CEDH, Cour (troisième section), WEBER ET SARAVIA c. ALLEMAGNE, 29 juin 2006, 54934/00

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 29 juin 2006, n° 54934/00
Numéro(s) : 54934/00
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2006-XI
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 10 janvier 2000
Jurisprudence de Strasbourg : Amann c. Suisse [GC], n° 27798/95, §§ 70, 76, CEDH 2000 II
Stocké c. Allemagne, arrêt du 19 mars 1991, série A n° 199, p. 19, § 54
Autronic AG c. Suisse, arrêt du 22 mai 1990, série A n° 178, p. 25, § 56
Lambert c. France, arrêt du 24 août 1998, Recueil 1998 V, pp. 2238-39, § 21
Kruslin c. France, arrêt du 24 avril 1990, série A n° 176 A, pp. 20, 21, §§ 27, 29
Huvig c. France, arrêt du 24 avril 1990, série A n° 176 B, p. 52, § 26
Kopp c. Suisse, arrêt du 25 mars 1998, Recueil 1998 II, pp. 542-43, § 72
Leander c. Suède, arrêt du 26 mars 1987, série A n° 116, pp. 22, 23, §§ 48, 51
Boyle et Rice c. Royaume-Uni, arrêt du 27 avril 1988, série A n° 131, p. 23, § 52
Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars 1996, Recueil of Judgments et Decisions 1996 II, p. 500, § 39
Groppera Radio AG et autres c. Suisse, arrêt du 28 mars 1990, série A n° 173, p. 26, § 68
Malone c. Royaume-Uni, arrêt du 2 août 1984, série A n° 82, pp. 30-31, § 64
Valenzuela Contreras c. Espagne, arrêt du 30 juillet 1998, Recueil 1998 V, pp. 1924-25, § 46
Klass et autres c. Allemagne, arrêt du 6 septembre 1978, série A n° 28, p. 21, § 41
Ivison c. Royaume-Uni (déc.), n° 39030/97, 16 avril 2002
Lavents c. Lettonie, n° 58442/00, § 114, 28 novembre 2002
Leyla Sahin c. Turquie [GC], n° 44774/98, § 88, CEDH 2005
Öcalan c. Turquie [GC], n° 46221/99, § 90, CEDH 2005 IV
Perry c. Royaume-Uni, n° 63737/00, § 45, CEDH 2003 IX (extraits)
Petersen c. Allemagne (déc.), nos 38282/97, 68891/01, 12 janvier 2006
Prado Bugallo c. Espagne, n° 58496/00, § 30, 18 février 2003
Roemen et Schmit c. Luxembourg, n° 51772/99, § 46, CEDH 2003 IV
Rotaru c. Roumanie [GC], n° 28341/95, § 46, CEDH 2000 V
Société Colas Est et autres c. France, n° 37971/97, § 43, CEDH 2002 III
Voyager Limited c. Turquie (déc.), n° 35045/97, 4 septembre 2001
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-91699
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2006:0629DEC005493400
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Sur les parties

Texte intégral

[TRADUCTION]

(...)

EN FAIT

1.  La première requérante, Mme Gabriele Weber, est une ressortissante allemande. Le second requérant, M. Cesar Richard Saravia, est de nationalité uruguayenne. Tous deux ont été représentés devant la Cour par Me W. Kaleck, avocat au barreau de Berlin, et par M. E. Schwan, professeur d’université à Berlin. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») a été représenté d’abord par M. K. Stoltenberg, Ministerialdirigent, puis par Mme A. Wittling-Vogel, Ministerialdirigentin, du ministère fédéral de la Justice, tous deux agents.

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

3.  L’affaire concerne plusieurs dispositions de la loi du 13 août 1968 portant restriction du secret de la correspondance, des envois postaux et des télécommunications (Gesetz zur Beschränkung des Brief-, Post- und Fernmeldegeheimnisses –« la loi G 10 »), dans sa teneur modifiée par la loi du 28 octobre 1994 sur la lutte contre la criminalité (Ver-brechensbekämpfungsgesetz).

4.  Elle a notamment trait à l’élargissement des pouvoirs du service fédéral des renseignements (Bundesnachrichtendienst) en matière d’enregistrement des télécommunications au cours d’une surveillance dite « stratégique », ainsi qu’à l’utilisation (Verwertung) des données à caractère personnel ainsi obtenues et à leur transmission à d’autres services. La surveillance stratégique vise à la collecte des informations par l’interception de télécommunications en vue de l’identification et de la prévention de dangers graves pour la République fédérale d’Allemagne, par exemple une attaque armée sur son territoire, des attentats terroristes internationaux ou certaines autres infractions graves (voir ci-après « Le droit et la pratique internes pertinents », paragraphes 18 et suivants). En revanche, la surveillance dite « individuelle », c’est-à-dire l’interception des télécommunications de personnes déterminées, doit permettre de prévenir certaines infractions graves que les personnes surveillées sont soupçonnées de préméditer, ou d’enquêter sur des infractions graves qu’elles sont soupçonnées de préméditer ou d’avoir commises.

5.  La première requérante, journaliste indépendante, travaille régulièrement pour divers journaux, télévisions et radios allemands et étrangers. Elle enquête en particulier dans des domaines qui sont l’objet de la surveillance du service fédéral des renseignements, notamment l’armement, les préparatifs de guerre, le trafic de stupéfiants et d’armes, et le blanchiment d’argent. Pour les besoins de ses investigations, elle se rend périodiquement dans différents pays d’Europe, d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, où elle rencontre également les personnes qu’elle souhaite interviewer.

6.  Le second requérant, employé de la ville de Montevideo, soutient qu’il prend les messages de la première requérante lorsqu’elle est en déplacement, aussi bien à partir de la ligne téléphonique de l’intéressée que de sa propre ligne. Il transmet alors ces messages à la première requérante, là où elle se trouve.

7.  Le 19 novembre 1995, les requérants saisirent la Cour constitutionnelle fédérale d’un recours.

8.  Ils alléguaient que certaines dispositions de la loi sur la lutte contre la criminalité portant modification de la loi G 10 méconnaissaient leurs droits consacrés par la Loi fondamentale, notamment le droit au secret des télécommunications (article 10), le droit à l’autodétermination en matière d’information (articles 2 § 1 et 1 § 1), la liberté de la presse (article 5 § 1) et le droit à un recours juridictionnel effectif (article 19 § 4).

9.  D’après eux, les progrès techniques permettaient d’intercepter des télécommunications dans le monde entier et de recueillir des données à caractère personnel. De nombreuses télécommunications pouvaient être surveillées, en l’absence de soupçons concrets, à l’aide de mots clés qui demeuraient secrets. La surveillance stratégique pouvait donc s’appliquer à des individus, ce qui empêchait la presse de mener des investigations efficaces dans les domaines sensibles visés par la loi.

10.  La Cour constitutionnelle fédérale rendit son arrêt (comptant 125 pages) le 14 juillet 1999, après avoir tenu une audience. Elle déclara irrecevable le recours introduit par le second requérant. Elle nota qu’un recours constitutionnel pouvait être dirigé directement contre une loi lorsque la personne concernée ne pouvait pas savoir s’il y avait en fait eu une mesure lui appliquant cette loi. Toutefois, le plaignant devait apporter des éléments suffisants à l’appui de son argument selon lequel les mesures prises en vertu de la loi attaquée étaient susceptibles de violer ses droits fondamentaux.

11.  La Cour constitutionnelle fédérale observa qu’il importait peu que les requérants ne fussent pas domiciliés en Allemagne puisque les dispositions litigieuses avaient trait à la surveillance des télécommunications internationales. Toutefois, elle estima que le second requérant, contrairement à la première requérante, n’avait pas suffisamment démontré que les mesures prises en application des dispositions litigieuses de la loi G 10 dans sa teneur modifiée risquaient de porter atteinte à ses droits garantis par la Loi fondamentale. En l’absence de toute autre précision, le simple fait que l’intéressé prît les télécommunications de la première requérante en son absence n’était pas suffisant pour prouver cette atteinte.

12.  Quant au recours de la première requérante, la Cour constitutionnelle fédérale y fit partiellement droit. Elle estima que certaines dispositions de la loi sur la lutte contre la criminalité étaient incompatibles ou compatibles en partie seulement avec les principes énoncés dans la Loi fondamentale (voir ci-après « Le droit et la pratique internes pertinents », paragraphes 18 et suivants). En particulier, elle jugea l’article 3 § 1, première et deuxième phrases, point 5, l’article 3 §§ 3, 4 et 5, première phrase, § 7, première phrase, et § 8, deuxième phrase, et l’article 9 § 2, troisième phrase, de la loi incompatibles avec les articles 10, 5 et 19 § 4 de la Loi fondamentale (paragraphes 26 et suivants). Elle donna au législateur jusqu’au 30 juin 2001 pour mettre la situation en conformité avec la Constitution.

13.  Le 29 juin 2001, une nouvelle version de la loi G 10 entra en vigueur (BGBl. (Journal officiel fédéral) I, 2001, pp. 1254, 2298), et la loi G 10 dans sa teneur modifiée par la loi du 28 octobre 1994 sur la lutte contre le terrorisme cessa de s’appliquer.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.  La Loi fondamentale

14.  La Loi fondamentale consacre les droits fondamentaux suivants, pertinents en l’espèce :

Article 5
Droit à la liberté d’expression

« 1.  Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, par l’écrit et par l’image, et de s’informer librement aux sources qui sont accessibles à tous. La liberté de la presse et la liberté de l’information par la radio, la télévision et le cinéma sont garanties. Il n’y a pas de censure.

2.  Ces droits trouvent leurs limites dans les prescriptions des lois générales, dans les dispositions légales sur la protection de la jeunesse et dans le droit au respect de l’honneur personnel. »

Article 10
Secret de la correspondance, des envois postaux et des télécommunications

« 1.  Le secret de la correspondance, des envois postaux et des télécommunications est inviolable.

2.  Des restrictions ne peuvent être ordonnées que sur la base d’une loi. Si elles visent à protéger l’ordre fondamental libéral et démocratique, ou l’existence ou la sécurité de la Fédération ou d’un Land, la loi peut disposer qu’il n’en est pas donné avis à l’intéressé et que le contrôle par les organes ou organes auxiliaires désignés par la représentation du peuple remplace le recours juridictionnel. »

Article 19
Restriction des droits fondamentaux

« (…)

4.  Quiconque est lésé dans ses droits par une autorité publique dispose d’un recours juridictionnel. Les juridictions civiles sont compétentes, sauf disposition contraire. Ce paragraphe ne modifie en rien l’article 10 § 2, deuxième phrase. »

15.  La répartition des compétences législatives entre la Fédération et les Länder est prévue par les articles 70 et suivants de la Loi fondamentale. D’après l’article 70 § 1, les Länder ont en principe le droit de légiférer pour autant que la Loi fondamentale ne confère pas ce pouvoir à la Fédération. La compétence législative exclusive de la Fédération est prévue en particulier à l’article 73 :

« La Fédération a compétence législative exclusive [ausschließliche Gesetzgebungskompetenz] dans les matières suivantes :

1.  les affaires étrangères et la défense, y compris la protection de la population civile ;

(...) »

2.  La loi du 13 août 1968 portant restriction du secret de la correspondance, des envois postaux et des télécommunications

16.  Adoptant la solution envisagée par la seconde phrase de l’article 10 § 2 de la Loi fondamentale (précité, paragraphe 14), qui prévoit des exceptions à la règle générale de l’inviolabilité des télécommunications, la loi du 13 août 1968 portant restriction du secret de la correspondance, des envois postaux et des télécommunications (Gesetz zur Beschränkung des Brief-, Post- und Fernmeldegeheimnisses), également appelée « la loi G 10 », énonçait les conditions dans lesquelles les autorités pouvaient apporter les restrictions visées dans cette disposition de la Loi fondamentale.

