CEDH, Commission (deuxième chambre), KUDLA c. la POLOGNE, 26 octobre 1999, 30210/96
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Deuxième Chambre), 26 oct. 1999, n° 30210/96 |
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Numéro(s) : | 30210/96 |
Type de document : | Rapport |
Date d’introduction : | 12 avril 1995 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusions : | Violation de l'art. 3 ; Violation de l'art. 6-1 ; Violation de l'art. 5-3 |
Identifiant HUDOC : | 001-48403 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1999:1026REP003021096 |
Sur les parties
- Juges : Gaukur Jörundsson, Nicolas Bratza
Texte intégral
COMMISSION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
Requête n° 30210/96
Andrzej Kudła
contre
Pologne
RAPPORT DE LA COMMISSION
(adopté le 26 octobre 1999)
TABLE DES MATIÈRES
Page
I.INTRODUCTION
(par. 1-15) 1
A.La requête
(par. 2-4) 1
B.La procédure
(par. 5-10) 1
C.Le présent rapport
(par. 11-15) 2
II.ETABLISSEMENT DES FAITS
(par. 16-64) 3
A.Circonstances particulières de l’affaire
(par. 16-57) 3
B.Droit interne pertinent
(par. 58-64) 7
III.AVIS DE LA COMMISSION
(par. 65-122) 10
A.Griefs déclarés recevables
(par. 65) 10
B.Points en litige
(par. 66) 10
C.Quant à l’article 3 de la Convention
(par. 67-82) 10
CONCLUSION
(par. 83) 12
D.Quant à l’article 5 § 3 de la Convention
(par. 84-99) 12
CONCLUSION
(par. 100) 15
TABLE DES MATIÈRES
Page
E.Quant à l’article 6 § 1 de la Convention
(par. 101-111) 15
CONCLUSION
(par. 112) 16
F.Quant à l’article 13 de la Convention
(par. 113-117) 16
CONCLUSION
(par. 118) 17
G.Récapitulation
(par. 119-122) 17
OPINION SÉPARÉE DE Mme J. LIDDY 18
OPINION DISSIDENTE DE MM. S. TRECHSEL, Gaukur JÖRUNDSSON,
A.S. GÖZÜBÜYÜK, J.-C. SOYER, H. DANELIUS, F.MARTINEZ,
M. PELLONPÄÄ, B. MARXER, I. BÉKÉS, K. HERNDL et E. BIELIŪNAS 19
OPINION DISSIDENTE DE M. J.-C GEUS 20
OPINION DISSIDENTE DE Mmes G. THUNE ET J. LIDDY,
SIR NICOLAS BRATZA ET MM E. ALKEMA, VILA-AMIGO,
R. NICOLINI et A. ARABADIJEV21
OPINION DISSIDENTE DE M. M.A. NOWICKI 23
OPINION DISSIDENTE DE M. BARRETO24
ANNEXE :DÉCISION DE LA COMMISSION SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE 25
I.INTRODUCTION
1. On trouvera ci-après un résumé des faits de la cause tels qu’ils ont été soumis à la Commission européenne des Droits de l’Homme, ainsi qu’une description de la procédure suivie devant celle-ci.
A.La requête
2. Le requérant est un citoyen polonais né en 1962 et résidant à Cracovie, en Pologne.
3. La requête est dirigée contre la Pologne. Le gouvernement défendeur est représenté par son agent, M. Krzysztof Drzewicki, du ministère des Affaires étrangères.
4. L’affaire concerne la question de savoir si le requérant a reçu un traitement psychiatrique adéquat en prison, la durée de sa détention provisoire, la durée de la procédure pénale dont il a fait l’objet et l’absence de tout recours au travers duquel il aurait pu, en Pologne, se plaindre de la durée de cette procédure. L’intéressé invoque les articles 3, 5 § 3, 6 § 1 et 13 de la Convention.
B.La procédure
5. La requête a été introduite le 12 avril 1995 et enregistrée le 15 février 1996.
6. Le 26 février 1997, la Commission (Deuxième Chambre) a décidé, en application de l’article 48 § 2 b) de son règlement intérieur, de porter la requête à la connaissance du gouvernement défendeur et d’inviter les parties à présenter des observations écrites sur sa recevabilité et son bien-fondé.
7. Les observations du Gouvernement ont été reçues le 25 juin 1997, après deux prorogations du délai imparti à cet effet. Le requérant y a répondu le 18 septembre 1997. Le 15 février 1998, le Gouvernement a fait parvenir une traduction de ses observations.
8. Le 14 avril 1998, l’affaire a été transférée de la Deuxième Chambre à la Commission plénière par décision de cette dernière. Le 20 avril 1998, la Commission a déclaré recevables les griefs fondés par le requérant sur les articles 3, 5 § 3, 6 § 1 et 13 de la Convention. Elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus.
9. La Commission a adressé le texte de sa décision sur la recevabilité aux parties le 30 avril 1998 et les invitées à soumettre toutes informations ou observations complémentaires dont elles souhaiteraient faire état quant au fond de l’affaire. Les parties n’ont pas usé de cette possibilité.
10. Après avoir déclaré la requête recevable, la Commission, conformément à l’ancien article 28 § 1 b) de la Convention, s’est mise à la disposition des parties en vue de parvenir à un règlement amiable de l’affaire. Eu égard à leur réaction, elle constate qu’il n’existe aucune base permettant d’obtenir un tel règlement.
C.Le présent rapport
11. Le présent rapport a été établi par la Commission conformément à l’ancien article 31 de la Convention, après délibérations et votes en présence des membres suivants :
MM.S. TRECHSEL, président
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.-C. SOYER
H. DANELIUS
MmeG.H. THUNE
MM.F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
MmeJ. LIDDY
MM.J.-C. GEUS
M.P. PELLONPÄÄ
B. MARXER
M.A. NOWICKI
I. CABRAL BARRETO
SirNicolas BRATZA
MM.I. BÉKÉS
D. ŠVÁBY
A. PERENIČ
K. HERNDL
E. BIELIUNAS
E.A. ALKEMA
M. VILA AMIGÓ
MmeM. HION
MM.R. NICOLINI
A. ARABADJIEV
12. Le texte du présent rapport a été adopté le 26 octobre 1999 et sera transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, en application de l’article 31 § 2 de la Convention.
13. Ce rapport a pour objet, conformément à l’article 31 de la Convention :
i)d’établir les faits, et
ii)de formuler un avis sur le point de savoir si les faits constatés révèlent de la part de l’Etat défendeur une violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention.
14. La décision de la Commission sur la recevabilité de la requête figure en annexe au présent rapport.
15. La Commission conserve dans ses archives le texte intégral de l’argumentation des parties ainsi que les pièces soumises par celles-ci à l’appui.
II.ETABLISSEMENT DES FAITS
A.Les circonstances particulières de l’affaire
16. Le 8 août 1991, le procureur régional (Prokurator Wojewódzki) de Cracovie inculpa le requérant d’escroquerie et de faux et le plaça en détention provisoire. Peu après, le requérant signala au procureur qu’il souffrait de divers maux, et notamment de dépression. A une date non précisée, les autorités ordonnèrent qu’il fût examiné par un médecin. L’examen médical effectué quelques jours plus tard ne révéla aucune particularité militant en faveur de la libération de l’intéressé. Le requérant fut incarcéré au centre de détention de Cracovie.
17. A une date non précisée, il interjeta appel de l’ordonnance de placement en détention. Le 21 août 1991, le tribunal régional (Sąd Wojewódzki) de Cracovie rejeta le recours eu égard à la haute probabilité que l’appelant eût commis les infractions qui lui étaient reprochées. Le tribunal constata également que, d’après les résultats de l’examen médical pratiqué, aucune raison tenant à l’état de santé du requérant ne justifiait qu’il fût libéré.
18. Plus tard, entre août 1991 et la fin de juillet 1992, le requérant introduisit trente demandes de libération et recours contre les décisions de rejet rendues à leur propos.
19. Dans l’intervalle, à une date non précisée d’octobre 1991, le requérant tenta de mettre fin à ses jours en prison. Le 4 novembre 1991, il se mit en grève de la faim pour une période indéterminée. Les autorités ordonnèrent qu’il fût examiné par les médecins. Daté du 25 novembre 1991, le rapport établi à la suite de cet examen par des experts de la faculté de psychiatrie criminelle de l’université jagiellonienne affirmait que le requérant ne pouvait être détenu dans une prison ordinaire. Les experts concluaient que si l’intéressé devait être maintenu en détention, il y avait lieu de l’interner dans le service psychiatrique d’un hôpital carcéral. Le requérant fut par la suite transféré à l’hôpital carcéral de Bytom, où il fut placé dans un service de maladies internes et reçut un traitement pour son état mental. Il y demeura pendant une période non déterminée à la suite de laquelle il fut ramené au centre de détention de Cracovie.
