CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE KLAAS c. ALLEMAGNE, 22 septembre 1993, 15473/89

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

COUR (CHAMBRE)

AFFAIRE KLAAS c. ALLEMAGNE

(Requête no15473/89)

ARRÊT

STRASBOURG

22 septembre 1993



En l’affaire Klaas c. Allemagne[*],

La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")[*] et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,

R. Bernhardt,

Thór Vilhjálmsson,

L.-E. Pettiti,

B. Walsh,

A. Spielmann,

I. Foighel,

J.M. Morenilla,

A.B. Baka,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 mars et 24 août 1993,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1.  L’affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement allemand ("le Gouvernement") puis par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission"), les 10 août et 11 septembre 1992, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 15473/89) dirigée contre l’Allemagne et dont deux ressortissantes de cet État, Mme Hildegard Klaas ("la première requérante") et sa fille Monika Klaas ("la seconde requérante"), avaient saisi la Commission le 11 juillet 1989 en vertu de l’article 25 (art. 25).

La requête du Gouvernement renvoie aux articles 32 et 48 (art. 32, art. 48), la demande de la Commission aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration allemande reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elles ont pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’État défendeur aux exigences des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8).

2.  En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement, les requérantes ont manifesté le désir de participer à l’instance et ont désigné leur conseil (article 30), que le président a autorisé à employer la langue allemande (article 27 par. 3).

3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit M. R. Bernhardt, juge élu de nationalité allemande (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement). Le 26 septembre 1992, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, L.-E. Pettiti, B. Walsh, A. Spielmann, I. Foighel, J.M. Morenilla et A.B. Baka (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement) (art. 43), en présence du greffier.

4.  En qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement), M. Ryssdal a consulté, par l’intermédiaire du greffier adjoint, l’agent du Gouvernement, l’avocat des requérantes et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du Gouvernement le 7 décembre 1992 et les observations des intéressées le 19 janvier 1993.

La Commission et le Gouvernement ont produit diverses pièces les 4 février et 24 mars 1993 respectivement, à la demande du greffier. Le 9 février 1993, celui-ci a été informé que le délégué s’exprimerait de vive voix.

5.  Ainsi qu’en avait décidé le président - qui avait également autorisé l’agent du Gouvernement à plaider en allemand (article 27 par. 2 du règlement) -, les débats se sont déroulés en public le 24 mars 1993, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. J. Meyer-Ladewig, Ministerialdirigent,

ministère fédéral de la Justice, agent;

- pour la Commission

M. J. Frowein, délégué;

- pour les requérantes

Me M. Stüben, avocat, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Meyer-Ladewig pour le Gouvernement, M. Frowein pour la Commission et Me Stüben pour les requérantes, ainsi que des réponses à ses questions et à celles de deux de ses membres.

EN FAIT

6.  Le 28 janvier 1986 vers 19 h 30, la première requérante, travailleuse sociale, arrêta son automobile à l’entrée de l’arrière-cour de l’immeuble où elle habite à Lemgo. Elle se trouvait avec sa fille Monika, âgée de huit ans à l’époque. Après avoir ouvert la grille, elle fut interpellée par deux agents de police qui l’avaient suivie et se tenaient dans le passage. Ils l’accusèrent d’avoir brûlé un feu rouge et d’avoir tenté de s’enfuir, ce qu’elle nie. Ils affirmèrent qu’elle exhalait une forte odeur d’alcool quand ils contrôlèrent son permis. Elle accepta de subir un alcootest. Bien qu’ils lui eussent montré comment procéder, elle ne réussit pas à souffler dans l’instrument de manière satisfaisante; en conséquence, les policiers lui ordonnèrent de les accompagner à l’hôpital local en vue d’une prise de sang.

Il en résulta une altercation pendant laquelle Mme Klaas fut appréhendée. Le cours précis des événements prête à controverse entre les intéressées et les agents de police (paragraphes 7 et 9 ci-dessous).

Là-dessus, la première requérante fut amenée à l’hôpital aux fins de la prise de sang, qui révéla une alcoolémie de 0,82 g par litre, après quoi on la relâcha.

7.  D’après les requérantes, la première consentit à se prêter à une prise de sang, mais expliqua qu’elle voulait d’abord conduire sa fille chez une voisine. L’un des agents lui aurait opposé un refus et l’aurait traînée vers la voiture de police. Elle aurait été avertie qu’elle risquait une inculpation de résistance à la force publique (Widerstand gegen die Staatsgewalt). Au moment où elle appela sa fille, les policiers lui auraient dit qu’ils s’en occuperaient. Elle aurait alors saisi l’enfant par la main, se serait rendue à la porte de derrière et l’aurait ouverte après avoir appuyé sur la sonnette de sa voisine. Ce que voyant, l’un des agents l’aurait empoignée et lui aurait tordu le bras gauche derrière le dos; sa tête aurait heurté le coin d’un rebord de fenêtre. Les policiers auraient passé les menottes à Mme Klaas. Elle aurait perdu conscience pendant un bref laps de temps. Quand elle revint à elle, elle se trouvait près du véhicule de la police et ressentait une forte douleur à l’épaule gauche, qu’un des agents de police comprimait en arrière. Enfin, elle aurait pu monter à bord dudit véhicule, qui la transporta à l’hôpital.

8.  La première requérante consulta par deux fois un médecin. Le 11 février 1986, le Dr Schwering certifia l’avoir examinée le 29 janvier et avoir constaté des ecchymoses d’environ 10 cm sur le bras droit, des difficultés considérables à mouvoir l’épaule gauche et des meurtrissures sur celle-ci. Il ajouta que la patiente éprouverait des maux durables, en particulier à l’épaule gauche. Il la mit en congé de maladie jusqu’au 8 février 1986. Le 10, le Dr Krauspe, médecin-chef de l’hôpital local, certifia l’avoir vue le 30 janvier 1986 et être arrivé à un diagnostic presque identique.

I.  LES POURSUITES PÉNALES CONTRE LA PREMIÈRE REQUÉRANTE

9.  Le 29 janvier 1986, l’agent de police (Polizeimeister) Bolte porta plainte contre la première requérante. Il l’accusait de résistance à un membre de la force publique dans l’exercice de ses fonctions, au sens de l’article 113 du code pénal allemand (Strafgesetzbuch), et de conduite sous l’empire de l’alcool, au mépris de l’article 316.

Dans son rapport il affirmait que Mme Klaas, une fois avisée de la nécessité de subir une analyse de son sang, avait essayé de s’échapper dans l’obscurité de l’arrière-cour, sur quoi il l’avait agrippée par le bras et immobilisée.

Elle aurait montré une grande agressivité. Les policiers l’ayant informée qu’ils allaient l’arrêter, elle se serait soudain calmée et aurait déclaré qu’elle les accompagnerait après avoir amené sa fille, à qui M. Bolte donnait douze ans, chez une voisine. Les agents de police auraient accepté afin que les choses ne s’envenimassent point. Ils auraient suivi les requérantes jusqu’à l’entrée arrière de la maison.

La première d’entre elles se serait apprêtée à pénétrer dans la demeure après sa fille et aurait cherché à refermer la porte, mais l’agent de police Wildschut aurait bloqué celle-ci et M. Bolte aurait saisi le bras droit de l’intéressée qu’il aurait tirée à l’extérieur. L’enfant serait montée à l’étage.

Selon le rapport, Mme Klaas se serait débattue, aurait commençé à frapper et aurait tenté de se libérer de l’emprise du policier. M. Wildschut se serait emparé du bras gauche et l’aurait tordu derrière le dos, tandis que son collègue Bolte tenait fermement le bras droit.

Ils auraient eu beaucoup de mal à la maîtriser, car elle résistait. Ils lui auraient passé les menottes pour éviter de nouvelles infractions pénales, en particulier des dommages corporels. Tandis qu’ils se dirigeaient vers la voiture de police, elle aurait voulu se jeter à terre et ils auraient dû l’empoigner par les bras. Un autre véhicule se serait alors présenté, mais dans l’intervalle la voisine de la requérante aurait proposé de prendre soin de l’enfant.

A leur arrivée à l’hôpital de Lemgo, les policiers auraient constaté une éraflure sur la tempe droite de Mme Klaas.

10.  Le 22 avril 1986, le parquet (Staatsanwaltschaft) près le tribunal régional (Landgericht) de Detmold classa l’affaire pour deux raisons différentes: l’infraction de conduite sous l’empire de l’alcool ne se trouvait pas établie; quant à la résistance aux agents de police, la culpabilité de la première requérante était insignifiante (gering) et aucun intérêt général n’exigeait des poursuites pénales.

En novembre 1986, l’autorité administrative compétente condamna Mme Klaas à une amende de 500 DM pour l’"infraction administrative" (Ordnungswidrigkeit) de conduite avec une alcoolémie de 0,82 g par litre, la limite légale étant de 0,8 g. Il suspendit en outre son permis de conduire pour un mois.

Le tribunal de district (Amtsgericht) de Lemgo confirma cette ordonnance et la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Hamm, puis la Cour constitutionnelle (Bundesverfassungsgericht) rejetèrent les recours ultérieurs de l’intéressée.

