CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE VAN DER LEER c. PAYS-BAS, 21 février 1990, 11509/85

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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www.revuegeneraledudroit.eu · 18 juin 2002

QUATRIÈME SECTION AFFAIRE DELBEC c. FRANCE (Requête n° 43125/98) ARRÊT STRASBOURG 18 juin 2002 Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. En l'affaire Delbec c. France, La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de : SirNicolas Bratza, président, MM.M. Pellonpää, J.-P. Costa, A. Pastor Ridruejo, MmeE. Palm, MM.M. Fischbach, J. Casadevall, juges, et de M. M. O'Boyle, greffier de section, Après en …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Chambre), 21 févr. 1990, n° 11509/85
Numéro(s) : 11509/85
Publication : A170-A
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Bouamar du 29 février 1988, série A no 129, p. 20, par. 47
Arrêt Bozano du 18 décembre 1986, série A no 111, p. 23, par. 54
Arrêt de Wilde, Ooms et Versyp du 18 juin 1971, série A no 12, p. 40-41, par. 76
Arrêt Winterwerp du 24 octobre 1979, série A no 33, pp. 17-18, 19-20, paras. 39, 45
Arrêt X c. Royaume-Uni du 5 novembre 1981, série A no 46, p. 28, par. 66
Références à des textes internationaux :
Loi sur les aliénés, Article 17 paras. 3, 4 Règlement I pris en exécution de la loi sur l'organisation judiciaire, Article 72
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'Art. 5-1 ; Violation de l'Art. 5-2 ; Violation de l'Art. 5-4 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Préjudice moral - demande partiellement rejetée ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-62177
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1990:0221JUD001150985
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Sur les parties

Texte intégral

En l'affaire van der Leer*,

_______________

* Note du greffier: L'affaire porte le n° 12/1988/156/210.  Les deux

premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les deux

derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et

sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

_______________

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à

l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses

pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont

le nom suit:

        MM. R. Ryssdal, président,

            J. Cremona,

            A. Spielmann,

            J. De Meyer,

            J.A. Carrillo Salcedo,

            N. Valticos,

            S.K. Martens,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier

adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 27 septembre 1989 et

22 janvier 1990,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1.      L'affaire a été portée devant la Cour par la Commission

européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le

13 septembre 1988, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les

articles 32 § 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention.  A son

origine se trouve une requête (n° 11509/85) dirigée contre le Royaume

des Pays-Bas et dont une ressortissante de cet Etat,

Mme Hendrika Wilhelmina van der Leer, avait saisi la Commission

en mai 1984 en vertu de l'article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48

(art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration néerlandaise de

reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour (article 46)

(art. 46).  Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de

savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat

défendeur aux exigences de l'article 5 §§ 1, 2 et 4 et de

l'article 6 § 1 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-4, art. 6-1).

2.      En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 § 3 d) du

règlement, la requérante a manifesté le désir de participer à

l'instance et a désigné son conseil (article 30).

3.      La chambre à constituer comprenait de plein droit

M. S.K. Martens, juge élu de nationalité néerlandaise (article 43 de

la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour

(article 21 § 3 b) du règlement).  Le 29 septembre 1988, celui-ci en a

désigné par tirage au sort les cinq autres membres, à savoir

MM. J. Cremona, A. Spielmann, J. De Meyer, J.A. Carrillo Salcedo

et N. Valticos, en présence du greffier (articles 43 in fine de la

Convention et 21 § 4 du règlement) (art. 43).

4.      Ayant assumé la présidence de la Chambre (article 21 § 5 du

règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier adjoint

l'agent du gouvernement des Pays-Bas ("le Gouvernement"), le délégué de la

Commission et la représentante de la requérante au sujet de la nécessité

d'une procédure écrite (article 37 § 1).  L'instance a tout d'abord été

suspendue pendant des négociations menées entre Gouvernement et requérante

en vue d'un règlement amiable, mais le 30 janvier 1989 l'agent du

Gouvernement a informé le greffier de leur échec.