20. Le 20 janvier et le 27 février 1992, le requérant fut examiné par des experts médicaux. Ceux-ci conclurent que l’intéressé était justiciable d’un traitement psychiatrique en prison mais qu’il n’était pas nécessaire de l’interner dans le service psychiatrique d’un hôpital carcéral.
21. Le 30 avril 1992, un acte d’accusation dirigé contre le requérant fut déposé devant le tribunal régional de Cracovie. Le dossier comportait dix-neuf volumes. Au total, vingt-neuf charges y étaient portées contre le requérant et neuf coaccusés. L’accusation invita la tribunal à entendre les dépositions de quatre-vingt-dix-huit témoins.
22. Le 15 juin 1992, les experts de la clinique psychiatrique de Cracovie et de la faculté de médecine de l’université jagiellonienne rédigèrent un rapport relatif à l’état psychologique du requérant. Le rapport comportait notamment le passage suivant :
“(...) Le patient présente des tendances suicidaires persistantes. Après l’avoir examiné nous estimons qu’il souffre d’un grave syndrome de dépression, aggravé de pensées suicidaires. Eu égard à l’intensité de celles-ci et au fait qu’il a déjà tenté de mettre fin à ses jours, il est justiciable d’un traitement psychiatrique. Son maintien en détention provisoire comporte un danger sérieux pour sa vie (un risque grave de le voir à nouveau faire une tentative de suicide) (...)”.
23. Le 27 juillet 1992, le tribunal régional de Cracovie annula l’ordonnance de placement en détention.
24. Les 26, 27 et 28 octobre et les 14 et 15 décembre 1992, le tribunal tint des audiences. D’autres, fixées au 8 février et au 16 mars 1993, furent annulées pour cause de défaillance du requérant. Les deux fois, son avocat produisit un certificat médical attestant que son client était malade ; la première fois, en particulier, il produisit un certificat attestant que son client était malade pour cinq jours.
25. Le 18 février 1993, le tribunal régional de Cracovie ordonna que le requérant fût à nouveau placé en détention, au motif qu’il n’avait pas comparu aux audiences. Par la suite, à une date non précisée, les autorités ordonnèrent la diffusion d’un avis de recherche concernant l’intéressé. Toutefois, l’ordonnance de placement en détention du 18 février 1993 n’avait pas toujours pas été exécutée le 4 octobre 1993, date à laquelle le requérant fut incarcéré au centre de détention de Cracovie, apparemment en rapport avec une infraction au code de la route.
26. Le tribunal fixa les prochaines audiences au 6 octobre et aux 15 et 17 novembre 1993, mais dut les annuler toutes au motif que l’état mental du requérant (en particulier ses difficultés de concentration) ne lui permettait pas de participer au procès. D’après un autre rapport d’expert (demandé par le tribunal à une date non précisée), le requérant “ne souffr[ait] pas d’une maladie mentale” à cette époque et son état mental ne formait pas obstacle à son maintien en détention.
27. Le 18 octobre 1993, l’avocat du requérant interjeta appel de l’ordonnance de placement en détention, faisant valoir que, depuis sa libération le 27 juillet 1992, son client était traité en permanence pour sa grave dépression et que c’était apparemment cette maladie qui l’avait empêché de comparaître devant la juridiction de première instance. A une date non précisée, le tribunal régional de Cracovie rejeta le recours.
28. Entre octobre 1993 et novembre 1994, le requérant déposa sans succès vingt et une nouvelles demandes de libération et recours contre les décisions de rejet rendues à leur propos.
29. Le tribunal tint des audiences en la cause les 13, 14 et 16 décembre 1993. Le 19 janvier 1994, une audience fut annulée au motif que, dans l’intervalle, le requérant avait tenté de se suicider par overdose.
30. Les 14, 15 et 16 février 1994 le tribunal tint de nouvelles audiences. Celles fixées aux 9 et 10 mars 1994 furent annulées pour cause de maladie du président. Les suivantes eurent lieu les 14, 15 et 16 juin 1994. Entre temps, le requérant fut placé en observation psychiatrique à l'hôpital carcéral de Wrocław en rapport avec une autre procédure pénale.
31. Le 11 juillet 1994, le tribunal tint une audience. En revanche, il annula les audiences fixées aux 12 et 14 juillet 1994, au motif que le requérant avait retiré son mandat à son avocat. Le procès se poursuivit les 20, 21 et 22 septembre, les 25 et 26 octobre et les 14 et 15 novembre 1994. Des audiences fixées aux 20, 21 et 22 décembre 1994 furent annulées au motif que l’un des coaccusés du requérant était hospitalisé à l’époque.
32. Le 17 novembre 1994, le requérant se plaignit auprès du président du tribunal régional de Cracovie de la durée de sa détention provisoire et de la manière dont la procédure était menée. Il faisait valoir, en particulier, que l’ensemble de ses neuf coaccusés avaient été élargis, alors que lui-même se trouvait toujours détenu, et que la durée totale de sa détention provisoire excédait à présent deux ans. Il soutenait également que les comptes rendus des audiences tenues dans sa cause ne reflétaient pas les dépositions des témoins et que le tribunal avait omis de consigner par écrit les observations présentées par lui-même et par son avocat et ne l’avait pas laissé exposer librement sa version des faits. Enfin, il affirmait que la durée de la procédure pénale engagée à son encontre plus de quatre ans auparavant constituait pour lui un “cauchemar”.
33. A une date non précisée, le requérant sollicita une nouvelle fois son élargissement auprès du tribunal régional de Cracovie. Le 8 décembre 1994, celui-ci le débouta de sa demande.
34. Le 4 janvier 1995, la cour d’appel (Sąd Apelacyjny) de Cracovie, qui avait été saisie par le requérant, confirma la décision du tribunal régional et jugea que M. Kudła devait être maintenu en détention compte tenu de ce qu’on pouvait raisonnablement le soupçonner d’avoir commis les infractions qui lui étaient reprochées et de ce qu’il avait été placé en détention au motif qu’il avait pris la fuite. La cour d’appel estima également que, bien qu’elle fût difficile, la situation de la famille du requérant ne justifiait pas l’élargissement de l’intéressé.
35. Le 25 janvier 1995, l’avocat du requérant sollicita l’annulation de l’ordonnance de placement en détention et la libération de l’intéressé moyennant son placement sous contrôle judiciaire. Il souligna que, le 23 janvier 1995, son client avait une nouvelle fois cherché à mettre fin à ses jours en prison (il avait tenté de se pendre) ce qui, compte tenu de sa dépression chronique, constituait un indice sérieux de ce qu’un maintien en détention pouvait compromettre sa vie. Il affirmait que si le requérant avait à nouveau été placé en détention c’était uniquement parce qu’il n’avait pas comparu aux audiences, et que dès lors que les preuves à charge avaient déjà été produites il n’était plus nécessaire de le maintenir en détention.
36. Le 13 février 1995, le tribunal régional de Cracovie rejeta la demande de libération. Il estima que, d’après une déclaration des autorités carcérales, la tentative de suicide du requérant n’était qu’une “manœuvre”, et que les motifs sous-jacents à son maintien en détention n’avaient pas cessé d’exister.
37. Le 25 février 1995, l’avocat du requérant interjeta appel de la décision du tribunal régional, faisant valoir que la santé mentale de son client, qui souffrait en permanence de dépression, s’était détériorée. Il invita également le tribunal à désigner des experts médicaux, psychiatres notamment, afin d’évaluer l’état de santé du requérant, plutôt que de se reposer sur l’appréciation livrée par les autorités carcérales. Il soutenait que la durée de la procédure pénale était excessive et que cela faisait déjà plus de deux ans et quatre mois que son client se trouvait en détention provisoire.
38. Le 2 mars 1995, la cour d’appel de Cracovie rejeta le recours. Elle jugea notamment qu’il ne s’imposait pas de désigner des experts médicaux et que le requérant devait être maintenu en détention, eu égard à la nécessité de garantir le bon déroulement de la procédure. Plus tard, entre le 8 mars 1995 et le 1er juin 1995, le requérant forma en vain quatre demandes de libération et recours contre les décisions de rejet rendues à leur propos.
