CEDH, Commission (première chambre), HERBECQ ET l'ASSOCIATION « LIGUE DES DROITS DE l'HOMME» c. la BELGIQUE, 14 janvier 1998, 32200/96;32201/96
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission (Première Chambre), 14 janv. 1998, n° 32200/96;32201/96 |
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Numéro(s) : | 32200/96, 32201/96 |
Publication : | D.R. n° 92-B, p. 92 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 10 mars 1996 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-29235 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1998:0114DEC003220096 |
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITÉ
de la requête N° 32200/96 de la requête N° 32201/96
présentée par Pierre HERBECQ présentée par l'association
LIGUE DES DROITS DE L'HOMME
contre la Belgique contre la Belgique
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première
Chambre), siégeant en chambre du conseil le 14 janvier 1998 en présence
de
MM. M.P. PELLONPÄÄ, Président
J.-C. GEUS
N. BRATZA
E. BUSUTTIL
A. WEITZEL
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
B. MARXER
B. CONFORTI
I. BÉKÉS
G. RESS
A. PERENIC
C. BÎRSAN
K. HERNDL
M. VILA AMIGÓ
Mme M. HION
M. R. NICOLINI
Mme M.F. BUQUICCHIO, Secrétaire de la Chambre ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu les requêtes introduites le 10 mars 1996 par Pierre HERBECQ
et l'association LIGUE DES DROITS DE L'HOMME contre la Belgique et
enregistrées le 10 juillet 1996 respectivement sous les Nos de dossiers
32200/96 et 32201/96 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la
Commission ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
La requête N° 32200/96 a été introduite par un ressortissant
belge, né en 1956. Il est secrétaire général et porte-parole de
l'association « Ligue des Droits de l'Homme ». Il réside à Bruxelles.
La requête N° 32201/96 a été introduite par une association de
droit belge qui a son siège social à Bruxelles.
Devant la Commission, les requérants sont représentés par
monsieur Patrick Charlier, directeur de l'association requérante.
Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les requérants,
peuvent se résumer comme suit.
La loi belge du 8 décembre 1992 relative à la protection de la
vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel
vise à traduire en droit interne les exigences de la Convention n° 108
- Convention pour la protection des personnes à l'égard des traitements
de données à caractère personnel - conclue au sein du Conseil de
l'Europe et ouverte à la signature le 28 janvier 1981.
La loi du 8 décembre 1992 vise à garantir le respect de la vie
privée à l'égard, d'une part, de « tout ensemble d'opérations réalisées
en tout ou en partie à l'aide de procédés automatiques et relatifs à
l'enregistrement et à la conservations de données à caractère
personnel, ainsi qu'à la modification, l'effacement ou la diffusion de
ces données » et, d'autre part, à l'« enregistrement, la conservation,
la modification, l'effacement, la consultation ou la diffusion de
données à caractère personnel sous forme d'un fichier sur un support
non automatisé » (articles 1, par. 3, et 4, par. 1er).
GRIEFS
1. Observant que la loi du 8 décembre 1992 ne s'applique qu'aux
données visuelles ayant fait l'objet d'un traitement, les requérants
se plaignent qu'aucune disposition légale ne règle les formes de
"vidéosurveillance" qui ne comprennent pas l'enregistrement des données
visuelles recueillies. Or ils constatent que la surveillance effectuée
par le moyen de caméras, aussi bien par les pouvoirs publics que des
personnes privées, se développe très rapidement sur le territoire de
la Belgique, principalement afin de multiplier le pouvoir de
surveillance des lieux par un personnel réduit, ainsi que pour
provoquer un effet dissuasif sur les personnes se trouvant dans les
endroits surveillés.
