CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE SALAH SHEEKH c. PAYS-BAS, 11 janvier 2007, 1948/04

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Chronologie de l’affaire

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CEDH · 6 juillet 2007

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CEDH · 11 janvier 2007

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CEDH · 11 janvier 2007

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 11 janv. 2007, n° 1948/04
Numéro(s) : 1948/04
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Mamatkulov et Askarov c. Turquie [GC], nos. 46827/99 et 46951/99, CEDH 2005-I, § 67 et § 69
Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, pp. 1856 et 1859, §§ 86 et 97-98, Recueil 1996-V
Ahmed c. Autriche, arrêt du 17 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, p. 2206, §§ 38-41
Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 30 octobre 1991, série A n° 215, p. 36, § 107, et p. 37, §§ 111-112
Conka c. Belgique, n° 51564/99, § 79, CEDH 2002-I
Hilal c. Royaume-Uni, n° 45276/99, §§ 59, 60 et 67-68, CEDH 2001-II
H.L.R. c. France, 9 avril 1997, Recueil 1997-III, p. 758, § 37 et § 40
Selmouni c. France ([GC], n° 25803/94, §§ 74-77, CEDH 1999-V
T.I. c. Royaume-Uni (déc.), n° 43833/98, CEDH 2000-III
Organisations mentionnées :
  • Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 3 (expulsion du requérant vers la Somalie) ; Non-violation de l'art. 13 ; Non-lieu à examiner l'art. 41
Identifiant HUDOC : 001-78987
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2007:0111JUD000194804
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE SALAH SHEEKH c. PAYS-BAS

(Requête no 1948/04)

ARRÊT

STRASBOURG

11 janvier 2007

DÉFINITIF

23/05/2007

[EXTRAITS]


En l'affaire Salah Sheekh c. Pays-Bas,

La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Boštjan M. Zupančič, président,
John Hedigan,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Davíd Thór Björgvinsson,
Ineta Ziemele, juges,
et de Vincent Berger, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 décembre 2006,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 1948/04) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont un ressortissant somalien, M. Abdirizaq Salah Sheekh (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 janvier 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me Ph.J. Schüller, avocat inscrit au barreau d'Amsterdam. Le gouvernement néerlandais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. R.A.A. Böcker, du ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 18 mars 2004, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le lui permettait l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé, le 9 mars 2006, d'examiner conjointement la recevabilité et le fond de l'affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

4.  Le requérant affirme être né en 1986 ; il réside actuellement à Amsterdam.

A.  La demande d'asile formée par le requérant et les motifs invoqués à l'appui

5.  Le requérant sollicita l'asile aux Pays-Bas en expliquant ce qui suit.

6.  Originaire de Mogadiscio, il appartenait à la minorité ashraf. En 1991, à cause de la guerre civile, sa famille fut contrainte d'abandonner ses biens à Mogadiscio et de gagner le village de Tuulo Nuh, situé à 25 km de Mogadiscio, où elle commença à vivre dans des conditions primitives.

7.  Après avoir fui Mogadiscio, la famille fut dépouillée des biens qui lui restaient. Tuulo Nuh était contrôlé par le clan abgal de la famille clanique des Hawiye. Consciente que le requérant et sa famille, qui appartenaient à une minorité, n'avaient aucun moyen de protection, la milice armée de ce clan ne cessait de les persécuter. Trois autres familles ashraf vivaient à Tuulo Nuh et étaient traitées de la même manière.

8.  Des membres de la milice débarquaient fréquemment au domicile de la famille et menaçaient le requérant et ses proches. La première fois que cela s'était produit, le requérant était âgé d'environ sept ans : les miliciens avaient menacé son père, disant qu'ils allaient mettre le feu à la maison s'il ne leur donnait pas d'argent. Chaque fois que le requérant sortait, il était harcelé et frappé ; parfois, lorsqu'il allait chercher de l'eau, les Abgal renversaient le seau. La mère du requérant vendait des fruits et légumes sur le marché. Elle était souvent détroussée et maltraitée. Parfois, lorsque la recette de la journée avait été volée, la famille devait se passer de manger et de boire.

9.  En 1995, le père du requérant fut tué par des membres de la milice abgal. Un soir de décembre 1998, des membres de la milice débarquèrent à nouveau dans la maison et enfermèrent et maltraitèrent les membres de la famille. Le requérant fut frappé à coups de ceinturon et de crosse de fusil. Son frère Ali eut le bras cassé. Puis les membres de la milice emmenèrent la mère et la sœur du requérant et une de leur connaissance de sexe féminin dehors. Ils laissèrent la mère du requérant mais emmenèrent sa sœur et son amie dans un endroit situé à l'extérieur du village et les violèrent. Ils ne les relâchèrent que le lendemain matin.

10.  En mai 2001, des membres de la milice s'emparèrent du requérant et de l'un de ses frères, qu'ils maltraitèrent et contraignirent à décharger un camion de 10 heures du matin à 5 heures de l'après-midi.

11.  En mars/avril 2002, le frère du requérant, qui tenait une petite épicerie, fut tué par balles à l'intérieur de son magasin par des membres de la milice abgal. Le requérant entendit les coups de feu et, une fois sur place, il aperçut le corps de son frère qui gisait sur le sol tandis que les membres de la milice mettaient le magasin à sac. La milice connaissait son frère et le considérait comme une proie facile dès lors que, membre d'une minorité, il était incapable de se défendre.

12.  Environ trois mois plus tard, en juin ou juillet 2002, des membres de la milice abgal arrivèrent au domicile de la famille en voiture et emmenèrent la sœur du requérant ; ils la violèrent puis la relâchèrent tard dans la nuit. Bien que présent à son domicile, le requérant fut impuissant à intervenir car il craignait d'être tué. Il n'était pas rare que des membres de la milice violent des filles. La majorité des filles du village appartenaient aux clans numériquement importants et elles bénéficiaient ainsi d'une bonne protection. Parmi les familles appartenant à la minorité ashraf, seule celle du requérant avait une fille, laquelle était ainsi une proie facile.

13.  La dernière fois que des membres de la milice effectuèrent une descente au domicile de la famille avant que le requérant ne prenne la fuite, c'était en mars 2003. Huit hommes armés de fusils AK47 et M16 arrivèrent à bord d'un véhicule tout terrain. Le requérant se trouvait à son domicile avec deux frères plus jeunes. Les membres de la milice le menacèrent et le frappèrent à coups de poing et à coups de pied. Ils fouillèrent la maison à la recherche d'argent. Puis ils s'en allèrent en disant que sa mère devait préparer de l'argent pour eux, faute de quoi les conséquences seraient terribles.

14.  A plusieurs reprises, la mère du requérant avait demandé aux sages du village d'inviter la milice à cesser de persécuter sa famille, mais ses démarches étaient restées sans effet.

15.  Cela faisait longtemps que la famille souhaitait quitter le pays, mais elle n'avait pas assez d'argent pour mettre son projet à exécution. Il ne lui servait à rien de fuir vers un autre endroit en Somalie, car la situation là-bas aurait pu être encore pire. Finalement, après de longues négociations menées par l'oncle du requérant avec les anciens du clan, sa mère reçut une indemnité des personnes qui s'étaient installées chez elle à Mogadiscio. Cela lui permit d'assumer les frais du départ du requérant pour les Pays-Bas.

B.  Le voyage du requérant vers les Pays-Bas

16.  Le départ de Somalie du requérant fut organisé par sa mère et par son oncle.

17.  Le 1er mai 2003, le requérant quitta Tuulo Nuh et gagna Mogadiscio, où il séjourna une semaine au domicile de son oncle, tandis que ce dernier se mettait en rapport avec un « agent de voyage » qui disait s'appeler Frank. Le requérant remit un certain nombre de photos de passeport à Frank, qui les utilisa pour obtenir un passeport somalien au nom de l'intéressé. Frank emmena alors le requérant dans une maison de Mogadiscio, où l'intéressé demeura une journée. Il y rencontra un garçon prénommé Abdulkadir, qui s'apprêtait lui aussi à fuir le pays. Le lendemain, le requérant, Abdulkadir, et Frank quittèrent Mogadiscio et gagnèrent Nairobi (Kenya) à bord d'un avion utilisé pour le transport de qat (plante cultivée au Kenya, en Ethiopie et au Yémen et dont les Somaliens aiment mâcher les feuilles et les tiges). A Nairobi, ils prirent un taxi, qui les emmena à un hôtel. Frank refusa de laisser le requérant continuer à voyager muni de son passeport somalien et le lui retira. Après avoir séjourné à Nairobi pendant trois jours, le requérant, Frank et Abdulkadir gagnèrent Amsterdam en passant par Istanbul. Pour cette partie du voyage, le requérant utilisa un passeport kényan établi au nom d'un certain Mahat Ahmed Hassan, né en 1977, ainsi qu'une carte d'identité établie au même nom. Frank donnait les documents au requérant au moment de passer le contrôle des passeports puis il les lui reprenait. Lorsqu'ils arrivèrent à l'aéroport d'Amsterdam Schiphol le 12 mai 2003, Frank dit au requérant et à Abdulkadir de l'attendre, expliquant qu'il avait une course à faire dans l'aéroport. Alors qu'ils attendaient, ils furent abordés par des policiers, auxquels ils déclarèrent qu'ils souhaitaient demander l'asile.

C.  La procédure d'asile aux Pays-Bas

18.  A son arrivée, le requérant indiqua qu'il souhaitait solliciter l'asile. Il se vit refuser l'entrée sur le territoire néerlandais et priver de sa liberté. Il fut emmené au centre d'accueil (aanmeldcentrum) de Schiphol pour y introduire sa demande d'asile (verblijfsvergunning asiel voor bepaalde tijd) le 13 mai 2003. Un premier entretien avec un fonctionnaire du service de l'immigration et des naturalisations (Immigratie- en Naturalisatiedienst) eut lieu le même jour aux fins d'établissement de l'identité du requérant, de sa nationalité et de son itinéraire. L'intéressé déclara notamment qu'il pensait être né en 1986 parce qu'il savait qu'il y avait une différence de trois ans entre lui-même et son frère.

19.  Un certain nombre de questions complémentaires concernant son âge furent posées au requérant le 14 mai 2003. L'intéressé précisa qu'il avait perdu ses cheveux à la suite d'une maladie et que c'était pour cette raison qu'il était un peu dégarni. Il déclara qu'il ignorait sa date de naissance exacte mais qu'il pensait être âgé de dix-sept ans. Il consentit à subir un examen censé déterminer son âge.

20.  Le même jour, un avocat agissant pour le compte du requérant soumit une demande concernant un nombre limité de corrections qu'il souhaitait voir apporter au procès-verbal établi à la suite du premier entretien. Se référant à un rapport du médiateur national, l'avocat protesta également contre la méthode retenue pour déterminer l'âge du requérant. Il demanda par ailleurs que son client se voie accorder d'office un permis de séjour du type de celui accordé aux apatrides qui, sans qu'il y ait faute de leur part, sont dans l'incapacité de quitter les Pays-Bas (permis de séjour dit « sans faute » – « buiten-schuld vtv »).

21.  Le 19 mai 2003, le requérant subit l'examen censé déterminer son âge. D'après les résultats, l'intéressé était âgé d'au moins vingt ans. Sa date de naissance théorique fut ainsi fixée au 1er janvier 1983.

22.  Le 28 mai 2003, le requérant fut interrogé au sujet des raisons de sa demande d'asile. Au cours de l'entretien, il déclara notamment que sa mère lui avait dit qu'il était né le 23 février 1986 et qu'il était âgé de cinq ans lorsqu'avait débuté la guerre en Somalie. Il précisa qu'il n'était pas d'accord avec l'attribution d'une date de naissance différente, expliquant qu'il avait davantage foi en sa mère que dans le médecin qui l'avait examiné pour déterminer son âge.

23.  Entre-temps, le 15 mai 2003, le ministre de l'Immigration et de l'Intégration (Minister voor Immigratie en Integratie – « le ministre ») avait avisé le tribunal d'arrondissement (arrondissementsrechtbank) de La Haye de la mesure de privation de liberté imposée au requérant. En vertu de l'article 94 § 1 de la loi de 2000 sur les étrangers (Vreemdelingenwet 2000), l'intéressé fut réputé avoir interjeté appel de la mesure au travers de cette notification. Le 2 juin 2003, le tribunal régional rejeta le recours.

24.  Le 3 juin 2003, le requérant reçut communication d'une déclaration dans laquelle le ministre faisait part de son intention (voornemen) de lui refuser l'asile. Le 20 juin 2003, un avocat agissant au nom du requérant soumit des observations écrites (zienswijze) au sujet de l'intention du ministre.

25.  Par une décision du 25 juin 2003, le ministre rejeta la demande d'asile formée par le requérant. Il considéra que le fait que l'intéressé était resté en défaut de soumettre des documents établissant son identité, sa nationalité et son itinéraire jetait un doute sur la sincérité de son récit et affaiblissait sa crédibilité. Il estima que la circonstance qu'il avait par la suite été établi que le requérant avait gagné les Pays-Bas via Istanbul ne changeait rien à l'affaire, dans la mesure où cette information était venue au jour sans le concours de l'intéressé.

26.  Le ministre nota par ailleurs que le requérant avait livré des déclarations non fiables quant à sa date de naissance et à son âge. Il releva qu'alors que le requérant avait affirmé être âgé de dix-sept ans, un examen avait démontré qu'il était âgé d'au moins vingt ans. Pour le ministre, cela aussi était de nature à sérieusement affecter la crédibilité du récit de l'intéressé.

27.  Le ministre considéra qu'en tout état de cause les motifs avancés par le requérant pour expliquer son départ de Somalie étaient insuffisants pour justifier l'octroi du statut de réfugié. Il estima que la situation en Somalie pour les demandeurs d'asile, qu'ils appartinssent ou non à l'ethnie des Ashraf, n'était pas telle que le simple fait de venir de ce pays justifiât la reconnaissance du statut de réfugié. Il releva qu'il ne ressortait pas suffisamment clairement du récit du requérant que l'intéressé eût acquis dans sa région d'origine une réputation d'opposant au pouvoir (local) en place. Il ajouta que le requérant n'avait jamais été ni membre ni sympathisant d'un parti ou d'un mouvement politique et qu'il n'avait jamais été arrêté ni détenu.