Par la suite et conformément aux ordonnances et directives du

président, le greffe a reçu le mémoire du Gouvernement le 26 avril.

La requérante s'est bornée à présenter, le 20 septembre 1989, des

demandes au titre de l'article 50 (art. 50) de la Convention.

Le 6 juillet, le secrétaire de la Commission avait fait savoir au

greffier que le délégué s'exprimerait lors des audiences.

5.      A des dates diverses s'échelonnant du 6 juillet au

24 octobre 1989, la Commission, le Gouvernement et la requérante,

selon le cas, ont fourni différents documents que le greffier les

avait invités à produire, sur les instructions de la Cour.

Le 24 octobre 1989, le Gouvernement a en outre présenté ses

commentaires sur les prétentions de la requérante au titre de

l'article 50 (art. 50).

6.      Le 7 juillet 1989, le président a fixé au 26 septembre la date

d'ouverture de la procédure orale après avoir recueilli l'opinion des

comparants par les soins du greffier (article 38 du règlement).

7.      Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais

des Droits de l'Homme à Strasbourg.  La Cour avait tenu immédiatement

auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

  Mlle D.S. van Heukelom, jurisconsulte adjoint,

        ministère des Affaires étrangères,                 agent,

  M. J.C. De Wijkerslooth de Weerdesteijn,

        Landsadvokaat,                                     conseil,

  Mme R.E. van Galen-Herrmann, ministère de la Justice,    conseiller;

- pour la Commission

  M. H. Danelius,                                          délégué;

- pour la requérante

  Me G.E.M. Later, avocat et avoué,                        conseil,

  MM. W.J.J. Los,

      J. Legemaate,                                        conseillers.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mlle D.S. van Heukelom et

M. J.C. De Wijkerslooth de Weerdesteijn pour le Gouvernement,

M. Danelius pour la Commission et Me Later pour la requérante.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

8.      Mme Hendrika Wilhelmina van der Leer, ressortissante

néerlandaise née en 1922, réside actuellement à La Haye.

9.      Le 28 septembre 1983, le bourgmestre de La Haye ordonna

l'internement de la requérante, qui en avait déjà subi d'autres, dans

un hôpital psychiatrique de la ville.  Après que le président du

tribunal d'arrondissement (Arrondissementsrechtbank) en eut refusé la

prolongation par une décision du 3 octobre 1983, la requérante y resta

néanmoins de son plein gré.

Le 18 novembre 1983, à la demande du mari de la requérante, le juge

cantonal (Kantonrechter) de La Haye autorisa la détention forcée de

celle-ci dans le même hôpital pour une période de six mois.  La

demande s'appuyait sur un certificat médical établi par un psychiatre

qui avait examiné l'intéressée le 16.  Il y répondait par la négative

à la question de savoir s'il serait inutile ou médicalement

contre-indiqué qu'un juge entendît Mme van der Leer.

Le juge cantonal ne tint aucune audience, de sorte qu'il n'y eut pas

de procès-verbal.  Aux termes de l'ordonnance, la nécessité d'interner

la requérante dans un hôpital psychiatrique ressortait à suffisance du

certificat médical.  Sur le formulaire type utilisé, on avait biffé la

mention préimprimée selon laquelle le juge n'avait pas ouï

l'intéressée parce que c'eût été inutile ou médicalement

contre-indiqué.

Mme van der Leer ne fut pas informée de la décision et n'en reçut pas

non plus de copie.

10.     A la suite de son placement en isolement, le 28 novembre 1983,

elle prit conscience du caractère forcé de sa détention et se mit

immédiatement en rapport avec son avocat.  Invitée par lui,

le 6 décembre, à la libérer, la direction de l'hôpital s'y refusa le

15 décembre en se fondant sur l'avis négatif de son médecin-chef.  La

demande fut transmise le 20 décembre 1983 au procureur de la Reine

(Officier van Justitie) qui en saisit, le 6 février 1984, le tribunal

d'arrondissement de La Haye.