39. Les 13, 14 et 15 mars , les 3, 4 et 5 avril et les 4, 5, 30 et 31 mai 1994, le tribunal régional tint des audiences et entendit des témoins. Certains de ceux-ci, qui s’étaient précédemment abstenus de comparaître, furent amenés au tribunal par la police.
40. Le 1er juin 1995, le tribunal régional de Cracovie reconnut le requérant coupable d’escroquerie et de faux et le condamna à six ans d’emprisonnement et à 5 000 PLN d’amende. Le 2 juin 1995, le requérant et son avocat déposèrent une déclaration d’appel.
41. Le 1er août 1995, le requérant se plaignit au ministre de la Justice de ce que les motifs du jugement de la juridiction de première instance n’avaient pas été rédigés dans le délai légal de sept jours. Il affirmait que deux mois s’étaient écoulés avant l’accomplissement de cette formalité.
42. A une date non précisée, le requérant sollicita son élargissement, faisant valoir que la prolongation de sa détention avait produit des effets délétères sur sa santé et sur le bien-être de sa famille. Le 14 août 1995, le tribunal régional de Cracovie rejeta sa demande. Le 31 août 1995, la cour d’appel de Cracovie, qui avait été saisie par le requérant, confirma ladite décision et jugea que l’intéressé devait être maintenu en détention au motif qu’il avait été condamné à six ans d’emprisonnement par le tribunal de première instance.
43. A une date non précisée, le requérant se plaignit au ministre de la Justice de la durée de la procédure relative à son affaire, soulignant que le tribunal régional de Cracovie avait omis de lui notifier dans le délai légal les motifs de son jugement. Cela avait eu pour effet, d’après lui, de prolonger de manière significative la procédure d’appel. Le 28 août 1995, le chef du service criminel du ministère de la Justice informa le requérant, en réponse à sa plainte, qu’il était probable que le document en question excédât deux cents pages et que le non-respect du délai légal s’expliquait par le fait que le juge rapporteur était en congé. Le 6 octobre 1995, le requérant se vit notifier les motifs du jugement de première instance et, à une date ultérieure non précisée, il forma un appel contre ce jugement de première instance. Le dossier fut transféré à la cour d’appel de Cracovie le 14 novembre 1995.
44. Le 22 février 1996, la cour d’appel de Cracovie annula le jugement rendu par la juridiction de première instance et ordonna que l’affaire fût rejugée, au motif que la juridiction inférieure avait siégé dans une mauvaise composition et qu’elle avait violé de nombreuses dispositions procédurales. Lors de l’audience, l’avocat du requérant avait sans succès invité la cour d’appel à annuler l’ordonnance de placement en détention.
45. Le 11 avril 1996, le dossier fut transmis à la juridiction de première instance.
46. Le 30 avril 1996, le requérant sollicita l’annulation ou la modification de la mesure préventive prononcée à son égard. Le 28 mai 1996, le tribunal régional de Cracovie rendit une décision qui comportait notamment le passage suivant :
« (...) A ce stade de l’affaire, le bon déroulement de la procédure peut être garanti par l’imposition de mesures préventives autres que la détention provisoire. (...) En conséquence, le tribunal soumet l’annulation de l’ordonnance de placement en détention à la condition que le requérant verse, à titre de caution, la somme de 10 000 PLN dans le délai d’un mois à compter de la date à laquelle la présente décision lui aura été notifiée. (…) »
47. A une date non précisée, le requérant interjeta appel de cette décision et demanda, en particulier, que le montant de la caution fût réduit et fixé en fonction de sa situation financière, ou qu’une autre mesure préventive fût imposée en lieu et place de la caution, par exemple un contrôle judiciaire.
48. Le 11 juin 1996, un expert psychiatre soumit un rapport. Il affirmait que le requérant était en état de dépression chronique et avait des pensées suicidaires. Il estimait également que l’intéressé était apte à participer aux audiences mais que son maintien en détention pouvait mettre sa vie en danger, eu égard à la probabilité de le voir tenter de se suicider.
49. Le 20 juin 1996, la cour d’appel de Cracovie rejeta le recours formé par le requérant contre la décision du 28 mai 1996, estimant que le montant de la caution n’était pas excessif.
50. A une date non précisée, le requérant se plaignit au médiateur (Rzecznik Praw Obywatelskich) du fait que la durée totale de sa détention provisoire excédait maintenant trois ans. La plainte fut transmise au président de la cour d’appel de Cracovie qui, le 12 juillet 1996, adressa au requérant une lettre dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi libellée :
« (…) Vous avez été inculpé d’escroquerie et de faux le 30 avril 1992. L’acte d’accusation visait dix coaccusés et les dépositions de 98 témoins ont été recueillies. La procédure a accusé du retard en raison du fait que vous vous êtes tenu caché jusqu’à votre nouveau placement en détention en octobre 1993. Vous avez également présenté de nombreuses demandes de libération. (…) La durée de la procédure entre la date du jugement de la juridiction de première instance et la date à laquelle le dossier a été envoyé à la cour d’appel s’explique par le volume de votre dossier et par la longueur des motifs du jugement (vingt-neuf liasses et cent quarante pages respectivement). (…) Prêts pour le 16 août 1995, les motifs écrits de la décision ne vous ont été notifiés que le 16 septembre 1995, du fait que le juge rapporteur était en vacances. Le seul retard survenu concerne l’instruction de votre demande de libération du 30 avril 1996, celle-ci n’ayant été examinée que le 28 mai 1996 en raison du fait que la période du 1er mai au 5 mai 1996 était fériée. (…) »
51. Entre temps, à une date non précisée, l’avocat du requérant invita une nouvelle fois le tribunal régional de Cracovie à modifier la mesure préventive imposée à son client ou à réduire le montant de la caution fixé par ladite juridiction le 28 mai 1996. Le 2 juillet 1996, le tribunal rejeta la requête. L’avocat du requérant interjeta appel de cette décision et soutint qu’eu égard au rapport psychiatrique du 11 juin 1996 l’ordonnance de placement en détention devait être annulée au motif que la vie du requérant était en danger.
52. Le 18 juillet 1996, la cour d’appel de Cracovie écarta le recours et jugea que le danger pour la vie du requérant n’était pas absolu dès lors que, selon elle, il pouvait bénéficier de consultations psychiatriques en prison. Elle estima également que l’ordonnance de placement en détention pouvait être annulée moyennant le versement de la caution de 10 000 PLN.
53. Le 31 juillet 1996, le requérant invita une nouvelle fois le tribunal régional de Cracovie à réduire le montant de la caution ou à modifier la mesure préventive dont il faisait l’objet. Il affirmait ne pas avoir suffisamment de moyens pour verser une somme aussi substantielle. Le 19 août 1996, le tribunal rejeta la demande, estimant que les arguments de l’intéressé relatifs à la question de la caution s’analysaient en une « polémique injustifiée avec les organes de la justice » et que la caution pouvait également être versée par des « tiers ».
54. A une date ultérieure non précisée, le requérant demanda au tribunal régional de Cracovie de le libérer, afin de lui permettre de verser la caution. Le 10 septembre 1996, le tribunal rejeta la requête. Il s’exprima notamment ainsi :
« (…) Il est logique que le requérant soit libéré une fois la caution versée. La demande de l’intéressé tendant au renversement de la séquence des événements est contraire aux règles de procédure et au bon sens. Elle doit donc être rejetée. (…) »
55. Le 29 octobre 1996, l’ordonnance de placement en détention fut annulée par le tribunal régional de Cracovie, après que la famille du requérant eut versé la somme de 10 000 PLN à titre de caution.
56. Du 22 février 1996, date à laquelle se déroula l’audience devant la cour d’appel de Cracovie, au 18 septembre 1997 à tout le moins, aucune audience consacrée au fond de l’affaire n’eut lieu.
57. Dans une lettre du 18 novembre 1998, le requérant informa la Commission que la procédure était toujours pendante devant le tribunal de première instance.
B. Droit interne pertinent
58. A l’époque pertinente, les règles régissant la détention provisoire étaient contenues dans le chapitre 24 du code de procédure pénale de 1969, sous le titre « Mesures préventives » (ces règles ne sont plus en vigueur car elles ont été abrogées et remplacées par un nouveau code de procédure pénale, adopté le 6 juin 1997 et entré en vigueur le 1er septembre 1998).
59. Parmi les mesures préventives énumérées par le code figuraient notamment la détention provisoire, la caution et le contrôle judiciaire.