28.  Le ministre considéra que la thèse du requérant selon laquelle les membres du clan abgal n'avaient cessé de le harceler depuis son enfance au motif qu'il appartenait à une minorité dans la région où il vivait n'était pas suffisante pour justifier l'octroi à son profit du statut de réfugié. Il estima à cet égard que les problèmes rencontrés par le requérant n'étaient pas imputables à des actes graves et systématiques de discrimination qui auraient rendu sa vie insupportable. Pour lui, ces problèmes devaient davantage être regardés comme une conséquence d'une situation généralement instable, dans laquelle des bandes criminelles intimidaient et menaçaient souvent des gens non ciblés personnellement.

29.  Le ministre jugea par ailleurs insuffisantes les allégations du requérant selon lesquelles il avait été détenu pendant une journée en mai 2001 et contraint d'effectuer des travaux lourds, et avait à plusieurs reprises été menacé de mort par des membres du clan abgal. Il estima que la situation du requérant ne pouvait passer pour désespérée, puisque aussi bien l'intéressé avait continué à résider dans la région après avoir été victime d'extorsions. Il ajouta que l'allégation du requérant selon laquelle il avait eu l'intention de quitter le pays plus tôt mais n'avait pu mener son projet à bien faute d'argent n'y changeait rien.

30.  Le ministre conclut qu'il n'apparaissait pas qu'il y eût un risque réel de voir le requérant être soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention s'il était renvoyé en Somalie. Il ajouta que l'intéressé ne pouvait prétendre à l'octroi d'un permis de séjour au titre de la politique de souplesse qui était applicable aux demandeurs d'asile ayant eu à subir des traumatismes (traumatabeleid), dès lors que le meurtre de son frère remontait à mars/avril 2002 et les viols allégués de sa sœur à 1998 et juin/juillet 2002.

31.  Le ministre considéra que, compte tenu de la situation générale qui régnait en Somalie, le retour du requérant dans ce pays ne pouvait s'analyser en une mesure d'une rigueur excessive dès lors que, pour éviter de nouveaux problèmes, l'intéressé avait la possibilité de s'établir dans l'une des zones relativement sûres de la Somalie. Il ajouta que le requérant avait simplement entendu dire, sans en avoir obtenu la preuve, qu'il serait toujours confronté aux mêmes problèmes parce qu'il appartenait à une minorité. Pour le ministre, il n'y avait aucun motif de conclure qu'une situation générale d'urgence humanitaire régnait dans ces régions. Le ministre jugea par ailleurs dépourvus de pertinence à cet égard les points de savoir si le requérant avait ou non de la famille ou des liens claniques dans les secteurs relativement sûrs du pays ou s'il y avait jamais séjourné auparavant.

32.  Le ministre estima que le requérant n'était pas apatride puisqu'il avait la nationalité somalienne. Il n'était donc pas éligible à un permis de séjour « sans faute ». Enfin, le ministre prorogea la mesure qui avait privé le requérant de sa liberté.

33.  Le 26 juin 2003, le requérant interjeta appel contre le rejet de sa demande d'asile. Il se plaignait notamment qu'une méthode controversée eût été utilisée pour déterminer s'il était ou non mineur, que le ministre eût ignoré le fait que ses horribles expériences étaient imputables à une forme d'exclusion et d'exploitation ethnique et qu'il ne lui était pas possible de trouver refuge ailleurs en Somalie. Le même jour, il déposa une objection (bezwaar) contre le refus du ministre de lui accorder un permis de séjour « sans faute » applicable aux apatrides. Par des décisions des 2 juin, 14 juillet, 25 août, 14 octobre et 1er décembre 2003 et 14 janvier 2004, le tribunal d'arrondissement de La Haye siégeant à Haarlem rejeta les recours contre la privation de sa liberté que le requérant était réputé avoir introduits par le biais d'une notification ministérielle.

34.  Le 15 août 2003, le ministre rejeta l'objection que le requérant avait formée contre la non-délivrance d'un permis de séjour « sans faute ». Il considéra que le requérant n'était pas apatride, précisant que, s'il n'y avait pas de gouvernement effectif en Somalie à l'époque, la possibilité existait qu'il y en eût un de constitué à l'avenir. Il ajouta que la communauté internationale ne doutait pas de l'existence de l'Etat somalien.

35.  A la suite d'une audience tenue le 16 septembre 2003, le tribunal d'arrondissement de La Haye siégeant à Amsterdam rejeta le recours que le requérant avait formé contre le rejet de sa demande d'asile le 7 novembre 2003. Contrairement au ministre, le tribunal considéra que la plausibilité du récit du requérant n'était pas entachée par l'inexactitude de la date de naissance de l'intéressé, estimant que celui-ci n'avait fait que répéter ce que sa mère lui avait dit. Pour le reste, il jugea bien fondée l'opinion du ministre selon laquelle la situation du requérant telle que l'intéressé l'avait décrite n'était pas suffisamment grave pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié. Il estima avec le ministre que si le requérant avait rencontré des problèmes, ce n'était pas en vérité parce qu'il aurait été pris personnellement pour cible, les événements en question devant être regardés comme un résultat de la situation généralement instable (du point de vue de la sécurité) de la Somalie, où il arrivait fréquemment que des bandes criminelles se livrent, de manière non ciblée, à des intimidations et à des insultes. A cet égard, le tribunal attacha de l'importance au fait que le requérant aurait pu se soustraire à la situation qui prévalait dans son environnement immédiat en allant s'établir dans l'une des zones dites « relativement sûres » du pays, ainsi qu'il ressortait notamment des rapports officiels (ambtsberichten) établis par le ministre des Affaires étrangères (paragraphe 47 ci-dessous). Au vu de ces considérations, le tribunal estima par ailleurs que c'était à bon droit que le ministre avait conclu que le requérant était resté en défaut d'étayer son grief selon lequel il courait un risque réel d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 s'il devait être renvoyé vers son pays d'origine. Enfin, le tribunal, renvoyant à un arrêt de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat (paragraphe 85 ci-dessous), considéra que le ministre avait pu raisonnablement estimer que le renvoi du requérant en Somalie ne constituerait pas une mesure d'une rigueur exceptionnelle au regard de la situation générale qui régnait dans le pays, dès lors que les déboutés du droit d'asile appartenant à des groupes minoritaires avaient la possibilité de se soustraire à tout problème éventuel en s'établissant dans l'une des zones « relativement sûres » de la Somalie.

Le requérant ne saisit pas la section du contentieux administratif (Afdeling Bestuursrechtspraak) du Conseil d'Etat (Raad van State) d'un appel (hoger beroep) contre le rejet de son recours, son avocat lui ayant déclaré que, compte tenu de la jurisprudence bien établie de cet organe concernant la disponibilité de lieux de refuge en Somalie, pareil appel était voué à l'échec.

36.  Ayant été informé qu'il allait se voir délivrer un document de voyage de l'Union européenne (UE) et être expulsé vers les zones « relativement sûres » de la Somalie via Nairobi le 16 janvier 2004, le requérant, s'appuyant sur l'article 72 § 3 de la loi de 2000 sur les étrangers, saisit le ministre d'une objection le 8 janvier. Il invita par ailleurs le tribunal d'arrondissement de La Haye siégeant à Amsterdam à adopter une mesure provisoire en vertu de laquelle l'expulsion serait suspendue en attendant l'issue du recours. Il soutenait que son expulsion, telle qu'elle était envisagée, était entourée de trop d'incongruités : non seulement la base légale du document de voyage de l'UE n'était pas claire, mais on ignorait si les autorités du Puntland et de la province somalienne de Mudug autorisaient les personnes voyageant munies de pareils documents à pénétrer sur leur territoire. Il affirmait par ailleurs qu'en tant que membre d'une minorité incapable d'obtenir la protection nécessaire auprès de l'un des clans au pouvoir, il serait contraint de vivre dans un camp pour déplacés internes dans l'une des zones « relativement sûres », où les conditions étaient selon lui tellement épouvantables que l'expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l'homme en Somalie y avait vu une violation manifeste des droits de l'homme. Cet expert avait également relevé que la question la plus préoccupante au Puntland était la discrimination à l'encontre des minorités qui n'avaient ni gouvernement ni protection armée et étaient donc vulnérables aux viols et pillages sporadiques.

37.  Le juge des mesures provisoires (voorzieningenrechter) du tribunal d'arrondissement de La Haye siégeant à Amsterdam rejeta le 20 janvier 2004 la demande de mesure provisoire qu'avait formée le requérant. Il considéra qu'une expulsion avec un document de voyage de l'UE ne serait illégale que s'il y avait des éléments indiquant que l'entrée sur un territoire serait refusée à des personnes voyageant munies de pareils documents. Il conclut qu'en l'espèce semblables éléments faisaient défaut. Il constata de surcroît que la compagnie aérienne chargée de transporter les déboutés du droit d'asile de Nairobi vers la Somalie avait promis de ramener les personnes concernées en cas de refoulement à la frontière somalienne. Il estima que la circonstance qu'une expulsion via Nairobi impliquait une brève halte à un aéroport à Mogadiscio ne suffisait pas à faire conclure qu'il y aurait un risque de traitements contraires à l'article 3 de la Convention. Enfin, le tribunal d'arrondissement jugea que les tensions récentes entre le Puntland et le Somaliland ne rendaient pas l'expulsion illégale, dès lors que le requérant serait expulsé vers la province de Mudug.

38.  Entre-temps, le 15 janvier 2004, le requérant avait introduit la présente requête. Il invita par ailleurs la Cour à demander au Gouvernement, au titre de l'article 39 de son règlement, de ne pas l'expulser avant l'issue de la procédure devant elle. Le même jour, le président de la chambre décida d'indiquer au Gouvernement qu'il était souhaitable dans l'intérêt des parties et de la bonne conduite de la procédure devant la Cour qu'il ne procédât pas à l'expulsion du requérant. Là-dessus, les Pays-Bas décidèrent de surseoir à l'expulsion de l'intéressé, qui fut libéré.

39.  Le 27 février 2004, le ministre rejeta le recours formé par le requérant contre la décision de l'expulser. L'intéressé saisit alors le tribunal d'arrondissement de La Haye siégeant à Amsterdam d'un recours, que le tribunal déclara irrecevable le 10 janvier 2005. Le tribunal jugea que le requérant n'avait plus intérêt à obtenir une décision sur le fond de son recours, dès lors que le but poursuivi par celui-ci, à savoir l'obtention d'un sursis à exécution, avait été atteint, puisqu'à la suite de la mesure provisoire indiquée par la Cour européenne, les autorités néerlandaises avaient décidé de surseoir à l'exécution. La décision du tribunal d'arrondissement fut confirmée par la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat le 27 mai 2005.

40.  Le 7 juillet 2005, le Gouvernement informa la Cour que le requérant remplissait les conditions pour obtenir un permis de séjour sur la base d'une « politique de protection catégorielle » (categoriaal beschermingsbeleid, paragraphes (...) et 87 ci-dessous) que le ministre avait adoptée à titre provisoire le 24 juin 2005 pour les demandeurs d'asile provenant de certaines parties de la Somalie. Fort de cette information, le requérant introduisit une nouvelle demande d'asile le 23 septembre 2005. Celle-ci fut accueillie le 10 mars 2006.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

(...)

B.  La politique néerlandaise relative aux demandeurs d'asile somaliens

47.  La politique du gouvernement défendeur concernant les demandeurs d'asile somaliens a été conçue par le secrétaire d'Etat à la Justice (Staatssecretaris van Justitie) et, depuis 2002, par son successeur, le ministre de l'Immigration et de l'Intégration, sur la base des rapports officiels publiés par le ministre des Affaires étrangères, qui, en 1993, publia le premier de ces rapports sur la situation générale en Somalie.

(...)

2.  Le rapport de novembre 2004 relatif à la Somalie

52.  En juin 2004, des fonctionnaires du ministère néerlandais des Affaires étrangères effectuèrent une visite de cinq jours dans la ville de Bosasso, dans le Puntland. Le rapport de novembre 2004 est basé en partie sur les constatations faites au cours de cette mission.

53.  Dès lors qu'il n'y avait pas une différence nette quant au nombre des escarmouches armées entre les zones « en conflit » et les zones « de transition » dont il était question dans le rapport de mars 2003 relatif à la Somalie, le rapport de novembre 2004 divisa le pays en deux régions : une région « relativement sûre » et une région « relativement incertaine ». Sur la base du risque pour les populations civiles d'être victimes d'actes de violence les deux régions furent définies comme suit :

–  la région « relativement incertaine » : Mogadiscio et Kismaayo et la zone située à la périphérie de ces deux villes, les provinces de Bay, Baykool, Bas et Moyen Juba, Bas et Moyen Shabelle, Gedo, Hiran et Galgaduud ;

–  la région « relativement sûre » : les provinces constituant le Somaliland et le Puntland, le sud de Mudug et les îles au large de la côte sud de la Somalie.

54.  A l'instar de rapports précédents, le rapport de novembre 2004 se penchait de manière approfondie sur l'existence de clans et de groupes minoritaires en Somalie : à côté de la culture nomade dominante, il existe en Somalie divers groupes de cultures différentes, tels les tribus somaliennes se consacrant à l'agriculture et des groupes minoritaires n'appartenant pas à l'ethnie somalie. Les tribus agricoles sont considérées comme moins « nobles » par les tribus nomades, et le statut des groupes minoritaires, que l'on estime représenter 15 % de la population, est encore inférieur. Soit les minorités ne possèdent pas une structure clanique, soit elles en possèdent une qui est moins prononcée que celle des tribus nomades. Traditionnellement, ces groupes minoritaires ne sont pas couverts par le droit clanique somalien et ils ne bénéficient donc d'aucune protection si un clan n'a pas consenti à les protéger. D'après le rapport, les groupes minoritaires souffraient généralement beaucoup des conflits armés car ils n'étaient pas armés et devaient souvent céder une partie de leurs ressources à leurs occupants. Ils constituaient des proies faciles pour les milices, qui se livraient à des attaques à main armée, à des pillages et à des meurtres. Beaucoup de membres des groupes minoritaires du sud fuirent au cours de la guerre civile, notamment vers le Kenya et vers les pays occidentaux, mais également vers le Somaliland et le Puntland.

