CEDH, Cour (première section), AFFAIRE ICHTIGIAROGLOU c. GRECE, 19 juin 2008, 12045/06

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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CEDH · 16 décembre 2008

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 19 juin 2008, n° 12045/06
Numéro(s) : 12045/06
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Aubert et autres c. France, n° 31501/03, 31870/03, 13045/04, 13076/04, 14838/04, 17558/04, 30488/04, 45576/04 et 20389/05, 9 janvier 2007
Beyeler c. Italie [GC], n° 33202/96, § 100, CEDH-2000-I
Broniowski c. Pologne [GC], n° 31443/96, § 129, CEDH 2004-V
Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], n° 73049/01, § 65, CEDH 2007-
Papageorgiou c. Grèce, arrêt du 22 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 2288, § 37
Draon c. France [GC], n° 1513/03, 6 octobre 2005
Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII
Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], n° 39794/98, § 69, CEDH 2002-VII
Iatridis c. Grèce [GC], n° 31107/96, § 54, CEDH 1999-II
Smokovitis et autres c. Grèce, n° 46356/99, 11 avril 2002
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Violation de P1-1 ; Partiellement irrecevable ; Dommage matériel - réparation ; Préjudice moral - réparation
Identifiant HUDOC : 001-87098
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2008:0619JUD001204506
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ICHTIGIAROGLOU c. GRÈCE

(Requête no 12045/06)

ARRÊT

STRASBOURG

19 juin 2008

DÉFINITIF

01/12/2008

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Ichtigiaroglou c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente,
Christos Rozakis,
Khanlar Hajiyev,
Dean Spielmann,
Sverre Erik Jebens,
Giorgio Malinverni,
George Nicolaou, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mai 2008,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 12045/06) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Olga Ichtigiaroglou (« la requérante »), a saisi la Cour le 20 mars 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  La requérante est représentée par Mes G. Lefkopoulos et D. Papaioannou, avocats au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, MM. K. Georgiadis, assesseur auprès du Conseil juridique de l’Etat, et I. Bakopoulos, auditeur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3.  Le 2 avril 2007, la Cour a décidé de communiquer au Gouvernement les griefs tirés de la durée de la procédure et de l’inobservation du droit au respect des biens. Se prévalant de l’article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4.  La requérante est née en 1922 et réside à Thessalonique.

A.  Le contexte de l’affaire

5.  La requérante avait travaillé comme salariée du secteur privé à Istanbul, de 1950 à 1965. Contrainte de quitter la Turquie, elle s’est installée de manière définitive à Thessalonique en avril 1965.

6.  Le 29 juin 1981, la requérante déposa auprès de l’Organisme de sécurité sociale (Ιδρυμα Κοινωνικων Ασφαλισεων, ci-après « l’IKA ») une demande afin de se voir reconnaître titulaire d’un droit à une pension de vieillesse et d’obtenir la validation en Grèce après rachat des annuités d’assurance versées par elle en Turquie, en vertu de l’article 5 du décret-loi no 4377/1964. Sa demande fut rejetée comme tardive, au motif qu’elle avait été déposée après l’expiration du délai impératif d’un an à compter de la date de l’installation définitive de l’intéressée en Grèce, tel qu’il était prévu par la législation pertinente (décrets-lois nos 4377/1964 et 4378/1964). Le rejet de sa demande fut définitivement confirmé par l’arrêt nº 2377/1985 du Conseil d’Etat.

7.  En 1992, le Parlement grec vota une loi nº 2079/1992 (paragraphe 32 ci-dessous), dont l’article 23 supprimait le délai prévu par la législation précédente et donnait l’occasion aux intéressés de déposer des nouvelles demandes auprès de l’IKA.

B.  Les démarches faites par la requérante auprès des autorités et des juridictions administratives pour obtenir la reconnaissance de son droit à une pension de vieillesse

8.  Le 25 février 1993, en vertu de la nouvelle loi nº 2079/1992, la requérante déposa auprès de l’IKA une demande tendant à ce que les annuités d’assurance fussent validées après rachat.

9.  Le 18 novembre 1993, le sous-directeur du bureau de l’IKA à Thessalonique rejeta la demande au motif que la loi nº 2079/1992 ne concernait que les Grecs résidant en Turquie et ne s’appliquait pas à ceux qui s’étaient installés en Grèce entre-temps et dont les demandes avaient été rejetées.