L’article 209 du code de procédure pénale définissait les motifs généraux justifiant l’imposition de mesures préventives. Il était ainsi libellé :
« Des mesures préventives peuvent être imposées afin d’assurer le bon déroulement de la procédure si les preuves contre l’accusé justifient de manière suffisante l’opinion qu’il a commis une infraction pénale. »
60. Le code de procédure pénale définissait la marge d’appréciation des tribunaux en ce qui concerne le maintien des mesures préventives décidées. A propos de la détention provisoire, considérée comme la plus sévère des mesures préventives, le droit interne prévoyait qu’en principe elles ne devaient pas être imposées si des mesures moins rigoureuses s’avéraient appropriées ou suffisantes.
L’article 213 du code de procédure pénale était ainsi libellé :
« 1.Toute mesure préventive (y compris de détention provisoire) sera immédiatement annulée ou modifiée si son fondement a cessé d’exister ou si des circonstances nouvelles se sont fait jour qui justifient l’annulation ou le remplacement de la mesure par une autre, plus ou moins sévère. »
L’article 225 du même code énonçait :
« La détention provisoire ne doit être décidée qu’en cas de nécessité ; elle ne peut être imposée si le versement d’une caution ou un contrôle judiciaire, ou la combinaison de ces deux mesures, sont jugés adéquats. »
Les dispositions du code régissant la « détention obligatoire » (par exemple pendant l’instruction d’un recours formé contre une peine d’emprisonnement supérieure à trois ans) ont été abrogées le 29 juin 1995.
Dans les limites de la marge d’appréciation définie ci-dessus, le code de procédure pénale énumérait une liste de cas précis dans lesquels une détention provisoire pouvait être imposée.
L’article 217 du code, tel qu’il s’appliquait à l’époque pertinente, énonçait :
« La détention provisoire peut être imposée :
1.s’il existe un risque raisonnable de voir un accusé s’enfuir ou se cacher, en particulier si son identité ne peut être établie ou s’il n’a pas de domicile permanent [en Pologne], ou
2.s’il existe un risque raisonnable de le voir tenter de suborner des témoins ou d’entraver le bon déroulement de la procédure par tous autres moyens illégaux. (…) »
L’article 218 du code visait des situations particulières où une détention provisoire ne devait pas, en principe, être prolongée. Dans sa version applicable à l’époque des faits, cette disposition était ainsi libellée :
« Sauf raisons spéciales, une détention provisoire doit être annulée, en particulier,
1) si elle risque de compromettre gravement la vie ou la santé de l’accusé, ou
2) si elle est de nature à produire des effets excessivement néfastes sur l’accusé ou sa famille. »
61. L’article 219 du code de procédure pénale polonais traitait des soins médicaux à prodiguer aux accusés séjournant en détention provisoire. Il était ainsi libellé :
« Si l’état de santé d’un accusé nécessité des soins dans un établissement médical, l’intéressé ne peut continuer à être détenu que dans pareil établissement. »
62. L’article 214 prévoyait qu’un accusé pouvait à tout moment introduire une demande de libération auprès du tribunal compétent pour connaître de sa cause. Celui-ci devait statuer sur la demande dans un délai n’excédant pas trois jours.
63. L’article 371 prévoyait un délai pour la rédaction des motifs du jugement du tribunal de première instance dans les cas où il y avait appel. Sa partie pertinente en l’espèce était ainsi libellée :
« 1.Les motifs du jugement doivent être rédigés dans un délai de sept jours à compter de la date à laquelle un acte d’appel a été déposé ; s’il s’agit d’une affaire complexe où il est impossible de rédiger les motifs dans le délai prescrit, le président du tribunal peut proroger le délai pour une durée déterminée (…) »
64. Le code prévoyait deux voies de recours principales : l’appel, qui en vertu des articles 374 et suivants ne pouvait être interjeté que contre un jugement rendu par un tribunal, et l’appel interlocutoire, qui en vertu des articles 409 et suivants pouvait être interjeté contre les décisions autres que les jugements et contre les ordonnances prescrivant des mesures provisoires. Le code ne comportait aucune disposition spécifique prévoyant expressément des voies de recours pour attaquer l’inaction des organes judiciaires ou l’absence de décision dans le cadre d’une procédure pénale.
III.AVIS DE LA COMMISSION
A.Griefs déclarés recevables
65. La Commission a déclaré recevables les griefs suivants :
–les refus d’élargir le requérant s’analyseraient en un traitement inhumain ou dégradant ;
–la durée de la détention provisoire aurait excédé un délai raisonnable ;
–la durée de la procédure pénale dirigée contre l’intéressé aurait été excessive ; et
– le requérant n’aurait disposé en droit interne d’aucune voie de recours pour critiquer la durée de la procédure dont il a fait l’objet.
B.Points en litige
66. La Commission doit en conséquence examiner les questions de savoir :
–s’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
–s’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;
–s’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ; et
–s’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
C.Quant à l’article 3 de la Convention
67. Cette disposition est ainsi libellée :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
68. Le requérant soutient que, d’une manière générale, les autorités n’ont pas suivi les recommandations du rapport des experts médicaux daté du 25 novembre 1991 et d’après lequel il ne pouvait être maintenu en détention qu’à la condition d’être placé dans un service psychiatrique. Plus tard, après qu’il eut été replacé en détention le 4 octobre 1993, les autorités ne lui auraient pas prodigué des soins psychiatriques adéquats. Elles auraient totalement ignoré la nature de ses souffrances mentales, lesquelles, combinées avec son isolement, auraient provoqué ses tentatives répétées de suicide en prison. Toute l’attitude des autorités, et notamment le fait qu’elles ne tentèrent absolument rien pour traiter sa dépression chronique, leur indifférence totale à l’égard du fait que sa détention pouvait entraîner un risque grave pour sa vie, et leurs commentaires hautement injurieux au sujet de ses tentatives de suicide, l’aurait profondément humilié, faisant naître en lui des sentiments de crainte et d’infériorité. Le fait qu’il soit toujours en vie, ses tentatives de suicide ayant toutes échoué, ne saurait suffire, par lui-même, à prouver que les autorités lui aient prodigué des soins adéquats. Bien au contraire, ses tentatives de suicide montrent combien superficiel et insuffisant était le traitement psychiatrique administré par les autorités.
69. Le requérant souligne en outre que ses coaccusés furent libérés sous caution à un stade précoce de la procédure, alors qu’ils se trouvaient accusés d’infractions tout aussi graves. De surcroît, dès le 11 juin 1996, date à laquelle le psychiatre remit son rapport, les autorités étaient parfaitement conscientes du fait que son maintien en détention pouvait mettre sa vie en danger. Or elles lui réclamèrent une caution extraordinairement élevée, nonobstant son état de santé et sa situation financière. Cela lui aurait causé une angoisse et une incertitude supplémentaires. En conclusion, son maintien en détention, décidé sans tenir compte du fait que cette mesure pouvait mettre sa vie en danger, s’analyserait en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.
70. Le Gouvernement soutient que, pendant toute sa période de détention, le requérant a reçu un traitement médical adéquat pour son état de santé. Malgré ce traitement, son état n’a cessé de se détériorer à cause des tentatives répétées de suicide, que le Gouvernement décrit comme étant d’une « nature nettement instrumentale ». Le Gouvernement affirme également que les autorités ont suivi les recommandations des experts médicaux, en plaçant par exemple l’intéressé dans l’hôpital carcéral de Bytom en 1991 et en le libérant le 27 juillet 1992. Or, après son élargissement à cette date, le requérant n’eut recours à des soins psychiatriques qu’à trois reprises seulement.
71. Le Gouvernement fait en outre observer que le requérant fut par la suite réincarcéré au motif qu’il avait omis de comparaître devant le tribunal chargé de le juger. En conséquence, les refus subséquents de le libérer étaient justifiés par la nécessité d’assurer sa présence au procès.
72. La Commission rappelle que les mauvais traitements doivent atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3 (voir Cour eur. D.H., arrêt Assenov et autres c. Bulgarie du 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII, p. 3288, § 94). La même règle s’applique aux traitements dégradants (voir Cour eur. D.H., arrêts Costello-Roberts c. Royaume-Uni du 25 mars 1993, série A n° 247-C, p. 59, § 30 ; et Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, série A n° 26, pp. 14-15, §§ 29-30). L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause et, notamment, de la durée du traitement, de ses effets physiques et/ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir les arrêts Assenov et autres c. Bulgarie et Costello-Roberts c. Royaume-Uni précités).