II.  PROCÉDURES ENGAGÉES PAR LA PREMIÈRE REQUÉRANTE CONTRE LES AGENTS DE POLICE

11.  Le 24 avril 1986, la première requérante dénonça les agents de police concernés, pour coups et blessures contraires aux articles 223 et 230 du code pénal. Dans ses observations des 24 avril et 13 mai 1986, elle leur reprochait d’avoir usé d’une force disproportionnée, lui causant des lésions à la tête, à l’épaule gauche et au bras droit.

Sa plainte fut classée le 10 juillet 1986 après une conversation téléphonique entre son avocat et un fonctionnaire du parquet, au cours de laquelle Mme Klaas retira ses allégations; le parquet l’avait, selon elle, avertie que sans cela les poursuites pénales ouvertes contre elle se prolongeraient.

12.  Le 18 juillet 1986, la première requérante déposa auprès du chef de l’administration du district (Oberkreisdirektor) de Detmold un recours hiérarchique (Dienstaufsichtsbeschwerde) contre les agents qui l’avaient appréhendée. Elle affirmait avoir voulu attendre la venue de sa voisine à la porte, mais n’en avoir pas eu le loisir car le policier barbu lui avait tordu le bras derrière le dos et sa tête avait heurté le rebord en brique d’une fenêtre. Sur quoi elle aurait été entraînée de force vers la voiture de police où on l’aurait maintenue le dos contre l’arrière du véhicule. Le barbu aurait continué à lui pousser à intervalles réguliers l’épaule gauche vers l’arrière. A un moment donné, elle aurait été commotionnée.

La prise de sang aurait révélé un taux d’alcoolémie de 0,8 g. L’intéressée estimait incompréhensible la violence employée contre une femme désarmée, que l’on envisageât les choses de manière objective ou subjective; on aurait dû se servir du moyen le plus clément d’atteindre le but recherché.

13.  En sa qualité d’autorité de police (Kreispolizeibehörde), le chef de l’administration du district de Detmold rejeta le recours le 18 septembre 1986. Sa décision relevait notamment que Mme Klaas avait cherché à fuir une fois informée qu’elle devrait se soumettre à une prise de sang. Cependant, l’un des policiers lui aurait saisi le bras et lui aurait dit qu’elle se trouvait en état d’arrestation. Ils lui auraient permis d’amener d’abord sa fille chez une voisine comme elle le souhaitait. Quand elle ouvrit la porte et essaya d’entrer avec l’enfant, l’un d’eux l’aurait agrippée par le bras droit, sur quoi elle aurait commencé à donner des coups de pied et à frapper de la main gauche. Lorsque les agents la maîtrisèrent, elle tenta de fuir. Il fallut lui passer les menottes. Au cours de l’arrestation, sa tête n’avait jamais heurté le rebord d’une fenêtre. En conclusion, l’usage de la force se justifiait et n’avait pas été disproportionné à l’objectif poursuivi, à savoir une prise de sang.

III.  L’ACTION CIVILE EN DOMMAGES-INTÉRÊTS INTENTÉE PAR LA PREMIÈRE REQUÉRANTE

14.  En avril 1987, la première requérante assigna le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, ainsi que les agents de police concernés, en dommages-intérêts pour les lésions corporelles subies le 28 janvier 1986.

15.  Par une décision partielle du 10 juillet 1987, le tribunal régional de Detmold la débouta de sa demande, au motif qu’un fonctionnaire agissant dans l’exercice de ses attributions ne peut voir engager sa responsabilité personnelle.

16.  Les débats eurent lieu le 9 octobre 1987.

La voisine de la requérante fut la première à déposer. Elle dit avoir remarqué, en dépit du faible éclairage, le visage très marbré et couvert de larmes de Mme Klaas, avoir vu le policier blond maintenir les bras de celle-ci derrière le dos et avoir craint qu’elle ne s’évanouît à tout moment car ses genoux avaient ployé et elle s’était courbée brusquement en avant plusieurs fois. Interrogé plus avant, le témoin déclara qu’à en juger par son comportement l’intéressée avait dû terriblement souffrir. Elle s’était plainte de douleurs à l’épaule gauche et avait prié les agents de police de lui ôter les menottes. La voisine avait réitéré la demande, qu’ils avaient néanmoins écartée.

Le policier Bolte confirma les faits tels qu’il les avait relatés dans son rapport du 29 janvier 1986 (paragraphe 9 ci-dessus). Il ajouta ne pas trop savoir si la première requérante avait à dessein évité de souffler assez longtemps dans l’appareil ou si elle avait éprouvé de réelles difficultés. D’après lui, elle ne s’était pas cogné la tête contre le mur quand il l’avait tirée au dehors, mais il ne s’expliquait toujours pas la contusion à la joue droite qu’il avait mentionnée dans son rapport. En réponse à de nouvelles questions il corrobora la déposition de la voisine, selon laquelle Mme Klaas avait sollicité le retrait des menottes; il précisa qu’ils avaient refusé par peur de complications. Selon lui, en revanche, elle ne s’était pas plainte de douleurs à l’épaule et ne s’était certes pas cogné la tête contre le mur. Il reconnut cependant qu’elle n’avait pas de lésion à la tête avant son interpellation; il ignorait si elle s’était blessée à la joue droite au cours de l’altercation qui avait eu lieu au moment où on lui passa les menottes. Il ne se rappelait pas qui tenait l’intéressée jusqu’à sa montée à bord de la voiture de police, ni si elle s’était soudain courbée en avant, par exemple en raison d’une secousse imprimée à ses menottes et de la douleur en résultant.

Entendu ensuite par le tribunal, l’agent Wildschut confirma les circonstances générales de l’arrestation de la première requérante telles que les avait décrites son collègue Bolte; il ne pouvait pourtant dire qu’elle se fût enfuie. Après avoir ouvert la porte de devant elle avait tenté de la fermer derrière elle, mais il l’avait bloquée tandis que son collègue tenait l’intéressée avec vigueur. Une obscurité totale régnant dans les parages, il ne pouvait exclure que Mme Klaas eût heurté de la tête le mur ou autre chose. En tout cas, il n’avait rien constaté de semblable et n’avait remarqué que plus tard la blessure à la tête. La requérante avait résisté avec énergie à son arrestation; voilà pourquoi il l’avait empoignée par le bras gauche, qu’il avait tordu en le ramenant derrière le dos, puis lui avait passé les menottes dans cette position. Il ne se souvenait pas s’ils avaient opéré dans la cour ou s’ils avaient d’abord emmené Mme Klaas dans la rue. Elle avait effectivement réclamé le retrait des menottes, mais il ne se rappelait pas qu’elle se fût plainte de douleurs, en particulier à l’épaule gauche. Elle avait essayé, en vain, de leur fausser compagnie, mais il ne savait pas avec certitude qui la tenait pendant qu’ils attendaient le second véhicule de police.

A de nouvelles questions, M. Wildschut répondit ne pas se souvenir si elle s’était brusquement courbée en avant à un moment où elle avait encore les menottes aux poignets. Elle avait résisté à son arrestation et décoché des coups quand il lui avait tordu le bras en le lui ramenant derrière le dos, mais il présumait qu’elle n’avait voulu frapper ni son collègue ni lui-même. Il nia lui avoir cogné la tête contre le rebord de la fenêtre.

La seconde requérante, Monika, déposa en dernier. Elle se rappelait l’incident entre sa mère et les policiers dans l’arrière-cour. Elle déclara notamment que sa mère avait sonné à la porte et l’avait ouverte en utilisant une clé. Là-dessus, Monika était entrée dans la maison et avait fermé derrière elle. Elle ne s’était pas aperçue qu’un des agents avait laissé de force la porte ouverte. Après avoir fermé celle-ci, elle avait pu voir, à travers la vitre en verre ordinaire, l’un d’eux - un blond - cogner la tête de sa mère contre le mur. Elle souligna qu’il l’avait fait à plusieurs reprises, à l’aide de la main et contre le mur à côté de la porte. Sa mère et lui étaient à un mètre environ de celle-ci. Elle-même ne se trouvait pas exactement devant la vitre. Elle était ensuite montée en courant chez leur voisine. Sa mère, expliqua-t-elle en outre, se tenait à sa droite au moment où elle avait sonné et ouvert. Elle avait à peine entrebâillé la porte; Monika avait eu tout juste l’espace nécessaire pour s’introduire. Elle avait aussitôt refermé derrière elle.

Elle ne reconnut pas MM. Bolte et Wildschut, mais crut se souvenir que le policier brun portait la barbe. Elle confirma que l’obscurité régnait dans la cour, mais précisa que l’escalier était éclairé. Elle n’avait vu aucun des agents tordre le bras de sa mère en le lui ramenant derrière le dos.

17.  Le 30 octobre 1987, le tribunal régional de Detmold débouta la première requérante de son action contre le Land de Rhénanie du Nord-Westphalie. Il s’exprima ainsi:

"La demanderesse ne peut réclamer au Land défendeur aucune indemnité en vertu des articles 839 et 847 du code civil (Bürgerliches Gesetzbuch), combinés avec l’article 34 de la Loi fondamentale, pour faute de service des policiers Bolte et Wildschut envers elle.