10.  Le 8 décembre 1993, la requérante saisit, par la voie hiérarchique, l’autorité administrative de recours en la matière, à savoir le comité local administratif (Τοπική Διοικητική Επιτροπή) du bureau de l’IKA.

11.  Le 8 février 1994, le Parlement grec vota la loi nº 2187/1994, dont l’article 9 portait rétroactivement modification de l’article 23 de la loi nº 2079/1992 (paragraphe 33 ci-dessous). Selon la nouvelle disposition, seules les personnes qui résidaient de manière permanente en Turquie pouvaient bénéficier de la suppression du délai prévu par la législation précédente et déposer une demande auprès de l’IKA.

12.  Le 21 juin 1994, le comité local déclara le recours de la requérante irrecevable au motif que l’acte attaqué, rendu à titre d’information et dépourvu de caractère exécutoire, ne pouvait pas faire l’objet d’un recours devant lui (décision nº 607/1994).

13.  Le 10 octobre 1994, la requérante saisit les juridictions administratives d’un recours en annulation de la décision nº 607/1994.

14.  Le 31 juillet 1995, après avoir considéré que l’acte du sous-directeur de l’IKA avait un caractère exécutoire, le tribunal administratif de première instance de Thessalonique annula la décision attaquée et renvoya l’affaire devant le comité local pour que celui-ci statuât sur le fond de la demande de la requérante (jugement nº 3923/1995).

15.  Le 16 janvier 1996, le comité local rejeta la demande, au motif qu’en vertu de l’article 9 de la loi nº 2187/1994, la loi nº 2079/1992 ne s’appliquait pas dans le cas de la requérante puisque celle-ci ne résidait plus en Turquie (décision nº 63/1996).

16.  Le 29 avril 1996, la requérante saisit à nouveau les juridictions administratives d’un recours en annulation du rejet de sa demande par le comité local.

17.  Le 27 novembre 1996, le tribunal administratif de première instance de Thessalonique fit droit à la demande de la requérante et annula la décision attaquée. En particulier, après avoir considéré que l’application rétroactive de l’article 9 de la loi nº 2187/1994 était contraire à la Constitution, le tribunal conclut que la demande de la requérante tombait dans le champ d’application de l’article 23 de la loi nº 2079/1992 et il renvoya l’affaire devant le comité local afin que celui-ci examinât si les autres conditions établies par la législation se trouvaient réunies (décision nº 4669/1996).

18.  Le 7 mai 1997, l’IKA interjeta appel de cette décision.

19.  Le 17 décembre 1998, la cour administrative d’appel de Thessalonique confirma la décision attaquée. En particulier, elle considéra que l’article 23 de la loi nº 2079/1992, qui avait supprimé les délais prévus pour déposer une demande auprès de l’IKA, ne s’appliquait pas seulement aux personnes d’origine grecque qui avaient leur résidence permanente en Egypte ou en Turquie mais concernait également celles qui s’étaient installées définitivement en Grèce. De plus, elle constata qu’en établissant une nouvelle condition d’applicabilité, à savoir la résidence permanente en Turquie ou en Egypte, l’article 9 de la loi nº 2187/1994 portait modification ex nunc de l’article 23 de la loi nº 2079/1992 et ne pouvait pas s’assimiler à une interprétation authentique à effet rétroactif (article 77 de la Constitution). Selon la cour d’appel, la requérante pouvait donc se voir appliquer l’article 23 de la loi nº 2079/1992, même si le 25 février 1993, date à laquelle elle avait déposé sa demande, elle ne résidait plus en Turquie (arrêt nº 1948/1998).

20.  Le 18 juin 1999, la requérante demanda au comité local de l’IKA de valider les annuités d’assurance versées par elle en Turquie après rachat conformément à l’arrêt nº 1948/1998 de la cour d’appel de Thessalonique. Le 7 décembre 2000, par la décision nº 924/2000, le comité local accueillit la demande de la requérante et reconnut celle-ci titulaire d’un tel droit. Les 2 août et 23 octobre 2002, en application de cette décision, les annuités d’assurance versées par la requérante furent calculées, le montant de rachat fut fixé à 8 842,85 euros et une pension fut allouée rétroactivement à l’intéressée à partir du 24 juin 1999 (décisions du directeur du bureau de l’IKA nos 12467/2002 et 25871/2002).

21.  Entre-temps, le 1er juin 1999, l’IKA se pourvut en cassation contre l’arrêt nº 1948/1998 ; il soutenait que la loi nº 2187/1994 excluait expressis verbis l’application rétroactive de la loi nº 2079/1992 sur les demandes de rachat des annuités d’assurance.

