CEDH, Cour (cinquième section), RINCK c. FRANCE, 19 octobre 2010, 18774/09

  • Protocole·
  • Procès-verbal·
  • Police judiciaire·
  • Juridiction de proximité·
  • Critère·
  • Question·
  • Contravention·
  • Examen·
  • Preuve·
  • Juridiction

Commentaires5

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 19 oct. 2010, n° 18774/09
Numéro(s) : 18774/09
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 27 février 2009
Jurisprudence de Strasbourg : Adoud c. France (déc.), no 35237/97, 7 septembre 1999
Adrian Mihai Ionescu c. Roumanie (déc.), no 36659/04, §§ 29-30, 32, 34, 1er juin 2010
Bosoni c. France (déc.), no 34595/97, 7 septembre 1999
Rowe et Davis c. Royaume-Uni [GC], no 28901/95, § 61, CEDH 2000-II
Gaucher c. France (déc.), no 51406/99, 13 février 2001
Van Houten c. Pays-Bas (radiation), no 25149/03, CEDH 2005-IX
Kavak c. Turquie (déc.), no 34719/04 et 37472/05, 19 mai 2009
Korolev c. Russie (déc.), no 25551/05, 1er juillet 2010
Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 100, série A no 161

Stevens c. Belgique (déc.), no 56936/00, 9 décembre 2004

Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 58, Recueil des arrêts et décisions 1997-III)
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-101713
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2010:1019DEC001877409
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 18774/09
présentée par Jean-Jacques RINCK
contre la France

La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant le 19 octobre 2010 en une chambre composée de :

Peer Lorenzen, président,
Renate Jaeger,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Rait Maruste,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre, juges,

et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 20 août 2008,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, M. Jean-Jacques Rinck, est un ressortissant français, né en 1952 et résidant à Lyon. Il exerce la profession d'avocat à Lyon.

Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

A.  Les circonstances de l'espèce

Le 25 août 2006, le requérant fit l'objet d'un contrôle de vitesse automatisé par un cinémomètre de type MESTA 210 utilisé en poste fixe. Une vitesse de 51 km/h fut retenue à son encontre après pondération technique, alors que la limite de vitesse au point de contrôle était de 50 km/h.

Le 1er septembre 2006, un avis de contravention lui fut adressé.

Le 13 octobre 2006, il présenta une requête en exonération d'infraction, accompagnée d'une demande de communication de pièces, notamment la copie du procès-verbal de constatation de l'infraction et l'attestation de vérification du cinémomètre.

Le 13 août 2007, convoqué à la demande de l'officier du ministère public dans le cadre de cette affaire, le requérant maintint sa réclamation, estimant que le procès-verbal n'avait pas été signé par l'agent ayant installé le radar et que le certificat de vérification de l'appareil ne lui avait pas été adressé. Il fut donc cité devant la juridiction de proximité de Lyon.

Le 12 novembre 2007, à la suite d'une enquête publiée par un magazine de la presse automobile sur la fiabilité des cinémomètres (dont il ressort notamment que le modèle litigieux doit être positionné selon un angle précis par rapport à la chaussée), le requérant mit en demeure la société fabricante du radar litigieux de lui transmettre le rapport administratif mentionné par le magazine concernant les contrôles automatisés, l'étude confiée à ce sujet à l'inspection générale de la police nationale, ainsi que le manuel d'utilisation et d'installation des cinémomètres. Invité en réponse par la société à s'adresser à l'administration, il sollicita vainement cette dernière par un courrier du 13 décembre 2007.

Le 24 janvier 2008, à l'audience de la juridiction de proximité, le requérant sollicita à titre principal que les pièces précitées, outre des documents relatifs au fonctionnement et à l'utilisation du cinémomètre, le livret de bord du véhicule de police dans lequel aurait été embarqué l'appareil de contrôle et la justification de l'emplacement exact à partir duquel la mesure avait été effectuée, soient versées aux débats par le ministère public, afin de lui permettre d'apporter la preuve contraire des constatations du procès-verbal. Subsidiairement, il contesta la validité du procès-verbal non signé par l'agent ayant installé le cinémomètre. Il demanda, en tout état de cause, à être relaxé.

Le 21 février 2009, la juridiction de proximité de Lyon rejeta les demandes du requérant et le déclara coupable des faits qui lui étaient reprochés, le condamnant à une amende de 150 euros (« EUR »). Elle précisa que le bon fonctionnement du cinémomètre était suffisamment établi par son homologation et la preuve de sa vérification annuelle, la loi autorisant par ailleurs la signature manuelle numérisée du procès-verbal. Elle ajouta que le requérant n'avait pas apporté la preuve contraire des mentions du procès-verbal et qu'il n'appartenait pas au ministère public de verser l'ensemble des documents qu'il réclamait.