17.  Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 6 septembre 1978 (Klass et autres c. Allemagne, série A no 28), la Cour a estimé que les dispositions de la loi G 10 du 13 août 1968, dans sa version originale et en ce qui concernait la surveillance d’individus, n’enfreignaient pas la Convention. Elle a conclu que le législateur allemand était fondé à considérer l’ingérence résultant de la législation en question dans l’exercice du droit consacré par l’article 8 § 1 de la Convention comme nécessaire, dans une société démocratique, au sens du second paragraphe de cette disposition, et que les recours prévus par la loi G 10 remplissaient les exigences de l’article 13 de la Convention.

3.  La loi du 28 octobre 1994 sur la lutte contre la criminalité, considérée à la lumière de l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale du 14 juillet 1999

a)  Le contexte législatif

18.  La loi fédérale du 28 octobre 1994 sur la lutte contre la criminalité a modifié la loi G 10. Elle a notamment élargi l’éventail des domaines susceptibles de faire l’objet d’une « surveillance stratégique » (par opposition à une surveillance individuelle). Dans sa version originale, la loi G 10 autorisait une telle surveillance exclusivement pour détecter et prévenir le danger d’une attaque armée contre la République fédérale d’Allemagne et, à l’époque, se limitait donc simplement aux Etats parties au Pacte de Varsovie. En outre, compte tenu des progrès techniques, il était devenu possible d’identifier les liaisons téléphoniques (Anschlüsse) d’une télécommunication interceptée.

19.  En vertu des dispositions de la loi G 10 que la loi sur la lutte contre la criminalité n’a pas modifiées ou qui ne sont pas contestées en l’espèce, les offices de protection de la Constitution de la Fédération et des Länder (Verfassungsschutzbehörden des Bundes und der Länder), le service du contre-espionnage militaire (Militärischer Abschirmdienst) et le service fédéral des renseignements étaient autorisés à surveiller et enregistrer des télécommunications dans leur domaine d’activité (article 1 § 1 de la loi G 10). La surveillance d’individus se limitait aux menaces graves pour la sécurité nationale (haute trahison ou menace pour l’ordre démocratique, par exemple) et n’était autorisée que si des moyens d’investigation moins attentatoires à la vie privée n’avaient aucune chance de succès ou présentaient beaucoup plus de difficultés (article 2 de la loi G 10). Concernant la surveillance stratégique, seuls le chef du service fédéral des renseignements ou son adjoint pouvaient solliciter un mandat de surveillance. La demande devait être présentée par écrit, décrire et motiver la nature, l’ampleur et la durée de la mesure et expliquer que d’autres moyens d’investigation n’avaient aucune chance de réussite ou présentaient davantage de difficultés (article 4 de la loi G 10).

20.  Les restrictions au secret des télécommunications devaient être ordonnées par le ministre fédéral habilité à cet effet par le Chancelier ou l’autorité suprême des Länder (pour les demandes émanant de leurs offices de protection de la Constitution). Le mandat devait être établi par écrit et préciser la nature, l’ampleur et la durée exactes de la mesure de surveillance. La durée maximale de la mesure était de trois mois ; celle-ci pouvait être reconduite pour une durée maximale de trois mois à chaque fois, pour autant que les conditions légales de délivrance du mandat se trouvaient remplies (article 5 de la loi G 10).

21.  Les mesures de surveillance ordonnées devaient être exécutées sous la responsabilité de l’autorité demanderesse et sous le contrôle d’un fonctionnaire possédant les qualifications requises pour accéder à la magistrature. Elles devaient être levées aussitôt que les conditions prescrites n’étaient plus remplies ou qu’elles n’étaient plus nécessaires (article 7 de la loi G 10).

22.  D’après l’article 3 § 4, le service fédéral des renseignements devait vérifier si les données à caractère personnel recueillies dans les conditions énoncées au paragraphe 1 de l’article 3 étaient nécessaires à la poursuite des buts qui y étaient énumérés.

23.  La Cour constitutionnelle fédérale a estimé que, dans sa version alors en vigueur, l’article 3 § 4 était incompatible avec l’article 10 et avec l’article 5 § 1, deuxième phrase, de la Loi fondamentale. Elle a conclu que la disposition ne renfermait pas de garanties suffisantes que les données à caractère personnel qui n’étaient pas détruites ou supprimées lorsqu’elles n’étaient plus nécessaires à la poursuite des buts du service fédéral des renseignements ne seraient utilisées qu’aux fins ayant justifié leur collecte. En outre, la disposition ne satisfaisait pas aux exigences découlant de l’article 10. Par ailleurs, il n’y avait pas suffisamment de garanties que le service fédéral des renseignements utiliserait exclusivement les données présentant un intérêt relativement aux dangers énumérés à l’article 3 § 1. Il aurait également fallu mettre en place des garanties en sorte que le service fédéral des renseignements tînt compte de préoccupations importantes concernant la non-divulgation des sources et la confidentialité du travail journalistique protégées par le droit à la liberté de la presse consacré par l’article 5 § 1 de la Loi fondamentale. La Cour constitutionnelle fédérale a dit que, dans l’attente de l’entrée en vigueur d’une loi compatible avec la Constitution, l’article 3 § 4 devait s’appliquer uniquement si les données étaient particulièrement sensibles et n’étaient pas utilisées à des fins autres que celles énumérées à l’article 3 § 1.

24.  Les mesures de surveillance étaient contrôlées par deux organes, le comité parlementaire de contrôle et la commission G 10 (voir l’article 9 de la loi G 10). A l’époque des faits, le comité parlementaire de contrôle comptait neuf membres du Parlement, y compris des représentants de l’opposition. Le ministre fédéral qui autorisait les mesures devait informer le comité, au moins une fois par semestre, de l’état d’application de la loi G 10 (article 9 § 1 de la loi G 10).

25.  La commission G 10 se composait d’un président, qui devait posséder les qualifications requises pour accéder à la magistrature, et de trois autres membres, qui étaient nommés par le comité parlementaire de contrôle pour la durée d’un mandat législatif et étaient indépendants dans l’exercice de leurs fonctions (article 9 § 4 de la loi G 10). Le ministre fédéral autorisant les mesures de surveillance devait rendre compte chaque mois à la commission G 10 des mesures de surveillance qu’il avait prescrites et obtenir le consentement de celle-ci (article 9 § 2 de la loi G 10 ; voir ci-après les paragraphes 55-58). En outre, le ministre fédéral devait indiquer à la commission si les personnes faisant l’objet de telles mesures en avaient été ou non informées. Lorsque la commission décidait qu’une notification était nécessaire, le ministre fédéral devait prendre des dispositions pour que les intéressés fussent avisés sans délai indu (article 9 § 3 de la loi G 10).

b)  Article 3 § 1 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée : surveillance des télécommunications aux fins de la prévention de certains dangers

26.  L’article 1 § 1, points 1 et 2, combiné avec l’article 3 § 1, première et deuxième phrases, autorisait la surveillance de télécommunications sans fil (Überwachung nicht leitungsgebundener Fernmeldeverkehrs-beziehungen), c’est-à-dire de télécommunications non assurées par le réseau téléphonique fixe mais, par exemple, par des liaisons satellites.

27.  L’article 3 § 1, première phrase, énonçait qu’à la demande du service fédéral des renseignements et avec l’accord du comité parlementaire de contrôle, le ministre fédéral compétent pouvait ordonner des restrictions au secret des télécommunications concernant les télécommunications sans fil internationales. D’après la deuxième phrase de cette disposition, ces restrictions étaient autorisées exclusivement pour la collecte d’informations nécessaires à l’identification et à la prévention à temps de certains dangers, notamment :

1.  une attaque armée contre la République fédérale d’Allemagne ;

2.  des attentats terroristes internationaux en République fédérale d’Allemagne ;

3.  le trafic international d’armes au sens de la loi sur le contrôle des armes de guerre et le commerce international prohibé de biens et de programmes et technologies informatiques, dans les cas revêtant une importance considérable ;

4.  l’importation illégale en République fédérale d’Allemagne de stupéfiants en quantités importantes ;

5.  le faux-monnayage (Geldfälschung) à l’étranger ;

6.  le blanchiment d’argent lié aux agissements énumérés aux points 3 à 5.

L’article 3 § 1, troisième phrase, permettait également d’ordonner des restrictions au secret des télécommunications pour les télécommunications assurées par le réseau téléphonique fixe et pour la correspondance aux fins de l’identification et de la prévention des dangers énumérés à l’article 3 § 1, deuxième phrase, point 1.

28.  La Cour constitutionnelle fédérale a estimé que l’article 73, point 1, de la Loi fondamentale (paragraphe 15 ci-dessus) conférait au législateur fédéral le pouvoir exclusif de réglementer les questions énumérées à l’article 3 § 1 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée, étant donné qu’elles relevaient du domaine des affaires étrangères.

29.  Toutefois, elle a considéré qu’autoriser la surveillance de télécommunications aux fins de la prévention du faux-monnayage à l’étranger, conformément au point 5 de l’article 3 § 1 dans son libellé de l’époque, constituait une atteinte disproportionnée au secret des télécommunications, tel que protégé par l’article 10 de la Loi fondamentale. D’après elle, ce danger ne pouvait en soi passer pour être aussi grave qu’une attaque armée dirigée contre l’Etat allemand ou l’un des autres dangers énumérés à l’article 3 § 1. Le faux-monnayage devait donc être inclus à l’article 3 § 1 seulement s’il menaçait la stabilité monétaire de la République fédérale d’Allemagne. Selon la Cour constitutionnelle fédérale, dans l’attente de l’entrée en vigueur de dispositions législatives compatibles avec la Constitution, l’article 3 § 1, deuxième phrase, point 5, ne devait s’appliquer que si le faux-monnayage commis à l’étranger constituait une menace pour la stabilité monétaire de l’Allemagne.

30.  Dans la pratique, les télécommunications sans fil (par opposition aux télécommunications opérées par le réseau téléphonique fixe) représentaient environ 10 % du volume total des télécommunications à l’époque des faits. Toutefois, eu égard aux progrès techniques, on pouvait s’attendre à une augmentation de leur volume.

