CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE GENTILHOMME, SCHAFF-BENHADJI ET ZEROUKI c. FRANCE, 14 mai 2002, 48205/99 et autres

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CEDH · 14 mai 2002

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 14 mai 2002, n° 48205/99 et autres
Numéro(s) : 48205/99, 48207/99, 48209/99
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Mantovanelli c. France, du 18 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, § 40
Frydlender c. France [GC], n° 30979, § 43, CEDH 2000-VII
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement irrecevable ; Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure administrative ; Article 6-1 - Délai raisonnable) ; Dommage matériel - demande rejetée (Article 41 - Dommage matériel ; Satisfaction équitable) ; Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-65008
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2002:0514JUD004820599
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE GENTILHOMME,

SCHAFF-BENHADJI et ZEROUKI c. FRANCE

(Requêtes nos 48205/99, 48207/99 et 48209/99)

ARRÊT

STRASBOURG

14 mai 2002

DÉFINITIF

14/08/2002

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Gentilhomme, Schaff-Benhadji et Zerouki c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.A.B. Baka, président,
Gaukur Jörundsson,
L. Loucaides,
K. Jungwiert,
V. Butkevych,
MmeW. Thomassen,
M.M. Ugrekhelidze, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 avril 2002,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouvent trois requêtes (nos 48205/99, 48207/99 et 48209/99) dirigées contre la République française et introduites par trois ressortissantes de cet Etat, Mmes Sylvette Gentilhomme (« la première requérante »), Jeannine Schaff-Benhadji (« la deuxième requérante ») et France Zerouki (« la troisième requérante »), respectivement. La première requérante avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 26 octobre 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Les deux autres requérantes avaient saisi la Cour le 22 janvier 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention.

2.  Les requérantes sont représentées devant la Cour par Me Stéphane Cottin, avocat au barreau de Lyon. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des Affaires étrangères.

3.  La requête no 48205/99 a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).

4.  Les requêtes ont été attribuées à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

5.  Le 13 février 2001, la Cour a décidé de joindre les requêtes (article 43 du règlement). En outre, se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond des affaires.

6.  Tant les requérantes que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

7.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). Les présentes requêtes ont été attribuées à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

8.  A la suite du déport de M. Costa, juge élu au titre de la France (article 28 du règlement), le Gouvernement a désigné, pour siéger à sa place, M. Loucaides, juge élu au titre de Chypre (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

9.  Les trois requérantes sont mariées à des ressortissants algériens. A l’époque des faits, elles étaient domiciliées à Alger.

10.  La France et l’Algérie ont signé, le 19 mars 1962, une déclaration de principe relative à la coopération culturelle, dont l’objet était notamment de permettre aux enfants français – y compris ceux ayant en droit français la double nationalité franco-algérienne – se trouvant sur le territoire algérien d’être scolarisés dans des établissements publics français. L’article 2 de cette déclaration précisait ainsi que « (...) chacun des deux pays pourra ouvrir sur le territoire de l’autre, des établissements scolaires (...) dans lesquels sera dispensé un enseignement conforme à ses propres programmes, horaires et méthodes pédagogiques et sanctionné par ses propres diplômes : l’accès en sera ouvert aux ressortissants des deux pays ». Des établissements scolaires publics français furent ainsi créés sur le territoire Algérien ; leur gestion était assurée par un établissement public français, l’office universitaire et culturel français pour l’Algérie (« OUCFA »), créé par une ordonnance du 11 août 1962.

Bénéficiant au regard du droit français de la double nationalité française et algérienne (mais de la seule nationalité algérienne au regard du droit algérien), les enfants des requérantes étaient scolarisés dans un tel établissement.

Par une note du 26 juin 1988 adressée à l’ambassade de France à Alger, le gouvernement algérien informa celle-ci que l’OUCFA ne pouvait plus procéder, à compter de la rentrée scolaire de septembre 1988, à l’inscription ou à la réinscription des enfants « algériens » dans les établissements scolaires gérés par l’OUCFA. Le directeur de l’office refusa en conséquence la réinscription des enfants des requérantes pour les années scolaires 1988 et suivantes.

