CEDH, Comité des ministres, AFFAIRE YVON c. LA FRANCE, 20 juin 2007, 44962/98

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Comité des Ministres, 20 juin 2007, n° 44962/98
Numéro(s) : 44962/98
Résolution : CM/ResDH(2007)79
Type de document : Résolution
Date d’introduction : 7 octobre 1998
Date de jugement : 24 avril 2003
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Informations fournies par le gouvernement concernant les mesures prises permettant d'éviter de nouvelles violations. Versement des sommes prévues dans l'arrêt
Identifiant HUDOC : 001-81515
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Texte intégral

Résolution CM/ResDH(2007)79[1]

Exécution de l'arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme

Yvon contre la France

(Requête no 44962/98, arrêt du 24 avril 2003, définitif le 24 juillet 2003)

Le Comité des Ministres, en vertu de l'article 46, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, qui prévoit que le Comité contrôle l'exécution des arrêts définitifs de la Cour européenne des Droits de l'Homme (ci-après nommées « la Convention » et « la Cour »),

Vu l'arrêt transmis par la Cour au Comité une fois définitif ;

Rappelant que la violation de la Convention constatée par la Cour dans cette affaire concerne une atteinte au principe de l'égalité des armes du fait que le commissaire du gouvernement (« partie » à l'instance en fixation des indemnités d'expropriation défendant des intérêts similaires à ceux de l'autorité expropriante – l'Etat dans cette affaire) bénéficiait d'une position privilégiée dans la procédure devant les juridictions de l'expropriation (violation de l'article 6, paragraphe 1, voir détails dans l'Annexe) ;

Ayant invité le gouvernement de l'Etat défendeur à l'informer des mesures prises suite à l'arrêt de la Cour, eu égard à l'obligation qu'a la France de s'y conformer selon l'article 46, paragraphe 1, de la Convention ;

Ayant examiné les informations transmises par le gouvernement conformément aux Règles du Comité pour l'application de l'article 46, paragraphe 2, de la Convention (voir détails dans l'Annexe);

S'étant assuré que l'Etat défendeur a versé à la partie requérante la satisfaction équitable prévue dans l'arrêt (voir détails dans l'Annexe),

Rappelant que les constats de violation par la Cour exigent, outre le paiement de la satisfaction équitable octroyée par la Cour dans ses arrêts, l'adoption par l'Etat défendeur, si nécessaire :

- de mesures individuelles mettant fin aux violations et en effaçant les conséquences, si possible par restitutio in integrum; et

- de mesures générales, permettant de prévenir des violations semblables ;

Notant, en ce qui concerne la question des mesures individuelles, que le droit français ne prévoit aucune possibilité d'examiner la nécessité de rouvrir ou de réexaminer la présente affaire, suite à l'arrêt de la Cour européenne ;

Considérant que cette situation ne dispense pas le Comité d'examiner, du point de vue de la Convention, si des mesures appropriées sont néanmoins nécessaires pour assurer autant que possible la restitutio in integrum ;

Considérant toutefois, après examen approfondi par le Comité des Ministres des éléments à sa disposition, qu'en l'espèce le requérant ne semble pas subir de conséquences négatives très graves de la violation, et notant par ailleurs que le requérant ne s'est pas manifesté dans la procédure devant le Comité des Ministres ;

Concluant par conséquent que, dans cette affaire, la France n'était pas appelée, en vertu de l'article 46, paragraphe 1 de la Convention, à adopter des mesures d'ordre individuel spécifiques, en plus du paiement de la satisfaction équitable octroyée par la Cour ;

Relevant qu'à l'occasion de l'examen de l'affaire Yvon, la question de la réouverture des procédures « civiles » au sens de la Convention, à la suite d'un constat de violation de l'article 6 par la Cour, a été discutée et qu'une réflexion plus générale sur le développement dans les systèmes juridiques nationaux de possibilités appropriées pour le réexamen d'une affaire, y compris la réouverture, est engagée par les gouvernements, notamment dans les instances intergouvernementales du Conseil de l'Europe (voir inter alia la Recommandation Rec(2000) 2 du Comité des Ministres et les arrêts de la Cour San Leonard Band Club contre Malte du 29 juillet 2004, Lungoci contre la Roumanie du 26 janvier 2006, Gurov contre la Moldova du 11 juillet 2006 et Yanakiev contre la Bulgarie du 10 août 2006) ;

Ayant pris note des mesures générales adoptées par les autorités françaises pour prévenir de nouvelles violations similaires,

DECLARE, après avoir examiné les mesures prises par l'Etat défendeur (voir Annexe), qu'il a rempli ses fonctions en vertu de l'article 46, paragraphe 2, de la Convention dans la présente affaire et

DECIDE d'en clore l'examen.