55.  D'après le rapport de novembre 2004, on ne savait pas exactement combien il existait de groupes minoritaires en Somalie. L'un des principaux groupes minoritaires est celui des Benadiri (ou Reer Hamar), dont les ancêtres sont des peuplades d'origine perse, indienne, arabe ou portugaise qui s'établirent dans l'une ou l'autre des villes de la côte somalienne à partir du IXe siècle et se mélangèrent à divers degrés avec la population locale, puis avec les immigrants qui arrivèrent ultérieurement. Chaque groupe de Benadiri peut retracer ses origines jusqu'à un ancêtre unique ; les Benadiri parlent souvent de clans pour désigner ces groupes de descendants. Les Ashraf, qui se composent de deux groupes traditionnellement regardés comme des descendants de deux petits-fils du prophète Mahomet, constituent l'un de ces groupes Benadiri.

56.  Le rapport de novembre 2004 qualifiait de mauvaise la situation des groupes minoritaires dans les régions « relativement incertaines ». D'après ses auteurs, les membres des groupes en question étaient beaucoup plus exposés au risque d'être victimes d'intimidations et d'agressions de la part des miliciens armés. Nonobstant ce manque de sécurité, tous les gens appartenant à un groupe minoritaire ne devaient pas craindre des persécutions individuelles du seul fait de leur appartenance à la minorité et la situation n'était pas identique pour tous les groupes minoritaires. Dès lors que les Benadiri n'entretenaient pas une relation particulière avec une ou plusieurs des tribus somaliennes, ils ne pouvaient compter sur la protection d'un clan. Depuis le début de la guerre civile, les Benadiri apparaissaient être les premières victimes d'attaques à main armée et de pillages, ceci s'expliquant par leur position sociale relativement isolée et par leur richesse présumée. Du fait de ces problèmes, une large proportion des Benadiri avaient fui à l'étranger. Ceux qui étaient restés avaient souvent perdu une partie ou l'ensemble de leurs biens. Bien que l'ampleur de la violence eût fortement décru, les intéressés se trouvaient toujours dans une situation vulnérable, dans la mesure où ils vivaient dans les régions « relativement incertaines » du pays. On ne les trouvait quasiment pas dans les zones « relativement sûres », et ils étaient trop peu nombreux pour que l'on fît des déclarations générales à leur sujet.

57.  Depuis le début de la guerre civile, les populations des villes dans les zones « relativement sûres » avaient augmenté en flèche, en partie à cause d'un afflux de personnes déplacées du sud et en partie à cause de l'exode rural. Beaucoup de personnes déplacées avaient réussi à s'installer sur une base durable dans leur nouvelle région. Pratiquement toutes avaient des liens avec des habitants de la région, soit qu'elles appartinssent à la même tribu, soit qu'elles eussent un proche qui y habitait. D'autres liens pouvaient également offrir un réseau de sécurité sociale, par exemple des liens avec d'anciens camarades d'école, voisins ou partenaires commerciaux. Les personnes déplacées qui ne pouvaient compter sur pareils liens échouaient presque invariablement dans des campements misérables pour personnes déplacées, sans grande chance de pouvoir réellement s'intégrer.

58.  Il y avait toujours quelque trente mille personnes qui vivaient dans des campements pour personnes déplacées dans le Puntland, dont vingt-huit mille installées dans la ville de Bosasso. La majorité de ces personnes étaient originaires du sud de la Somalie, mais il y en avait également qui appartenaient aux minorités midgan et bantoue. D'après les occupants des camps, les problèmes les plus graves tenaient aux conditions misérables de logement et à l'absence d'installations sanitaires. Les intéressés vivaient dans des huttes construites à partir de matériaux de récupération qui n'offraient pas une protection adéquate contre l'éprouvant climat de Bosasso. Il y avait également un risque sérieux d'incendie, dans la mesure où la puissance des vents pouvait facilement transformer en foyers incontrôlables les feux allumés pour cuire la nourriture. Un autre problème résidait dans l'insécurité qui régnait dans les camps, dont les occupants étaient victimes de vols et, à l'occasion, de crimes violents. Chaque fois que la police était avertie d'un incident, il y avait une enquête et une augmentation du nombre de patrouilles pendant une semaine, mais dans la plupart des cas la police était incapable de mettre la main sur les coupables. Les occupants des camps ne voyaient toutefois pas là un effet d'une quelconque discrimination.

59.  Au Somaliland, les personnes déplacées vivaient également dans des huttes misérables qu'elles se construisaient elles-mêmes à partir de matériaux de récupération. En octobre 2003, le gouvernement du Somaliland avait décrété que l'ensemble des personnes déplacées non originaires du Somaliland devaient quitter le pays. Si personne ne fut réellement expulsé, on fit savoir on ne peut plus clairement aux personnes déplacées du sud de la Somalie qu'elles étaient devenues indésirables. La plupart des personnes concernées gagnèrent le Puntland ou le Yémen.

60.  Aucun incident violent sur les îles au large de la côte sud de la Somalie n'avait été rapporté au cours de la période examinée. Depuis 2001, les membres du clan Darod/Marehan contrôlent ces îles, également habitées par des membres de la minorité bajuni, qui sont employés dans l'industrie de la pêche par les membres du clan précité.

61.  D'après le rapport de novembre 2004, le taux de criminalité dans les zones « relativement sûres » était bas, en tout cas par comparaison avec d'autres pays d'Afrique. En général, les autorités administratives locales et régionales étaient capables de faire respecter le droit et de maintenir l'ordre, au besoin avec l'aide de la police. Le rapport précisait que dans la société somalienne la tâche consistant à assurer le respect de la loi était depuis toujours l'apanage des anciens du clan ou du village, des imams ou d'autres chefs de communautés. Cette forme traditionnelle de police était, de par sa nature même, beaucoup moins efficace si la victime était un membre d'un groupe minoritaire ou d'un petit clan pauvrement armé. Dans ces conditions, les personnes déplacées et les minorités non armées constituaient une proie facile pour les criminels. La police d'une ville donnée comportait des membres de l'ensemble des clans y résidant, ainsi que quelques membres de groupes minoritaires et un petit nombre de femmes. Le rapport indiquait que si la police pratiquait la discrimination à l'égard des groupes minoritaires et des personnes déplacées, il était rare qu'elle refuse catégoriquement d'agir. Lorsqu'une personne déplacée ou un membre d'un groupe minoritaire était victime d'une infraction, la police prenait généralement des mesures adéquates (ou raisonnablement adéquates), même s'il était vraisemblable qu'elle se montre moins encline à faire son possible pour une personne déplacée que pour des résidents locaux appartenant aux clans. Cela étant, en cas de dispute avec un membre d'un clan, il était très probable que la police prenne parti pour ce dernier. Le rapport faisait état d'éléments donnant à croire qu'en pareils cas les policiers pourraient même aller jusqu'à commettre des infractions contre les personnes déplacées ou les membres de groupes minoritaires.

62.  Le rapport concluait qu'en général les personnes déplacées dans les parties « relativement sûres » de la Somalie pouvaient passer pour occuper une position marginale et isolée dans la société. Vulnérables, elles étaient ainsi davantage victimes de la criminalité que le restant de la population. Leur vulnérabilité dépendait en partie de leurs ressources (argent, qualifications, etc.) mais, d'une manière générale, leur situation socioéconomique était significativement plus mauvaise que celle de la population locale. Elles n'étaient pas persécutées par les autorités locales. Il y avait bien des cas de discrimination de la part de la population locale mais, en tout cas au Somaliland ou à Bosasso, aucun incident grave n'avait été rapporté. Cela étant, les gens n'étaient pas prêts à accepter l'idée que des personnes déplacées n'ayant absolument aucun lien avec leur clan pussent véritablement s'intégrer dans leur communauté.

63.  Conformément à une tradition nomade ancienne, les Somaliens pouvaient librement pénétrer dans le pays et le quitter par voie terrestre. Il y avait à partir des Etats environnants et des Emirats arabes unis plusieurs vols par semaine vers un certain nombre de destinations en Somalie. Les personnes qui pénétraient dans le Somaliland par l'aéroport de Hargeisa subissaient un contrôle de leurs documents de voyage. Les autres aéroports en Somalie fonctionnaient sous l'autorité des chefs de guerre locaux, qui les géraient comme des entreprises privées. Dans aucun de ces derniers aéroports les passagers n'étaient invités à produire leurs documents de voyage.

64.  Depuis la chute du gouvernement central somalien en 1991, il n'y avait aucun organe reconnu sur le plan international qui fût compétent pour délivrer ou proroger des passeports somaliens. Des documents de voyage tenant lieu de passeports somaliens pouvaient être achetés sur des marchés en Somalie et dans les pays voisins. Officiellement, les passeports somaliens n'étaient pas reconnus sur le plan international comme des documents de voyage, mais en pratique ils étaient acceptés par les pays de l'Union européenne, par les Etats voisins de la Somalie et par les Etats du Golfe, parce que les Somaliens n'avaient pas d'autres documents de voyage. De même, les passeports somaliens n'étaient pas reconnus officiellement comme valant preuve de l'identité d'une personne.

65.  Les Somaliens qui rentraient en Somalie ne rencontraient aucune difficulté de la part des autorités locales à leur arrivée. Toutefois, dans les zones « relativement incertaines », les passagers, une fois qu'ils quittaient l'aéroport, étaient quelquefois détroussés par des milices ou des malfaiteurs, qui les dépouillaient de tous leurs biens, ce en faisant souvent preuve d'une violence extrême. Après l'adoption du décret d'octobre 2003, les Somaliens qui n'avaient aucun lien avec le Somaliland n'étaient normalement pas autorisés à résider dans cette entité. Il n'y avait pas de règles formelles restreignant les conditions de résidence dans le reste de la Somalie. Le retour (volontaire ou non) organisé vers le Somaliland et le Puntland nécessitait le consentement des autorités locales. Au cours des années précédentes, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés avait aidé des dizaines de milliers de Somaliens à regagner leur pays, spécialement sa partie nord. Toutefois, les autorités du Somaliland et du Puntland avaient fait savoir qu'il n'y avait pas grande possibilité d'offrir un travail et un logement à ceux qui rentraient au pays.

(...)

3.  Le rapport de mai 2005 relatif à la Somalie

69.  Un nouveau rapport relatif à la Somalie fut établi en mai 2005. Il était quasiment identique au précédent, dont il ne s'écartait que sur les points suivants.

70.  Le rapport divisait la Somalie en trois zones : une zone « relativement incertaine », une zone « relativement sûre » et une « zone de transition », qui se composait des provinces septentrionales de Sool et de Sanaag, toutes deux revendiquées par le Somaliland et par le Puntland. La zone « relativement sûre » était la même que celle définie dans le rapport de novembre 2004, à l'exception du sud de la province de Mudug, désormais considéré comme « relativement incertain ».

71.  Il était à nouveau indiqué dans le rapport de mai 2005 qu'il n'avait en réalité été procédé à aucune expulsion de Somalie. Toutefois, les dizaines de milliers de personnes déplacées qui résidaient en Somalie vivaient constamment dans la peur. Le rapport renvoyait par ailleurs à des déclarations du Conseil norvégien des réfugiés selon lesquelles la situation des personnes déplacées dans le Somaliland avait empiré, celles-ci subissant exploitation, extorsions et harcèlement.

72.  Le rapport indiquait en outre que les Nations unies avaient mené en 2004 une vaste enquête auprès de déplacés internes à l'intérieur du Puntland. Au cours de cette enquête, 99,3 % des personnes déplacées avaient déclaré se sentir en sécurité dans leur campement. Il était précisé dans une note de bas de page que sur la base de ce rapport le Conseil norvégien des réfugiés – coauteur du rapport des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires – avait abouti à une conclusion différente : « Leurs petites huttes faites de toile et souvent non équipées d'une véritable porte n'offrent aucune protection contre les agressions d'hommes qui volent leurs biens et violent leurs femmes sous la menace d'armes à feu, ce en toute impunité. »

73.  Le rapport précisait que les documents de voyage faisaient toujours l'objet d'un contrôle à l'entrée dans le Somaliland via l'aéroport de Hargeisa. Il ajoutait qu'il n'avait pas été fait état de cas où des non-ressortissants du Somaliland se seraient vu refuser l'entrée sur le territoire et que les documents de voyage étaient également contrôlés à l'aéroport de Bosasso dans le Puntland.

74.  Le rapport de mai 2005 indiquait que les retours (volontaires ou non) organisés vers le Somaliland et le Puntland nécessitaient le consentement des autorités locales lorsqu'il s'agissait de groupes de personnes.

75.  Entre le 1er janvier 2004 et le 15 avril 2005, vingt-six Somaliens avaient volontairement quitté les Pays-Bas pour regagner la Somalie. Dix d'entre eux avaient choisi de se rendre à Mogadiscio, deux avaient opté pour d'autres destinations dans le sud, treize pour Hargeisa (Somaliland) et un pour Bosasso (Puntland). Un seul était muni d'un document de voyage somalien. Les autres avaient voyagé munis d'un document de voyage de l'UE.

4.  Le rapport de juillet 2006 relatif à la Somalie

76.  Le rapport le plus récent relatif à la Somalie date de juillet 2006. Il indiquait que les zones « relativement sûres » étaient pratiquement les mêmes que celles qui se trouvaient définies dans le rapport de mai 2005 (paragraphe 70 ci-dessus, à l'exception des provinces de Sool et de Sanaag, à nouveau qualifiées de « relativement sûres », le sud de la province de Mudug continuant quant à lui d'être qualifié de « relativement incertain ». De surcroît, l'ensemble de la ville de Galkayo était à présent classé dans les zones « relativement incertaines ».

77.  Le rapport de juillet 2006 indiquait à nouveau que dans les zones « relativement sûres » les minorités et les personnes déplacées étaient davantage confrontées à la criminalité que le restant de la population. Cela étant, les risques pour ces personnes d'être victimes d'exactions étaient considérablement plus élevés dans les régions « relativement incertaines ». Quant aux minorités, le rapport indiquait qu'elles constituaient une part disproportionnée de la population carcérale dans les régions « relativement incertaines ».

