CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE IDALOV c. RUSSIE, 22 mai 2012, 5826/03

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Grande Chambre), 22 mai 2012, n° 5826/03
Numéro(s) : 5826/03
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Ahmet Özkan et autres c. Turquie, no 21689/93, § 426, 6 avril 2004
Alver c. Estonie, no 64812/01, § 50, 8 novembre 2005
Ananyev c. Russie, no 20292/04, § 44, 30 juillet 2009
Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 49, CEDH 2004-XI
Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 68, CEDH 2000-III
Belziuk c. Pologne, 25 mars 1998, § 49, Recueil 1998-II
Bordikov c. Russie, no 921/03, 8 octobre 2009
Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 65, série A no 145-B
Bychkov c. Russie, no 39420/03, 5 mars 2009
Chichkov c. Bulgarie, no 38822/97, § 66, CEDH 2003-I
De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 33, série A no 86
Denissenko et Bogdantchikov c. Russie (no 3811/02, 12 février 2009
Dolgova c. Russie, no 11886/05, §§ 38 et suiv., 2 mars 2006
Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001-II
Goral c. Pologne, no 38654/97, § 68, 30 octobre 2003
Graužinis c. Lituanie, no 37975/97, § 34, 10 octobre 2000
Grigorievskikh c. Russie, no 22/03, § 55, 9 avril 2009
Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, §§ 58-60, CEDH 2006-XII
Ilijkov c. Bulgarie, no 33977/96, § 81, 26 juillet 2001
Ilowiecki c. Pologne, no 27504/95, § 76, 4 octobre 2001
Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 162, série A no 25
Jablonski c. Pologne, no 33492/96, § 83, 21 décembre 2000
Jecius c. Lituanie, no 34578/97, § 44, CEDH 2000-IX
Jones c. Royaume-Uni (déc.), no 30900/02, 9 septembre 2003
Kadem c. Malte, no 55263/00, §§ 44-45, 9 janvier 2003
Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, § 47, série A no 318-B
Kemmache c. France (no 1 et no 2), 27 novembre 1991, série A no 218
Khoudobine c. Russie, no 59696/00, §§ 103 et suiv., CEDH 2006-XII
Khoudoyorov c. Russie, no 6847/02, §§ 118-120, CEDH 2005-X
Khoudoyorov c. Russie, no 6847/02, CEDH 2005-X
Kolev c. Bulgarie (no 50326/99, 28 avril 2005
Kovaleva c. Russie, no 7782/04, § 71, 2 décembre 2010
Kozhokar c. Russie, no 33099/08, § 96, 16 décembre 2010
Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, CEDH 2000-XI
Labita c. Italie [GC], no 26772/95, CEDH 2000-IV
Letellier c. France, 26 juin 1991, § 51, série A no 207
Mamedova c. Russie, no 7064/05, § 96, 1er juin 2006
McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 43, CEDH 2006-X
Mitev c. Bulgarie (no 40063/98, 22 décembre 2004
Narinen c. Finlande, no 45027/98, § 32, 1er juin 2004
Neumeister c. Autriche, 27 juin 1968, série A no 8
Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999-II
Novinski c. Russie, no 11982/02, § 105, 10 février 2009
Panchenko c. Russie, no 45100/98, 8 février 2005
Pavlov c. Russie (déc.), no 29926/03, 1er octobre 2009
Popov c. Russie, no 26853/04, § 208, 13 juillet 2006
Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 84, CEDH 2000-XII)
Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005-XII
Rokhlina c. Russie, no 54071/00, §§ 63 et suiv., 7 avril 2005
Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000-VII
Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II
Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, CEDH 2006-II
Skachkov c. Russie, no 25432/05, 7 octobre 2010
Smirnova c. Russie, nos 46133/99 et 48183/99, §§ 56 et suiv., CEDH 2003-IX
Soudarkov c. Russie, no 3130/03, 10 juillet 2008
Starokadomski c. Russie, no 42239/02, §§ 53-60, 31 juillet 2008
Svetlana Kazmina c. Russie, no 609/04, 2 décembre 2010
Trepachkine c. Russie (no 2), no 14248/05, § 113, 16 décembre 2010
Tretyakov c. Ukraine, no 16698/05, § 59, 29 septembre 2011
Vacher c. France, 17 décembre 1996, § 22, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI
Vasilkoski et autres c. « l'ex-République yougoslave de Macédoine », no 28169/08, § 64, 28 octobre 2010
Vasyukov c. Russie, no 2974/05, § 59, 5 avril 2011
Vladimir Krivonosov c. Russie, no 7772/04, 15 juillet 2010
Walker c. Royaume-Uni (déc.), no 34979/97, CEDH 2000-I
Wemhoff c. Allemagne, 27 juin 1968, § 9, série A no 7
Organisation mentionnée :
  • Comité européen pour la prévention de la torture
Niveau d’importance : Importance élevée
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement irrecevable ; Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant ; Traitement inhumain) (Volet matériel) ; Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-3 - Durée de la détention provisoire) ; Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Garanties procédurales du contrôle ; Contrôle à bref delai) ; Violation de l'article 6+6-3-c - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Procès équitable) (Article 6-3-c - Se défendre soi-même ; Article 6 - Droit à un procès équitable) ; Violation de l'article 6+6-3-d - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Procès équitable) (Article 6-3-d - Interrogation des témoins ; Article 6 - Droit à un procès équitable) ; Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale ; Article 6-1 - Délai raisonnable) ; Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la correspondance) ; Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral)
Identifiant HUDOC : 001-110985
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2012:0522JUD000582603
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Sur les parties

Texte intégral

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE IDALOV c. RUSSIE

(Requête no 5826/03)

ARRÊT

STRASBOURG

22 May 2012

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Idalov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

 Nicolas Bratza, président,
 Jean-Paul Costa,
 Françoise Tulkens,
 Josep Casadevall,
 Nina Vajić,
 Dean Spielmann,
 Peer Lorenzen,
 Anatoly Kovler,
 Elisabeth Steiner,
 Ján Šikuta,
 Luis López Guerra,
 András Sajó,
 Mirjana Lazarova Trajkovska,
 Ann Power-Forde,
 Işıl Karakaş,
 Guido Raimondi,
 Julia Laffranque, juges,
et de Vincent Berger, jurisconsulte,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 octobre 2011 et le 28 mars 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5826/03) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Timur Said-Magomedovich Idalov (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 février 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Mes K. Moskalenko, O. Preobrazhenskaya, M. Samorodkina et I. Gerasimova, juristes à Moscou, et par Me N. Lisman, avocate à Boston (Etats-Unis d’Amérique). Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matyushkin, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3.  Le requérant estimait en particulier qu’il avait été détenu dans une maison d’arrêt et au tribunal dans des conditions inhumaines et dégradantes, qu’il avait été transporté entre la maison d’arrêt et le tribunal dans des conditions épouvantables, que sa détention provisoire avait été excessive dans sa durée, que les tribunaux internes n’avaient pas statué à bref délai sur les appels formés par lui contre les décisions ordonnant son maintien en détention ni assuré sa comparution aux audiences d’appel, qu’il avait été exclu à tort de son propre procès, que la procédure pénale dirigée contre lui avait connu une durée excessive et que l’administration de la colonie pénitentiaire où il purgeait sa peine avait irrégulièrement ouvert les lettres que la Cour lui avait adressées.

4.  La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour). Le 17 mai 2011, une chambre de cette section composée de Nina Vajić, Anatoly Kovler, Christos Rozakis, Peer Lorenzen, Elisabeth Steiner, Mirjana Lazarova Trajkovska et Julia Laffranque, juges, ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, ni l’une ni l’autre des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).

5.  La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Le 3 novembre 2011, le mandat de président de la Cour de Jean-Paul Costa a pris fin. Nicolas Bratza a succédé à Jean-Paul Costa en cette qualité et a assumé à partir de cette date la présidence de la Grande Chambre en l’espèce (article 9 § 2 du règlement). Jean-Paul Costa a continué de siéger après l’expiration de son mandat, en vertu des articles 23 § 3 de la Convention et 24 § 4 du règlement.

6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond.

7.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 19 octobre 2011 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement
M. N. Mikhaylov, sous-directeur du bureau du représentant
 de la Fédération de Russie, conseil,
Mmes T. Korolkova,
 Y. Tsimbalova, conseillères ;

–  pour le requérant
Mmes K. Moskalenko,
 N. Lisman,
 M. Samorodkina,
 I. Gerasimova, conseils,
 O. Preobrazhenskaya, conseillère.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Mikhaylov et Mmes Gerasimova, Samorodkina, Moskalenko et Lisman.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8.  Le requérant est né en 1967 et purge actuellement une peine d’emprisonnement dans la colonie pénitentiaire no IK-19, à Tavda, dans la région de Sverdlovsk.

A.  La procédure pénale dirigée contre le requérant

9.  Le 11 juin 1999, le requérant fut arrêté pour enlèvement commis en bande organisée et placé en garde à vue. Trois jours plus tard, il fut mis en détention provisoire par le procureur compétent. Le 18 juin 1999, il fut formellement inculpé.

10.  Le 6 janvier 2000, il fit l’objet d’une inculpation complémentaire pour enlèvement, extorsion et acquisition et possession illégales d’armes à feu et de stupéfiants.

11.  Le 10 mars 2000, le dossier fut communiqué au tribunal du district Meshchanski de Moscou, qui le renvoya au parquet en signalant que l’acte d’accusation n’avait pas été intégralement traduit en langue tchétchène.

12.  Le 7 avril 2000, le parquet communiqua l’acte d’accusation modifié et le dossier au tribunal de district, où ils parvinrent le 10 avril 2000. Une semaine plus tard, l’affaire fut renvoyée devant le tribunal du district Kuntsevski de Moscou.

13.  La première audience du procès, fixée au 22 mai 2000, fut ajournée en raison de la non-comparution des avocats des autres accusés. Il en alla de même de l’audience suivante, prévue pour le 16 juin 2000. Sur les trois audiences suivantes, deux furent ajournées à la demande du requérant et une pour défaut de comparution de la victime et des témoins.

14.  Par une décision du 12 septembre 2000, le tribunal du district Kuntsevski renvoya l’affaire au parquet de Moscou pour complément d’instruction.

15.  Le 9 juillet 2001, le tribunal du district Khamovnicheski de Moscou fut saisi de l’affaire pour jugement. L’audience fixée au 24 août 2001 fut ajournée pour défaut de comparution des témoins et de l’avocat du requérant. Les huit audiences suivantes prévues entre cette dernière date et le 20 mai 2002 furent elles aussi ajournées : deux pour défaut de comparution du requérant, qui avait été libéré sous caution le 6 juillet 2001, trois pour défaut de comparution des accusés, de leurs avocats et de certains témoins, et trois au motif que la présidente de la formation de jugement (« la présidente ») siégeait à un autre procès.

16.  Par une décision du 21 mai 2002, le tribunal du district Khamovnicheski renvoya le dossier au parquet de Moscou pour complément d’instruction. Le 24 juillet 2002, le tribunal de Moscou, saisi en appel par le parquet, annula cette décision et renvoya l’affaire devant le tribunal du district Khamovnicheski.

17.  La première audience après le renvoi devant le tribunal du district Khamovnicheski était prévue pour le 13 septembre 2002. Elle n’eut pas lieu, la présidente ayant été appelée à siéger à un autre procès. Les vingt‑trois audiences suivantes fixées entre cette dernière date et le 3 novembre 2003 (date de la dernière audience) ne se tinrent pas comme prévu. Deux furent reportées parce que, une nouvelle fois, la présidente siégeait à un autre procès et quatre le furent parce que soit le procureur, soit certains des accusés étaient malades. Six autres ajournements furent prononcés, cinq à la demande de la défense, y compris l’avocat du requérant, et un à la demande de l’accusation. Neuf audiences furent ajournées pour non-comparution de plusieurs participants. Le requérant, qui avait été remis en détention dans l’intervalle, s’abstint à deux reprises de se présenter. Un autre ajournement fut prononcé car son avocat avait quitté la salle d’audience sans autorisation. Une autre audience fut ajournée pour des raisons qui ne ressortent pas clairement du dossier. En février 2003, le tribunal prononça la disjonction de l’instance à l’égard de deux coaccusés du requérant et poursuivit l’examen de l’affaire de ce dernier. Par une décision du 29 août 2003, il décida de disjoindre les instances dirigées contre deux autres coaccusés.

18.  Les audiences susmentionnées portaient toutes sur des points de procédure. La première audience sur le fond se déroula le 17 septembre 2003. Au début de celle-ci, le requérant chercha plusieurs fois à récuser la présidente en mettant en cause son impartialité. La présidente ordonna son expulsion de la salle d’audience pour comportement inapproprié. Le requérant chercha à récuser son avocat, mais la présidente refusa d’y donner suite et son conseil continua de le représenter. Le 23 septembre, les 4, 30 et 31 octobre et le 3 novembre 2003, le tribunal entendit les témoins et examina les pièces du dossier. Une fois l’examen des preuves achevé et le procureur et l’avocat de la défense entendus en leurs conclusions, l’intéressé fut autorisé à réintégrer la salle d’audience pour y prononcer sa déclaration finale.