11.     Des débats se déroulèrent devant le tribunal d'arrondissement

les 5 mars, 16 avril et 7 mai 1984, Mme van der Leer y étant chaque

fois représentée par son conseil.  Le 26 mars 1984, le tribunal

déclara vouloir entendre le médecin traitant et prescrivit sa

comparution ainsi que la production des rapports médicaux de

l'hôpital, mais cette décision interlocutoire ne reçut d'effet ni à

l'audience du 16 avril ni à celle du 7 mai 1984.  Faute d'éléments

permettant de conclure que Mme van der Leer présentait un danger à

cause de sa maladie mentale, le tribunal ordonna son élargissement à

cette dernière date.

12.     Avec l'aide de son mari, Mme van der Leer avait toutefois déjà

quitté l'hôpital sans autorisation le 31 janvier 1984.

L'hôpital lui avait accordé un congé à l'essai à partir du

7 février, mais elle ne l'apprit qu'indirectement, dans le courant du

mois de mars.

II. Droit et pratique internes pertinents

13.     Aux Pays-Bas, l'internement des aliénés est régi par une loi

du 27 avril 1884 sur le contrôle des malades mentaux par l'Etat,

communément appelée loi sur les malades mentaux (Krankzinnigenwet).

A. Procédure d'internement en cas d'urgence

14.     S'il y a urgence, le bourgmestre a compétence pour prescrire

l'admission forcée d'un "malade mental" dans un hôpital psychiatrique.

Aux termes de l'article 35 c) de la loi, il recueille d'abord l'avis

d'un psychiatre ou, si la chose ne se révèle pas possible, d'un autre

médecin.  Dès qu'il a ordonné un internement, il informe le procureur

de la Reine et lui envoie la déclaration médicale sur laquelle il

s'est fondé.  A son tour, le procureur la communique, au plus tard le

lendemain, au président du tribunal d'arrondissement en requérant, le

cas échéant, le maintien de l'internement.  Le président statue dans

les trois jours.  S'il refuse de la prolonger, la privation de liberté

prend fin à la date de sa décision.

B. Autorisation d'internement provisoire

15.     L'article 12 de la loi habilite, entre autres, le conjoint

d'une personne atteinte de troubles mentaux à inviter par écrit le

juge cantonal à autoriser l'internement temporaire de celle-ci dans un

hôpital psychiatrique pour la raison que l'intérêt de l'ordre public

ou du patient l'exige.

D'après l'article 16, pareille demande s'accompagne d'une attestation

motivée établie par un médecin agréé, spécialiste des maladies

mentales et nerveuses.  L'attestation doit relever que le patient

souffre de troubles mentaux et qu'un traitement dans un asile est

nécessaire ou souhaitable.  Elle précise dans la mesure du possible si

l'état de l'intéressé rend son audition par le juge inutile ou

médicalement contre-indiquée.

16.     Le juge accorde l'autorisation d'internement provisoire

sollicitée si l'attestation médicale, seule ou combinée avec les

circonstances relatées et les pièces produites, montre à suffisance

que le traitement dans un hôpital psychiatrique est "nécessaire ou

souhaitable" (article 17 § 1 de la loi).  La Cour de cassation (Hoge

Raad) des Pays-Bas a interprété ces derniers mots comme signifiant que

le malade doit présenter un danger pour lui-même, pour autrui ou pour

l'ordre public au point qu'il soit nécessaire ou souhaitable de le

soigner dans une clinique psychiatrique (arrêt du 4 novembre 1983,

Nederlandse Jurisprudentie (NJ) 1984, n° 162).

Le juge a l'obligation d'entendre l'intéressé sauf s'il déduit du

certificat médical que ce serait inutile ou médicalement

contre-indiqué (article 17 § 3).  La Cour de cassation a jugé qu'il

doit motiver la décision de ne pas procéder à une telle audition

(arrêt du 27 novembre 1981, NJ 1983, n° 56).

"Dans la mesure du possible", il doit se renseigner, entre autres,

auprès de l'auteur de la demande d'internement et auprès du conjoint

du malade (article 17 § 4).