78.  Le rapport précisait que les Somaliens n'ayant aucun lien avec le Somaliland n'avaient en principe toujours pas la possibilité d'obtenir un droit de séjourner dans cette entité, même si aucune expulsion forcée n'avait eu lieu. Concernant le Puntland, il ajoutait qu'il n'avait pas été fait état de problèmes qu'auraient rencontrés des Somaliens venus s'établir dans cette entité

79.  Le rapport indiquait qu'en 2005 neuf Somaliens avaient quitté les Pays-Bas pour rentrer au pays : sept à Mogadiscio, un à Kismayo et un à Hargeisa.

5.  Commentaires et réactions déclenchés par les rapports précités

(...)

b)  Le Conseil néerlandais des réfugiés

81.  Dans une analyse du rapport de novembre 2004 relatif à la Somalie[1], le Conseil néerlandais des réfugiés (Vereniging VluchtelingenWerk Nederland) renvoya notamment à une déclaration qu'avait faite une personne interviewée par la délégation du ministère néerlandais des Affaires étrangères lors de sa visite de travail à Bosasso (...). Si le rapport de novembre 2004 indiquait que nul n'avait réellement été expulsé du Somaliland, la personne en question avait déclaré à la délégation que de nombreuses personnes avaient été contraintes de quitter le Somaliland et qu'elles « n'avaient même pas eu le temps d'empaqueter leurs vêtements ». Le Conseil néerlandais des réfugiés se référa également à un rapport établi par le Secrétaire général des Nations unies le 9 juin 2004 à l'intention du Conseil de sécurité qui comportait le passage suivant :

« (...) l'environnement pour les « étrangers » en général et pour les déplacés internes du sud de la Somalie en particulier continue à se détériorer au Somaliland. Ces personnes se trouvent fréquemment confrontées au harcèlement, à l'exploitation et aux extorsions. Ces conditions ont contraint beaucoup d'entre elles à fuir vers le Puntland, où elles vivent dans des conditions misérables. »

De surcroît, d'après le Conseil néerlandais des réfugiés, de nombreux éléments donnaient à penser que les personnes ayant fait l'objet d'expulsions forcées et les déboutés du droit d'asile étaient jugés indésirables au Somaliland. Le 24 novembre 2004, le ministre du Somaliland chargé des Réinstallations, des Réinsertions et des Réintégrations avait adressé au ministre néerlandais de l'Immigration et de l'Intégration une lettre dans laquelle il indiquait que son gouvernement n'acceptait pas les personnes ayant fait l'objet d'expulsions forcées ni les déboutés du droit d'asile. Le gouvernement du Somaliland avait également demandé à l'ensemble des lignes aériennes passant par Dubaï de mettre fin au transport vers quelque aéroport que ce soit du Somaliland des personnes ayant fait l'objet d'expulsions forcées.

82.  Le Conseil néerlandais des réfugiés contesta l'affirmation selon laquelle une protection policière efficace pouvait être obtenue dans le Puntland, considérant qu'il n'y avait pas dans cette entité de mécanismes efficaces garantissant le respect des lois et que les autorités du Somaliland et du Puntland avaient été parfois elles-mêmes à l'origine de violations des droits de l'homme.

83.  Tandis que le rapport de novembre 2004 avait laissé entendre que la circonstance que certains des camps du Puntland avaient brûlé était imputable à la conjonction du fait que des matériaux inflammables avaient été utilisés pour construire les huttes et du fait que la chaleur était intense dans cette région, le Conseil néerlandais des réfugiés renvoyait à une série de rapports qui indiquaient que trois camps avaient été incendiés, faisant des victimes et des milliers de sans-abri. Le Conseil néerlandais des réfugiés ajoutait que la situation des déplacés internes à l'intérieur du Somaliland semblait se détériorer. Il citait M. Jan Egeland, sous-secrétaire général des Nations unies pour les affaires humanitaires et coordinateur de l'aide d'urgence, qui avait déclaré après une visite dans un camp pour réfugiés rapatriés : « Il s'agit là d'un des endroits les plus oubliés au monde. Comparé à lui, le Darfour est privilégié. »

(...)

6.  Jurisprudence de la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat dans les affaires concernant les demandeurs d'asile somaliens et/ou l'article 3 de la Convention et politique basée sur cette jurisprudence

85.  Dans un arrêt du 24 juin 2003 (Jurisprudentie Vreemdelingenrecht (Recueil des décisions en matière d'immigration – « JV ») 2003/352), la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat jugea qu'il ne ressortait pas des rapports consacrés à la Somalie qu'il se produisait dans les zones « relativement sûres » du pays des incidents tellement graves, étendus et structurels en matière de sécurité qu'il fallût conclure que le ministre ne pouvait pas raisonnablement considérer que la situation relativement sûre qui y régnait était durable et que les zones en question pouvaient servir de lieu de refuge. Elle précisa que s'il était vrai que certaines parties des régions « relativement sûres » étaient temporairement inaccessibles via les frontières extérieures du pays, il n'y avait aucune raison de croire que le ministre ne pouvait raisonnablement conclure, s'agissant des groupes minoritaires, qu'un renvoi vers les zones « relativement sûres » de la Somalie ne constituerait pas une mesure d'une rigueur exceptionnelle dans le contexte de la situation générale du pays.

86.  A la suite de l'arrêt précité, la section du contentieux administratif suivit une politique jurisprudentielle constante de rejet des recours introduits par les déboutés somaliens du droit d'asile affirmant ne pouvoir s'établir dans les zones « relativement sûres » de leur pays. Le 28 mai 2004, toutefois, elle jugea qu'une mesure provisoire qu'avait indiquée le président de la Cour européenne[2] mettait obstacle à l'expulsion vers le nord de la Somalie des ressortissants somaliens qui appartenaient à une minorité et n'avaient ni famille ni liens claniques dans cette région (JV 2004/278). A la suite de cette décision, le ministre adopta, le 11 juin 2004, un moratoire sur les expulsions (vertrekmoratorium) pour les Somaliens qui appartenaient à ce groupe. Le 20 février 2005, la portée de ce moratoire fut étendue à l'ensemble des Somaliens non originaires des zones « relativement sûres », conformément à une décision de la section du contentieux administratif en date du 17 décembre 2004 (JV 2005/70), qui tenait compte de la mesure provisoire qu'avait indiquée la Cour européenne dans une requête concernant un ressortissant somalien qui appartenait à un clan dont les membres étaient majoritaires dans le Puntland[3].

87.  Dès lors qu'en vertu du droit interne la durée d'un moratoire sur l'expulsion ne pouvait excéder un an et eu égard aux mesures provisoires indiquées par la Cour européenne et à l'interprétation de ces mesures faite par la section du contentieux administratif, le ministre adopta, le 24 juin 2005, une politique de protection de certaines catégories de personnes (paragraphes 40 (...) ci-dessus). A cet égard, il tint compte non seulement des décisions de la Cour européenne, mais également de la nature et de l'étendue géographique des zones marquées par la violence en Somalie, telles qu'elles se trouvaient décrites dans le rapport de mai 2005. Sauf contre-indications (sous la forme, par exemple, de condamnations pénales), la politique en question s'applique aux demandeurs d'asile somaliens qui ne sont pas originaires du Somaliland ou du Puntland (hormis les provinces de Sool et de Sanaag) et qui n'ont pas passé plus de six mois au Somaliland ou au Puntland, sauf si pareil séjour a eu lieu dans un camp pour déplacés internes. Elle s'applique également aux Somaliens originaires des îles au large de la côte sud de la Somalie. Si ces îles sont considérées comme « relativement sûres », elles ne peuvent en effet être atteintes que via des territoires « relativement incertains ».

L'application de la politique en cause n'a pas été limitée dans le temps ; elle sera revue lorsque la Cour européenne statuera sur le fond des affaires où une mesure provisoire a été indiquée.

88.  Dans une décision du 22 août 2003 (JV 2003/526), la section du contentieux administratif tint compte des informations figurant dans le rapport de juin 2001 relatif à la Somalie d'après lesquelles la simple appartenance à une minorité ne devait pas faire craindre des persécutions (personnelles). A la lumière de ces informations, elle jugea que c'était à bon droit que le secrétaire d'Etat à la Justice avait estimé que le problème que l'étranger en cause disait avoir subi parce qu'il appartenait aux Reer Hamar – travail forcé, mauvais traitements et intimidations – était imputable non pas au fait que l'intéressé aurait été pris personnellement pour cible, mais à la situation générale de son pays d'origine à l'époque.

89.  Dans une affaire concernant un ressortissant afghan, la section du contentieux administratif, se référant à l'arrêt rendu par la Cour européenne dans l'affaire Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni (30 octobre 1991, série A no 215), considéra que même si un étranger devait être expulsé vers un pays où des violations massives des droits de l'homme étaient commises de manière organisée à l'encontre d'un groupe auquel l'étranger en question appartenait, l'intéressé devait démontrer de manière convaincante l'existence de faits et circonstances particuliers le concernant personnellement pour pouvoir prétendre à la protection offerte par l'article 3 de la Convention. Ce passage est depuis lors traditionnellement repris dans les décisions de la section du contentieux administratif relatives à l'article 3.

90.  Le 5 décembre 2003, la section du contentieux administratif rejeta le grief fondé sur l'article 3 de la Convention qui avait été soulevé dans le cadre d'un autre recours, déposé par une ressortissante somalienne qui affirmait appartenir aux Reer Hamar et avoir été l'objet de mauvais traitements, notamment de viols (JV 2004/62). La section du contentieux administratif considéra que les incidents allégués ne démontraient ni que les actes commis eussent été le résultat du fait que la demanderesse aurait été prise pour cible personnellement, ni que l'intéressée se trouvât dans une position substantiellement différente de celle des autres membres du groupe des Reer Hamar en Somalie.

7.  La position des autorités du Somaliland et du Puntland sur le retour forcé de ressortissants somaliens

91.  Le 14 décembre 2002, le ministre des Réinstallations, des Réinsertions et des Réintégrations de la République autoproclamée du Somaliland adressa aux ministres néerlandais de la Justice et des Affaires étrangères une lettre dans laquelle il les informait de la politique de son gouvernement sur le rapatriement des déboutés du droit d'asile. Il y indiquait que le gouvernement du Somaliland n'accepterait pas la réinstallation dans le Somaliland, qu'elle fût volontaire ou non, des ressortissants somaliens. Il ajoutait que son gouvernement acceptait en principe le retour volontaire des ressortissants du Somaliland. Il précisait toutefois que pareilles opérations de retour volontaire ne pouvaient avoir lieu que dans le contexte d'une relation bilatérale entre le gouvernement du Somaliland et le gouvernement de l'Etat hôte, dans le respect des accords et dispositions applicables du droit international, et qu'en l'absence de pareils accords le retour des déboutés du droit d'asile serait jugé inacceptable et illégal. Il indiquait que les seules personnes éligibles à une réinstallation étaient les ressortissants du Somaliland (dont la nationalité devait préalablement être vérifiée par le ministre) qui n'avaient pas séjourné plus de trois ans à l'étranger et qui voyageaient munis d'un passeport émis par le Somaliland. Il précisait que les autorités du Somaliland n'acceptaient ni les documents de voyage de l'UE ni les autres documents.

92.  En réponse à des questions posées par un membre du Parlement, le ministre néerlandais de l'Immigration et de l'Intégration déclara le 12 mars 2003 que la lettre du ministre du Somaliland chargé des Réinstallations, des Réinsertions et des Réintégrations n'était pas de nature à justifier l'adoption d'un moratoire sur les expulsions. Dès lors que le Somaliland n'était pas la seule zone « relativement sûre » de Somalie, les déboutés du droit d'asile somaliens avaient toujours, selon lui, la possibilité de retourner dans d'autres zones « relativement sûres » et notamment au Puntland (Annales de la chambre basse du Parlement – Handelingen Tweede Kamer – 2002-2003, no 905, annexe, pp. 1893-1894). Le ministre ajouta que les Pays-Bas attachaient une grande importance à une bonne coopération en matière de renvoi des immigrants illégaux et qu'il informerait le Parlement de l'issue de tout processus de consultation qu'il pourrait réussir à mettre en place.

93.  Le président de l'Etat somalien du Puntland adressa le 24 janvier 2004 au ministre néerlandais des Affaires étrangères une lettre dans laquelle il exprimait sa profonde préoccupation devant le fait que les autorités néerlandaises procédaient au renvoi forcé des demandeurs d'asile somaliens en ne menant aucune négociation digne de ce nom avec les autorités somaliennes existantes. Il indiquait que ses autorités étaient « déçues de ce que le gouvernement néerlandais [eû]t décidé de remballer de force les (...) réfugiés (...) vers l'Etat somalien du Puntland sans se préoccuper de savoir de quelle partie de la Somalie les personnes concernées étaient originaires et sans solliciter d'abord l'acceptation ou le consentement préalable de [leur] administration ». Le président précisait par ailleurs que l'Etat somalien du Puntland n'acceptait pas le document de voyage de l'UE.

94.  Le ministre néerlandais de l'Immigration et de l'Intégration communiqua cette lettre au président de la chambre basse du Parlement le 13 avril 2004 (Document parlementaire – Kamerstuk – 2003-2004, 19 637, no 812). Dans sa lettre de couverture, il soulignait qu'il attachait une grande importance à une coopération étroite avec les autorités (de fait) somaliennes et qu'il était prêt à explorer toute possibilité de coopération avec ces dernières. Il notait par ailleurs qu'il ne ressortait pas de la lettre transmise par lui que les autorités du Puntland s'opposassent au retour volontaire des déboutés somaliens du droit d'asile, quelles que fussent leur origine ethnique ou leur région d'origine. Au sujet de la question des renvois forcés, le ministre indiquait que la zone « relativement sûre » de la Somalie s'étendait au-delà du seul Puntland. Il en concluait qu'il restait toujours la possibilité d'effectuer des renvois forcés de Somaliens vers la zone « relativement sûre » de la Somalie. Il ajoutait qu'il jugeait déplacé le terme « remballer » qui avait été utilisé par le président du Puntland dans sa lettre. Il expliquait à cet égard que les Somaliens qui étaient renvoyés dans leur pays se voyaient offrir dans un pays de transit la possibilité d'indiquer vers quelle partie de la Somalie ils préféraient être renvoyés. Il précisait que le nombre de ressortissants somaliens qui avaient jusque-là été renvoyés vers le Puntland était faible.

