propos du requérant diffamatoires et contraires à

l'article 206 du Code pénal, G.S. et R.T. engagèrent des poursuites à

son encontre.

21.   Le 24 juin 1994, le tribunal de première instance [judecatoria]

de Roman condamna le requérant du chef de diffamation à une peine de

trois mois de prison avec sursis et à payer des dédommagements de trois

cent mille lei aux parties civiles R.T. et G.S. En outre, le requérant

se vit interdire l'exercice de la profession pour une période

indéterminée.

22.   Le tribunal constata que, bien que G.S. eût fait l'objet de deux

enquêtes pénales, le parquet avait prononcé le 7 septembre 1990 et le

10 décembre 1992 des non-lieux en ce qui concerne respectivement

l'infraction d'abus de biens sociaux et l'infraction consistant dans

l'agissement du fonctionnaire ayant causé, dans son travail, un

préjudice aux intérêts publiques [abuzul în serviciu contra intereselor

obstesti] (article 248 du Code pénal). En ce qui concerne R.T., le

tribunal constata que, en sa qualité de membre du Conseil des

Représentants de l'Etat, il avait reçu un traitement de 55.000 Lei

entre juin 1991 et juillet 1992, et non pas des "centaines de milliers"

de Lei. Le tribunal constata aussi que, selon le Règlement intérieur

du Sénat, "les préfectures, pour l'exercice des activités sénatoriales,

mettront à la disposition des sénateurs un moyen de transport et une

secrétaire" et que, dans une lettre no. 4849/1991, la Préfecture du

département de Neamt avait demandé à la direction de l'entreprise

FASTROM Roman de mettre une voiture à la disposition du Bureau

sénatorial de Roman. Les juges conclurent que les affirmations du

requérant ne correspondaient pas à la réalité.

23.   Le requérant releva appel de ce jugement. Selon lui, en dépit des

non-lieux prononcés par le parquet, les affirmations qu'il avait faites

dans les deux articles étaient réelles. A son appui, il invoquait des

rapports de la section économique de la police sur la base desquels la

police avait demandé au parquet l'inculpation de G.S., des procès-

verbaux dressés par des inspecteurs financiers respectivement le

19 juin 1992, le 26 juin 1992 et le 18 décembre 1992, ainsi que des

déclarations des membres du conseil d'administration et du syndicat de

la société FASTROM Roman. Ces documents et ces déclarations faisaient

état des opérations comptables illégales au sein de la société, dont

la responsabilité était attribuée à G.S., en sa qualité de directeur

de la société. Les sommes en jeu s'élevaient, selon ces documents, à

plus de 23 millions de lei.

24.   En ce qui concerne R.T., le requérant fit valoir que le tribunal

de première instance avait reconnu dans le jugement du 24 juin 1994 que

R.T. utilisait une voiture de la société FASTROM Roman. Quant à son

affirmation relative au traitement reçu par R.T., celle-ci n'avait pas

un caractère diffamatoire, malgré l'erreur portant sur le montant du

traitement.

25.   Par arrêt du 7 décembre 1994, le tribunal départemental

[tribunalul judetean] de Neamt décida, par deux voix contre une, de

maintenir la peine d'emprisonnement avec sursis prononcé le

24 juin 1994 et les dédommagements accordés. Le tribunal constata que

les affirmations du requérant ne correspondaient pas à la réalité,

puisque le parquet avait prononcé en 1990 et en 1992 des non-lieux

quant à G.S., et puisque l'utilisation par R.T. d'une voiture de la

société FASTROM était légale. Toutefois, le tribunal cassa le jugement

du 24 juin 1994 dans sa partie relative à l'interdiction d'exercer le

métier de journaliste en raison du comportement positif du requérant.

26.   Contre la condamnation du requérant vota le juge M.C., qui

conclut ainsi son opinion dissidente :

      "[...] Dévoiler la vérité est une condition sine qua non pour

      éloigner les insuffisances et défendre les intérêts de la

      société. Ces intérêts sont prioritaires par rapport à la défense

      - à tout prix - de nos réputations. Conscience éveillée de la

      cité, le journaliste a le droit et l'obligation de mettre en

      débat les institutions et leurs hommes, afin de contrôler si leur

      travail est satisfaisant, s'ils justifient le mandant dont ils

      ont été investis et si le prestige qui les entoure est

      authentique ou faux. Personne n'est infaillible et ne peut

      prétendre l'être.