L'article 72 du règlement I (Reglement I) édicté en exécution de la

loi sur l'organisation judiciaire (wet op de rechterlijke organisatie)

prévoit la présence d'un greffier "aux audiences et auditions"

("terechtzittingen en verhoren").

L'ordonnance d'internement n'est ni susceptible d'appel ni notifiée à

la personne concernée (article 17 §§ 1 et 8); son renouvellement doit

être sollicité dans les six mois qui suivent le jour de son prononcé

(article 22).

C. Elargissement du patient

17.     D'après l'article 29 de la loi, le malade peut à tout moment

inviter la direction de l'hôpital à le libérer.  Celle-ci doit

immédiatement consulter le médecin-chef.  S'il conclut au rejet de la

demande, la direction la transmet, avec l'avis en question, au

procureur de la Reine qui en général saisit le tribunal

d'arrondissement.

18.     Au sujet de la procédure, l'article 29 renvoie à l'article 23,

aux termes duquel le tribunal d'arrondissement a la faculté, mais non

l'obligation, d'entendre le malade.  Dans un arrêt du 2 décembre 1983

(NJ 1984, n° 164), toutefois, la Cour de cassation a jugé qu'eu égard

à l'article 5 (art. 5) de la Convention, ces dispositions doivent

s'interpréter comme conférant au patient interné le droit d'être

entendu et d'invoquer tout élément propre à contribuer à sa libération;

cela implique le droit non seulement de se faire assister par un

avocat, mais aussi d'exiger la présence d'un expert qui puisse

combattre les arguments de la direction de l'hôpital.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

19.     Dans sa requête du 18 mai 1984 à la Commission (n° 11509/85),

Mme van der Leer alléguait que son internement dans un hôpital

psychiatrique n'avait pas eu lieu "conformément aux voies légales" et

n'était pas "régulier", au sens du paragraphe 1 de l'article 5

(art. 5-1) de la Convention.  Elle dénonçait en outre un manquement

aux exigences des paragraphes 2 et 4 (art. 5-2, art. 5-4), affirmant

ne pas avoir été informée de l'ordonnance du 18 novembre 1983 et

n'avoir pas eu la possibilité d'en faire contrôler "à bref délai" la

légalité par un tribunal.  Elle prétendait enfin qu'au mépris de

l'article 6 § 1 (art. 6-1), il n'avait pas été décidé, dans le cadre

d'un procès équitable, des contestations sur ses droits et obligations

de caractère civil.

20.     La Commission a retenu la requête le 16 juillet 1986.

Dans son rapport du 14 juillet 1988 (article 31) (art. 31),

elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 5 §§ 1, 2 et 4

(art. 5-1, art. 5-2, art. 5-4) mais non de l'article 6 § 1 (art. 6-1).

Le texte intégral de son avis et de l'opinion séparée dont il

s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*.

_______________

* Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y

figurera que dans l'édition imprimée (volume 170 de la série A des

publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du

greffe.

_______________

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 5 § 1 (art. 5-1)

21.      La requérante se prétend victime d'une violation de

l'article 5 § 1 (art. 5-1) qui, dans la mesure où elle l'invoque, se

lit ainsi:

"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté.  Nul ne

peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les

voies légales:

(...)

e) s'il s'agit de la détention régulière (...) d'un aliéné (...);

(...)"

L'ordonnance autorisant son internement dans un hôpital psychiatrique

n'aurait pas été décernée dans le respect des voies légales, ce qui

aurait entaché d'irrégularité la détention litigieuse.

D'abord et surtout, le juge cantonal n'aurait pas entendu

Mme van der Leer au préalable, alors pourtant que l'article 17 § 3 de

la loi sur les aliénés l'y obligeait, le psychiatre n'ayant émis

aucune objection à pareille audition (paragraphe 9 ci-dessus).

