CEDH, Cour (deuxième section), SMANIOTTO c. LUXEMBOURG, 29 novembre 2016, 63296/14

  • Gouvernement·
  • Référé·
  • Internet·
  • Droit de réponse·
  • Publication·
  • Luxembourg·
  • Voies de recours·
  • Liberté d'expression·
  • Appel·
  • Liberté

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

CEDH · 19 décembre 2016

Communiqué de presse sur les affaires 58630/11, 38963/08, 14737/08, 21682/11, 13255/07, 14594/07, 14597/07, 14976/07, 14978/07, 15221/07, …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 29 nov. 2016, n° 63296/14
Numéro(s) : 63296/14
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 22 septembre 2014
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-170183
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2016:1129DEC006329614
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

Requête no 63296/14
Tania SMANIOTTO
contre le Luxembourg

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 29 novembre 2016 en une chambre composée de :

Işıl Karakaş, présidente,
Julia Laffranque,
Nebojša Vučinić,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Georges Ravarani, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 16 septembre 2014,

Vu la communication initiale de la requête au Gouvernement, le 17 décembre 2014, et la décision du 22 mars 2016 de la chambre, en vertu de l’article 54 § 2 c) du règlement de la Cour, d’inviter les parties à lui présenter par écrit des observations complémentaires sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par la requérante,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

1.  La requérante, Mme Tania Smaniotto, est une ressortissante luxembourgeoise née en 1974 et résidant à Gauting. Elle a été représentée devant la Cour par Me M. Petit, avocat à Luxembourg.

2.  Le gouvernement luxembourgeois (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par ses agentes, Mme A. Kayser, puis Mme Christine Goy à partir du 16 août 2016, de la Représentation permanente du Luxembourg auprès du Conseil de l’Europe.

A.  Les circonstances de l’espèce

3.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

4.  Le 12 décembre 2013, le site Internet de la station de radio-télévision luxembourgeoise « RTL » (www.rtl.lu) publia un article lié à une affaire défrayant la chronique luxembourgeoise. À côté de cet article se trouvait un lien vers le site Internet du magazine économique et financier luxembourgeois « Paperjam » (www.paperjam.lu), sur lequel était publié un autre article traitant du même sujet. Ce dernier article comportait lui-même un lien vers un document contenant un rapport (rédigé par un tiers) citant la requérante.

5.  Celle-ci demanda à RTL et à Paperjam de lui permettre d’exercer son droit de réponse et de publier sa prise de position. Paperjam donna suite à cette demande et publia la réponse sur son site, tandis que RTL s’y refusa.

6.  Par une assignation du 16 janvier 2014, la requérante saisit le président du tribunal d’arrondissement de Luxembourg sur le fondement des articles 36 et suivants de la loi modifiée du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias (« la loi du 8 juin 2004»), afin d’obtenir la publication, sur le site www.rtl.lu, du droit de réponse qui lui avait été refusé par RTL.

7.  Par une ordonnance de « référé ordinaire » du 6 février 2014, le président du tribunal d’arrondissement fit droit à la demande de la requérante.

8.  Le 21 février 2014, RTL fit appel de cette ordonnance de référé.

9.  Par un arrêt civil du 26 mars 2014, la cour d’appel, siégeant « comme en matière de référé », déclara l’appel recevable et fondé et réforma ladite ordonnance. Elle estimait que la demande de la requérante était irrecevable au motif qu’une publication sur Internet n’avait pas le caractère de périodicité requis par la loi luxembourgeoise. Elle ajoutait que, à la différence de la France, le Luxembourg n’avait pas adopté de législation spécifique régissant le droit de réponse sur Internet en faisant notamment abstraction de l’exigence de périodicité de la publication. La cour d’appel précisait encore qu’il y avait lieu de rectifier la décision attaquée pour autant que le premier juge avait statué au provisoire comme juge des référés au lieu de statuer, conformément à l’article 47 alinéa 2 de la loi du 8 juin 2004, « au fond et comme en référé ».