31.  D’un point de vue technique, les télécommunications assurées par des liaisons par satellites (ceux-ci étant positionnés à quelque 36 000 km au‑dessus de l’équateur) pouvaient être interceptées depuis des sites en Allemagne si le signal renvoyé par le satellite (la « liaison descendante ») couvrait la zone où se trouvait la station. La zone couverte par le faisceau du satellite dépendait de la technologie utilisée. Alors que les signaux transmis vers la terre par des satellites plus anciens couvraient souvent un tiers de la surface terrestre, la voie descendante des satellites plus modernes pouvait être limitée à des secteurs plus étroits. Des signaux pouvaient être interceptés dans toute la zone couverte par le faisceau. Les liaisons hertziennes (Richtfunkstrecken) internationales pouvaient être interceptées à partir de sites sur le sol allemand seulement si l’émission s’effectuait à proximité de ces sites.

c)  Article 3 § 2 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée : surveillance au moyen de mots clés

32.  En vertu de l’article 3 § 2, le service fédéral des renseignements était autorisé à exécuter des mesures de surveillance uniquement à l’aide de mots clés (Suchbegriffe) utiles et adaptés aux investigations portant sur les dangers décrits dans le mandat de surveillance (première phrase). La deuxième phrase de cette disposition interdisait d’insérer dans les mots clés des éléments d’identification (Identifizierungsmerkmale) permettant l’interception de télécommunications particulières. Cependant, cette règle ne s’appliquait pas aux liaisons téléphoniques à l’étranger si l’on pouvait exclure que les communications concernant des ressortissants allemands ou des sociétés allemandes ne faisaient pas l’objet d’une surveillance délibérée (troisième phrase). Les mots clés devaient être énumérés dans le mandat de surveillance (quatrième phrase). L’exécution de la procédure de surveillance en tant que telle devait faire l’objet d’un procès-verbal établi à l’aide de moyens techniques et était soumise au contrôle de la commission G 10 (cinquième phrase). Les données contenues dans ces procès-verbaux ne pouvaient être utilisées qu’aux fins de la protection des données et devaient être supprimées à la fin de l’année suivant leur enregistrement (sixième et septième phrases).

d)  Article 3 § 3 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée : restrictions aux utilisations autorisées de données à caractère personnel

33.  L’article 3 § 3, première phrase, énonçait que les données à caractère personnel (personenbezogene Daten) recueillies dans le cadre de l’interception de télécommunications ne pouvaient être utilisées que pour la prévention, l’instruction et les poursuites des infractions énumérées par l’article 2 de la loi et par certaines autres dispositions, notamment du code pénal. Ces infractions comprenaient en particulier la haute trahison contre la paix ou la sûreté de l’Etat, les infractions menaçant l’ordre démocratique, la sécurité extérieure de l’Etat et la sécurité des forces alliées stationnées en République fédérale d’Allemagne, la formation d’associations terroristes, les homicides volontaires et involontaires, le vol qualifié, la contrefaçon de cartes de paiement ou de chèques, la fraude aux subventions économiques, l’infiltration d’étrangers, et la production, l’importation et le trafic de stupéfiants illégaux. Les données à caractère personnel ainsi obtenues ne pouvaient être utilisées que si la personne concernée avait fait l’objet d’une surveillance individuelle en vertu de l’article 2 de la loi ou s’il existait des indices (tatsächliche Anhaltspunkte) permettant de soupçonner une personne de projeter, de commettre ou d’avoir commis une des infractions susmentionnées. Les modifications apportées à la loi G 10 litigieuse avaient considérablement élargi la série des infractions pour lesquelles, dans le cadre de l’enquête, il était possible d’utiliser les renseignements obtenus par une surveillance stratégique.

34.  Selon l’article 3 § 3, deuxième phrase, l’obligation faite par l’article 12 de la loi sur le service fédéral des renseignements à ce service d’informer le gouvernement fédéral des résultats d’une surveillance stratégique, y compris des données à caractère personnel, demeurait intacte.

35.  La Cour constitutionnelle fédérale a estimé que l’article 3 § 3, deuxième phrase, dans sa version alors en vigueur, n’était compatible ni avec l’article 10 ni avec l’article 5 § 1, deuxième phrase, de la Loi fondamentale. La disposition ne garantissait pas suffisamment que l’obligation pour le service fédéral des renseignements de rendre compte au gouvernement fédéral, ce qui incluait la transmission de données à caractère personnel, se limitât aux fins ayant justifié la collecte des données (Zweckbindung). En outre, la disposition ne satisfaisait pas aux exigences relatives à l’identification (Kennzeichnungspflicht) découlant de l’article 10. Pour que des données à caractère personnel ne fussent pas utilisées à des fins illégales, il devait continuer à apparaître qu’elles avaient été obtenues au moyen d’une atteinte au secret des télécommunications. De même, rien ne garantissait que le gouvernement fédéral ne conserverait pas ou n’utiliserait pas à des fins autres que celles énumérées à l’article 3 § 1 les données à caractère personnel qui lui étaient transmises. La Cour constitutionnelle a dit que, dans l’attente de l’entrée en vigueur de dispositions compatibles avec la Constitution, l’article 3 § 3, deuxième phrase, devait s’appliquer seulement si les données à caractère personnel figurant dans le rapport au gouvernement fédéral étaient accompagnées d’une mention spécifique et demeuraient liées aux fins ayant justifié leur collecte.

e)  Article 3 § 5 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée : transmission de données à d’autres autorités

36.  L’article 3 § 5, première phrase, énonçait que les données obtenues dans les conditions décrites au paragraphe 1 de l’article 3 devaient être transmises aux offices de protection de la Constitution de la Fédération et des Länder, au service du contre-espionnage militaire, au service d’enquête des douanes (Zollkriminalamt), aux parquets et à certains services de police aux fins énoncées au paragraphe 3 de l’article 3 si cette transmission était nécessaire à l’accomplissement de leur mission par les autorités destinataires.

37.  En vertu de l’article 3 § 5, deuxième phrase, la décision de transmettre des données devait être prise par un fonctionnaire possédant les qualifications requises pour accéder à la magistrature.

38.  La Cour constitutionnelle fédérale a estimé que la compétence législative exclusive dans le domaine des affaires étrangères que l’article 73, point 1, de la Loi fondamentale (paragraphe 15 ci-dessus) conférait au législateur fédéral englobait également la transmission à d’autres autorités d’informations obtenues par le service fédéral des renseignements dans l’accomplissement de ses tâches, comme le prévoyait l’article 3 § 5 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée. Le législateur fédéral devait simplement garantir que l’utilisation ultérieure des données ne serait pas contraire à la fonction première des mesures de surveillance.

39.  La Cour constitutionnelle fédérale a en outre considéré que l’article 3 § 5 n’était pleinement compatible ni avec l’article 10 ni avec l’article 5 § 1, deuxième phrase, de la Loi fondamentale. Elle a conclu que l’article 10 n’interdisait pas la transmission aux autorités énumérées à l’article 3 § 5, première phrase, d’informations présentant un intérêt pour la prévention d’infractions pénales et les investigations concernant de telles infractions. Ce constat n’était pas mis en cause par le fait qu’emporterait violation de l’article 10 la collecte initiale de données au moyen d’une interception aléatoire de télécommunications aux fins de la prévention et de l’instruction d’infractions en l’absence d’indice préalable permettant de soupçonner une personne de projeter une infraction ou d’en avoir commis une.

40.  Toutefois, de l’avis de la Cour constitutionnelle fédérale, la transmission de données en vertu de l’article 3 § 5, première phrase, dans sa version alors en vigueur, portait atteinte de manière disproportionnée au droit au secret des télécommunications et à la liberté de la presse. La transmission de données constituait en outre une atteinte grave au secret des télécommunications, car une enquête pénale pouvait être ouverte contre les personnes visées par l’interception des télécommunications, laquelle n’était fondée sur aucun soupçon préalable. Par conséquent, pareille transmission n’était proportionnée que si elle avait pour but la protection d’un intérêt légitime important et s’il existait des indices suffisants permettant de soupçonner que des infractions pénales étaient prévues ou avaient été commises.

41.  L’article 3 § 5, première phrase, combiné avec l’article 3 § 3 ne satisfaisait pas pleinement à ces exigences.

42.  La série d’infractions pour lesquelles la transmission de données était autorisée comprenait également des infractions moins graves, telle la fraude aux subventions économiques. En outre, la disposition litigieuse autorisait la transmission de données dans les cas où il existait simplement des indices permettant de soupçonner qu’une des infractions énumérées dans cette disposition avait été commise ou même était seulement prévue. La transmission de données aux fins d’investigations sur une infraction qui avait déjà été commise ne devait être autorisée que si la base factuelle de la transmission était la même que celle requise par l’article 100a du code de procédure pénale. Cette disposition énonçait toutefois que la prise de mesures portant atteinte au secret des télécommunications à des fins d’enquête sur des infractions exigeait l’existence de faits spécifiques – par opposition à de simples indices – permettant de soupçonner que la personne visée avait perpétré une des infractions énumérées dans cette disposition. Quant à la transmission de données à des fins de prévention d’une infraction, la combinaison des conditions selon lesquelles de simples indices étaient suffisants, la simple planification d’une infraction pouvait suffire et la transmission pouvait également se justifier en cas d’infractions moins graves portait atteinte de façon disproportionnée aux droits fondamentaux en question.

43.  La Cour constitutionnelle fédérale a en outre considéré que l’article 3 § 5, deuxième phrase, était également incompatible avec le droit au secret des télécommunications. Elle a jugé qu’il n’y avait pas lieu de confier la prise de la décision relative à la transmission des données à un organe indépendant. Toutefois, faute d’obligation de consignation dans un procès‑verbal de la transmission, de la destruction ou de l’effacement des données, il était impossible de contrôler effectivement la transmission.

44.  La Cour constitutionnelle fédérale a dit que, dans l’attente de l’entrée en vigueur de dispositions législatives compatibles avec la Constitution, l’article 3 § 5, première phrase, pouvait s’appliquer sous réserve que les données ne fussent transmises que si des faits spécifiques permettaient de soupçonner que des infractions énumérées à l’article 3 § 3 avaient eu lieu. En outre, la transmission devait être consignée dans un procès-verbal.

f)  Article 3 §§ 6 et 7 et article 7 § 3 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée : destruction de données

45.  L’article 3 §§ 6 et 7 et l’article 7 § 4 régissaient les modalités de destruction des données obtenues dans le cadre d’une surveillance stratégique.

46.  D’après l’article 3 § 6, lorsque les données recueillies dans les conditions énoncées à l’article 3 § 1 n’étaient plus nécessaires aux fins énumérées dans cette disposition et s’il n’y avait pas lieu de les transmettre à d’autres services en application de l’article 3 § 5, elles devaient être détruites et effacées des dossiers sous la supervision d’un fonctionnaire possédant les qualifications requises pour accéder à la magistrature (première phrase). La destruction et l’effacement devaient être consignés dans un procès-verbal (deuxième phrase). Tous les semestres, il y avait lieu de vérifier la nécessité d’une telle destruction ou d’un tel effacement (troisième phrase).

47.  L’article 3 § 7 énonçait que les autorités destinataires devaient elles aussi vérifier si elles avaient besoin, aux fins énumérées à l’article 3 § 3 (première phrase), des données transmises. Si tel n’était pas le cas, elles devaient également procéder sur-le-champ à la destruction (deuxième phrase). Cette mesure n’était pas requise lorsqu’il était impossible de séparer les données d’autres informations nécessaires à l’accomplissement des tâches prescrites ou lorsqu’elle exigeait des efforts injustifiés ; l’utilisation de telles données était interdite (troisième phrase).

48.  L’article 7 § 4, première phrase, disposait que les données à caractère personnel recueillies au moyen de mesures de surveillance en application des articles 2 et 3 au sujet d’une personne concernée par les télécommunications surveillées devaient être détruites lorsqu’elles n’étaient plus nécessaires aux fins énumérées dans la loi et n’étaient plus utiles à l’examen par les tribunaux de la légalité de la mesure. Les données devaient être détruites sous le contrôle d’un fonctionnaire ayant les qualifications requises pour accéder à la magistrature. Aux termes de l’article 7 § 4, deuxième phrase, il devait être dressé procès-verbal de la destruction. Tous les semestres, il y avait lieu de vérifier si des données à caractère personnel recueillies pouvaient être détruites (troisième phrase). L’accès aux données conservées uniquement aux fins d’un contrôle juridictionnel de la mesure de surveillance devait être interdit (quatrième phrase), ces données ne pouvant être utilisées qu’à cette fin (cinquième phrase).

49.  La Cour constitutionnelle fédérale a estimé que les dispositions sur la destruction des données figurant à l’article 3 §§ 6 et 7, deuxième et troisième phrases, et à l’article 7 § 4 étaient compatibles avec l’article 19 § 4 de la Loi fondamentale. D’après elle, ces dispositions devaient faire l’objet d’une interprétation n’empêchant pas un contrôle juridictionnel des mesures de surveillance. Aussi les données ne pouvaient‑elles être détruites que six mois après que la personne concernée aurait été informée des mesures de surveillance.

