CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE YAŞA c. TURQUIE, 2 septembre 1998, 22495/93

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Chambre), 2 sept. 1998, n° 22495/93
Numéro(s) : 22495/93
Publication : Recueil 1998-VI
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions ("Recueil") 1996-IV, p. 1210, §§ 65-67, p. 1221, § 69
Arrêt Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, pp. 2275-2276, §§ 51-52, p. 2276, §§ 53 et 54, p. 2286, § 95, p. 2287, § 98
Arrêt Aydin c. Turquie du 25 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1888, § 70, p. 1889, § 72, p. 1895, § 103
Arrêt Boyle et Rice c. Royaume-Uni du 27 avril 1988, série A n° 131, p. 23, § 52
Arrêt Cruz Varas et autres c. Suède du 20 mars 1991, série A n° 201, p. 29, § 75, p. 30, § 76
Arrêt Ergi c. Turquie du 28 juillet 1998, Recueil 1998-IV, p. 1778, § 82
Arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 64, § 160
Arrêt Kaya c. Turquie du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 321, § 75, p. 322, §§ 76 et 77, p. 324, § 86, p. 326, § 91, p. 329, § 105, pp. 329-330, § 106, pp. 330-331, § 107
Arrêt Kurt c. Turquie du 25 mai 1998, Recueil 1998-III, p. 1212, § 179
Arrêt Loizidou c. Turquie du 23 mars 1995 (exception préliminaires), série A n° 310, pp. 26-27, §§ 70-72
Arrêt McCann et autres c. Royaume-Uni du 27 septembre 1995, série A n° 324, p. 48, § 161, p. 50, § 169
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie du 30 janvier 1998, Recueil 1998-I, p. 28, § 62
Arrêt Sakik et autres c. Turquie du 26 novembre 1997, Recueil 1997-VII, p. 2634, § 53
Arrêt Yagci et Sargin c. Turquie du 8 juin 1995, série A n° 319-A, p. 17, § 42
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Exception préliminaire rejetée (victime) ; Exception préliminaire rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Non-violation de l'art. 2 ; Violation de l'art. 2 (enquête effective) ; Violation de l'art. 13 ; Non-lieu à examiner l'art. 10 ; Non-lieu à examiner l'art. 14 ; Non-lieu à examiner l'art. 18 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-62796
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1998:0902JUD002249593
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Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE YAŞA c. TURQUIE

(63/1997/847/1054)

ARRÊT

STRASBOURG

2 septembre 1998


En l’affaire Yaşa c. Turquie[1],

La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A[2], en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM.R. Bernhardt, président,
Thór Vilhjálmsson,
F. Gölcüklü,
R. Pekkanen,
L. Wildhaber,
D. Gotchev,
J. Casadevall,
M. Voicu,
V. Butkevych,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 avril et 28 juillet 1998,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1.  L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 9 juillet 1997, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 22495/93) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Eşref Yaşa, avait saisi la Commission le 12 juillet 1993 en vertu de l’article 25.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 de la Convention ainsi qu’à la déclaration turque reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences des articles 2, 3, 6, 10, 13, 14 et 18 de la Convention.


2.  En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a exprimé le souhait de participer à l’instance et désigné ses conseils (article 30).

3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit M. F. Gölcüklü, juge élu de nationalité turque (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le 27 août 1997, M. R. Ryssdal, président de la Cour, a tiré au sort en présence du greffier le nom des sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, R. Pekkanen, L. Wildhaber, D. Gotchev, J. Casadevall, M. Voicu et V. Butkevych, (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A).

4.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du gouvernement turc (« le Gouvernement »), les avocats du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 § 1 et 38). Conformément aux ordonnances rendues en conséquence, le greffier a reçu les mémoires du Gouvernement et du requérant les 2 et 3 mars 1998 respectivement. Un addendum au mémoire du requérant donnant le détail de ses prétentions au titre de l’article 50 de la Convention est parvenu au greffe le 20 mars. Le Gouvernement a présenté ses observations en réponse à celui-ci le 20 avril, et le requérant y a répliqué le 23 avril.

5.  Ainsi qu’en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 21 avril 1998, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu :

–pour le Gouvernement
Mme D. Akçay,coagent,
M. A. Kaya,
Mmes A. Emüler,
M. Gülşen,
Ş. Özkan,
A. Günyaktı,conseillers ;

–pour la Commission
M.H. Danelius,délégué ;

–pour le requérant
M. K. Boyle, Barrister-at-Law,
Mmes F. Hampson, Barrister-at-Law,conseils,
A. Reidy, Barrister-at-Law,conseiller.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Danelius, M. Boyle et Mme Akçay.

EN FAIT

I.LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Citoyen turc né en 1962, M. Eşref Yaşa réside actuellement à Diyarbakır. Son oncle, M. Haşim Yaşa, né en 1956, habitait également cette ville, avant d’être tué le 14 juin 1993.

7.  L’intéressé a soumis une requête à la Commission « en son nom propre et au nom de son défunt oncle » (paragraphe 56 ci-dessous), affirmant qu’ils avaient été victimes d’agressions armées parce qu’ils vendaient le journal Özgür Gündem. Celles-ci se seraient produites dans le cadre d’une série d’attaques dirigées, de connivence avec des agents de l’Etat, voire même avec leur participation directe, contre cette publication prokurde ainsi que d’autres publications.

Les faits à l’origine de la requête sont en partie controversés.

A.La version des faits du requérant et du Gouvernement

1.La version du requérant

a)Les incidents concernant le requérant et son oncle

8.  A l’époque des faits, le requérant louait un kiosque à journaux, dénommé Bulvar Buffet, dans la ville de Diyarbakır. A partir d’octobre 1992, la police le menaça de mort parce qu’il vendait certains journaux, notamment le titre prokurde Özgür Gündem.

9.  Aux premières heures du 15 novembre 1992, on mit le feu à son kiosque, qui fut entièrement détruit. Le requérant évalue les dommages à soixante-dix millions de livres turques.

10.  Une semaine environ avant cet incident, le requérant avait reçu la visite de deux policiers. L’un d’eux était le commissaire Kemal Fidan, de la direction de la sûreté de Diyarbakır. L’intéressé ignore le nom de l’autre policier. Tous deux ont menacé de mettre le feu à son kiosque à cause des journaux qu’il vendait.

11.  Après l’incendie du kiosque, les autres marchands de journaux décidèrent de faire grève en signe de protestation. Ce jour-là, ils refusèrent de vendre quoi que ce soit.


12.  Le 15 janvier 1993 à 7 h 15, on tira des coups de feu sur le requérant dans la rue Turistik, située dans le quartier de Mardinkapı à Diyarbakır. Alors qu’il se rendait à bicyclette de son domicile à son kiosque, son fils Diren assis derrière lui sur le porte-bagages, il remarqua deux hommes âgés de vingt à vingt-cinq ans environ, l’un grand et l’autre de taille moyenne, qui lui parurent suspects. Craignant qu’ils ne lui voulussent du mal, le requérant tenta de dévier sa bicyclette mais fut heurté par un taxi. Son fils et lui tombèrent. A ce moment, l’un des deux hommes ouvrit le feu sur lui. Pour se défendre, le requérant dégaina le pistolet qu’il portait à la taille et tira six coups dont aucun n’atteignit les deux hommes. En revanche, il fut touché par huit balles tirées par son agresseur : trois d’entre elles lui éraflèrent le dos et une la jambe droite ; une balle pénétra son bras droit, une autre son poignet gauche ; une autre balle se logea entre l’index et le majeur de la main gauche et la dernière, traversant la fesse droite, pénétra son abdomen.

13.  Le requérant fut conduit par un taxi à l’hôpital de Diyarbakır. Il demanda au chauffeur de remettre son arme à un membre de sa famille. Au lieu de cela, le chauffeur la remit à un de ses collègues qui connaissait le kiosque du requérant et qui plaça le pistolet, enfermé dans une boîte en fer‑blanc, sous le comptoir du kiosque.

14.  L’extraction des balles, effectuée dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital de Diyarbakır, fut retardée de deux heures par des interventions de la police. Les proches du requérant furent par la suite insultés et menacés de mort à l’hôpital.

15.  Le requérant passa onze jours à l’hôpital ; il connaît toujours des problèmes de santé dus à son agression. Il ressent des douleurs au bras gauche et à plusieurs doigts de la main gauche et ses cicatrices continuent de le gêner. En outre, il souffre de l’estomac en raison d’une infection qui s’est déclarée après l’opération.

16.  Pendant son séjour à l’hôpital, le requérant fit une déclaration à la police, affirmant que ses agresseurs étaient des policiers. Le parquet ne lui a jamais demandé de déposer au sujet de cet incident.

17.  A sa sortie de l’hôpital, des poursuites furent ouvertes contre le requérant pour port d’armes non autorisé. Le 24 mai 1993, il fut condamné à une peine d’un an d’emprisonnement, que le tribunal convertit ultérieurement en une amende de 1 633 333 livres turques, à payer de manière échelonnée sur quatre mois. Il fut débouté de son appel contre cette condamnation.

18.  Le 14 juin 1993 à 7 h 30 environ, l’oncle du requérant, Haşim Yaşa, qui tenait le kiosque du requérant depuis mars 1993, fut tué par des balles tirées par un inconnu qui l’atteignirent à la tête, alors qu’il marchait avenue Sunay à Diyarbakır. Le fils de Haşim Yaşa, Aziz, alors âgé de sept ans, était le seul témoin de la scène. Le même jour, le requérant fut arrêté, agressé et menacé de mort par des policiers, qui lui affirmèrent que c’étaient eux qui avaient tiré et qu’ils avaient pris la victime pour le requérant.


19.  Le 10 octobre 1993, le jeune frère du requérant, Yalçın Yaşa, qui était alors âgé de treize ans et tenait le kiosque après les agressions subies par l’intéressé et l’oncle de celui-ci, fut tué par un inconnu près de son domicile. Un autre frère du requérant, Yahya Yaşa, âgé de seize ans, fut gravement blessé à cette occasion.