Annexe à la Résolution CM/ResDH(2007)79

Informations sur les mesures prises afin de se conformer à l'arrêt dans l'affaire

Yvon contre la France

Résumé introductif de l'affaire

Cette affaire concerne une atteinte au principe de l'égalité des armes en raison des avantages dont jouissait le commissaire du gouvernement dans les procédures d'expropriation, au détriment des personnes expropriées (violation de l'article 6, paragraphe 1).

La Cour européenne des Droits de l'Homme (la Cour) a relevé que « le commissaire du gouvernement est « partie » à l'instance en fixation des indemnités devant les juridictions de l'expropriation » (paragraphe 30 de l'arrêt), avec pour mission essentielle de veiller à ce que l'indemnité allouée à l'exproprié « n'excède pas la valeur réelle des biens expropriés. Il défend donc des intérêts similaires à ceux défendus par l'expropriant, tendant vers une évaluation modérée des indemnités », et « il est en outre parfois, comme en l'espèce, issu de la même administration, voire du même service départemental que le représentant de l'expropriant » (paragraphe 32 de l'arrêt).

La Cour a estimé que « ces circonstances – que l'on y voie un dédoublement de la représentation des intérêts de la collectivité dans la procédure en fixation des indemnités ou le renforcement de la position d'une partie par l'intervention d'une autre – affaiblissent sans doute la position de l'exproprié (paragraphe 32 de l'arrêt).

Cependant, selon la Cour, cela en soi ne met pas nécessairement l'exproprié dans une situation de « net désavantage » pour la présentation de sa cause. Pour parvenir à la conclusion que dans la procédure en cause dans cette affaire, il existait - au détriment du requérant exproprié - un déséquilibre incompatible avec le principe de l'égalité des armes, la Cour européenne s'est fondée sur les éléments suivants (paragraphes 33 à 37 de l'arrêt) :

1. Le commissaire du gouvernement est avantagé quant aux éléments dont il dispose pour évaluer le bien exproprié (« le cœur des débats », selon la Cour).

En effet, en tant que fonctionnaire de l'administration fiscale, il a accès au fichier immobilier répertoriant toutes les mutations, alors que l'exproprié ne dispose que d'un accès restreint (il n'a pas un accès total et libre au fichier et ne peut que recevoir des extraits correspondant aux références précises des mutations qu'il recherche).


2. Le commissaire du gouvernement occupe une position dominante dans la procédure.

a. en première instance, contrairement aux autres parties, il n'est pas tenu de leur notifier ses écritures ; il lui suffit de les déposer au greffe, et il n'est même pas tenu d'informer les autres parties de ce dépôt ;

b. il prend la parole en dernier à l'instance ;

c. « enfin et surtout » selon la Cour, il exerce une influence importante sur l'évaluation du bien par le juge. D'une part, les conclusions du commissaire ont un poids particulier lorsque l'évaluation qu'il propose est inférieure à celle proposée par l'expropriant et, dans un tel cas de figure, si le jugement écarte les conclusions du commissaire du gouvernement, il doit indiquer spécialement les motifs de ce rejet. D'autre part, cette règle a pour effet de lier dans une grande mesure le juge, qui ne peut désigner un autre expert en première instance, et ne peut le faire que d'une manière exceptionnelle en appel.

I.Paiement de la satisfaction équitable et mesures individuelles

a) Détails de la satisfaction équitable

Préjudice matériel

Préjudice moral

Frais et dépens

Total

-

-

15 973,86 euros

15 973,86 euros

Payé le 22 octobre 2004 + intérêts de retard

b) Mesures individuelles

La procédure inéquitable concernait le montant de l'indemnité due par l'Etat au requérant en contrepartie de l'expropriation de vingt et un hectares lui appartenant, pour permettre l'aménagement d'une route nationale.

Cette procédure a été initiée par l'Etat à défaut d'accord amiable entre le requérant et l'Etat, autorité expropriante, sur le montant de l'indemnité d'expropriation (§ 10 de l'arrêt de la Cour européenne).

Le montant finalement octroyé au requérant au terme de la procédure a été inférieur aux prétentions du requérant mais supérieur à l'évaluation du commissaire du gouvernement.

Au titre de l'article 41 de la Convention, le requérant a demandé, pour dommage matériel, une somme correspondant à la différence entre les indemnités d'expropriation qu'il aurait, selon lui, dû percevoir, et la somme qui lui a été allouée par les juridictions de l'expropriation. La Cour européenne, estimant qu'elle ne saurait spéculer sur le résultat auquel la procédure incriminée aurait abouti si la violation de l'article 6, paragraphe 1, n'avait pas eu lieu, a rejeté les prétentions du requérant sur ce point (§§ 42-44 de l'arrêt de la Cour européenne). Quant au dommage moral, la Cour l'a estimé suffisamment réparé par le constat de violation.

Il n'existe aucune possibilité d'examiner la nécessité de rouvrir ou de réexaminer l'affaire au niveau interne, suite à l'arrêt de la Cour. De surcroît, dans les circonstances de cette affaire, il n'existe pas non plus de possibilité, pour le requérant, de former un quelconque recours gracieux.