50.  En revanche, la Cour constitutionnelle fédérale a considéré que l’article 3 § 7 était incompatible avec l’article 10 de la Loi fondamentale. Les autorités destinataires devaient indiquer que les données avaient été recueillies dans le cadre de l’interception de télécommunications. Sinon, après vérification de l’intérêt des informations obtenues pour la mission des autorités concernées, les données à caractère personnel pouvaient être sauvegardées de façon qu’il fût impossible de déterminer qu’elles provenaient d’une surveillance stratégique de télécommunications. L’efficacité des restrictions à l’utilisation autorisée de ces données imposées par l’article 3 § 3 s’en trouverait donc réduite. La Cour constitutionnelle fédérale a dit que, dans l’attente de l’entrée en vigueur de dispositions législatives compatibles avec la Constitution, l’article 3 § 7 pouvait s’appliquer, sous réserve que les données fissent l’objet des indications telles que décrites.

g)  Article 3 § 8 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée : notification de la surveillance aux intéressés

51.  L’article 3 § 8, première phrase, disposait que le service fédéral des renseignements ou les autorités destinataires devaient informer les personnes surveillées des restrictions apportées au secret des télécommunications dès qu’une telle notification pouvait se faire sans compromettre le but de la restriction ou l’utilisation des données. Conformément à l’article 3 § 8, deuxième phrase, les personnes surveillées n’étaient pas avisées si les données recueillies étaient détruites dans un délai de trois mois après leur réception par le service fédéral des renseignements ou par les autorités destinataires.

52.  La Cour constitutionnelle fédérale a considéré que la restriction apportée à l’obligation de notification en soi, telle qu’elle était énoncée à l’article 3 § 8, première phrase, était compatible avec la Loi fondamentale. En application de l’article 10 § 2, première et deuxième phrases, combiné avec l’article 19 § 4, troisième phrase, de la Loi fondamentale, aucune notification ne devait être donnée si cela allait à l’encontre de la protection de l’Etat allemand ou de son ordre démocratique ou si la divulgation des informations recueillies ou des méthodes utilisées à cette fin risquait de compromettre l’accomplissement par les autorités concernées de leur mission.

53.  Toutefois, l’article 3 § 8, deuxième phrase, méconnaissait les articles 10 et 19 § 4 de la Loi fondamentale. Rien ne garantissait que les données ne seraient pas utilisées avant leur destruction dans le délai de trois mois. La simple destruction des données durant ce délai ne justifiait cependant pas de passer outre l’obligation de notification, quelle que fût l’utilisation antérieure des données.

54.  La Cour constitutionnelle fédérale a dit que, dans l’attente de l’entrée en vigueur de dispositions législatives compatibles avec la Constitution, l’article 3 § 8 pouvait s’appliquer, sous réserve que les données n’eussent pas été utilisées avant leur destruction.

h)  Article 9 § 2 de la loi G 10 : contrôle des mesures de surveillance

55.  L’article 9 § 2 prévoyait le contrôle des mesures de surveillance par un organe indépendant : la commission instituée par la loi G 10, dite « la commission G 10 ».

56.  Conformément à l’article 9 § 2, première phrase, le ministre fédéral compétent avait l’obligation de rendre compte chaque mois à la commission G 10 des mesures de restriction du secret des télécommunications qu’il avait prescrites, et ce avant leur exécution.

57.  Le ministre fédéral pouvait, toutefois, ordonner l’exécution des mesures avant d’en avoir informé la commission G 10 si un retard dans leur mise en œuvre risquait d’en compromettre le but (deuxième phrase de l’article 9 § 2). La commission statuait d’office ou à la suite d’une plainte contestant la légalité et la nécessité de mesures de surveillance (troisième phrase). Lorsqu’elle jugeait un mandat de surveillance illégal ou non nécessaire, le ministre devait l’annuler immédiatement (quatrième phrase).

58.  La Cour constitutionnelle fédérale a estimé que l’article 9 § 2, dans son libellé alors en vigueur, était incompatible avec l’article 10 de la Loi fondamentale en ce qu’il n’énonçait pas de manière suffisamment claire que le contrôle exercé par la commission G 10 s’étendait à l’ensemble de la procédure de collecte et d’utilisation des données (y compris les mesures prises en vertu de l’article 3 §§ 3, 5, 6 et 8), et pas uniquement aux mandats de surveillance délivrés par le ministre compétent. La Cour constitutionnelle fédérale a conclu que, dans l’attente de l’entrée en vigueur de dispositions législatives compatibles avec la Loi fondamentale, la disposition en question ne devait s’appliquer que si les pouvoirs de contrôle de la commission s’étendaient aux mesures prises en application de l’article 3 §§ 3, 5, 6 et 8.

i)  Article 9 § 6 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée : exclusion du contrôle juridictionnel

59.  L’article 9 § 6 excluait la possibilité d’un contrôle juridictionnel relativement aux mesures de surveillance ordonnées et mises en œuvre aux fins de la prévention d’une attaque armée contre le territoire de la République fédérale d’Allemagne au sens de l’article 3 § 1, deuxième phrase, point 1.

60.  Aux termes de l’article 5 § 5 de la loi G 10, dont la substance demeurait inchangée, la personne concernée devait être avisée des mesures restreignant le secret des télécommunications dès la levée de ces mesures, sous réserve qu’une telle notification ne compromît pas le but de la restriction (première et deuxième phrases). Après avoir été informée, la personne concernée pouvait saisir les tribunaux ; l’article 9 § 6 ne s’appliquait pas (troisième phrase).

61.  La Cour constitutionnelle fédérale a estimé que l’article 9 § 6 constituait une restriction justifiée au secret des télécommunications au regard de l’article 10 § 2, deuxième phrase, de la Loi fondamentale. En outre, une personne sous le coup d’une mesure de surveillance pouvait saisir les tribunaux après notification de la restriction en application de l’article 5 § 5, troisième phrase, de la loi G 10. Il en était de même lorsque la personne concernée avait eu connaissance de la mesure de surveillance d’une autre façon, sans en avoir été avertie.

4.  La nouvelle loi G 10

62.  Une nouvelle version de la loi G 10, qui tient compte des principes énoncés par la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt du 14 juillet 1999, est entrée en vigueur le 26 juin 2001.

GRIEFS

63.  Les requérants allèguent que certaines dispositions de la loi sur la lutte contre la criminalité portant modification de la loi G 10, telles qu’interprétées et modifiées par la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt du 14 juillet 1999, ont emporté violation de leur droit au respect de leur vie privée et de leur correspondance protégé par l’article 8 de la Convention. Ils s’en prennent en particulier à l’article 3 §§ 1, 3, 5, 6, 7 et 8 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée.

64.  La première requérante soutient en outre que les mêmes dispositions de ladite loi étaient attentatoires à la liberté de la presse garantie par l’article 10 de la Convention.

65.  Les requérants voient également une violation de l’article 13 de la Convention dans la destruction des données (article 3 §§ 6 et 7, combiné avec l’article 7 § 4), le défaut de notification des restrictions apportées au secret des télécommunications (article 3 § 8) et l’exclusion par la loi du contrôle juridictionnel dans certains cas (article 9 § 6).

EN DROIT

A.  Les exceptions soulevées par le Gouvernement

1.  Les arguments des parties

a)  Le Gouvernement

66.  Le Gouvernement excipe en premier lieu de l’incompatibilité ratione personae de la requête avec les dispositions de la Convention. Les deux requérants résideraient en Uruguay et leurs droits protégés par la Convention auraient été méconnus concernant des télécommunications opérées à partir de leurs liaisons téléphoniques dans ce pays. Or la surveillance de télécommunications passées depuis l’étranger devrait être qualifiée d’acte extraterritorial. Conformément à la décision rendue par la Cour dans l’affaire Banković et autres c. Belgique et autres ([GC], no 52207/99, CEDH 2001-XII), les requérants ne relèveraient donc pas de la juridiction de l’Allemagne au sens de l’article 1 de la Convention – une notion qui est principalement territoriale – du fait de cet acte.

67.  Deuxièmement, le second requérant n’aurait pas épuisé les voies de recours internes, contrairement à ce qu’exigerait l’article 35 § 1 de la Convention. Dans son recours constitutionnel, il n’aurait pas suffisamment étayé son argument selon lequel les mesures prises en vertu des dispositions litigieuses de la loi G 10 dans sa teneur modifiée étaient susceptibles de porter atteinte à ses droits garantis par la Loi fondamentale. La Cour constitutionnelle fédérale aurait donc déclaré le recours irrecevable. De plus, la première requérante n’aurait pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne son grief selon lequel l’article 3 § 2, troisième phrase, de la loi G 10 dans sa teneur modifiée a emporté violation de ses droits garantis par la Convention. Dans son recours devant la Cour constitutionnelle fédérale, elle n’aurait pas démontré avoir pâti, et dans quelle mesure, de la disposition en question.

68.  Troisièmement, les requérants ne sauraient se prétendre victimes d’une violation de leurs droits protégés par la Convention. A cet égard, le Gouvernement renvoie à son raisonnement concernant l’épuisement des voies de recours internes. De plus, pour autant que la Cour constitutionnelle fédérale aurait déjà déclaré les dispositions litigieuses inconstitutionnelles, les requérants ne pourraient plus se prétendre victimes d’une violation de leurs droits garantis par la Convention. En particulier, ils n’auraient aucun intérêt légitime à obtenir une décision dans la mesure où la juridiction constitutionnelle aurait autorisé le maintien en vigueur provisoire de ces dispositions.

b)  Les requérants

69.  Les requérants contestent ces arguments. Quant à la compatibilité ratione personae de la requête avec les dispositions de la Convention, la première requérante relèverait de la juridiction de l’Allemagne au sens de l’article 1 de la Convention, puisqu’elle serait de nationalité allemande. Pour les deux requérants, le fait que les actes litigieux aient déployé leurs effets à l’étranger ne serait pas décisif. Sinon, un Etat défendeur pourrait se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu de la Convention.

70.  Les requérants auraient épuisé les voies de recours internes, la Cour constitutionnelle fédérale ayant rendu le 14 juillet 1999 un arrêt les concernant tous deux.

71.  En outre, ils n’auraient pas perdu leur qualité de victime de violations de leurs droits protégés par la Convention dans la mesure où ils n’auraient pas obtenu dans le cadre de leur recours constitutionnel le redressement sollicité. Les pouvoirs du service fédéral des renseignements seraient demeurés inchangés dans la nouvelle version de la loi G 10 de 2001, la Cour constitutionnelle fédérale ne les ayant pas remis en cause. La nature même de la surveillance secrète empêcherait les intéressés de prouver qu’ils ont effectivement été soumis à cette mesure. Toutefois, en raison de leurs activités, ils auraient fort probablement employé des mots clés au sens de l’article 3 § 2 de la loi G 10, ce qui aurait provoqué l’enregistrement et l’analyse de leurs communications.

2.  L’appréciation de la Cour

72.  La Cour considère qu’il n’y a pas lieu en l’espèce de se prononcer sur les exceptions soulevées par le Gouvernement puisqu’elle estime, quand bien même la requête serait compatible ratione personae avec la Convention, les voies de recours internes auraient été épuisées et les deux requérants pourraient se prétendre victimes de violations de la Convention, que la requête est de toute façon irrecevable pour les raisons suivantes.

B.  Les griefs tirés de l’article 8 de la Convention

73.  Les requérants soutiennent que certaines dispositions de la loi sur la lutte contre la criminalité portant modification de la loi G 10, telle que la Cour constitutionnelle fédérale les a interprétées et modifiées, ont emporté violation de leurs droits au respect de leur vie privée et de leur correspondance.

74.  Ils se plaignent en particulier de cinq mesures. Premièrement, ils dénoncent le procédé de surveillance stratégique (article 3 § 1 combiné avec l’article 1 § 1, point 2, de la loi G 10). Deuxièmement, ils contestent la transmission et l’utilisation, en application de l’article 3 § 3, deuxième phrase, de la loi G 10, de données à caractère personnel. Troisièmement, ils mettent en cause la transmission de données à caractère personnel aux offices de protection de la Constitution et à d’autres autorités, et leur utilisation en application de l’article 3 § 5 de la loi G 10. Quatrièmement, ils se plaignent de la destruction de données à caractère personnel en vertu de l’article 3 §§ 6 et 7 combiné avec l’article 7 § 4 de la loi G 10. Enfin, cinquièmement, ils dénoncent la disposition qui donnait la possibilité de ne pas avertir les intéressés des restrictions apportées au secret des télécommunications (article 3 § 8 de la loi G 10).