95.  Dans une lettre du 20 novembre 2004 adressée au ministre néerlandais de la Justice, le ministre du Somaliland chargé des Réinstallations, des Réinsertions et des Réintégrations précisa qu'en vertu de la politique applicable dans son pays il n'était pas possible à une personne ayant fait l'objet d'une expulsion forcée ou ayant été déboutée du droit d'asile de pénétrer sur le territoire du Somaliland. Il ajoutait qu'après avoir appris l'existence de deux protocoles d'accord négociés par le gouvernement néerlandais avec le gouvernement de Dubaï et la compagnie aérienne des Emirats, son gouvernement avait demandé à l'ensemble des compagnies aériennes transitant par l'aéroport international de Dubaï de mettre fin au transport des expulsés de force vers quelque aéroport que ce fût du Somaliland. Le ministre précisait que son gouvernement était prêt à discuter de « la manière de résoudre le problème des déboutés du droit d'asile ».

8.  Le document de voyage de l'UE

96.  Le document de voyage de l'UE est basé sur une recommandation adoptée par le Conseil des ministres de la Justice et de l'Intérieur de l'Union européenne le 30 novembre 1994 (Journal officiel des Communautés européennes C 274). Reconnaissant notamment que la grande majorité des Etats membres éprouvaient des difficultés pour traiter les cas des ressortissants de pays tiers qui devaient être expulsés de leur territoire mais qui n'étaient pas en possession de documents de voyage, le Conseil recommanda aux Etats membres d'utiliser un document de voyage standard valable une seule journée pour effectuer pareilles expulsions.

97.  Depuis 1995, les Pays-Bas utilisent le document de voyage standard de l'UE comme document de remplacement dans les cas d'expulsion vers certains pays. Ce document peut être utilisé pour le renvoi d'étrangers vers leur pays d'origine ou vers un autre pays disposé à les accueillir. Il est émis par le service de l'immigration et des naturalisations (Immigratie- en Naturalisatiedienst) au nom du ministre de l'Immigration et de l'Intégration.

98.  Dans la doctrine comme au sein de la chambre basse du Parlement et devant les tribunaux nationaux, la thèse a été défendue que le document de voyage de l'UE tel qu'il est utilisé par les Pays-Bas ne constitue pas un document valable, la recommandation précitée n'ayant pas été incorporée au droit néerlandais et la loi sur le passeport (Paspoortwet) ne conférant au ministre de l'Immigration et de l'Intégration aucun pouvoir lui permettant d'émettre des documents de voyage. En réponse à des questions posées par des membres du Parlement, le ministre de l'Immigration et de l'Intégration a déclaré que le document de voyage de l'UE n'était pas dépourvu de base légale et qu'il n'apparaissait pas que l'un quelconque des étrangers d'origine somalienne ayant été renvoyés, que ce fût sur une base volontaire ou non, vers la Somalie en 2003 et en 2004 se fût vu refuser l'entrée dans le pays, alors que certains avaient voyagé munis d'un document de voyage de l'UE. Il ajouta que si un étranger voyageant muni d'un document de voyage de l'UE devait néanmoins se voir refuser le droit de pénétrer dans son pays d'origine, il y aurait lieu d'appliquer les dispositions concernant les inadmissibles et les expulsés contenues à l'annexe 9 à la Convention de Chicago relative à l'aviation civile internationale, en vertu desquelles les Pays-Bas autoriseraient les étrangers en question à revenir sur le territoire néerlandais (Annales de la chambre basse du Parlement, 2003-2004, no 800, annexe, pp. 1695-1696).

Dans la lettre de couverture précitée adressée au président de la chambre basse du Parlement (paragraphe 94 ci-dessus), le ministre écrivait, au sujet du refus affiché par les autorités du Puntland d'accepter le document de voyage de l'UE, que ce document pouvait être utilisé pour faciliter le voyage de retour, que celui-ci s'effectuât sur une base volontaire ou non, d'étrangers d'origine somalienne qui n'étaient pas, ou n'étaient plus, en possession d'un passeport somalien. Dans ce contexte, le document de voyage de l'UE était censé servir de document de voyage plutôt que de document permettant de franchir les frontières. La question de savoir si l'entrée sur le territoire somalien était ou non accordée dépendait du point de savoir si la personne concernée était d'origine somalienne et/ou si elle était considérée comme telle par les autorités (de fait).

99.  Dans la décision du 28 mai 2004 précitée (paragraphe 86 ci-dessus), la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat s'exprima comme suit en réponse au moyen du demandeur tiré de l'illégalité prétendue du document de voyage de l'UE :

« Le pouvoir d'émettre ce document de voyage de l'UE est basé, d'après les informations soumises par le ministre [de l'Immigration et de l'Intégration] sur la recommandation du Conseil de l'Union européenne en date du 30 novembre 1994. Il apparaît que cette recommandation n'a pas été incorporée dans le droit néerlandais. Le fait qu'il n'existe aucune base légale permettant d'émettre un document de travail de l'UE n'est pas conforme au principe de légalité. Cela ne signifie toutefois pas qu'une expulsion effectuée sur la base de pareil document soit illégale à l'égard de l'appelant, dès lors que le défaut en question concerne l'ordre juridique interne néerlandais, que l'appelant a l'obligation juridique de quitter les Pays-Bas et que le ministre (...) a fourni des éléments indiquant de manière suffisante que ce document (...) est accepté par les pays tiers.

Le fait qu'il n'y ait pas d'accord d'expulsion entre les Pays-Bas et les autorités de fait des différentes parties de la Somalie n'exclut pas qu'en pratique un étranger puisse regagner son pays d'origine en utilisant un document de voyage de l'UE. La manière dont une expulsion est effectuée n'est illégale que si (...) sur la base notamment de l'expérience accumulée dans des affaires comparables, il est vraisemblable que l'étranger concerné n'atteigne pas la destination prévue ou qu'il se heurte à d'autres problèmes s'il utilise les documents qui lui ont été délivrés. »

III.  LES ÉLÉMENTS DE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS

A.  Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

100.  Dans son document de position de janvier 2004 sur le renvoi des déboutés du droit d'asile vers la Somalie, le haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés (ci-après « le HCR ») s'est notamment exprimé comme suit :

« (...)

La situation générale des établissements humains que l'on trouve dans de nombreuses parties de l'Afrique, et notamment en Somalie, se caractérise souvent par des facteurs ethniques, tribaux, religieux et/ou culturels communs qui permettent l'accès à la terre, aux ressources et à la protection des membres de la communauté. En conséquence, cette appartenance à une communauté apparaît être la condition nécessaire d'une vie en sécurité. Dans de telles situations, il ne serait pas raisonnable d'attendre de quelqu'un qu'il s'établisse dans une zone ou dans une communauté peuplée de personnes ayant une tradition ethnique, tribale, religieuse et/ou culturelle différente ou dans laquelle il serait autrement considéré comme un étranger. La seule solution concevable serait pour cette personne de chercher à s'établir dans les bidonvilles d'une grande ville où les migrants internes de la campagne mènent une existence précaire, souvent dans des conditions de vie épouvantables. Les personnes venant de la campagne peuvent ainsi se retrouver dépouillées de tout et avoir à subir des vexations. Il serait donc déraisonnable d'attendre d'une personne ayant regagné son pays qu'elle s'installe dans une zone avec laquelle elle n'aurait pas des liens ethniques, tribaux, religieux et/ou culturels.

Cela est vrai également pour le Somaliland et le Puntland. Ces entités abritent déjà respectivement quelque 60 000 et 31 000 déplacés internes, ce qui excède de loin leur capacité d'absorption. En l'absence de protection et de soutien d'un clan, avec comme conséquence un réseau social faible ou négligeable, un Somalien d'une autre région irait fort probablement rejoindre les nombreux autres déplacés internes défavorisés qui souffrent d'un manque de protection, d'un accès limité à l'éducation et aux services de santé, et qui sont vulnérables à l'exploitation et aux abus sexuels, à l'exploitation de leur travail et à l'expropriation, à la destruction et à la confiscation de leurs biens. En fonction du bon vouloir de la communauté locale et du peu d'assistance humanitaire qui peut être disponible, les individus perçus comme des « intrus » peuvent se trouver contraints de vivre dans un état de nécessité chronique et de non-respect de leurs droits. Au Somaliland spécialement, Etat indépendant autoproclamé, ceux qui ne sont pas originaires de cette région sont considérés comme des étrangers et se trouvent en butte à d'importants problèmes d'acceptation et d'intégration, eu égard notamment à l'extrême difficulté de la situation socioéconomique des personnes natives de ce territoire (...)

(...) Le HCR estime que la possibilité de fuite interne n'est pas applicable dans le contexte de la Somalie. (...)

Le HCR considère que les personnes originaires du sud de la Somalie ont besoin d'une protection internationale et il s'oppose à tout renvoi forcé de déboutés du droit d'asile vers la région située au sud de la ville de Galkayo.

Bien qu'il y ait sécurité, stabilité et gouvernance au Somaliland et dans une mesure croissante au Puntland, les conditions qui règnent dans ces entités de la Somalie ne sont, d'une manière générale, pas favorables au retour forcé de quantités importantes de déboutés du droit d'asile. S'il est vraisemblable que la restauration de la protection nationale, en phase avec les standards de protection applicables à l'ensemble des autres citoyens, ne constitue pas un problème pour les personnes originaires de ces régions, la faiblesse de l'économie, qui n'offre que peu d'opportunités d'emploi, et l'insuffisance des services de base produisent un environnement qui n'est pas propice au maintien de relations harmonieuses entre les diverses composantes de la population. Aussi le HCR n'est-il pas favorable à une politique indifférenciée de retours involontaires. Il recommande un examen des dossiers au cas par cas et la prise en considération par les Etats de la situation particulière de chaque individu (âge, sexe, état de santé, appartenance ethnique/culturelle, situation familiale, possibilité d'obtenir une aide socioéconomique) pour déterminer si un renvoi des individus/familles concernés peut valablement être envisagé ou si, pour des raisons d'ordre humanitaire, il convient d'autoriser ces individus/familles à demeurer sur leur territoire.

(...)

En ce qui concerne ce qui a été dit au sujet de la non-applicabilité de la possibilité de fuite interne en Somalie, le HCR considère qu'aucun Somalien ne devrait être renvoyé contre sa volonté vers une partie du pays dont il ne serait pas originaire. A cet égard, les considérations relatives au système de clans qui prévaut en Somalie revêtent une importance cruciale. »

101.  Le 11 août 2004, le représentant du HCR pour la Somalie fournit des informations en réponse à des questions posées par les avocats du barreau d'Amsterdam quant au lieu d'origine des personnes renvoyées en Somalie. Il s'exprima notamment comme suit :

« S'agissant en particulier de la situation des déplacés internes résidant au Somaliland et au Puntland, le HCR affirme clairement que l'on assiste à une détérioration permanente de la protection juridique et de la sécurité socioéconomique depuis la rédaction du document de position. Cela s'explique principalement par le fait qu'avec la prolongation du conflit les mécanismes mis en place pour la gestion des déplacés internes sont de plus en plus sollicités au-delà de leur capacité réelle, ce qui aboutit à exposer les personnes concernées à une extrême pauvreté et à la discrimination. (...) Dans la société somalienne, la protection relève de la responsabilité du clan et est un mécanisme qui en général fonctionne bien. Cela étant, les déplacés internes et les autres groupes minoritaires sont largement dépourvus de pareille protection. En conséquence, ils se trouvent exposés à l'exploitation (tant sur le plan sexuel que sur le plan économique), ils se voient refuser l'accès aux services, doivent subir des transferts et des travaux forcés et des restrictions à leur liberté d'aller et de venir et font l'objet de discriminations. (...) Il y a peu de chances que les autorités régionales de Somalie acceptent les expulsions ou même les retours volontaires des personnes non originaires des régions concernées. Dans le cas du Puntland, il convient de noter que les autorités, nonobstant le texte de leur Constitution, sont très attentives à ne pas laisser entrer sur leur territoire des personnes qui n'en seraient pas originaires. »

102.  En novembre 2005, le HCR émit l'avis suivant sur le renvoi de ressortissants somaliens vers la Somalie :

« 1.  Le HCR a fait connaître sa position actuelle quant aux expulsions vers la Somalie en janvier 2004. Au travers du présent avis, qui complète l'avis de janvier 2004 et doit être lu conjointement avec lui, le HCR confirme que ladite position reste valable. De fait, les problèmes qui prévalent en Somalie ne font que corroborer sa validité et justifient son maintien.

2.  (...) D'après le rapport de Ghanim Alnajjar, l'expert indépendant [des Nations unies] sur la situation en matière de droits de l'homme en Somalie, « Le droit à la vie continue d'être violé de manière massive en Somalie. La plus grande partie du pays est marquée par l'insécurité et la violence, et les zones les plus incertaines sont situées au sud, spécialement dans la capitale Mogadiscio. » (Commission des droits de l'homme des Nations unies, E/CN.4/2005/117, 11 mars 2005, § 17).

(...)

5.  (...) Le HCR souligne que la possibilité d'une fuite interne n'est pas applicable en Somalie, dans la mesure où l'on ne peut guère espérer qu'une personne originaire de la région où elle séjourne puisse bénéficier dans celle-ci d'une protection effective. A cet égard, les considérations relatives au système de clans qui prévaut en Somalie revêtent une importance cruciale.

6.  Dans ces conditions, la protection internationale ne devrait pas être refusée sur la base d'une possibilité de fuite interne. Pareil refus condamnerait en réalité les personnes concernées à une forme de déplacement interne, avec le risque élevé d'une dénégation des droits fondamentaux et d'une violation des droits socioéconomiques, ce qui ne ferait qu'exacerber, tant à l'échelle des individus qu'à l'échelle de la communauté, la pauvreté et l'instabilité existantes, qui sont déjà très grandes. (...)