      Il me semble injuste de condamner le journaliste Ionel Dalban,

      tant que celui-ci n'a fait que remplir son devoir de journaliste

      d'une manière objective, désireux de contribuer à assainir le

      climat moral de la ville dans laquelle il vit et travaille [...]"

27.   Malgré cette condamnation, le requérant continua à publier des

informations concernant la prétendue fraude que G.S. aurait commise au

sein de la société FASTROM.

28.   A la suite de ces révélations, la Commission d'enquête des abus

du Parlement roumain saisit le Parquet de Neamt.

29.   D'autre part, l'organisation non-gouvernementale "La Ligue

Démocratique pour la Justice" reprit ces révélations, de sorte que le

Parquet de Roman ouvrit le 20 juillet 1994 une nouvelle information

judiciaire en ce qui concerne G.S.

30.   L'issue de ces procédures n'a pas été précisée.

31.   Après la condamnation du requérant, d'autres journaux, dont le

quotidien national de grand tirage "Adevarul", publièrent des articles

concernant les activités prétendument illégales au sein de l'entreprise

FASTROM dirigée par G.S. et sur la prétendue complicité entre ce

dernier et le sénateur R.T.

32.   De nombreux journaux prirent également position quant à la

condamnation du requérant, perçue comme une "tentative d'intimidation"

de la presse.

B.    Eléments de droit interne

33.   L'article 206 du Code pénal

      "Afirmarea ori imputarea în public a unei fapte determinate

      privitoare la o persoana care, daca ar fi adevarata, ar expune

      acea persoana la o sanctiune penala, administrativa sau

      disciplinara, ori dispretului public, se pedepseste cu închisoare

      de la 3 luni la 1 an sau cu amenda.

      [...]

< traduction >

      "L'affirmation ou l'imputation en public d'un certain fait

      concernant une personne, fait qui, s'il était vrai, exposerait

      cette personne à une sanction pénale, administrative ou

      disciplinaire, ou au mépris public, sera punie d'emprisonnement

      de trois mois à un an ou d'une amende."

34.   Article 207 du Code pénal

      "Proba veritatii celor afirmate sau imputate este admisibila,

      daca afirmarea sau imputarea a fost savârsita pentru apararea

      unui interes legitim. Fapta cu privire la care s-a facut proba

      veritatii nu constituie infractiunea de insulta sau calomnie."

< traduction >

      "La preuve de la vérité des affirmations ou des imputations peut

      être accueillie si l'affirmation ou l'imputation ont été commises

      pour la défense d'un intérêt légitime. L'agissement au sujet

      duquel la preuve de la vérité a été faite ne constitue pas

      l'infraction d'insulte ou de diffamation."

35.   Article 385-9 du Code de procédure pénale

      "Hotarârile sunt supuse casarii în urmatoarele cazuri :

      [...]

      (10). instanta nu s-a pronuntat asupra unei fapte retinute în

      sarcina inculpatului prin actul de sesizare sau cu privire la

      unele probe administrate ori asupra unor cereri esentiale pentru

      parti, de natura sa garanteze drepturile lor si sa influenteze

      solutia procesului;

      [...]"

< traduction >

      "L'appel peut être interjeté dans les cas suivants :

      [...]

      (10). lorsque le tribunal ne s'est pas prononcé soit sur un fait

      retenu à la charge de l'inculpé dans l'ordonnance de renvoi, soit

      sur certaines preuves administrées, soit sur certaines demandes

      essentielles pour les parties, qui pourraient garantir leurs

      droits ou influer sur l'issue du procès;

      [...]"

III.  AVIS DE LA COMMISSION

A.    Griefs déclarés recevables

36.   La Commission a déclaré recevables les griefs du requérant

tirés :

-     de l'atteinte à son droit à la liberté d'expression et

-     du caractère équitable de la procédure devant les tribunaux

      internes.

B.    Points en litige

37.   Les points en litige sont les suivants :

      - La condamnation du requérant pour diffamation était-elle

contraire au droit du requérant au respect de sa liberté d'expression

au sens de l'article 10 (art. 10) de la Convention ?

      - L'absence, dans la motivation des arrêts de condamnation, de

toute référence à l'argument du requérant relatif aux sources des

informations publiées, a-t-elle privé le requérant d'un procès

équitable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention ?

C.    Sur la violation de l'article 10 (art. 10) de la Convention

38.   L'article 10 (art. 10) de la Convention dispose :

      "1.  Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit

      comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de

      communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y

      avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de

      frontière [...]