11.  Par un courrier du 2 janvier 1991, les requérantes sollicitèrent chacune de l’OUCFA une indemnité en réparation du préjudice causé par le refus de scolariser leurs enfants pour les années 1988 et suivantes. Elles n’obtinrent aucune réponse.

12.  Le 12 juin 1991, les requérantes saisirent chacune le Conseil d’Etat d’une demande tendant, d’une part, à l’annulation de la décision implicite de rejet de leurs demandes, et d’autre part, à la condamnation de l’OUCFA au versement de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu’elles estimaient avoir subi. Elles invoquaient expressément l’article 2 du premier protocole additionnel à la Convention, dénonçaient une violation du principe d’égalité, et exposaient qu’en conséquence de la décision critiquée,  elles n’avaient d’autre choix que d’envoyer leurs enfants en France au prix d’une séparation familiale.

Une audience eut lieu le 6 décembre 1993, au cours de laquelle le commissaire du gouvernement conclut en faveur des requérantes.

Le 21 mars 1994, leur avocat les informa que les deux sous-sections du Conseil d’Etat réunies, devant lesquelles leur affaire avait été évoquée le 6 décembre 1993, avaient décidé de renvoyer les dossiers devant la formation, plus élevée, de la section du contentieux.

Après s’être régulièrement inquiétées de l’état d’avancement de la procédure auprès de leur avocat, les requérantes prirent chacune l’initiative de saisir directement le ministre de la Justice, par des courriers des 26 et 28 mars 1998. Les 12 et 26 mai 1998, le Conseil d’Etat leur répondit que leurs requêtes avaient effectivement connu des retards, mais qu’elles seraient prochainement inscrites à une audience de jugement.

Le 24 juin 1998, les affaires furent à nouveau examinées, devant la même formation que lors de la première audience, mais à la différence de son prédécesseur, le commissaire du gouvernement conclut au rejet des requêtes.

13.  Par trois arrêts du 29 juillet 1998, le Conseil d’Etat débouta les requérantes au motif que le préjudice dont elles se prévalaient trouvait sa seule source dans un acte du gouvernement algérien et n’était pas imputable à l’activité de l’OUCFA.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION A RAISON DE LA DUREE DES PROCEDURES

14.  Les requérantes se plaignent de la durée des procédures devant le Conseil d’Etat. Elles invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

15.  La Cour constate que les requérantes et le Gouvernement s’accordent à considérer que la période à examiner en les présentes causes sous l’angle du « délai raisonnable » débute le 12 juin 1991, date de la saisine du Conseil d’Etat, et s’achève le 29 juillet 1998, date du prononcé des arrêts par la haute juridiction. La Cour retient en conséquence ces deux dates et en déduit que les procédures ont duré sept ans, un mois et dix-sept jours pour une seule instance.

A.  Recevabilité

16.  La Cour constate que cette partie des requêtes n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour constate par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de déclarer cette partie des requêtes recevable.

B.  Sur le fond

17.  Le Gouvernement reconnaît que « les procédures engagées par les requérantes ne présentaient pas de complexité particulière ». Il estime que la première partie des procédures s’est déroulée dans des conditions satisfaisantes, mais admet « l’existence de certaines périodes de latences au cours de la période ayant commencé au mois de janvier 1994 et ayant pris fin avec les arrêts du Conseil d’Etat du 29 juillet 1998 ». Il déclare « s’en remettre à la sagesse de la Cour pour l’appréciation du bien-fondé du grief tiré de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention ».

18.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire et le comportement du ou des requérants ainsi que celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], n° 30979, § 43, CEDH 2000-VII).