7.  Le HCR reconnaît que tous les demandeurs d'asile somaliens peuvent ne pas remplir les conditions d'obtention du statut de réfugié prévu par la Convention de 1951. Il considère toutefois que les demandeurs d'asile originaires du sud et du centre de la Somalie ont besoin d'une protection internationale et que, sauf motifs d'exclusion, ils doivent se voir accorder, sinon le statut de réfugié, au moins certaines formes complémentaires de protection.

8.  Aussi le HCR invite-t-il une nouvelle fois l'ensemble des gouvernements à s'abstenir jusqu'à nouvel ordre de procéder à des expulsions forcées vers le sud et le centre de la Somalie.

9.  En ce qui concerne les expulsions forcées vers le nord de la Somalie, si elles peuvent être envisageables dans certaines conditions, notamment lorsque les personnes concernées ont des liens claniques avec la région dans laquelle elles sont censées être renvoyées et peuvent ainsi compter sur une protection effective du clan, il convient d'éviter de procéder à des vagues de retours involontaires. Les personnes non originaires du nord de la Somalie ne devraient pas être expulsées de force vers cette région. »

B.  Autres données internationales pertinentes

1.  « La Somalie : analyse situationnelle et prospective » – Rapport établi par le professeur K. Menkhaus[4] en 2003

103.  Ce rapport, qui date d'août 2003, a été commandé par le HCR. D'après le professeur Menkhaus, si le niveau chronique et endémique du sous-développement et de la sécurité en Somalie – spécialement dans le sud et le centre du pays – fait courir des risques à une large proportion de la population, certaines franges de celle-ci sont spécialement vulnérables aux abus en matière de droits de l'homme. Deux des groupes en question sont les déplacés internes et les membres des minorités et des clans faibles. En ce qui concerne ce dernier groupe, le professeur Menkhaus écrit :

« (...) les membres des clans politiquement faibles – les groupes minoritaires, les clans à faible statut et les clans résidant dans des zones où ils sont en situation de forte infériorité du point de vue du nombre ou de l'armement – ne sont pas en mesure de bénéficier de la protection de leur clan et sont donc vulnérables aux actes de prédation et d'abus de la part des criminels et des milices, sans guère pouvoir compter sur la protection de la loi. Un rapport sur les violations des droits de l'homme établi en 2003 par le Centre des droits de l'homme Isma'il Jimale basé à Mogadiscio conclut que la plupart des victimes appartenaient à des groupes minoritaires « auxquels l'appartenance à un clan ne permet pas d'obtenir une protection efficace ». »

104.  D'après le professeur Menkhaus, les violations des droits de l'homme en Somalie demeurent endémiques et très graves, bien que des progrès aient été accomplis depuis le début des années 90. Le professeur Menkhaus distingue les trois catégories suivantes de violations des droits de l'homme : les violations des règles du conflit armé ; les violations commises par des criminels qui ne font l'objet d'aucune poursuite de la part des autorités locales, et les violations commises par les autorités politiques elles-mêmes. En ce qui concerne la deuxième catégorie – celle des violations commises par des criminels – le professeur Menkhaus s'exprime notamment comme suit :

« La distinction entre les activités des milices et les activités criminelles en Somalie est très difficile à établir, la guerre étant elle-même une entreprise de pillage, et le conflit armé étant de plus en plus lié au souci de se venger d'actes criminels. Cela étant, il y a de nombreux exemples où des crimes commis par des « civils » – qu'il s'agisse de criminels ou de membres non rémunérés de milices s'engageant dans des actes criminels – engendrent des crises graves au niveau des droits de l'homme. Certains types de crimes qualifiables de violations des droits de l'homme, tels que le meurtre, sont généralement traités au travers de dettes de sang ou par des tribunaux appliquant la charia. Mais certaines violations n'engendrent pratiquement aucune réaction de la part des autorités. »

Le professeur Menkhaus cite ensuite une liste d'infractions, dont les auteurs sont rarement poursuivis par les autorités locales. Parmi ces infractions figure notamment la discrimination contre les minorités, au sujet de laquelle le professeur s'exprime comme suit :

« Bien que présentée comme une société homogène, la Somalie comporte un certain nombre de groupes à faible statut et de groupes minoritaires qui sont souvent victimes d'abus et exploités. La population bantoue est aujourd'hui la mieux connue de ces minorités. Représentant environ 5 % de la population totale du pays, les Bantous sont souvent confrontés au vol de leurs terres, au viol, au travail forcé et à toute une série de comportements discriminatoires. Les groupes minoritaires et les groupes à faible statut tels que les Bantous ne peuvent compter que sur une faible protection au titre du droit clanique coutumier et ils n'ont pratiquement jamais recours à un système de justice quand ils sont victimes. Ceux qui s'adressent aux autorités juridiques ou religieuses du clan s'exposent à un fort risque d'intimidation et d'agression. »

2.  « La Somalie – analyse situationnelle et prospective » – Rapport établi par le professeur K. Menkhaus en 2004

105.  Dans son rapport du 20 septembre 2004 rédigé à la demande de l'organisation Schweizerische Flüchtlingshilfe, le professeur Menkhaus écrit notamment que « le dénominateur commun le plus important en matière de sécurité personnelle dans toute la Somalie est l'appartenance à un clan ». D'après lui, les déplacés internes constituent le groupe le plus vulnérable dans le pays :

« Pour plusieurs raisons, ils sont spécialement vulnérables en tant que groupe : la plupart appartiennent à des clans agricoles minoritaires, et donc faibles, et sont ainsi souvent victimes d'abus sans que les auteurs soient poursuivis ; pratiquement tous sont des « hôtes » dans un territoire dominé par des clans plus importants qui ne leur offrent qu'une protection au rabais (dans certaines parties du pays, comme dans le Somaliland, les déplacés internes du sud et du centre de la Somalie sont considérés comme des « étrangers » ne pouvant prétendre à aucun droit) ; tous connaissent la misère et survivent grâce à des petits boulots et à des arrivages périodiques d'aide humanitaire ; la plupart séjournent dans des camps contrôlés par des « gestionnaires de camps », qui sont des miliciens qui restreignent leur liberté de circulation et détournent l'assistance destinée aux déplacés internes. »

(...)

3.  « La Somalie : un besoin urgent d'une protection efficace des droits de l'homme sous le nouveau gouvernement transitoire » – Rapport établi par Amnesty International en 2005

108.  Dans son rapport publié le 17 mars 2005, Amnesty International pressait le gouvernement fédéral transitoire, qui était sur le point d'entamer une période transitoire de cinq ans censée ramener la Somalie dans la communauté internationale des nations, de faire de la protection des droits de l'homme l'une de ses préoccupations centrales et permanentes. Dans une rubrique intitulée « protection des droits des minorités », le rapport contenait le passage suivant :

« Les groupes minoritaires qui ne disposent pas de milices armées ont été extrêmement vulnérables, pendant la période d'effondrement de l'Etat et d'absence d'un système judiciaire et de l'Etat de droit, au meurtre, à la torture, au viol, à l'enlèvement contre rançon et au pillage des terres et des biens en toute impunité par des milices armées et des membres de clans. De tels incidents sont aujourd'hui encore fréquemment rapportés ; leur réalité est vérifiée par les ONG locales œuvrant dans le domaine des droits de l'homme. »

4.  « Note d'instruction opérationnelle pour la Somalie » – Document établi par la Division de la politique en matière d'asile et de recours de la Direction de l'immigration et de la nationalité du ministère de l'Intérieur du Royaume-Uni

109.  La « Note d'instruction opérationnelle pour la Somalie » édictée le 5 mai 2006 comportait un résumé de la situation générale tant sur le plan politique que sur le plan des droits de l'homme en Somalie et fournissait des informations sur la nature et le traitement des nombreuses demandes d'asile introduites par des ressortissants/résidents de ce pays.

110.  La note indiquait que si la situation du pays en matière de respect des droits de l'homme demeurait déplorable et si des violations graves avaient encore eu lieu en 2005, la situation était meilleure au Somaliland et au Puntland que dans les autres parties du pays. Elle précisait que la société somalienne se caractérisait par l'appartenance à des familles claniques (qui se subdivisaient en clans et en sous-clans) ou à des groupes minoritaires et que la position d'un individu dépendait dans une large mesure de ses origines claniques. Elle ajoutait que, d'une manière générale, une personne était normalement en sécurité dans une zone contrôlée par son clan et que, tant au Somaliland qu'au Puntland, aucun individu, quelle que fût son appartenance à un clan ou son origine ethnique, ne devait craindre une persécution générale fondée sur l'appartenance à un clan. Elle indiquait que le niveau chronique et endémique du sous-développement en Somalie rendait une large proportion de la population vulnérable non seulement à des crises humanitaires mais également à des violations des droits fondamentaux.

111.  S'agissant des personnes appartenant à la minorité des Benadiri, la note comportait le passage suivant :

« Traitement. Les Somaliens qui n'appartiennent pas à un clan sont les plus vulnérables à des violations graves des droits de l'homme, telles que des actes de prédation de la part de criminels et de milices, ainsi qu'à la discrimination sur les plans économique, politique, culturel et social. Ces groupes comprennent environ deux millions de personnes, soit environ un tiers de la population somalienne, et ils incluent les Benadiri (Reer Hamar) (...)

Les Benadiri sont un peuple urbain d'origine souahélie d'Afrique de l'Est. Ils ont tous perdu des biens pendant la guerre, et la majorité d'entre eux ont fui vers le Kenya. Ceux qui sont restés vivent principalement dans les villes côtières de Mogadiscio, Merka et Brava. La situation des Benadiri restés en Somalie est difficile car la présence des milices claniques les empêche de remettre leurs commerces sur pied. En 2003, 90 % de la population Reer Hamar de Mogadiscio avait quitté la ville à cause de la guerre civile et du manque de sécurité. La majorité des Reer Hamar restés à Mogadiscio sont des personnes âgées qui vivent à Hamar Weyn, le quartier traditionnel des Reer Hamar à Mogadiscio, qui est contrôlé par les milices du sous-clan Habr Gedir Suleiman. Des membres des milices claniques se sont approprié la plupart des maisons de Mogadiscio qui appartenaient aux Benadiri (...), certains autorisant les anciens occupants à conserver une pièce.

(...)

Degré de protection. Les groupes minoritaires basés dans le centre de la Somalie, qui sont politiquement et économiquement les plus faibles et qui sont culturellement et ethniquement distincts des familles claniques somaliennes telles que les Benadiri (Reer Hamar) (...), ne sont pas en mesure d'assurer leur sécurité dans ces régions en faisant appel à une famille clanique tant soit peu importante ou à un sous-clan apparenté à pareille famille. Ils sont vulnérables à la discrimination et à l'exclusion, où qu'ils résident. (...)

Transfert interne. Comme les Benadiri (Reer Hamar) (...) sont vulnérables aux discriminations et à l'exclusion de la part des groupes claniques et sous-claniques les plus importants partout dans le sud et le centre de la Somalie, leur transfert interne vers ces régions n'est pas une option raisonnable. La possibilité d'un transfert interne vers le Somaliland ou le Puntland est limitée ; les autorités de ces entités ont précisé qu'elles n'admettraient sur les territoires qu'elles contrôlent que ceux qui appartiennent au même clan ou qui résidaient auparavant dans la région concernée.

(...)

Conclusion. Les Benadiri (Reer Hamar) (...) font partie de la classe inférieure dans la société somalienne et se heurtent à l'exclusion politique et économique, du fait principalement qu'ils ne sont liés culturellement et ethniquement à aucun des grands groupes claniques. Ils ne sont habituellement pas en mesure d'assurer leur protection en faisant appel à un groupe clanique et se trouvent en conséquence dans une situation vulnérable, qu'ils résident dans le sud ou dans le centre de la Somalie. (...) Les requérants individuels ayant produit des éléments faisant apparaître une probabilité raisonnable qu'ils soient des Benadiri (Reer Hamar) originaires du sud ou du centre de la Somalie risquent fort d'être victimes de mauvais traitements assimilables à des persécutions. Dans ce type de cas, l'octroi de l'asile est probablement la réponse appropriée. »

5.  « La crise somalienne peut-elle être contenue ? » – Rapport établi par International Crisis Group en 2006

112.  Le résumé de ce rapport, qui a été publié le 10 août 2006, comporte le passage suivant :

« La Somalie se dirige vers une nouvelle guerre depuis la formation fin 2004 du gouvernement fédéral transitoire (GFT), mais ces derniers temps la tendance a connu une accélération spectaculaire. Les relations glaciales entre le GFT et son allié éthiopien, d'une part, et les tribunaux islamiques qui contrôlent à présent Mogadiscio, d'autre part, menacent de dégénérer en un conflit plus large qui embraserait la plus grande partie du sud, déstabiliserait des territoires en paix, comme le Somaliland et le Puntland, et s'accompagnerait peut-être d'attaques terroristes dans des pays voisins si des efforts ne sont pas faits d'urgence par chacun des deux côtés et par la communauté internationale pour mettre en place un gouvernement d'unité nationale. »

6.  « Des fonctionnaires belges attrapés par le Somaliland » – Rapport établi par la BBC en 2006

113.  Ce rapport, qui a été publié sur le site web de la BBC le 15 août 2006, cite le cas de trois fonctionnaires du service de l'immigration de la Belgique appréhendés à Hargeisa, la capitale du Somaliland, alors qu'ils avaient atterri à bord d'un avion en provenance d'Ethiopie avec un homme expulsé de Belgique. D'après le rapport, le ministre de l'Aviation du Somaliland avait affirmé que les intéressés n'étaient en possession ni de visas ni de l'autorisation préalable nécessaire pour remettre un expulsé et que l'expulsé en question avait été renvoyé en Ethiopie par l'avion à bord duquel il était arrivé.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

114.  Le requérant allègue que son expulsion vers la Somalie l'exposerait à un risque réel d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention, compte tenu de son état d'individu appartenant à une minorité et de la situation générale quant au respect des droits de l'homme qui prévaut en Somalie. L'article 3 est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

(...)