20.  Après ce dernier incident, le requérant dut vendre son kiosque car il ne restait plus aucun membre de sa famille susceptible de s’en occuper.

b)La campagne d’attentats dirigée contre les personnes diffusant des journaux prokurdes

21.  Le requérant affirme qu’on a tiré sur son oncle et lui-même parce qu’ils participaient à la diffusion du journal Özgür Gündem. Ces incidents s’inscriraient dans le cadre d’une campagne de persécutions et d’agressions visant les personnes s’occupant de la publication et de la diffusion de ce journal prokurde ainsi que d’autres journaux encore. A l’appui de ce grief, le requérant cite les incidents suivants.

i.Fermeture d’Özgür Gündem

22.  Ce journal cessa de paraître en avril 1994, en raison d’une série de poursuites engagées contre lui par l’Etat. Depuis sa création en mai 1992, il avait fait l’objet de plusieurs poursuites et ordonnances de saisie et de fermeture temporaire. Si le journal ne fut jamais officiellement interdit à la vente, il y eut toutefois des périodes pendant lesquelles les ordonnances de saisie et de fermeture entravèrent sa parution et sa diffusion. Özgür Ülke, journal ayant succédé à Özgür Gündem, fut contraint de fermer en février 1995 et Yeni Politika, qui l’avait remplacé, cessa de paraître en août 1995.

ii.Agressions dirigées contre le personnel d’Özgür Gündem

23.  Le requérant a fourni des listes d’agressions, de mauvais traitements, de détentions et de menaces dont le personnel et les distributeurs d’Özgür Gündem et de journaux analogues firent l’objet en 1992, 1993 et au début de 1994. Selon lui, ces incidents montrent clairement qu’il existe un processus généralisé consistant à viser les personnes travaillant pour Özgür Gündem.

24.  D’après le requérant, au moins sept journalistes travaillant pour ce journal, dont Musa Anter, ont été tués tandis que d’autres ont été blessés à la suite d’agressions. De nombreux autres journalistes furent placés en garde à vue et, pour certains d’entre eux, soumis à de mauvais traitements.

25.  Les propriétaires, rédacteurs en chef et journalistes d’Özgür Gündem firent aussi l’objet de nombreuses poursuites fondées entre autres sur la disposition de la loi relative à la lutte contre le terrorisme interdisant la propagande contre l’indivisibilité de l’Etat. En outre, Behçet Cantürk, l’un des principaux fournisseurs de capitaux d’Özgür Gündem, fut assassiné (paragraphe 46 ci-dessous).

26.  Le requérant affirme que plusieurs kiosques à journaux ont été attaqués parce qu’on y vendait Özgür Gündem. En outre, des bombes ont explosé le 3 décembre 1994 au siège de ce journal à Istanbul ainsi que dans ses bureaux d’Ankara, faisant un mort et dix-huit blessés.

27.  Des personnes et véhicules intervenant dans la distribution d’Özgür Gündem subirent de multiples incidents. Selon le requérant, onze vendeurs ou distributeurs au moins furent tués, dont Yalçın Yaşa (paragraphe 19 ci-dessus) et Haşim Yaşa (paragraphe 18 ci-dessus). Plusieurs autres vendeurs ou distributeurs ont été abattus ou grièvement blessés, tandis que d’autres encore ont été menacés de violences au cas où ils n’arrêteraient pas de vendre ou distribuer le journal.

28.  A l’appui de ses dires, le requérant invoque diverses publications faisant état d’informations et de préoccupations quant aux atteintes à la liberté d’expression en Turquie, notamment « Ce qui est arrivé à la presse en 1993 », publié par Özgür Gündem, des extraits d’Info-Türk datant de 1993 (E.208-7, E.209-6, E.212-8/9), le rapport du Département d’Etat américain sur la Turquie pour 1994 et l’article « L’intimidation – rapport sur les meurtres de journalistes et les pressions sur la presse turque » de Reporters sans frontières (janvier 1993).

2.La version du Gouvernement

a)Les incidents concernant le requérant et son oncle

29.  Le Gouvernement confirme que le requérant a essuyé des coups de feu le 15 janvier 1993 et que l’oncle de celui-ci a été tué le 14 juin 1993. Dans son mémoire, il évoque les enquêtes menées par les procureurs et ouvertes le jour même des agressions (paragraphes 35 et 41 ci-dessous). Ces investigations, effectuées conformément aux dispositions applicables du code turc de procédure pénale (paragraphe 48 ci-dessous), sont toujours en cours.

30.  Le Gouvernement soutient qu’aucun élément ne vient étayer la thèse du requérant selon laquelle des membres des forces de l’ordre étaient les auteurs des incidents touchant l’intéressé et son oncle. En outre, il réfute toute allégation d’après laquelle les autorités de l’Etat seraient responsables de mauvais traitements. Il indique que le requérant ne s’est jamais plaint officiellement auprès des autorités compétentes de ce que ses agresseurs étaient des agents de l’Etat. Enfin, rien ne prouve que, comme le prétend le requérant, un policier lui aurait déclaré que les assassins de son oncle cherchaient en fait à le tuer lui.

b)La campagne d’attentats dirigée contre les personnes diffusant des journaux prokurdes

31.  Le Gouvernement réfute toute allégation selon laquelle les autorités auraient intimidé des personnes s’occupant de près ou de loin de la vente de journaux. Il rappelle que ces titres sont vendus dans des centaines de kiosques et se trouvent en vente libre dans toute la Turquie. Il concède qu’à certaines occasions, des éditions particulières ont été saisies (paragraphe 22 ci-dessus). Cependant, ces mesures n’étaient ni arbitraires ni répressives mais s’appuyaient toujours sur des décisions de justice.

B.Les constatations de la Commission

32.  Estimant que les allégations dont elle est saisie ne sont pas susceptibles, en raison de leur ampleur et de leur nature, de se voir facilement élucidées à l’aide de dépositions orales, la Commission a décidé, après avoir consulté les parties, de les examiner en se fondant uniquement sur les documents écrits fournis par ces dernières. Ses conclusions peuvent se résumer comme suit.

1.Les conclusions relatives aux coups de feu tirés sur le requérant et au meurtre de son oncle

33.  La Commission a relevé que les faits se trouvant au cœur de la requête ne sont pas controversés. Le requérant essuya des coups de feu et fut grièvement blessé au cours d’une agression perpétrée par deux hommes le 15 janvier 1993. Le 14 juin 1993, un homme armé tira sur son oncle, M. Haşim Yaşa, et le tua.

34.  La Commission a constaté qu’aucun des éléments en sa possession ne prouvait au-delà de tout doute raisonnable que des membres des forces de l’ordre ou des policiers avaient participé à l’agression du requérant et de son oncle. Elle a conclu aussi que les griefs de l’intéressé selon lesquels la police avait entravé l’administration de son traitement à l’hôpital et l’avait maltraité en garde à vue après les obsèques de son oncle n’étaient pas établis. En revanche, la Commission estime qu’eu égard « aux demandes de protection, aux protestations adressées au niveau ministériel par M. Yaşar Kaya, journaliste et propriétaire d’Özgür Gündem, et au grand nombre d’attaques perpétrées contre des personnes liées à ce journal », le Gouvernement n’ignorait pas, ou n’aurait pas dû ignorer que les personnes intervenant dans la publication et la distribution dudit quotidien craignaient d’être victimes d’une campagne concertée et tolérée, voire approuvée, par des agents de l’Etat (paragraphe 104 du rapport de la Commission).

2.Les procédures devant les autorités nationales

a)La procédure relative à l’agression sur la personne du requérant

35.  Un rapport de police daté du 15 janvier 1993 fait état de coups de feu tirés vers 7 h 15 rue Turistik. Quinze cartouches vides et deux douilles

furent recueillies en vue d’une expertise légale et un plan des lieux fut établi. Le jour de l’incident, la police récupéra le pistolet du requérant dans son kiosque. Elle arrêta Ş. Altunhan qui s’y trouvait, ainsi que les deux chauffeurs de taxi, celui auquel le requérant avait confié le pistolet et celui qui l’avait emporté au kiosque (paragraphe 13 ci-dessus). Elle recueillit ensuite leurs dépositions détaillées.

36.  En réponse à une demande formulée le 15 janvier 1993 par la direction  de la sûreté, le médecin de l’hôpital releva sur le requérant les blessures suivantes : une entrée de balle dans la région fessière gauche, une entrée et une sortie de balle au milieu de l’avant-bras gauche, une éraflure de balle sur l’index de la main gauche, une entrée et une sortie de balle au milieu de l’avant-bras droit, entre le coude et la région axillaire, et une trace de balle peu profonde, atteignant le derme et remontant sous le bras.

37.  Le 17 janvier 1993, le requérant fit à la police une déclaration décrivant l’agression, en présence de son avocat. Il indiqua que les hommes voulaient l’assassiner parce qu’il tenait un kiosque vendant en particulier des journaux de gauche. Il expliqua que, puisque des vendeurs de titres de ce genre avaient déjà été attaqués, il avait acheté un pistolet, qu’il portait depuis trois ou quatre jours lorsqu’il fut agressé (paragraphe 16 ci-dessus).

38.  Un rapport sommaire du 17 janvier 1993 concernant l’échange de coups de feu et intitulé dossier criminel n° 1993/C-14 qualifiait le requérant de suspect blessé et indiquait que les autres suspects, non identifiés, s’étaient échappés.

39.  Les 20 janvier et 14 avril 1993, le procureur général de Diyarbakır demanda à la section concernée de la sûreté d’enquêter sur l’agression perpétrée sur la personne du requérant et d’arrêter les suspects. A cette dernière date, le procureur lui ordonna aussi d’informer des progrès des investigations le bureau du procureur général tous les trois mois jusqu’à la date de prescription de l’action publique, à savoir le 15 janvier 1998.

40.  Selon un rapport d’expertise balistique établi le 11 février 1993, les cartouches trouvées par la police sur les lieux de la fusillade présentaient des traces et éraflures identiques à celles relevées à l’occasion de l’agression armée perpétrée sur deux autres personnes à Diyarbakır, les 3 novembre 1992 et 11 février 1993 respectivement.

b)La procédure relative à l’assassinat de Haşim Yaşa

41.  Une enquête préliminaire fut ouverte sous le numéro de dossier 1993/2248 sur la mort de Haşim Yaşa. Selon le rapport d’autopsie du 14 juin 1993, quatre balles l’avaient touché, dont deux mortellement.


42.  A la suite de la fusillade, la police fit un croquis des lieux et recueillit le 14 juin 1993 les déclarations de deux témoins. Il en ressort que V. Şimşek entendit des coups de feu, puis vit une personne, qu’il n’a pas pu identifier, courir derrière des gens qui s’attroupaient dans la rue. R. Orhan, qui y tenait une échoppe, entendit la fusillade mais ne vit rien. Lorsqu’il parvint sur les lieux, Haşim Yaşa était étendu au sol ; il l’aida à monter dans un taxi qui le transporta à l’hôpital.

43.  Le procès-verbal de l’interrogatoire par la police du fils de Haşim Yaşa indique que l’enfant vit l’agresseur, mais sans le reconnaître. D’après lui, l’homme – âgé de vingt à vingt-cinq ans et mesurant 1,70 m environ – tira à plusieurs reprises sur son père, alors même que celui-ci était tombé à terre dès le premier coup de feu, puis s’enfuit.