Le tribunal a certes la conviction que les blessures dont elle se plaint ont été causées lorsqu’ils l’ont appréhendée. En toute hypothèse, elle s’est retrouvée avec une éraflure à la tempe, une contusion de l’épaule gauche et sans doute aussi un traumatisme crânien; les témoins Bolte et Wildschut l’ont confirmé en partie et le Land défendeur ne semble d’ailleurs pas le contester sérieusement. La demanderesse a fort bien pu subir ces lésions à l’occasion de son arrestation.

Il ne s’ensuit pourtant pas qu’une obligation de réparer pèse sur le Land défendeur.

L’arrestation n’était pas illégale en soi. Même si la demanderesse ne voulait nullement s’enfuir, les agents ont eu le sentiment contraire. Ils la soupçonnaient d’une infraction pénale - conduite sous l’empire de l’alcool, délit réprimé par l’article 316 du code pénal - car ils avaient trouvé que son haleine sentait l’alcool. Sur la foi des déclarations crédibles des témoins Bolte et Wildschut, le tribunal part aussi de l’idée que le comportement de la demanderesse après les tentatives infructueuses d’alcootest, puis à la porte de sa maison, a donné aux deux témoins l’impression qu’elle comptait se soustraire à de plus amples investigations, à savoir la prise de sang, en s’échappant. Il conçoit qu’ils aient craint de graves complications au cas où elle réussirait à pénétrer dans l’immeuble sans eux. Tout d’abord, ils ne pouvaient savoir si elle les laisserait entrer chez elle. En second lieu, elle aurait pu consommer davantage d’alcool, ou du moins prétendre l’avoir fait, ce qui eût empêché, ou rendu beaucoup plus malaisé, le contrôle de son alcoolémie.

Cela étant, l’arrestation n’apparaît pas non plus disproportionnée; elle constituait au contraire un moyen raisonnable d’assurer l’enquête ultérieure.

Il incombe à la plaignante de prouver que les policiers, dans l’exercice initialement légal de leurs fonctions, ont passé la mesure en s’emparant d’elle avec trop de rudesse, lui causant de la sorte des dommages corporels, ou l’ont même blessée de propos délibéré. Un agresseur doit démontrer que la personne attaquée par lui est allée au-delà de ce dont elle avait besoin pour se défendre (Cour fédérale de Justice - Bundesgerichtshof -, Versicherungsrecht 1971, pp. 629 et s.). Selon le tribunal, cela vaut aussi pour une affaire comme la présente: quiconque réclame une indemnité au titre de blessures subies au cours de son arrestation légale doit établir que la police a transgressé les limites de ce qui était nécessaire et a provoqué ainsi lesdites lésions.

Or la demanderesse n’a pu fournir pareille preuve. Sur la base des éléments recueillis, le tribunal n’a pas la conviction que les agents aient occasionné les blessures de la demanderesse en franchissant les bornes au moment où ils l’ont appréhendée.

Quant à l’origine de l’éraflure, les déclarations du témoin Monika Klaas, fille de la demanderesse, contredisent celles des témoins Bolte et Wildschut. La première allègue avoir vu l’un d’eux cogner plusieurs fois la tête de la demanderesse contre le mur près de la porte d’entrée, mais ils le nient tous deux. On ne peut considérer aucun des trois comme n’ayant nul intérêt à la procédure: les deux policiers devraient certainement s’attendre à une procédure disciplinaire et à la réouverture des poursuites pénales contre eux si ces faits se révélaient exacts et le témoin Klaas a un intérêt naturel à soutenir l’action et les allégations de sa mère. Le tribunal n’aperçoit pas laquelle des deux versions correspond à la réalité. Il ne saurait donc aboutir à des constatations certaines.

Le témoin Krüger [la voisine], qui n’a guère d’intérêt à l’affaire, n’a pu, dans sa déposition, confirmer la thèse de la demanderesse selon laquelle le témoin Wildschut lui avait tiré les bras vers le haut pendant qu’on lui passait les menottes. On ne saurait pas davantage dégager pareille conclusion du simple fait que selon Mme Krüger, la demanderesse se courba plusieurs fois brusquement en avant pendant que le témoin Wildschut se tenait derrière elle.

Ni les probabilités ni les leçons de l’expérience ne militent non plus pour le récit de la demanderesse. Le tribunal ne juge au contraire nullement invraisemblable qu’elle se soit causé toutes ces blessures elle-même en se débattant quand on lui passa les menottes. Ce faisant, elle a très bien pu se cogner la tête contre le mur; elle a pu aussi se meurtrir l’épaule en résistant à la police lorsque celle-ci se saisit d’elle et lui mit les menottes.

Par ces motifs, il échet de rejeter la demande."

18.  Le 21 septembre 1988, la cour d’appel de Hamm, déboutant la première requérante, confirma le jugement du tribunal régional de Detmold: Mme Klaas n’avait pas démontré que les policiers eussent usé contre elle d’une force excessive.

19.  Le 8 février 1989, un comité de trois membres de la Cour constitutionnelle fédérale refusa de statuer sur le recours de la première requérante, l’estimant dénué de chances suffisantes de succès. Il releva notamment que l’appréciation des preuves par la cour d’appel ne semblait ni arbitraire ni incompatible d’une autre manière avec le droit constitutionnel.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

20.  Les requérantes ont saisi la Commission le 11 juillet 1989. La première d’entre elles, Mme Hildegard Klaas, soutenait qu’au moment de son arrestation en présence de sa fille, Monika, la police lui avait infligé un traitement inhumain et dégradant, au sens de l’article 3 (art. 3), et qui avait aussi méconnu son droit au respect de sa vie privée et familiale, protégé par l’article 8 (art. 8). Monika Klaas, la seconde requérante, prétendait que ledit traitement, subi par sa mère devant elle, avait violé son propre droit au respect de sa vie privée et familiale (article 8) (art. 8) et avait en outre représenté pour elle-même un traitement inhumain et dégradant (article 3) (art. 3).

21.  La Commission a retenu la requête (no 15473/89) le 9 juillet 1991. Dans son rapport du 21 mai 1992 (article 31) (art. 31), elle conclut:

- par dix voix contre cinq, qu’il y a eu violation de l’article 3 (art. 3) dans le chef de la première requérante;

- par dix voix contre cinq, qu’à l’égard de celle-ci nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 8 (art. 8);

- par quatorze voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3) dans le chef de la seconde requérante;

- par huit voix contre sept, qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) dans le chef de cette dernière.

Le texte intégral de son avis, ainsi que des diverses opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt[*].

CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT

22.  Dans son mémoire du 12 novembre 1992, le Gouvernement invite la Cour à dire "que les requérantes n’ont pas subi d’atteinte aux droits que leur garantissent les articles 3 et 8 (art. 3, art. 8) de la Convention".

EN DROIT

I.  LA PREMIERE REQUERANTE

A. Sur la violation alléguée de l’article 3 (art. 3)

23.  Selon la première requérante, Mme Klaas, le traitement que les agents de police lui ont infligé au moment de son arrestation constituait un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 (art. 3), aux termes duquel

"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants."

Elle aurait notamment été blessée à la tête et à l’épaule à l’occasion de son altercation avec eux. Ses lésions se trouveraient attestées par des certificats médicaux (paragraphe 8 ci-dessus) et, de plus, illustrées par les photographies que le délégué de la Commission a fournies à la Cour aussitôt avant l’audience.

24.  La Commission souscrit à cette thèse. En accord avec l’opinion exprimée par les juridictions nationales, elle estime légale l’arrestation de l’intéressée (paragraphes 13, 16 et 18 ci-dessus). D’après elle, toutefois, quand bien même cette dernière aurait opposé de la résistance et tenté de s’enfuir, on doit tenir pour un traitement inhumain et dégradant le recours de policiers à la force, entraînant de graves dommages corporels, si le Gouvernement ne peut démontrer que l’accomplissement de leurs devoirs légaux le rendait nécessaire.

Comme Mme Klaas fut blessée pendant une arrestation, alors qu’elle se trouvait entre les mains de la police, il incomberait au Gouvernement d’apporter la preuve de faits jetant le doute sur le récit de la victime, étayé par des photographies et des pièces médicales. A défaut de toute autre explication convaincante des lésions subies de la sorte, la version d’un usage immodéré de la force paraîtrait plausible.

25.  Le Gouvernement affirme que la première requérante souffrait déjà d’une luxation de l’épaule gauche, mais reconnaît qu’après avoir été appréhendée elle présentait des meurtrissures aux deux épaules ainsi que des éraflures au visage et au bras. Il en conteste pourtant l’origine telle que la relate la requérante; il s’agirait de conséquences accidentelles et regrettables d’une arrestation légale.

26.  Les parties aux procédures internes, la Cour le constate, n’ont pas nié que les blessures révélées par les rapports médicaux et illustrées par les photographies s’étaient produites pendant l’arrestation. Les policiers ne l’ont du reste pas discuté en déposant devant le tribunal régional de Detmold.

Requérantes et Gouvernement divergent toutefois sur la cause réelle des lésions.