      2.   L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des

      responsabilités peut être soumis à certaines formalités,

      conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui

      constituent des mesures nécessaires, dans une société

      démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale

      ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la

      prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale,

      à la protection de la réputation ou des droits d'autrui [...]"

39.   Le requérant soutient que sa condamnation était contraire aux

dispositions de l'article 10 (art. 10) de la Convention. Il fait valoir

que les informations qu'il a présentées dans ses articles étaient

fondées sur des documents préparés par la section économique de la

police.

40.   Le Gouvernement estime qu'il est peu vraisemblable que, lorsque

le requérant a publié son article concernant G.S., il n'ait pas eu

connaissance de l'issue de l'enquête pénale. Au contraire, la

publication de l'article après le non-lieu prononcé par le parquet

était diffamatoire et a eu pour but d'influencer les organes d'enquête

pénale afin que ceux-ci rouvrent l'investigation. Le Gouvernement

affirme que les informations publiées n'étaient pas réelles et conclut

que la condamnation du requérant avait pour but la protection de la

réputation et des droits d'autrui.

41.   La Commission estime, et nul ne le conteste, que la condamnation

prononcée contre le requérant pour diffamation représente une ingérence

des autorités publiques dans l'exercice de la liberté d'expression du

requérant au sens de l'article 10 (art. 10) de la Convention.

42.   La question se pose de savoir si pareille ingérence peut se

justifier au regard du paragraphe 2 de cette disposition. Il y a donc

lieu d'examiner si cette ingérence était «prévue par la loi», visait

un but légitime en vertu de ce paragraphe et était «nécessaire» «dans

une société démocratique» (voir Cour eur. D.H., arrêt Lingens c.

Autriche du 8 juillet 1986, série A n° 103, pp. 24-108, par. 34-37).

43.   En ce qui concerne la conformité à la loi, la Commission constate

que la condamnation du requérant était prévue par la loi, car elle

était fondée sur l'article 206 du code pénal roumain.

44.   Ensuite, la Commission estime que la restriction visait un but

légitime prévu par l'article 10 par. 2 (art. 10-2) de la Convention,

à savoir la protection de la réputation d'autrui.

45.   Il reste à examiner le point de savoir si la restriction

critiquée était «nécessaire», «dans une société démocratique», pour

atteindre pareil but.

46.   Dans l'arrêt Handyside, la Cour européenne des Droits de l'Homme

a souligné le rôle fondamental que la liberté d'expression doit jouer

dans une société démocratique. A cet égard, elle s'est ainsi exprimée :

      "La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels

      de pareille société, l'une des conditions primordiales de son

      progrès et de l'épanouissement de chacun. Sous réserve du

      paragraphe 2 de l'article 10 (art. 10-2), elle vaut non seulement

      pour les 'informations' ou 'idées' accueillies avec faveur ou

      considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour

      celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une

      fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le

      pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels

      il n'est pas de 'société démocratique'" (Cour eur. D.H., arrêt

      Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A n° 24, par.

      49).

47.   La Commission rappelle les principes fondamentaux de la

jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme quant à la

notion de "nécessité" contenue dans l'article 10 (art. 10) de la

Convention (voir Prager et Oberschlick c. Autriche, arrêt du 26 avril

1995, série A n° 313, pp. 17-18, par. 34-35; Cour eur. D.H., arrêt

Schwabe c. Autriche du 28 août 1992, série A n° 242-B, pp. 32-33, par.

29; arrêt Castells c. Espagne du 23 avril 1992, série A n° 236, pp. 22-

24, par. 42-43, 46; arrêt Thorgeir Thorgeirson c. Islande du 25 juin

1992, série A n° 239, p. 27, par. 63; arrêt Observer et Guardian c.

Royaume-Uni du 26 novembre 1991, série A n° 216, pp. 29-30, par. 59;

arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni (n° 2) du 26 novembre 1991, série A

n° 217, pp. 28-29, par. 50). Ces principes se résument comme suit.

48.   L'adjectif "nécessaire" implique l'existence d'un "besoin social

impérieux". Les Etats contractants ont une certaine marge

d'appréciation quant à l'existence d'un tel besoin, laquelle va

cependant de pair avec un contrôle à l'échelon européen, englobant tant

la législation que les décisions qui l'appliquent, mêmes celles rendues

par une juridiction indépendante. Ainsi, les critères appliqués par les

autorités nationales doivent être conformes aux principes majeurs

régissant la liberté d'expression, et leur évaluation des faits doit

être acceptable.