44.  D’après un rapport d’expertise balistique du 21 juin 1993, les douilles retrouvées sur les lieux étaient trop déformées pour qu’un examen se révélât utile.

c)La progression ultérieure desdites enquêtes

45.  Aucune autre information sur des mesures d’investigation prises en rapport avec ces incidents ne se trouve au dossier d’enquête fourni à la Commission. Toutefois, en annexe aux observations écrites du Gouvernement devant la Commission figure une lettre adressée le 2 novembre 1995 par le procureur général près la Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır au ministre de la Justice. Dans cette lettre, ledit procureur s’exprimait en ces termes :

« [L]’allégation (…) n’a rien à voir avec la vérité. Dans le sud-est de l’Anatolie, il n’y a aucun tireur agissant au nom de l’Etat. Dans [cette] région, il y a des conflits armés entre des organisations armées ainsi que des conflits en raison de règlements de comptes au sein de ces organisations. Imputer ces incidents à l’Etat et dire qu’il y a des tireurs agissant pour l’Etat ne sont que des allégations répugnantes (…) »

C.Nouveaux éléments présentés à la Cour

46.  Devant la Cour, le requérant a produit la copie d’un rapport récent, émanant du Comité d’inspection près le cabinet du premier ministre. Ce rapport confidentiel (« le rapport de Susurluk[3] ») était initialement destiné au seul premier ministre, qui l’avait commandé le 13 août 1997. Après sa


communication en janvier 1998, celui-ci l’a vraisemblablement porté à la connaissance du public, à l’exception de onze pages du corps du document ainsi que de ses annexes ; à l’époque où la Cour examinait l’affaire, le rapport occupait toujours le cœur du débat en Turquie.

D’après son préambule, ledit document n’est ni le fruit d’une instruction judiciaire ni un rapport d’enquête. Préparé dans un but d’information, il se limite à exposer certains faits concentrés dans le Sud-Est de la Turquie et susceptibles de confirmer l’existence d’une relation tripartite d’intérêts illicites entre des personnages politiques, des institutions gouvernementales et des coteries clandestines.

Le rapport fait l’analyse d’un enchaînement d’incidents, tels que des meurtres commandés, des assassinats de personnages connus ou prokurdes, ou encore des agissements délibérés d’un groupe de repentis censés servir l’Etat, pour conclure à l’existence d’un lien entre la lutte contre le terrorisme menée dans ladite région et les relations occultes qui en sont dérivées, notamment dans le domaine du trafic de stupéfiants. Les passages du rapport ayant trait à certains aspects touchant aux périodiques radicaux distribués dans ladite région sont reproduits ci-dessous :

« (…) Dans ses aveux à la Direction du bureau criminel de Diyarbakır, (…) M. G. (…) avait déclaré, quant à Ahmet Demir[4] (page 35), que celui-ci (…) racontait de temps en temps (…) qu’il avait planifié et fait exécuter le meurtre de Behçet Cantürk[5] ainsi que d’autres partisans de la mafia et du PKK tués de la même façon (…) ; que le meurtre de (…) Musa Anter[6] était également planifié et réalisé par A. Demir (page 37).

(…)

Des renseignements sommaires sur les antécédents de Behçet Cantürk, d’origine arménienne, se trouvent ci-dessous (page 72).

(…)

L’intéressé (…) était, depuis 1992, l’un des financiers du quotidien Özgür Gündem. (…) Malgré l’évidence de son identité et de ce qu’il faisait, l’Etat n’avait pas pu venir à bout de Cantürk. Les voies légales s’étant avérées insuffisantes, finalement, on a fait exploser le quotidien Özgür Gündem au plastic[7], et vu que Cantürk s’était mis à fonder une nouvelle entreprise, alors qu’on attendait qu’il s’inclinât devant l’Etat, l’Organisation de la Sûreté turque a décidé sa mort et celle-ci a été exécutée (page 73).

(…)

Toutes les autorités concernées de l’Etat sont au courant de ces activités et opérations. (…) L’analyse des particularités des personnages tués dans lesdites opérations permet de déduire que la différence entre les personnes prokurdes tuées dans la région de l’état d’urgence et les autres, réside en leur pouvoir de financement du point de vue économique. (…) Notre seul désaccord avec ce qui a été fait concerne les modalités d’exécution et leurs conséquences. En effet, il a été constaté que même ceux approuvant tout ce qui s’était passé regrettaient le meurtre de Musa Anter. D’aucuns disent que Musa Anter n’était pas impliqué dans une action armée, qu’il était plutôt préoccupé par la philosophie de la chose, que les effets de son assassinat ont dépassé son influence propre et que sa mort avait été décidée à tort. (Les renseignements sur ces personnes se trouvent à l’annexe 9[8]). D’autres journalistes ont également été tués (page 74)[9]. »

ii.LE DROIT et la pratique INTERNEs PERTINENTs

47.  Les principes et les procédures relatifs à la responsabilité pour des actes contraires à la loi peuvent se résumer comme suit.

A.La poursuite pénale des infractions

48.  Le code pénal réprime toute forme d’homicide (articles 448 à 455) ainsi que ses tentatives (articles 61 et 62). Les articles 151 à 153 du code de procédure pénale régissent les devoirs incombant aux autorités quant à l’enquête préliminaire au sujet des faits susceptibles de constituer pareils crimes et portés à la connaissance des autorités. Ainsi, toute infraction peut être dénoncée aussi bien aux autorités ou agents des forces de l’ordre qu’aux parquets. La déposition de pareille plainte peut être écrite ou orale, et dans ce dernier cas l’autorité est tenue d’en dresser procès-verbal (article 151).

S’il existe des indices qui mettent en doute le caractère naturel d’un décès, les agents des forces de l’ordre qui en ont été avisés sont tenus d’en faire part au procureur de la République ou au juge du tribunal correctionnel (article 152). En application de l’article 235 du code pénal, tout membre de
la fonction publique qui omet de déclarer à la police ou aux parquets une infraction dont il a eu connaissance pendant l’exercice de ses fonctions est passible d’une peine d’emprisonnement.

Le procureur de la République qui – de quelque manière que ce soit – se voit informé d’une situation permettant de soupçonner qu’une infraction a été commise, est obligé d’instruire les faits aux fins de décider s’il y a lieu ou non d’entamer une action publique (article 153 du code de procédure pénale).

49.  Si l’auteur présumé d’une infraction est un agent de la fonction publique et si l’acte a été commis pendant l’exercice de ses fonctions, l’instruction préliminaire de l’affaire dépend de la loi de 1914 sur les poursuites contre les fonctionnaires, laquelle limite la compétence ratione personae du ministère public quant à cette phase de la procédure. En pareil cas, l’enquête préliminaire et, par conséquent, l’autorisation d’ouvrir des poursuites pénales, seront du ressort du comité administratif local concerné (celui du district ou du département selon le statut de l’intéressé). Une fois pareille autorisation délivrée, il incombe au procureur de la République d’instruire l’affaire.

Les décisions desdits comités sont susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat ; la saisine est d’office si l’affaire est classée sans suite.

50.  En vertu de l’article 4, alinéa i), du décret-loi n° 285 du 10 juillet 1987 relatif à l’autorité du gouverneur de la région de l’état d’urgence, la loi de 1914 (paragraphe 49 ci-dessus) s’applique également aux membres des forces de l’ordre subordonnés audit gouverneur.

51.  Lorsque l’auteur présumé d’un délit est un militaire, c’est la qualification de l’acte incriminé qui permettra de décider de la loi applicable en l’espèce. Ainsi, s’il s’agit d’un « crime militaire » prévu au code pénal militaire (loi n° 1632), la poursuite pénale sera, en principe, effectuée conformément à la loi n° 353 portant institution des tribunaux militaires et réglementation de leur procédure ; en ce qui concerne les militaires accusés d’une infraction de droit commun, ce sont, en principe, les dispositions du code de procédure pénale qui trouveront application (articles 145 § 1 de la Constitution et 914 de la loi n° 353).

Le code pénal militaire érige en infraction militaire le fait, pour un militaire qui désobéit à un ordre, de mettre en danger la vie d’une personne (article 89). Dans ce cas, les plaignants civils peuvent saisir les autorités visées au code de procédure pénale (paragraphe 48 ci-dessus) ou le supérieur hiérarchique de la personne mise en cause.

B.La responsabilité civile et administrative du fait d’actes criminels et délictuels

52.  En vertu de l’article 13 de la loi n° 2577 sur la procédure administrative, toute victime d’un dommage résultant d’un acte de
l’administration peut demander réparation à cette dernière dans le délai d’un an à compter de la date de l’acte allégué. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n’a été obtenue dans un délai de soixante jours, la victime peut engager une procédure administrative.

53.  L’article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution énonce :

« Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel.

(...)

L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »

Cette disposition consacre une responsabilité objective de l’Etat, laquelle entre en jeu quand il a été établi que dans les circonstances d’un cas donné, l’Etat a manqué à son obligation de maintenir l’ordre et la sûreté publics ou de protéger la vie et les biens des personnes, et cela sans qu’il faille établir l’existence d’une faute délictuelle imputable à l’administration. Sous ce régime, l’administration peut donc se voir tenue d’indemniser quiconque est victime d’un préjudice résultant d’actes commis par des personnes non identifiées.

54.  L’article 8 du décret-loi n° 430 du 16 décembre 1990, dont la dernière phrase s’inspire de la disposition susmentionnée (paragraphe 53 ci-dessus), est ainsi libellé :

« La responsabilité pénale, financière ou civile (…) du gouverneur de la région de l’état d’urgence ou des gouverneurs des provinces dans ladite région ne saurait être mise en cause relativement à leurs décisions ou actes pris dans l’exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret-loi, et aucune autorité judiciaire ne saurait être saisie à cette fin. Le droit des personnes de réclamer de l’Etat réparation des dommages injustifiés qu’elles ont subis est réservé. »

55.  Sur le terrain du code des obligations, les personnes lésées du fait d’un acte illicite ou délictuel peuvent introduire une action en réparation pour le préjudice tant matériel (articles 41–46) que moral (article 47). En la matière, les tribunaux civils ne sont liés ni par les considérations ni par le jugement des juridictions répressives sur la culpabilité de l’intéressé (article 53).

Toutefois, en vertu de l’article 13 de la loi n° 657 sur les employés de l’Etat, les personnes ayant subi un dommage du fait de l’exercice d’une fonction relevant du droit public peuvent, en principe, ester en justice uniquement contre l’autorité publique dont relève le fonctionnaire en cause et pas directement contre celui-ci (articles 129 § 5 de la Constitution, 55 et 100 du code des obligations). Cette règle n’est toutefois pas absolue. Lorsque l’acte en question est qualifié d’illicite ou de délictuel et, par conséquent, perd son caractère d’acte ou de fait « administratif », les
juridictions civiles peuvent accueillir une demande de dommages-intérêts dirigée contre l’auteur lui-même, sans préjudice de la possibilité d’engager la responsabilité conjointe de l’administration en sa qualité d’employeur de l’auteur de l’acte (article 50 du code des obligations).

PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION

56.  Le requérant a saisi la Commission le 12 juillet 1993. Il dénonçait les agressions au cours desquelles lui-même avait été grièvement blessé et son oncle tué. Il se plaignait en outre d’avoir été maltraité par la police pendant sa détention et d’avoir été privé de l’accès à un tribunal ou d’un recours effectif au sujet de ces griefs. Il invoquait les articles 2, 3, 6, 10, 13, 14 et 18 de la Convention.

57.  La Commission a retenu en partie la requête (n° 22495/93) le 3 avril 1995. Dans son rapport du 8 avril 1997 (article 31), elle formule l’avis qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention (trente voix contre deux), mais non de l’article 3 (unanimité), que le grief du requérant au titre de l’article 6 § 1 ne soulève aucune question distincte et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 (trente et une voix contre une), que le grief du requérant au titre de l’article 13 ne soulève aucune question distincte (trente voix contre deux) et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 ni de l’article 18 (unanimité). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt[10].

CONCLUSIONS PRéSENTéES à LA COUR

58.  Renonçant aux griefs tirés des articles 3 et 6 et soulevés devant la Commission, le requérant a, dans son mémoire et à l’audience, prié la Cour de dire que les faits de la cause révèlent une violation des articles 2, 10, 13, pris isolément ou combinés avec l’article 14, et de l’article 18, et de conclure que ces violations se trouvaient aggravées par l’existence d’une pratique tolérée par l’Etat défendeur. A cet égard, il invite la Cour à tenir compte du contenu du rapport de Susurluk (paragraphe 46 ci-dessus) au titre d’une nouvelle preuve se rapportant à ses griefs (paragraphes 21–28 ci-dessus).


Il demande également à la Cour de condamner l’Etat défendeur au versement d’une somme en réparation du dommage moral et matériel qu’il a subi et du dommage moral des proches de son oncle ainsi qu’au remboursement des frais et dépens encourus.

59.  Pour sa part, tant dans son mémoire qu’à l’audience, le Gouvernement a invité la Cour à constater que la requête aurait dû être déclarée irrecevable aux motifs que le requérant n’avait pas qualité pour faire valoir un grief au nom de son oncle et que les voies de recours internes n’avaient pas été épuisées. Quant au fond, et à titre subsidiaire, il soutient que les faits de la cause n’ont emporté violation d’aucune des dispositions invoquées par le requérant. A l’audience, le Gouvernement a en outre demandé à la Cour de déclarer le rapport de Susurluk irrecevable en tant que moyen de preuve.

EN DROIT

I.Sur l’objet du litige

60.  Dans leur requête à la Commission, les conseils du requérant alléguaient également une violation des articles 3 et 6 de la Convention (paragraphes 1 et 56 ci-dessus). Dans leur mémoire présenté à la Cour, ils acceptent toutefois  les conclusions de la Commission d’après lesquelles il n’y a pas eu violation de l’article 3 et qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 6 § 1 (paragraphe 57 ci-dessus). Puisqu’ils n’ont pas maintenu ces griefs dans la procédure devant elle, la Cour ne voit pas de raisons de les examiner d’office (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie du 30 janvier 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, p. 28, § 62).

II.Sur les exceptions préliminaires du gouvernement

A.Sur le défaut de qualité de victime du requérant

61.  Comme déjà devant la Commission, le Gouvernement conteste à M. Eşref Yaşa la qualité pour présenter une requête au nom de son oncle défunt. D’après lui, ce lien parental n’est ni direct ni prouvé. Vu la faible différence d’âge et la complexité des questions de parenté en Turquie, il serait tout à fait possible qu’il ne s’agisse que d’un cousinage au deuxième, voire au troisième degré. En l’espèce, rien n’aurait empêché des parents
plus proches du défunt – lesquels seraient nombreux – de participer à la procédure devant les organes de la Convention. En outre, la jurisprudence de la Commission en la matière ne comprendrait aucun cas où un neveu aurait été admis au bénéfice de l’article 25 de la Convention. Le motif que la Commission puise dans les rapports professionnels entre le requérant et son oncle ne serait pas valable non plus, dans la mesure où ils n’exerçaient pas dans le même commerce et où les griefs soulevés en l’espèce n’auraient aucune connotation commerciale.

62.  A l’audience, les conseils du requérant se sont contentés de souligner que tout au long de la procédure devant la Commission, le Gouvernement avait reconnu que M. Haşim Yaşa était bien l’oncle de l’intéressé.

63.  Dans son rapport, la Commission considère qu’en se plaignant du meurtre de son oncle, le requérant « agit (…) à titre personnel (…) et non en qualité de représentant de son oncle » (paragraphe 88 du rapport de la Commission). A l’audience devant la Cour, le délégué de la Commission a estimé que si tel ou tel parent souhaite se plaindre d’une question aussi grave que le meurtre de l’un de ses proches, ceci devrait suffire à montrer qu’il se sent personnellement concerné par l’incident.

64.  La Cour rappelle que l’objet et le but de la Convention, traité de garantie collective des droits de l’homme et des libertés fondamentales, appellent à interpréter et appliquer ses dispositions en tenant compte de son caractère singulier et d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (voir l’arrêt Loizidou c. Turquie du 23 mars 1995 (exceptions préliminaires), série A n° 310, pp. 26–27, §§ 70–72).

65.  En l’espèce, le Gouvernement a pour la première fois excipé du défaut de qualité de victime du requérant dans ses observations écrites sur la décision de recevabilité de la Commission (paragraphes 13 et 86 du rapport de la Commission). Or la Cour observe qu’il n’y contestait pas que le défunt était l’oncle du requérant ; il est dès lors forclos à mettre en cause devant la Cour l’existence d’un tel lien. Il convient également de noter que, dans sa requête, M. Eşref Yaşa alléguait que les faits de la cause constituaient une violation de la Convention non seulement dans le chef de son oncle défunt, mais également dans son chef à lui.

S’agissant des intérêts commerciaux communs au requérant et au défunt ou encore de l’affirmation du Gouvernement – toutefois non étayée – selon laquelle il y aurait de fortes chances que M. Haşim Yaşa ait en réalité de nombreux proches parents, la Cour n’estime pas nécessaire d’entrer dans un débat dont, en l’espèce, l’issue ne serait pas pertinente.

66.  La Cour partage en effet l’avis de la Commission et de son délégué (paragraphes 63 ci-dessus et 84–88 du rapport de la Commission). A la lumière des principes qui découlent de sa jurisprudence (paragraphe 64 ci-
dessus) ainsi que des circonstances particulières du cas d’espèce, elle estime qu’en sa qualité de neveu du défunt, le requérant pouvait légitimement se prétendre victime d’un fait aussi tragique que le meurtre de son oncle.

Partant, la Cour rejette cette exception préliminaire du Gouvernement.

B.Sur le non-épuisement des voies de recours internes

67.  Le Gouvernement soulève, sur le terrain des articles 2, 3, 6 et 13 de la Convention, une exception de non-épuisement des voies de recours internes : le requérant n’aurait engagé aucune des procédures ordinaires civiles, administratives ou pénales disponibles en droit turc, lesquelles seraient pourtant efficaces.

D’après le Gouvernement, la Commission n’a pas correctement apprécié cette exception au stade de l’examen de la recevabilité de la requête. Elle n’aurait pas tenu compte en particulier de « l’attitude délibérée » des avocats de la partie requérante qui cherchent à éviter tout recours en Turquie, les allégations de « pratique administrative » ne servant qu’à fournir une couverture juridique à cette abstention. Pourtant, le requérant, qui prétend que son agression et celle de son oncle ont été le fait des forces de l’ordre, aurait pu, d’une part, intenter un recours administratif contre les autorités dont les coupables relèvent (paragraphes 52–54 ci-dessus) et, de l’autre, saisir les juridictions civiles d’une demande de réparation du fait d’actes illicites (paragraphe 55 ci-dessus). Enfin, le requérant aurait pu agir sur le plan pénal (paragraphes 48–51 ci-dessus).

68.  De leur côté, les conseils du requérant n’ont abordé la question de l’épuisement des voies de recours internes ni dans leur mémoire ni à l’audience devant la Cour.

69.  A l’audience, le délégué de la Commission a exposé que le requérant prétend avoir fait, à l’hôpital où il avait été transporté après l’agression armée qu’il avait subie, une déclaration à la police en dénonçant des membres de celles-ci comme ses agresseurs (paragraphe 16 ci-dessus). Quant au meurtre de l’oncle du requérant, le délégué de la Commission suppose que l’arrestation, les menaces et les mauvais traitements que le requérant disait avoir subis le jour même de l’incident pourraient expliquer pourquoi l’intéressé n’a pas déposé de plainte auprès du procureur. Il fait en outre observer que quelle que soit la portée de la plainte formulée par le requérant à l’hôpital, deux enquêtes pénales séparées avaient été ouvertes par le parquet compétent. Dès lors, il ne s’imposerait pas d’exiger que le requérant ait intenté d’autres voies judiciaires ou qu’il attende le résultat desdites enquêtes, qui n’ont toujours pas abouti.


70.  Au vu de sa conclusion quant à l’objet du litige (paragraphe 60 ci-dessus), la Cour n’examinera l’exception préliminaire du Gouvernement que pour autant qu’elle concerne les griefs soulevés sous l’angle des articles 2 et 13 de la Convention.

71.  La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 26 de la Convention impose à un requérant l’obligation d’utiliser auparavant les recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues. L’article 26 impose aussi de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance, et dans les formes prescrites par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite à Strasbourg, mais pas d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (voir les arrêts Aksoy c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, pp. 2275–2276, §§ 51–52, et Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1210, §§ 65–67).

72.  La Cour note que le droit turc prévoit des recours civils, administratifs et pénaux contre les actes illicites et criminels imputables à l’Etat ou ses agents (paragraphe 47 ci-dessus).

73.  S’agissant d’abord de l’action civile en réparation de dommages subis en raison d’actes illicites ou de voies de fait de la part d’agents de l’Etat (paragraphe 55 ci-dessus), la Cour relève que l’exercice de tels recours exige, outre l’établissement d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice subi par l’intéressé, l’identification de l’auteur présumé de la faute en question. Or en l’espèce, les responsables des actes dénoncés par le requérant semblent demeurer inconnus (paragraphes 29 et 35–45 ci-dessus).