10.  La requérante ne se pourvut pas en cassation.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.  Les dispositions concernant le droit de réponse

11.  Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi du 8 juin 2004 disposent ce qui suit :

Article 36

« Sans préjudice des autres voies de droit, toute personne physique ou morale, toute association de fait ou tout corps constitué, cité nominativement ou implicitement désigné dans une publication périodique, a le droit de requérir la diffusion gratuite d’une réponse. »

Article 46

« Sans préjudice d’autres voies de droit, et notamment d’une action en réparation au fond, lorsque la réponse n’a pas été diffusée endéans les délais (...) ou n’a pas été diffusée conformément à la demande ou lorsque celle-ci est jugée insatisfaisante ou insuffisante, le Président du Tribunal d’arrondissement peut, à la demande du requérant, ordonner la diffusion d’une réponse dans la publication concernée, dans un délai et selon les modalités qu’il détermine. (...) »

Article 47

« La demande est introduite et jugée comme en matière de référés.

Le Président du Tribunal d’arrondissement statue au fond et selon la procédure prévue en matière de référé conformément aux articles 934 à 940 du nouveau code de procédure civile. (...) »

Article 49

« La décision ordonnant la diffusion de la réponse endéans le délai déterminé peut condamner l’éditeur à payer au requérant une astreinte ne pouvant pas dépasser 1.250 euros par jour de retard à partir de l’expiration du délai fixé.

L’éditeur peut en outre être condamné à diffuser, simultanément avec la réponse, le texte en entier, en partie ou le dispositif de l’ordonnance rendue par le Président du Tribunal d’arrondissement. »

Article 50

« L’ordonnance rendue par le Président du Tribunal d’arrondissement est susceptible d’appel dans un délai de quinze jours à partir de la signification.

L’acte d’appel contient assignation à jour fixe. L’appel est porté devant la Cour d’appel et il est jugé d’urgence et selon la même procédure qu’en première instance. »

2.  Les dispositions et la jurisprudence relatives au recours en cassation

12.  La loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure

en cassation (« la loi du 18 février 1885 ») dispose que :

Article 3

« Les arrêts et les jugements rendus en dernier ressort en matière civile et commerciale, ainsi que les jugements rendus en dernier ressort par les juges de paix, pourront être déférés à la Cour de Cassation pour contravention à la loi ou pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité. (...) »

13.  Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation luxembourgeoise que le pourvoi en cassation est possible contre les arrêts rendus par la cour d’appel statuant dans le cadre d’une procédure en référé (Cass. 15 octobre 1992, Pasicrisie 29, 201), dans la mesure où il s’agit d’« une décision judiciaire rendue en dernier ressort qui a tranché l’objet de l’instance » (Cass. 24 juin 2010, no45/10).

Dix-huit arrêts rendus par la Cour de cassation en matière de référé depuis 2009 sont publiés sur le site Internet des juridictions luxembourgeoises (www.justice.public.lu), dont notamment deux arrêts se concluant par la cassation de la décision rendue en appel.

GRIEFS

14.  Invoquant l’article 6 de la Convention, la requérante reproche à la cour d’appel d’avoir soulevé d’office et sans débat contradictoire le moyen tiré de la non-périodicité des publications sur Internet. Sous l’angle de l’article 10 de la Convention, elle se plaint que la législation luxembourgeoise ne consacre pas le droit de réponse sur Internet.

EN DROIT

15.  La requérante critique la cour d’appel en ce que celle-ci n’aurait pas respecté le principe du contradictoire en soulevant d’office un moyen ayant conduit à l’irrecevabilité de sa demande. Elle se plaint également d’un non-respect de son droit à la liberté d’expression au motif que la loi du 8 juin 2004 ne s’applique pas aux publications sur Internet. Elle invoque les articles 6 et 10 de la Convention, qui se lisent ainsi :

Article 6

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 10

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

16.  Dans le cadre de la communication de la requête au gouvernement défendeur en date du 17 décembre 2014, la Cour a soumis à celui-ci une question sur l’épuisement des voies de recours internes.