73. La Commission rappelle en outre que l’article 3 de la Convention ne fait pas peser sur l’Etat une obligation générale de relâcher un détenu ou de le transférer dans un hôpital civil lorsqu’il souffre d’une maladie particulièrement difficile à soigner (voir Chartier c. Italie, rapport Comm. 8.12.88, D.R. 33, pp. 41 et suiv.).
74. En revanche, une absence de soins médicaux pendant une détention provisoire peut soulever une question sur le terrain de l’article 3 de la Convention. En pareil cas, les éléments à prendre en considération sont la gravité de l’état du détenu et la qualité des soins médicaux reçus par lui.
75. Dans ce contexte, la Commission rappelle également que l’Etat continue d’assumer l’obligation d’assurer un contrôle permanent des conditions de détention choisies, afin de garantir la santé et le bien-être de l’ensemble des détenus, compte tenu des exigences ordinaires et raisonnables de l’emprisonnement (voir, par exemple, Lukanov c. Bulgarie, rapport Comm. 12.1.95, D.R. 80-A, pp. 128 et suiv.).
76. En l’espèce, la Commission note qu’à un stade très précoce de la détention du requérant il fut établi que l’intéressé souffrait de dépression et devait recevoir des soins psychiatriques. En particulier, c’est à cause de l’état de sa santé mentale qu’il fut libéré le 27 juillet 1992 (§§ 22-23 ci-dessus). Il ne peut donc faire aucun doute que les autorités, lorsqu’elles ordonnèrent la réincarcération du requérant, savaient qu’il leur fallait veiller à ce que l’intéressé reçût un traitement adéquat en prison et contrôler de près si son état était compatible avec un maintien en détention.
77. La Commission note de surcroît qu’à une date non précisée, en octobre ou en novembre 1993, le tribunal régional de Cracovie, après avoir constaté que le requérant, compte tenu de sa santé mentale, n’avait pu participer dans de bonnes conditions à son procès, invita des experts médicaux à évaluer son état de santé. Il est vrai également qu’à l’époque les experts constatèrent que l’état du requérant
était compatible avec un maintien en détention (§ 26 ci-dessus).
78. En revanche, la Commission ne trouve aucune indication permettant de dire que pendant la période de trente mois qui s’ensuivit les autorités aient sérieusement cherché à vérifier si le requérant recevait bien un traitement psychiatrique adéquat, propre à l’empêcher de commettre de nouvelles tentatives de suicide, gestes qui, d’après les experts, n’étaient pas à exclure (§ 22 ci-dessus). De fait, ce n’est qu’en juin 1996 que le tribunal régional de Cracovie reçut un nouveau rapport émanant d’un psychiatre. Dans l’intervalle, le requérant avait tenté par deux fois de mettre fin à ses jours en prison. Ni ses tentatives de suicide ni sa demande d’audition de psychiatres n’amenèrent le tribunal à désigner des experts afin de déterminer si son état était toujours compatible avec son maintien en détention. De surcroît, pour refuser de commettre des experts les tribunaux se fondèrent sur l’appréciation de la situation faite par le personnel de la prison, et non sur une évaluation médicale tant soit peu fiable (§§ 36-38 ci-dessus).
79. Le 11 juin 1996, cependant, le tribunal obtint un rapport d’un psychiatre. D’après cet expert, l’état de santé du requérant avait atteint le stade de la dépression chronique, et son maintien en détention devait faire craindre pour sa vie (§ 48 ci-dessus). Or le tribunal, estimant que le danger pour la vie du requérant n’était pas « absolu », décida de le garder au centre de détention de Cracovie jusqu’au moment où sa famille aurait versé la caution réclamée (§§ 51-55 ci-dessus). La possibilité de faire soigner l’intéressé dans un établissement médical en vertu de l’article 219 du code de procédure pénale (§ 61 ci-dessus) ne semble pas avoir été envisagée.
80. La Commission n’est pas persuadée par les arguments du Gouvernement selon lesquels les tentatives de suicide du requérant étaient des gestes tactiques. A cet égard, elle relève également que le Gouvernement est resté en défaut de produire la moindre preuve à l’appui de cette affirmation péremptoire (§ 70 ci-dessus).
81. Pour la Commission, le maintien en détention du requérant dans le centre de détention de Cracovie après le 11 juin 1996 et contre les recommandations de l’expert était porteur de risques graves pour le bien-être de l’intéressé et doit inévitablement l’avoir soumis à une tension et à des souffrances mentales.
82. Ce fait, combiné avec la nature et la gravité de la maladie du requérant, l’absence apparente de surveillance de sa santé mentale, la longueur considérable de la période pendant laquelle il est demeuré en détention contre l’avis du médecin et les graves effets mentaux étant résultés de la détention (et dont la meilleure preuve réside dans les tentatives répétées de suicide faites par le requérant) constituent, pour la Commission, des éléments justifiant l’avis que le requérant a été soumis à un traitement atteignant le minimum de gravité requis pour un constat de violation de l’article 3 de la Convention.
CONCLUSION
83. La Commission conclut, par 14 voix contre 13, qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.
D.Quant à l’article 5 § 3 de la Convention
84. Cette disposition est ainsi libellée :
« 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (…) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »
85. Le requérant soutient que le 4 octobre 1993 il fut à nouveau placé en détention, sans aucun motif valable. En particulier, sa non-comparution aux audiences avait été justifiée par des certificats médicaux attestant qu’il n’était pas en mesure de comparaître devant le tribunal à cause de sa maladie. Sa réincarcération constituait une mesure extrême, dès lors que le tribunal aurait pu tout d’abord vérifier la réalité de son mauvais état de santé au cas où il n’aurait pas considéré les certificats médicaux en question comme crédibles ou suffisants. Certes, sa détention fut finalement remplacée par une libération sous caution ; cette mesure était toutefois motivée uniquement par le fait que, pendant plusieurs mois après l’audience d’appel, le tribunal n’avait plus du tout fait progresser la procédure.
86. Le requérant soutient en outre que les autorités ont subordonné sa libération à la condition qu’il verse une somme inhabituellement élevée à titre de caution. Cette somme aurait été fixée sans aucun égard à sa situation financière réelle. Elle équivalait à 25 fois le salaire mensuel de son épouse, dont les revenus étaient inférieurs à la moyenne de l’époque. Il aurait fallu cinq mois à sa famille pour réunir la somme en question et la verser au tribunal. Pendant ce temps, toutes ses demandes de réduction de la caution se seraient soldées par un échec. Cela aurait eu pour effet de prolonger inutilement sa détention et d’aggraver sa dépression. A cet égard, l’intéressé se réfère au fait que, dès le 11 juin 1996, les psychiatres avaient conclu que son maintien en détention pouvait représenter un danger pour sa vie.
87. Le Gouvernement soutient que, compte tenu de la compétence ratione temporis de la Commission, la détention du requérant, qui s’étendit du 4 octobre 1993, date à laquelle il fut replacé en détention, au 1er juin 1995, date à laquelle il fut condamné en première instance, puis du 22 février 1996, date à laquelle sa condamnation fut annulée, au 29 octobre 1996, date à laquelle il fut libéré sous caution, n’a pas dépassé le « délai raisonnable » visé à l’article 5 § 3 de la Convention.
88. Il souligne que, spécialement avant le 1er juin 1995, le requérant a présenté de multiples demandes de libération et recours contre les décisions de rejet correspondantes. De surcroît, après le 22 février 1996, le requérant aurait pu être élargi immédiatement s’il avait versé la caution de 10 000 PLN. Le non-versement de la caution mit le tribunal dans l’impossibilité de modifier la mesure préventive imposée à l’intéressé. Le Gouvernement admet que la somme en question équivalait à environ dix fois le salaire mensuel moyen de l’époque en Pologne.
89. La Commission rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle, et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que sur la base des faits indiqués par l’intéressé dans ses recours, que les organes de la Convention doivent déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (voir, entres autres, Cour eur. DH., arrêt Muller c. France du 17 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II n° 32, p. 388, § 35 ; arrêt Assenov et autres c. Bulgarie, loc. cit., § 154).
90. La Commission rappelle en outre que la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir accompli une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain temps elle ne suffit plus. Il faut alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quant ils se révèlent « pertinents » et « suffisants », il faut de surcroît rechercher si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (arrêt Assenov et autres c. Bulgarie, précité, loc. cit.).