19.  Par un jugement du 24 novembre 2003, le tribunal du district Khamovnicheski déclara le requérant coupable d’enlèvement, d’extorsion et d’acquisition et de possession illégales d’armes à feu et de stupéfiants. Il le condamna à une peine de quinze ans d’emprisonnement. Il ordonna par ailleurs le remboursement de la caution à l’épouse de l’intéressé (paragraphe 29 ci–dessous).

20.  Le 4 décembre 2003, l’avocat du requérant fit appel de ce jugement. Par une décision du 18 mai 2004, le tribunal de Moscou accueillit pour manque de preuves l’appel concernant le chef d’acquisition et de possession illégales de stupéfiants. Il maintint en substance le verdict concernant les autres chefs et réduisit la peine à dix ans d’emprisonnement.

21.  Par une décision du 27 novembre 2007, le tribunal de la ville de Vyazniki (région de Vladimir) mit le requérant en liberté conditionnelle.

22.  Il apparaît que, en juillet 2008, le requérant fut une nouvelle fois arrêté puis condamné pour une infraction pénale. Il purge actuellement une peine d’emprisonnement.

B.  La détention provisoire subie par le requérant

23.  A la suite de l’arrestation du requérant le 11 juin 1999 (paragraphe 9 ci-dessus), l’enquêteur principal autorisa sa mise en détention provisoire pendant la durée de l’instruction par une décision du 14 juin 1999, qui indiquait en particulier qu’il avait été tenu compte

« (...) du fait que [le requérant était] soupçonné d’avoir commis une infraction extrêmement grave punissable d’une peine d’emprisonnement et que, s’il [était] élargi, il risqu[ait] de se soustraire à la justice et, ainsi, de faire obstacle à l’établissement de la vérité ou de commettre une autre infraction ».

24.  Par une décision du 10 août 1999, le parquet maintint le requérant et ses cinq coaccusés en détention jusqu’au 11 septembre 1999. Les motifs invoqués dans cette décision étaient la gravité des charges retenues contre eux ainsi que les risques de fuite, d’entrave au cours de la justice, de subornation de témoin et de récidive.

25.  Par des décisions du 31 août et du 6 décembre 1999, le parquet maintint en détention l’ensemble des six coaccusés jusqu’au 11 décembre 1999 et jusqu’au 11 mars 2000 respectivement. Ces décisions étaient libellées de la même manière que celle du 10 août 1999.

26.  Aucune décision ne paraît avoir formellement autorisé la détention du requérant entre le 11 mars et le 10 mai 2000. A cette dernière date, le tribunal du district Kuntsevski de Moscou reçut le dossier, fixa au 22 mai 2000 la date du procès et jugea que « la mesure privative de liberté [dont faisaient l’objet les accusés] n’avait pas lieu d’être modifiée ».

27.  Le 12 septembre 2000, lorsqu’il renvoya l’affaire au parquet, ce même tribunal ordonna le maintien en détention du requérant et de ses cinq coaccusés. Sa décision n’était pas motivée. Le 25 janvier 2001, le tribunal de Moscou la confirma en appel.

28.  Le 26 février et le 23 mars 2001, le parquet, reprenant le raisonnement des décisions du 10 août et du 6 décembre 1999, ordonna le maintien en détention du requérant et de ses coaccusés jusqu’au 9 avril et jusqu’au 9 juillet 2001 respectivement.

29.  Le 6 juillet 2001, l’enquêteur saisi du dossier ordonna la mise en liberté sous caution du requérant par une décision ainsi libellée dans sa partie pertinente :

« L’instruction étant achevée, [le requérant] ne pourra pas entraver le cours de la justice et sa comparution au tribunal pourra être garantie par le versement d’une caution d’un montant de 100 000 roubles ».

30.  Par une décision du 29 octobre 2002 rendue au cours du procès, le tribunal du district Khamovnicheski mit fin à la liberté sous caution du requérant et ordonna sa remise en détention, en relevant notamment ceci :

« Ainsi qu’il ressort du dossier, [le requérant] est accusé de plusieurs infractions très graves punissables d’une peine d’emprisonnement, [il] a essayé plusieurs fois de retarder la procédure, ce qui, aux yeux du tribunal, constitue une tentative d’obstruction à l’établissement de la vérité et une marque d’irrespect envers le tribunal ».

31.  Le 30 octobre 2002, le requérant fit appel de la décision du 29 octobre 2002 qui, le 22 janvier 2003, fut confirmée par le tribunal de Moscou. Il ne comparut pas à l’audience, mais son avocat y assista.

32.  Le 24 avril 2003, le tribunal de district prolongea la détention du requérant jusqu’au 29 juillet 2003. Il s’appuya sur la gravité des charges, sans tenir compte de l’objection de l’intéressé selon laquelle il avait une épouse et deux enfants mineurs à charge. Le requérant fit appel le 25 avril 2003. Le 16 juin 2003, le tribunal de Moscou, en l’absence du requérant et de son avocat, confirma le maintien en détention.

33.  Le 19 juin 2003, le tribunal de district prolongea à nouveau la détention du requérant jusqu’au 29 octobre 2003, en relevant notamment ceci :

« Compte tenu du comportement singulier [du requérant], de son état de santé et de la gravité des charges, [le tribunal] doute de sa capacité à comprendre les tenants et aboutissants de son procès et à témoigner. Conformément à la loi, (...) il est déterminant, pour un bon examen du dossier, de faire la lumière sur l’état de santé physique et mental [du requérant].

La détention [du requérant] se termine le 29 juillet 2003. Or une expertise psychiatrique prend beaucoup de temps. Aussi le tribunal juge-t-il nécessaire de maintenir [le requérant] en détention. »

34.  Le requérant interjeta appel le 24 juin 2003. Le 6 août 2003, statuant en l’absence de l’intéressé, le tribunal de Moscou annula le maintien en détention prononcé le 19 juin 2003 et renvoya le dossier à la juridiction de jugement pour examen au fond.

35.  Par une décision du 13 août 2003, le tribunal de district ordonna une nouvelle fois le maintien en détention du requérant. Le motif invoqué était la gravité des charges. Le 14 août 2003, l’intéressé fit appel de cette décision, mais il fut débouté par le tribunal de Moscou le 2 octobre 2003. Il ne comparut pas à l’audience, mais son avocat y assista.

36.  Par une décision du 28 octobre 2003, le tribunal de district, s’appuyant sur la gravité des charges, prolongea la détention du requérant jusqu’au 19 janvier 2004. La défense avait plaidé que l’intéressé avait un lieu de résidence permanent à Moscou et invoqué les lenteurs du procès, mais en vain. Le requérant fit appel le 31 octobre 2003. Il fut déclaré coupable le 24 novembre 2003 (paragraphe 19 ci-dessus). Son maintien en détention fut confirmé en appel le 12 février 2004. Il ne comparut pas à l’audience, mais son avocat y assista.

C.  Les conditions de détention du requérant et ses conditions de transport vers et depuis le tribunal

1.  La détention à la maison d’arrêt no IZ-77/2 de Moscou

37.  Le requérant fut détenu à la maison d’arrêt no IZ-77/2 de Moscou du 29 octobre 2002 au 20 décembre 2003. Il fut transféré d’une cellule à une autre à de nombreuses reprises. Le tableau qu’il brosse de ses conditions de détention diffère de celui décrit par le Gouvernement.

a)  Nombre de détenus par cellule

i.  Le Gouvernement

38.  Le Gouvernement a communiqué les éléments d’information suivants concernant les conditions de détention du requérant à la maison d’arrêt no IZ‑77/2 de Moscou :

No de Cellule

Période de détention

Superficie (en mères carrés)

Nombre de détenus

Nombre de lits

140

du 29 octobre au 1er novembre 2002

56,4

14

22

50

du 1er au 26 novembre 2002

12

3

6

134

du 26 novembre au 16 décembre 2002

13,5

3

5

36

du 16 décembre 2002 au 5 janvier 2003

12,2

3

6

43

du 5 au 15 janvier 2003

8,5

2

4

52

du 15 janvier au 18 février 2003

25,4

6

8

159

du 18 février au 23 avril 2003

55,4

13

40

160

du 23 au 25 avril 2003

56,9

14

42

159

du 25 avril au 15 août 2003

55,4

13

40

298

du 15 août au 18 septembre 2003

12,9

3

5

141

du 18 septembre au 1er novembre 2003

56,9

14

22

155

du 1er au 13 novembre 2003

55,4

13

42

141

du 13 novembre au 20 décembre 2003

56,9

14

22

39.  En outre, selon le Gouvernement, le requérant a disposé à tout moment de sa détention d’un emplacement individuel pour dormir, de draps et de couverts.

ii.  Le requérant

40.  Le requérant confirme les informations fournies par le Gouvernement en ce qui concerne le numéro et la superficie des cellules où il a été détenu. Il ne les conteste pas non plus pour ce qui est du nombre de lits superposés par cellule. Il affirme toutefois que les cellules où il a séjourné ont toujours été fortement surpeuplées. Le nombre de ses codétenus aurait été deux à trois fois supérieur à la capacité des cellules. Il n’y aurait jamais eu dans aucune d’elles moins de trente-cinq détenus. Le requérant dit qu’il n’a jamais disposé d’un emplacement individuel pour dormir, et que ses codétenus et lui étaient obligés de dormir à tour de rôle. Il ajoute que certains détenus devaient dormir sous les lits, à même le sol. Mis à part son heure quotidienne d’exercice, il aurait été enfermé dans ces conditions pendant tout le reste du temps, sauf lors des rares occasions où il s’entretenait avec son avocat ou pendant les quinze minutes hebdomadaires prévues pour la douche.

b)  La fréquence des exercices en plein air, la superficie de la cour de promenade et sa toiture

i.  Le Gouvernement

41.  Selon le Gouvernement, le requérant pouvait faire une heure d’exercice par jour. La maison d’arrêt aurait été dotée de 68 cours de promenade d’une superficie de 10 m² (pour les petites cellules) et de 52,8 m² (pour les grandes cellules). Ces cours auraient été aménagées de manière à permettre aux détenus d’y faire de l’exercice physique. Elles auraient été équipées de bancs et protégées de la pluie.

ii.  Le requérant

42.  D’après le requérant, l’heure quotidienne d’exercice se déroulait dans une cour d’une superficie de 30 m2. Trente-cinq à cent détenus y auraient été conduits en même temps. Les cours auraient été couvertes de toits de tôles fixées à des armatures métalliques, ce qui aurait nettement réduit l’accès à la lumière du jour.

c)  L’alimentation et les conditions d’hygiène dans les cellules où le requérant a séjourné

i.  Le Gouvernement

43.  Selon le Gouvernement, le requérant pouvait prendre une douche par semaine. A cette occasion, on lui aurait fourni des draps propres. Les douches auraient fonctionné correctement, sans coupure d’eau. Les détenus se seraient vu remettre des seaux et de la lessive pour laver leur linge. Le requérant aurait par ailleurs reçu chaque jour trois repas de qualité satisfaisante.

44.  Les cellules auraient été dotées d’une ventilation naturelle et artificielle fonctionnant correctement. La température et l’humidité y auraient été conformes aux normes en vigueur en matière d’habitabilité et d’hygiène. Les cellules auraient été équipées d’un chauffage central et d’un robinet d’eau froide. Les détenus auraient eu la possibilité de se servir de bouilloires ou de thermoplongeurs électriques pour faire chauffer de l’eau.

45.  L’éclairage artificiel dans les cellules aurait été conforme aux normes applicables et aurait fonctionné de 6 heures à 22 heures. La nuit, des lampes de faible intensité seraient restées allumées pour maintenir un éclairage dans la cellule.

46.  Dans les cellules nos 134, 140, 141, 155, 159 et 160, la cuvette des toilettes aurait été complètement séparée de l’espace de vie par un mur de briques et une porte. La distance entre les toilettes et la table aurait été d’au moins 2 mètres. Le lit le plus proche se serait trouvé à environ 1,50 m des toilettes.

47.  Dans les cellules nos 50, 36, 43, 52 et 298, la cuvette des toilettes aurait été séparée du reste de la cellule par un mur de briques de 1,35 m de hauteur. La distance entre les toilettes et la table aurait été d’au moins 1 mètre. Le lit le plus proche se serait trouvé à environ 50 cm des toilettes.

48.  Les cellules auraient été désinfectées tous les trois mois ou plus fréquemment si nécessaire. Au cours de son séjour dans la maison d’arrêt, le requérant n’aurait formulé aucune plainte faisant état par exemple d’une présence de rats, de parasites ou de punaises.

ii.  Le requérant

49.  Le requérant conteste la véracité des observations du Gouvernement pour ce qui est de l’aspect sanitaire de ses conditions de détention. Selon lui, la ventilation était inadéquate. La plupart de ses codétenus auraient fumé et il aurait été exposé au tabagisme passif. Le requérant affirme qu’il y avait si peu d’oxygène dans la cellule que la flamme d’une allumette s’y éteignait tout de suite. L’air aurait été presque irrespirable.