22.  L’audience devant le Conseil d’Etat fut initialement fixée au 25 novembre 2002, puis reportée d’office à sept reprises. Le 14 février 2005, le Conseil d’Etat infirma l’arrêt attaqué. La haute juridiction administrative considéra que l’article 9 de la loi nº 2187/1994, qui donnait une interprétation authentique, modifiait et complétait la loi nº 2079/1992, s’appliquait rétroactivement. A ce titre, elle cita deux arrêts rendus en 2004, dans lesquels elle était arrivée à la même conclusion (paragraphe 35 ci-dessous). En confirmant que la disposition litigieuse excluait du champ d’application de la loi nº 2079/1992 les demandes de rachat d’annuités d’assurance déposées par des personnes qui ne résidaient pas en Egypte ou en Turquie, le Conseil d’Etat renvoya l’affaire devant la cour d’appel afin que celle-ci se prononçât in concreto sur la demande de la requérante à la lumière des considérations susmentionnées (arrêt nº 370/2005).

23.  Le 29 novembre 2006, se fondant sur la motivation de l’arrêt nº 370/2005 du Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel de Thessalonique infirma la décision nº 4669/1996 du tribunal administratif de première instance et rejeta la demande de la requérante (arrêt nº 2621/2006).

C.  Les actions entreprises par l’IKA à l’encontre de la requérante

1.  La procédure en annulation de la décision ayant validé les annuités d’assurance versées par la requérante en Turquie

24.  Les 21 mars et 27 avril 2001, l’IKA saisit les juridictions administratives d’un recours en annulation de la décision nº 924/2000 ainsi que d’une demande de sursis à exécution de cette décision. Il contestait en particulier les justificatifs que la requérante avait fournis à l’appui de sa demande.

25.  Le 23 octobre 2001, le tribunal administratif de première instance de Thessalonique rejeta la demande de sursis à exécution (jugement nº 603/2001). Par la suite, le 21 novembre 2002, le tribunal repoussa le recours de l’IKA et confirma la décision attaquée (arrêt nº 3597/2002). Le 17 avril 2003, l’IKA fit appel. Le 30 juin 2005, la cour d’appel de Thessalonique rejeta l’appel de l’IKA (arrêt nº 1646/2005). Le 30 mars 2006, l’IKA se pourvut en cassation. L’affaire est actuellement pendante devant le Conseil d’Etat.

2.  La révocation des décisions accordant à la requérante une pension de vieillesse

26.  Les 20 avril et 29 mai 2007, se fondant sur l’arrêt nº 370/2005 du Conseil d’Etat, le directeur de l’IKA révoqua les décisions nos 12467/2002 et 25871/2002 qui avaient reconnu à la requérante un droit de pension de vieillesse (décisions nos 104632/2007 et 14306/2007).

27.  En juillet 2007, l’IKA cessa le versement de la pension litigieuse.

28.  Le 2 octobre 2007, la requérante fut sommée de verser à l’IKA les sommes qu’elle avait perçues à titre de pension du 24 juin 1999 à juillet 2007, majorées d’intérêts, soit un montant de 48 495,04 euros.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.  La Constitution

29.  L’article 77 de la Constitution grecque est ainsi libellé :

« 1. L’interprétation de lois par voie d’autorité incombe au pouvoir législatif.

2. Une loi qui en réalité n’est pas interprétative ne produit ses effets qu’à partir de sa publication. »

B.  Les décrets-lois nos 4377/1964 et 4378/1964 relatifs aux mesures de protection des ressortissants grecs et des personnes d’origine grecque en provenance d’Egypte et de Turquie

30.  L’article 5 du décret-loi no 4377/1964 dispose:

« 1. Les personnes visées au paragraphe 1 de l’article premier du présent décret ont le droit d’être assurées auprès des organismes de sécurité́ sociale pour ce qui concerne la sécurité́ sociale principale et subsidiaire existant en Grèce, conformément aux dispositions en vigueur desdits organismes, à raison de leurs activités professionnelles dans la province méridionale de la République Arabe Unie [Egypte], sur la base d’une demande qui doit être introduite impérativement auprès de l’organisme compétent dans le délai d’un an à compter de la publication du présent décret ou à compter de la date de leur arrivée en Grèce, si cette date est postérieure à la publication du présent décret.