Les requérants expliquent qu'en l'absence de toute législation
réglant la « vidéosurveillance, il est impossible aux personnes faisant
l'objet d'une telle surveillance de savoir lorsque celle-ci est
exercée, de quels moyens de recours elles disposent et à quelle
autorité s'adresser lorsqu'elles soupçonnent avoir fait l'objet de
pareille surveillance. Il en résulte que, dans l'ignorance de ces
différents éléments, toute personne peut être amenée à adopter des
formes d'autocensure, afin d'éviter de poser des actes ou d'adopter des
comportements qui pourraient êtres interprétés par d'éventuels
observateurs munis de tels appareils de surveillance ». Cette
surveillance peut aussi avoir pour effet de dévoiler « des
informations, consistant en certains comportements ou attitudes, que
l'intéressé aurait pu ne pas vouloir voir divulguées ».
Se référant à l'arrêt Klass c. Allemagne (Cour eur. D.H., arrêt
du 6 septembre 1997, série A n° 28, p. 16, par. 30) et une décision de
la Commission du 27 juin 1994 (N° 21482/93, D.R. 78-A, p. 119), le
premier requérant fait valoir que la potentialité que des mesures de
« vidéosurveillance » sans enregistrement s'exercent à son insu portent
atteinte à son droit au respect de la vie privée, garanti par l'article
8 de la Convention.
Les requérants observent à cet égard d'autres modes d'ingérence
dans la vie privée sont réglées par des dispositions légales
accessibles et énoncées avec une précision suffisante pour protéger les
personnes qui en feraient l'objet, telles que la loi du 30 juin 1994
qui règle l'écoute de conversations ordinaires ou téléphoniques, la loi
du 19 juillet 1991 relative à la profession de détective privé qui
interdit l'espionnage ou les prises de vue des personnes se trouvant
« dans des lieux non accessibles au public sans que le gestionnaire du
lieu ou les personnes concernées aient donné leur consentement à cette
fin », la circulaire du ministre de la Justice du 24 avril 1990 qui
règle l'observation dans le cadre de la lutte contre la criminalité
grave ou organisée ou la loi du 30 juin 1994 relative aux droits
d'auteurs et aux droits voisins qui interdit la reproduction ou la
communication au public d'un portrait sans l'assentiment de la personne
représentée ou celle de ses ayants droits pendant vingt ans après son
décès.
Ils ajoutent qu'outre le fait que pareille ingérence n'est pas
prévue par la loi, il n'y a pas de besoin social impérieux qui
justifierait l'absence d'initiative du législateur. Par ailleurs, en
l'absence de but de l'inertie du législateur, on voit mal ce qui
pourrait être mis en balance avec l'atteinte portée à la vie privée,
de sorte que le principe de proportionnalité, visé par le paragraphe 2
de l'article 8 n'est pas non plus respecté.
2. Les requérants estiment aussi que l'impossibilité d'obtenir d'une
quelconque instance nationale une injonction délivrée à l'égard du
législateur, lorsque la violation consiste dans la carence de celui-ci
à organiser un régime juridique protégeant les droits garantis par
l'article 8 de la Convention en cas de « télésurveillance », porte
atteinte à l'article 13 de la Convention, combiné avec son article 8.
EN DROIT
1. La Commission considère que, vu leur connexité, il y a lieu, en
application de l'article 35 de son Règlement intérieur, de joindre les
requêtes enregistrées sous les Nos 32200/96 et 32201/96.
2. La Commission doit d'abord examiner la question de savoir si
l'association requérante satisfait aux conditions de l'article 25
(art. 25) de la Convention qui se lit ainsi, dans sa partie
pertinente :
« La Commission peut être saisie d'une requête (...) par toute
personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout
groupe de particuliers, qui se prétend victime d'une violation
par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus
dans la présente Convention (...) »
Pour pouvoir se prévaloir de cette disposition, un requérant doit
donc pouvoir se prétendre victime d'une violation de la Convention.