75.  Les requérants invoquent l’article 8 de la Convention, lequel, en son passage pertinent en l’espèce, se lit ainsi :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...) et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1.  Sur l’existence d’une ingérence

76.  Le Gouvernement reconnaît que les dispositions litigieuses de la loi G 10 dans sa teneur modifiée, dans la mesure où elles autorisaient la surveillance de télécommunications et l’utilisation de données ainsi recueillies, ont porté atteinte au secret des télécommunications protégé par l’article 8. Les requérants partagent ce point de vue.

77.  La Cour rappelle que les conversations téléphoniques se trouvent comprises dans les notions de « vie privée » et de « correspondance » au sens de l’article 8 (voir, notamment, Klass et autres, précité, § 41, Malone c. Royaume-Uni, 2 août 1984, § 64, série A no 82, et Lambert c. France, 24 août 1998, § 21, Recueil des arrêts et décisions 1998-V).

78.  Elle note en outre que les requérants, bien que membres d’un groupe de personnes susceptibles d’être frappées par des mesures d’interception, sont incapables de démontrer que les mesures litigieuses leur ont effectivement été appliquées. Elle rappelle toutefois les conclusions auxquelles elle est parvenue dans des affaires analogues et selon lesquelles la législation elle-même crée par sa simple existence, pour tous ceux auxquels on pourrait l’appliquer, une menace de surveillance entravant forcément la liberté de communication entre usagers des services des télécommunications et constituant par là en soi une ingérence dans l’exercice par les requérants de leurs droits garantis par l’article 8, quelles que soient les mesures prises dans les faits (Klass et autres, précité, § 41, et Malone, précité, § 64).

79.  Par conséquent, les dispositions litigieuses de la loi G 10 dans sa teneur modifiée, pour autant qu’elles autorisaient l’interception de télécommunications, ont porté atteinte au droit des requérants au respect de leur vie privée et de leur correspondance. En outre, à l’instar de la Cour constitutionnelle fédérale, la Cour estime que la transmission des données à d’autres autorités et leur usage par celles-ci, ce qui a élargi le groupe des personnes ayant connaissance des données à caractère personnel interceptées et pouvait aboutir à des investigations sur les personnes concernées, a constitué une atteinte séparée supplémentaire aux droits des requérants au regard de l’article 8 (voir, mutatis mutandis, Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 48, série A no 116, Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, § 70, CEDH 2000‑II, et Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 46, CEDH 2000-V). De surcroît, les dispositions litigieuses ont porté atteinte à ces droits dans la mesure où elles prévoyaient la destruction des données recueillies et le refus d’avertir les personnes concernées des mesures de surveillance prises ; cela permettait en effet de dissimuler que les autorités avaient pris des mesures de surveillance méconnaissant les droits des requérants protégés par l’article 8.

2.  Sur la justification de l’ingérence

80.  Pareilles ingérences se justifiaient au regard du paragraphe 2 de l’article 8 si, « prévues par la loi », elles poursuivaient un ou des buts légitimes qui y sont énumérés et, de surcroît, étaient « nécessaires, dans une société démocratique », pour le ou les atteindre.

a)  Les ingérences étaient-elles « prévues par la loi » ?

81.  De l’avis du Gouvernement, les ingérences étaient prévues par la loi. D’une part, elles n’auraient pas été contraires au droit international public, la surveillance de télécommunications sans fil ne portant pas atteinte à la souveraineté territoriale des Etats étrangers. Quoi qu’il en soit, la première requérante ne pourrait pas alléguer une violation de la souveraineté territoriale d’un Etat dans le cadre d’une requête individuelle devant la Cour. D’autre part, les ingérences en question auraient été fondées sur les dispositions de la loi G 10 dans sa teneur modifiée et, dans la mesure où la Cour constitutionnelle fédérale aurait déclaré inconstitutionnelles certaines des dispositions litigieuses, sur l’arrêt de cette juridiction concernant les modalités d’application de ces dispositions durant une période transitoire. En particulier, l’article 3 § 5, tel qu’il aurait été confirmé par la Cour constitutionnelle fédérale, aurait constitué une base légale suffisante pour la transmission de données par le service fédéral des renseignements à d’autres autorités.

82.  En outre, les conditions de surveillance des télécommunications et d’utilisation des données ainsi obtenues auraient été énoncées de manière précise dans les dispositions de la loi G 10 dans sa teneur modifiée et dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle. En particulier, les garanties procédurales contre un abus des pouvoirs de surveillance auraient été suffisantes.

83.  Selon les requérants, l’interception de télécommunications porte illégalement atteinte à la souveraineté des Etats étrangers où résident les personnes dont les communications sont surveillées. De plus, l’article 3 § 5 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée n’aurait fourni aucune base légale valable pour la transmission aux offices de protection de la Constitution de la Fédération et des Länder et au service du contre-espionnage militaire d’informations recueillies au moyen de l’interception de télécommunications. Contrairement à l’avis de la Cour constitutionnelle fédérale, l’article 73, point 1, de la Loi fondamentale n’autoriserait pas le législateur fédéral à adopter un tel texte.

84.  La Cour rappelle que les mots « prévue par la loi », au sens de l’article 8 § 2, veulent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée, qui de surcroît doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle, et sa compatibilité avec la prééminence du droit (voir, parmi d’autres, Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 27, série A no 176-A, Huvig c. France, 24 avril 1990, § 26, série A no 176-B, Lambert, précité, § 23, et Perry c. Royaume-Uni, no 63737/00, § 45, CEDH 2003-IX).

i.  Sur l’existence d’une base légale en droit allemand

85.  La Cour note d’emblée qu’en l’espèce l’ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de leur vie privée et de leur correspondance est résultée de dispositions de la loi G 10 dans sa teneur modifiée, laquelle avait été adoptée par le Parlement et était applicable selon les modalités exposées par la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt du 14 juillet 1999.

86.  Elle relève en outre que les requérants estiment que les dispositions litigieuses de ladite loi n’ont pas constitué une base légale valable, principalement parce que l’interception des télécommunications a porté illégalement atteinte à la souveraineté des Etats étrangers dans lesquels résidaient les personnes surveillées.

87.  La Cour rappelle que le terme « loi » au sens de la Convention renvoie au droit national, y compris les dispositions du droit international public applicable dans les Etats respectifs (voir, mutatis mutandis, Groppera Radio AG et autres c. Suisse, 28 mars 1990, § 68, série A no 173, Autronic AG c. Suisse, 22 mai 1990, § 56, série A no 178, Stocké c. Allemagne, 19 mars 1991, § 54, série A no 199, et Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 90, CEDH 2005-IV). En présence d’allégations selon lesquelles un Etat défendeur a méconnu le droit international en violant la souveraineté territoriale d’un Etat étranger, la Cour exige qu’il soit démontré devant elle, par des indices concordants, que les autorités de l’Etat défendeur ont procédé à l’étranger à des activités contraires à la souveraineté de l’Etat étranger, donc au droit international (voir, en particulier, Öcalan, précité, § 90).

88.  La Cour observe que les dispositions litigieuses de la loi G 10 dans sa teneur modifiée autorisaient la surveillance de télécommunications sans fil internationales, c’est-à-dire de télécommunications non opérées par l’intermédiaire de lignes téléphoniques fixes mais, par exemple, par l’intermédiaire de relais satellites ou hertziens, ainsi que l’emploi des données ainsi obtenues. Des signaux émis depuis des pays étrangers étaient surveillés par des sites d’interception situés sur le sol allemand et les données recueillies étaient utilisées en Allemagne. Cela étant, la Cour estime que les requérants n’ont pas démontré, par des indices concordants, que les autorités, en adoptant et en appliquant les mesures de surveillance stratégique, aient procédé à des activités attentatoires à la souveraineté territoriale d’Etats étrangers, telle qu’elle est protégée par le droit international public.

89.  Par ailleurs, la Cour relève que les requérants contestent en second lieu que l’article 3 § 5 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée ait fourni une base légale valable pour la transmission d’informations. Les intéressés soutiennent que les articles pertinents de la Loi fondamentale, en particulier l’article 73, consacrés aux compétences législatives, n’habilitaient pas le législateur fédéral, plutôt que les parlements des Länder, à adopter une telle disposition. Ils allèguent donc en substance que la disposition litigieuse de la loi G 10 dans sa teneur modifiée était incompatible avec une loi interne de rang supérieur, à savoir les dispositions sur les pouvoirs législatifs figurant dans la Constitution allemande.

90.  A ce propos, la Cour rappelle que sans doute une ingérence ne saurait-elle passer pour « prévue par la loi » si la décision – ou la disposition légale – dont elle découle n’a pas respecté la législation en vigueur – de rang supérieur –, mais l’économie du système de sauvegarde instauré par la Convention assigne des limites à l’ampleur du contrôle de la Cour en la matière. Il incombe au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne : par la force des choses, elles sont spécialement qualifiées pour trancher les questions surgissant à cet égard (voir, mutatis mutandis, Kruslin, précité, § 29, et Barthold c. Allemagne, 25 mars 1985, § 48, série A no 90). Dans un domaine couvert par le droit écrit, la « loi » est donc le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’ont interprété en ayant égard, au besoin, à des données techniques nouvelles, et la Cour ne saurait mettre en question l’interprétation des cours et tribunaux nationaux sauf en cas d’inobservation flagrante, ou d’application arbitraire, de la législation interne pertinente (voir, notamment, Kruslin, précité, § 29, Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, § 43, CEDH 2002-III, et, mutatis mutandis, Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 114, 28 novembre 2002, et Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 88, CEDH 2005-XI).

91.  La Cour note que la Cour constitutionnelle fédérale, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’espèce, a estimé que le pouvoir législatif exclusif conféré au législateur fédéral dans la sphère des affaires étrangères par l’article 73, point 1, de la Loi fondamentale autorisait également le législateur fédéral à légiférer dans les domaines prévus par l’article 3 § 5 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée. Elle estime que l’interprétation des tribunaux nationaux selon laquelle la transmission à d’autres autorités d’informations obtenues par le service fédéral des renseignements dans l’exercice de sa mission ressortissait à la compétence du législateur fédéral pour ce qui était des affaires étrangères ne révèle aucune inobservation flagrante de la Loi fondamentale ni aucun élément d’arbitraire dans son application. Elle est donc convaincue que la mesure litigieuse avait une base légale suffisante.

ii.  Qualité de la loi

92.  La deuxième exigence découlant des termes « prévue par la loi » – l’accessibilité de la loi – ne pose aucun problème en l’espèce.

93.  Quant à la troisième exigence, la prévisibilité de la loi, la Cour rappelle que dans le contexte particulier des mesures de surveillance secrète, telles que l’interception de communications, la prévisibilité ne saurait signifier qu’un individu doit se trouver à même d’escompter quand les autorités sont susceptibles d’intercepter ses communications de manière qu’il puisse adapter sa conduite en conséquence (voir, notamment, Leander, précité, § 51). Or le danger d’arbitraire apparaît avec une netteté singulière là où un pouvoir de l’exécutif s’exerce en secret (voir, notamment, Malone, précité, § 67, Huvig, précité, § 29, et Rotaru, précité, § 55). L’existence de règles claires et détaillées en matière d’interception de conversations téléphoniques apparaît donc indispensable, d’autant que les procédés techniques utilisables ne cessent de se perfectionner (Kopp c. Suisse, 25 mars 1998, § 72, Recueil 1998-II, et Valenzuela Contreras c. Espagne, 30 juillet 1998, § 46, Recueil 1998-V). La loi doit user de termes assez clairs pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à prendre pareilles mesures secrètes (Malone, ibidem, Kopp, précité, § 64, Huvig, précité, § 29, et Valenzuela Contreras, ibidem).