74.  Quant au recours administratif prévu à l’article 125 de la Constitution et fondé sur la responsabilité objective de l’administration (paragraphes 52–53 ci-dessus), la Cour rappelle qu’une voie de recours indiquée par le Gouvernement doit exister à un degré suffisant de certitude, en pratique et en théorie (voir, parmi d’autres, l’arrêt Yağcı et Sargın c. Turquie du 8 juin 1995, série A n° 319-A, p. 17, § 42). Or le dossier fourni à la Cour ne contient aucun exemple de cas où une personne ait intenté ce recours dans une situation comparable à celle du requérant (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Sakık et autres c. Turquie du 26 novembre 1997, Recueil 1997-VII, p. 2634, § 53). De plus – la Cour l’a déjà noté –, il s’agit d’un recours fondé sur la responsabilité objective de l’Etat, notamment pour des actes illicites de ses agents, dont l’identification – par définition – n’est pas un préalable à la mise en œuvre de cette voie de droit. Or les investigations que les articles 2 et 13 de la Convention imposent aux Etats contractants en cas d’agression mortelle doivent précisément pouvoir conduire à l’identification et la punition des responsables (paragraphes 98–100 ci-dessous). La Cour a déjà jugé qu’il n’était pas satisfait à cette obligation par le simple octroi de dommages-intérêts (voir, parmi d’autres, l’arrêt Kaya c. Turquie du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 329, § 105). En effet, si un recours fondé sur la responsabilité objective de l’Etat passait pour une voie de droit à épuiser au titre de griefs soulevés sur le terrain des articles 2 ou 13, l’obligation de l’Etat de rechercher le ou les coupables d’une agression mortelle pourrait s’en voir annihilée.

75.  Par conséquent, le requérant était dispensé d’intenter les recours civils et administratifs dont il s’agit et l’exception préliminaire se révèle non fondée en ce qui les concerne.

76.  Au sujet enfin des recours pénaux, la Cour constate que le 17 janvier 1993, des agents de la police ont recueilli, à l’hôpital de la sécurité sociale de Diyarbakır, la déclaration du requérant sur l’incident qui s’était déroulé le 15 janvier (paragraphe 37 ci-dessus). Il semble ressortir du procès-verbal dressé en conséquence que le requérant a été interrogé – en qualité de suspect et de victime – au sujet de l’arme qu’il portait sur lui (paragraphe 17 ci-dessus). Affirmant que des inconnus avaient voulu le tuer parce qu’il vendait des journaux radicaux de gauche, il aurait demandé que les responsables fussent trouvés et punis ; toutefois, il ne ressort pas dudit procès-verbal que l’intéressé ait expressément mis en cause les agents des forces de sécurité (paragraphes 16, 30 et 37 ci-dessus). Ladite déclaration constitue cependant une plainte valablement déposée dans les formes prévues par le code de procédure pénale (paragraphe 48 ci-dessus). Quel que soit son contenu, il n’est pas contesté que deux instructions pénales séparées ont été ouvertes par les autorités judiciaires, en rapport l’une avec l’agression dont le requérant a été victime (paragraphe 35 ci-dessus), l’autre avec le meurtre de son oncle (paragraphe 41 ci-dessus).

77.  La Cour souligne qu’elle doit appliquer la règle de l’épuisement des voies de recours internes en tenant dûment compte du contexte : le mécanisme de sauvegarde des droits de l’homme que les Parties contractantes sont convenues d’instaurer. Elle a ainsi reconnu que l’article 26 doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Elle a de plus admis que cette règle ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; pour en contrôler le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle du requérant ; il faut rechercher ensuite si, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, le
requérant peut passer pour avoir fait tout ce qu’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser les voies de recours internes (voir les arrêts Akdivar et autres précité, p. 1221, § 69, et Aksoy précité, p. 2276, §§ 53, 54).

78.  La Cour estime que cette dernière branche de l’exception préliminaire du Gouvernement soulève des questions étroitement liées à celles posées par les griefs que le requérant a formulés sur le terrain des articles 2 et 13 de la Convention.

79.  Par conséquent, la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement en tant qu’elle se rapporte aux recours civils et administratifs invoqués (paragraphe 75 ci-dessus) ; elle la joint au fond en tant qu’elle concerne les recours pénaux (paragraphes 98–107 et 111–114 ci-dessous).

III.sur les violations alléguées de L’article 2 de la convention

80.  Le requérant prétend que les membres des forces de sécurité ont tenté de le tuer le 15 janvier 1993 et ont assassiné son oncle, Haşim Yaşa, le 14 juin. Il se plaint également de ce qu’une enquête judiciaire adéquate et effective n’ait pas été menée sur les circonstances tant de son agression que du meurtre de son oncle. Il y voit, dans son propre chef et celui du défunt, une violation de l’article 2 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2.  La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a)  pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b)  pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c)  pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

A l’appui de ses allégations, le requérant produit le rapport de Susurluk (paragraphe 46 ci-dessus).

81.  Le Gouvernement combat cette thèse. Pour sa part, la Commission estime que l’article 2 n’a été enfreint que dans la mesure où les autorités n’ont pas procédé à une instruction pénale adéquate sur les faits de la cause.

A.Arguments des comparants

1.Le requérant

82.  Le requérant prie la Cour de confirmer l’avis de la Commission relatif à la violation de l’article 2 de la Convention en raison de l’absence d’enquête adéquate et effective sur les faits allégués. Il invite en outre la Cour à reconnaître que l’agression qu’il a subie et le meurtre de son oncle étaient le fait d’agents de l’Etat.

83.  A cet égard, les conseils du requérant, invoquant l’article 28 de la Convention, reprochent au Gouvernement de n’avoir pas communiqué en temps utile les informations pertinentes à la Commission, ce qui eût facilité l’établissement de la vérité. Ils demandent en particulier que le rapport de Susurluk (paragraphe 46 ci-dessus) soit admis, à ce stade de la procédure, comme nouvelle preuve appuyant les griefs développés dans leur requête initiale. D’après eux, ce rapport – qui a été commandé par le premier ministre, lequel en a confirmé le contenu et la crédibilité dans des entretiens télévisés – est accablant pour le Gouvernement. Bien qu’il ne permette pas d’identifier les responsables des agressions litigieuses, ce rapport contiendrait en effet des aveux très graves et la reconnaissance que les attentats non revendiqués et classés sous la rubrique « faili meçhul » (auteurs inconnus) étaient bel et bien ordonnés par la hiérarchie des forces de l’ordre, ce qui serait directement pertinent quant aux incidents à l’origine de la présente affaire. Dans la mesure où il remet en cause les démentis de l’Etat quant à l’implication de l’appareil étatique dans les assassinats et attentats perpétrés contre des journalistes et vendeurs de journaux tels qu’Özgür Gündem, ce document enlèverait toute crédibilité au dire et preuves antérieurs du Gouvernement. Le rapport de Susurluk aurait par conséquent une importance cruciale pour répondre à la question – laissée ouverte dans le rapport de la Commission (paragraphe 34 ci-dessus) – de savoir si le requérant et son oncle ont été victimes d’une campagne de violence menée de connivence avec l’Etat.

2.Le Gouvernement

84.  Le Gouvernement soutient que les allégations du requérant sont dénuées de fondement et que le dossier fourni par celui-ci ne contient aucun élément susceptible d’expliquer en quoi les faits allégués seraient imputables aux forces de l’ordre (paragraphe 30 ci-dessus). Les conseils du requérant se seraient contentés d’apporter, comme preuve, leurs propres  listes de tracasseries alléguées contre des journalistes, lesquelles listes seraient établies sur la base de communiqués de presse émanant d’organisations complaisantes.


85.  Le Gouvernement marque son accord avec la conclusion de la Commission quant à la non-imputabilité à des agents de l’Etat des faits allégués. En revanche, il conteste les motifs qu’elle a retenus pour parvenir à la conclusion qu’il y a eu manquement à l’obligation de mener une enquête effective. Il soutient que les autorités compétentes ont jusqu’à ce jour bien mené leurs investigations – toujours pendantes (paragraphe 29 ci-dessus) – sur les incidents litigieux, conformément à la pratique habituelle et d’une manière suffisante et appropriée, et ce malgré le fait que le requérant n’avait jamais déposé de plainte explicitant ses allégations, ni en son nom ni en celui de son oncle (paragraphe 30 ci-dessus).

Sur ce point, le Gouvernement reproche à la Commission d’avoir manqué de prudence en appliquant l’article 2, en omettant de « chercher à connaître les mesures prises par les autorités nationales pour empêcher une dégradation de la sécurité ou les investigations judiciaires et administratives destinées à identifier les auteurs du crime, que [le Gouvernement] présume simplement être des terroristes ». Se référant à la jurisprudence de la Commission (requête n° 9360/81, décision du 28 février 1983, Décisions et rapports 32, p. 211), le Gouvernement soutient qu’il s’imposait en l’occurrence de prendre en compte le critère selon lequel l’on ne saurait déduire de l’article 2 une obligation positive d’empêcher toute possibilité de violence.

86.  D’après le Gouvernement, la Commission n’aurait pas non plus dûment tenu compte du fait qu’en l’espèce les autorités judiciaires avaient entamé de leur propre chef – le jour même des incidents – des procédures judiciaires pour identifier les auteurs des agressions. Si ces investigations n’ont pas pu aboutir faute d’identification des responsables, cela ne démontrerait pas en soi que les autorités turques aient cherché à occulter ou altérer les faits survenus. Le Gouvernement fait valoir que, dans tous les pays européens, « il arrive que des meurtres ou agressions ne soient pas élucidés et cela encore plus lorsqu’il y a implication d’organisations terroristes ou criminelles ».

Partant, il soutient, à titre subsidiaire, que l’on ne pouvait escompter davantage des autorités au regard de l’article 2 de la Convention, étant donné que les circonstances de l’espèce s’inscrivent dans « le contexte de la lutte contre les terroristes, qui reviennent rarement sur les lieux du crime » ; en pareille situation, les autorités policières et judiciaires seraient « astreintes à avancer précautionneusement et attendre que des recoupements se fassent entre différentes instructions, permettant ainsi de déceler les auteurs de crimes et d’exactions antérieurement commis ».

87.  A l’audience, la représentante du Gouvernement a contesté la valeur probante du rapport de Susurluk. Ce rapport n’aurait actuellement aucun statut officiel. En outre, il ne serait pas pertinent car il n’aurait aucun lien direct avec la présente affaire. Il aurait été préparé dans le seul but de
remettre en question certaines allégations, afin que des investigations judiciaires puissent être effectuées ultérieurement ; il ne s’agirait donc nullement du fruit d’une enquête judiciaire proprement dite.

La représentante du Gouvernement a en outre contesté l’argument fondé sur l’article 28 de la Convention et tiré de l’absence de coopération. D’après elle, aucun document ou pièce n’a été dissimulé et il a été répondu à toutes les questions adressées par la Commission, à la lumière des renseignements obtenus du ministère de la Justice.

3.La Commission

88.  Se référant à ses conclusions (paragraphes 32–45 ci-dessus), la Commission souligne qu’elle a été amenée à les formuler sur le fondement des documents écrits versés au dossier de l’affaire, notamment ceux soumis par le Gouvernement quant aux enquêtes policières effectuées, ainsi que des observations présentées par les parties en réponse à ses diverses questions. En l’occurrence, elle avait relevé que l’allégation selon laquelle les incidents litigieux s’inscrivaient dans une campagne d’attaques contre les personnes liées à certains journaux, tel Özgür Gündem, s’avéraient fortement controversée entre les parties ; or cette allégation était d’une ampleur ne permettant guère que les faits à son origine fussent élucidés par le témoignage des personnes susceptibles d’être concernées.