En outre, ladite ordonnance n'aurait pas observé les conditions

auxquelles la Cour de cassation des Pays-Bas et la Cour européenne des

Droits de l'Homme subordonnent la validité d'une telle mesure: il

n'en ressortirait pas que le juge ait constaté l'existence d'un danger

de l'intéressée pour elle-même, pour autrui ou pour l'ordre public;

quant au certificat du psychiatre, la requérante doute qu'il revêtît

le caractère d'un rapport d'expert assez objectif pour permettre de

conclure qu'elle était aliénée au sens de l'article 5 § 1 e)

(art. 5-1-e) de la Convention.

Elle estime, de plus, que le juge cantonal aurait dû ouïr aussi son

mari (article 17 § 4 de la loi sur les aliénés) ou, pour le moins,

indiquer pourquoi il y renonçait.

Elle allègue enfin la méconnaissance de l'article 72 du règlement I

pris en exécution de la loi sur l'organisation judiciaire, lequel

prévoit la présence d'un greffier aux audiences et auditions

(paragraphe 16 ci-dessus).

22.      De l'avis de la Cour, le principal problème à trancher en

l'espèce a trait à la "régularité" de la détention litigieuse, y

compris l'observation des "voies légales".  En la matière, la

Convention renvoie pour l'essentiel à la législation nationale et

consacre l'obligation d'en respecter les normes de fond comme de

procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute

privation de liberté au but de l'article 5 (art. 5): protéger

l'individu contre l'arbitraire (voir notamment les arrêts Winterwerp

du 24 octobre 1979, série A n° 33, pp. 17-18 et 19-20, §§ 39 et 45,

Bozano du 18 décembre 1986, série A n° 111, p. 23, § 54, et Bouamar du

29 février 1988, série A n° 129, p. 20, § 47).

23.      Nonobstant les prescriptions de la loi sur les aliénés, le

juge cantonal n'entendit pas Mme van der Leer avant d'autoriser son

internement, alors que les conditions légales lui permettant de se

dispenser de pareille audition ne se trouvaient pas remplies; à tout

le moins aurait-il dû indiquer, dans sa décision, les raisons qui

l'incitaient à s'écarter à cet égard de l'avis du psychiatre.  Le

Gouvernement en convient.

Il y a donc eu violation de l'article 5 § 1 (art. 5-1) sur le point

dont il s'agit.

24.      Ayant constaté ce vice de forme essentiel, la Cour ne juge

pas nécessaire d'examiner les autres griefs avancés par l'intéressée

sur le terrain de l'article 5 § 1 (art. 5-1).

II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 5 § 2 (art. 5-2)

25.      La requérante allègue une violation de l'article 5 § 2

(art. 5-2) qui dispose:

"Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai

et dans une langue qu'elle comprend, des raisons de son arrestation et

de toute accusation portée contre elle."

D'après elle, ce texte lui donnait droit à être immédiatement informée

de l'autorisation d'internement.  Or elle n'en aurait eu connaissance

que par hasard, à l'occasion de son placement en isolement.

26.      Le Gouvernement concède qu'il eût fallu aviser promptement

Mme van der Leer, mais d'après lui cela découle du paragraphe 4

(art. 5-4).  Le paragraphe 2 (art. 5-2), lui, ne s'appliquerait pas en

l'espèce: les mots "arrestation" et "accusation" montreraient qu'il

vaut uniquement pour les personnes tombant sous le coup d'une loi

pénale; le confirmerait la présence, entre eux, de la conjonction

"et".

27.      La Cour est consciente de la connotation pénale des termes

utilisés à l'article 5 § 2 (art. 5-2).  Avec la Commission, elle

considère cependant qu'ils doivent recevoir une interprétation

autonome, conforme en particulier à l'objet et au but de l'article 5

(art. 5): protéger toute personne contre les privations arbitraires

de liberté.  Aussi l'"arrestation" visée au paragraphe 2 de

l'article 5 (art. 5-2) dépasse-t-elle le cadre des mesures à caractère

pénal.  De même, en parlant de "toute accusation" ("any charge") le

texte précité n'entend pas formuler une condition à son applicabilité,

mais désigner une éventualité qu'il prend en compte.