2. Les personnes assurées en vertu du paragraphe 1 du présent article sont habilitées, quelles que soient les dispositions existantes, à voir valider ou à racheter, en tout ou en partie, le temps effectif des prestations qu’elles ont effectuées dans le cadre de la même activité professionnelle dans la province méridionale de la République Arabe Unie, même si pareille validation ou pareil rachat ne sont pas prévus par les dispositions en vigueur. La demande de validation ou de rachat doit être présentée dans le délai prescrit au paragraphe 1 du présent article, le rachat se faisant sur la base du paiement par l’intéressé́ des cotisations pertinentes de l’assuré et de l’employeur, lorsque ce dernier est également tenu de cotiser, telles qu’elles sont fixées au moment où la demande est introduite.

(...) »

31.  En vertu du décret-loi no 4378/1964, les dispositions du décret-loi no 4377/1964 ont été étendues aux ressortissants grecs et aux personnes d’origine grecque qui avaient déjà été expulsés de Turquie ou étaient sur le point de l’être, ainsi qu’à ceux d’entre eux qui étaient contraints de quitter la Turquie parce qu’ils ne pouvaient obtenir de permis de travail ou que leur permis de séjour n’avait pas été renouvelé.

C.  La loi nº 2079/1992

32.  L’article 23 de la loi nº 2079/1992 dispose que :

« 1. Les délais prévus par les décrets-lois nos 4377/1964 et 4378/1964 et qui avaient expiré (...), sont prorogés indéfiniment (...)

2. A compter de l’entrée en vigueur de la disposition (...) sont supprimées les limitations à l’applicabilité des décrets-lois nos 4377/1964 et 4378/1964 prévues par le paragraphe 1 de l’article 1 ainsi que par les paragraphes 1 et 2 de l’article 5 (...) du décret-loi nos 4377/1964. »

D.  La loi nº 2187/1994

33.  L’article 9 de la loi nº 2187/1994 est ainsi libellé :

« 1. A la fin du paragraphe 2 de l’article 23 de la loi nº 2079/1992 sont ajoutées les dispositions suivantes : «  (...) Pour que les paragraphes 1 et 2 du présent article soient applicables, il faut que les personnes qui y sont visées aient leur résidence permanente et constante dans les pays énoncés dans ces dispositions.

(...)

3. Le présent article sera réputé être entré en vigueur en même temps que la loi nº 2079/1992. »

E.  La jurisprudence des juridictions administratives

34.  Dans de nombreuses affaires portant sur des demandes de validation des annuités d’assurance versées en Turquie ou en Egypte, les juridictions administratives du fond ont fait droit aux intéressés en considérant que, malgré son paragraphe 3, l’article 9 de la loi nº 2187/1994 n’interprétait pas de manière authentique l’article 23 de la loi nº 2079/1992 et que, par conséquent, cette dernière disposition s’appliquait également aux personnes d’origine grecque qui s’étaient installées définitivement en Grèce (voir, à titre indicatif, ΔΕφΑθ 5862/1999, ΔΕφΑθ 4485/1999, ΔΕφΑθ 4263/1999, ΔΕφΑθ 4459/1998, ΔΕφΠειρ 1175/1999, ΔΕφΠειρ 1048/2001, ΔΕφΠειρ 18/2003 et ΔΕφΘεσ 1048/2001).

35.  Le Conseil d’Etat s’est prononcé pour la première fois sur le caractère rétroactif de l’article 9 de la loi nº 2187/1994 par les arrêts nos 1297/2004 et 1298/2004. Il a considéré que la disposition litigieuse s’appliquait rétroactivement puisqu’il interprétait de manière authentique la loi nº 2079/1992. Selon la haute juridiction, cette interprétation était conforme à l’article 77 de la Constitution et entraînait la non-application de la loi nº 2079/1992 aux demandes déposées par des personnes qui ne résidaient pas de manière permanente en Egypte ou en Turquie. Tous les arrêts rendus par la suite par le Conseil d’Etat sont fidèles à cette jurisprudence (voir, parmi de nombreux arrêts, ΣτΕ 1997/2006, ΣτΕ 1927/2005, ΣτΕ 1703/2005, ΣτΕ 1705/05 et ΣτΕ 2000/2004).

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION À RAISON DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE

36.  La requérante se plaint que la durée de la procédure devant les autorités et les juridictions administratives ait méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

37.  Le Gouvernement combat cette thèse et soutient que la durée de la procédure n’est pas déraisonnable, compte tenu de la complexité de l’affaire.