La Commission a noté en outre que l’objet de certaines affaires pendantes devant elle (requêtes nos 22492/93, 22496/93, 23144/93 et 25301/94) avait précisément trait aux mesures prises et attaques menées à l’encontre du quotidien Özgür Gündem ainsi que des personnes participant à sa parution et à sa diffusion.

89.  Nonobstant sa vive préoccupation à la suite des précisions reçues sur les meurtres et les attaques – du reste non réfutées par le Gouvernement – dont furent victimes plusieurs personnes ayant participé à la distribution de pareilles publications, la Commission a conclu qu’elle ne pouvait tenir pour établi au-delà de tout doute raisonnable que des agents des forces de l’ordre ou des policiers avaient été impliqués dans les coups de feu tirés contre le requérant et son oncle.

90.  La Commission a quand même relevé un certain nombre d’éléments qui lui ont permis de considérer que les circonstances particulières qui entouraient les faits litigieux imposaient aux autorités de mener une enquête adéquate et effective, de manière à déterminer si les attaques subies par le requérant et son oncle pouvaient avoir un lien avec les agissements des membres des forces de l’ordre. A cet égard, la Commission fait remarquer que, malgré les invitations qu’elle avait adressées au Gouvernement, celui-ci, se contentant de dénoncer le caractère trompeur des allégations et, de manière générale, l’absence de preuves, n’a pas été en mesure de fournir une quelconque information satisfaisante sur les mesures prises pour vérifier la véracité des affirmations du requérant (paragraphe 45 ci-dessus).


C’est pourquoi la Commission a conclu que les enquêtes présentaient des lacunes telles qu’il y a eu méconnaissance de l’obligation de protéger le droit à la vie et, partant, violation de l’article 2 de la Convention (paragraphes 101–107 du rapport de la Commission).

91.  A l’audience, le délégué de la Commission s’est prononcé sur la pertinence du rapport de Susurluk pour l’appréciation des circonstances de l’affaire. Disant éprouver des doutes quant au poids que la Commission aurait pu attacher à ce document, il a exposé qu’à son sens, celui-ci semble appuyer l’idée qu’il y a eu une implication de l’Etat dans un certain nombre de violations graves des droits de l’homme dans le Sud-Est de la Turquie, comparables dans une certaine mesure aux agressions dont le requérant et son oncle avaient été victimes. Toutefois, rappelant qu’en pareil cas, la responsabilité de l’Etat ne saurait être inférée que de faits prouvés au-delà de tout doute raisonnable, le délégué de la Commission a conclu que le rapport de Susurluk ne fournissait pas de base suffisante pour exclure de tels doutes et a invité la Cour à admettre les faits tels que la Commission les a constatés.

B.Appréciation de la Cour

1.Sur les attentats contre le requérant et son oncle

92.  La Cour observe que ni les conseils du requérant ni le Gouvernement ne contestent, pour l’essentiel, les faits tels que la Commission les a établis. En revanche, les comparants sont en désaccord radical quant aux conclusions à tirer de ces faits au regard de l’article 2 de la Convention.

93.  Il importe de rappeler ici que le système de la Convention confie en premier lieu à la Commission l’établissement et la vérification des faits (articles 28 § 1 et 31). Aussi la Cour n’use-t-elle de ses propres pouvoirs en la matière que dans des circonstances exceptionnelles. Toutefois, elle n’est pas liée par les constatations du rapport de la Commission et demeure libre d’apprécier les faits elle-même, à la lumière de tous les éléments qu’elle possède (voir les arrêts McCann et autres c. Royaume-Uni du 27 septembre 1995, série A n° 324, p. 50, § 169, et Kaya précité, p. 321, § 75).

En l’espèce, la Commission n’a pas été en mesure de conclure que l’allégation selon laquelle les incidents en cause avaient été le fait des forces de l’ordre était prouvée au-delà de tout doute raisonnable (voir, entre autres, les arrêts Aydın c. Turquie du 25 septembre 1997, Recueil 1997-VI, p. 1889, § 72, et Kaya précité, p. 322, § 76). Or le requérant a plaidé devant la Cour que de nouveaux éléments, qui n’ont pu être examinés par la Commission, militent en faveur de son propre récit (paragraphe 83 ci-dessus). A cet égard, il renvoie au rapport de Susurluk (paragraphe 46 ci-
dessus), dont la valeur probante a cependant été fermement contestée à l’audience par la représentante du Gouvernement (paragraphe 87 ci-dessus).

94.  La Cour rappelle que pour déterminer s’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’Etat défendeur a manqué à ses responsabilités découlant de la Convention, elle doit examiner les questions soulevées devant elle à la lumière des éléments que lui ont fournis les comparants et, au besoin, qu’elle se procure d’office (voir, mutatis mutandis, les arrêts Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A n° 25, p. 64, § 160, et Cruz Varas et autres c. Suède du 20 mars 1991, série A n° 201, p. 29, § 75). Si la Cour doit se référer par priorité aux circonstances existant au moment des faits dénoncés, cela n’empêche pas de tenir compte de renseignements ultérieurs (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Cruz Varas et autres précité, p. 30, § 76).

95.  La Cour constate que le rapport de Susurluk – établi à la demande du premier ministre – relate une série de faits inquiétants qui se sont produits dans le Sud-Est de la Turquie (paragraphe 46 ci-dessus). Le sort de certaines entreprises de presse, notamment celle du quotidien Özgür Gündem, s’avère particulièrement alarmant à cet égard. D’après l’auteur du rapport, cette situation générale, qui préoccupe fortement l’opinion publique, trouve sa cause dans le problème kurde et la politique de lutte contre le PKK dans cette partie du pays.

96.  S’il est vrai que le niveau de preuve requis (paragraphes 34 et 91 ci-dessus) peut être atteint grâce à un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (arrêts Aydın précité, p. 1888, § 70, et Kaya précité, p. 322, § 77), leur valeur probante doit être considérée en ayant égard aux circonstances de l’espèce ainsi qu’à la gravité et à la nature de la charge qu’ils font peser sur l’Etat défendeur.

En l’occurrence, la Cour estime que, malgré les vives préoccupations qu’il suscite, le rapport de Susurluk ne contient pas d’éléments permettant d’identifier avec suffisamment de précision les auteurs présumés des actes dont le requérant et son oncle furent victimes. Le requérant l’admet d’ailleurs dans son mémoire (paragraphe 83 ci-dessus).

97.  Par conséquent, la Cour n’estime pas devoir s’écarter des conclusions de la Commission quant au grief dont il s’agit. Elle considère dès lors que les éléments du dossier ne lui permettent pas de conclure, au-delà de tout doute raisonnable, que M. Eşref Yaşa et son oncle ont été, le premier agressé et le second tué par les forces de l’ordre.

Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 2 de ce chef.


2.Sur l’allégation d’insuffisance des enquêtes

98.  La Cour rappelle que l’obligation de protéger le droit à la vie qu’impose l’article 2 de la Convention, combinée avec le devoir général incombant à l’Etat en vertu de l’article 1 de la Convention de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la (…) Convention », implique et exige de mener une forme d’enquête officielle adéquate et effective lorsque le recours à la force a entraîné mort d’homme (voir, mutatis mutandis, les arrêts McCann et autres précité, p. 48, § 161, et Kaya précité, p. 324, § 86).

99.  En l’espèce, le Gouvernement estime qu’il n’y a pas de preuves de ce que des agents de l’Etat auraient été impliqués dans la perpétration des actes allégués (paragraphe 84 ci-dessus). De plus, le requérant n’aurait jamais porté une accusation explicite dans ce sens, ni en son nom ni en celui de son oncle (paragraphes 67 et 76 ci-dessus).

100.  A cet égard, la Cour souligne que contrairement à ce que le Gouvernement fait valoir, l’obligation de protéger le droit à la vie ne se limite pas aux cas où il se trouve établi que les actes incriminés étaient le fait d’agents de l’Etat ; il n’est pas décisif non plus de savoir si des membres de la famille du défunt ou d’autres personnes se sont formellement plaints au sujet de cet homicide auprès de l’autorité chargée de l’enquête. En l’occurrence, le seul fait que les autorités étaient informées du meurtre de l’oncle du requérant entraînait ipso facto une obligation sur le terrain de l’article 2 de procéder à une enquête effective (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Ergi c. Turquie du 28 juillet 1998, Recueil 1998-IV, p. 1778, § 82). Il en va de même pour l’agression dont le requérant a été victime, dès lors que, huit coups de feu ayant été tirés contre celui-ci, elle s’analyse en une tentative de meurtre (paragraphe 36 ci-dessus).

101.  Dans le cas présent, les démarches entreprises par les autorités chargées de l’enquête préliminaire et le parquet compétent à la suite des incidents litigieux ne prêtent pas à controverse (paragraphes 35–45 ci-dessus).

Après l’agression armée sur la personne du requérant, une enquête policière a été ouverte le jour même, soit le 15 janvier 1993. A l’issue de cette première phase, qui ne dura que deux jours, la direction de la sûreté de Mardinkapı concluait, dans son rapport du 17 janvier, qu’il n’avait pas été possible de retrouver les responsables des faits, ni même de les identifier. En conséquence, le procureur général de Diyarbakır ordonna le 20 janvier à ladite direction de poursuivre l’enquête et d’appréhender les suspects et, à défaut, de lui faire part des développements tous les trois mois. Le 14 avril, le procureur général rendit une seconde ordonnance similaire dans laquelle il renouvelait sa demande tendant à être informé tous les trois mois des résultats des investigations policières, et ce jusqu’à la date où l’action publique serait prescrite. D’après une note figurant sur l’ordonnance, cette date était le 15 janvier 1998 (paragraphe 39 ci-dessus). Devant les organes de la Convention toutefois, le Gouvernement n’a pas produit de copie des rapports trimestriels que la police était chargée d’établir (paragraphe 45 ci-dessus).

Quant à l’enquête préliminaire au sujet du meurtre de M. Haşim Yaşa, elle a également débuté le jour de l’incident, soit le 14 juin 1993. Au 21 juin, les autorités avaient notamment effectué une autopsie, une expertise balistique et avaient entendu trois témoins, parmi lesquels le fils du défunt. La Cour ne dispose d’aucun renseignement sur les développements ultérieurs de cette enquête (ibidem).

102.  Pourtant, la requête de M. Yaşa a été portée dès le 11 octobre 1993 à la connaissance du Gouvernement (paragraphe 6 du rapport de la Commission) et la Commission n’a pas manqué d’inviter celui-ci à fournir des indications plus précises sur les mesures d’enquête qui ont été prises à la suite des agressions dont ont fait l’objet le requérant, son oncle et d’autres personnes liées à certains périodiques radicaux (paragraphes 34 et 90 ci-dessus).