50.  Les fenêtres des cellules auraient été couvertes de plaques de métal qui auraient empêché la lumière du jour d’entrer. Les cellules auraient ainsi été insuffisamment éclairées pour lire.

51.  Une lumière électrique y serait restée allumée en permanence. Les cellules auraient été très bruyantes. De plus, elles auraient été sales et auraient eu besoin d’être rénovées. Elles auraient été infestées de cafards, de punaises et de poux. Située près de la table, la cuvette des toilettes n’aurait offert aucune intimité. Il aurait fallu faire la queue pour l’utiliser. La nourriture servie aurait été peu abondante et peu variée.

2.  Les conditions de détention au tribunal et les conditions de transport vers et depuis ce lieu

52.  Le Gouvernement et le requérant divergent sur la plupart des points quant aux conditions de détention au tribunal du district Khamovnicheski et de transport vers et depuis ce lieu.

a)  Le Gouvernement

53.  Le Gouvernement a communiqué les éléments suivants.

i.  Les conditions de transport vers et depuis le tribunal

54.  Le ministère de l’Intérieur aurait utilisé trois types de véhicules pour transporter les prévenus au tribunal et les en ramener. Le fourgon de marque ZIL aurait fait 4,70 m de long, 2,40 m de large et 1,64 m de haut, et il aurait disposé de quatre compartiments pouvant accueillir trente-six personnes assises. Les fourgons de marque GAZ auraient fait 3,80 de long, 2,35 m de large et 1,60 m de haut, et ils auraient disposé de trois compartiments pouvant accueillir vingt-cinq personnes assises. Ces véhicules auraient été aérés par une ouverture dans la porte et par des orifices dans le toit. Ils auraient été dotés d’un chauffage et d’un éclairage. Ils auraient été nettoyés chaque jour et désinfectés chaque semaine.

55.  Le trajet entre la maison d’arrêt et le tribunal aurait été long d’environ 7 km et il n’aurait pas duré plus d’une heure.

56.  Les jours d’audience, le réveil du requérant aurait été fixé à 6 heures et un petit déjeuner lui aurait été servi. Un panier repas lui aurait également été remis pour la journée au tribunal.

ii.  Les conditions de détention au tribunal

57.  Le dépôt du tribunal aurait été doté de six cellules d’une superficie totale de 31 m². Ces cellules auraient été correctement aérées et éclairées et dotées de portes métalliques munies de judas à des fins de surveillance. Les bancs auraient été fixés au sol. Il aurait été possible d’accéder aux sanitaires.

b)  Le requérant

58.  Le requérant décrit comme suit les conditions de détention au tribunal et ses conditions de transport vers et depuis ce lieu.

i.  Les conditions de transport

59.  Le requérant aurait fait l’aller et retour entre la maison d’arrêt et le tribunal à une quinzaine de reprises. Ces jours-là, il aurait été réveillé en général à 5 heures et aucun petit déjeuner ne lui aurait été servi. Le fourgon cellulaire aurait fait au total 3,80 m de long, 2,35 m de large et 1,60 m de haut, et il aurait disposé de trois compartiments. Deux d’entre eux auraient été prévus pour accueillir chacun douze personnes et le troisième aurait été conçu pour une seule personne. Il y aurait généralement eu dix-huit détenus dans chacun des deux grands compartiments. Il n’y aurait pas eu assez de sièges pour tout le monde et certains détenus auraient été obligés de rester debout ou de s’asseoir sur les genoux de quelqu’un d’autre. Le requérant aurait été transporté une fois dans le compartiment individuel, à l’issue du prononcé du verdict dans son procès, le 24 novembre 2003.

60.  La ventilation naturelle dans les fourgons par les orifices d’aération aurait été insuffisante et il y aurait régné une chaleur étouffante en été. En hiver, les véhicules n’auraient pas été chauffés quand le moteur n’était pas en marche. Le sol des fourgons aurait été extrêmement sale. Il aurait été couvert de mégots de cigarettes, de miettes de nourriture, de bouteilles en plastique et de sacs d’urine. Il aurait été impossible d’utiliser les toilettes pendant le transport. Les véhicules n’auraient eu ni fenêtres ni éclairage intérieur.

61.  Le requérant explique que le fourgon passait prendre des détenus dans différents établissements pénitentiaires et qu’il les déposait à différents tribunaux. De ce fait, les trajets de la maison d’arrêt jusqu’au tribunal auraient pris à chaque fois une heure et demie à deux heures. Les voyages retour auraient duré jusqu’à cinq heures. Les jours d’audience, aucune nourriture n’aurait été servie au requérant.

ii.  Les conditions de détention au tribunal

62.  Le requérant dit que les cellules du dépôt du tribunal étaient surpeuplées, sales, mal éclairées et non aérées, et qu’elles ne faisaient pas plus de 5 m² de superficie. Il n’y aurait obtenu aucune nourriture lors de ses séjours. Les cellules n’auraient pas non plus été dotées de toilettes. A deux reprises au moins, lorsque l’audience dans son affaire avait été ajournée, il aurait été détenu dans ces conditions jusqu’à quinze heures d’affilée. Les autres fois, il aurait séjourné plusieurs heures dans ces cellules avant et après l’audience.

D.  Les mauvais traitements allégués

63.  Le requérant affirme avoir été battu par des gardiens le 24 novembre 2003 alors qu’il était détenu au tribunal et avoir cherché en vain à s’en plaindre devant la juridiction de jugement.

64.  Le 25 janvier 2004, il dénonça ces mauvais traitements auprès du parquet.

65.  Par une décision du 5 avril 2004, le procureur refusa de mettre en mouvement l’action pénale contre l’auteur allégué des faits au motif qu’il n’existait pas de commencement de preuve de mauvais traitements. Le requérant ne fit pas appel.

66.  Le requérant dit que, à une date non précisée, la décision du 5 avril 2004 fut annulée par un procureur de rang supérieur qui ordonna un complément d’instruction sur ses allégations. Cependant, le 26 février 2007, le procureur compétent rejeta une nouvelle fois ces dernières au motif qu’elles n’étaient pas suffisamment étayées. L’intéressé ne fit pas appel.

E.  La correspondance du requérant avec la Cour

67.  Le requérant allègue que l’administration de l’établissement pénitentiaire no IK-6 de la région de Vladimir, où il a purgé une peine d’emprisonnement de 2004 à 2006, a ouvert certaines des lettres que la Cour lui avait adressées.

68.  Le Gouvernement reconnaît que les lettres du 8 juillet 2005 et du 11 mai 2006 adressées par la Cour au requérant ont été ouvertes par des agents de cet établissement et tamponnées avec le cachet de celui-ci.

69.  Le 9 août 2011, le requérant pria l’administration de l’établissement pénitentiaire no IK-19, où il purgeait alors une peine d’emprisonnement, d’adresser à ses représentants devant la Cour certaines pièces, notamment ses demandes au titre de la satisfaction équitable et sa demande d’obtention de l’assistance judiciaire. Le directeur par intérim des services intérieurs expédia ces documents avec une lettre d’accompagnement qui indiquait :

« Veuillez trouver ci-joint la lettre [du requérant] concernant une violation de ses droits.

(...)

Pièces jointes (11 pages)

(Signature) »

Le requérant estime que, en agissant ainsi, les autorités russes ont méconnu leurs obligations découlant de l’article 34 de la Convention et ont porté atteinte à son droit au respect de sa correspondance.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.  Les conditions de détention provisoire

70.  L’article 23 de la loi du 15 juillet 1995 sur la détention des suspects prévoit que les détenus doivent être incarcérés dans des conditions conformes aux normes sanitaires et hygiéniques. Ils doivent disposer d’un emplacement individuel pour dormir, de draps et de couvertures, de vaisselle et d’articles de toilette. Chacun d’eux doit disposer d’au moins 4 m² d’espace personnel dans sa cellule.

71.  De plus, tout détenu doit recevoir gratuitement une alimentation suffisante pour rester en bonne santé, conformément aux normes établies par le gouvernement de la Fédération de Russie (article 22 de cette même loi).

B.  La détention provisoire et les autres mesures préventives

72.  L’article 255 § 1 du code russe de procédure pénale (« le CPP ») prévoit que le juge peut ordonner, modifier ou lever toute mesure préventive, y compris la détention provisoire, à tout stade de la procédure judiciaire.

73.  La mise en détention provisoire d’un prévenu au cours de la procédure ne peut en principe durer plus de six mois. Toutefois, si l’affaire porte sur des infractions pénales graves ou particulièrement graves, la juridiction de jugement peut prolonger une ou plusieurs fois cette mesure pour une durée maximum de trois mois à chaque fois (article 255 §§ 2 et 3). Pareille décision est susceptible d’appel devant une juridiction supérieure (article 255 § 4).

C.  Les pouvoirs de coercition du tribunal

74.  L’article 111 du CPP dispose que, pour assurer une bonne administration de la justice pénale, le tribunal peut prendre des mesures pour contraindre les parties au procès à coopérer, par exemple ordonner leur comparution forcée ou leur infliger une amende. La première mesure peut être prise à l’égard de témoins qui, sans raison valable, n’ont pas obtempéré à une citation à comparaître (article 113). Quant à la seconde, une amende peut être infligée à toute partie ayant manqué à ses obligations procédurales (article 117).

75.  L’article 258 du CPP énonce les sanctions que le juge peut prendre à l’encontre de toute partie – y compris le prévenu – dont le comportement a troublé l’ordre dans la salle d’audience : (1) un avertissement, (2) l’expulsion de la salle d’audience ou (3) une amende. Son paragraphe 3 ajoute que le procès, y compris l’exposé des conclusions finales des parties, peut se dérouler en l’absence du prévenu. En pareil cas, celui-ci doit être reconduit en salle d’audience pour y faire sa déclaration finale. Le jugement doit toujours être prononcé en sa présence.

D.  L’examen en appel

76.  L’article 373 du CPP dispose que la juridiction d’appel qui statue sur une condamnation en examine la légalité, la validité et l’équité.

77.  L’article 374 du CPP impose à la juridiction d’appel d’entamer son examen dans le mois qui suit sa saisine.

78.  L’article 377 du CPP est ainsi libellé dans ses parties pertinentes :

« 4. La juridiction d’appel peut se livrer à sa propre appréciation des preuves, si les parties en font la demande, conformément aux [règles de procédure pénale applicables en première instance].

5. Pour étayer ou réfuter tout moyen soulevé dans l’acte introductif d’appel, les parties peuvent présenter tout élément nouveau qui sera examiné par le juge d’appel. »

Dans sa résolution no 1 du 5 mars 2004 (applicable au moment des faits), la Cour suprême de la Fédération de Russie, interprétant l’article 377, a précisé que l’analyse des éléments nouveaux se limitait à un réexamen des preuves déjà appréciées par la juridiction de jugement, ce qui englobe entre autres les dépositions des témoins.

E.  La correspondance des détenus

79.  L’article 91 § 2 du code russe de l’exécution des peines et l’article 53 du règlement intérieur des établissements pénitentiaires, adopté le 3 novembre 2005 par l’arrêté no 205 du ministère de la Justice, disposent que le courrier envoyé et reçu par tous les détenus fait l’objet d’une censure de la part de l’administration de l’établissement pénitentiaire, à l’exception de la correspondance avec les tribunaux, le parquet, l’administration pénitentiaire, le médiateur, le comité public de surveillance et la Cour européenne des droits de l’homme.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

80.  Le requérant se plaint de ses conditions de détention à la maison d’arrêt no IZ-77/2 de Moscou du 29 octobre 2002 au 20 décembre 2003 et dans les locaux du tribunal du district Khamovnicheski de Moscou. Il dénonce en outre ses conditions de transport entre la maison d’arrêt et le tribunal. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.  Sur la recevabilité

81.  La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Le Gouvernement

82.  Le Gouvernement soutient que les conditions de détention et de transport du requérant ont satisfait aux exigences de l’article 3 de la Convention.

i.  Les conditions de détention à la maison d’arrêt no IZ-77/2

83.  Le Gouvernement déclare que ses observations concernant le séjour du requérant dans chacune des cellules de cet établissement où l’intéressé a été détenu, ainsi que leur superficie et le nombre de lits et de détenus qui s’y trouvaient (paragraphe 38 ci‑dessus) sont fondées sur les dépositions et rapports établis par l’administration de la maison d’arrêt en juillet 2011, lesquels reprenaient des rapports et dépositions préparés en 2007. Le Gouvernement affirme qu’il lui est impossible de produire les pièces originales. Toutes les archives officielles auraient en effet été détruites le 18 août 2006 à l’expiration du délai légal de conservation de trois ans.

ii.  Les conditions de détention au tribunal et les conditions de transport vers et depuis ce lieu

84.  Le Gouvernement réitère ses observations résumées aux paragraphes 54 à 57 ci-dessus.

b)  Le requérant

85.  Contestant les observations du Gouvernement, le requérant soutient notamment ce qui suit.

i.  Les conditions de détention à la maison d’arrêt no IZ-77/2

86.  Le requérant déclare que les cellules dans lesquelles il a séjourné étaient fortement surpeuplées. Il affirme que pendant toute la durée de sa détention l’espace dont il a disposé était inférieur aux normes nationales (qui exigeaient qu’un détenu dispose de 4 m² d’espace au moins –paragraphe 70 ci-dessus) et à celles préconisées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT »), soit 7 m2 par détenu. Il invoque en outre des constats établis par la Cour dans des affaires antérieures quant aux conditions de détention dans le même établissement, à savoir la maison d’arrêt no IZ-77/2 (Skachkov c. Russie, no 25432/05, § 24, 7 octobre 2010 ; Bychkov c. Russie, no 39420/03, § 18, 5 mars 2009 ; et Ilyadi c. Russie, no 6642/05, § 20, 5 mai 2011). Dans ces affaires, la Cour aurait conclu à la violation de l’article 3 pour cause de détention dans des cellules surpeuplées. Elle aurait vu dans le surpeuplement carcéral un problème structurel en Russie.