38.  La procédure litigieuse a débuté le 8 décembre 1993, avec la saisine du comité local administratif du bureau de l’IKA – démarche indispensable pour que la requérante pût soumettre son litige au tribunal administratif compétent (voir, en ce sens, Paskhalidis et autres c. Grèce, arrêt du 19 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, p. 486, § 33) –, et a pris fin le 29 novembre 2006 avec l’arrêt nº 2621/2006 de la cour administrative d’appel de Thessalonique. La période à considérer s’étale donc sur plus de douze ans et onze mois pour trois degrés de juridiction.

A.  Sur la recevabilité

39.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

40.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], nº 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

41.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).

42.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 à raison de la durée de la procédure engagée par la requérante devant les juridictions administratives.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE Nº 1

43.  La requérante se plaint d’une atteinte à son droit au respect de ses biens. Elle invoque à ce titre l’article 1 du Protocole nº 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A.  Thèses des parties

1.  Le Gouvernement

44.  Le Gouvernement rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’article 1 du Protocole nº 1 ne protège que les biens « actuels ». Or, selon lui, cette disposition n’est pas applicable à la situation juridique de la requérante, puisque cette dernière ne dispose pas d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole nº 1. En effet, pour le Gouvernement, aux termes de la loi nº 2079/1992 telle qu’amendée par la loi nº 2187/1994, la requérante n’avait aucun droit d’obtenir la validation des annuités d’assurance versées en Turquie puisqu’elle ne remplissait pas les conditions prévues par cette législation. Ce qu’aurait d’ailleurs confirmé l’arrêt nº 370/2005 du Conseil d’Etat. Le fait que les juridictions du fond ont initialement donné gain de cause à la requérante serait sans importance car ces jugements n’auraient pas été définitifs et n’auraient donc pas eu l’autorité de la chose jugée.

45.  Le Gouvernement considère également que la requérante ne peut pas se placer non plus sur le terrain de l’« espérance légitime » qui repose non sur le simple espoir d’être indemnisé mais sur une certitude d’obtenir gain de cause. Se fondant sur l’arrêt Kopecký c. Slovaquie ([GC], no 44912/98, CEDH 2004‑IX), il souligne que la jurisprudence bien établie du Conseil d’Etat était défavorable à la requérante qui ne pouvait pas légitimement croire à l’existence d’un droit acquis.

46.  De surcroît, le Gouvernement soutient que l’interprétation et l’application de la loi nº 2187/1994 ont été opérées dans le cadre de la procédure litigieuse et ne constituaient pas une ingérence ex post du pouvoir législatif dans l’administration de la justice. En tout état de cause, il ne serait pas interdit au pouvoir législatif de réglementer, par de nouvelles dispositions, des droits découlant de lois antérieurement en vigueur.

2.  La requérante

47.  La requérante soutient qu’avant l’adoption de la loi nº 2187/1994, l’article 23 de la loi nº 2079/1992, lu à la lumière de la législation précédente, constituait une base légale suffisante et solide lui reconnaissant le droit à une pension de vieillesse et à la validation des annuités d’assurance versées par elle en Turquie. Ces droits auraient d’ailleurs été confirmés par les jugements nos  4669/1996 et 1948/1998 des juridictions administratives du fond. La requérante conteste l’argument du Gouvernement selon lequel il y avait une jurisprudence défavorable bien établie du Conseil d’Etat. Les premiers arrêts rejetant des demandes similaires auraient été rendus par le Conseil d’Etat en 2004 alors que, jusqu’à cette date, les juridictions administratives du fond auraient fait droit aux demandes des intéressés et refusé d’appliquer rétroactivement la loi nº 2187/1994. En conséquence, vu la formulation de l’article 23 de la loi nº 2079/1992 et la jurisprudence des juridictions administratives, la requérante aurait eu une « espérance légitime » d’obtenir gain de cause et, partant, elle aurait été titulaire d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole nº 1.

48.  La requérante conclut que la loi nº 2187/1994 a fait disparaître rétroactivement sa créance d’obtenir la pension litigieuse, bien qu’elle remplît les conditions antérieurement applicables, et que cette ingérence a rompu l’équilibre requis entre les exigences de l’intérêt général et le respect de son droit au respect de ses biens.