B.  Quant au fond

1.  Thèses des parties

a)  Le requérant

128.  Le requérant plaide l'existence d'un risque pour lui d'être soumis à la torture ou à des traitements cruels et inhumains à cause de son appartenance au groupe minoritaire des Reer Hamar s'il est expulsé vers le nord de la Somalie. N'ayant pas de liens claniques ou familiaux dans les zones « relativement sûres » de cette partie du pays, il aurait toutes les chances d'être obligé de vivre dans un camp pour déplacés internes. Or les conditions de vie dans ces camps auraient été décrites comme étant inhumaines. Le requérant estime que la politique des Pays-Bas basée sur les rapports établis par le ministère néerlandais des Affaires étrangères ne tient pas réellement compte du document de position adopté par le HCR (paragraphe 100 ci-dessus). Une analyse du rapport de novembre 2004 effectuée par le Conseil néerlandais des réfugiés (paragraphes 81-83 ci-dessus) aurait démontré que ce rapport n'était pas entièrement valable et souligné ses insuffisances. Néanmoins, d'un point de vue anthropologique, il donnerait un aperçu utile de la situation des Reer Hamar en Somalie, situation dont les caractéristiques seraient parfaitement transposables au cas du requérant.

129.  Le requérant soutient par ailleurs que rien ne garantit qu'il serait admis à s'établir dans l'une des zones « relativement sûres » de la Somalie vers lesquelles les autorités néerlandaises auraient décidé de l'expulser, les autorités du Somaliland et du Puntland ayant déclaré que les Somaliens n'ayant pas de liens familiaux ou claniques avec ces zones ne seraient pas admis à s'y établir et qu'elles n'acceptaient pas le document de voyage de l'UE avec lequel les autorités néerlandaises compteraient le faire voyager. De surcroît, le gouvernement n'aurait signé aucun accord avec les autorités de fait de ces entités. Le requérant dit craindre de ne pas être réadmis aux Pays-Bas s'il devait se voir refuser le droit de s'établir dans l'une des zones « relativement sûres » de la Somalie, dans la mesure où le gouvernement défendeur ne serait pas au courant de sa situation, et de devenir ainsi une sorte de « réfugié en orbite ».

130.  Il relève par ailleurs que le voyage prévu lui ferait faire escale à Mogadiscio. Or les avions atterrissant là-bas seraient parfois pris d'assaut par des brigands qui obligeraient les déboutés du droit d'asile en provenance des Pays-Bas à débarquer. Compte tenu de ses expériences passées à Mogadiscio, il serait clair d'après lui qu'un séjour dans cette ville l'exposerait, en raison de son appartenance à la minorité des Reer Hamar, à un risque d'être soumis à des traitements proscrits par l'article 3.

b)  Le Gouvernement

131.  Le Gouvernement maintient que s'il devait être expulsé le requérant ne courrait pas un risque réel d'être exposé à des traitements contraires à l'article 3, les problèmes rencontrés par lui antérieurement ne s'expliquant pas par le fait qu'il aurait été visé personnellement mais étant imputables à des événements qui seraient plutôt le résultat de la situation généralement instable sur le plan de la sécurité qui régnerait en Somalie. Il considère à cet égard que l'on ne peut conclure sur la seule base de la situation générale du pays qu'un individu donné court un risque réel mais qu'il incombe aux individus concernés de démontrer la réalité d'une persécution personnelle.

132.  En ce qui concerne l'allégation du requérant selon laquelle, en sa qualité de membre de la minorité ashraf ou Reer Hamar, il se heurterait à des problèmes s'il devait être expulsé vers l'une des zones « relativement sûres » de la Somalie, le Gouvernement, se référant aux rapports établis par son ministre des Affaires étrangères, affirme que les minorités présentes au Somaliland et au Puntland ne sont pas persécutées et que, d'une manière générale, leur sécurité n'est pas compromise. Nonobstant le caractère souvent précaire de leur situation socioéconomique, leurs membres réussiraient à s'en sortir en faisant preuve de flexibilité sur le marché local du travail et en acceptant toutes sortes de boulots. Les nouveaux arrivants établiraient généralement des liens avec les autres membres de leur groupe minoritaire dès lors que ceux-ci seraient en nombre suffisant.

133.  En ce qui concerne l'accès aux zones « relativement sûres », le Gouvernement relève que les Somaliens sont libres d'entrer dans le pays et d'en sortir, les frontières de l'Etat étant très peu surveillées, conformément à la tradition nomade immémoriale. Bien que le ministre néerlandais de l'Immigration et de l'Intégration eût informé les autorités du Somaliland, en réponse à la lettre du ministre des Réinstallations, des Réinsertions et des Réintégrations de cette entité, de son souhait de négocier des arrangements pour le retour des déboutés du droit d'asile (paragraphes 91-92 ci-dessus), le gouvernement n'aurait conclu au sujet de cette question aucun accord avec les autorités somaliennes de fait. Des arrangements auraient été pris avec les autorités d'immigration de Dubaï (Emirats arabes unis) et de Nairobi (Kenya). Dans ces pays de transit, les demandeurs d'asile somaliens obligés de regagner leur pays se verraient donner l'occasion de préciser dans quel secteur de la partie « relativement sûre » de la Somalie ils préféreraient être renvoyés. Dans les deux villes, le service de l'immigration et des naturalisations disposerait d'agents de liaison, qui travailleraient de manière étroite avec les autorités des aéroports à partir desquels les déboutés somaliens du droit d'asile seraient acheminés vers les aéroports des zones « relativement sûres » de la Somalie.

134.  En réponse à l'affirmation du requérant selon laquelle il risquerait de se voir refuser l'entrée dans la partie « relativement sûre » de la Somalie s'il voyageait avec un document de voyage de l'UE, le Gouvernement ajoute aux considérants de la décision rendue le 20 janvier 2004 par le juge des mesures provisoires du tribunal d'arrondissement de La Haye siégeant à Amsterdam (paragraphe 37 ci-dessus) les précisions suivantes : les Somaliens expulsés vers la Somalie via Dubaï ou Nairobi auraient été au nombre de trente-trois en 2003 et de vingt pour la partie de 2004 allant jusqu'au moment où le Gouvernement a soumis ses observations en l'espèce. Parmi les expulsés en question auraient figuré des étrangers qui, lors de leur demande d'asile, auraient dit appartenir à une minorité. Le Gouvernement affirme n'avoir connaissance d'aucun cas d'étranger somalien qui se serait vu refuser l'entrée en Somalie au motif qu'il voyageait muni d'un document de voyage qu'on lui aurait fourni. Il précise que si cela devait arriver, les dispositions de la Convention de Chicago relative à l'aviation civile internationale seraient en tout état de cause applicables. Il affirme par ailleurs ne pas avoir connaissance du moindre cas de prise d'assaut d'un avion par des brigands ou d'obligation faite à des déboutés du droit d'asile en provenance des Pays-Bas de débarquer d'un vol en provenance de Nairobi lors d'une escale à Mogadiscio. L'administrateur du bureau de Nairobi de la compagnie aérienne concernée l'aurait informé que ces allégations n'étaient pas corroborées par les faits.

2.  L'appréciation de la Cour

a)  Principes généraux

135.  La Cour réaffirme d'emblée que les Etats contractants ont le droit, en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités internationaux, y compris la Convention, de contrôler l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux. Ni la Convention ni ses Protocoles ne consacrent un droit à l'asile politique. Toutefois, dans l'exercice de leur droit d'expulser un étranger, les Etats contractants doivent se conformer à l'article 3 de la Convention, qui consacre l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques et prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la victime, aussi inacceptables ou dangereux soient-ils. L'expulsion d'un étranger par un Etat contractant peut soulever un problème au regard de l'article 3, donc engager la responsabilité de l'Etat en cause au titre de la Convention, lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on l'expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3. En pareils cas, cette disposition implique l'obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (voir, par exemple, Hilal c. Royaume-Uni, no 45276/99, § 59, CEDH 2001‑II, et Ahmed c. Autriche, 17 décembre 1996, §§ 38-41, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI).

136.  Pour établir une telle responsabilité, on ne peut éviter d'apprécier la situation dans le pays de destination à l'aune des exigences de l'article 3 (Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 67, CEDH 2005‑I). Pour déterminer s'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que le requérant courrait un risque réel de subir des traitements incompatibles avec l'article 3 en cas d'expulsion, la Cour s'appuie sur l'ensemble des éléments qu'on lui fournit ou, au besoin, qu'elle se procure d'office, en particulier lorsque le requérant – ou une partie intervenante au sens de l'article 36 de la Convention – fournit des éléments motivés propres à jeter un doute sur l'exactitude des informations sur lesquelles le gouvernement défendeur s'appuie. Pour ce qui est des éléments qu'elle se procure d'office, la Cour estime que, compte tenu de la nature absolue de la protection garantie par l'article 3, elle doit se convaincre que l'appréciation effectuée par les autorités de l'Etat contractant concerné est adéquate et suffisamment étayée par les données internes et par celles provenant d'autres sources fiables et objectives, comme par exemple d'autres Etats contractants ou non contractants, des agences des Nations unies et des organisations non gouvernementales réputées pour leur sérieux. Dans l'exercice de la mission de contrôle que lui confie l'article 19 de la Convention, la Cour adopterait une approche par trop étroite au regard de l'article 3 dans les affaires concernant des étrangers menacés d'expulsion ou d'extradition si, en sa qualité de juridiction internationale chargée de contrôler le respect des droits de l'homme, elle ne devait prendre en considération que les éléments fournis par les autorités internes de l'Etat contractant concerné, sans comparer ces éléments avec ceux provenant d'autres sources fiables et objectives. Cela implique par ailleurs que, pour apprécier la réalité dans le chef d'étrangers menacés d'expulsion ou d'extradition d'un risque allégué de traitements contraires à l'article 3, la Cour doit se livrer à un examen complet et ex nunc de la situation qui règne dans le pays de destination, cette situation pouvant changer au fil du temps. Dès lors que la responsabilité que l'article 3 fait peser sur les Etats contractants dans les affaires de cette nature tient à l'acte consistant à exposer un individu au risque de subir des mauvais traitements, l'existence de ce risque doit s'apprécier principalement par référence aux circonstances dont l'Etat en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l'expulsion (Vilvarajah et autres, précité, § 107). En l'espèce, le requérant n'ayant pas encore été expulsé, le moment pertinent est celui de l'examen de la cause par la Cour. Bien que les faits historiques revêtent un intérêt, dans la mesure où ils peuvent éclairer la situation actuelle et son évolution probable, ce sont les conditions actuelles qui sont déterminantes, et il est donc nécessaire de tenir compte des informations venues au jour après l'adoption par les autorités internes de la décision définitive dans la cause (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, §§ 86 et 97, Recueil 1996-V ; H.L.R. c. France, 9 avril 1997, § 37, Recueil 1997‑III, et Mamatkoulov et Askarov, précité, § 69).

137.  Pour tomber sous le coup de l'article 3, les mauvais traitements doivent atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause (voir, parmi beaucoup d'autres, Hilal, précité, § 60). En raison du caractère absolu du droit garanti, il n'est pas exclu que l'article 3 trouve aussi à s'appliquer lorsque le danger émane de personnes ou de groupes de personnes qui ne relèvent pas de la fonction publique. Encore faut-il démontrer que le risque existe réellement et que les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure d'y obvier par une protection appropriée (H.L.R. c. France, précité, § 40).

b)  Application au cas d'espèce

138.  La Cour observe d'emblée que le Gouvernement n'a pas l'intention d'expulser le requérant vers une partie de la Somalie autre que celles qu'il juge être « relativement sûres » et que le grief du requérant concerne son expulsion telle qu'envisagée par le Gouvernement. Aussi la question à trancher en l'espèce est-elle de savoir si une expulsion de l'intéressé vers l'une de ces zones « relativement sûres » violerait l'article 3.

139.  Il ressort du rapport le plus récent concernant la Somalie établi par le ministère néerlandais des Affaires étrangères que les zones actuellement jugées « relativement sûres » sont le Somaliland, le Puntland (à l'exception de la ville de Galkayo) et les îles au large de la côte sud de la Somalie (paragraphes 53, 70 et 76 ci-dessus). Les îles mises à part, cela correspond aux zones identifiées comme « sûres » par le HCR dans son document de position de janvier 2004 (paragraphe 100 ci-dessus). Les parties ont communiqué à la Cour, qui s'en est par ailleurs procuré elle-même, une quantité considérable d'informations relatives à la situation au Somaliland et au Puntland. Il en ressort que les territoires en question sont indubitablement plus stables et tranquilles d'une manière générale que le sud et le centre de la Somalie. Néanmoins, il existe une différence marquée entre la situation des individus originaires de ces régions et qui y ont des liens claniques et/ou familiaux et celle des individus originaires d'autres parties de la Somalie et qui n'ont pas semblables liens dans le Somaliland ou le Puntland. Sur la base des informations dont elle dispose, la Cour est prête à admettre que l'expulsion vers le Somaliland ou le Puntland de déboutés du droit d'asile appartenant au premier groupe n'exposerait normalement pas les individus concernés à un risque réel d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3. En ce qui concerne le second groupe, par contre, la Cour n'est pas convaincue que le rôle de la protection clanique dans les zones « relativement sûres » du pays ait diminué dans la mesure suggérée par le Gouvernement. Elle note à cet égard que, pour ce qui est de l'expulsion d'un ressortissant somalien vers une partie de la Somalie dont il ne serait pas originaire, le HCR estime que « les considérations relatives au système de clans qui prévaut en Somalie revêtent une importance cruciale » (paragraphes 100 et 102 ci-dessus). L'appartenance à un clan a par ailleurs été décrite comme le dénominateur commun le plus important de la sécurité personnelle sur l'ensemble du territoire somalien (paragraphe 105 ci-dessus), et donc pas uniquement dans les zones « relativement incertaines ».