Elle constate que les litiges dont le Conseil d’Etat était saisi en l’espèce ne présentaient pas une complexité exceptionnelle et que rien n’indique que les requérantes aient provoqué des retards. Relevant par ailleurs la durée particulièrement importante de la procédure s’agissant d’une seule instance, et notant une période de latence de plus de quatre ans et sept mois (entre le 6 décembre 1993, date de la première audience, et le 29 juillet 1998, date du prononcé de l’arrêt) pour laquelle le Gouvernement ne fournit aucune explication, la Cour conclut que les causes des requérantes n’ont pas été entendues dans un « délai raisonnable » et qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR LES AUTRES GRIEFS

19.  Les requérantes exposent que, devant le Conseil d’Etat, la décision de renvoi, justifiée par le souhait de porter les affaires devant une formation plus élevée, a finalement eu pour seul effet de substituer un magistrat qui leur était défavorable (le second commissaire du gouvernement chargé de l’affaire) à celui qui leur avait été favorable (le premier commissaire du gouvernement). Elles dénoncent en outre la participation du commissaire du gouvernement au délibéré. Elles en déduisent que leurs causes n’ont pas été entendues « équitablement » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention précité.

S’agissant de la première branche du grief, la Cour ne décèle aucune apparence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans les faits dénoncés par les requérantes. Cette partie des requêtes est donc manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

Quant au grief pris en sa seconde branche, la Cour constate que les requérantes l’ont soulevé pour la première fois dans un mémoire daté du 2 juillet 2001 et parvenu au greffe le 9 juillet 2001, soit après l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention. Il s’ensuit que cette partie des requêtes est tardive et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

20.  Les requérantes exposent qu’elles résidaient en Algérie, qu’en droit français, leurs enfants ont la double nationalité française et algérienne, mais que le droit algérien ne leur reconnaît que la nationalité algérienne. Elles se plaignent du refus des autorités françaises de continuer à scolariser leurs enfants dans un établissement d’enseignement français en Algérie, soulignant que ce refus trouve sa source dans une note adressée par le gouvernement algérien à l’ambassade de France à Alger, informant celle-ci qu’à compter de la rentrée scolaire de septembre 1988, il ne pourrait plus être procédé à l’inscription ou à la réinscription des enfants algériens dans de tels établissements. Dénonçant une violation du droit de leurs enfants à l’instruction imputable à la France, elles invoquent l’article 2 du Protocole n° 1, lequel est ainsi libellé:

« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »

Les requérantes affirment en outre que leurs enfants ont ainsi été victimes d’une discrimination dans la jouissance de leur droit à l’instruction, fondée sur leur double nationalité. Elles soulignent à cet égard que, dans une situation identique, les enfants n’ayant que la nationalité française ont eu accès aux établissements scolaires français en Algérie. Elles dénoncent en conséquence une violation de l’article 2 du protocole n° 1 combiné avec l’article 14 de la Convention, lequel dispose :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur (...) l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Les requérantes ajoutent qu’en raison du refus de la France d’accueillir leurs enfants dans un établissement français en Algérie, elles ont dû envoyer ceux-ci en France pour les y scolariser et se séparer ainsi d’eux, puis, compte tenu de leur jeune âge, les y rejoindre et en conséquence se séparer de leurs maris algériens. Elles dénoncent une atteinte à leur droit au respect de leur vie familiale, invoquant à cet égard l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Il y a lieu avant tout de vérifier si les enfants des requérantes relevaient  de la « juridiction » de la France, au sens de l’article 1 de la Convention.