94.  En outre, puisque l’application de mesures de surveillance secrète des communications échappe au contrôle des intéressés comme du public, la « loi » irait à l’encontre de la prééminence du droit si le pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ou à un juge ne connaissait pas de limites. En conséquence, elle doit définir l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir avec une netteté suffisante pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire (voir, parmi d’autres, Malone, précité, § 68, Leander, précité, § 51, et Huvig, précité, § 29).

95.  Dans sa jurisprudence relative aux mesures de surveillance secrète, la Cour énonce les garanties minimales suivantes contre les abus de pouvoir que la loi doit renfermer : la nature des infractions susceptibles de donner lieu à un mandat d’interception, la définition des catégories de personnes susceptibles d’être mises sur écoute, la fixation d’une limite à la durée de l’exécution de la mesure, la procédure à suivre pour l’examen, l’utilisation et la conservation des données recueillies, les précautions à prendre pour la communication des données à d’autres parties, et les circonstances dans lesquelles peut ou doit s’opérer l’effacement ou la destruction des enregistrements (voir, notamment, Huvig, précité, § 34, Amann, précité, § 76, Valenzuela Contreras, précité, § 46, et Prado Bugallo c. Espagne, no 58496/00, § 30, 18 février 2003).

96.  Quant au cas d’espèce, la Cour observe que l’article 3 § 1 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée, telle qu’elle a été interprétée par la Cour constitutionnelle fédérale, énumérait très précisément dans sa deuxième phrase, points 1 à 6, les infractions pour la prévention desquelles l’interception stratégique de télécommunications pouvait être ordonnée. La loi G 10 dans sa teneur modifiée définissait donc de façon claire et précise les infractions pouvant donner lieu à un mandat d’interception.

97.  La Cour relève en outre que les conditions de mise en œuvre d’une surveillance stratégique, telles qu’énoncées à l’article 3 §§ 1 et 2 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée, indiquaient en particulier les catégories de personnes susceptibles de faire l’objet d’écoutes téléphoniques : les personnes concernées devaient avoir participé à une conversation téléphonique internationale par l’intermédiaire de relais satellites ou hertziens (ou encore par l’intermédiaire de lignes téléphoniques fixes dans le cas d’une surveillance visant à la prévention d’une attaque armée contre l’Allemagne, d’après l’article 3 § 1, point 1). Les intéressés devaient de surcroît avoir employé des mots clés de nature à déclencher une enquête sur les dangers énumérés à l’article 3 § 1, points 1 à 6, ou être des ressortissants étrangers ou des sociétés étrangères dont les liaisons téléphoniques pouvaient faire l’objet d’une surveillance délibérée aux fins de la prévention de tels dangers (article 3 § 2).

98.  Pour ce qui est de la durée maximale des écoutes téléphoniques, la Cour note que, selon l’article 5 de la loi G 10 (disposition qui n’a pas été modifiée par la loi de 1994 sur la lutte contre la criminalité), elle pouvait être fixée à trois mois dans le mandat de surveillance ; la mise en œuvre de la mesure pouvait être à chaque fois prolongée de trois mois au plus, sous réserve que les conditions légales de délivrance du mandat fussent remplies.

99.  De plus, la procédure à suivre pour l’examen et l’utilisation des données recueillies était régie très précisément par l’article 3 §§ 3-5 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée. En particulier, l’article 3 §§ 3 et 5 indiquait les limites et les précautions à respecter relativement à la transmission de données à d’autres autorités, et la Cour constitutionnelle fédérale s’est encore montrée plus stricte à cet égard dans l’arrêt qu’elle a rendu dans la présente affaire.

100.  En ce qui concerne les conditions dans lesquelles des enregistrements pouvaient ou devaient être effacés et leurs supports détruits, la Cour observe que l’article 3 §§ 6 et 7 et l’article 7 § 4 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée exposaient en détail les modalités de destruction de données obtenues au moyen d’une surveillance stratégique. Les autorités qui conservaient les données devaient vérifier tous les six mois si ces données demeuraient nécessaires à la poursuite des buts pour lesquels elles avaient été recueillies ou leur avaient été transmises. Si tel n’était pas le cas, ces données devaient être détruites et effacées des fichiers ou, tout au moins, leur accès devait être interdit ; la destruction devait être consignée dans un procès-verbal et, dans les cas envisagés par l’article 3 § 6 et l’article 7 § 4, contrôlée par un agent possédant les qualifications requises pour accéder à la magistrature.

101.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que les dispositions litigieuses de la loi G 10, envisagées dans leur contexte législatif, renfermaient les garanties minimales contre une ingérence arbitraire, telles que définies dans la jurisprudence de la Cour, et donnaient donc aux citoyens une indication adéquate sur les circonstances et les conditions dans lesquelles les autorités publiques étaient autorisées à recourir à des mesures de surveillance, ainsi que sur l’étendue et les modalités d’exercice par les autorités de leur pouvoir discrétionnaire.

102.  Partant, les ingérences dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de leur vie privée et de leur correspondance découlant des dispositions litigieuses de la loi G 10 dans sa teneur modifiée étaient « prévues par la loi », au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

b)  But et nécessité des ingérences

103.  Le Gouvernement soutient que les atteintes litigieuses portées au secret des télécommunications aux fins énumérées à l’article 3 § 1, deuxième phrase, points 1 à 6, poursuivaient un but légitime. Elles avaient été nécessaires, en particulier à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays et à la prévention des infractions pénales. Les requérants ne formulent aucune observation sur cette question.

104.  La Cour partage le point de vue du Gouvernement selon lequel les dispositions querellées de la loi G 10 dans sa teneur modifiée avaient effectivement pour buts la protection de la sécurité nationale et/ou la prévention des infractions pénales, buts légitimes au regard de l’article 8 § 2. Dès lors, elle estime qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur le point de savoir si les autres buts cités par le Gouvernement sont également à prendre en considération.

105.  Il reste à rechercher si les ingérences dénoncées étaient « nécessaires, dans une société démocratique, » à la réalisation de ces buts.

106.  La Cour rappelle que, lorsqu’elle doit mettre en balance l’intérêt de l’Etat défendeur à protéger la sécurité nationale au moyen de mesures de surveillance secrète et la gravité de l’ingérence dans l’exercice par un requérant de son droit au respect de sa vie privée, elle dit invariablement que les autorités nationales disposent d’une ample marge d’appréciation pour choisir les moyens de sauvegarder la sécurité nationale (voir, notamment, Klass et autres, précité, § 49, Leander, précité, § 59, et Malone, précité, § 81). Néanmoins, elle doit se convaincre de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus car un système de surveillance secrète destiné à protéger la sécurité nationale crée un risque de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre (Klass et autres, précité, §§ 49-50, Leander, précité, § 60, Camenzind c. Suisse, 16 décembre 1997, § 45, Recueil 1997-VIII, et Lambert, précité, § 31). Cette appréciation dépend de toutes les circonstances de la cause, par exemple la nature, l’étendue et la durée des mesures éventuelles, les raisons requises pour les ordonner, les autorités compétentes pour les permettre, les exécuter et les contrôler, et le type de recours fourni par le droit interne (Klass et autres, précité, § 50).

107.  Sans perdre de vue le contexte législatif, la Cour examinera d’abord si les ingérences en question étaient proportionnées au but légitime poursuivi par chacune des dispositions litigieuses, et procédera ensuite à une appréciation globale.

i.  Surveillance stratégique en vertu de l’article 3 § 1 combiné avec l’article 1 § 1, point 2, de la loi G 10 dans sa teneur modifiée (par la loi du 28 octobre 1994 sur la lutte contre la criminalité)

108.  D’après le Gouvernement, la disposition litigieuse était nécessaire dans une société démocratique. Elle aurait ménagé un juste équilibre entre l’intérêt public à la prévention des dangers graves énumérés aux points 1 à 6 de l’article 3 § 1 et les intérêts des personnes visées par les mesures de surveillance.

109.  Les mesures de surveillance fondées sur la loi G 10 seraient notamment nécessaires à la lutte contre le terrorisme international (point 2) – qui constituerait une menace accrue pour les sociétés démocratiques –, par exemple à la découverte des structures de commandement d’Al-Qaida après les attaques terroristes du 11 septembre 2001. En ce qui concerne le trafic international d’armes (point 3), il serait par exemple possible d’éviter l’exportation de biens utilisables à des fins tant civiles que militaires vers des pays soumis à un embargo et d’améliorer le contrôle des exportations au moyen de la surveillance stratégique. Il serait impossible de neutraliser ces menaces sans recourir à la surveillance stratégique des télécommunications.

110.  Ni la manière dont les mesures de surveillance ont été prises ni leur ampleur n’auraient été excessives. A l’époque des faits, seulement 10 % environ de l’ensemble des télécommunications auraient été effectuées par le réseau sans fil et auraient donc été susceptibles de faire l’objet d’une surveillance. Dans la pratique, la surveillance aurait été limitée à un nombre restreint de pays étrangers. D’après l’article 3 § 2, troisième phrase, il aurait été impossible de surveiller directement les liaisons téléphoniques de ressortissants allemands vivant à l’étranger. L’identité des personnes faisant usage des télécommunications n’aurait pu être découverte que dans les rares cas où un mot clé aurait été utilisé.

111.  Selon les requérants, la surveillance automatique pratiquée en application de l’article 3 § 1 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée était d’une trop grande portée puisqu’elle n’aurait plus été soumise à aucune restriction géographique et qu’il aurait été possible d’identifier des personnes et, si celles-ci utilisaient des téléphones portables, de suivre leurs déplacements. D’après l’article 3 § 2 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée, le second requérant aurait même pu faire l’objet d’une surveillance délibérée. Le service fédéral des renseignements aurait été autorisé à surveiller toutes les télécommunications de son ressort sans aucune raison ni aucun soupçon préalable. Ces pouvoirs de surveillance auraient entravé la libre communication et porté atteinte aux fondements de la société démocratique. Peu importerait de savoir s’il était déjà possible d’un point de vue technique de procéder à une surveillance mondiale.

112.  Ces vastes pouvoirs de surveillance n’auraient pas répondu à un besoin impérieux de la société en la matière. La République fédérale d’Allemagne n’aurait pas été sous la menace d’une attaque armée d’un Etat étranger possédant l’arme nucléaire, comme elle l’aurait été durant la « Guerre froide ». Il n’y aurait eu aucun autre danger comparable à conjurer. En particulier, le trafic de stupéfiants, le faux-monnayage et le blanchiment d’argent ou d’autres risques présumés relevant du crime organisé n’auraient pas suffisamment menacé la sûreté publique pour justifier une ingérence aussi importante dans les télécommunications d’individus. La limitation des interceptions aux informations « pertinentes » (« nachrichtendienstliche Relevanz ») pour le service des renseignements ordonnée par la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt n’aurait pas suffi à restreindre effectivement les pouvoirs de surveillance du service fédéral des renseignements.

113.  Par ailleurs, l’obligation d’obtenir l’autorisation des plus hautes autorités des Länder ou d’un ministre du gouvernement fédéral pour faire intercepter des télécommunications et le contrôle préalable des mesures de surveillance par une commission parlementaire indépendante n’auraient pas écarté le danger d’abus. On aurait probablement ordonné les ingérences en question dans le but d’atteindre un certain résultat, notamment parce qu’il aurait été peu plausible que le recours excessif à de telles mesures, qui, en règle générale, seraient demeurées secrètes, emportât des sanctions judiciaires ou politiques.