Le 6 janvier 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant contre ce jugement, aux motifs, d'une part, que la juridiction de proximité avait écarté à bon droit l'argumentation du requérant quant à la validité du procès-verbal et, d'autre part, que les dispositions légales en vertu desquelles ce procès-verbal valait jusqu'à preuve contraire n'étaient pas incompatibles avec le principe de l'égalité des armes, dès lors que ces textes réservaient à chacune des parties la possibilité d'apporter la preuve contraire.

Le requérant s'est ensuite vu retirer un point sur son permis de conduire en raison de cette infraction.

B.  Le droit interne pertinent

Les dispositions du code de procédure pénale pertinentes en l'espèce se lisent comme suit :

Article 431

« Dans les cas où les officiers de police judiciaire, les agents de police judiciaire ou les fonctionnaires et agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire ont reçu d'une disposition spéciale de la loi le pouvoir de constater des délits par des procès-verbaux ou des rapports, la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins. »

Article 537

« Les contraventions sont prouvées soit par procès-verbaux ou rapports, soit par témoins à défaut de rapports et procès-verbaux, ou à leur appui.

Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux ou rapports établis par les officiers et agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints, ou les fonctionnaires ou agents chargés de certaines fonctions de police judiciaire auxquels la loi a attribué le pouvoir de constater les contraventions, font foi jusqu'à preuve contraire.

La preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins. »

GRIEFS

Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint d'une rupture de l'égalité des armes dans la procédure pénale intentée à son encontre pour une contravention routière. Il estime que le ministère public, en se refusant à produire des informations techniques en sa possession et déterminantes pour l'issue du litige, ne l'a pas mis en mesure d'apporter la preuve contraire des faits relevés à son encontre par procès-verbal. Il critique en outre l'insuffisance de la motivation de la Cour de cassation pour rejeter son pourvoi.

EN DROIT

1.  La Cour rappelle qu'une requête peut être rejetée par application du critère de recevabilité prévu par l'article 35 § 3 b) de la Convention amendée par le Protocole no 14, entré en vigueur le 1er juin 2010, et dont les dispositions pertinentes en l'espèce se lisent comme suit :

« 3.  La Cour déclare irrecevable toute requête individuelle introduite en application de l'article 34, lorsqu'elle estime :

(...)

b) que le requérant n'a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l'homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n'a pas été dûment examinée par un tribunal interne »

Aux termes de l'article 20 du Protocole, cette nouvelle disposition trouve à s'appliquer à compter de son entrée en vigueur à toutes les requêtes pendantes devant la Cour, à l'exception de celles qui ont déjà été déclarées recevables. Par ailleurs, elle peut être appliquée d'office par la Cour, quand bien même la requête examinée ne serait ni incompatible avec les dispositions de la Convention ou de ses Protocoles, ni manifestement mal fondée ou abusive (Adrian Mihai Ionescu c. Roumanie (déc.), no 36659/04, §§ 29-30, 1er juin 2010).

Le principal élément de ce nouveau critère est, aux yeux de la Cour, la question de savoir si le requérant n'a subi aucun « préjudice important » (Adrian Mihai Ionescu, précitée, § 32). Il est communément admis que la notion de « préjudice important » est susceptible d'interprétation et donne à la Cour une certaine souplesse en plus de celle dont elle bénéficie déjà par l'effet des critères de recevabilité existants (voir Rapport explicatif du Protocole no 14, STCE no 194, ci-après « Rapport explicatif », §§ 78 et 80).

Aux yeux de la Cour, les termes utilisés ne sont, pas plus que beaucoup d'autres dans la Convention, susceptibles d'une définition exhaustive. Il lui appartient, selon le vœu des Hautes Parties Contractantes (voir Rapport explicatif, § 80), d'établir des critères objectifs par le biais du développement progressif de sa jurisprudence (Korolev c. Russie (déc.), no 25551/05, 1er juillet 2010).

Bien que, eu égard à l'entrée en vigueur récente du Protocole no 14, la notion de « préjudice important » n'ait à ce jour fait l'objet que d'une jurisprudence limitée, cette notion, issue du principe de minimis non curat praetor, renvoie à l'idée que la violation d'un droit doit atteindre un seuil minimum de gravité pour justifier un examen par une juridiction internationale. L'appréciation de ce seuil est, par nature, relative et dépend des circonstances de l'espèce (Korolev, précitée, et, mutatis mutandis, Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 100, série A no 161). Cette appréciation doit tenir compte tant de la perception subjective du requérant que de l'enjeu objectif du litige. Elle renvoie ainsi à des critères tels que l'impact monétaire de la question litigieuse ou l'enjeu de l'affaire pour le requérant (Adrian Mihai Ionescu, précitée, § 34).