91. Ainsi qu’elle l’a déjà constaté dans sa décision sur la recevabilité de la requête, la Commission ne peut examiner le grief du requérant tiré de la durée de sa détention que dans la mesure où il couvre la période postérieure au 1er mai 1993, date de prise d’effet de la déclaration polonaise reconnaissant le droit de recours individuel.
92. La Commission note de surcroît qu’après cette date il y eut deux périodes de détention relevant du paragraphe 3 de l’article 5. La première s’étendit du 4 octobre 1993 au 1er juin 1995, et dura donc un an et presque huit mois. Par la suite, le requérant fut détenu en attendant l’issue du recours interjeté par lui contre la condamnation qui lui avait été infligée en première instance. La seconde période s’étendit du 22 février au 29 octobre 1993 et a donc duré huit mois et sept jours. Ainsi, la détention du requérant a duré au total plus de deux ans et quatre mois (§§ 25 et 40 et §§ 44 et 55 ci-dessus).
93. La Commission a tout d’abord examiné les raisons invoquées par les autorités polonaises à l’appui de leurs décisions en matière de détention. Elle constate que le motif principal pour lequel le requérant fut incarcéré le 4 octobre 1993 résidait dans sa non-comparution au procès (§§ 24-25 ci-dessus). A cet égard, le requérant soutient qu’il a dûment justifié son absence aux audiences puisqu’il a soumis un certificat médical attestant qu’il était malade (§ 85 ci-dessus). Ce point n’est pas contesté par le Gouvernement (§§ 87-88 ci-dessus). La Commission note de surcroît que la non-comparution du requérant devant le tribunal amena les autorités à diffuser un avis de recherche le concernant (§ 25 ci-dessus). Les parties n’ont toutefois soumis aucune décision judiciaire relative à ces événements. Le dossier ne fait pas davantage apparaître clairement pourquoi l’ordonnance de placement en détention du 18 février 1993 n’avait toujours pas été exécutée le 4 octobre 1993. Dans ces conditions, et eu égard au fait que nul ne conteste que le requérant a justifié sa non-comparution devant le tribunal le 8 février 1993, la Commission considère qu’il n’est pas avéré que les autorités eussent des raisons véritables de croire que la détention du requérant était à l’époque nécessaire pour garantir le bon déroulement de la procédure.
94. De même, la Commission n’est pas convaincue par les motifs cités par les autorités aux stades plus tardifs de la procédure. Elle observe tout d’abord que les autorités invoquèrent la nécessité de garantir le bon déroulement de la procédure pour justifier le maintien en détention du requérant (§ 38 ci-dessus). Dans un cas, elles affirmèrent que le requérant devait être détenu au motif qu’il s’était précédemment soustrait à la justice (§ 34 ci-dessus). Elles ne précisèrent pas en quoi la libération de l’intéressé aurait affecté le bon déroulement du procès.
95. La Commission observe de surcroît que longtemps les tribunaux négligèrent d’examiner la possibilité d’imposer d’autres mesures aptes à garantir la comparution du requérant au procès, comme par exemple le versement d’une caution ou le placement sous contrôle judiciaire, ces deux mesures étant censées assurer le bon déroulement des procédures pénales en droit polonais (§ 60 ci-dessus).
96. Il est vrai que, le 28 mai 1996, les autorités jugèrent finalement que le requérant devait être libéré sous caution. Elles fixèrent toutefois la caution à un niveau qui correspondait à celui du salaire annuel moyen de l’époque en Pologne et qui, compte tenu du fait qu’il fallut à la famille du requérant cinq mois pour réunir l’argent, doit être considéré comme très élevé pour une personne qui séjournait en prison depuis deux an et demi (§§ 46-55 et 87-88 ci-dessus). Aussi la Commission considère-t-elle qu’en imposant une condition aussi sévère à son élargissement les autorités ont retardé de manière significative la libération du requérant, méconnaissant ainsi son droit à être libéré pendant la procédure moyennant une garantie assurant sa comparution au procès, au sens de la dernière phrase du paragraphe 3 de l’article 5.
97. La Commission doit ensuite vérifier si les autorités ont fait preuve d’une « diligence particulière » dans la conduite de la procédure. A cet égard, elle observe que l’on ne peut pas dire que, pendant la période antérieure à la condamnation initale du requérant en première instance, c’est-à-dire jusqu’au 1er juin 1995, les autorités n’aient pas agi avec la diligence requise pour instruire la cause. Cette constatation se fonde notamment sur le volume des preuves examinées par le tribunal de première instance et sur le nombre d’audiences tenues pendant la période (§§ 26-40 ci-dessus).
98. La Commission observe toutefois que l’on ne peut guère tenir le même discours pour ce qui est de la période du 22 février 1996, date à laquelle la condamnation du requérant fut annulée, au 29 octobre 1996, date à laquelle l’intéressé fut finalement élargi. Pendant tout ce temps, il n’y eut aucun progrès dans la procédure, et la seule activité procédurale déployée par le tribunal a consisté à rendre des décisions rejetant les demandes présentées par le requérant afin d’obtenir une réduction du montant de sa caution (§§ 44-55 ci-dessus).
99. En conclusion, eu égard à ladite période d’activité insuffisante de la part des tribunaux, à l’importance de la somme réclamée à titre de caution et au fait que les autorités sont restées en défaut de fournir des raisons pertinentes et suffisantes justifiant la détention du requérant, la Commission considère qu’il y a eu violation du droit de ce dernier a être jugé dans un délai raisonnable ou libéré pendant la procédure.
CONCLUSION
100. La Commission conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
E.Quant à l’article 6 § 1 de la Convention
101. La partie pertinente en l’espèce de cette disposition est ainsi libellée :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) établi par la loi, qui décidera (…) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) ».
102. Le requérant soutient que la durée globale de la procédure incriminée, soit plus de sept ans, montre qu’il n’a pas été jugé dans un délai raisonnable. De surcroît, du 22 février 1996, date à laquelle eut lieu l’audience d’appel, au 18 septembre 1997, date à laquelle le requérant déposa ses observations en réponse à celles du Gouvernement, aucune audience consacrée au fond de l’affaire ne fut tenue en l’espèce.
103. Le requérant estime que sa non-comparution aux audiences n’a pas contribué à allonger la procédure. En particulier, il produisit des certificats médicaux attestant clairement que sa non-comparution aux audiences était une conséquence de sa maladie et non une tentative délibérée de perturber le bon déroulement de la procédure.
104. Le Gouvernement soutient pour sa part que la cause du requérant était complexe. Elle portait sur un nombre important de graves accusations d’escroquerie et le requérant avait neuf coaccusés. Le tribunal dut examiner un volume important de preuves. Les audiences se succédèrent assez rapidement, à des intervalles n’excédant pas un mois. Le requérant fit obstacle au bon déroulement du procès. En particulier, l’ajournement de la cause du 8 février au 4 octobre 1993, soit pendant une période de pratiquement huit mois, est à mettre en rapport avec le fait que la non-comparution du requérant aux audiences avait amené les autorités à diffuser un avis de recherche le concernant. De surcroît, le placement du requérant en observation psychiatrique dans le cadre d’une autre procédure pénale et la maladie du président du tribunal contribuèrent à allonger la durée du procès devant le tribunal de première instance.
105. En ce qui concerne la procédure d’appel, le Gouvernement fait observer qu’elle a duré à peu près six mois, ce qui est d’après lui acceptable. Il conclut que la durée de la procédure suivie en l’espèce n’a pas dépassé le « délai raisonnable » visé à l’article 6 § 1 de la Convention.
106. La Commission rappelle que le caractère raisonnable ou non de la durée d’une procédure s’apprécie à la lumière des circonstances de l’espèce et compte tenu des critères fixés dans la jurisprudence des organes de la Convention, en particulier la complexité de la cause, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (Voir, Cour eur. DH., arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd du 31 mars 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 662, § 97).
107. La Commission observe que la période à prendre en considération a commencé non pas le 8 août 1991, date à laquelle le requérant fut inculpé d’escroquerie et de faux, mais le 1er mai 1993, date à laquelle la déclaration polonaise reconnaissant le droit de recours individuel aux fins de l’ancien article 25 de la Convention a pris effet. Toutefois, afin d’apprécier le caractère raisonnable ou non de la durée en question, la Commission tiendra compte de l’état d’avancement de la procédure à cette date. Elle note qu’à ce stade la procédure durait déjà depuis vingt et un mois. De surcroît, les parties ne l’ayant pas informée de l’évolution ultérieure de la procédure, elle appréciera la durée de celle-ci en tenant compte uniquement de la période du 1er mai 1993 au 18 novembre 1998, date à laquelle le requérant informa la Commission que la procédure se trouvait toujours pendante devant le tribunal régional de Cracovie (§ 57 ci-dessus). En conséquence, la durée totale de la période à considérer sous l’angle de l’article 6 § 1 est d’environ cinq ans et demi.
