CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE SCOPELLITI c. ITALIE, 23 novembre 1993, 15511/89

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Chambre), 23 nov. 1993, n° 15511/89
Numéro(s) : 15511/89
Publication : A278
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Billi c. Italie du 26 février 1993, série A no 257-G, p. 89, par. 19
Arrêt Capuano c. Italie du 25 juin 1987, série A no 119, pp. 13-14, par. 31, p. 11, par. 25
Arrêt Guincho c. Portugal du 10 juillet 1984, série A no 81, p. 14, par. 32
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'Art. 6-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-62416
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1993:1123JUD001551189
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Sur les parties

Texte intégral

        En l'affaire Scopelliti c. Italie*,

        La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée,

conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde

des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")**

et aux clauses pertinentes de son règlement, en une chambre composée

des juges dont le nom suit:

        MM. R. Ryssdal, président,

            R. Bernhardt,

            C. Russo,

            I. Foighel,

            F. Bigi,

            A.B. Baka,

            M.A. Lopes Rocha,

            L. Wildhaber,

            J. Makarczyk,

ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier

adjoint,

        Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 24 mai et

27 octobre 1993,

        Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

_______________

Notes du greffier

* L'affaire porte le n° 41/1992/386/464.  Les deux premiers chiffres

en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la

place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur

celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

** Tel que l'a modifié l'article 11 du protocole n° 8 (P8-11), entré

en vigueur le 1er janvier 1990.

_______________

PROCEDURE

1.      L'affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement italien

("le Gouvernement") le 28 octobre 1992, dans le délai de trois mois

qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la

Convention.  A son origine se trouve une requête (n° 15511/89) dirigée

contre la République italienne et dont une ressortissante de cet Etat,

Mme Antonia Scopelliti, avait saisi la Commission européenne des Droits

de l'Homme ("la Commission") le 6 avril 1989 en vertu de l'article 25

(art. 25).

        La requête du Gouvernement renvoie aux articles 44, 45 et 48

(art. 44, art. 45, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne

reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46)

(art. 46).  Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de

savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat

défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).

2.      En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du

règlement, la requérante a manifesté le désir de participer à

l'instance et a désigné son conseil (article 30), que le président a

autorisé à employer la langue italienne (article 27 par. 3).

3.      La chambre à constituer comprenait de plein droit M. C. Russo,

juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention)

(art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21

par. 3 b) du règlement).  Le 25 novembre 1992, celui-ci a tiré au sort

le nom des sept autres membres, à savoir MM. N. Valticos, I. Foighel,

F. Bigi, A.B. Baka, M.A. Lopes Rocha, L. Wildhaber et J. Makarczyk, en

présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21

par. 4 du règlement) (art. 43).  Par la suite, M. R. Bernhardt,

suppléant, a remplacé M. Valticos, empêché (articles 22, paras. 1

et 2, et 24 par. 1 du règlement).

4.      En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du

règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier

l'agent du Gouvernement, l'avocat de la requérante et le délégué de la

Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37

par. 1 et 38).  Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le

greffier a reçu le mémoire de la requérante, ainsi qu'une note de frais

et dépens, les 10 février et 4 mars 1993.  Le Gouvernement a déposé ses

observations le 8 mars.  Le délégué de la Commission s'est exprimé à

l'audience.

5.      Le 1er février 1993, la Commission avait produit le dossier de

la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur les

instructions du président.

6.      Ainsi qu'en avait décidé celui-ci, les débats se sont déroulés

en public le 24 mai 1993, au Palais de Droits de l'Homme à Strasbourg.

La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

        Ont comparu:

- pour le Gouvernement

  MM. G. Raimondi, magistrat détaché au Service du

         contentieux diplomatique du ministère

         des Affaires étrangères,                            coagent,

      L. Salazar, magistrat détaché au ministère

         de la Justice,                                      conseil;

- pour la Commission

  M.  F. Ermacora,                                           délégué;

- pour la requérante

  Me M. Miccoli, avocat,                                     conseil.

        La Cour les a entendus en leurs déclarations ainsi qu'en leurs

réponses à ses questions.

        Les représentants du Gouvernement et de la requérante ont

produit certains documents à l'issue de l'audience.

EN FAIT

7.      Mme Antonia Scopelliti habite Reggio de Calabre.

8.      Le 10 décembre 1980, elle assigna l'A.N.A.S. (Azienda Nazionale

Autonoma Strade - Entreprise nationale des ponts et chaussées) et le

ministère des Travaux publics devant le tribunal de Catanzaro.  Elle

demandait la réparation de dommages résultant de l'occupation abusive,

par l'A.N.A.S., d'environ 1000 m2 de terrain lui appartenant, utilisés

pour améliorer une route nationale.

9.      L'affaire fut inscrite au rôle le 15 décembre 1980 et une

première audience eut lieu le 27 janvier 1981.  A cette date, le juge

de la mise en état ordonna une expertise technique et fixa l'audience

suivante au 17 février 1981.  On dut reporter celle-ci - faute de

notification de l'ordonnance à l'expert -, puis celle du 10 mars 1981.