En l'espèce, la Cour constate que le requérant a été condamné au paiement d'une amende de 150 euros (« EUR »), outre 22 EUR de frais de procédure et le retrait d'un point de son permis de conduire. Dans ces conditions, le préjudice allégué par le requérant était particulièrement réduit, et aucun élément du dossier n'indique qu'il se trouvait dans une situation économique telle que l'issue du litige aurait eu des répercussions importantes sur sa vie personnelle. Au-delà de l'aspect financier du litige, rien ne permet d'établir que la condamnation du requérant ait eu, dans les circonstances de l'espèce, y compris compte tenu du retrait d'un point sur son permis de conduire, des conséquences significatives sur sa situation personnelle. Le fait que l'action en justice du requérant, qui a épuisé l'ensemble des recours internes, puisse laisser à penser qu'il percevait la solution de ce litige comme une question de principe ne saurait suffire à cet égard (Korolev, précitée).

Dès lors, la Cour considère que le requérant n'a pas subi un « préjudice important » au regard de son droit à un procès équitable.

Quant à la question de savoir si le respect des droits de l'homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige d'examiner la requête au fond, la Cour rappelle que cette notion renvoie aux conditions déjà définies pour l'application des articles 37 § 1 et 38 § 1 (dans sa rédaction antérieure au Protocole no 14) de la Convention. Les organes de la Convention ont interprété de manière constante ces dispositions comme exigeant la poursuite de l'examen d'une affaire, en dépit de la conclusion d'un règlement amiable ou l'existence d'une cause de radiation du rôle. Il a en revanche déjà été jugé que cet examen ne s'imposait pas lorsqu'il existe une jurisprudence claire et très abondante sur la question relative à la Convention qui se pose dans l'affaire soumise à la Cour (voir, entre autres, Van Houten c. Pays-Bas (radiation), no 25149/03, CEDH 2005-IX, et Kavak c. Turquie (déc.), no 34719/04 et 37472/05, 19 mai 2009).

En l'espèce, la Cour estime qu'aucun impératif tiré de l'ordre public européen auquel participent la Convention et ses Protocoles ne justifie de poursuivre l'examen du grief.

En effet, la requête met d'abord en cause le mécanisme de charge de la preuve des contraventions, lequel a été jugé, de manière répétée, conforme à la Convention (voir, entre autres, Adoud c. France (déc.), no 35237/97, 7 septembre 1999, Bosoni c. France (déc.), no 34595/97, 7 septembre 1999, Gaucher c. France (déc.), no 51406/99, 13 février 2001, et, mutatis mutandis, Stevens c. Belgique (déc.), no 56936/00, 9 décembre 2004). La requête pose par ailleurs la question de la limitation des droits de la défense, et notamment celles des limites du droit à la divulgation par l'accusation d'éléments pertinents, qui ont également fait l'objet de décisions de la Cour (voir, entre autres, Rowe et Davis c. Royaume-Uni [GC], no 28901/95, § 61, CEDH 2000-II, et Van Mechelen et autres c. Pays-Bas, 23 avril 1997, § 58, Recueil des arrêts et décisions 1997-III).

Dans ces conditions, la Cour estime que le respect des droits de l'homme n'exige pas la poursuite de l'examen de ce grief.

Enfin, s'agissant de la troisième condition posée par le nouveau critère de recevabilité, qui exige que l'affaire ait été « dûment examinée » par un tribunal interne, la Cour rappelle qu'elle vise à garantir que toute affaire fera l'objet d'un examen juridictionnel soit sur le plan national, soit sur le plan européen. Cette clause reflète également le principe de subsidiarité, tel qu'il ressort notamment de l'article 13 de la Convention, qui exige que des recours effectifs contre les violations soient disponibles au niveau national (Korolev, précitée). Combinée à la clause de sauvegarde précédente, elle garantit que ne sont pas en jeu devant la Cour des questions sérieuses d'application ou d'interprétation de la Convention et de ses Protocoles, ou des questions importantes relatives au droit national (voir Rapport explicatif, § 83).

En l'espèce, la Cour constate que le requérant a sollicité du juge de proximité un sursis à statuer pour obtenir du ministère public les éléments qu'il sollicitait, et qu'il a ensuite soumis au juge de cassation les moyens tirés du refus de la juridiction de proximité de faire droit à sa demande. En outre, ces juridictions ont procédé à un examen du fond de l'affaire, ayant conduit à la condamnation du requérant.

Dans ces conditions, la Cour estime que l'affaire a été dûment examinée par un tribunal interne, aucune question sérieuse relative à l'interprétation ou à l'application de la Convention ou au droit national n'ayant été laissée sans réponse.

Les trois conditions du nouveau critère de recevabilité étant réunies, la Cour considère que ce grief doit être déclaré irrecevable en vertu de l'article 35 §§ 3 b) et 4 de la Convention.

2.  Le requérant invoque également l'article 6 § 1 de la Convention pour se plaindre de l'insuffisance de motivation de l'arrêt de la Cour de cassation.

Compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des dispositions de l'article 6 de la Convention.

Il s'ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

              Stephen PhillipsPeer Lorenzen
Greffier adjointPrésident

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (cinquième section), RINCK c. FRANCE, 19 octobre 2010, 18774/09