La Cour rappelle à cet égard que la notion de « juridiction » au sens de l’article 1 de la Convention « doit passer pour refléter » la conception de cette notion en droit international public (décision Banković et autres c. Belgique et 16 autres Etats contractants [GC], n° 52207/99, 12 décembre 2001, § 61). Cette conception est « principalement » ou « essentiellement » territoriale (ibidem, §§ 59 et 61) ; ses autres fondements sont exceptionnels et nécessitent une justification spéciale au regard des circonstances particulière de chaque espèce. Ainsi, si le droit international n’exclut pas entièrement un exercice extraterritorial de sa juridiction par un Etat et reconnaît notamment, dans certaines limites, la possibilité pour un Etat d’exercer sa juridiction sur ses ressortissants qui se trouvent sur le territoire d’un autre Etat, cette possibilité est subordonnée à la compétence territoriale de cet autre Etat, et, en principe, « un Etat ne peut concrètement exercer sa juridiction sur le territoire d’un autre Etat sans le consentement, l’invitation ou l’acquiescement de ce dernier » (ibidem, §§ 59-60).

En l’occurrence, la Cour prend acte de la déclaration de principe signée par la France et l’Algérie le 19 mars 1962 et relative à la coopération culturelle, dont l’objet était notamment de permettre aux enfants français – y compris ceux ayant en droit français la double nationalité franco-algérienne – se trouvant sur le territoire algérien, d’être scolarisés dans des établissements publics français (paragraphe 10 ci-dessus). Cependant, en 1988, le gouvernement algérien a adressé à l’ambassade de France à Alger une note verbale l’informant qu’il ne pourrait plus être procédé à l’inscription ou à la réinscription des enfants algériens dans des établissements français ; cela incluait les enfants des requérantes, le droit algérien ne reconnaissant pas la double nationalité.

Les faits dénoncés en l’espèce, constitutifs selon les requérantes d’une violation des articles 2 du Protocole n° 1 et 8 et 14 de la Convention, sont ainsi la conséquence d’une décision prise unilatéralement par l’Algérie. Quelle que soit la régularité de cette décision au regard du droit international public, elle s’analyse concrètement en un refus de l’Algérie de se conformer à l’accord du 19 mars 1962. Les autorités françaises, dont l’exercice en l’espèce de la « juridiction » sur le territoire algérien avait son seul fondement dans cet accord, n’ont pu qu’en tirer les conséquences quant à la scolarisation des enfants se trouvant dans la situation de ceux des requérantes.

Bref, les faits dénoncés ont été causés par une décision imputable à l’Algérie, prise souverainement par elle sur son propre territoire et échappant au contrôle de la France. Autrement dit, dans les circonstances particulières de la cause, lesdits faits ne peuvent être imputés à la France. Il s’ensuit que cette partie des requêtes est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

21.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable ».

A.  Dommage

22.  Les requérantes soutiennent que la longueur des procédures leur à fait perdre une chance de gagner leur procès et d’obtenir les sommes qu’elles avaient réclamées au titre de l’indemnisation de leur préjudice. Elles soulignent à cet égard que le commissaire du gouvernement initialement désigné s’était prononcé en faveur de leurs prétentions. Selon elles, eu égard à l’autorité que le commissaire du gouvernement tire de ses fonctions (le Conseil d’Etat se départirait rarement de ses conclusions), si leurs causes avaient été jugées par la haute juridiction administrative dans la foulée de la première audience, elles auraient eu « des chances très probables de gagner leur procès ». Dans la mesure où il serait « probable que le commissaire du gouvernement a changé par le seul effet de l’écoulement du temps entre les deux audiences », la perte de chance dénoncée trouverait directement sa cause dans la violation de l’article 6 § 1 de la Convention. En réparation de cette « perte de chance » ainsi que de leur préjudice moral, les requérantes réclament chacune 200 000 francs (« FRF »), soit 30 489,80 euros (« EUR »).

Les requérantes réclament en outre la réparation de dommages au titre des autres violations alléguées de la Convention et du Protocole n° 1.

23.  Le Gouvernement propose de verser 10 000 FRF (soit 1 524,49 EUR) à chacune des requérantes en réparation du préjudice moral découlant de la durée des procédures.