B.  Appréciation de la Cour

49.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut alléguer une violation de l’article 1 du Protocole nº 1 que dans la mesure où les décisions qu’il incrimine se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition. La notion de « bien » a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante par rapport aux qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette disposition. Dans chaque affaire, il importe d’examiner si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire d’un intérêt substantiel protégé par l’article 1 du Protocole no 1 (Iatridis c. Grèce [GC], nº 31107/96, § 54, CEDH 1999‑II, Beyeler c. Italie [GC], nº 33202/96, § 100, CEDH-2000-I, et Broniowski c. Pologne [GC], nº 31443/96, § 129, CEDH 2004-V).

50.  L’article 1 du Protocole nº 1 ne vaut que pour les biens actuels. Un revenu futur ne peut ainsi être considéré comme un « bien » que s’il a déjà été gagné ou s’il fait l’objet d’une créance certaine. En outre, l’espoir de voir reconnaître un droit de propriété que l’on est dans l’impossibilité d’exercer effectivement ne peut pas non plus être considéré comme un « bien » et il en va de même d’une créance conditionnelle s’éteignant du fait de la non-réalisation de la condition (Gratzinger et Gratzingerova c. République tchèque (déc.) [GC], nº 39794/98, § 69, CEDH 2002-VII).

51. Cependant, dans certaines circonstances, l’« espérance légitime » d’obtenir une valeur patrimoniale peut également bénéficier de la protection de l’article 1 du Protocole no 1. Ainsi, lorsque l’intérêt patrimonial est de l’ordre de la créance, l’on peut considérer que l’intéressé dispose d’une espérance légitime si un tel intérêt présente une base suffisante en droit interne, par exemple lorsqu’il est confirmé par une jurisprudence bien établie des tribunaux (Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 65, CEDH 2007-...).

52. Pour juger en l’espèce de l’existence d’un bien, la Cour peut avoir égard au droit interne en vigueur lors de l’ingérence alléguée. De l’avis de la Cour, le 25 février 1993, date à laquelle elle a demandé pour la première fois auprès de l’IKA une pension de vieillesse, la requérante détenait une créance qu’elle pouvait voir se concrétiser, conformément à l’article 23 de la loi nº 2079/1992. Il ressort tant des jugements nos 4669/1996 et 1948/1998 rendus en l’espèce que d’autres arrêts rendus dans le cadre de litiges similaires (paragraphe 34 ci-dessus) que les juridictions administratives continuaient à appliquer cette disposition malgré l’adoption de la loi nº 2187/1994, à laquelle elles refusaient de donner un effet rétroactif. Ce n’est qu’en 2004, à savoir plus de dix ans après l’introduction de la demande de la requérante auprès de l’IKA, que le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction interne compétente, a pour la première fois statué sur l’interprétation et l’application de la législation litigieuse (paragraphe 35 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, la requérante a disposé, près de douze ans, d’un « bien » au sens de la première phrase de l’article 1 du Protocole nº 1 à la Convention, lequel s’applique dès lors en l’espèce.

53.  La question se pose donc de savoir si la suppression du droit de la requérante à une pension de vieillesse a porté atteinte à son droit au respect de ses biens, au sens de l’article 1 du Protocole no 1.

54.  La Cour note que, en l’espèce, la requérante avait sollicité une pension de vieillesse en vertu de la loi nº 2079/1992. Malgré l’adoption de la loi nº 2187/1994, elle fut reconnue titulaire, moyennent rachat des annuités versées par elle en Turquie (voir paragraphe 20 ci-dessus), d’une telle pension par deux décisions de justice rendues en première instance et en appel et elle a commencé à percevoir les sommes allouées à titre de pension à partir du 24 juin 1999. Entre-temps, les juridictions administratives ont rejeté tous les recours par lesquels l’IKA contestait ce droit. Plus de onze ans après sa demande initiale, le Conseil d’Etat, par son arrêt nº 370/2005, a considéré que la requérante n’avait pas le droit de percevoir la pension litigieuse en raison de l’effet rétroactif de la loi nº 2187/1994. De plus, la Cour note qu’en 2007, l’IKA a décidé de réclamer à l’intéressée un montant de 48 500 euros environ correspondant aux sommes qu’elle avait perçues à titre de pension, majorées d’intérêts.

55.  A titre préliminaire, la Cour attache une importance toute particulière à l’adoption de la loi nº 2187/1994 avec effet rétroactif (voir dans le même sens Aubert et autres c. France, nos 31501/03, 31870/03, 13045/04, 13076/04, 14838/04, 17558/04, 30488/04, 45576/04 et 20389/05, 9 janvier 2007, Draon c. France [GC], nº 1513/03, 6 octobre 2005, et Smokovitis et autres c. Grèce, nº 46356/99, 11 avril 2002). En effet, même si elle accepte qu’en principe il n’est pas interdit au pouvoir législatif de réglementer, par de nouvelles dispositions, des droits découlant de lois antérieurement en vigueur (voir Papageorgiou c. Grèce, arrêt du 22 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 2288, § 37), la Cour relève toutefois qu’une telle intervention législative doit être justifiée par d’impérieux motifs d’intérêt général, ainsi que l’exige, notamment, le principe de la prééminence du droit.