Mme Klaas affirme s’être prêtée de bonne grâce à l’alcootest. Après l’échec de la tentative, elle aurait seulement demandé que sa fille âgée de huit ans se rendît chez sa voisine afin qu’elle-même pût accompagner les agents à l’hôpital pour une prise de sang. Elle dément qu’il y eût un risque de la voir s’enfuir, comme ils le prétendent. Elle persiste à leur attribuer la responsabilité du choc de sa tête contre le mur, fait corroboré par Monika qui dit avoir observé la scène à travers la vitre de verre poli. Elle estime qu’ils usèrent d’une force disproportionnée au but recherché, à savoir se procurer la preuve d’une infraction de conduite sous l’empire de l’alcool. D’après elle, deux policiers de sexe masculin, rompus à parer à de telles situations, n’avaient nul besoin d’agresser ainsi une femme.

Le Gouvernement, lui, combat l’allégation selon laquelle les blessures découlèrent de l’exercice, par les agents, d’une contrainte supérieure à ce qu’exigeaient les circonstances. La première requérante se serait blessée elle-même: en résistant à son arrestation et en essayant de s’échapper, elle aurait provoqué un emploi rapide et énergique de la coercition physique à son encontre.

27.  La Cour rappelle que l’incident déboucha sur plusieurs procédures, dont certaines furent abandonnées.

Tout d’abord, des poursuites pénales s’ouvrirent le 29 janvier 1986 contre Mme Klaas pour conduite sous l’empire de l’alcool et pour résistance à une arrestation, mais le parquet près le tribunal régional de Detmold les classa le 22 avril 1986. La requérante se vit néanmoins infliger une amende administrative pour conduite avec une alcoolémie excessive (paragraphes 9-10 ci-dessus).

De son côté, elle introduisit contre les policiers, le 24 avril 1986, une plainte pour coups et blessures, mais elle la retira quelques semaines plus tard (paragraphe 11 ci-dessus).

En troisième lieu, le chef de l’administration du district de Detmold rejeta, le 18 septembre 1986, un recours hiérarchique dont elle l’avait saisi le 18 juillet; il n’estima pas nécessaire de prendre des mesures disciplinaires (paragraphes 12-13 ci-dessus).

28.  En avril 1987, la première requérante assigna l’État en dommages-intérêts au civil.

a) Le tribunal régional de Detmold admit que les lésions en cause résultaient de l’altercation avec la police, mais considéra qu’elles n’ouvraient pas droit à réparation car Mme Klaas n’avait pas établi que les agents l’eussent blessée en usant d’une force disproportionnée aux fins de l’enquête. Après avoir ouï divers témoins, il trouva peu plausible sa version des événements et ne jugea pas invraisemblable qu’elle se fût blessée elle-même en résistant aux tentatives de lui passer les menottes (paragraphe 17 ci-dessus).

b) La cour d’appel de Hamm confirma ce jugement (paragraphe 18 ci-dessus).

c) Un comité de trois membres de la Cour constitutionnelle fédérale refusa de retenir le recours de l’intéressée. Il releva en particulier que la manière dont la cour d’appel avait apprécié les preuves ne paraissait ni arbitraire, ni plus généralement contraire au droit constitutionnel (paragraphe 19 ci-dessus).

29.  Dans le système de la Convention, l’établissement et la vérification des faits incombent au premier chef à la Commission (articles 28 par. 1 et 31) (art. 28-1, art. 31). Les constatations de celle-ci ne lient pourtant pas la Cour, qui demeure libre de se livrer à sa propre évaluation à la lumière de l’ensemble des matériaux dont elle dispose (arrêts Stocké c. Allemagne du 19 mars 1991, série A no 199, p. 18, par. 53, et Cruz Varas et autres c. Suède du 20 mars 1991, série A no 201, p. 29, par. 74).

La Cour rappelle en outre qu’il n’entre pas dans ses attributions de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux (voir, entre autres, les arrêts Edwards c. Royaume-Uni du 16 décembre 1992, série A no 247-B, p. 12, par. 34, et Vidal c. Belgique du 22 avril 1992, série A no 235-B, pp. 32-33, paras. 33-34).

30.  Les lésions subies sans contredit par la première requérante cadrent avec sa version des événements comme avec celle de la police. Toutefois, les juridictions nationales l’ont déboutée. Spécialement, le tribunal régional avait l’avantage, pour arriver à la conclusion qu’elle avait pu se blesser en résistant à son arrestation et que les agents n’avaient pas employé une force excessive, d’avoir ouï divers témoins et d’avoir jaugé leur degré de crédibilité. Pendant les instances suivies à Strasbourg n’a été fourni aucun élément propre à remettre en cause les constats de ces juridictions, ni à étayer les allégations de l’intéressée devant la Commission ou la Cour.

Il échet de distinguer le présent litige de l’affaire Tomasi c. France, où la circonstance que le requérant avait souffert des dommages corporels inexpliqués pendant une garde à vue de quarante-huit heures autorisait certaines déductions (arrêt du 27 août 1992, série A no 241-A, pp. 40-42, paras. 108-115).

La Cour ne possède aucune donnée convaincante qui puisse l’amener à s’écarter des constatations de fait des juges nationaux.

31.  Elle ne peut donc relever aucune infraction à l’article 3 (art. 3).

B. Sur la violation alléguée de l’article 8 (art. 8)

32.  Pour la première requérante, le traitement incriminé a méconnu aussi son droit au respect de sa vie privée et familiale, au sens de l’article 8 (art. 8), car elle l’a subi sur une propriété privée, en présence de sa fille âgée de huit ans.

Le Gouvernement combat cette thèse, sur laquelle la Commission ne croit pas devoir se prononcer dès lors qu’elle conclut à la violation de l’article 3 (art. 3).

33.  Le grief tiré de l’article 8 (art. 8) par la première requérante repose, pour l’essentiel, sur les mêmes faits controversés que la Cour a déjà pris en compte sur le terrain de l’article 3 (art. 3) et a jugés non établis (paragraphes 29-31 ci-dessus). Partant, il n’appelle pas un examen séparé.

II.  LA SECONDE REQUERANTE

34.  La seconde requérante se prétend victime d’un traitement inhumain et dégradant, contraire à l’article 3 (art. 3), et d’une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 (art. 8), car les policiers auraient, devant elle, usé d’une force excessive envers sa mère.

35.  Gouvernement et Commission contestent la première allégation, mais la Commission souscrit à la seconde: Monika Klaas, mineure, aurait gravement souffert dans son intégrité physique et morale en assistant à l’arrestation de sa mère; le Gouvernement le nie.

36.  Du paragraphe 31 ci-dessus, il ressort que les faits incriminés par l’enfant ne se trouvent pas établis. En conséquence, ses doléances se révèlent elles aussi dénuées de fondement.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Dit, par six voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3) dans le chef de la première requérante;

2.  Dit, par six voix contre trois, que le grief tiré par elle de l’article 8 (art. 8) n’appelle pas un examen séparé;

3.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3) dans le chef de la seconde requérante;

4.  Dit, par six voix contre trois, qu’il n’y a pas eu non plus violation de l’article 8 (art. 8) dans son chef.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 22 septembre 1993.

Rolv RYSSDAL

Président

Marc-André EISSEN

Greffier

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 par. 2 (art. 51-2) de la Convention et 53 par. 2 du règlement, l’exposé des opinions dissidentes de MM. Pettiti, Walsh et Spielmann.

R. R.

M.-A. E.



OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE PETTITI

J’ai voté avec la minorité de la chambre pour la violation des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8) de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Le raisonnement adopté par la majorité de la chambre, tant sur l’article 3 (art. 3) que sur l’article 8 (art. 8), me paraît résulter d’une interprétation inexacte des questions posées et d’une application erronée de la Convention.

S’agissant des problèmes de violences policières qui sont une plaie dans toute l’Europe, le problème clé qui était posé par l’affaire Klaas était celui de la charge et du fardeau de la preuve en ce domaine. Or il a été méconnu par la majorité.

A mon sens, qui me paraît conforté par plusieurs des codes de procédure pénale en Europe, le principe majeur reconnu est celui de la mission de la police qui est de veiller à la sécurité et à la protection du citoyen.

Si la police doit intervenir pour assurer les nécessaires sauvegarde et répression, elle ne peut le faire qu’en respectant les droits fondamentaux. La règle fondamentale est que la police doit protéger l’individu contre toute violence et préserver la sécurité physique des personnes. Si elle doit intervenir en matière de crimes et délits, elle n’a pas le droit de se livrer à des violences, sauf si elle doit affronter des situations de légitime défense et de rébellion, et ceci en respectant la proportionnalité entre le péril et la réaction.

Dans ce cas, la charge de la preuve de la nécessité de la légitime défense ou de la preuve de la rébellion doit incomber à la police, car sinon il serait loisible aux fonctionnaires de police de procéder à des violences puis de soutenir qu’il s’agissait de rébellion en faisant peser sur les victimes la charge de la preuve, quasi impossible face à des déclarations de fonctionnaires assermentés.

Le problème soumis à la Cour était d’une particulière gravité et il se situait dans la ligne de l’arrêt Tomasi c. France[*], contrairement à l’avis de la majorité. En effet, le constat des violences était certain, il se situait dans la période d’arrestation qui prohibe les violences policières comme en période de garde à vue. L’imputation de ces violences à des fonctionnaires de police était évidente comme dans l’affaire Tomasi; dans celle-ci, la Cour européenne semble avoir marqué que l’article 3 (art. 3) devait recevoir application nonobstant le seuil de gravité physique des violences.