24.  La Cour rappelle tout d’abord qu’elle conclut en l’espèce à une violation du seul article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée des procédures litigieuses. Seuls les préjudices causés par cette violation de la Convention sont en conséquence susceptibles de donner lieu à réparation.

Elle rappelle ensuite qu’il ne lui appartient pas de spéculer sur le résultat auquel les procédures incriminées auraient abouti si la violation de la Convention n’avait pas eu lieu (voir, par exemple, mutatis mutandis, l’arrêt Mantovanelli c. France, du 18 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, § 40). Il convient donc de rejeter les prétentions des requérantes en ce qu’elles se rapportent à l’indemnisation d’une prétendue « perte de chance ».

La Cour estime par contre que le prolongement desdites procédures au-delà du « délai raisonnable » a causé aux requérantes un préjudice moral justifiant l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle alloue à ce titre 8 000 EUR à chacune d’entre elles. 

B.  Frais et dépens

25.  Les requérantes réclament chacune 30 000 FRF (soit 4 573,47 EUR) en remboursement des frais et dépens engagés par elles devant le Conseil d’Etat et la Cour. S’agissant en particulier des frais relatifs à la défense de leurs intérêts devant la Cour, elles produisent des notes d’honoraires datées du 13 janvier 1998 dont il ressort qu’elles se sont engagées à verser chacune un « honoraire forfaitaire » de 4 000 FRF (soit 609,80 EUR) hors taxe à leur représentant, ainsi qu’un « honoraire complémentaire de résultat » fixé à 5 % des sommes allouées par la Cour pour dommage.

26.  Le Gouvernement souligne que « seuls pourront être éventuellement remboursés les frais effectivement engagés par [les requérantes], sous réserve de la production des justificatifs et du caractère raisonnable de ces honoraires ».

27.  La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés devant les juridictions nationales « pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation » (voir, par exemple, l’arrêt Zimmermann et Steiner c. Suisse du 13 juillet 1983, série A n° 66, § 36). Tel n’est à l’évidence pas le cas en l’espèce s’agissant des frais et dépens engagés par les requérantes devant les juridictions françaises, la Cour ayant uniquement conclu à la violation de leur droit à voir leur cause entendue dans un « délai raisonnable ». Il convient donc de rejeter cette partie des prétentions des intéressées.

S’agissant des frais et dépens engagés par les requérantes devant la Cour, ils comprennent tout d’abord un « honoraire forfaitaire » de 609,80 EUR hors taxe. Jugeant ce montant raisonnable et dûment justifié par les documents produits par les requérantes, la Cour l’alloue en entier à chacune d’entre elles.

La Cour prend par ailleurs acte de l’accord de quota litis partiel conclu entre les requérantes et leur conseil, selon lequel les premières devront verser au second 5 % des sommes allouées par la Cour au titre de leurs préjudices. Elle rappelle qu’elle ne reconnaît la validité de ce type d’arrangement que s’il est admissible dans le système juridique dont dépend l’avocat concerné (voir l’arrêt Kamasinski c. Autriche du 19 décembre 1989, série A n° 168, § 115). Elle juge cependant inutile de vérifier s’il en va ainsi en l’espèce : à supposer même que l’on se trouve dans une telle hypothèse, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’allouer une somme supplémentaire aux requérantes à ce titre, leurs frais et dépens étant suffisamment couverts par les montants autrement accordés au titre de la satisfaction équitable.   

C.  Intérêts moratoires

28.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt est de 4,26 % l’an.


PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Déclare les requêtes recevables en ce qu’elles ont trait à l’article 6 § 1 de la Convention et à la durée des procédures ;

2.  Déclare les requêtes irrecevables quant aux autres griefs ;

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la durée des procédures ;

4.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser à chacune des requérantes, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 8 000 EUR (huit mille euros) pour dommage moral ;

ii. 609,80 EUR (six cent neuf euros et quatre-vingt centimes) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;

b)  que ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 4,26 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 mai 2002 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Ordonnance n° 62-952 du 11 août 1962
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