28.     Le lien étroit entre les paragraphes 2 et 4 de l'article 5

(art. 5-2, art. 5-4) corrobore cette interprétation: quiconque a le

droit d'introduire un recours en vue d'une décision rapide sur la

légalité de sa détention, ne peut s'en prévaloir efficacement si on ne

lui révèle pas dans le plus court délai, et à un degré suffisant, les

raisons pour lesquelles on l'a privé de sa liberté (voir, mutatis

mutandis, l'arrêt X contre Royaume-Uni du 5 novembre 1981, série A

n° 46, p. 28, § 66).

Or le paragraphe 4 (art. 5-4) ne distingue pas entre les personnes

privées de leur liberté par arrestation et celles qui le sont par

détention.  Il n'y a donc pas lieu d'exclure les secondes du bénéfice

du paragraphe 2 (art. 5-2).

29.      Ayant ainsi conclu à l'applicabilité de l'article 5 § 2

(art. 5-2), la Cour doit en contrôler à présent le respect.

30.     La requérante séjournait à l'hôpital, aux fins de traitement,

sur une base dite volontaire.  Elle apprit le 28 novembre 1983

seulement, à l'occasion de sa mise en isolement, qu'elle n'était plus

libre de le quitter quand elle voulait, en raison d'une ordonnance

rendue dix jours auparavant (paragraphes 9-10 ci-dessus).  Le

Gouvernement ne le conteste pas.

31.     Il appert donc que l'intéressée ne fut avisée ni de la

manière, ni dans les délais voulus par l'article 5 § 2 (art. 5-2) des

mesures privatives de liberté la frappant.  Or il importait d'autant

plus de les lui signaler qu'elle se trouvait déjà à l'hôpital

psychiatrique avant la décision du juge cantonal, laquelle ne changea

pas sa situation de fait.

Partant, il y a eu violation de l'article 5 § 2 (art. 5-2).

III. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 5 § 4 (art. 5-4)

32.     La requérante allègue une double méconnaissance de

l'article 5 § 4 (art. 5-4), ainsi libellé:

"Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le

droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à

bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si

la détention est illégale."

Elle se prétend d'abord victime d'une atteinte à son droit à être

informée sans délai, et dans une mesure suffisante, des faits et des

motifs de sa détention afin de pouvoir introduire le recours visé par

ce texte.  En second lieu, il y aurait eu dépassement du "bref délai",

le tribunal d'arrondissement n'ayant rendu sa décision sur la légalité

de l'ordonnance litigieuse que cinq mois après l'exercice du recours.

33.     Il échet de relever d'emblée que le contrôle de légalité voulu

par l'article 5 § 4 (art. 5-4) ne se trouvait pas ici incorporé à la

décision privative de liberté: avant d'autoriser l'internement, le

juge n'avait pas respecté une garantie fondamentale de procédure

exigée en la matière (paragraphe 23 ci-dessus et arrêt De Wilde, Ooms

et Versyp du 18 juin 1971, série A n° 12, pp. 40-41, § 76).  La

possibilité d'un recours s'imposait par conséquent.

34.     La Cour a déjà tranché, sous l'angle de l'article 5 § 2

(art. 5-2), la question des renseignements qu'il eût fallu communiquer

à Mme van der Leer.  Elle n'estime pas nécessaire de l'examiner de

surcroît au regard de l'article 5 § 4 (art. 5-4).

35.     Au sujet du respect du "bref délai" en l'espèce, elle constate

certaines divergences entre les comparants quant au mode de calcul de

la période à considérer.  En garantissant un recours aux personnes

arrêtées ou détenues, l'article 5 § 4 (art. 5-4) consacre aussi leur

droit à voir rendre dans un bref délai, à partir de son introduction,

une décision judiciaire mettant fin à leur privation de liberté si

elle se révèle illégale.