103.  Malgré ces demandes, le Gouvernement n’a fourni aucune information concrète sur l’état d’avancement des enquêtes (paragraphes 90 ci-dessus et 105 du rapport de la Commission) qui, plus de cinq ans après les événements, ne semblent avoir produit aucun résultat tangible. Il a certes affirmé qu’elles étaient toujours pendantes, mais n’a présenté aucun élément propre à démontrer qu’elles progressaient réellement (paragraphes 29, 35–45 et 86 ci-dessus). A cet égard, le dernier acte d’instruction dont la Cour a connaissance remonte au 21 juin 1993, date du rapport d’expertise balistique dans l’enquête sur l’assassinat de Haşim Yaşa (paragraphe 44 ci-dessus), alors pourtant que le procureur général de Diyarbakır avait, dès le 14 avril 1993, demandé à être informé tous les trois mois par la police de la progression des enquêtes (paragraphe 101 ci-dessus). Pour toute explication, le Gouvernement s’est borné à indiquer que lesdites enquêtes s’inscrivaient dans le contexte de la lutte contre le terrorisme et qu’en pareille situation, les autorités policières et judiciaires étaient astreintes à « avancer précautionneusement et à attendre que des recoupements se fassent entre différentes instructions, permettant ainsi de déceler les auteurs de crimes et d’exactions antérieurement commis » (paragraphe 86 ci-dessus).

104.  La Cour est prête à tenir compte du fait que le climat qui prévalait à l’époque dans cette région de la Turquie, marqué par les actions violentes du PKK et les mesures prises en réaction par les autorités, pouvait gêner la recherche de preuves concluantes dans le cadre de la procédure pénale interne. Pour autant, ce genre de circonstances ne saurait affranchir les autorités des obligations d’enquête que leur impose l’article 2, sous peine d’accroître encore davantage le sentiment d’impunité et d’insécurité dans la région et de créer ainsi un cercle vicieux (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Kaya précité, p. 326, § 91).

105.  En outre, la Cour est frappée par le fait que les autorités chargées d’enquêter semblent avoir exclu dès le départ une éventuelle implication d’agents de l’Etat dans les agressions litigieuses. Ainsi, le procureur général près la Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır ne voyait-il dans les incidents en question que des « règlements de compte entre organisations armées » (paragraphes 45 ci-dessus et 61 du rapport de la Commission) tandis que le Gouvernement en impute l’entière responsabilité à des « terroristes », alors même que les enquêtes n’ont pas abouti et qu’aucun élément concret propre à confirmer la validité de cette hypothèse n’a été portée à la connaissance de la Cour (paragraphes 85 et 86 ci-dessus).

106.  Il y a lieu d’apprécier cette circonstance à la lumière du fait que la Commission a relevé que de nombreuses agressions meurtrières avaient été perpétrées dans le Sud-Est de la Turquie contre des journalistes, des kiosques à journaux et des distributeurs du quotidien Özgür Gündem, certains de ces incidents ayant même fait l’objet de requêtes devant elle (nos 22492/93, 22496/93, 23144/93 et 25301/94 – paragraphes 52–59 du rapport de la Commission). Le Gouvernement n’a pas contesté la réalité et la gravité de ces agressions. La Commission a en outre noté que de nombreuses plaintes et demandes de protection avaient été adressées aux autorités par un journaliste, M. Y. Kaya, alors propriétaire dudit quotidien.

A l’issue de son examen de l’ensemble des faits de la cause, la Commission avait conclu qu’en l’occurrence, « les autorités n’ignoraient pas, ou n’auraient pas dû ignorer, que les personnes intervenant dans la parution et la distribution d’Özgür Gündem craignaient d’être victimes d’une campagne concertée et tolérée, voire approuvée, par des agents de l’Etat » (paragraphes 34 et 89 ci-dessus).

Ayant procédé à sa propre évaluation de cet élément du dossier, à la lumière notamment des constatations du rapport de Susurluk (paragraphe 46 ci-dessus), la Cour estime cette observation fondée. En l’espèce, il appartenait donc aux autorités de tenir compte, dans leurs enquêtes, de l’éventuelle implication d’agents de l’Etat dans les agressions litigieuses. A cet égard, il importe peu que le requérant ait, ou non, formellement désigné les forces de l’ordre comme les auteurs des agressions dont il s’agit (paragraphes 30, 37, 76 et 85 ci-dessus).

107.  Bref, pour n’avoir pas pris en compte, dans les circonstances de la cause, les éventuelles implications des forces de l’ordre dans les agressions litigieuses et pour n’avoir, à ce jour, plus de cinq ans après les événements, enregistré aucun progrès concret et crédible, les enquêtes menées en l’espèce ne peuvent passer pour des enquêtes effectives répondant aux exigences de l’article 2.


108.  En conséquence, le requérant a satisfait à l’obligation d’épuiser les voies de recours internes. Partant, la Cour rejette aussi le volet pénal de l’exception préliminaire du Gouvernement et conclut à la violation de l’article 2.

IV.sur la violation alléguée de L’article 13 de la convention

109.  Le requérant se plaint d’avoir été privé d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention, qui se lit ainsi :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Le Gouvernement combat cette thèse qui, d’après la Commission, ne nécessite pas d’examen séparé puisqu’aucune question distincte ne se poserait sur le terrain de l’article 13.

A.Arguments des parties

110.  Exprimant son désaccord avec la conclusion de la Commission, le requérant soutient que ce grief mérite un examen indépendant de celui effectué sous l’angle de l’article 2 de la Convention. Il fait valoir que l’ordre et la pratique juridiques dans le Sud-Est de la Turquie, soumis à l’état d’urgence, ont été altérés en vue de rendre délibérément plus ardu l’exercice des recours à l’encontre de l’Etat. La législation spéciale en vigueur dans cette région aurait instauré un système assurant l’impunité des forces de sécurité, lequel s’appuierait sur une politique consistant pour les autorités à nier les faits et refuser toute responsabilité, afin d’empêcher l’accès effectif aux voies de recours internes.

111.  Se référant à ses observations sur la question de l’épuisement des voies de recours internes (paragraphe 67 ci-dessus), le Gouvernement se borne à soutenir que le requérant ne saurait se plaindre d’une violation de l’article 13.

B.Appréciation de la Cour

112.  La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention, tel que le droit interne les consacre. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à
offrir le redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’Etat défendeur (voir les arrêts Aksoy précité, p. 2286, § 95, Aydın précité, p. 1895, § 103, et Kaya précité, pp. 329–330, § 106).

113.  En l’espèce, la Cour a conclu qu’il n’a pas été prouvé au-delà de tout doute raisonnable que les incidents dont le requérant et son oncle ont été victimes avaient été le fait d’agents de l’Etat (paragraphe 97 ci-dessus). Cette circonstance, toutefois, ne prive pas nécessairement le grief tiré de l’article 2 de son caractère défendable (voir, entre autres, les arrêts Boyle et Rice c. Royaume-Uni du 27 avril 1988, série A n° 131, p. 23, § 52, et Kaya précité, pp. 330–331, § 107). La conclusion de la Cour quant au bien-fondé n’annule pas l’obligation de mener une enquête effective sur la substance dudit grief qui, pour les raisons mentionnées plus haut (paragraphe 106 ci-dessus), passait pour défendable.

114.  Il y a lieu de rappeler en outre que la nature du droit dont la violation est alléguée a des implications sur l’ampleur des obligations découlant de l’article 13. Eu égard à l’importance fondamentale du droit à la protection de la vie, l’article 13 impose aux Etats, sans préjudice de tout autre recours disponible en droit interne, y compris le versement d’une indemnité là où il échet, une obligation d’effectuer des investigations approfondies et effectives propres à conduire à l’identification et à la punition des responsables et comportant un accès effectif du plaignant à la procédure d’enquête (voir, mutatis mutandis, les arrêts Kaya, Aksoy et Aydın précités, § 107, § 98 et § 103 respectivement).

115.  La Cour a déjà relevé que les autorités avaient l’obligation de mener une enquête effective sur les circonstances des agressions litigieuses (paragraphe 107 ci-dessus). Or depuis celles-ci, les enquêtes ouvertes n’ont, cinq ans après, toujours pas abouti. Pour les raisons énoncées ci-dessus (paragraphes 98–108), l’Etat défendeur ne peut passer pour avoir mené une enquête pénale effective, comme le veut l’article 13, dont les exigences vont en effet plus loin que l’obligation d’enquête découlant de l’article 2 (arrêt Kaya précité, pp. 330–331, § 107 – paragraphes 98, 112 et 114 ci-dessus).

Partant, il y a eu violation de l’article 13.


V.sur la pratique administrative alléguée de violation des articles 2 et 13 de la Convention

116.  Se référant notamment au rapport de Susurluk, le requérant soutient qu’il existe en Turquie une pratique officiellement tolérée de violation des articles 2 et 13 de la Convention, laquelle augmente la gravité des atteintes dont lui et son oncle ont été victimes. Dans le Sud-Est de la Turquie, les poursuites pénales seraient vouées à l’échec et incapables d’empêcher les agissements illicites et les abus de pouvoir des autorités. En niant systématiquement tout manquement à la Convention, celles-ci seraient à l’abri de tout recours intenté contre elles.

117.  La Cour estime que les éléments du dossier ne sont pas suffisants pour lui permettre de se prononcer sur l’existence d’une pratique administrative de violation de l’un quelconque des articles invoqués par le requérant.

Vi.sur la violation alléguée des articles 10, 14 et 18 de la convention

118.  Invoquant l’article 10 de la Convention, le requérant soutient que les attaques que lui et son oncle ont subies constituent une violation aggravée de leur droit à la liberté d’expression, puisqu’elles seraient motivées par la vente du quotidien Özgür Gündem et perpétrées dans le cadre d’une campagne de violence tolérée par l’Etat. Il affirme également qu’il y a eu violation en son chef et en celui de son oncle de l’article 14, combiné avec les articles 2, 10 et 13, en raison d’une discrimination fondée sur l’origine ethnique et les opinions politiques. Enfin, le requérant dénonce une violation de l’article 18, en ce que les faits de la cause démontreraient des abus de pouvoir manifestes de l’Etat.

119.  Le Gouvernement combat les thèses du requérant. De son côté, la Commission conclut à la non-violation de l’article 10 et estime que les griefs soulevés sous l’angle des articles 14 et 18 sont dénués de fondement.

120.  La Cour constate que ces griefs portent sur les mêmes faits que ceux considérés sur le terrain des articles 2 et 13. Eu égard à sa conclusion quant au respect de ceux-ci (paragraphes 107 et 115 ci-dessus), elle n’estime pas nécessaire d’examiner séparément lesdits griefs.

Vii.sur l’application de l’article 50 de la convention

121.  Le requérant sollicite une satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention, ainsi libellé :


« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »

Le Gouvernement conteste à plusieurs égards les prétentions du requérant, tandis que le délégué de la Commission ne formule pas de commentaires particuliers.