114.  La Cour est consciente de ce que les modifications apportées en 1994 à la loi G 10 ont considérablement élargi l’éventail des domaines de nature à faire l’objet d’une surveillance dite stratégique en application de l’article 3 § 1, la principale disposition litigieuse en l’espèce. Alors qu’à l’origine on aurait autorisé pareille surveillance uniquement pour détecter et conjurer le danger d’une attaque armée contre l’Allemagne, l’article 3 § 1 autorise désormais le recours à une surveillance stratégique afin de prévenir d’autres infractions graves, énumérées aux points 2 à 6 de cette disposition. De surcroît, les progrès techniques permettent aujourd’hui d’identifier les liaisons téléphoniques impliquées dans les communications interceptées.

115.  Si l’éventail des domaines énumérés dans la loi G 10 dans sa teneur modifiée fait l’objet d’une définition large, la Cour observe que – tout comme dans la loi G 10 dans sa version initiale, qui se trouvait en cause dans l’affaire Klass et autres – une série de conditions restrictives doivent être remplies pour qu’une mesure entraînant une surveillance stratégique puisse être imposée. Ce n’est que pour certains actes criminels graves – qui reflètent les menaces auxquelles la société se trouve confrontée et qui sont énumérés de manière détaillée à l’article 3 § 1 litigieux – qu’il est possible de solliciter l’autorisation de procéder à une surveillance stratégique. En ce qui concerne la surveillance de télécommunications en vue de la prévention du faux-monnayage à l’étranger, la Cour constitutionnelle fédérale a durci les conditions d’interception, estimant qu’une telle infraction pouvait passer pour suffisamment grave pour justifier une surveillance seulement si elle menaçait la stabilité monétaire de l’Allemagne. La surveillance ne pouvait être ordonnée que sur la base d’une demande motivée du président du service fédéral des renseignements ou de son adjoint et que s’il était impossible ou considérablement plus difficile d’établir les faits par un autre moyen. La décision de procéder à une surveillance devait être prise par le ministre fédéral habilité à cet effet par le Chancelier ou, le cas échéant, par l’autorité suprême des Länder avec l’autorisation du comité parlementaire de contrôle. Le ministre devait en outre obtenir une autorisation préalable de la commission G 10 ou, en cas d’urgence, une approbation a posteriori. Par conséquent, la loi G 10 dans sa teneur modifiée prévoyait une procédure administrative destinée à éviter que les mesures ne fussent ordonnées au hasard, irrégulièrement ou sans examen approprié et convenable.

116.  S’agissant de la mise en œuvre des mesures de surveillance et du traitement des données ainsi obtenues, la Cour note de surcroît que les garanties contre les abus sont énoncées de manière exhaustive. Les mesures de surveillance demeurent en vigueur pour une période maximale relativement courte de trois mois et ne peuvent être reconduites que sur la base d’une nouvelle demande et que si les conditions légales sont toujours remplies. Elles doivent être levées dès que les conditions énoncées dans le mandat ne sont plus satisfaites ou que la surveillance elle-même ne s’impose plus. En ce qui concerne l’examen des données à caractère personnel recueillies par le service fédéral des renseignements, la Cour constitutionnelle fédérale a renforcé les garanties existantes en ordonnant d’accompagner ces données de la mention qu’elles provenaient d’une surveillance stratégique et de limiter leur utilisation aux fins énumérées à l’article 3 § 1. Quant à la transmission de données au gouvernement fédéral et à d’autres autorités en application de l’article 3 §§ 3 et 5, elle est également soumise à des conditions (examinées plus en détail ci-après). En outre, la loi G 10 renferme des dispositions strictes relatives à la conservation et à la destruction de données. La responsabilité de l’examen semestriel des dossiers conservés incombe à un fonctionnaire possédant les qualifications requises pour accéder à la magistrature. Les données doivent être détruites dès que leur conservation ne s’impose plus pour atteindre les buts poursuivis (voir les paragraphes 130 à 133 pour plus de précisions).

117.  Quant à la supervision et au contrôle des mesures de surveillance, la Cour relève que la loi G 10 les confie à deux organes indépendants ayant un rôle relativement important. Il s’agit, premièrement, du comité parlementaire de contrôle, composé de neuf membres du Parlement, y compris des représentants de l’opposition. Le ministre fédéral qui autorise des mesures de surveillance doit rendre compte à ce comité, au moins une fois par semestre. Deuxièmement, la loi a institué la commission G 10, qui doit autoriser les mesures de surveillance et possède des pouvoirs importants à tous les stades de l’interception. La Cour observe que, dans son arrêt Klass et autres (précité, §§ 53-60), elle a estimé que ce système de supervision – qui était essentiellement le même que celui prévu par la loi G 10 dans sa teneur modifiée en litige en l’espèce – était apte à limiter à ce qui était « nécessaire, dans une société démocratique » l’ingérence résultant de la législation incriminée. Elle ne voit aucune raison de conclure différemment en l’espèce.

118.  Par conséquent, la surveillance stratégique prévue par l’article 3 § 1 s’inscrivait dans un cadre législatif offrant de solides garanties contre les abus.

ii.  La transmission et l’utilisation de données à caractère personnel en application de l’article 3 § 3, deuxième phrase, de la loi G 10, combiné avec l’article 12 de la loi sur le service fédéral des renseignements

119.  Le Gouvernement soutient que, comme il se doit dans une société démocratique, le service fédéral des renseignements est tenu de rendre compte au gouvernement fédéral des résultats des mesures de surveillance mises en œuvre en application de l’article 3 § 3, deuxième phrase, de la loi G 10 dans sa teneur modifiée, combiné avec l’article 12 de la loi sur le service fédéral des renseignements. Ainsi il lui faudrait transmettre les données à caractère personnel en signalant qu’elles ont été obtenues grâce à de telles mesures. Faute de pareille mention, le gouvernement ne serait pas à même de prendre des mesures efficaces pour prévenir les dangers énumérés à l’article 3 § 1.

120.  D’après les requérants, rien ne justifie la transmission au gouvernement fédéral de données à caractère personnel non anonymes recueillies par le service fédéral des renseignements au moyen de l’interception de télécommunications. Les poursuites pénales dirigées contre des individus relèveraient du seul pouvoir judiciaire, et les données à caractère personnel ainsi transmises pourraient être utilisées abusivement à des fins politiques.

121.  La Cour note d’emblée que la Cour constitutionnelle fédérale, dans son arrêt, a estimé que les dispositions litigieuses ne garantissaient pas suffisamment que l’obligation pour le service fédéral des renseignements de rendre compte au gouvernement fédéral, ce qui incluait la transmission de données à caractère personnel, se limiterait aux fins ayant justifié la collecte de ces données. La Cour constitutionnelle fédérale a dit que, dans l’attente de l’entrée en vigueur de dispositions législatives compatibles avec la Constitution, l’article 3 § 3, deuxième phrase, ne pouvait être appliqué que si les données à caractère personnel figurant dans le rapport au gouvernement fédéral étaient accompagnées de la mention spécifique qu’elles provenaient d’une surveillance stratégique et demeuraient liées aux buts ayant justifié leur collecte.

122.  La Cour estime que la disposition litigieuse, telle que modifiée et applicable depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale, énonce des conditions strictes concernant la transmission au gouvernement fédéral de données obtenues au moyen d’une surveillance stratégique. En outre, elle est convaincue par l’argument du Gouvernement selon lequel, pour prévenir effectivement les dangers énumérés à l’article 3 § 1, la transmission de données personnelles – par opposition aux données anonymes – peut se révéler nécessaire. Les garanties supplémentaires introduites par la Cour constitutionnelle fédérale sont suffisantes pour limiter l’utilisation des informations obtenues à ce qui est nécessaire aux fins de la surveillance stratégique.

iii.  La transmission de données à caractère personnel aux offices de protection de la Constitution et à d’autres autorités et leur utilisation par ceux-ci, en application de l’article 3 § 5 de la loi G 10

123.  De l’avis du Gouvernement, la transmission des données en question est nécessaire, dans une société démocratique, à la prévention et à la poursuite des infractions pénales. Cette mesure constituerait un moyen approprié d’y parvenir, car il incomberait aux autorités destinataires de prévenir les infractions pénales et de les instruire. Au regard des conditions posées par la Cour constitutionnelle fédérale (conditions voulant en particulier que la transmission de données soit autorisée seulement si des faits spécifiques – par opposition à de simples indices – permettent de soupçonner qu’une des infractions énumérées à l’article 3 § 3 est projetée ou a été commise), les pouvoirs de transmettre des données ne seraient pas excessivement larges. En outre, les garanties procédurales propres à assurer le respect de ces exigences seraient suffisantes. La décision de transmettre des données serait prise par un fonctionnaire possédant les qualifications requises pour accéder à la magistrature et serait soumise au contrôle de la commission G 10.

124.  Les requérants soutiennent que la transmission, notamment aux offices de protection de la Constitution, de données à caractère personnel a constitué une ingérence supplémentaire dans l’exercice de leurs droits, qui n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Malgré les restrictions ordonnées par la Cour constitutionnelle fédérale, l’éventail des cas dans lesquels la transmission de données serait autorisée demeurerait large et imprécis. Il serait disproportionné d’utiliser des informations obtenues au moyen d’une atteinte grave au secret des communications pour lutter contre une multitude d’infractions – dont certaines relativement mineures – quand bien même elles n’en seraient qu’au stade de la planification. Le danger manifeste d’abus ne serait pas contrebalancé par des garanties procédurales suffisantes. Bien que la décision de transmettre des données soit prise par un fonctionnaire possédant les qualifications requises pour accéder à la magistrature, son examen ne serait pas indépendant, l’intéressé appartenant au service fédéral des renseignements.

125.  La Cour estime que la transmission de données à caractère personnel recueillies au moyen de mesures de surveillance générale, en l’absence de tout soupçon préalable précis, afin de permettre l’ouverture de poursuites pénales contre les personnes surveillées constitue une ingérence relativement grave dans l’exercice par les intéressés de leur droit au secret des télécommunications. Elle observe à cet égard que les modifications apportées à la loi G 10 en question ont sensiblement élargi la série des infractions pour lesquelles, dans le cadre de l’enquête, il était possible d’utiliser des renseignements obtenus au moyen d’une surveillance stratégique.

126.  Toutefois, elle note que l’utilisation à ces fins des informations obtenues au moyen d’une surveillance stratégique est limitée : des données à caractère personnel peuvent être transmises à d’autres autorités seulement pour prévenir ou poursuivre les infractions pénales graves énumérées à l’article 3 § 3 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée.

127.  En outre, la Cour relève que la Cour constitutionnelle fédérale a estimé que la disposition litigieuse, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, portait atteinte de manière disproportionnée au secret des télécommunications, tel que protégé par la Loi fondamentale. La juridiction constitutionnelle a dit en conséquence que, dans l’attente de l’entrée en vigueur de dispositions législatives compatibles avec la Constitution, l’article 3 § 5 ne devait être appliqué et des données transmises que si des faits spécifiques – par opposition à de simples indices – permettaient de soupçonner qu’un individu avait commis une des infractions énumérées à l’article 3 § 3. De surcroît, la transmission devait être consignée dans un procès-verbal. La Cour constitutionnelle a donc, dans ce domaine aussi, considérablement renforcé les garanties contre les abus.

128.  Par ailleurs, la décision de transmettre des données devait être prise par un agent du service fédéral des renseignements possédant les qualifications requises pour accéder à la magistrature, et particulièrement bien formé pour vérifier si les conditions de transmission étaient remplies. De plus, ainsi que l’a précisé la Cour constitutionnelle fédérale dans son arrêt, en matière de contrôle, les pouvoirs de la commission G 10, organe indépendant, s’étendaient à la vérification du respect des conditions légales de la transmission.