10.     Le 24 mars 1981, l'expert prêta serment et se vit impartir un

délai de quatre-vingt-dix jours pour déposer son rapport.  Il ne

respecta pas l'échéance, de sorte que l'affaire connut une série

d'ajournements (7 juillet 1981, 12 janvier, 9 mars, 20 avril, 11 mai

et 13 juillet 1982).

11.     L'expert présenta son rapport à une date non précisée,

antérieure aux débats du 14 décembre 1982, lesquels furent différés

comme ceux des 15 mars et 22 avril 1983.

12.     L'affaire fut renvoyée à la chambre compétente du tribunal le

3 mai 1983.  L'A.N.A.S., partie défenderesse, déposa ses conclusions

le 10 novembre 1983.

        Par la suite, les audiences prévues pour les 23 novembre 1983,

27 juin et 7 novembre 1984, 27 mars et 27 novembre 1985, 26 février,

16 avril, 2 juillet et 3 décembre 1986 furent toutes ajournées à la

demande conjointe des parties.  La requérante attribue ces retards aux

changements continuels de la composition de la chambre compétente, mais

le Gouvernement le conteste.

13.     Elle avait écrit entre-temps, le 24 septembre 1984, au

président du tribunal de Catanzaro puis, le 22 janvier 1986, au

procureur général près la cour d'appel de la même ville, pour

solliciter un examen plus rapide de la cause.

14.     Mme Scopelliti présenta ses conclusions les 6 et

16 février 1987.  Le 18 février, l'affaire fut mise en délibéré.

        Le 5 octobre 1987, le tribunal de Catanzaro accueillit les

prétentions de l'intéressée et condamna l'A.N.A.S. à lui verser

212 517 000 lires, dont 17 460 000 pour la valeur vénale de la

superficie occupée, 100 605 000 pour le préjudice causé au terrain

attenant à la route et 94 452 000 au titre des dommages résultant de

l'occupation abusive et de l'indisponibilité du bien en question.  Il

lui alloua en outre, pour frais et honoraires d'avocat, une somme

globale de 5 085 000 lires.  Déposé au greffe le 14 janvier 1988, le

jugement devint définitif le 1er mars 1989.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

15.     Mme Scopelliti a saisi la Commission le 6 avril 1989.  Elle se

plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle devant

le tribunal de Catanzaro et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de

la Convention.

16.     La Commission a retenu la requête (n° 15511/89) le

1er avril 1991.  Dans son rapport du 1er juillet 1992 (article 31) (art. 31),

elle relève à l'unanimité une violation de l'article 6 par. 1

(art. 6-1).  Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent

arrêt*.

_______________

* Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera

que dans l'édition imprimée (volume 278 de la série A des publications

de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe.

_______________

EN DROIT

I.      SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1)

17.     Mme Scopelliti allègue que l'examen de sa cause a duré au-delà

du "délai raisonnable" prévu à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la

Convention, ainsi libellé:

          "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...)

        dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera

        (...) des contestations sur ses droits et obligations de

        caractère civil (...)"

        Le Gouvernement conteste cette thèse, tandis que la Commission

y souscrit.

18.     La période à considérer a débuté le 10 décembre 1980, avec

l'assignation de l'A.N.A.S. devant le tribunal de Catanzaro, pour

s'achever le 1er mars 1989, date à laquelle le jugement du même

tribunal devint définitif (paragraphes 8 et 14 ci-dessus).  Elle

s'étend donc sur un peu moins de huit ans et trois mois.

19.     Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie

à l'aide des critères qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour

et suivant les circonstances de l'espèce, lesquelles commandent en

l'occurrence une évaluation globale.

20.     La requérante conteste, avec la Commission, la difficulté de

l'affaire et attribue la responsabilité des ajournements susmentionnés

aux changements continuels que connut la composition de la chambre du

tribunal appelée à statuer.

21.     Le Gouvernement excipe de la complexité de l'expertise

technique, qui en justifierait le dépôt tardif.  Il invoque en outre

le comportement des parties, qui sollicitèrent une série de renvois

tout au long de la période allant du 23 novembre 1983 au

18 février 1987 (paragraphes 12 et 14 ci-dessus); il relève aussi

qu'aucune d'elles ne demanda le remplacement de l'expert.

22.     Il y a lieu de distinguer en l'occurrence trois phases.

L'instruction de l'affaire, d'abord, prit plus de deux ans et trois

mois (27 janvier 1981 - 3 mai 1983); elle se caractérisa surtout par

l'attente du rapport de l'expert.  Plus de trois ans et deux mois

(23 novembre 1983 - 18 février 1987) s'écoulèrent ensuite avant la mise

en délibéré.  Enfin, le jugement, déposé au greffe le 14 janvier 1988,

acquit un caractère définitif treize mois et quinze jours après, soit

le 1er mars 1989 (paragraphe 14 ci-dessus).