87.  Le requérant conteste la fiabilité des informations communiquées par le Gouvernement concernant le nombre de détenus dans les cellules où il a séjourné. Constatant que les originaux des documents recensant la population de la prison ont été détruits, il soutient que des déclarations faites par des agents pénitentiaires environ cinq années après les faits n’ont aucune valeur probante. Il ajoute à cet égard que, dans d’autres affaires, la Cour s’est montrée réticente à accepter de pareilles attestations vu le laps de temps écoulé et l’absence de tout document original (citant Kokoshkina c. Russie, no 2052/08, § 60, 28 mai 2009 ; Soudarkov c. Russie, no 3130/03, § 43, 10 juillet 2008 ; Belachev c. Russie, no 28617/03, § 52, 4 décembre 2008 ; et Zakharkin c. Russie, no 1555/04, § 124, 10 juin 2010).

88.  Le requérant conteste en outre la véracité des observations du Gouvernement pour ce qui est des conditions sanitaires dans lesquelles il a été détenu.

ii.  Les conditions de détention au tribunal et les conditions de transport vers et depuis ce lieu

89.  Le requérant conteste la véracité des observations du Gouvernement au sujet de ses conditions de détention au tribunal et de transport vers et depuis ce lieu. Il mentionne à cet égard l’arrêt Denissenko et Bogdantchikov c. Russie (no 3811/02, §§ 106-110, 12 février 2009), qui concernait les conditions de détention dans le même tribunal.

90.  Le requérant cite en outre le rapport du 26 novembre 2003 établi par le directeur du service de l’exécution des peines pour Moscou du ministère de la Justice (l’autorité dont relèvent toutes les maisons d’arrêt de Moscou) à la suite d’une enquête conduite la même année, et dont voici les passages pertinents (déjà cités dans la décision Starokadomski c. Russie, no 42239/02, 12 janvier 2006) :

« A son départ pour le tribunal, chaque détenu se voit remettre en mains propres, contre signature, une ration sèche (...) Il est alors rayé de la liste des personnes à nourrir (снимается с котлового довольствия). La composition de la ration sèche tient compte des normes sanitaires et nutritionnelles et (...) comprend une entrée et un plat principal précuits qui peuvent être consommés tels quels au petit déjeuner, au déjeuner ou au dîner.

(...)

Les détenus sont extraits de leurs cellules après 6 heures – notamment lorsqu’ils doivent être transportés au tribunal – mais ils n’y sont pas ramenés avant 22 heures. Le service de l’exécution des peines de Moscou est chargé [de régler] les problèmes découlant du non-respect des règles par le régiment des convois (retours tardifs du tribunal, fourgons cellulaires bondés, trajets non autorisés). A de nombreuses reprises en 2002, les manquements établis à la procédure de transport des détenus – surtout des retours tardifs du tribunal – ont été signalés au commandement du régiment des convois de la police. Des incidents de ce type sont également survenus lors des trois premiers mois [de l’année 2003] ; à cet égard, le 4 mars 2003, une notification concernant des retours tardifs (après 22 heures) du tribunal survenus en janvier et février 2003 a été adressée au régiment des convois. Aucun incident de retour tardif n’a été à déplorer récemment.

Les cellules du dépôt sont en effet surpeuplées si un nombre trop important de prévenus sont conduits au tribunal – ce nombre peut atteindre 150 personnes, alors que les cellules sont conçues pour (...) en accueillir 75 à 80. »

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

91.  La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. La prohibition de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants est absolue, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV). Un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses conséquences physiques ou mentales ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres précédents, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 162, série A no 25).

92.  Un mauvais traitement qui atteint un tel seuil minimum de gravité implique en général des lésions corporelles ou de vives souffrances physiques ou mentales. Toutefois, même en l’absence de sévices de ce type, dès lors que le traitement humilie ou avilit un individu, témoignant d’un manque de respect pour sa dignité humaine ou la diminuant, ou qu’il suscite chez l’intéressé des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique, il peut être qualifié de dégradant et tomber ainsi également sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 3 (voir, parmi d’autres précédents, Vasyukov c. Russie, no 2974/05, § 59, 5 avril 2011).

93.  Pour ce qui est des mesures privatives de liberté, la Cour a toujours souligné que, pour relever de l’article 3, la souffrance et l’humiliation infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement la privation de liberté. L’Etat doit s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000‑XI ; et Popov c. Russie, no 26853/04, § 208, 13 juillet 2006).

94.  Lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de tenir compte de leurs effets cumulatifs ainsi que des allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001‑II). La durée de détention d’une personne dans des conditions particulières doit elle aussi être prise en considération (voir, parmi d’autres précédents, Alver c. Estonie, no 64812/01, § 50, 8 novembre 2005).

95.  Les allégations de mauvais traitements doivent être étayées par des éléments de preuve adéquats. Pour leur appréciation, la Cour applique généralement le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable ». Toutefois, une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000‑VII).

b)  Application des principes susmentionnés au cas d’espèce

i.  Les conditions de détention à la maison d’arrêt no IZ-77/2 de Moscou

96.  La Cour constate que les parties divergent sur la plupart des points relatifs aux conditions de détention du requérant. Cependant, lorsqu’il y a contestation sur les conditions de détention, point n’est besoin pour elle d’établir la véracité de chaque élément litigieux. Elle peut conclure à la violation de l’article 3 sur la base de toute allégation grave non réfutée par le Gouvernement (voir, mutatis mutandis, Grigorievskikh c. Russie, no 22/03, § 55, 9 avril 2009).

97.  Tout d’abord, la Cour rappelle qu’elle a récemment conclu à la violation de l’article 3 à raison de la surpopulation qui régnait dans la même maison d’arrêt à peu près à la même période que celle considérée en l’espèce (Skachkov, précité, §§ 50-59 ; Soudarkov, précité, §§ 40-51 ; Denissenko et Bogdantchikov, précité, §§ 97-100 ; et Bychkov, précité, §§ 34-43). D’une manière générale, la surpopulation dans les maisons d’arrêt russes est un problème qui la préoccupe particulièrement. Dans un grand nombre d’affaires, elle a systématiquement conclu à la violation des droits des requérants à raison de l’insuffisance de l’espace personnel dont ils avaient pu bénéficier au cours de leur détention provisoire. A cet égard, la présente affaire ne constitue pas une exception. Au vu de ces éléments, la Cour admet que le requérant a été détenu pendant plus d’un an dans des cellules fortement surpeuplées où il disposait de moins d’un mètre carré d’espace personnel. Il ne pouvait sortir dans la cour de promenade qu’une heure par jour et restait confiné dans sa cellule tout le reste du temps.

98.  Ensuite, la Cour observe que la procédure prévue par la Convention ne se prête pas toujours à une application stricte du principe affirmanti incumbit probatio (« la preuve incombe à celui qui affirme ») car, dans certaines affaires, comme en l’espèce, le gouvernement défendeur est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les allégations du requérant. Le fait que, sans donner de justification satisfaisante, un gouvernement s’abstienne de fournir les informations en sa possession peut permettre de tirer des conclusions quant au bien-fondé des allégations en question (Ahmet Özkan et autres c. Turquie, no 21689/93, § 426, 6 avril 2004).

99.  En l’espèce, le Gouvernement n’a produit aucun document original pour réfuter les allégations du requérant, expliquant que les archives avaient été détruites après l’expiration du délai légal de conservation (paragraphe 83 ci-dessus). Ses arguments reposent sur les déclarations d’agents de la maison d’arrêt recueillies environ quatre ans après les faits. En outre, force est pour la Cour de constater une certaine incohérence entre les chiffres avancés dans cette affaire et ceux livrés dans d’autres. Par exemple, dans l’affaire Skachkov, le Gouvernement avait dit que, entre le 11 février et le 8 août 2003, la cellule no 159 avait été occupée par vingt-deux détenus (Skachkov, précité, § 18). Or, en l’espèce, les autorités nationales affirment que, entre le 18 février et le 23 avril 2003 puis entre le 25 avril et le 15 août 2003, cette même cellule n’a hébergé que treize détenus. La contradiction manifeste entre les chiffres avancés par le Gouvernement dans ces affaires ne peut que nuire à la crédibilité des informations produites concernant la cellule no 159, et elle incite en outre à considérer avec réserve les informations données au sujet des autres cellules.

100.  Dans ces conditions, les documents établis par les autorités plusieurs années après la période considérée en l’espèce ne peuvent passer pour suffisamment fiables (voir, parmi d’autres précédents, Novinski c. Russie, no 11982/02, § 105, 10 février 2009).

101.  Au vu de ce qui précède, la Cour juge crédibles les allégations du requérant selon lesquelles la maison d’arrêt était surpeuplée. Ce surpeuplement a fait que la détention de l’intéressé n’était pas conforme au standard minimal, tel qu’exposé dans la jurisprudence de la Cour, de 3 m2 par personne (voir, parmi de nombreux autres précédents, Trepachkine c. Russie (no 2), no 14248/05, § 113, 16 décembre 2010 ; Kozhokar c. Russie, no 33099/08, § 96, 16 décembre 2010 ; Svetlana Kazmina c. Russie, no 609/04, § 70, 2 décembre 2010). Les détenus devaient dormir à tour de rôle, compte tenu de l’absence d’emplacements individuels pour dormir (voir les allégations du requérant exposées au paragraphe 40 ci‑dessus). Sachant par ailleurs que le requérant devait passer vingt-trois heures par jour dans une cellule aussi surpeuplée, la Cour conclut qu’il a fait l’objet d’un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention à raison des conditions dans lesquelles il a été détenu à la maison d’arrêt no IZ‑77/2 de Moscou du 29 octobre 2002 au 20 décembre 2003.

102.  Compte tenu de ces éléments, la Cour ne juge pas nécessaire d’examiner le reste des observations des parties relatives aux autres aspects des conditions de détention du requérant au cours de la période en question.

ii.  Les conditions de détention au tribunal et les conditions de transport vers et depuis ce lieu

103.  La Cour constate que, en dehors de la description des fourgons (paragraphe 54 ci-dessus), le Gouvernement n’a pas été en mesure de donner le moindre détail sur les conditions de transport du requérant entre la maison d’arrêt et le tribunal. Vu la hauteur des véhicules (environ 1,60 m), les détenus ne pouvaient s’y trouver autrement qu’en position assise. Or la superficie totale des compartiments du fourgon de marque ZIL étant de 11,28 m2 et celle des fourgons de marque GAZ étant de 8,93 m² (paragraphe 54 ci-dessus), elle n’estime pas concevable que trente-six personnes à l’intérieur d’un fourgon ZIL ou vingt-cinq personnes à l’intérieur d’un fourgon GAZ aient pu être convenablement assises et disposer d’un espace suffisant pour être transportées dans des conditions humaines. Au vu de ces éléments, elle juge crédibles les allégations du requérant concernant la surpopulation dans les fourgons, problème dont les conséquences négatives se faisaient d’autant plus sentir que la durée du trajet était plus longue (paragraphe 61 ci-dessus).

104.  En ce qui concerne la détention du requérant au tribunal, le Gouvernement n’a produit aucun chiffre officiel sur sa durée ni le moindre détail sur les cellules où l’intéressé a séjourné. La Cour donne donc foi à la version de ce dernier (paragraphe 62 ci-dessus) et conclut que, au tribunal, il a été détenu dans des conditions inhumaines à l’intérieur d’un espace exigu.

105.  Par ailleurs, la Cour n’est pas convaincue que le requérant ait été convenablement nourri les jours d’audience. Comme on peut s’en rendre compte à la lecture du rapport établi par les autorités nationales (paragraphe 90 ci-dessus), en général les détenus partaient de la maison d’arrêt avant l’heure du petit déjeuner et ils y étaient reconduits après le dîner. Le Gouvernement n’a produit aucun élément attestant que le requérant eût reçu la moindre « ration sèche » ou quelque autre nourriture.

106.  La Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention dans un certain nombre d’affaires dirigées contre la Russie à raison des conditions d’exiguïté dans lesquelles les requérants avaient été détenus au tribunal et transportés vers et depuis ce lieu (voir, par exemple, Khoudoyorov c. Russie, no 6847/02, §§ 118-120, CEDH 2005‑X ; et Starokadomski c. Russie, no 42239/02, §§ 53-60, 31 juillet 2008).