49.   A cet égard, le rôle prééminent de la presse dans un Etat de

droit doit être pris en compte. Si la presse ne doit pas franchir les

bornes fixées en vue, notamment, de protéger la réputation d'autrui,

il lui incombe néanmoins de communiquer des informations et des idées

sur des questions d'intérêt public. A sa fonction qui consiste à en

diffuser, s'ajoute le droit, pour le public, d'en recevoir. S'il en

était autrement, la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de

"chien de garde".

50.   Pour apprécier, à la lumière de ces principes, s'il existait un

besoin social suffisamment impérieux pour justifier l'atteinte à la

liberté d'expression du requérant, la Commission doit examiner les

propos litigieux dans leur propre contexte, eu égard aux circonstances

de l'espèce.

51.   La Commission rappelle que les articles du requérant portaient

sur un sujet d'intérêt public, à savoir la gestion du patrimoine d'Etat

et la manière dont les hommes politiques remplissent leur mandat. Ces

articles fournissaient des informations, telles qu'elles ressortaient

des dossiers d'enquête pénale de la section économique de la police,

mettant en cause la gestion de l'entreprise FASTROM dont G.S. était

directeur et dans le conseil d'administration de laquelle R.T.,

sénateur de Neamt, représentait l'Etat. Quant au deuxième article, il

présentait des informations sur les traitements perçus par le sénateur

R.T. en tant que représentant de l'Etat au sein de FASTROM et sur

l'utilisation par ce dernier d'une voiture mise à disposition par

FASTROM.

52.   Il se peut qu'à certains égards une partie des éléments de fait

présentés par le requérant dans ses articles n'ait pas été confirmée.

En particulier, la Commission note que les tribunaux nationaux ont

relevé que l'affirmation selon laquelle R.T. avait perçu des centaines

de milliers de Lei était fausse, car R.T. n'avait perçu que quelques

dizaines de milliers de lei.

53.   La Commission note néanmoins que les critiques du requérant à

l'égard du sénateur R.T. ne portaient pas sur des aspects de sa vie

privée, mais sur ses comportements et attitudes en tant qu'homme

politique à l'égard des questions d'intérêt général. Pour exprimer son

avis sur les pratiques des élus, en particulier de R.T., et sur la

manière dont celui-ci remplissait son mandat d'élu, le requérant a

utilisé des formules que les tribunaux internes ont jugé comme

diffamatoires.

54.   En ce qui concerne G.S., les tribunaux ont jugé que les

informations présentées étaient fausses, car le parquet avait décidé,

avant la parution des articles, de ne pas inculper G.S.

55.   La Commission rappelle que la liberté d'expression que l'article

10 (art. 10) de la Convention vise à garantir n'est pas de nature

illimitée (Cour eur. D.H., arrêt Castells c. Espagne précité, p. 38,

par. 67). Il est évident qu'elle ne couvre pas l'expression publique

des faits qui ne s'appuient pas sur le moindre commencement de preuve

ou les supputations diffamatoires proférées à l'encontre de personnes

ou institutions (loc. cit.). Toutefois, toute ingérence dans

l'expression des propos concernant une question d'intérêt public doit

être soumise à des limites particulièrement strictes, pour ne pas

décourager les citoyens de porter un regard critique sur l'exercice de

la puissance publique.

56.   D'autre part, même un débat limité à une appréciation de la

moralité de certains actes peut atteindre le niveau de diffamation.

Cependant, la Commission ne peut admettre que des jugements de valeur

critiques ne puissent être formulés par la presse que si leur "vérité"

peut être prouvée (voir Lingens c. Autriche, rapport Comm. 11.10.84,

par. 80-81, Cour eur. D.H., série A n° 103, p. 37).

57.   En l'espèce, la Commission relève qu'il n'a pas été démontré que

les faits décrits dans ces articles aient été totalement faux et

simplement inventés dans le but d'alimenter une campagne de dénigrement

de G.S. et de R.T.

58.   De surcroît, la Commission rappelle que la liberté journalistique

peut englober le recours à une certaine dose d'exagération, voire même

de provocation et qu'outre la substance des idées et informations

exprimées, l'article 10 (art. 10) protège aussi leur mode d'expression

(Cour eur. D.H., arrêts Prager et Oberschlick c. Autriche du 26 avril

1995, série A n° 313, pp. 17-18, par. 34-35 et De Haes et Gijsels c.