Dans ces circonstances, il a néanmoins fallu se poser la question de savoir si l'on se trouvait dans un cas où une mesure individuelle - et plus particulièrement le réexamen ou la réouverture de l'affaire – était exigée d'après la pratique du Comité des Ministres ou par la Recommandation Rec(2000)2 du Comité des Ministres sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires devant les juridictions nationales à la suite d'arrêts de la Cour européenne des Droits de l'Homme.

Le requérant ne s'est pas manifesté dans la procédure devant le Comité des Ministres.

Ainsi, après un examen approfondi par le Comité des Ministres, il est apparu que le requérant ne subissait pas de conséquences négatives très graves de la violation.

II.Mesures générales

Premièrement, dès le 9 juin 2004, la Cour de cassation, tirant les conséquences du présent arrêt de la Cour européenne, a jugé que certaines des dispositions du droit interne incriminées dans l'affaire Yvon étaient génératrices, au profit du commissaire du gouvernement, d'un déséquilibre incompatible avec le principe de l'égalité des armes, et qu'en faire application revenait à violer l'article 6, paragraphe 1 de la Convention.

Deuxièmement les autorités françaises ont adopté un décret no2005/467 le 13/05/2005 (entré en vigueur le 01/08/2005). Il a été suivi par une circulaire y relative, publiée au bulletin officiel du Ministère de la Justice no100 (du 1er octobre 2005 au 31 décembre 2005) et se référant expressément à l'arrêt Yvon (voir l'arrêt Roux contre la France du 25 avril 2006, paragraphe 14). Le nouveau décret prévoit ce qui suit.

1. Concernant les avantages du commissaire du gouvernement pour évaluer le bien exproprié.

Bien que n'ayant pas élargi l'accès de l'exproprié au fichier immobilier, le décret (article R 13-32) impose désormais que les conclusions du commissaire du gouvernement comportent les références des éléments sur lesquels il s'est fondé pour retenir l'évaluation qu'il propose, ainsi que les raisons pour lesquelles les éléments non pertinents ont été écartés. Ainsi, l'exproprié serait en mesure d'accéder aux mêmes informations que celles du commissaire.

2. Concernant la position dominante du commissaire du gouvernement dans la procédure.

a. Dorénavant, sous peine d'irrecevabilité, le commissaire du gouvernement notifie ses conclusions aux parties à l'instance (par lettre recommandée avec demande d'avis de réception) au moins huit jours avant la visite des lieux.

b. Pour compenser le fait que le commissaire prend la parole en dernier à l'instance, les autres parties peuvent désormais répondre à ses conclusions, par une note écrite (notifiée aux parties à l'instance par lettre recommandée avec demande d'avis de réception), jusqu'au jour de l'audience.

c. La disposition qui conférait aux conclusions du commissaire un poids particulier lorsque l'évaluation proposée par lui était inférieure à celle proposée par l'expropriant a été supprimée et remplacée par la disposition suivante : « le jugement précise les motifs de droit ou de fait en raison desquels chacune des indemnités principales ou accessoires est allouée » (article R 13-36). Ainsi, il existe dorénavant une égalité de traitement entre les propositions du commissaire du gouvernement et celles de l'exproprié.

Enfin, concernant la question de la possibilité pour le juge de nommer un autre expert :

- en première instance, le recours à un expert (ou un notaire) par le juge est dorénavant possible, en cas de difficulté particulière d'évaluation et par décision motivée ;

- en appel, le recours à un expert n'est plus limité aux circonstances exceptionnelles. La décision est prise par un arrêt motivé de la cour d'appel et l'expert est choisi par le président de la chambre, en l'absence d'accord entre les parties sur ce point.

Le gouvernement a indiqué que ce décret précédait une réforme plus profonde du droit de l'expropriation, par une ordonnance adoptée sur la base d'une loi d'habilitation du 9 décembre 2004. Il a précisé que les principes procéduraux posés par le décret du 13 mai 2005, pris pour se conformer à l'arrêt de la Cour européenne dans l'affaire Yvon ne seraient pas modifiés.

III.Conclusions de l'Etat défendeur

Le gouvernement déclare que le droit français ne permet pas de rejuger l'affaire, ni d'offrir en l'espèce une autre mesure individuelle que le paiement de la satisfaction équitable. Dans la mesure où il n'est pas établi que le requérant subisse des conséquences négatives très graves de la violation, le paiement de la satisfaction équitable octroyée par la Cour européenne permet sur le plan individuel une pleine exécution de l'arrêt. Le gouvernement estime par ailleurs que les mesures générales adoptées vont prévenir de nouvelles violations similaires à l'avenir. En conclusion, le gouvernement estime que la France a rempli ses obligations en vertu de l'article 46, paragraphe 1, de la Convention.


[1] Adoptée par le Comité des Ministres le 20 juin 2007 lors de la 997e réunion des Délégués des Ministres.

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