107.  Au vu des éléments en sa possession, la Cour constate que le Gouvernement n’a présenté aucun fait ou argument à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

108.  Prises cumulativement, les considérations ci-dessus suffisent pour conclure que le requérant a fait l’objet d’un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention lors de sa détention au tribunal et de son transport vers et depuis ce lieu. Il y a donc eu violation de cette disposition à cet égard.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

109.  Le requérant estime que sa détention provisoire a été excessive dans sa durée et qu’elle n’était pas motivée par des raisons pertinentes ou suffisantes. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

A.  Sur la recevabilité

1.  Thèses des parties

a)  Le Gouvernement

110.  Invoquant la jurisprudence de la Cour (Neumeister c. Autriche, 27 juin 1968, § 6, série A no 8 ; Bordikov c. Russie, no 921/03, 8 octobre 2009 ; et Vladimir Krivonosov c. Russie, no 7772/04, 15 juillet 2010), le Gouvernement soutient que, la requête n’ayant été introduite que le 6 février 2003, le requérant n’a pas respecté le délai de six mois fixé à l’article 35 § 1 de la Convention pour ce qui est de sa détention provisoire du 11 juin 1999 au 6 juillet 2001. Il reconnaît que, après sa mise en liberté le 6 juillet 2001, l’intéressé a été réincarcéré du 29 octobre 2002 au 24 novembre 2003. Cependant, près d’un an et quatre mois s’étant écoulés entre les deux périodes de détention du requérant, il conclut que le grief tiré de la première période doit être déclaré irrecevable car soulevé hors délai. Selon lui, les deux périodes ne peuvent être considérées comme un tout.

b)  Le requérant

111.  Le requérant estime que, les autorités ayant cherché à l’incarcérer par tous les moyens (en raison, selon lui, de son origine tchétchène), à faire durer la procédure et à le maintenir en détention le plus longtemps possible, ses deux périodes de détention provisoire doivent être considérées comme un tout. En tout état de cause, les deux placements en détention auraient été ordonnés dans le cadre de la même instance pénale dirigée contre lui.

2.  Appréciation de la Cour

112.  La Cour rappelle que, en principe, pour déterminer la durée d’une détention provisoire sur le terrain de l’article 5 § 3 de la Convention, la période à prendre en considération commence le jour où l’accusé est incarcéré et prend fin le jour où une décision est rendue sur le bien-fondé de l’accusation, fût-ce seulement en premier ressort, ou, le cas échéant, lorsque l’intéressé est mis en liberté dans l’attente de son procès pénal (voir, parmi d’autres précédents, Wemhoff c. Allemagne, 27 juin 1968, § 9, série A no 7 ; Labita, précité, §§ 145 et 147 ; et Jėčius c. Lituanie, no 34578/97, § 44, CEDH 2000‑IX).

113.  En l’espèce, après avoir été détenu pendant environ deux ans, le requérant fut mis et demeura en liberté provisoire pendant environ un an et quatre mois avant d’être une nouvelle fois arrêté, le 29 octobre 2002. Sa détention provisoire se décompose donc en deux périodes distinctes : la première du 11 juin 1999 au 6 juillet 2001 (paragraphe 29 ci-dessus), et la seconde du 29 octobre 2002 au 24 novembre 2003, date à laquelle il fut finalement déclaré coupable par le tribunal compétent (paragraphe 19 ci‑dessus). L’intéressé est resté en liberté un an et quatre mois entre ces deux périodes. La question se pose donc de savoir si, au regard de la Convention, il était tenu de soumettre son grief de violation de l’article 5 § 3 à raison d’une durée excessive de sa détention provisoire dans les six mois à compter de la date de sa libération à l’issue de sa première période de détention.

114.  La Cour constate que le requérant a introduit sa requête le 6 février 2003, soit plus de six mois après la fin de sa première période de détention. Au vu des circonstances de l’espèce et des arguments avancés par les parties, il revient à la Cour de déterminer si les deux périodes de détention provisoire subies de manière non consécutive par le requérant doivent être prises comme un tout ou si la libération provisoire de l’intéressé pendant une durée importante a déclenché l’ouverture du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 à l’égard de la première période de détention.

a)  Jurisprudence de la Cour

115.  La jurisprudence de la Cour concernant l’application de la règle des six mois en présence de périodes non consécutives de détention provisoire s’est développée autour de deux raisonnements distincts.

i.  L’approche Neumeister

116.  La question s’est posée pour la première fois dans l’affaire Neumeister c. Autriche (précité), dans laquelle le requérant avait été mis en détention provisoire pendant deux périodes, la première courant du 24 février au 12 mai 1961 et la seconde du 12 juillet 1962 au 16 septembre 1964. La Commission avait estimé que le délai de six mois l’empêchait de se prononcer sur le caractère « raisonnable » de la durée de la première période de détention provisoire. Souscrivant à cette approche, la Cour avait toutefois ajouté qu’il fallait néanmoins « tenir compte » de la première période dans l’appréciation du caractère raisonnable de la seconde. Elle s’était exprimée comme suit :

« 6. (...) Certes, la Cour ne pourrait pas rechercher si la première période était ou non autorisée par la Convention ; en effet, à supposer que Neumeister ait en 1961 exercé des recours et les ait épuisés, il ne s’est adressé à la Commission que le 12 juillet 1963, soit postérieurement à l’expiration du délai de six mois fixé par l’article 26 de la Convention.

Ladite période de détention n’en a pas moins constitué une première dérogation au respect de la liberté à laquelle Neumeister pouvait en principe prétendre. Dans l’hypothèse d’une condamnation, cette première détention serait en principe déduite de la peine privative de liberté qui lui serait infligée (article 55 a) du Code pénal autrichien) ; elle diminue donc la durée effective d’emprisonnement à laquelle on pourrait s’attendre. Il convient, dès lors, d’en tenir compte dans l’appréciation du caractère raisonnable de sa détention ultérieure. »

ii.  L’approche globale

117.  Dans des affaires ultérieures, la Cour a suivi une approche différente pour le calcul de la période à considérer, mais sans expliquer pourquoi elle s’était démarquée de la jurisprudence Neumeister. Dans l’arrêt Kemmache c. France (no 1 et no 2) (27 novembre 1991, série A no 218), elle a simplement globalisé la durée de périodes de détention multiples au lieu d’aborder la question de l’application de la règle des six mois comme elle l’avait fait à l’origine dans l’arrêt Neumeister. Si cette règle avait été appliquée, cela aurait certainement conduit à exclure la première période, les requêtes n’ayant été introduites que le 1er août 1986 et le 28 avril 1989. La Cour s’est exprimée comme suit :

« 44.  L’intéressé a subi quatre périodes de détention provisoire : du 16 février au 29 mars 1983 (...), du 22 mars 1984 au 19 décembre 1986 (...), du 11 juin au 10 août 1990 (...) et du 14 mars au 25 avril 1991 (...).

Seules les deux premières, qui s’étendent sur deux ans, dix mois et dix jours au total, appellent un examen en l’espèce : les autres sont postérieures au 8 juin 1990, date de l’adoption du rapport de la Commission sur la violation alléguée de l’article 5 § 3, et ont fait l’objet de nouvelles requêtes qui demeurent en instance (...)».

118.  Tout en faisant mention de la durée totale des deux premières périodes de détention provisoire du requérant, la Cour avait ensuite examiné séparément la durée de chacune de ces périodes. Elle avait jugé justifiée la durée de la première période, qui était d’environ six semaines, mais pas celle de la deuxième période, contraire selon elle à l’article 5 § 3 de la Convention.

119.  Dans les affaires postérieures à l’arrêt Kemmache, la Cour a suivi le même raisonnement et n’a rien dit au sujet de l’application de la règle des six mois. Dans son arrêt Mitev c. Bulgarie (no 40063/98, 22 décembre 2004), elle a déclaré :

« 102.  Lorsque l’accusé subit deux ou plusieurs périodes distinctes de détention provisoire, la garantie du délai raisonnable énoncée à l’article 5 § 3 impose une appréciation globale de la période cumulée (Kemmache c. France (no 1 et no 2), 27 novembre 1991, § 44, série A no 218 ; Mironov c. Bulgarie, no 30381/96, rapport de la Commission du 1er décembre 1998, § 67 ; et Vaccaro c. Italie, no 41852/98, §§ 31‑33, 16 novembre 2000). »

120.  Dans l’affaire en question, le requérant avait été placé en détention provisoire pendant trois périodes distinctes : du 26 novembre 1992 au 11 janvier 1993, du 26 octobre 1993 au 8 avril 1994 et du 5 août 1994 au 23 octobre 1997. Bien que la requête eût été introduite le 23 octobre 1997 et que l’intéressé fût resté en liberté pendant une période significative, la règle des six mois n’a pas été appliquée :

« 103.  Au vu des circonstances particulières de l’espèce, la Cour n’a pas à déterminer si la première période de détention d’un mois et demi (du 26 novembre 1992 au 11 janvier 1993) subie par le requérant pour des chefs d’accusation distincts (...) doit être prise en compte. Elle postulera que la période à considérer a duré au moins trois ans et huit mois (du 26 octobre 1993 au 8 avril 1994 et du 5 août 1994 au 23 octobre 1997). »

121.  La Cour a également raisonné ainsi dans l’arrêt Kolev c. Bulgarie (no 50326/99, 28 avril 2005), lorsqu’elle a considéré comme un tout quatre périodes distinctes de détention provisoire alors même que la première de celles-ci avait pris fin plus de six mois avant l’introduction de la requête.

iii.  Le retour à l’approche Neumeister

122.  Plus récemment, la Cour est revenue à la jurisprudence Neumeister. Dans plusieurs affaires, elle a envisagé l’application de la règle des six mois dans le cas de périodes de détention non consécutives. Elle a examiné la question en détail dans l’arrêt Bordikov c. Russie (précité).

123.  Dans l’affaire en question, le requérant avait séjourné en détention provisoire pendant quatre périodes distinctes : premièrement, du jour de sa première arrestation le 20 mars 1995 jusqu’à son élargissement le 23 mars 1995 ; deuxièmement, du jour de sa nouvelle arrestation le 29 avril 1998 au 24 juillet 1999, date de sa libération à l’expiration du délai maximal de détention provisoire ; troisièmement, du 14 décembre 1999, date de sa remise en détention provisoire, jusqu’au 24 janvier 2000, date de sa condamnation par un tribunal à une peine d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve ; et, quatrièmement, du 13 septembre 2001, date de sa réincarcération dans l’attente de son nouveau procès, jusqu’à sa condamnation le 1er juillet 2003.

124.  La première période échappait à la compétence ratione temporis de la Cour. La question du délai de six mois se posait à l’égard des deuxième et troisième périodes de détention, lesquelles avaient pris fin respectivement le 24 juillet 1999 et le 24 janvier 2000. Or la requête n’avait été introduite que le 29 novembre 2002.

125.  La Cour a relevé que dans les affaires antérieures la globalisation des périodes de détention non consécutives n’avait pas été motivée. Elle a estimé que la finalité de la règle des six mois lui imposait de suivre le raisonnement adopté dans l’arrêt Neumeister :

« 80.  Dans des cas où les requérants ont continué à être privés de leur liberté alors que la procédure pénale était pendante en appel, la Cour a toujours considéré comme un tout de multiples périodes consécutives de détention provisoire et jugé que le délai de six mois ne devait commencer à courir qu’à partir de la fin de la dernière période de détention (voir, parmi de nombreux autres précédents, Solmaz c. Turquie, no 27561/02, §§ 34-37, [16 janvier 2007]).

81.  Il apparaît que la Cour a également raisonné de la même manière dans certaines affaires où la détention provisoire du requérant avant son jugement en première instance n’était pas continue, sans pour autant indiquer explicitement pourquoi elle considérait les périodes de détention comme un tout (Letellier c. France, 26 juin 1991, § 34, série A no 207, Smirnova c. Russie, nos 46133/99 et 48183/99, § 66, CEDH 2003-IX (extraits) ; et Mitev c. Bulgarie, no 40063/98, § 102, 22 décembre 2004).

82.  La Cour observe cependant que, dans une affaire antérieure, elle avait raisonné autrement (Neumeister c. Autriche, 27 juin 1968, § 6, série A no 8). Dans cet arrêt, elle n’avait pas additionné ni considéré comme un tout deux périodes distinctes pendant lesquelles le requérant s’était trouvé en détention provisoire aux fins du calcul de la durée de celle-ci. Elle avait dit qu’elle ne pouvait pas rechercher si la première période de détention était ou non autorisée par la Convention, faute pour lui d’avoir introduit sa requête avant l’expiration du délai de six mois à l’égard de cette période. Elle s’était contentée d’indiquer que, dans l’appréciation du caractère raisonnable de la détention ultérieure du requérant, elle tiendrait compte de cette période, celle-ci devant en principe être déduite de la peine privative de liberté qui serait infligée au requérant en cas de condamnation (ibidem).