        On ne saurait imputer à l'Etat défendeur ce dernier délai, car

chacune des parties avait la possibilité de l'abréger en notifiant la

décision à l'autre (articles 325, 326 et 327 du code de procédure

civile).

23.     En ce qui concerne la première phase, la Cour admet que la

rédaction de l'expertise technique présentait quelques difficultés.

Cependant, elle discerne mal pourquoi il fallut attendre le rapport

près de seize mois, au bas mot (paragraphes 10 et 11 ci-dessus).  Elle

note que l'expert ne demanda pas une prolongation du délai de

quatre-vingt-dix jours, qu'il avait pourtant lui-même proposé, et ne

se présenta pas à l'audience.  Elle considère en outre, contrairement

au Gouvernement, que Mme Scopelliti n'était pas tenue d'inviter le juge

de la mise en état à remplacer l'expert.  Du reste, pareille démarche

aurait entraîné un retard supplémentaire et la décision relevait du

magistrat en question, qui pouvait la prendre d'office conformément à

l'article 196 du code de procédure civile (arrêt Capuano c. Italie du

25 juin 1987, série A n° 119, pp. 13-14, par. 31).  La Cour souligne

enfin que l'expert travaillait dans le cadre d'une instance judiciaire

contrôlée par un juge à qui incombaient la mise en état et la conduite

rapide du procès (voir, en dernier lieu, l'arrêt Billi c. Italie du

26 février 1993, série A n° 257-G, p. 89, par. 19).

24.     Quant à la seconde partie de la procédure, il ressort du

dossier, et notamment des procès-verbaux des audiences, que les

ajournements furent sollicités conjointement par les parties.  Or à

l'époque Mme Scopelliti ne révoqua pas en doute la validité desdits

procès-verbaux.  Il n'en demeure pas moins que des intervalles de temps

considérables s'écoulèrent entre la majorité des renvois

(paragraphe 12 ci-dessus).

25.     La Cour rappelle qu'en Italie la procédure civile se trouve

régie par le "principio dispositivo", qui consiste à donner aux parties

les pouvoirs d'initiative et d'impulsion.  Pareil principe ne dispense

pourtant pas les juges d'assurer le respect des exigences de

l'article 6 (art. 6) en matière de délai raisonnable (arrêts Guincho

c. Portugal du 10 juillet 1984, série A n° 81, p. 14, par. 32, et

Capuano précité, série A n° 119, p. 11, par. 25).  Du reste,

l'article 175 du code de procédure civile prévoit que le juge de la

mise en état "exerce tous les pouvoirs tendant au déroulement le plus

rapide et loyal de la procédure" (arrêt Capuano précité, ibidem).

26.     Au total, le laps de temps écoulé du 10 décembre 1980 au

14 janvier 1988 ne saurait passer pour "raisonnable".  Il y a donc eu

violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).

II.     SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 (art. 50)

27.     D'après l'article 50 (art. 50),

          "Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou

        une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre

        autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou

        partiellement en opposition avec des obligations découlant de

        la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie

        ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette

        décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde,

        s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."

    A.  Dommage

28.     Mme Scopelliti revendique d'abord 50 000 000 lires italiennes

pour dommage matériel et 30 000 000 pour tort moral.

        L'occupation illégitime de sa propriété lui aurait causé un

préjudice lié, d'un côté, à l'indisponibilité de son bien et, de

l'autre, aux frais et dépens exposés tout au long de la procédure

interne.

29.     Selon le Gouvernement, le préjudice matériel subi a été

compensé par les sommes que le tribunal de Catanzaro a octroyées à la

requérante.  Quant à un éventuel tort moral, un constat de violation

fournirait en soi une satisfaction équitable suffisante aux fins de

l'article 50 (art. 50).

30.     Le délégué de la Commission ne se prononce pas.

31.     D'après la Cour, rien ne prouve qu'il subsiste un préjudice

d'ordre matériel.  La requérante a pu subir en revanche un dommage

moral, mais dans les circonstances de la cause il se trouve

suffisamment réparé par le constat d'infraction à l'article 6 par. 1

(art. 6-1).

    B.  Frais et dépens

32.     Mme Scopelliti réclame aussi 11 546 310 lires pour frais et

dépens afférents à la procédure suivie devant les organes de la

Convention.

        Ni le Gouvernement ni le délégué de la Commission ne formulent

d'observations.

33.     Sur la base des critères qu'elle applique en la matière, la

Cour accueille la demande de la requérante.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,

1.      Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1);

2.      Dit que le constat de cette violation constitue une

        satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral

        éventuellement subi;

3.      Dit que l'Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les

        trois mois, 11 546 310 (onze millions cinq cent quarante-six

        mille trois cent dix) lires pour frais et dépens;

4.      Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

        Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience

publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le

23 novembre 1993.

Signé: Rolv RYSSDAL

       Président

Signé: Marc-André EISSEN

       Greffier

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