Belgique du 24 février 1997, à paraître dans Recueil 1997-I, par. 48).

59.   Dans le cas d'espèce, les tribunaux ont refusé l'offre de preuve

du requérant tendant à établir la véracité des affirmations contenues

dans les articles, à savoir l'examen des rapports de police sur

lesquels il s'était fondé. Les décisions de condamnation du requérant

ne font aucune mention des sources des articles incriminés. Au

contraire, les tribunaux ont considéré que l'absence d'inculpation de

G.S. suffisait pour établir que les informations contenues dans ces

articles étaient contraires à la réalité.

60.   Au vu de ces considérations et même en tenant compte des devoirs

et responsabilités pesant sur le journaliste lorsqu'il se prévaut du

droit que lui garantit l'article 10 (art. 10) de la Convention, la

Commission estime que la condamnation du requérant ne peut pas être

considérée comme «nécessaire, dans une société démocratique».

CONCLUSION

61.   La Commission conclut à l'unanimité qu'il y a eu, en l'espèce,

violation de l'article 10 (art. 10) de la Convention.

D.    Sur la violation de l'article 6 (art. 6) de la Convention

62.   L'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dispose, entre

autres, que :

      "1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

      équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un

      tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui

      décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations

      de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en

      matière pénale dirigée contre elle [...]"

63.   Le requérant considère qu'il n'a pas bénéficié d'un procès

équitable devant les tribunaux, les juges n'ayant pas examiné les

documents qu'il a présentés à l'appui de sa défense, à savoir les

documents de la police qui ont constitué la source des articles. Il

estime que les non-lieux prononcés par le parquet ne sauraient être

considérés comme une preuve irréfutable que G.S. et R.T. n'ont pas

commis les faits décrits dans ses articles.

64.   Le requérant estime d'autre part, que le refus des juges de se

prononcer sur les documents qu'il a invoqués à l'appui de sa défense

serait contraire à l'article 385-9 du Code de procédure pénale.

65.   Selon le Gouvernement, des documents présentés par le requérant

dans sa défense il ressort que l'entreprise FASTROM a subi d'importants

dommages en raison de graves erreurs d'administration et de gestion.

Ces erreurs seraient confirmées dans un rapport de l'organe de contrôle

du Gouvernement roumain, qui, en outre, fait état de graves négligences

dans la gestion de FASTROM.

66.   Le Gouvernement fait valoir que tous ces documents aboutissent

à la même conclusion, à savoir la responsabilité collective de la

direction de l'entreprise FASTROM. Dans ces circonstances, le

Gouvernement estime que les articles incriminant seulement G.S. étaient

bien contraires à la réalité.

67.   Le Gouvernement considère qu'une motivation succincte d'une

décision judiciaire ne peut pas s'analyser en un élément d'iniquité de

la procédure. Dans la présente affaire, les juges internes ont examiné

tous les éléments de preuve présentés par les parties, y compris les

documents de la police que le requérant a utilisés comme source

d'information, mais ont considéré que ces documents n'étaient pas

pertinents, de sorte qu'ils ne les ont pas mentionnés dans leur

décision. Dès lors, l'absence de mention des documents de la police

dans l'arrêt de condamnation du requérant ne saurait suffire pour

conclure que le requérant n'a pas bénéficié d'un procès équitable.

68.   Compte tenu de la conclusion à laquelle elle est parvenue en ce

qui concerne l'article 10 (art. 10) de la Convention, la Commission

n'estime pas nécessaire de se placer, de surcroît, sur le terrain de

l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

      CONCLUSION

69.   La Commission conclut par 31 voix contre 1 qu'il n'y a pas lieu

d'examiner s'il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 6 par. 1

(art. 6-1) de la Convention.

E.    Récapitulation

70.   La Commission conclut à l'unanimité qu'il y a eu, en l'espèce,

violation de l'article 10 (art. 10) de la Convention (par. 61).

71.   La Commission conclut par 31 voix contre 1 qu'il n'y a pas lieu

d'examiner s'il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 6 par. 1

(art. 6-1) de la Convention (par. 69).

        M. de SALVIA                       S. TRECHSEL

        Secrétaire                          Président

      de la Commission                   de la Commission

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. CODE PENAL
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Commission (plénière), DALBAN c. la ROUMANIE, 22 janvier 1998, 28114/95