108. La Commission observe qu’eu égard au volume des preuves recueillies et examinées par le tribunal de première instance au cours de cette période, au nombre d’accusations portées contre le requérant et ses neuf coaccusés et au nombre important de témoins entendus, il ne peut faire aucun doute que l’affaire était complexe (§ 21 ci-dessus).
109. Il apparaît également que jusqu’au 22 février 1996, date à laquelle eut lieu l’audience d’appel devant la cour d’appel de Cracovie, les autorités ont instruit la cause du requérant avec la diligence requise. Durant cette période, les tribunaux ont tenu de nombreuses audiences, à des intervalles raisonnables, et la procédure a progressé sans aucun retard imputable aux autorités (§§ 26-44 ci-dessus).
110. En revanche, la même appréciation ne peut être faite en ce qui concerne la conduite de la procédure après le 22 février 1996. Aucune audience sur le fond ne se tint pendant une période substantielle d’au moins dix-neuf mois après cette date, soit jusqu’au 18 septembre 1997 (§ 56 ci-dessus). Nonobstant le fait que les parties ont omis d’informer la Commission de la manière dont le procès du requérant s’est déroulé par la suite, il est établi que le 18 novembre 1998 la procédure était toujours pendante devant le tribunal régional de Cracovie (§ 57 ci-dessus).
111. En conséquence, la Commission considère que ladite période d’environ dix-neuf mois, alors que rien apparemment ne justifiait la stagnation de la procédure, démontre qu’à cet égard les juridictions polonaises ont méconnu le droit du requérant à être jugé dans un délai raisonnable.
CONCLUSION
112. La Commission conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
F.Quant à l’article 13 de la Convention
113. Cette clause est ainsi libellée :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
114. Le requérant se plaint de n’avoir pas bénéficié d’un recours interne effectif pour se plaindre de la durée de la procédure suivie dans sa cause. Il n’étaye toutefois d’aucun argument cette allégation de violation de l’article 13 de la Convention.
115. Le Gouvernement soutient qu’en vertu de l’article 409 du code de procédure pénale le requérant avait la possibilité de former un recours interlocutoire contre toute décision autre qu’un jugement ou contre toute ordonnance prescrivant une mesure préventive à son encontre. De surcroît, en vertu de l’article 214 du même code, il pouvait à tout moment inviter le tribunal compétent pour connaître de sa cause à annuler l’ordonnance de placement en détention ou à la remplacer par une autre mesure.
116. Le Gouvernement conclut que les recours mentionnés par lui satisfont aux exigences de l’article 13 de la Convention en ce qui concerne la présente requête.
117. Eu égard à sa décision relative à l’article 6, la Commission ne juge pas nécessaire d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 13 également (voir l’arrêt Pizetti c. Italie du 26 février 1993, série A n° 257-C, p. 37, §§ 20-21).
CONCLUSION
118. La Commission conclut, par 18 voix contre 9, qu’il ne s’impose pas en l’espèce de rechercher s’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
G.Récapitulation
119. La Commission conclut, par 14 voix contre 13, qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention.
120. La Commission conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 § 3 de la Convention.
121. La Commission conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
122. La Commission conclut, par 18 voix contre 9, qu’il ne s’impose pas en l’espèce de rechercher s’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
M.-T. SCHOEPFER S. TRECHSEL
SecrétairePrésident
De la Commissionde la Commission
(Or. Anglais)
OPINION SÉPARÉE DE Mme J. LIDDY
Je souscris au constat de violation des articles 3, 5 § 3 et 6 § 1 (ainsi qu’à l’opinion dissidente commune à plusieurs membres de la Commission pour lesquels il y a eu également violation de l’article 13).
J’ai toutefois quelque hésitation en ce qui concerne le raisonnement suivi pour conclure à la violation de l’article 5 § 3 dans la mesure où, aux paragraphes 96 et 99, il est dit que le montant réclamé à titre de caution était trop élevé. Je note à cet égard que, le 19 août 1996, le tribunal régional de Cracovie fit observer que si le requérant ne disposait pas de ressources suffisantes la caution pouvait être versée par des tiers. Ce raisonnement semble compatible avec l’idée que si les amis et les membres de la famille éloignée d’un individu lui font confiance pour ne pas se soustraire à la justice, ils doivent pouvoir se mettre ensemble pour réunir la caution.
J’aurais préféré que le raisonnement plaçât davantage l’accent sur le délai mis par les autorités à considérer le versement d’une caution comme une solution pouvant se substituer à la détention, ainsi qu’il est dit au paragraphe 95 du rapport. Entre octobre 1993 et mai 1996, les autorités ne semblent avoir nullement envisagé « l’obtention des garanties qui, suivant l’article 5 § 3, peuvent accompagner une mise en liberté provisoire afin de diminuer les risques qu’elle présente » (arrêt Neumeister contre Allemagne du 27 juin 1968, série A, vol. 8, § 12).
(Or. Anglais)
OPINION DISSIDENTE DE MM. S. TRECHSEL, Gaukur JÖRUNDSSON,
A.S. GÖZÜBÜYÜK, J.-C. SOYER, H. DANELIUS et F.MARTINEZ,
M. PELLONPÄÄ, B. MARXER, I. BÉKÉS, K. HERNDL, E. BIELIŪNAS
Nous regrettons de ne pouvoir partager l’avis selon lequel il y a eu en l’espèce violation de l’article 3 de la Convention. Voici pourquoi.
Dans un rapport psychiatrique du 15 juin 1992 il fut établi que le requérant souffrait de dépression et qu’il avait besoin d’un traitement psychiatrique approprié. Toutefois, après que l’intéressé eut été placé en détention le 4 octobre 1993, un nouveau rapport psychiatrique fut présenté qui concluait qu’il ne souffrait d’aucune maladie mentale à l’époque et que son état mental ne formait pas obstacle à son maintien en détention.
Le requérant a évoqué les troubles mentaux dont il a souffert pendant sa détention ultérieure et qui débouchèrent sur deux tentatives de suicide, la première en décembre 1993 ou janvier 1994, lorsqu’il prit une surdose de drogues, la seconde en janvier 1995, lorsqu’il tenta de se pendre. Le Gouvernement a mis en doute l’authenticité de ces tentatives de suicide. Les éléments du dossier ne nous permettent pas de conclure clairement sur ce point, mais nous notons que pendant une certaine période en 1994, soit après sa première tentative de suicide, le requérant séjourna en observation psychiatrique à l’hôpital carcéral de Wrocław en rapport avec une autre procédure pénale. Nous notons également que, dans plusieurs décisions, les juridictions polonaises ont attaché du poids à l’avis des agents pénitentiaires, qui croyaient que les tentatives de suicide n’étaient pas authentiques, et c’est la raison pour laquelle les tribunaux n’ont plus jugé nécessaire, pendant un certain temps, de faire procéder à de nouveaux examens psychiatriques.
Le 11 juin 1996, lorsqu’un nouveau rapport psychiatrique fut finalement remis, il formulait l’avis que le requérant souffrait d’une dépression chronique et que son maintien en détention pouvait mettre sa vie en péril. Nonobstant cette expertise, le requérant demeura en prison pendant encore quatre mois et demi. Au cours de cette période, les juridictions refusèrent de le relâcher avant le versement de la caution, et la cour d’appel de Cracovie fit observer dans une décision que le danger pour la vie de l’intéressé se trouvait réduit du fait qu’il pouvait obtenir des consultations psychiatriques en prison. Après que la famille du requérant eut versé la caution, le tribunal régional de Cracovie ordonna l’élargissement de l’intéressé le 29 octobre 1996.
Si l’on peut affirmer que les tribunaux auraient dû prêter davantage attention à l’état psychiatrique du requérant ainsi qu’au risque de le voir commettre de nouveaux actes de suicide, nous ne pouvons conclure, après nous être livrés à une appréciation globale des circonstances, que les autorités aient exposé le requérant à une souffrance d’une gravité telle qu’elle s’analyse en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.