Or ni la fuite de la requérante, ni même l'octroi d'un congé à l'essai

ne pouvaient remplacer pareille décision.  Après avoir quitté

d'elle-même l'hôpital, Mme van der Leer aurait pu à tout moment y être

ramenée de force.  Le congé n'y changea rien dans son optique à elle:

la décision de l'hôpital n'ayant pu être portée à sa connaissance,

elle dut continuer à craindre de devoir réintégrer l'établissement.

Partant, la période pertinente va du dépôt de la demande

d'élargissement - qu'il faut, en l'espèce, assimiler à un recours

contre l'ordonnance d'internement - au jugement d'élargissement, soit

du 6 décembre 1983 au 7 mai 1984.

36.     La procédure s'étendit par conséquent sur cinq mois.  Dans les

circonstances particulières de la cause, la Cour estime ce laps de

temps excessif.  Ainsi que la requérante le souligna dans ladite

demande, le juge ne l'avait pas entendue avant d'autoriser son

internement.  De plus, le manquement à l'obligation d'informer

l'intéressée de la mesure prise à son égard put retarder sensiblement

l'exercice du recours.  Il existait donc des raisons pressantes

d'éviter toute lenteur.  Or de l'aveu même du Gouvernement, le

procureur de la Reine, saisi le 20 décembre 1983, ne transmit le

dossier au tribunal d'arrondissement de La Haye que le 6 février 1984

(paragraphe 10 ci-dessus).  En l'absence de motifs justifiant ce

délai, la Cour conclut à la violation de l'article 5 § 4 (art. 5-4).

IV. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 § 1 (art. 6-1)

37.     Devant la Commission la requérante invoquait aussi

l'article 6 § 1 (art. 6-1), mais à l'audience du 26 septembre 1989

elle a renoncé à ce grief.  La Cour ne juge pas nécessaire d'examiner

la question d'office.

V. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)

38.     Aux termes de l'article 50 (art. 50) de la Convention,

"Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure

ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une

Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en

opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et

si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement

d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la

décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une

satisfaction équitable."

39.     Mme van der Leer réclame d'abord 10.000 florins pour dommage

matériel et moral.  Outre le préjudice causé par sa détention

irrégulière, elle aurait été éprouvée non seulement par la crainte de

se voir reconduire à l'hôpital après sa fuite, mais aussi par la

procédure en justice et le souvenir des circonstances pénibles de son

internement.

40.     Elle sollicite en outre le versement de 30.997 florins 55 au

titre des frais et honoraires de l'avocat qui l'a défendue devant la

Commission et la Cour.

Le Gouvernement note qu'elle a bénéficié de l'assistance judiciaire

gratuite.  Selon lui, elle n'a pas prouvé devoir payer à son avocat un

supplément d'honoraires dont elle puisse demander le remboursement.

41.     En vue d'un règlement amiable éventuel, le Gouvernement avait

proposé à la requérante une somme forfaitaire de 15.000 florins

couvrant à la fois tout préjudice subi et les frais qu'a entraînés sa

représentation par un avocat devant les organes de Strasbourg.  Il a

maintenu cette offre pendant les débats.

42.     L'intéressée a dû souffrir un certain tort moral: le fait de

ne pas avoir été entendue par le juge cantonal a pu lui inspirer un

sentiment de frustration auquel s'est ajoutée, pendant le dépassement

du "bref délai", l'appréhension de devoir réintégrer l'hôpital.

Statuant en équité comme le veut l'article 50 (art. 50), la Cour lui

alloue, tous chefs de dédommagement confondus, la somme forfaitaire de

15.000 florins.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,

1. Dit qu'il y a eu violation des paragraphes 1, 2 et 4 de

l'article 5 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-4);

2. Dit qu'il ne s'impose pas d'examiner aussi l'affaire sous l'angle

de l'article 6 § 1 (art. 6-1);

3. Dit que les Pays-Bas doivent verser à la requérante

15.000 (quinze mille) florins néerlandais au titre de l'article 50

(art. 50);

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au

Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg, le 21 février 1990.

Signé: Rolv RYSSDAL

       Président

Signé: Marc-André EISSEN

       Greffier

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CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE VAN DER LEER c. PAYS-BAS, 21 février 1990, 11509/85