L'association requérante explique sur ce point que la situation
dénoncée constitue également une atteinte à son objet social qui vise
notamment la défense des « principes d'égalité, de liberté et
d'humanisme sur lesquels se fondent les sociétés démocratiques et qui
ont été proclamées par (...) la Convention européenne pour la
Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales de
1950 ». Elle fait valoir que, dans la mesure où il est ainsi porté
atteinte à son objet social, elle doit être considérée comme une
victime directe des violations alléguées, au sens de l'article 25
(art. 25) de la Convention. Elle ajoute que l'on doit reconnaître à une
association la qualité de victime indirecte lorsque les victimes
directes des violations alléguées sont dans l'impossibilité d'agir
devant les organes de la Convention et que l'association puisse
attester d'un lien particulier et personnel avec ces victimes. Or, dans
la mesure où, de par le fait qu'on lui reconnaît un droit d'action
devant les autorités administratives et constitutionnelles belges,
l'association requérante estime qu'il faut la considérer comme le
défenseur naturel des droits de l'Homme là où ils sont violés par une
loi ou un règlement. Elle doit donc être considérée comme une victime
indirecte des violations dont sont victimes toutes les personnes
physiques se trouvant sous la juridiction de la Belgique, compte tenu
de ce lien particulier et personnel et du fait que ces personnes
physiques ne sauraient agir afin de faire constater les violations dont
elles sont victimes « en raison de la disproportion manifeste, d'une
part, entre la gravité de la violation pour chacune de ces personnes
et l'importance des efforts exigés pour l'introduction d'une requête
individuelle auprès de la Commission européenne des droits de l'Homme,
d'autre part, entre le bénéfice que peut tirer l'individu requérant de
la requête et la somme des bénéfices qui résulteront, pour toutes les
personnes se trouvant sous la juridiction de la Belgique, d'un résultat
éventuellement favorable de celle-ci. »
La Commission rappelle à cet égard que la notion de « victime »
prévue à l'article 25 (art. 25) de la Convention doit être interprétée
de façon autonome et indépendamment de notions internes telles que
celles concernant l'intérêt à ou la qualité pour agir.
Pour qu'un requérant puisse se prétendre victime d'une violation
de l'un des droits et libertés reconnus par la Convention, il doit
exister un lien suffisamment direct entre le requérant en tant que tel
et le préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la violation
alléguée (N° 10733/84, déc. 11.3.85, D.R. 41, p. 211).
A cet égard, la Commission rappelle sa jurisprudence selon
laquelle ne peut se prétendre victime celui qui est incapable de
montrer qu'il est personnellement affecté par l'application de la loi
qu'il critique (N° 9939/82, déc. 4.7.83, D.R. 34 p. 213).
Or l'association requérante elle-même ne peut faire l'objet d'une
quelconque mesure de surveillance par l'utilisation de systèmes de
prise de vues. Les considérations développées par l'association
requérante ne sont pas de nature à modifier cette constatation. La
Commission relève par ailleurs que rien n'empêche une association de
représenter un certain nombre de particuliers, pourvu que ceux-ci
fussent identifiés et que l'association justifie d'un mandat spécifique
donné par chacun d'eux (N° 10983/84, déc. 12.5.86, D.R. 47, p. 225).
Il s'ensuit que l'association requérante ne peut se prétendre
victime en tant que telle de violations alléguées des articles 8 et 13
(art. 8, 13) de la Convention.
Les griefs présentés par l'association requérante sont donc
incompatibles ratione personae avec les dispositions de la Convention,
au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
3. Le premier requérant allègue la violation de l'article 8 par. 1
(art. 8-1) de la Convention, qui dispose que :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et
familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique
dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette
ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une
mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire
à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être
économique du pays, à la défense de l'ordre et à la
prévention des infractions pénales, à la protection de la
santé ou de la morale, ou à la protection des droits et
libertés d'autrui. »
Se pose également la question de savoir si ce requérant peut se
prétendre victime de la violation alléguée (cf N° 17187/90,
déc. 8.9.93, D.R. 75, p. 57 ; N° 12237/86, déc. 9.5.89, D.R. 67,
p. 123). La Commission n'estime cependant pas nécessaire de répondre
à cette question, le grief présenté étant en tout état de cause
manifestement mal fondé pour les motifs ci-après.