(Or. Français)
DISSENTING OPINION OF MR J.-C. GEUS
To my great regret I had to vote against the finding of a violation of Article 3 in the present case for the sole reason that the Court found no violation of this provision in the case of Aerts v. Belgium. In paragraph 66 of its judgment of 30 July1998, the Court held that “[t]he living conditions on the psychiatric wing at Lantin do not seem to have had such serious effects on [the applicant’s] mental health as would bring them within the scope of Article 3”. I myself voted in favour of finding a violation of Article 3 in that case.
Admittedly, assessment of the minimum level of severity that ill-treatment must attain if it is to fall within the scope of Article 3 is, in the nature of things, relative and depends on all of the circumstances of the case (see the Vilvarajah and Others judgment, Series A no. 215, para. 107 ), so that each case is different.
Nevertheless, a comparison of the relevant facts in the two cases leads me to conclude that the circumstances in this case are less serious. Here, I refer to the dissenting opinion of the other members of the minority. I add that the majority focused on detention after 11 June 1996, for which the applicant is partly responsible: after refusing to pay an allegedly excessive sum of bail, he was able to comply in October 1996 when his appeals had been rejected.
The fact remains that the applicant was placed under the responsibility of the Polish authorities, who in my opinion do not seem to have paid adequate attention to his state of health. Without the Aerts judgment – which I did not find persuasive – I would probably have voted differently.
(Or. Anglais)
OPINION DISSIDENTE DE Mmes G. THUNE et J. LIDDY,
SIR NICOLAS BRATZA, ET MM. E. ALKEMA, M. VILA-AMIGO,
R. NICOLINI et A. ARABADIJEV
Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à l’avis de la majorité de la Commission selon lequel il ne s’impose pas d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 13 de la Convention. Il nous paraît non seulement que pareil examen est nécessaire, mais que l’article 13 a été violé en l’espèce.
Nous rappelons que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tel qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition (voir, Cour eur. DH, arrêt Kaya c. Turquie du 19 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, § 106, p.329).
De surcroît, la portée de l’obligation découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief que le requérant fonde sur la Convention. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (voir, l’arrêt Kaya v. Turquie précité).
En l’espèce, le requérant se plaint de n’avoir pas disposé d’un recours au travers duquel il aurait pu critiquer de manière effective devant les autorités internes la longueur de la procédure pénale dont il avait fait l’objet et faire statuer sur sa cause dans un délai raisonnable comme l’exige l’article 6 § 1 de la Convention.
Le Gouvernement considère apparemment quant à lui que le requérant aurait pu, en formant sur le fondement des articles 214 ou 409 du code de procédure pénale des recours contre les décisions autres que des jugements ou des ordonnances prescrivant des mesures préventives, soulever la question de la durée de son procès devant les autorités internes et obtenir réparation.
Nous observons que d’après la jurisprudence de la Commission il n’existe en Pologne aucun recours effectif permettant de se plaindre de la durée excessive d’une procédure pénale (voir n° 28346/95, déc. 14.01.98, non publiée). Nous estimons que le Gouvernement n’a pas produit d’arguments convaincants à l’appui de sa thèse selon laquelle le requérant aurait pu faire statuer sur la cause dans un délai raisonnable en faisant usage des recours cités par le Gouvernement.
Dans ce contexte, nous rappelons en outre que même si certains aspects de l’article 6 doivent être considérés comme lex specialis par rapport à l’article 13 – par exemple dans les affaires où le droit d’accès à un tribunal se trouve en jeu (voir, par exemple, Cour eur. DH, arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1983, série A n° 52, § 88) – la même observation ne peut être faite en ce qui concerne le droit d’un individu à voir statuer sur sa cause par un tribunal dans un délai raisonnable.
Nous estimons que dans les affaires où les juridictions nationales ont omis de statuer dans un délai raisonnable comme l’exige l’article 6 § 1, les exigences de l’article 13 de la Convention doivent être interprétées comme relayant les exigences de l’article 6, et donc comme allant de pair avec elles, et qu’elles ne se trouvent pas absorbées par l’obligation générale que comporte cette dernière disposition de protéger les parties à des procédures judiciaires contre des durées de procédure excessives.
Nous considérons en outre que l’obligation légale pour les Etats de veiller à ce que les affaires soient jugées dans un délai raisonnable et le droit correspondant pour tout individu de voir statuer sur sa cause dans un délai raisonnable s’avéreraient illusoires si un individu devait se retrouver sans aucune possibilité de soumettre en substance son grief tiré de la Convention à une autorité nationale avant de le soulever devant un organe judiciaire international. En juger autrement ne serait d’après nous pas satisfaisant, dès lors spécialement que rien dans le libellé de l’article 13 n’exclut l’application de cette clause à des violations de la Convention commises par des tribunaux (voir Mikulski c. Pologne, rapport Com. 9.10.98, non publié). Pareille démarche ne serait pas non plus compatible avec le caractère subsidiaire du mécanisme de la Convention.
Pour ces motifs, nous estimons que l’article 13 doit être interprété comme garantissant le droit à un recours effectif contre une violation du droit à un procès dans un « délai raisonnable », exactement comme il garantit le droit à un recours effectif contre les violations des autres droits garantis par la Convention.
A cet égard nous rappelons que, dans son rapport relatif à l’affaire Mikulski c. Pologne précité, la Commission a déjà formulé l’avis que, compte tenu de la fréquence des constats de violation du droit à un procès dans un délai raisonnable, les Etats devraient être supposés, au titre de l’article 13 de la Convention, créer des voies de recours internes destinées à garantir que la justice soit rendue dans un délai raisonnable sans qu’il soit nécessaire de mettre en branle la procédure de la Convention. Nous relevons à cet égard que des considérations analogues semblent avoir inspiré, par exemple, l’arrêt de la Cour dans l’affaire A.P. c. Italie (voir Cour eur. DH, arrêt A.P. c. Italie du 28 juillet 1999, à paraître dans le Recueil 1999, ... § 18).
En somme, vu que le requérant n’a disposé d’aucun recours au travers duquel il aurait pu faire examiner en substance par l’autorité nationale compétente son grief concernant la durée de la procédure engagée contre lui, nous concluons que l’article 13 de la Convention a été violé.
(Or. Anglais)
OPINION DISSIDENTE DE M. M.A. NOWICKI
Je me vois dans l’incapacité de souscrire à l’avis de la majorité de la Commission selon lequel il ne s’impose pas en l’espèce de rechercher s’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
D’après moi, une violation de l’article 13 devrait également être relevée en cas de constat d’une violation de l’article 6. Dans son arrêt Pizzetti, nul ne le conteste, la Cour a décidé dans une situation analogue qu’il n’y avait pas besoin d’instruire le grief tiré de l’article 13. Cette opinion mérite toutefois d’être réexaminée.
La conclusion à laquelle la majorité a abouti n’est légitime que dans le cas de griefs tirés de l’article 6 à l’égard desquels cet article offre des garanties plus fortes que celles prévues par l’article 13 et doit donc s’appliquer en priorité. En pareille situation, il suffit de constater une violation de l’article 6, et un examen des griefs tirés de l’article 13 ne s’impose pas. La situation est différente toutefois si le grief fondé sur l’article 13 concerne précisément l’absence de tout recours contre une violation alléguée de l’article 6 tenant à la longue durée d’une procédure, comme c’est le cas en l’espèce. Il serait parfaitement illogique et incohérent avec la ratio legis de cet article de décider qu’il ne s’impose pas d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 13 en pareilles circonstances. Cette situation n’est nullement différente des autres cas d’application de l’article 13, qui – chacun le sait – n’opère pas de manière indépendante et doit toujours être rapporté à un grief de violation d’une autre disposition normative de la Convention ou de ses Protocoles, article 6 § 1 inclus. En pareilles circonstances, les organes de la Convention doivent, me semble-t-il, se prononcer explicitement aussi sur une possible violation de l’article 13 de la Convention.
Le requérant ne disposait d’aucun recours effectif devant une autorité nationale pour critiquer la durée de la procédure dirigée contre lui. J’estime dès lors que l’article 13 de la Convention a été violé.
(Or. Français)
DISSENTING OPINION OF MR J.-C. GEUS
To my great regret, I cannot agree with the majority opinion that there has been a violation of Article 3 and no violation of Article 13.
In my opinion, there was no violation of Article 3, for the reasons set out in the dissenting opinion of Mr Trechsel and those who joined him, but there was a violation of Article 13 , for the reasons set out in the dissenting opinion of Mrs Thune and those who joined her.
Textes cités dans la décision