56.  En l’espèce, même si la légitimité et la conformité de l’article 9 de la loi nº 2187/1994 avec les principes susmentionnés lui paraissent fort contestables, la Cour souligne toutefois que l’adoption de la loi litigieuse n’a pas en elle-même privé la requérante d’une « valeur patrimoniale » préexistante et faisant partie de ses « biens ». En effet, en dépit de son adoption, les juridictions administratives de fond ont refusé de lui donner un effet rétroactif et ont opté pour une application conforme à la Convention en donnant ainsi gain de cause à la requérante.

57.  En revanche, aux yeux de la Cour, le juste équilibre voulu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde du droit au respect des biens de la requérante a été rompu par l’application de l’article 9 de la loi nº 2187/1994 par le Conseil d’Etat, application intervenue plus de onze ans après la naissance du litige. En effet, l’arrêt nº 370/2005 du Conseil d’Etat a purement et simplement supprimé, en appliquant rétroactivement la loi, son droit d’obtenir la pension litigieuse. La requérante a été ainsi non seulement privée d’une « valeur patrimoniale » préexistante et faisant partie de ses « biens », mais elle a aussi subi une charge disproportionnée, car à l’heure actuelle elle est censée restituer la totalité des sommes qu’elle avait perçues bona fide à titre de pension.

58.  Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole nº 1.

III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

59.  La requérante se plaint également, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, du refus de l’IKA de se conformer aux arrêts rendus en sa faveur par les juridictions administratives. Elle invoque enfin l’article 14 de la Convention, sans précision.

Sur la recevabilité

60.  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

61.  Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

62.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

63.  La requérante réclame 239 862,19 euros (EUR) pour dommage matériel. Cette somme correspond aux sommes qu’elle aurait dû percevoir à titre de pension pour la période de 1993 à 1999, les sommes que l’IKA réclame comme indument versées pour la période de 1999 à 2007, ainsi que les sommes que l’intéressée devrait percevoir à titre de pension au cours des quinze ans qui viennent. Elle sollicite également 100 000 EUR pour le dommage moral qu’elle aurait subi.

64.  Le Gouvernement invite la Cour à écarter la demande présentée pour dommage matériel car il n’y aurait aucun lien de causalité entre la violation alléguée et un quelconque dommage matériel dont la requérante aurait eu à souffrir. Quant au dommage moral, le Gouvernement soutient qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.

65.  La Cour a constaté la violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 en raison du comportement des autorités et des juridictions administratives et du temps qu’elles ont mis pour se prononcer sur la cause de la requérante. Tout en admettant que la requérante a indéniablement subi un préjudice matériel du fait des violations constatées, la Cour relève que les éléments du dossier ne permettent pas d’établir avec précision l’ampleur du dommage effectivement subi. Elle estime par ailleurs que la requérante a subi un tort moral certain qui ne saurait être réparé par les simples constats de violation figurant dans cet arrêt.

66.  Dans ces circonstances, eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui accorde 50 000 EUR tous chefs de dommage confondus.

B.  Frais et dépens

67.  La requérante demande également 3 653 EUR pour les frais et dépens exposés devant les juridictions internes et 68 000 EUR pour ceux engagés devant la Cour. A ce titre, elle produit cinq factures d’une somme totale de 4 111 EUR pour les honoraires qu’elle a déjà versés pour sa représentation devant les juridictions internes ainsi qu’un contrat privé conclu avec ses avocats en vertu duquel ces derniers seront rémunérés sur la base de la somme qu’elle percevra en réparation du dommage subi.

68.  Le Gouvernement conteste ces prétentions, non justifiées selon lui. Il estime excessive la somme demandée.

69.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR, tous frais confondus, et l’accorde à la requérante.

C.  Intérêts moratoires

70.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de la durée de la procédure et du droit de la requérante au respect de ses biens, et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3.  Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole nº 1 ;

4.  Dit, par six voix contre une,

a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 50 000 EUR (cinquante mille euros), tous chefs de préjudice confondus, ainsi que 5 000 EUR (cinq mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante sur cette dernière somme ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.


Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 juin 2008, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenNina Vajić
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion partiellement dissidente de la juge Vajić.

N.V.
S.N.


OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DE LA JUGE VAJIĆ

(Traduction provisoire)

Je suis au regret de ne pouvoir me rallier à la majorité dans la présente affaire, et ce pour les raisons suivantes.

1. La requérante se plaint d’une atteinte à son droit au respect de ses biens. Pour se prononcer sur ce grief, la Cour devait d’abord rechercher si, conformément à sa jurisprudence telle qu’elle se trouve exposée et expliquée dans l’arrêt Kopecky c. Slovaquie prononcé par la Grande Chambre le 28 septembre 2004 (CEDH 2004-IX), la requérante possédait un droit ou un bien appelant la protection de l’article 1 du Protocole no 1.

Selon la majorité, en l’espèce la requérante avait un bien dès le 25 février 1993, c’est-à-dire la date à laquelle elle saisit l’IKA pour se voir octroyer une pension de vieillesse (paragraphe 52 de l’arrêt). C’est là, je le dis respectueusement, une affirmation à laquelle je ne puis souscrire. Si je ne m’abuse, la Cour n’a pas admis jusqu’ici dans sa jurisprudence l’idée que le simple fait de contester une loi et/ou de prétendre posséder un bien (qu’il y ait eu ou non une décision de justice disant le contraire) pouvait constituer un bien ou un droit protégé par l’article 1 du Protocole no 1 (Kopecky, arrêt précité, §§ 35, 44, 48 et 50). La Cour a dit clairement dans l’arrêt Kopecky que l’existence d’une « contestation réelle » ne constitue pas un critère permettant de juger de l’existence d’une « espérance légitime » pour un requérant. Personnellement, je ne suis pas favorable à pareille extension de la portée de l’article 1 du Protocole no 1, que cette extension soit intentionnelle ou non.

Il ressort des faits de la cause que l’IKA n’a accueilli qu’en 2002 la demande d’une pension formée par la requérante (décisions nos 12467/2002 et 25871/2002), avec effet rétroactif (paragraphe 20 de l’arrêt). Selon moi, c’est à partir de ce moment-là que la requérante a disposé d’une décision exécutoire en sa faveur, qui fut toutefois infirmée en 2007 (paragraphe 26), le Conseil d’Etat ayant, le 14 février 2005, annulé la loi no 2187/1994. C’est pourquoi je ne puis suivre la majorité lorsqu’elle conclut que l’arrêt du Conseil d’Etat a privé la requérante « de son droit d’obtenir la pension litigieuse » (paragraphe 57 de l’arrêt), avant que la décision reconnaissant l’existence de ce droit eût acquis force de chose jugée.

2. Qui plus est, en octobre 2007 la requérante fut sommée de rembourser les montants qu’elle avait déjà perçus de 1999 à 2007 (paragraphe 28 de l’arrêt). Il faut relever à ce propos qu’en ce qui concerne la sommation qui


lui a été faite de verser les sommes indûment perçues, l’intéressée aurait pu former opposition (ανακοπη) devant le tribunal administratif conformément à l’article 73 du décret-loi no 356/1974. Il s’agit d’un recours prévu dans le cadre de la procédure d’exécution forcée. En outre, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, il est interdit de réclamer des sommes versées bona fide à titre de pension puisqu’une telle mesure serait contraire au principe d’une bonne administration en raison des répercussions financières très lourdes qu’elle aurait pour les intéressés (Conseil d’Etat, arrêts nos754/1964, 2908/1972, 3513/1972, 2760-2762/1973, 3636-3646/1973).

Nous ignorons si la requérante a engagé une procédure de ce genre (paragraphe 28), ce qui m’amène à conclure que la demande de réparation pour dommage matériel est prématurée. La majorité, statuant en équité (paragraphe 66), n’en octroie pas moins à la requérante une somme supérieure à celle qu’elle a été invitée à rembourser (paragraphe 28).

3. En conséquence, même si la Cour a eu raison de constater une violation de l’article 1 du Protocole no 1 –, ce qui, à mon avis, n’est pas le cas –, elle n’aurait rien dû accorder à la requérante au titre du dommage matériel. En le faisant, elle a court-circuité la procédure interne (éventuelle) et l’a vidée de sens.

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
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CEDH, Cour (première section), AFFAIRE ICHTIGIAROGLOU c. GRECE, 19 juin 2008, 12045/06