Le premier requérant soutient essentiellement que le fait
qu'aucune loi ne règle l'utilisation de systèmes de prise de vues
lorsqu'il n'y a pas d'enregistrement des données visuelles recueillies
porte atteinte à sa vie privée dans la mesure où elle l'oblige à
adopter des formes d'autocensure, afin d'éviter de poser des actes ou
d'adopter des comportements qui pourraient êtres interprétés par
d'éventuels observateurs faisant usage de tels appareils de
surveillance. A la lecture du grief, la Commission constate que le
requérant ne vise l'utilisation de caméras par les pouvoirs publics ou
des personnes privées que dans les lieux publics ou dans des locaux
qu'ils occupent régulièrement.
La Commission n'estime pas nécessaire d'établir si une telle
utilisation de systèmes de prise de vue est « prévue par la loi », au
sens de l'article 8 (art. 8) précité, dans la mesure où elle considère
qu'il n'y a pas eu, en tout état de cause, ingérence dans la vie privée
du requérant, pour les motifs ci-après exposés.
Afin de déterminer dans des cas similaires l'étendue de la
garantie accordée par l'article 8 (art. 8) contre les ingérences des
autorités publiques, la Commission examine si l'utilisation de systèmes
de prise de vues sans enregistrement des données visuelles recueillies
constitue une intrusion dans la sphère privée d'un individu (par
exemple lorsqu'elle est faite à son domicile), si les données visuelles
se réfèrent à des événements d'ordre privé ou public, et si elles sont
destinées à servir à un usage limité ou susceptibles d'être portées à
la connaissance du public (cf. N° 5877/72, déc. 12.10.72, Annuaire 16
p. 328 ; Friedl c. Autriche, rapport Comm. 19.5.94, par. 48).
En l'espèce, la Commission relève que les systèmes de prise de
vues dont se plaint le requérant sont susceptibles d'intervenir sur la
voie publique ou dans des locaux occupés régulièrement par les
utilisateurs desdits systèmes, dans un but de surveillance des lieux
pour en garantir la sécurité. En l'absence de tout enregistrement, on
voit mal comment les données visuelles recueillies pourraient être
portées à la connaissance du public ou utilisées à d'autres fins que
des fins de surveillance des lieux. La Commission relève encore que les
données qui pourraient être recueillies par une personne se trouvant
derrière des écrans de contrôle sont identiques à celles qu'elle aurait
pu obtenir par sa présence sur les lieux (N° 25547/94, déc. 6.9.95, non
publiée). Les faits susceptibles d'être observés ne peuvent donc
essentiellement être que des comportements publics. Le requérant n'a
pas non plus démontré de manière plausible que des comportements privés
commis en public auraient pu faire l'objet d'une quelconque
surveillance.
Faisant application des critères exposés ci-dessus, la Commission
arrive à la conclusion qu'il n'y a, en l'espèce, aucune apparence
d'ingérence dans la vie privée du premier requérant.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
4. Dans la mesure où le premier requérant se plaint d'une violation
de l'article 13 (art. 13) de la Convention, il convient de rappeler que
cette disposition ne reconnaît le droit à un recours effectif devant
une instance nationale qu'à celui qui fait valoir « un grief défendable
» sur le terrain de la Convention (cf, par exemple, Cour eur. D.H.,
arrêt Boyle et Rice c. Royaume-Uni du 27 avril 1988, série A n° 131,
p. 23, par. 52). La Commission estime que tel n'est pas le cas du grief
examiné ci-dessus.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal
fondée, au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission,
ORDONNE LA JONCTION DES REQUETES N° 32200/96 et N° 32201/96, et
à la majorité,
DECLARE LES REQUETES IRRECEVABLES.
M.F. BUQUICCHIO M.P. PELLONPÄÄ
Secrétaire Président
de la Première Chambre de la Première Chambre
Textes cités dans la décision