83.  En l’espèce, tout comme dans l’affaire Neumeister, la détention du requérant se décompose en plusieurs périodes discontinues. Il a été élargi à deux reprises au cours du procès et a attendu en liberté une décision sur les accusations pénales dont il était l’objet. Des laps de temps significatifs se sont écoulés entre ces périodes de détention. Même si ces dernières ont été finalement retranchées de la durée de la peine d’emprisonnement infligée à l’intéressé, cet élément à lui seul ne permet pas à la Cour de regarder sa détention comme un tout. En juger autrement ôterait tout sens à la règle des six mois.

84.  La Cour en conclut que les griefs tirés par le requérant de ses deuxième et troisième périodes de détention provisoire, lesquelles ont pris fin respectivement le 24 juillet 1999 et le 24 janvier 2000, ne peuvent dans ces circonstances être examinés. »

Dès lors, en application de la règle des six mois, seule la quatrième période de détention provisoire du requérant a été examinée par la Cour dans le cadre du grief soulevé par lui sur le terrain de l’article 5 § 3.

126.  A la suite de l’arrêt Bordikov, la Cour a jugé dans plusieurs affaires qu’elle ne pouvait prendre en considération des périodes de détention provisoire qui s’étaient terminées plus de six mois avant l’introduction de la requête (Vladimir Krivonosov, précité, § 127 ; Kovaleva c. Russie, no 7782/04, § 71, 2 décembre 2010 ; et Svetlana Kazmina, précité, § 85).

iv.  L’harmonisation des approches

127.  Au vu de ces éléments, la Cour considère qu’il y a lieu de mettre fin aux divergences dans la jurisprudence concernant l’application de la règle des six mois pour l’appréciation du caractère raisonnable de la durée d’une détention provisoire et de définir une approche uniforme et prévisible applicable dans toutes les affaires, de manière à assurer une meilleure administration de la justice.

128.  La Cour rappelle d’emblée que la règle des six mois, qui reflète le souhait des Parties contractantes de ne pas voir remettre en cause des décisions anciennes après un délai indéfini, sert les intérêts de la sécurité juridique. Cette règle marque la limite temporelle du contrôle opéré par les organes de la Convention et indique aux particuliers comme aux autorités de l’Etat la période au-delà de laquelle ce contrôle ne s’exerce plus (Walker c. Royaume-Uni (déc.), no 34979/97, CEDH 2000‑I).

129.  Lorsque la détention provisoire d’un accusé se décompose en plusieurs périodes non consécutives et qu’il est loisible à l’intéressé de soumettre des griefs concernant sa détention provisoire pendant qu’il se trouve en liberté, la Cour estime que ces périodes non consécutives doivent être considérées non pas comme un tout, ainsi que cela a été fait dans l’arrêt Kemmache, mais séparément, conformément à l’approche initialement adoptée dans l’arrêt Neumeister et ultérieurement précisée dans l’arrêt Bordikov. Elle considère que c’est ainsi que la finalité de la règle des six mois rappelée ci-dessus se trouve le mieux respectée.

130.  Dès lors, une fois en liberté, un requérant est tenu de soulever dans les six mois à compter de la date de son élargissement effectif tout grief qu’il peut nourrir au sujet de sa détention provisoire. Il s’ensuit que, au vu des dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour ne peut connaître de périodes de détention provisoire ayant pris fin plus de six mois avant qu’un requérant ne la saisisse. Toutefois, si les périodes en question s’inscrivent dans le cadre de la même procédure pénale, la Cour, lorsqu’elle examine le caractère raisonnable de la détention aux fins de l’article 5 § 3, peut tenir compte du fait que l’intéressé a déjà passé un certain temps en détention provisoire.

131.  La Cour considère que l’approche adoptée dans l’arrêt Neumeister respecte fidèlement le sens que les Parties contractantes ont entendu donner à la règle des six mois tout en lui permettant parallèlement, dans l’intérêt de la justice, de tenir compte de périodes de détention subies antérieurement (dans le cadre de la même instance pénale) lorsqu’elle apprécie le caractère raisonnable de la détention provisoire en cause. La Cour suit un raisonnement similaire pour apprécier les griefs tirés du non-respect de l’exigence du « délai raisonnable » énoncée à l’article 6 de la Convention. Dans certains cas, de tels griefs sont parfois partiellement irrecevables ratione temporis et la Cour ne peut examiner une période échappant à sa compétence. Néanmoins, lorsqu’elle statue sur une période qui relève de sa compétence, la Cour peut tenir compte de ce que la procédure était déjà en cours avant la ratification de la Convention par l’Etat défendeur concerné (voir, parmi de nombreux autres précédents, Kudła, précité, § 123).

132.  L’approche Neumeister offre également à la Cour la souplesse nécessaire pour traiter tous les types de situations qui peuvent se présenter en matière de détention provisoire. Ainsi, si le requérant est placé à plusieurs reprises en détention provisoire, mais pour des durées relativement brèves, la Cour peut parfaitement conclure que, compte tenu des nombreuses périodes antérieures de détention, la durée de la dernière période était, malgré sa brièveté, déraisonnable.

133.  Enfin, l’approche Neumeister peut aussi avoir l’avantage d’inciter à conduire avec plus de célérité les procès pénaux à l’échelon national. Si un placement en détention provisoire est demandé alors que l’intéressé a déjà saisi la Cour de griefs concernant des périodes antérieures de détention provisoire, il y a plus de chances que les tribunaux internes accordent une attention particulière au temps que prennent les autorités de poursuite pour instruire l’affaire. Il est également plus probable que, en pareille circonstance, le juge national veille à ce que toute autre demande de mise en détention provisoire soit examinée de manière approfondie et minutieuse et à ce qu’il n’y soit fait droit que pour des motifs pertinents et suffisants.

v.  Application en l’espèce des principes susmentionnés

134.  En l’espèce, la détention provisoire du requérant se décompose en deux périodes non consécutives. Au départ, l’intéressé fut détenu en cours d’instruction pendant environ deux ans et un mois. A l’issue de l’instruction, les autorités jugèrent que son maintien en détention ne s’imposait plus et l’élargirent. L’intéressé demeura en liberté pendant environ un an et quatre mois. Tout grief relatif à cette période initiale de détention aurait dû être soulevé dans les six mois à compter de la date de son élargissement.

135.  Au vu de ce qui précède, la Cour accueille la thèse du Gouvernement et considère que la règle des six mois doit être appliquée séparément à chaque période de détention provisoire. Dès lors, elle ne peut pas rechercher si la première période était ou non compatible avec la Convention. Le grief du requérant à cet égard doit être déclaré irrecevable pour tardiveté. Cela étant, pour déterminer si les motifs avancés pour justifier la période de détention suivante (du 29 octobre 2002 au 24 novembre 2003), qui relève de sa compétence, sont pertinents et suffisants, la Cour prendra en compte le temps déjà passé par l’intéressé en détention dans le cadre de la même instance pénale.

136.  La Cour considère que le grief tiré par le requérant, sur le terrain de l’article 5 § 3 de la Convention, de sa détention du 29 octobre 2002 au 24 novembre 2003 n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

137.  Le requérant relève que les autorités ont prolongé sa détention provisoire à plusieurs reprises, chaque fois en invoquant la gravité des charges retenues contre lui et les risques de fuite ou d’entrave au cours de la justice. Pour lui, elles n’ont ni fait preuve d’une diligence particulière, ni démontré que ces raisons suffisaient à justifier chacun de ses maintiens en détention répétés, ni envisagé la possibilité d’ordonner à son encontre une autre mesure préventive propre à garantir sa comparution devant le tribunal.

138.  Le Gouvernement admet que la seconde période de détention provisoire du requérant n’était pas motivée par des raisons suffisantes et pertinentes et reconnaît qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 à cet égard.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

139.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une détention provisoire ne se prête pas à une évaluation abstraite. La légitimité du maintien en détention d’un accusé doit s’apprécier dans chaque cas d’après les faits et particularités de la cause. La poursuite de l’incarcération ne se justifie dans un cas donné que si des indices concrets révèlent une véritable exigence d’intérêt public prévalant, nonobstant la présomption d’innocence, sur la règle du respect de la liberté individuelle fixée à l’article 5 de la Convention (voir, parmi d’autres précédents, Kudła, précité, §§ 110 et suiv.).

140.  L’existence et la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Toutefois, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Dès lors que ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle doit également rechercher si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Labita, précité, §§ 152-153). Les autorités doivent démontrer de manière convaincante que chaque période de détention, aussi courte fût-elle, était justifiée (Chichkov c. Bulgarie, no 38822/97, § 66, CEDH 2003‑I). Lorsqu’elles décident si une personne doit être libérée ou détenue, elles doivent rechercher s’il n’y a pas d’autres mesures qui permettraient d’assurer sa comparution au procès (Jablonski c. Pologne, no 33492/96, § 83, 21 décembre 2000).

141.  Il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans une affaire donnée, la détention provisoire subie par un accusé n’excède pas une durée raisonnable. A cette fin, il leur faut, en tenant dûment compte du principe de la présomption d’innocence, examiner toutes les circonstances de nature à faire admettre ou à faire écarter l’existence d’une exigence d’intérêt public justifiant une dérogation à la règle fixée à l’article 5 et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions et des faits non contestés indiqués par l’intéressé dans ses moyens que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 (voir, par exemple, McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 43, CEDH 2006‑X).

b)  Application en l’espèce des principes susmentionnés

142.  Le requérant a été placé en détention provisoire le 29 octobre 2002 et reconnu coupable par la juridiction de jugement le 24 novembre 2003. La période à prendre en considération a donc duré environ un an et un mois.

143.  La Cour constate que les tribunaux internes ont initialement révoqué la libération sous caution du requérant au motif qu’il avait essayé plusieurs fois de retarder la procédure, ce qui, aux yeux du tribunal, « constitu[ait] une tentative d’obstruction à l’établissement de la vérité et une marque d’irrespect envers le tribunal » » (paragraphe 30 ci-dessus). A cet égard, ils ont également invoqué la gravité des charges retenues contre lui. Les maintiens en détention ultérieurs de l’intéressé ont tous, eux aussi, été motivés par la gravité des charges (paragraphes 32 à 36 ci-dessus).

144.  La Cour estime que les raisons de soupçonner le requérant d’avoir perpétré les graves infractions dont il était accusé et la conclusion des tribunaux selon laquelle il avait tenté d’entraver le cours de la justice alors qu’il était en liberté pouvaient éventuellement justifier au départ sa mise en détention. Cependant, elle n’est pas convaincue qu’elles aient pu constituer des motifs « pertinents et suffisants » de maintenir l’intéressé en détention, d’autant plus qu’il avait déjà été détenu pendant une période considérable à un stade antérieur.

145.  Pour ce qui est des prolongations subséquentes de la détention du requérant, il apparaît que les tribunaux internes sont partis du principe que la gravité des charges revêtait un poids tel qu’aucune autre circonstance ne pouvait justifier son élargissement. La Cour a dit à maintes reprises que, bien que la gravité de la peine encourue puisse être prise en compte pour déterminer si l’accusé risque de se soustraire à la justice ou de récidiver, la nécessité de maintenir la privation de liberté ne peut s’apprécier d’un point de vue purement abstrait, sur la base de ce seul élément. En outre, la continuation de la détention ne saurait servir à anticiper sur une peine privative de liberté (Letellier c. France, 26 juin 1991, § 51, série A no 207 ; voir aussi Panchenko c. Russie, no 45100/98, § 102, 8 février 2005 ; Goral c. Pologne, no 38654/97, § 68, 30 octobre 2003 ; et Ilijkov c. Bulgarie, no 33977/96, § 81, 26 juillet 2001).

146.  La Cour relève par ailleurs que les tribunaux internes ont à chaque fois ignoré les arguments du requérant consistant à dire qu’il avait un lieu de résidence permanent à Moscou et une vie de famille stable, qu’il ne s’était pas soustrait à la justice et que les autorités avaient délibérément retardé l’examen de l’affaire.

147.  La Cour a souvent conclu à la violation de l’article 5 § 3 dans les affaires où les tribunaux internes avaient maintenu le requérant en détention en invoquant essentiellement la gravité des charges et en recourant à des formules stéréotypées sans évoquer des faits précis ou sans envisager d’autres mesures préventives (Khoudobine c. Russie, no 59696/00, §§ 103 et suiv., CEDH 2006‑XII ; Khoudoyorov, précité, §§ 172 et suiv. ; Dolgova c. Russie, no 11886/05, §§ 38 et suiv., 2 mars 2006 ; Rokhlina c. Russie, no 54071/00, §§ 63 et suiv., 7 avril 2005 ; Panchenko, précité, §§ 91 et suiv. ; Smirnova c. Russie, nos 46133/99 et 48183/99, §§ 56 et suiv., CEDH 2003‑IX ; Tretyakov c. Ukraine, no 16698/05, § 59, 29 septembre 2011 ; et Vasilkoski et autres c. « l’ex-République yougoslave de Macédoine », no 28169/08, § 64, 28 octobre 2010).