Le raisonnement de la Cour pour infirmer l’avis de la Commission concluant à la violation ne me paraît pas adéquat. En effet, la majorité semble considérer qu’il s’agit d’une évaluation et d’une appréciation différentes des faits par la Commission et la Cour qui justifieraient la décision contraire.

Mais la Commission, comme la Cour, est partie de la prise en compte des faits énoncés lors de l’introduction de la requête car il n’y avait pas d’éléments nouveaux produits devant la Commission puis devant la Cour.

En ne répondant pas substantiellement à la question principale et en ne motivant pas suffisamment à mon sens sa décision, en ce qu’elle était contraire à l’avis exprimé par la Commission reposant sur la charge de la preuve, la majorité n’a pas répondu aux questions essentielles qui se posent en Europe en matière de violences policières. Alors que les hiérarchies policières font un effort appréciable pour améliorer l’enseignement déontologique dans les écoles de police, l’affaire Klaas était l’occasion de définir dans le cadre de l’article 3 (art. 3) de la Convention les données de preuves et les composantes de la rébellion et de la légitime défense.

La décision de la majorité me paraît déphasée par rapport à l’analyse du Comité européen contre la torture qui, dans les pays visités, a constaté la gravité des violences policières. En particulier, le rapport concernant l’Allemagne a mentionné à ce sujet les préoccupations du Comité (pages 19, 67 et 91 - CPT/Inf (93) 13).

Elle paraît contraire également aux enseignements des écoles de police en Europe et aux codes de déontologie policière en Europe. Il n’est pas douteux que les hauts fonctionnaires de police, en Europe, souhaitent pouvoir lutter contre les "bavures" policières éventuellement commises par les fonctionnaires de base et ayant parfois pour cause l’insuffisance de formation et d’éducation en ce domaine.

La majorité n’a pas assez pris en compte, à mon sens, un certain nombre de données cependant fort utiles pour apprécier les faits:

1. les dispositions de la législation allemande;

2. la réglementation policière allemande;

3. les appréciations du Comité européen contre la torture.

*

* *

En droit pénal classique et européen, les violences policières ne peuvent être traitées comme les autres violences entre particuliers. L’interdiction de ces violences est un impératif de la fonction de policier qui est avant tout d’assurer la protection des personnes.

Les faits justificatifs, l’excuse de provocation, ne sont pas en droit pénal analysés de façon identique pour les coups et blessures ordinaires commis par des personnes privées ou par des fonctionnaires de police.

Aucune voie de fait n’est autorisée pour les policiers, sauf rébellion ou légitime défense. Il appartient à la police d’apporter la preuve de la rébellion et d’action en légitime défense.

Même dans ce cas, la police doit prouver que cette réaction était proportionnée. Or dans le cas d’espèce, certaines voies de fait sont établies et non contestées. La police n’a pas prouvé la rébellion et sa réaction était certainement disproportionnée.

Les circonstances de l’espèce par rapport à l’affaire Tomasi (suspect de meurtre) sont proportionnellement plus regrettables, alors que les violences sont presque de la même intensité. En tout cas le critère du quantum de la gravité n’a pas été retenu dans l’affaire Tomasi.

Les rapports du Comité européen contre la torture, assez accablants pour plusieurs polices, sont autant de SOS lancés aux juristes dans l’optique de la Convention européenne des Droits de l’Homme et de la Résolution 690 (1979) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe relative à la déclaration sur la police.

Dans le cas d’espèce, et même en retenant l’appréciation des juridictions nationales, même si on exclut la responsabilité du policier en ce qui concerne l’épaule, il subsiste que les autres traces de coups sont certaines et qu’elles ne peuvent être imputées à la rébellion de la personne arrêtée, mais bien à la violence policière. Ceci est d’autant plus regrettable qu’on ne peut détacher le comportement des policiers lors de la décision de conduite au commissariat de l’origine de l’incident. L’infraction reprochée était au surplus mineure et d’ordre contraventionnel.

Le tribunal régional de Detmold dit dans son jugement:

"Le tribunal a certes la conviction que les blessures dont elle se plaint ont été causées lorsqu’ils l’ont appréhendée. En toute hypothèse, elle s’est retrouvée avec une éraflure à la tempe, une contusion de l’épaule gauche et sans doute aussi un traumatisme crânien; les témoins Bolte et Wildschut l’ont confirmé en partie et le Land défendeur ne semble d’ailleurs pas le contester sérieusement. La demanderesse a fort bien pu subir ces lésions à l’occasion de son arrestation. (...) Le tribunal n’aperçoit pas laquelle des deux versions correspond à la réalité. Il ne saurait donc aboutir à des constatations certaines."

Les policiers ne peuvent traiter de la même façon des citoyens paisibles et faibles et des criminels dangereux. Sinon ce serait la négation de la fonction policière. Le citoyen à l’égard de la police est créancier de protection. Le policier est débiteur du devoir d’assurer celle-ci.

De même, s’agissant de l’intervention d’un citoyen arrêtant le délinquant en flagrant délit (ce qui est autorisé notamment en Grande-Bretagne) la responsabilité est examinée autrement que pour l’intervention du policier en semblable situation.

La querelle entre particuliers suivie de violence ne peut être comparée à l’intervention policière. Les bases juridiques d’examen au pénal sont différentes. Les notions de légitime défense, de fait justificatif, d’excuse de provocation obéissent à des normes juridiques différentes quand il s’agit de voies de fait policières.

La plupart des codes de déontologie des polices nationales observent ces distinctions. La considération dominante est que l’agent de police est avant tout le garant de la protection de l’intégrité physique du citoyen.

Les agissements des deux policiers étaient contraires à la propre déontologie policière telle que reconnue en Allemagne par ses écoles de police. Or il n’y a pas même eu de sanctions administratives ou disciplinaires, ce qui est un autre point commun avec l’affaire Tomasi. Les autorités étatiques pour ménager leurs forces de police sont peu dynamiques dans les procédures concernant les bavures policières. Le Comité européen contre la torture déplore cette attitude contraire au respect de la Convention.

En revanche à une époque où en Europe des agressions d’éléments subversifs contre des forces de police se multiplient et placent souvent celles-ci en position d’infériorité numérique ou potentielle, l’État et la justice doivent apporter leur appui aux corps de police qui sont indispensables au maintien de l’ordre public et au soutien de la démocratie.

La question qui se pose est bien celle de savoir si c’est à la partie poursuivante (ministère public) ou à la défense (inculpé de rébellion, prévenu ou accusé) qu’il appartient de démontrer, d’une part, que l’attaque était actuelle et injuste et, d’autre part, que la défense a été nécessaire et mesurée. Logiquement, et en raison tant de la présomption d’innocence que des principes généraux concernant la charge de la preuve, c’est le ministère public, partie poursuivante, qui devrait rapporter la preuve que les conditions requises par la loi se trouvent réunies ou non pour admettre la rébellion et justifier les violences.

Il ne faut pas oublier au surplus que les agents de l’autorité et les fonctionnaires publics qui, sans motifs légitimes, se rendent coupables de violences envers les personnes, sont pénalement punissables. Si bien que les fonctionnaires ou agents de l’autorité ne peuvent pas, en cas de violences physiques commises par eux, toujours se prévaloir du caractère juste de l’agression qu’ils commettent.

Hegel n’a-t-il pas écrit: "L’attaque est la négation du droit; la défense est la négation de cette négation, donc l’application du droit"? C’est pour cette raison sans doute qu’il y a dans des cas ponctuels droit à la légitime défense, comme le code le précise lui-même, aussi bien en cas de défense d’autrui que de soi-même[*], mais aussi qu’il n’y a légitime défense que si l’agression a été injuste, c’est-à-dire a troublé l’ordre social, et que si la défense policière en réponse a été mesurée et a rétabli l’ordre sans le perturber autrement.

Si le policier invoque la légitime défense contre la personne arrêtée ou la rébellion de celle-ci, il lui faut établir que la résistance de la personne arrêtée était insurmontable.

La législation allemande va dans le même sens. En effet, selon les textes cités par le Comité européen contre la torture:

1.  En vertu de l’article 1, alinéa 1, de la Loi fondamentale, "la dignité de la personne humaine est intangible. Tous les pouvoirs publics sont tenus de la respecter et de la protéger" et de l’article 2, alinéa 2, "Chacun a droit à la vie et à l’intégrité de son corps (...)". La Cour constitutionnelle fédérale a précisé que cette dernière disposition vise aussi toutes atteintes causées par la torture psychologique ou mentale et des méthodes d’interrogatoire correspondantes.

De plus, la Loi fondamentale dispose dans son article 104, alinéa 1, que: "(...) Les personnes détenues ne peuvent pas être soumises à des mauvais traitements mentaux ou physiques."

2.  Le code pénal, dans nombre de dispositions, incrimine les actes de torture ou autres formes de mauvais traitements. Parmi les plus notables, on peut citer:

L’article 340 qui est libellé comme suit:

"1) Un fonctionnaire qui cause ou permet un dommage physique dans l’exercice de ses fonctions ou en rapport avec elles est passible d’une peine de prison de trois mois à cinq ans. Dans des cas moins graves, une peine de trois ans au maximum ou une amende seront infligées.