17.  Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

Dans ses observations du 15 avril 2015, il a exposé que les demandes introduites sur le fondement de la loi du 8 juin 2004 étaient jugées « comme en matière de référés » et que les « décisions de référé » étaient des décisions provisoires qui n’auraient pas, au principal, l’autorité de la chose jugée et qui ne pourraient être modifiées ou rapportées qu’en cas de circonstances nouvelles. Il a ajouté qu’un recours en cassation n’était pas prévu pour « ce type de procédure », mais que l’article 46 de la loi du 8 juin 2004 prévoyait clairement une action en réparation au fond. Dans ses observations du 24 mai 2016, le Gouvernement a déclaré vouloir clarifier sa position : il a ainsi indiqué qu’il avait simplement voulu exprimer l’idée qu’un recours en cassation n’était pas expressément prévu dans le texte de la loi du 8 juin 2004, mais qu’il était évident que le texte général en matière de recours en cassation, à savoir la loi du 18 février 1885, s’appliquait en l’espèce. À cet égard, il a précisé que la loi du 8 juin 2004 réglementait une matière civile au sens de l’article 3 de la loi du 18 février 1885 et qu’elle était applicable aux jugements rendus en application de cette dernière pour les cours et tribunaux civils luxembourgeois. Le Gouvernement a conclu qu’il maintenait sa position selon laquelle la requérante n’avait pas épuisé toutes les voies de recours internes à sa disposition.

18.  Dans son formulaire de requête, la requérante a indiqué, d’une part, qu’il n’était pas possible de se pourvoir en cassation contre un arrêt rendu par la cour d’appel siégeant « comme en matière de référé » et, d’autre part, que la loi du 8 juin 2004 ne prévoyait pas la possibilité de se pourvoir en cassation contre un arrêt rendu par la cour d’appel.

Dans ses observations du 28 mai 2015, elle a exposé que le recours en cassation n’était pas possible « en la matière », précisant que cela avait été confirmé par les observations du Gouvernement du 15 avril 2015.

La requérante n’a pas déposé d’observations en réponse à celles du Gouvernement en date du 24 mai 2016.

19.  La Cour rappelle que les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci (voir, parmi beaucoup d’autres, Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 70, 25 mars 2014, et Gherghina c. Roumanie [GC] (déc.), no 42219/07, § 84, 9 juillet 2015).

20.  L’obligation d’épuiser les recours internes impose donc aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Mozer c. République de Moldova et Russie [GC], no 11138/10, § 116, CEDH 2016 et les références y citées).

21.  En l’espèce, la Cour doit analyser si, aux fins de l’épuisement des voies de recours internes, la requérante aurait dû soumettre ses doléances à la Cour de cassation avant d’introduire sa requête.

22.  Elle constate que, dans son arrêt civil du 26 mars 2014, la cour d’appel, statuant comme en référé, a rendu une décision au fond en application de l’article 47 alinéa 2 de la loi du 8 juin 2004 (paragraphe 9 in fine).

23.  Faute pour les parties de lui avoir fourni des données précises concernant la pratique judiciaire en la matière, la Cour – amenée à apprécier les éléments de son propre chef – note qu’il ressort d’une jurisprudence bien ancrée en droit luxembourgeois que le pourvoi en cassation est ouvert contre les arrêts rendus par la cour d’appel statuant en matière de référé (paragraphe 13 ci-dessus). Pareil constat vaut, à plus forte raison, pour des cas dans lesquels la cour d’appel a siégé « comme en matière de référé » et rendu un arrêt au fond (paragraphe 9 ci-dessus).

24.  Dans ces conditions, la Cour estime que la requérante aurait dû se pourvoir en cassation contre l’arrêt du 26 mars 2014. Ainsi, en omettant de soumettre à la Cour de cassation les doléances qu’elle soulève devant la Cour, la requérante n’a pas permis aux autorités nationales de redresser la violation alléguée.

25.  Il y a lieu en conséquence d’accueillir l’exception soulevée par le Gouvernement. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée pour défaut d’épuisement des voies de recours internes en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 20 décembre 2016.

              Stanley NaismithIşıl Karakaş
GreffierPrésidente

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine

Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Cour (deuxième section), SMANIOTTO c. LUXEMBOURG, 29 novembre 2016, 63296/14