148.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que, en s’abstenant d’évoquer des faits précis et d’envisager d’autres « mesures préventives » et en s’appuyant essentiellement et systématiquement sur la gravité des charges, les autorités ont maintenu le requérant en détention provisoire pour des motifs qui, tout en étant « pertinents », ne sauraient passer pour « suffisants » pour justifier la durée de cette détention.

149.  Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

150.  Le requérant estime avoir été victime, pour deux raisons, d’une violation de ses droits garantis par l’article 5 § 4 de la Convention. Premièrement, il n’aurait pas été statué « à bref délai » sur les appels formés par lui contre les décisions rendues par le tribunal du district Khamovnicheski le 29 octobre 2002 et le 24 avril, le 19 juin, le 13 août et le 28 octobre 2003. Deuxièmement, on ne lui aurait pas donné la possibilité d’assister aux audiences d’appel tenues le 22 janvier, le 16 juin, le 6 août et le 2 octobre 2003 et le 12 février 2004.

L’article 5 § 4 est ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A.  Sur la recevabilité

151.  La Cour estime que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B.  Sur le fond

1.  Quant à savoir s’il a été statué « à bref délai » sur les appels formés par le requérant pour contester la légalité de sa détention

a)  Thèses des parties

152.  Le Gouvernement admet qu’il n’a pas été statué « à bref délai » sur les appels formés par le requérant et qu’il y a donc eu en l’espèce violation de l’article 5 § 4 de la Convention, sauf en ce qui concerne la procédure portant sur le maintien en détention prononcé le 28 octobre 2003, l’appel contre cette décision ayant selon lui été examiné dans les neuf jours de sa réception par la juridiction d’appel.

153.  Le requérant maintient qu’il y a eu violation relativement à chacun des appels formés par lui.

b)  Appréciation de la Cour

154.  La Cour rappelle que, en garantissant aux détenus un recours pour contester la régularité de leur incarcération, l’article 5 § 4 consacre aussi le droit pour eux, à la suite de l’institution d’une telle procédure, d’obtenir à bref délai une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à celle-ci si elle se révèle illégale (Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 68, CEDH 2000-III). Dans chaque cas, il convient d’apprécier à la lumière des circonstances de l’espèce si le droit à une décision rapide a bien été respecté (Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 84, CEDH 2000‑XII).

155.  La Cour estime en outre qu’une décision rapide sur la légalité d’une détention s’impose d’autant plus lorsque le procès est en cours, l’accusé devant pleinement bénéficier du principe de la présomption d’innocence (Iłowiecki c. Pologne, no 27504/95, § 76, 4 octobre 2001).

156.  Pour en venir aux circonstances de la présente affaire, la Cour constate que le requérant a interjeté cinq appels : contre sa mise en détention prononcée le 29 octobre 2002 et contre ses quatre maintiens en détention ultérieurement ordonnés le 24 avril, le 19 juin, le 13 août et le 28 octobre 2003. Ces recours, introduits par le requérant le 30 octobre 2002, le 25 avril, le 24 juin, le 14 août et le 31 octobre 2003, ont été examinés par la juridiction d’appel respectivement le 22 janvier, le 16 juin, le 6 août et le 2 octobre 2003 et le 12 février 2004. Il a donc fallu au juge interne respectivement quatre-vingt-trois, cinquante-deux, quarante-trois, quarante-six et cent quatre jours pour programmer et tenir les audiences d’appel requises.

157.  La Cour estime que les questions dont la juridiction d’appel avait été saisie n’étaient pas excessivement complexes. Rien dans les éléments dont elle dispose ne permet non plus de dire que le requérant ou son conseil aient contribué à allonger la durée des procédures d’appel. De plus, le Gouvernement n’a donné aucune explication pour les retards ayant grevé les procédures en question et il reconnaît, à une exception près (fondée sur des motifs qui ne sont pas évidents), que celles-ci ont connu une durée excessive. Les lenteurs procédurales constatées en l’espèce sont donc entièrement imputables aux autorités. La Cour rappelle par ailleurs que dès lors que la liberté d’un individu est en jeu elle applique des critères très stricts pour déterminer si, comme il en a l’obligation, l’Etat a statué à bref délai sur la régularité de la détention (voir, par exemple, l’arrêt Kadem c. Malte, no 55263/00, §§ 44-45, 9 janvier 2003, dans lequel la Cour a jugé excessif un délai de dix-sept jours mis pour statuer sur la régularité de la détention du requérant, et l’arrêt Mamedova c. Russie, no 7064/05, § 96, 1er juin 2006, dans lequel des délais d’examen d’appels – entre autres de vingt-six jours – ont été jugés contraires à l’exigence de « célérité » de l’article 5 § 4).

158.  Au vu de ces éléments, la Cour estime que les procédures d’appel par lesquelles il a été statué sur la régularité de la détention provisoire du requérant ne peuvent passer pour compatibles avec l’exigence de « célérité » prévue à l’article 5 § 4. Il y a donc eu violation de cette disposition.

2.  Quant à l’absence du requérant aux audiences d’appel consacrées à la question de la régularité de sa détention provisoire

a)  Thèses des parties

159.  Le requérant soutient que, alors qu’il en avait fait la demande, on ne lui a jamais offert la possibilité de prendre part aux audiences d’appel consacrées à la question de la régularité de sa détention provisoire. Il indique que ni lui ni son avocat n’étaient présents à l’audience du 16 juin 2003 et ajoute que si son avocat a certes assisté aux audiences d’appel des 22 janvier, 6 août et 2 octobre 2003 et du 12 février 2004, il n’a pu quant à lui y comparaître et n’a donc pas été en mesure de donner à son conseil des informations utiles et des instructions adéquates (il cite à cet égard l’arrêt Graužinis c. Lituanie, no 37975/97, § 34, 10 octobre 2000). Dans ces conditions, il estime avoir été privé, en violation de l’article 5 § 4, d’un contrôle effectif de la régularité de sa détention.

160.  Le Gouvernement reconnaît que le requérant ne s’est pas vu offrir la possibilité de comparaître aux audiences d’appel et qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 à cet égard.

b)  Appréciation de la Cour

161.  La Cour rappelle que, en vertu de l’article 5 § 4, toute personne arrêtée ou détenue a le droit de faire examiner par le juge le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité », au sens de l’article 5 § 1 de la Convention, de sa privation de liberté (Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 65, série A no 145‑B). Si la procédure au titre de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 § 1 de la Convention prescrit pour les procès civils ou pénaux, il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question (Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005‑XII). S’il s’agit d’une personne dont la détention relève de l’article 5 § 1 c), une audience s’impose (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II). La possibilité pour un détenu d’être entendu lui-même ou moyennant une certaine forme de représentation figure parmi les garanties procédurales fondamentales appliquées en matière de privation de liberté (Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, § 47, série A no 318‑B).

162.  Se tournant vers les circonstances de la présente affaire, la Cour constate que le requérant n’a pas assisté aux audiences d’appel tenues les 22 janvier, 16 juin, 6 août et 2 octobre 2003 et le 12 février 2004. Son représentant n’a pas non plus comparu à l’audience du 16 juin 2003. De surcroît, rien dans le dossier dont la Cour dispose ne permet de dire si la juridiction d’appel s’est au moins demandé si le requérant avait été convoqué à l’audience et si sa comparution en personne était nécessaire à l’examen effectif de la régularité de son maintien en détention.

163.  La Cour prend acte en outre de la reconnaissance par le Gouvernement d’une violation de l’article 5 § 4 faute pour les autorités d’avoir assuré la participation du requérant aux audiences d’appel consacrées au contrôle de la régularité de sa détention (paragraphe 160 ci‑dessus).

164.  Au vu de sa jurisprudence constante en la matière et des circonstances de la présente affaire, la Cour ne voit aucune raison d’en juger autrement. La non-participation du requérant aux audiences d’appel tenues les 22 janvier, 16 juin, 6 août et 2 octobre 2003 et le 12 février 2004 a emporté violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

IV.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

165.  Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été exclu de son procès et dénonce la durée, excessive à ses yeux, de la procédure pénale dirigée contre lui.

L’article 6 est ainsi libellé dans ses parties pertinentes :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

(...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d)  interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...) »

A.  Sur la recevabilité

166.  La Cour estime que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B.  Sur le fond

1.  Quant à l’exclusion du requérant de son procès

a)  Thèses des parties

i.  Le requérant

167.  Le requérant estime irrégulière et dénuée de fondement son expulsion de la salle d’audience décidée par le tribunal lors de son procès. Il y voit également une tentative de représailles de la part de la magistrate dont il avait auparavant demandé la récusation. Il ajoute qu’il avait révoqué son avocat, comme il en aurait eu le droit, mais que le tribunal avait refusé de prendre acte de cette décision. Contrairement aux prescriptions de l’article 6 § 3 c) de la Convention, il n’aurait donc pas été représenté par un défenseur de son choix. De plus, son expulsion du prétoire aurait empêché sa confrontation avec les témoins ayant fait les dépositions à l’origine de sa condamnation, ce qui serait constitutif d’une violation de l’article 6 § 3 d).

ii.  Le Gouvernement

168.  Le Gouvernement explique que le requérant a été expulsé de la salle d’audience pour comportement perturbateur répété et pour irrespect envers la présidente de la juridiction de jugement. Il reconnaît néanmoins qu’exclure le requérant de son procès était incompatible avec les exigences de l’article 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention.

iii.  Appréciation de la Cour

169.  Les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention s’analysant en des éléments particuliers du droit à un procès équitable, garanti par le paragraphe 1 de ce même article, la Cour étudiera les griefs du requérant sous l’angle de ces dispositions combinées (voir, parmi d’autres précédents, Vacher c. France, 17 décembre 1996, § 22, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI).

170.  Bien que la comparution d’un accusé à son procès pénal revête une importance capitale, une procédure se déroulant en son absence peut être jugée compatible avec l’article 6 de la Convention si l’intéressé obtient ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, en fait comme en droit et après l’avoir entendu, sur le bien-fondé de l’accusation (voir, parmi d’autres précédents, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 82, CEDH 2006‑II).

171.  La procédure dans son ensemble peut passer pour avoir revêtu un caractère équitable si l’accusé a pu faire appel de sa condamnation prononcée en son absence et comparaître à l’audience devant la juridiction d’appel, et si celle-ci a statué à nouveau, en fait comme en droit, sur le bien-fondé de l’accusation (Jones c. Royaume-Uni (déc.), no 30900/02, 9 septembre 2003).

172.  Ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent quiconque de renoncer de son plein gré, de manière expresse ou tacite, aux garanties d’un procès équitable. Cependant, pour pouvoir être jugée effective aux fins de la Convention, la renonciation au droit de prendre part au procès doit se trouver établie de manière non équivoque et être entourée d’un minimum de garanties à la mesure de sa gravité. De plus, elle ne doit se heurter à aucun intérêt public important (voir, parmi d’autres précédents, Sejdovic, précité, § 86).

173.  La Cour a également jugé qu’un accusé ne peut passer pour avoir renoncé implicitement, par son comportement, à un droit important tiré de l’article 6 de la Convention que s’il a été démontré qu’il pouvait raisonnablement prévoir les conséquences de son comportement à cet égard (décision Jones précitée).

174.  La Convention laisse aux Etats contractants une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leurs systèmes judiciaires de répondre aux exigences de l’article 6. Il appartient à la Cour de rechercher si les standards requis par l’article 6 sont respectés. En particulier, il faut que les moyens de procédure offerts par le droit et la pratique internes se révèlent effectifs si l’accusé n’a ni renoncé à comparaître et à se défendre ni cherché à se soustraire à la justice (Sejdovic, précité, § 83).

175.  Se tournant vers les circonstances de la présente affaire, la Cour constate que lors de son procès le requérant a été expulsé de la salle d’audience pour comportement incorrect. Le tribunal ordonna son retour dans le prétoire à la fin du procès de manière à lui permettre de présenter ses conclusions finales. Par conséquent, tous les moyens de preuve, notamment les témoignages, ont été examinés en son absence (paragraphe 18 ci-dessus).

176.  La Cour souligne d’emblée qu’il est essentiel pour une bonne administration de la justice que règnent dans le prétoire la dignité, l’ordre et la bienséance, qui sont les marques de la procédure judiciaire. Le mépris flagrant par un prévenu des règles élémentaires de bonne conduite ne peut ni ne doit être toléré (Ananyev c. Russie, no 20292/04, § 44, 30 juillet 2009).

177.  La Cour admet que le requérant peut avoir eu un comportement justifiant son expulsion et la poursuite de son procès en son absence. Il n’en demeure pas moins que la présidente aurait dû s’assurer, avant d’ordonner l’expulsion de l’intéressé hors de la salle d’audience, qu’il pouvait raisonnablement discerner les conséquences qu’une persistance dans son comportement risquait d’entraîner (décision Jones précitée).