2) En cas de dommages physiques graves (article 224), une peine d’au moins deux ans sera infligée et, dans des cas moins graves, une peine de trois mois à cinq ans."

L’article 343, rédigé comme suit:

"1) Quiconque, agissant à titre officiel, et dont les fonctions s’exercent dans:

1. une procédure pénale, ou une procédure autorisant la détention;

2. une procédure relative à une amende administrative; ou

3. une procédure disciplinaire ou une procédure d’un tribunal d’honneur ou professionnel

se rend coupable d’un abus physique sur une autre personne ou recourt à la violence contre elle, ou la menace de violence, ou la torture mentalement, afin de la contraindre à rendre un témoignage ou à s’en abstenir, dans la procédure, est passible d’une peine de prison d’un à dix ans."

Au titre du droit comparé, pour les mesures de garde à vue s’appliquant à toute personne et le comportement exigé des policiers, l’article 10 nouveau du code de procédure pénale français indique:

"Toute personne appréhendée est placée sous la responsabilité de la police; elle ne doit subir de la part des fonctionnaires de police ou de tiers, aucune violence ni aucun traitement inhumain ou dégradant."

Également: article 9 du code de procédure pénale

"lorsqu’il est autorisé par la loi à utiliser la force (...) le fonctionnaire de police ne peut en faire qu’un usage strictement nécessaire et proportionné au but à atteindre."

Sur un point que la Cour n’avait pas à examiner directement mais qui ajoute un éclairage supplémentaire au comportement des policiers mis en cause, à savoir les modalités du test d’alcoolémie, rappelons quelques principes de la réglementation générale policière en la matière.

Conduite au commissariat pour une vérification d’alcoolémie

L’impossibilité pour une personne ou le refus par elle de se soumettre au dépistage de son alcoolémie entraîne la vérification de celle-ci mais pas, en lui-même, de sanction.

Dans le cas d’espèce, il y avait simplement impossibilité de subir l’alcootest; de surcroît le fait était constaté dans la cour privée de la requérante en dehors de toute perquisition ou visite domiciliaire autorisée judiciairement.

Sur ce point, concernant les menottes, la déontologie policière est généralement la suivante:

Utilisation des menottes

A titre d’exemple, l’article 803 du code de procédure pénale français, tel qu’il résulte de la loi du 4 janvier 1993, prévoit l’impossibilité de soumettre au port des menottes une personne sauf si celle-ci peut être considérée comme dangereuse pour autrui ou pour elle-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite. La règle allemande est similaire. A défaut de se trouver dans une de ces situations, l’emploi des menottes est donc prohibé. Lorsqu’il est autorisé, il appartient aux fonctionnaires chargés d’accompagner la personne concernée d’apprécier la façon de placer les menottes de la manière la plus efficace possible compte tenu du danger pour autrui ou l’intéressée elle-même ou du risque d’évasion que la personne accompagnée représente. La coercition par mise sous menottes n’est justifiée que dans ces cas.

Résistance à l’action des forces de police

La rébellion est constituée dès lors qu’une personne s’oppose par une action violente (et non par une résistance purement passive) à l’action d’un agent de la force publique.

*

* *

La majorité, dans sa motivation au paragraphe 30 de l’arrêt, semble vouloir infirmer l’avis de la Commission à partir d’une évaluation différente des faits et en l’absence d’éléments nouveaux d’évaluation des faits après l’avis de la Commission.

Mais la contradiction porte en réalité sur le problème primordial de la charge de la preuve sur laquelle se basait la Commission.

Aussi je considère qu’en l’état du dossier les observations de la Commission restaient pertinentes, notamment pour les paragraphes ci-après de son rapport.

"82.  La Commission rappelle qu’un mauvais traitement doit atteindre un certain degré de gravité pour tomber dans le champ d’application de l’article 3 (art. 3). Une évaluation de ce seuil minimum est, de par la nature des choses, relative; elle dépend de l’ensemble des circonstances propres à l’affaire, telles que la durée du traitement ou ses effets physiques ou psychologiques et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime, etc. (Cour. eur. D.H., arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, pp. 65-67, paras. 162-167; arrêt Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, série A no 26, pp. 14-15, paras. 29-30; arrêt Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A no 161, p. 39, par. 100).

83.  Un tel traitement causant, sinon un dommage corporel effectif, au moins une souffrance physique et psychologique intense, se range dans la catégorie des traitements inhumains au sens de l’article 3 (art. 3). Ce traitement est dégradant s’il déclenche chez la personne qui y est soumise un sentiment de crainte, d’angoisse et d’infériorité risquant de l’humilier et de l’avilir et de briser peut-être sa résistance physique ou morale (Cour eur. D.H., arrêt Irlande c. Royaume-Uni précité, p. 68, par. 174; arrêt Guzzardi c. Italie du 6 novembre 1980, série A no 39, p. 40, par. 107; arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni du 28 mai 1985, série A no 94, p. 42, paras. 90-91; arrêt Soering, loc. cit.).

(...)

98.  En ce qui concerne la question de savoir si l’usage de la force par les policiers Bolte et Wildschut contre la première requérante aux fins de son arrestation était rigoureusement proportionné, la Commission attache une importance particulière aux blessures qui lui ont été causées pendant son arrestation (Cour eur. D.H., arrêt Tomasi c. France du 27 août 1992, série A no 241-A, avis de la Commission, pp. 51-52, paras. 92-100, 105).

(...)

100.  Le gouvernement défendeur n’a pas expliqué que les blessures causées à la première requérante étaient imputables à un usage de la force proportionné, compte tenu des circonstances de son arrestation. Il a tenu ces blessures pour des conséquences accidentelles et regrettables d’une arrestation qui, comme telle, avait été légale. Ses arguments à cet égard étaient fondés sur les constatations du tribunal régional de Detmold dans sa décision du 30 octobre 1987 et sur les déclarations des policiers Bolte et Wildschut, entendus en qualité de témoins au cours de la procédure devant ce tribunal.

(...)

102.  En examinant le point de savoir s’il y a eu violation de l’article 3 (art. 3), la Commission ne peut se rallier à l’approche du gouvernement défendeur, concernant la question de la preuve et de l’appréciation des éléments de preuve, fondée sur la décision du tribunal régional.

103.  La Commission rappelle que, dans des affaires dans lesquelles des blessures ont été causées pendant une garde à vue par la police, il ne suffit pas que le Gouvernement indique d’autres causes possibles des blessures, mais il lui incombe de fournir des moyens de preuve établissant des faits de nature à jeter le doute sur la déposition de la victime elle-même, et étayés par les pièces médicales (Cour eur. D.H., Irlande c. Royaume-Uni, série B no 23-I, p. 413; voir également, mutatis mutandis, arrêt Tomasi, loc. cit., avis de la Commission, p. 52, par. 99; arrêt Bozano c. France du 18 décembre 1986, série A no 111, p. 26, par. 59).

104.  Ces considérations s’appliquent également dans des affaires où une personne est arrêtée par les autorités de police et, de ce fait, soumise à leur pouvoir. En l’espèce, compte tenu des blessures causées à la première requérante au cours de son arrestation, ses allégations relatives à un usage immodéré de la force semblent plausibles en l’absence de tout autre élément ou de toute autre explication convaincante."

*

* *

La décision de la juridiction civile allemande, qui ne s’est pas placée sous l’angle de la Convention européenne, n’apportait pas de motif pertinent, à mon sens, pour conclure à la non-violation. Elle se plaçait sur un terrain juridique différent (action en dommages-intérêts). La Cour européenne n’était pas liée par cette décision.

Au surplus celle-ci n’a pas tranché entre les deux versions des faits et n’a pas exclu les violences. On ne saurait donc retenir la version de la police comme seule exacte et établie. La sanction de violences policières s’impose car la police joue un rôle majeur pour la sauvegarde de l’ordre public et de la démocratie. Elle est d’autant plus performante et respectée que l’opinion publique sait qu’en cas de "bavures" il y aura des sanctions administratives ou judiciaires.

*

* *

Sur l’article 8 (art. 8) la majorité, à mon sens, n’a pas valablement motivé sa décision ni répondu au problème posé. Celui-ci était le suivant:

Dans les circonstances du cas d’espèce, même si par hypothèse il n’y avait pas eu violation de l’article 3 (art. 3), y avait-il au regard de la première requérante (la mère) violation de l’article 8 (art. 8)? Les circonstances de l’affaire - éventuelle contravention de circulation vénielle, non-refus de l’alcootest par la requérante, intervention de la police dans l’enceinte de la cour intérieure, domicile privé, disproportion entre la force des deux jeunes policiers et celle de la victime, humiliation infligée à celle-ci - étaient de nature suffisante pour retenir la violation de l’article 8 (art. 8).

Au regard de la deuxième requérante, même si par hypothèse les violences policières seraient justifiées dans un autre cas d’espèce similaire par rapport à la mère, l’appréciation de la proportionnalité devait être différente dans le cas d’une mère mise en état d’arrestation pour un prétexte d’infraction de surcroît futile en présence d’un ou plusieurs de ses enfants. Les policiers doivent mesurer le retentissement sur l’enfant et l’humiliation qui en résulte tant pour la mère que pour l’enfant, notamment par la mise sous menottes. La majorité n’a pas réellement tenu compte de ces deux aspects.