140.  La Cour juge hautement improbable que le requérant, qui fait partie de la minorité ashraf – l'un des groupes composant le groupe minoritaire des Benadiri (ou Reer Hamar) (paragraphe 55 ci-dessus) – et qui est originaire du sud de la Somalie, serait en mesure d'obtenir la protection nécessaire d'un clan dans les zones « relativement sûres » (paragraphe 111 ci-dessus). D'après le rapport de novembre 2004 établi par les autorités néerlandaises, les individus qui ne sont pas originaires du Somaliland ou du Puntland et qui ne peuvent compter dans l'une de ces deux entités sur la protection d'un clan échouent quasi invariablement dans l'un des misérables campements réservés aux déplacés internes, sans aucune chance réelle de pouvoir s'intégrer (paragraphe 57 ci-dessus). Ils sont réputés occuper dans la société une situation marginale et isolée, qui les rend extrêmement vulnérables aux exactions (paragraphe 62 ci-dessus). De fait, il apparaît que les trois groupes les plus vulnérables en Somalie sont les déplacés internes, les minorités et les personnes de retour d'exil (paragraphe 100 ci-dessus). S'il devait être expulsé vers l'une de ces zones « relativement sûres », le requérant tomberait dans chacune des trois catégories. Il convient de noter à cet égard que, là encore d'après le Gouvernement, il y a tellement peu de Benadiri dans les zones « relativement sûres » qu'il n'est pas possible de s'exprimer de manière générale au sujet de leur situation dans ces zones (paragraphe 56 ci-dessus). La Cour considère toutefois qu'il n'est pas nécessaire d'examiner si les conditions que le requérant aurait probablement à affronter s'il devait être expulsé vers le Somaliland ou le Puntland sont telles qu'il se trouverait exposé à un risque réel d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 car elle estime que, pour les motifs indiqués ci-dessous, cette disposition met en tout état de cause obstacle à pareille expulsion.

141.  Dans son document de position de janvier 2004 et dans son avis de novembre 2005, le HCR exprime son opposition au renvoi forcé des déboutés du droit d'asile vers des parties de la Somalie dont ils ne seraient pas originaires, soulignant l'absence en Somalie d'une possibilité de fuite interne (paragraphes 100 et 102 ci-dessus). Il convient toutefois de noter qu'il ne ressort pas de la position du HCR que les individus concernés aient des raisons sérieuses de craindre d'être persécutés, au sens de l'article 1 de la Convention de 1951, dans les zones qu'il juge sûres. Ses préoccupations sont davantage centrées sur les effets déstabilisants que pourrait avoir un afflux d'expulsés de force sur la capacité d'absorption déjà dépassée du Somaliland et du Puntland, ainsi que sur le triste sort que connaissent les expulsés en cause. Si la Cour ne souhaite en aucune façon minimiser la pertinence aiguë des considérations socioéconomiques et humanitaires pour la question des renvois forcés de déboutés du droit d'asile vers telle ou telle région de leur pays d'origine, pareilles considérations n'ont pas nécessairement d'incidence et n'en ont certainement pas une déterminante sur le point de savoir si les personnes concernées seraient exposées à un risque réel de subir des traitements contraires à l'article 3 de la Convention dans les régions en question. De surcroît, l'article 3 n'empêche pas en soi les Etats contractants de prendre en considération l'existence d'une possibilité de fuite interne lorsqu'un individu allègue qu'un renvoi vers son pays d'origine l'exposerait à un risque réel de subir des traitements proscrits par cette disposition (Chahal, précité, § 98, et Hilal, précité, §§ 67-68). Cela étant, la Cour a précédemment jugé que le renvoi indirect d'un étranger dans un pays intermédiaire n'enlève rien à la responsabilité de l'Etat contractant expulsant de veiller à ce que l'intéressé ne se trouve pas exposé, du fait de son expulsion, à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention (T.I. c. Royaume-Uni (déc.), no 43844/98, CEDH 2000‑III). Elle n'aperçoit aucune raison de conclure autrement lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, l'expulsion doit avoir lieu non vers un pays intermédiaire, mais vers une région particulière du pays d'origine de la personne concernée. Elle estime que pour qu'un Etat puisse valablement invoquer l'existence d'une possibilité de fuite interne, certaines garanties doivent être réunies : la personne dont l'expulsion est envisagée doit être en mesure d'effectuer le voyage vers la zone concernée et d'obtenir l'autorisation d'y pénétrer et de s'y établir, faute de quoi il peut y avoir un problème sous l'angle de l'article 3, surtout si en l'absence de pareilles garanties la possibilité existe que la personne concernée échoue dans une partie de son pays d'origine où elle risque de subir des mauvais traitements.

142.  La Cour observe que les autorités du Somaliland ont édicté un décret – qui, il est vrai, n'a pas encore été mis en application – ordonnant à l'ensemble des personnes déplacées non originaires du Somaliland de quitter le pays et qu'il apparaît que les autorités du Puntland ont commencé à exprimer leur hostilité à l'établissement sur leur territoire de personnes non originaires du Puntland et qu'elles ont précisé que désormais elles n'admettraient plus sur le territoire qu'elles contrôlent que les personnes qui appartiennent au même clan ou qui résidaient auparavant dans la région (paragraphes 59, 71, 81, 100-101 et 111 ci-dessus). De surcroît, et cela est plus important, les autorités des deux entités ont informé le gouvernement défendeur de leur opposition au retour forcé, dans le cas du Somaliland, des personnes non originaires du Somaliland et, dans le cas du Puntland, des « réfugiés (...) [que les autorités néerlandaises renvoyaient] sans se préoccuper de savoir de quelle partie de la Somalie les personnes concernées étaient originaires et sans solliciter d'abord l'acceptation ou le consentement préalable » des autorités du Puntland. De surcroît, tant les autorités du Somaliland que celles du Puntland ont fait savoir qu'elles n'acceptaient pas le document de voyage de l'UE (paragraphes 91 et 93 ci-dessus).

143.  Tandis qu'il apparaît que la position adoptée par les autorités du Somaliland et du Puntland a conduit le gouvernement britannique à s'abstenir d'expulser vers ces entités les déboutés du droit d'asile appartenant au clan des Benadiri (paragraphe 111 ci-dessus)[5], le gouvernement néerlandais considère que pareilles expulsions sont possibles et a indiqué que dans le cas où une personne expulsée se verrait refuser l'entrée sur le territoire de son pays d'origine elle serait autorisée à revenir aux Pays-Bas. Tenant compte de ce que d'après des informations fournies par le gouvernement néerlandais les Somaliens, eu égard à la rareté des contrôles effectués aux frontières de l'Etat, peuvent librement entrer dans leur pays et en sortir, la Cour admet que le gouvernement néerlandais pourrait fort bien parvenir à faire entrer le requérant soit au Somaliland soit au Puntland (même si suivant un rapport récent de la BBC (paragraphe 113 ci-dessus) la chose n'est pas certaine). Toutefois, cela ne garantit en aucune manière que le requérant, une fois sur place, obtiendrait l'autorisation ou serait en mesure de demeurer sur le territoire en question et, comme aucun contrôle du sort que connaissent les déboutés du droit d'asile renvoyés en Somalie n'est effectué, le Gouvernement n'aurait aucun moyen de vérifier si le requérant a ou non réussi à se faire admettre sur le territoire. Compte tenu de la position adoptée par les autorités du Puntland et, en particulier, du Somaliland, il semble plutôt improbable à la Cour que le requérant réussisse à obtenir l'autorisation de s'établir dans l'une de ces entités. En conséquence, il existe un risque réel que l'intéressé soit refoulé ou qu'il n'ait d'autre choix que de gagner l'une des zones du pays que tant le gouvernement défendeur que le HCR jugent incertaines.

144.  En ce qui concerne les îles au large de la côte sud de la Somalie, que le Gouvernement estime « relativement sûres », la Cour relève que celles-ci sont habitées par des membres du clan Darod/Marehan et par des membres d'une minorité différente de celle à laquelle le requérant appartient. Nul ne soutient que le requérant serait à même d'y obtenir la protection d'un clan. Comme pour le Somaliland et le Puntland, rien ne garantit que le requérant serait en mesure de s'y établir, sans compter que les îles ne peuvent être atteintes que via des territoires « relativement incertains » (paragraphes 60 et 87 ci-dessus).

145.  Aussi convient-il d'examiner la question de savoir si, au cas où le requérant échouerait dans une zone de la Somalie autre que le Somaliland ou le Puntland, il courrait un risque réel d'être exposé à des traitements contraires à l'article 3. La Cour a conscience à cet égard que le Gouvernement ne juge pas telle ou telle zone de Somalie « relativement incertaine » à cause d'un risque quelconque que des individus pourraient y courir d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention, mais à cause de l'existence d'une situation générale telle que, de l'avis du ministre de l'Immigration et de l'Intégration, une expulsion vers l'une de ces zones constituerait une mesure d'une rigueur exceptionnelle.

146.  La Cour considère que le traitement auquel le requérant affirme avoir été soumis avant son départ de Somalie peut être qualifié d'inhumain au sens de l'article 3 de la Convention : des membres d'un clan l'auraient frappé à coups de poing et à coups de pied, ils l'auraient volé, intimidé et harcelé à de nombreuses reprises et ils lui auraient imposé des travaux de force. Des membres du même clan auraient par ailleurs tué son père et violé sa sœur (paragraphes 7-9 et 12-13 ci-dessus). La Cour relève que la vulnérabilité particulière – et persistante – à pareilles violations des droits de l'homme qui caractérise les membres des minorités telles que la minorité ashraf est bien établie (voir, par exemple, les paragraphes 103-104 ci-dessus).

147.  Alors que les autorités néerlandaises ont estimé que les problèmes rencontrés par le requérant devaient être regardés comme une conséquence de la situation généralement instable de la Somalie, où des gangs criminels intimident et menacent souvent, mais de façon non ciblée, les habitants (paragraphes 28 et 35 ci-dessus), la Cour considère quant à elle que cela ne suffit pas pour faire échapper au champ d'application de l'article 3 les traitements infligés au requérant. Ainsi qu'il a été rappelé au paragraphe 137 ci-dessus, l'existence de l'obligation de ne pas expulser ne dépend pas du point de savoir si le risque de subir des mauvais traitements résulte de facteurs qui impliquent la responsabilité directe ou indirecte des autorités du pays de réception, et l'article 3 peut donc également trouver à s'appliquer à des situations où le danger émane de personnes ou de groupes de personnes qui ne sont pas des agents de l'Etat (voir également T.I. c. Royaume-Uni, décision précitée). Ce qui importe dans ce contexte, c'est la question de savoir si le requérant était en mesure d'obtenir une protection contre les actes perpétrés contre lui et de les faire redresser. La Cour estime que tel n'était pas le cas. De surcroît, eu égard aux informations disponibles (voir, par exemple, les paragraphes 100-102, 108 et 111-112 ci-dessus), la Cour est loin d'être persuadée que la situation ait connu une amélioration à ce point substantielle que l'on pourrait considérer que le risque pour le requérant d'être à nouveau soumis aux mêmes traitements a disparu ou que l'intéressé serait aujourd'hui en mesure d'obtenir la protection des autorités (locales). Dans ces conditions, rien n'indique que le requérant se retrouverait dans une situation significativement différente de celle qu'il avait fuie (Ahmed, précité, § 44).

148.  La Cour juge par ailleurs opportun de se pencher sur l'appréciation des autorités nationales selon laquelle les traitements subis par le requérant lui auraient été infligés sans qu'il eût été pris personnellement pour cible. Il ressort du récit livré par l'intéressé que lui et sa famille étaient visés au motif qu'ils appartenaient à une minorité, raison pour laquelle ils étaient réputés n'avoir aucun moyen de protection ; ils constituaient une proie facile, au même titre que les trois autres familles ashraf qui vivaient dans le même village (paragraphe 7 ci-dessus). La Cour ajoute que l'on ne saurait obliger le requérant à établir l'existence d'autres caractéristiques particulières qui le distingueraient personnellement pour démontrer qu'il était et continue d'être personnellement en danger. Il est vrai à cet égard qu'une simple possibilité de mauvais traitements ne suffit pas à faire conclure à une violation de l'article 3. Pareille situation caractérisait l'affaire Vilvarajah et autres (précitée), où la Cour, après avoir établi que la possibilité d'être arrêté et de subir des mauvais traitements existait pour les jeunes Tamouls de sexe masculin qui retournaient au Sri Lanka, avait souligné qu'il incombait aux requérants de démontrer l'existence dans leur cas de caractéristiques distinctives particulières qui auraient permis ou auraient dû permettre aux autorités britanniques de prévoir qu'il seraient traités d'une manière incompatible avec l'article 3 (arrêt précité, §§ 111‑112). En l'espèce, toutefois, la Cour considère, sur la base du récit du requérant et des informations disponibles quant à la situation des membres de la minorité ashraf dans les zones « relativement incertaines » de la Somalie, que l'on peut prédire qu'une fois rentré dans son pays le requérant serait exposé à des traitements contraires à l'article 3. La protection offerte par cette disposition pourrait être rendue illusoire si, au-delà de son appartenance à la minorité ashraf, que le Gouvernement ne conteste pas, le requérant devait être tenu de démontrer l'existence d'autres caractéristiques distinctives particulières.

149.  Les considérations qui précèdent suffisent pour permettre à la Cour de conclure que l'expulsion du requérant vers la Somalie telle qu'envisagée par le gouvernement défendeur violerait l'article 3 de la Convention.

(...)

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

(...)

2.  Dit que l'expulsion du requérant vers la Somalie violerait l'article 3 de la Convention ;

(...)

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 11 janvier 2007, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Vincent BergerBoštjan M. Zupančič
GreffierPrésident


[1].  « Mise à l’épreuve, partie 2, Sources du rapport relatif à la Somalie établi par le ministère néerlandais des Affaires étrangères, analyse du Conseil néerlandais des réfugiés », février 2005, pp. 4-5.

[2].  Mesure provisoire indiquée le 30 avril 2004 dans le cadre de la requête no 15243/04, Barakat Saleh c. Pays-Bas.

[3].  Mesure provisoire indiquée le 31 août 2004 dans le cadre de la requête no 20218/04, Hassan Abukar c. Pays-Bas.

[4].  K. Menkhaus est professeur de sciences politiques au Davidson College, USA. Spécialiste de la Somalie, il travaille souvent comme consultant pour les Nations unies, pour des ONG et pour le gouvernement américain.

[5].  On peut également renvoyer à cet égard au paragraphe 6 du principe directeur no 2 sur le « retour forcé » (vingt directives adoptées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 4 mai 2005), en vertu duquel une décision d’éloignement ne devrait pas être exécutée si les autorités de l’Etat d’accueil apprennent que l’Etat de retour refuse de réadmettre la personne concernée.

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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE SALAH SHEEKH c. PAYS-BAS, 11 janvier 2007, 1948/04