178.  La Cour ne voit rien dans le dossier en sa possession qui indiquerait que la présidente ait rappelé le requérant à l’ordre ou qu’elle ait envisagé un bref ajournement afin de lui faire prendre conscience des conséquences auxquelles il s’exposerait s’il persistait dans son comportement et de lui permettre de se ressaisir. Dans ces conditions, il lui est impossible de conclure, malgré le comportement perturbateur du requérant, que celui-ci avait renoncé sans équivoque à son droit d’assister à son procès. Or son expulsion de la salle d’audience l’a empêché de se prévaloir de ce droit. La présidente a poursuivi l’examen des preuves en son absence et elle ne paraît pas s’être inquiétée de savoir s’il accepterait pour la suite d’adopter un comportement plus correct, ce qui lui aurait permis de revenir participer à son procès.

179.  Aussi la Cour doit-elle déterminer si la juridiction d’appel a remédié à la violation survenue en première instance du droit pour le requérant de participer à son procès (De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 33, série A no 86 ; et Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, §§ 58-60, CEDH 2006‑XII).

180.  La Cour relève que, en Russie, le juge d’appel statue aussi bien en fait qu’en droit. Le tribunal de Moscou était donc habilité à réexaminer l’affaire et à connaître des moyens nouveaux éventuels non appréciés en première instance. Le requérant et son avocat ont tous deux comparu à l’audience d’appel et ont pu présenter leurs arguments devant ce même tribunal. En outre, le juge d’appel pouvait revenir sur les preuves produites devant la juridiction de jugement. Cependant, il n’était pas possible au requérant et à son avocat de faire réexaminer ces preuves ou, par exemple, de contre-interroger les témoins à charge qui avaient déposé en l’absence de l’intéressé (paragraphe 78 ci-dessus). Dans ces conditions, l’instance d’appel n’a pas remédié aux vices entachant le procès. Aux yeux de la Cour, le seul moyen pour la juridiction d’appel d’y remédier aurait été d’annuler le verdict dans son ensemble et de faire rejuger l’affaire. Faute pour elle d’avoir pris ces mesures, la juridiction d’appel n’a pas réparé la violation initiale du droit du requérant à un procès équitable.

181.  Enfin, la Cour observe que le Gouvernement admet qu’il y a eu violation des droits du requérant résultant de l’article 6 §§ 1 et 3 c) et d) à raison de l’expulsion de l’intéressé hors de la salle d’audience pendant l’administration des preuves (paragraphe 168 ci-dessus). Elle ne voit aucune raison d’en juger autrement.

182.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention.

2.  Quant à la durée de la procédure

a)  Thèses des parties

i.  Le requérant

183.  Le requérant considère que la procédure pénale dirigée contre lui a connu une durée excessive. Il estime que son procès a été ajourné à plusieurs reprises sans raison valable et indique que le nombre de ses non‑comparutions à lui se limite à deux, chacune imputable à la nécessité pour lui de suivre un traitement médical. Suivant son analyse, le fait que sa cause a été examinée par deux degrés de juridiction ne vaut pas respect par les autorités de leur obligation d’organiser leur système judiciaire de manière à assurer le respect de l’exigence de « délai raisonnable ».

ii.  Le Gouvernement

184.  Le Gouvernement estime raisonnable la durée de la procédure pénale menée contre le requérant. L’affaire était selon lui complexe, six personnes ayant été inculpées et le dossier étant particulièrement épais (dix volumes). Pour la plupart, les ajournements d’audiences auraient été justifiés et nécessaires. Ils auraient eu pour cause le défaut de comparution des accusés, de leurs avocats ou de leurs témoins. De plus, l’un des accusés serait tombé gravement malade.

185.  Par ailleurs, le requérant lui-même aurait contribué aux lenteurs de la procédure. Parfois, en effet, lui ou son avocat ne se seraient pas présentés à l’audience. L’intéressé aurait demandé à plusieurs reprises à faire entendre de nouveaux témoins. Le Gouvernement reconnaît que certains des retards étaient dus à l’emploi du temps de la présidente et à l’état de santé du procureur. Il n’en estime pas moins que les autorités judiciaires n’ont pas été inactives dans l’examen de l’affaire. Elles auraient ainsi pris les dispositions nécessaires pour assurer la présence en salle d’audience des témoins et des autres participants et pour offrir au requérant les services d’un interprète.

b)  Appréciation de la Cour

186.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes, et l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres précédents, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999‑II). En outre, seules les lenteurs imputables à l’Etat peuvent amener à conclure à l’inobservation du « délai raisonnable » (Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 49, CEDH 2004‑XI).

187.  La Cour observe que le requérant a été arrêté le 11 juin 1999, date qu’elle retient comme point de départ de la procédure pénale en cause. Le jugement définitif a été rendu le 18 mai 2004. Par conséquent, la procédure a duré environ quatre ans et onze mois, période qui englobe le stade de l’instruction et l’examen de l’affaire par des juridictions de deux degrés.

188.  La Cour reconnaît que l’affaire était assez complexe. Le requérant était inculpé d’enlèvement, d’extorsion et d’acquisition et de possession illégales d’armes à feu et de stupéfiants en bande organisée. Six personnes étaient poursuivies.

189.  Pour ce qui est du comportement du requérant, la Cour constate que, sur la quarantaine d’audiences programmées, onze ajournements lui sont imputables. A sept reprises, lui ou son avocat sont restés en défaut de comparaître. En 2003, c’est-à-dire au cours de la troisième année du procès, son avocat a demandé un ajournement d’audience à trois reprises de manière à pouvoir faire entendre des témoins supplémentaires. Certes, l’intéressé avait tout intérêt à obtenir les témoignages en question pour tirer pleinement parti des ressources offertes par le droit national et, ainsi, assurer au mieux sa défense. La Cour n’est toutefois pas convaincue qu’il ait fait usage de cette possibilité avec la diligence voulue. Rien dans les observations présentées par lui ne permet d’expliquer pourquoi il n’avait pas pu ou voulu demander l’audition de ces témoins à un stade antérieur de la procédure (voir, mutatis mutandis, Pavlov c. Russie (déc.), no 29926/03, 1er octobre 2009).

190.  Quant au comportement des autorités, la Cour considère qu’elles ont conduit la procédure avec une diligence suffisante. L’instruction a été achevée en un an et huit mois. La procédure d’appel a duré environ six mois. Des audiences ont été régulièrement tenues, et les ajournements dus aux problèmes d’emploi du temps de la présidente de la juridiction de jugement et au défaut de comparution de témoins ou d’autres parties n’ont pas notablement retardé la procédure.

191.  Se livrant à une appréciation globale de la complexité de l’affaire, du comportement des parties et de la durée totale de la procédure, la Cour estime que celle-ci ne s’est pas prolongée au-delà de ce qui peut passer pour raisonnable au vu des circonstances particulières de la cause.

192.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

V.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

193.  Invoquant les articles 8 et 34 de la Convention, le requérant se plaint de l’ouverture, par un agent de l’établissement pénitentiaire où il purgeait une peine d’emprisonnement, de lettres datées du 8 juillet 2005 et du 11 mai 2006 que la Cour lui avait adressées.

La Cour estime qu’il n’y a lieu d’examiner ce grief que sous l’angle de l’article 8 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes :

« 1.  Toute personne a droit au respect (...) de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur la recevabilité

194.  La Cour estime que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

195.  Le Gouvernement ne nie pas que les lettres du 8 juillet 2005 et du 11 mai 2006 ont été ouvertes par l’administration de l’établissement pénitentiaire, et il reconnaît qu’il y a eu à cet égard violation du droit du requérant au respect de sa correspondance.

196.  Le requérant s’en tient à son grief.

2.  Appréciation de la Cour

197.  Selon la jurisprudence de la Cour, l’ouverture d’une lettre suffit à constituer une ingérence dans le droit du requérant au respect de sa correspondance (Narinen c. Finlande, no 45027/98, § 32, 1er juin 2004).

198.  Les parties ne contestent pas que, à deux reprises, l’administration de l’établissement pénitentiaire en question a décacheté le courrier adressé par la Cour au requérant (lettres du 8 juillet 2005 et du 11 mai 2006).

199.  Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la censure de ces lettres s’analyse en une « ingérence » d’une autorité publique, au sens de l’article 8 § 2, dans l’exercice par le requérant de son droit au respect de sa correspondance.

200.  Pareille ingérence méconnaît l’article 8, sauf si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou plusieurs des buts légitimes cités au paragraphe 2 et est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre (voir, parmi beaucoup d’autres précédents, Labita, précité, § 179).

201.  La Cour relève que l’article 91 § 2 du code russe de l’exécution des peines, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, interdisait expressément la censure de la correspondance des détenus avec la Cour européenne des droits de l’homme (paragraphe 79 ci-dessus). La censure des lettres en cause n’était donc pas « prévue par la loi ».

202.  Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

VI.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

203.  Enfin, le requérant allègue qu’il a été battu alors qu’il était en détention au tribunal (paragraphes 63 à 66 ci-dessus), que sa détention du 10 juin 1999 au 6 juillet 2001 était irrégulière, que son maintien en détention ordonné le 19 juin 2003 n’était pas conforme à la loi, que sa condamnation reposait sur des preuves irrecevables, que la juridiction qui l’a jugé n’était pas un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, que la publication à son sujet d’articles dans les médias a porté atteinte au principe de la présomption d’innocence, que sa requête initiale envoyée en 2000 à la Cour n’y est pas parvenue, que sa lettre du 9 août 2011 adressée à ses représentants devant la Cour a été ouverte par l’administration de l’établissement pénitentiaire où il purgeait une peine d’emprisonnement, que des biens lui appartenant ont été volés lors d’une perquisition et qu’il a été victime d’une discrimination fondée sur son origine ethnique. Il invoque les articles 3, 5, 6, 8 et 14 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1.

204.  Au vu de l’ensemble des pièces en sa possession, et pour autant que ces griefs relèvent de sa compétence, la Cour ne constate toutefois aucune apparence de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention. Il s’ensuit que ce volet de la requête doit être rejeté pour défaut manifeste de fondement, conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

VII.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

205.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

206.  Le requérant réclame, pour dommage moral, 283 820 euros (EUR).

207.  Le Gouvernement juge cette somme excessive et incompatible avec la jurisprudence de la Cour.

208.  La Cour rappelle qu’elle a conclu en l’espèce à plusieurs violations graves de la Convention. Statuant en équité, elle alloue au requérant 7 150 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

B.  Frais et dépens

209.  Le requérant réclame également 4 000 EUR pour ses frais et dépens devant la Cour.

210.  Le Gouvernement estime que le requérant n’a pas établi la réalité des frais et dépens qu’il réclame et qu’aucune somme ne devrait lui être accordée à ce titre.

211.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que s’il est établi qu’ils ont été réellement exposés, qu’ils correspondaient à une nécessité et qu’ils sont d’un montant raisonnable (voir, par exemple, Belziuk c. Pologne, 25 mars 1998, § 49, Recueil 1998‑II). En l’espèce, compte tenu des pièces en sa possession, des critères ci-dessus et de la somme déjà versée au requérant au titre de l’assistance judiciaire, la Cour estime raisonnable de lui allouer 2 500 EUR au titre des frais et dépens afférents à la procédure suivie devant elle.

C.  Intérêts moratoires

212.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare que les griefs tirés par le requérant des conditions de sa détention et transport vers et depuis le tribunal, de la durée de sa détention provisoire du 29 octobre 2002 au 24 novembre 2003, de la durée et du manque d’équité de la procédure de contrôle de la régularité de sa détention, de son exclusion de son procès, de la durée de la procédure pénale menée contre lui et de l’ouverture des lettres de la Cour datées du 8 juillet 2005 et du 11 mai 2006 sont recevables, et que la requête est irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions dans lesquelles le requérant a été détenu à la maison d’arrêt no IZ-77/2 de Moscou du 29 octobre 2002 au 20 décembre 2003 ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions dans lesquelles le requérant a été détenu dans des cellules du dépôt du tribunal du district Khamovnicheski de Moscou et des conditions dans lesquelles il a été transporté entre la maison d’arrêt et le tribunal ;

4.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention à raison de la durée de la détention provisoire subie par le requérant du 29 octobre 2002 au 24 novembre 2003 ;

5.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention faute d’examen à bref délai des appels formés par le requérant contre les décisions ordonnant son maintien en détention rendues le 29 octobre 2002 et les 24 avril, 19 juin, 13 août et 28 octobre 2003 ;

6.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de l’absence du requérant aux audiences d’appel des 22 janvier, 16 juin, 6 août 2003 et 2 octobre 2003 et du 12 février 2004 consacrées au contrôle de la régularité de sa détention ;

7.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) et d) de la Convention à raison de l’exclusion du requérant de son procès ;

8.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la durée de la procédure pénale menée contre le requérant ;

9.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention à raison de l’ouverture des lettres du 8 juillet 2005 et du 11 mai 2006 adressées par la Cour au requérant ;

10.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir en roubles russes au taux applicable à la date du règlement :

i.  7 150 EUR (sept mille cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;

ii.  2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant sur cette somme, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces sommes seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

11.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 22 mai 2012.

 Vincent Berger Nicolas Bratza
 Jurisconsulte Président

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (grande chambre), AFFAIRE IDALOV c. RUSSIE, 22 mai 2012, 5826/03