Conclusion

On peut s’interroger sur la portée de l’arrêt puisque la question de la charge de la preuve n’a pas été expressément décidée.

Dans l’ensemble, le constat de non-violation établi par la Cour ne me paraît pas adéquat au problème posé.

Pour tous les motifs précités, j’ai donc voté la violation de la Convention européenne tant au titre de l’article 3 (art. 3) que de l’article 8 (art. 8).



OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE WALSH

(Traduction)

1.  L’affaire tire son origine d’un affrontement, le 28 janvier 1986, entre la première requérante, Hildegard Klaas, alors accompagnée de sa fille Monika âgée de huit ans, et deux officiers de police de sexe masculin. A l’époque, Hildegard Klaas avait 48 ans, les officiers de police respectivement 26 et 33 ans. Ce jour-là, la requérante, qui avait sa fille pour passagère, paraît avoir brûlé un feu rouge. L’incident ne causa aucun dommage personnel ou matériel, mais deux agents de police s’en aperçurent; ils suivirent l’intéressée jusqu’à la cour arrière de son immeuble où elle avait arrêté sa voiture. Estimant que son haleine sentait l’alcool, ils l’invitèrent à se soumettre à un alcootest. Elle semble ne pas avoir procédé de manière satisfaisante, en ce sens qu’elle aurait eu quelques difficultés respiratoires; à leur demande, elle consentit à subir une prise de sang. A cette fin, elle devait se rendre au commissariat; l’un des policiers l’appréhenda donc et la retint. A n’en pas douter, elle se trouva dès lors entre les mains de la police. Toutes ses blessures ultérieures se produisirent donc pendant cette garde à vue. Partant, je ne saurais accepter comme une distinction valable la circonstance que dans l’affaire Tomasi c. France (arrêt du 27 août 1992, série A no 241-A), la garde à vue du requérant avait duré de nombreuses heures. Que l’on reste en garde à vue quelques minutes ou quelques jours ne change rien au principe en jeu. Quand la police place quelqu’un en garde à vue, elle assume automatiquement le devoir et l’obligation de le protéger contre des actes dommageables, qu’ils émanent de membres de la police ou de toute autre personne. Dès qu’elle prive un individu de sa liberté, il se trouve en garde à vue, que l’arrestation ait ou non été formellement prononcée. S’il s’avère qu’il a subi des lésions corporelles pendant sa garde à vue, il incombe à la police ou à l’État d’établir qu’elles n’ont pas pour cause directe ou indirecte des actes de la police ou un manque de surveillance de sa part.

2.  Il appert nettement que les blessures de la requérante étaient graves et constituaient des atteintes à son intégrité physique. Un médecin les examina le lendemain de l’incident et Mme Klaas fut portée malade du 28 janvier au 8 février. Des confrères confirmèrent par la suite les constatations du premier médecin et des photographies prises le 29 janvier montrent dans quel état elle se trouvait alors. L’éminent délégué de la Commission, le professeur Frowein, a souligné à juste titre devant la Cour que l’affaire revêt une importance considérable pour définir la norme à appliquer par la police, aux fins de l’article 3 (art. 3) de la Convention, quand elle s’occupe, dans l’exercice de ses fonctions, d’un simple citoyen non dangereux. Selon lui, lorsqu’en recourant à la force des policiers provoquent des blessures graves, il y a traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 (art. 3) si l’on ne peut prouver que la force employée par eux était nécessaire à l’accomplissement de leurs devoirs légaux. J’estime qu’il avait raison. Il ressort déjà de la jurisprudence constante de la Commission comme de la Cour que des personnes blessées manifestement pendant leur garde à vue doivent être présumées avoir subi un traitement incompatible avec l’article 3 (art. 3), sauf explication en sens contraire fournie par l’État qui seul, comme l’a dit le professeur Frowein, peut apporter pareille preuve.

3.  L’incident en cause eut lieu de soixante à cent mètres de l’endroit où la requérante avait été appréhendée. Les parties s’y étaient rendues afin qu’elle pût confier sa fille de huit ans à une voisine. La police semble avoir eu le sentiment que l’intéressée voulait se réfugier chez ladite voisine et entreprit donc de lui passer les menottes; les blessures furent causées à ce moment. Au cours de l’instruction ultérieure et de l’audience devant le tribunal, les agents de police ne purent donner qu’une explication: l’intéressée s’était blessée elle-même et eux n’avaient rien fait qui eût pu causer ces lésions. Le tribunal régional allemand saisi au civil estima ne pouvoir s’appuyer sur les dépositions directes de la requérante ou de sa fille, ni des deux policiers, car chacun d’eux avait intérêt à présenter telle ou telle version des événements. Il semble s’être alors livré à des conjectures sur l’origine des blessures et finit par conclure que la requérante, sur qui pesait la charge de la preuve dans cette instance, n’avait pas établi le bien-fondé de sa thèse.

4.  La Cour doit toujours tenir compte avec respect des constatations de fait d’un tribunal national, mais bien sûr elles ne la lient nullement lorsqu’elle examine un grief fondé sur la Convention. Une affaire portée devant notre Cour est déjà passée par la Commission; or c’est d’abord à celle-ci qu’incombent l’établissement et la vérification des faits. La Cour ne saurait écarter à la légère les constats de la Commission quant aux faits bruts, mais elle est libre de tirer de ces derniers ses propres déductions et pour finir de procéder à sa propre appréciation de l’ensemble de la cause à la lumière des éléments dont elle dispose. En l’espèce, la Commission unanime a estimé que les blessures de la requérante engageaient la responsabilité de la police, donc de l’État. Selon une minorité, elles ne revêtaient pas une gravité suffisante pour tomber sous le coup de l’article 3 (art. 3), mais d’après la majorité il y avait eu infraction à ce texte. La Commission a été unanime à relever un manquement aux exigences de l’article 8 (art. 8) dans le chef de la première requérante. Contrairement aux juridictions allemandes statuant au civil, elle a considéré que le fardeau de la preuve pesait sur la police et l’État. Ils ne s’en sont manifestement pas acquittés. En réalité, le tribunal régional allemand paraît n’avoir formulé aucune conclusion sur les faits bruts, si ce n’est que la requérante avait été blessée.

5.  Vu les constatations unanimes de la Commission quant aux faits et l’absence de conclusion formelle de la part du tribunal allemand sur les faits bruts, rien ne me semble légitimer l’adoption d’une opinion entièrement opposée sur les faits. Nul ne conteste qu’il y a eu beaucoup de violence, et notamment que l’on a tordu le bras de l’intéressée derrière le dos, qu’on lui a passé les menottes, les deux mains derrière le dos, et qu’on l’a traînée ainsi. Les agents ont essayé de se justifier en disant qu’elle avait résisté à son arrestation, mais elle se trouvait déjà en état d’arrestation après l’échec de l’alcootest (paragraphe 1 ci-dessus). Ils n’ont pu expliquer comment s’étaient produites les blessures, attestées par des photographies, ni préciser si Mme Klaas avait éprouvé des douleurs parce que l’on imprimait des secousses à ses mains emprisonnées. Ils ont admis qu’elle n’avait pas de blessure à la tête quand ils l’interpellèrent. Ils ont avancé qu’"elle avait pu se blesser" au cours de l’altercation qui aurait eu lieu au moment où ils lui passèrent les menottes. Comme elle n’était nullement connue des services de police et ne passait pas pour une personne violente, ni pour fréquenter des individus que l’on pût croire enclins à se livrer à la violence, il n’est pas exagéré de dire que les deux agents n’y allèrent pas de main morte. Mme Klaas n’était pas du tout ivre, encore que la manière dont ils l’abordèrent à ce sujet soit révélatrice. L’analyse de son sang montra que son alcoolémie dépassait de 0,02 g par litre les 0,8 g autorisés; la police n’en accusa pas moins l’intéressée du délit de conduite sous l’empire de l’alcool, accusation ultérieurement classée par le parquet, faute d’éléments à l’appui. De fait, la requérante ne fut jamais traduite devant un tribunal répressif.

6.  Pour moi, il y a eu violation de l’article 3 (art. 3) parce qu’elle a subi un traitement inhumain et dégradant qui n’a pas été justifié. Le traitement inhumain se distingue à mes yeux du traitement dégradant, mais j’ai la conviction qu’ils se trouvent tous deux établis en l’espèce. J’estime aussi qu’il y a eu infraction à l’article 8 (art. 8) dans le chef tant de la première requérante que de sa fille Monika, exposée à tort et contre son gré à l’incident au cours duquel sa mère fut blessée. S’agissant de Monika, je n’ai pas le sentiment qu’il y ait eu méconnaissance de l’article 3 (art. 3).



OPINION DISSIDENTE DE M. LE JUGE SPIELMANN

Je ne puis souscrire à la décision de la majorité de la chambre de la Cour pour les raisons suivantes, divisées en deux parties, à savoir:

I. Le cas concret, II. En principe.

I. Le cas concret

A. Motivation de l’arrêt

Dans le cas d’espèce, je ne peux accepter ni la motivation de l’arrêt, ni, par conséquent, ses conclusions, sauf en ce qui concerne la non-violation de l’article 3 (art. 3) par rapport à la deuxième requérante.

a) La première requérante

1. Sur la violation alléguée de l’article 3 (art. 3)

Je me distance des paragraphes 29, alinéa 2, et 30, alinéas 2 et 3, de la motivation de l’arrêt.