A.Dommage matériel et moral

122.  Le requérant prie la Cour de lui octroyer, au titre du préjudice matériel, 54 000 marks allemands (DEM) au total, soit 4 000 DEM pour son traitement en milieu hospitalier et 50 000 DEM pour manque à gagner à la suite de son agression. Il réclame également, au bénéfice de la famille de Haşim Yaşa, une somme de 50 000 DEM, pour manque à gagner et frais entraînés par son décès.

Pour préjudice moral, le requérant demande une somme totale de 150 000 livres sterling (GBP) qu’il justifie ainsi :

–70 000 GBP pour lui-même, en raison des dommages résultant de l’agression subie (50 000 GBP), de l’absence de protection de son droit à la vie (10 000 GBP) et de l’absence de recours effectif (10 000 GBP) ;

–70 000 GBP, au bénéfice de la famille du défunt, en raison de son assassinat (50 000 GBP), de l’absence de protection de son droit à la vie (10 000 GBP) et  de recours effectif (10 000 GBP) ;

–10 000 GBP pour lui-même et pour le défunt, pour avoir été victimes d’une pratique de violations de l’article 13 de la Convention.

123.  A titre principal, le Gouvernement soutient qu’aucune réparation ne s’impose en l’espèce. A titre subsidiaire, il invite la Cour à rejeter les demandes d’indemnités présentées par le requérant, lesquelles seraient exorbitantes et injustifiées. S’agissant du préjudice moral, le Gouvernement conteste en premier lieu la fragmentation des prétentions en question. Il soutient en outre qu’il n’y a aucun lien de causalité entre les griefs soulevés et le dommage allégué. En ce qui concerne l’octroi d’une indemnité au bénéfice de la famille du défunt, le Gouvernement s’y oppose au motif que celle-ci n’a pas participé à la procédure devant les organes de Strasbourg.

Plus généralement, le Gouvernement soutient que les sommes revendiquées ont été présentées sans égard aux conditions sociales régnant dans le Sud-Est de la Turquie, ni au niveau de salaire minimum en vigueur dans le pays. Sur ce point, il fait valoir que les réparations au titre du préjudice moral ne sauraient constituer une source d’enrichissement.


124.  La Cour rappelle qu’il n’est pas établi que le requérant fut agressé et son oncle tué par les agents des forces de l’ordre (paragraphe 97 ci-dessus). Elle ne peut donc faire droit aux prétentions formulées à cet égard au titre du dommage matériel et moral. En second lieu, une pratique de violations de la Convention n’ayant pas non plus été établie (paragraphe 117 ci-dessus), il n’y a pas lieu à indemnisation de ce chef.

A l’instar du Gouvernement, la Cour observe en outre que la requête a été introduite uniquement par le neveu de M. Haşim Yaşa (paragraphe 63 ci-dessus).

Dans ces circonstances, la Cour estime que seul M. Eşref Yaşa a droit à une satisfaction équitable pour le préjudice moral en raison des violations constatées des articles 2 et 13 de la Convention (paragraphes 107 et 115 ci-dessus). Statuant en équité, elle décide de lui accorder à ce titre la somme de 6 000 GBP, laquelle est à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement.

B.Frais et dépens

125.  Le requérant réclame 16 426,42 GBP en remboursement des frais et dépens encourus pour la préparation et la présentation de son affaire devant les organes de la Convention. Dans ses relevés de frais, il ventile sa demande comme suit, déduction faite des sommes reçues au titre de l’assistance judiciaire du Conseil de l’Europe :

–honoraires des représentants britanniques:13 190,70 GBP ;

–honoraires des conseillers en Turquie :     725,00 GBP ;

–dépenses administratives diverses :     985,72 GBP ;

–frais administratifs encourus en Turquie :     250,00 GBP ;

–coût d’interprétation et de traduction:  1 440,00 GBP.

Les conseils du requérant sollicitent le versement des sommes qui seront octroyées au titre de frais et dépens sur leur propre compte en banque au Royaume-Uni.

126.  Le Gouvernement conteste qu’il ait à rembourser les frais découlant de la participation d’avocats étrangers ; elle aurait pour seule finalité de gonfler les frais de la cause. Du reste, les prétentions du requérant au titre des frais et dépens seraient exagérées et non accompagnées de justificatifs.

127.  La Cour rappelle qu’un requérant ayant le libre choix de son représentant en justice, on ne saurait critiquer le fait que M. Yaşa ait recouru aux services d’avocats exerçant au Royaume-Uni et spécialisés dans la protection internationale des droits de l’homme (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Kurt c. Turquie du 25 mai 1998, Recueil 1998-III, p. 1212, § 179). La Cour, statuant en équité et prenant en considération les détails des prétentions formulées par le requérant, lui octroie 12 000 GBP de ce chef ainsi que toute taxe sur la valeur ajoutée éventuellement due, moins 8 045 francs français versés au requérant par le Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire quant aux honoraires et frais réclamés.

C.Intérêts moratoires

128.  La Cour juge approprié de retenir le taux d’intérêt légal applicable au Royaume-Uni à la date d’adoption du présent arrêt, soit 7,5 % l’an.

par ces motifs, la cour

1.Rejette, par huit voix contre une, les exceptions préliminaires du Gouvernement ;

2.Dit, à l’unanimité, qu’il n’a pas été établi que le requérant ait été agressé et son oncle tué en violation de l’article 2 de la Convention ;

3.Dit, par huit voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention en ce que les autorités de l’Etat défendeur n’ont pas mené d’enquête adéquate et effective sur les circonstances desdits incidents ;

4.Dit, par huit voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

5.Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu de rechercher s’il y a eu violation des articles 10, 14 et 18 de la Convention ;

6.Dit, par huit voix contre une,

a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :

i.6 000 (six mille) livres sterling pour dommage moral, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement ;

ii.12 000 (douze mille) livres sterling pour frais et dépens plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, moins 8 045 (huit mille quarante-cinq) francs français à convertir en livres sterling au taux applicable à la date du présent arrêt ;

b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 7,5 % l’an, à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

7.Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.


Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 2 septembre 1998.

Signé : Rudolf Bernhardt

Président

Signé : Herbert Petzold

Greffier

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 de la Convention et 53 § 2 du règlement A, l’exposé de l’opinion partiellement dissidente de M. Gölcüklü.

Paraphé : R. B.

Paraphé : H. P.


Opinion partiellement dissidente de M. le Juge Gölcüklü

A mon grand regret, je ne puis partager l’opinion de la majorité sur les points suivants :

1.  Il y a eu des affaires où des parents éloignés, tels des cousins ou des neveux, se prétendant victimes au sens de l’article 25, ont présenté des requêtes devant la Commission, laquelle les a considérées conformes à la disposition susmentionnée. Si l’article 25 autorise la prise en compte de certains liens de sang dans l’interprétation de la notion de « victime », il y a toutefois lieu de se demander jusqu’où l’on peut étendre cette approche sans risque de transformer la requête individuelle en une sorte d’actio popularis. Dans le cas d’espèce, aucune personne plus proche de la famille du défunt (son épouse ou ses enfants) n’a participé à la procédure devant les organes de la Convention (paragraphe 123 de l’arrêt), sauf le requérant, qui n’est que son neveu. Il ne faut pas oublier que derrière toutes ces affaires comparables et issues du Sud-Est de la Turquie, se trouvent l’Association des droits de l’homme de Diyarbakır et le Kurdish Human Rights Project de Londres, qui sont des organismes poursuivant des buts politiques plutôt que la défense des intérêts des prétendues victimes. A mon avis, il est donc exagéré de considérer que le requérant est aussi « victime » du décès de son oncle et que la requête couvre même ce dernier.

2.  Dans cette affaire, le requérant n’a pas non plus épuisé les voies de recours internes, effectives et efficaces, que prévoit le droit turc. Sur ce point, je me réfère à mes opinions dissidentes dans les arrêts Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, Aydın c. Turquie du 25 septembre 1997, Recueil 1997-VI, Menteş et autres c. Turquie du 28 novembre 1997, Recueil 1997-VIII, Selçuk et Asker c. Turquie du 24 avril 1998, Recueil 1998-II. Par conséquent, j’estime que cette constatation me dispense de me prononcer sur les questions au fond soulevées dans la présente espèce.

3.  Par ailleurs, quand on arrive à la conclusion que l’article 2 a été violé en raison de l’absence d’une enquête effective et efficace sur les circonstances du décès, j’estime, comme la Commission, qu’aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 13. Sur ce point, je me réfère à mon opinion dissidente dans les arrêts Kaya c. Turquie du 19 février 1998, Recueil 1998-I, et Kurt c. Turquie du 25 mai 1998, Recueil 1998-III.

4.  Enfin, je trouve plus qu’excessives, vu les particularités et spécificités de cette affaire, les sommes accordées au requérant par la majorité, tant au titre du dommage moral que pour les frais et dépens. A mon sens, l’intervention de trois avocats britanniques dans cette affaire n’était ni absolument nécessaire ni utile, puisqu’elle ne présentait aucune difficulté particulière.


[1]Notes du greffier

.  L’affaire porte le n° 63/1997/847/1054. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

[2].  Le règlement A s’applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole. Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

[3].  « Susurluk » est la scène où a eu lieu, en novembre 1996, un accident de voiture dans laquelle se trouvaient un parlementaire, l’ancien directeur adjoint de la sûreté d’Istanbul, un extrémiste de droite notoire et trafiquant de drogue recherché par Interpol ainsi que son amie ; les trois derniers y ont trouvé la mort. La réunion de ces personnes avait dérangé l’opinion publique au point de nécessiter l’ouverture de plus de seize enquêtes judiciaires à différents niveaux et une enquête parlementaire.

[4].  L’un des pseudonymes d’un ancien membre du PKK repenti, connu sous le nom de « code vert » qui aurait servi, depuis 1973, plusieurs autorités étatiques comme agent de renseignements.

[5].  Un trafiquant de stupéfiants renommé qui était sérieusement soupçonné de soutenir le PKK (paragraphe 25 ci-dessus).

[6].  Personnage politique prokurde, M. Anter était l’un des fondateurs du Parti du travail du peuple (« HEP »), directeur de l’Institut kurde d’Istanbul, écrivain et éditorialiste entre autres pour l’hebdomadaire Yeni Ülke et le quotidien Özgür Gündem (paragraphe 22 ci-dessus). Il a été tué le 30 septembre 1992 à Diyarbakır (paragraphe 24 ci-dessus). Ce meurtre à été revendiqué par un groupe clandestin inconnu, « Boz-Ok ».

[7].  Paragraphe 26 ci-dessus.

[8].  Ladite annexe est manquante.

[9].  Ibidem pour la page suivant cette dernière phrase.

[10].  Note du greffier : pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans l’édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.

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CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE YAŞA c. TURQUIE, 2 septembre 1998, 22495/93