- ad paragraphe 29, alinéa 2

Suivant l’alinéa 2 du paragraphe 29 de la décision de la majorité de la chambre:

" (...) il n’entre pas dans les attributions [de la Cour] de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux (voir, entre autres, les arrêts Edwards c. Royaume-Uni du 16 décembre 1992, série A, no 247-B, p. 12, par. 34, et Vidal c. Belgique du 22 avril 1992, série A no 235-B, pp. 32-33, paras. 33-34)."

Si tel peut être le cas, en principe, pour l’application de l’article 6 (art. 6) de la Convention, il en est autrement, de l’avis du soussigné, de l’application de l’article 3 (art. 3) (voir point II).

- ad paragraphe 30, alinéa 2

D’après l’alinéa 2 du paragraphe 30 de l’arrêt de la majorité de la chambre:

"Il échet de distinguer le présent litige de l’affaire Tomasi c. France, où la circonstance que le requérant avait souffert des dommages corporels inexpliqués pendant une garde à vue de quarante-huit heures autorisait certaines déductions."

Observations

1.  Je ne vois aucune différence, par rapport à l’article 3 (art. 3) de la Convention , si les brutalités ont été effectuées pendant la garde à vue ou lors de l’arrestation (voir paragraphe 103 du rapport de la Commission). Dans les deux cas, l’intéressé se trouve entre les mains de la police.

2.  Par contre, je vois une grande différence entre les deux affaires (mais pas dans le sens de la majorité de la chambre de la Cour):

L’affaire Tomasi s’est passée dans un climat de quasi-terrorisme. L’intéressé était soupçonné d’avoir participé à un attentat perpétré à Sorbo-Occagnano (Haute-Corse) dans la soirée du 11 février 1982 contre le centre de repos de la Légion étrangère, inoccupé à cette période de l’année: le caporal-chef Rossi et le légionnaire Steinte, qui sans armes en assuraient l’entretien et le gardiennage, avaient été blessés par des coups de feu, le premier mortellement, le second très grièvement.

Le climat était tel que la France aurait pu, pour le territoire concerné, faire la déclaration prévue à l’article 15 (art. 15) de la Convention.

Dans l’affaire Klaas, la première requérante était soupçonnée d’avoir brûlé un feu rouge et d’avoir conduit sous l’empire de l’alcool. Le résultat de l’analyse de son sang était de 0,82 pro mille.

Voilà la vraie différence entre les deux affaires.

- ad paragraphe 30, alinéa 3

Suivant l’alinéa 3 du paragraphe 30 de l’arrêt:

"La Cour ne possède aucune donnée convaincante qui puisse l’amener à s’écarter des constatations de fait des juges nationaux."

Il s’agit là d’un faux problème.

Il n’appartient pas à la requérante d’apporter des éléments convaincants, mais il appartenait au Gouvernement, en présence des blessures constatées par des certificats médicaux, de prouver que l’intervention de la police n’était pas disproportionnée par rapport aux "infractions" commises. Le Gouvernement ne l’a pas fait; du reste, il ne pouvait pas le faire.

2. Sur la violation alléguée de l’article 8 (art. 8)

Aux termes du paragraphe 33 de l’arrêt:

"Le grief tiré de l’article 8 (art. 8) par la première requérante repose, pour l’essentiel, sur les mêmes faits controversés que la Cour a déjà pris en compte sur le terrain de l’article 3 (art. 3) et a jugés non établis (...). Partant, il n’appelle pas un examen séparé."

La majorité de la Commission, ayant trouvé une violation de l’article 3 (art. 3), a décidé, conformément à sa jurisprudence "qu’aucun problème distinct ne se pose sous l’angle de l’article 8 (art. 8) de la Convention en ce qui concerne la première requérante".

Le problème se posait évidemment autrement pour la minorité de la Commission, qui, elle, n’avait pas trouvé de violation par rapport à l’article 3 (art. 3), aux motifs que le traitement auquel la première requérante a été exposée, bien que grave, n’a pas eu la gravité nécessaire pour rentrer dans le champ d’application de l’article 3 (art. 3) de la Convention.

Par contre, cette minorité de la Commission a trouvé, contrairement à la majorité de la Cour, une violation de l’article 8 (art. 8), aux motifs suivants:

"(...) ce traitement constituait, selon nous, une ingérence dans le droit de la première requérante au respect de sa vie privée, car il n’était aucunement justifié au regard de l’article 8 par. 2 (art. 8-2) de la Convention." (voir l’opinion dissidente de MM. Nørgaard, Trechsel, Danelius et Marxer)

Si j’étais arrivé, comme la minorité de la Commission, à la conclusion de la non-violation de l’article 3 (art. 3), quod non, je n’aurais cependant hésité aucun moment pour conclure à la violation de l’article 8 (art. 8).

Il est du reste intéressant de relever que tous les membres de la Commission ont trouvé au moins une violation de la Convention en ce qui concerne la première requérante, et ceci du fait qu’au lieu de se baser sur l’évaluation des preuves faite par le tribunal régional de Detmold, ils ont procédé eux-mêmes à cette évaluation.

b) La deuxième requérante

1. Sur la violation alléguée de l’article 3 (art. 3)

Avec la quasi-unanimité de la Commission, je suis d’avis que les effets négatifs des événements sur la deuxième requérante ne constituent pas un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 (art. 3) de la Convention (voir cependant l’opinion dissidente de M. Loucaides).

2. Sur la violation alléguée de l’article 8 (art. 8)

Ayant trouvé une violation de l’article 8 (art. 8) à l’égard de la première requérante, il n’est que logique d’en trouver également une à l’égard de la deuxième requérante. Il en aurait été de même si je n’avais pas trouvé de violation de l’article 3 (art. 3) en ce qui concerne la première requérante. Pour les deux requérantes, l’ingérence n’était nullement justifiée (alinéa 2 de l’article 8) (art. 8-2).

B. Conclusions

1.  Je conclus qu’il y a eu violation de l’article 3 (art. 3) de la Convention en ce qui concerne la première requérante.

2.  Je conclus qu’il y a eu également violation de l’article 8 (art. 8) en ce qui concerne la première requérante.

3.  Je conclus qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3) en ce qui concerne la deuxième requérante.

4.  Je conclus qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) en ce qui concerne la deuxième requérante.

II. En principe

Les principes soulevés par l’affaire Klaas dépassent de loin le cas concret. Le phénomène des brutalités policières n’est nullement uniquement allemand, il est européen.

Pour s’en convaincre, on n’a qu’à lire les rapports du Comité européen contre la torture.

Quelle en est l’explication?

De l’avis du soussigné, il y en a au moins trois, à savoir:

1.  Du fait que le plus souvent les brutalités policières se passent, à l’exception de la victime, en l’absence de tout témoin, les faits sont systématiquement contestés.

2.  Des blessures dûment constatées par des certificats médicaux sont dues soit à des automutilations, soit à un accident, soit tout simplement au hasard (soudainement, pour une raison incompréhensible, l’intéressé est tombé avec la tête contre une armoire). On a assisté au même scénario dans l’affaire Tomasi c. France.

3.  Trop souvent, ces brutalités (dites "bavures") sont couvertes par les juridictions nationales.

Dans ces conditions, je suis d’avis qu’il appartient à la Cour européenne des Droits de l’Homme d’évaluer les preuves, et non pas au tribunal régional de Detmold ou à la cour d’appel de X.

Après la censure de huit articles de la loi sur l’immigration par le Conseil constitutionnel français, Mme Béatrice Patrie, présidente du Syndicat de la magistrature, vient d’écrire, notamment, ce qui suit:

"On ne peut donc que se féliciter que le Conseil constitutionnel français, rejoignant ses homologues européens, se consacre à sa mission de gardien des libertés, faute de quoi les droits de l’homme, tout comme les "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" comme étant "particulièrement nécessaires à notre temps", ne seraient plus que des appoggiatures tout juste bonnes à enjoliver les leçons d’éducation civique chères au (...) " (Le Monde, 19 août 1993)

Ce qui vaut pour les cours constitutionnelles, vaut a fortiori pour la Cour européenne des Droits de l’Homme.


[*] L'affaire porte le n° 27/1992/372/446.  Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

[*] Tel que l'a modifié l'article 11 du protocole n° 8 (P8-11), entré en vigueur le 1er janvier 1990.

[*] Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 269 de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe.

[*] Arrêt du 27 août 1992, série A no 241-A.

[*] Voir, par exemple, pour le droit pénal français: tribunal de grande instance de Lyon, 16 octobre 1973, Juris-Classeur périodique (J.C.P.), 1974,II,17812, note Bouzat, observations Larguier, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1975, p. 406.  Voir aussi à propos de la défense des biens d'autrui, tribunal correctionnel de Blois, 11 janvier 1978, et cour d'appel d'Orléans, 17 septembre 1979, cités par A. Romerio, "La violence légitime", J.C.P., 1980,I,2974.

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Textes cités dans la décision

  1. Code civil
  2. CODE PENAL
  3. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE KLAAS c. ALLEMAGNE, 22 septembre 1993, 15473/89