129.  A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l’atteinte au secret des communications passées par des personnes soumises à une surveillance en application de la disposition litigieuse était compensée à la fois par une limitation raisonnable des infractions pour lesquelles la transmission de données était autorisée et par l’existence de mécanismes de contrôle contre les abus.

iv.  La destruction de données à caractère personnel en application de l’article 3 §§ 6 et 7 combiné avec l’article 7 § 4 de la loi G 10

130.  Selon le Gouvernement, la destruction de données est nécessaire, dans une société démocratique, car elle limite l’atteinte au secret des télécommunications à ce qui est strictement requis. En outre, d’après la décision de la Cour constitutionnelle fédérale, les données toujours nécessaires aux fins d’une procédure judiciaire ne pourraient pas être détruites immédiatement.

131.  Les requérants soutiennent quant à eux que la destruction des données obtenues par l’interception de télécommunications porterait également atteinte à leur droit au respect de leur vie privée. Il y aurait un grand risque d’abus à laisser aux autorités impliquées la responsabilité de la conservation et de la destruction des dossiers. Les personnes faisant l’objet d’une surveillance stratégique auraient le droit d’être informées de la destruction de données à caractère personnel les concernant.

132.  La Cour note d’abord que les dispositions litigieuses, qui prévoyaient la destruction des données à caractère personnel dès qu’elles n’étaient plus nécessaires à la poursuite du but prévu par la loi et à la vérification, à intervalles réguliers relativement courts, du point de savoir si les conditions d’une telle destruction se trouvaient réunies, ont constitué des éléments importants de nature à limiter à un minimum inévitable les effets de l’atteinte au secret des télécommunications. De plus, la Cour constitutionnelle fédérale a jugé que les données qui demeuraient nécessaires aux fins d’une procédure judiciaire ne pouvaient pas être détruites immédiatement et que les pouvoirs de contrôle de l’organe indépendant qu’est la commission G 10 couvraient l’ensemble du processus d’utilisation des données, y compris leur destruction. Les dispositions litigieuses offraient par conséquent des garanties supplémentaires contre un abus par l’Etat des pouvoirs de surveillance.

v.  Défaut de notification des restrictions apportées au secret des télécommunications – article 3 § 8 de la loi G 10

133.  D’après le Gouvernement, les dispositions relatives à la notification sont compatibles avec l’article 8 de la Convention. Etant donné que les buts de la surveillance stratégique effectuée en application de l’article 3 § 1 se trouveraient souvent compromis si les personnes concernées étaient informées ultérieurement des mesures, il serait justifié en pareil cas de ne pas en donner notification.

134.  Selon les requérants, la disposition contestée énonce qu’il doit y avoir notification seulement si elle peut se faire sans nuire au but poursuivi par la restriction et l’utilisation des données ainsi recueillies. Les situations où la notification serait exclue seraient trop nombreuses et permettraient aux autorités concernées de ne pas avertir les intéressés pour prévenir des dangers dont la matérialisation serait très peu probable.

135.  La Cour rappelle que la question de la notification ultérieure de mesures de surveillance est indissolublement liée au caractère effectif des recours judiciaires et donc à l’existence de garanties effectives contre les abus des pouvoirs de surveillance ; si on ne l’avise pas des mesures prises à son insu, l’intéressé ne peut guère, en principe, en contester rétrospectivement la légalité en justice (Klass et autres, précité, § 57). Toutefois, l’absence de notification ultérieure aux personnes touchées par des mesures de surveillance secrète, dès la levée de celles-ci, ne saurait en soi justifier la conclusion que l’ingérence n’était pas « nécessaire, dans une société démocratique », car c’est précisément cette absence d’information qui assure l’efficacité de la mesure constitutive de l’ingérence. En effet, pareille notification risquerait de révéler les méthodes de travail des services de renseignements et leurs champs d’observation (Klass et autres, précité, § 58, et, mutatis mutandis, Leander, précité, § 66). Cependant, il est souhaitable d’aviser la personne concernée après la levée des mesures de surveillance dès que la notification peut être donnée sans compromettre le but de la restriction (voir, mutatis mutandis, Leander, précité, § 66, et Klass et autres, précité, § 58).

136.  La Cour constate que, conformément à l’article 3 § 8, toute personne surveillée devait être informée de l’interception de ses télécommunications dès qu’une telle notification était possible sans compromettre le but de la surveillance. En outre, la Cour constitutionnelle fédérale a renforcé dans ce domaine aussi les garanties contre les abus prévues par la disposition litigieuse en empêchant les autorités de se soustraire à l’obligation de notification ; elle a estimé que dans les cas où les données étaient détruites dans un délai de trois mois, c’était seulement lorsque les données n’avaient pas été utilisées avant leur destruction qu’il était justifié de ne jamais donner notification aux personnes concernées. La Cour constitutionnelle a également précisé que les pouvoirs de supervision de la commission G 10 indépendante s’étendaient aux mesures prises en vertu de l’article 3 § 8. En particulier, la commission avait le pouvoir de décider si une personne faisant l’objet d’une surveillance devait être avisée de cette mesure (article 9 § 3 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée). La Cour estime que la disposition en question, telle qu’interprétée par la Cour constitutionnelle fédérale, garantit donc effectivement que les personnes concernées seront avisées des mesures dans les cas où cette notification peut se faire sans compromettre le but de la restriction apportée au secret des télécommunications. Dès lors, l’atteinte au secret des télécommunications résultant de la loi G 10 dans sa teneur modifiée est demeurée dans les limites de ce qui était nécessaire pour atteindre les buts légitimes poursuivis.

vi.  Conclusion

137.  A la lumière de ce qui précède, la Cour estime, eu égard à l’ensemble des dispositions litigieuses de la loi G 10 dans sa teneur modifiée, replacées dans leur contexte législatif, qu’il existe des garanties adéquates et effectives contre les abus éventuels des pouvoirs de surveillance stratégique de l’Etat. Elle est donc convaincue que l’Etat défendeur, dans le cadre de sa marge d’appréciation relativement large en la matière, était fondé à considérer l’atteinte au secret des télécommunications résultant des dispositions litigieuses comme nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale et à la prévention des infractions pénales.

138.  Partant, les griefs tirés par les requérants de l’article 8 de la Convention doivent être rejetés pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

C.  Les griefs tirés de l’article 10 de la Convention

139.  La première requérante soutient que certaines dispositions de la loi sur la lutte contre la criminalité, telles qu’interprétées et modifiées par la Cour constitutionnelle fédérale, ont porté atteinte à la liberté de la presse. Elle se plaint sur le terrain de cet article des mêmes dispositions que sous l’angle de l’article 8 de la Convention (paragraphe 74 ci-dessus). Elle invoque l’article 10 de la Convention, dont le passage pertinent en l’espèce est ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (...)

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

1.  Les arguments des parties

a)  Le Gouvernement

140.  D’après le Gouvernement, les dispositions litigieuses de la loi G 10 dans sa teneur modifiée n’ont pas porté atteinte à la liberté d’expression de la première requérante. Les mesures de surveillance stratégique n’auraient pas visé à restreindre l’expression d’opinions ou la réception d’informations, ce qui serait allé à l’encontre des buts de la surveillance. Le secret des communications serait protégé par l’article 8 uniquement.

141.  En outre, à supposer même qu’il y ait eu une ingérence dans l’exercice des droits protégés par l’article 10, elle aurait été justifiée au regard du paragraphe 2 de cette disposition. Elle serait prévue par la loi et nécessaire dans une société démocratique. Le Gouvernement renvoie aux arguments qu’il a formulés sous l’angle de l’article 8.

b)  La première requérante

142.  La première requérante soutient en particulier que les pouvoirs de surveillance litigieux, prévus par l’article 3 § 1 de la loi G 10 dans sa teneur modifiée, portent atteinte au travail des journalistes enquêtant sur des questions visées par les mesures de surveillance. Il lui serait impossible de garantir que la confidentialité des informations qu’elle reçoit dans le cadre de ses activités de journaliste sera préservée. L’article 3 § 1 de la loi ne protégerait pas suffisamment les communications des journalistes et méconnaîtrait l’importance de la liberté de la presse dans une société démocratique.

2.  L’appréciation de la Cour

a)  Sur l’existence d’une ingérence

143.  La Cour rappelle que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et les garanties à accorder à la presse revêtent une importance particulière. La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie (voir, notamment, Goodwin c. Royaume-Uni, 27 mars 1996, § 39, Recueil 1996-II, et Roemen et Schmit c. Luxembourg, no 51772/99, § 46, CEDH 2003-IV).

144.  La Cour renvoie en outre aux conclusions qu’elle a formulées ci‑dessus sous l’angle de l’article 8 et selon lesquelles une loi permettant un système de surveillance secrète des communications crée une menace pour des personnes telles que la première requérante, qui démontrent suffisamment que les dispositions législatives peuvent leur être appliquées. Cette menace porte forcément atteinte à la liberté de communication entre usagers des services de télécommunications et constitue en soi une ingérence dans l’exercice par la requérante des droits garantis par l’article 8, quelles que soient les mesures prises dans les faits.

145.  De l’avis de la Cour, ce constat doit s’appliquer, mutatis mutandis, au droit de la première requérante, en sa qualité de journaliste, à la liberté d’expression garantie par l’article 10 § 1. La requérante communique avec les personnes qu’elle souhaite interviewer sur des sujets tels que le trafic de stupéfiants et d’armes ou les préparatifs de guerre, qui sont également les domaines d’intérêt de la surveillance stratégique. Par conséquent, les télécommunications passées par l’intéressée à des fins journalistiques risquent d’être surveillées et ses sources journalistiques d’être révélées ou dissuadées d’appeler et de fournir des informations par téléphone. Pour des raisons analogues à celles exposées sous l’angle de l’article 8, la Cour estime que la transmission de données à d’autres autorités, leur destruction et l’absence de notification à la première requérante des mesures de surveillance sont de nature à compromettre la confidentialité et la protection des renseignements donnés à l’intéressée par ses sources.

146.  La Cour reconnaît donc que les dispositions litigieuses portent atteinte à la liberté d’expression de la première requérante.

b)  L’ingérence était-elle justifiée ?

147.  Pour les raisons exposées sur le terrain de l’article 8, la Cour estime que l’ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit à la liberté d’expression est prévue par la loi, puisqu’elle a pour base les dispositions litigieuses de la loi G 10 dans sa teneur modifiée, texte qui fut adopté par le Parlement et est applicable conformément à l’arrêt du 14 juillet 1999 rendu par la Cour constitutionnelle fédérale.

148.  En outre, la Cour est d’avis que l’ingérence poursuit un but légitime, à savoir la protection de la sécurité nationale et/ou la prévention des infractions pénales.

149.  Examinant si l’ingérence est « nécessaire dans une société démocratique », la Cour rappelle que, eu égard à l’importance que revêt la protection des sources journalistiques pour la liberté de la presse dans une société démocratique, pareille mesure ne saurait se concilier avec l’article 10 de la Convention que si elle se justifie par un impératif prépondérant d’intérêt public. En considérant les décisions prises – ou les dispositions adoptées – par les autorités nationales dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation, elle doit envisager l’« ingérence » litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire, afin de déterminer si elle est proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (voir, notamment, Goodwin, précité, §§ 39-40, et Roemen et Schmit, précité, § 46).

150.  La Cour note d’emblée que la Cour constitutionnelle fédérale a conclu que les deux dispositions litigieuses relatives à la transmission à d’autres autorités de données obtenues au moyen d’une surveillance stratégique, à savoir l’article 3 §§ 3 et 5, portaient atteinte à la liberté de la presse protégée par l’article 5 § 1, deuxième phrase, de la Loi fondamentale. Pour garantir que les données en question ne seraient utilisées qu’aux fins ayant justifié leur collecte, la Cour constitutionnelle fédérale a dit en particulier que l’article 3 § 3 ne pouvait s’appliquer que si les données à caractère personnel transmises au gouvernement fédéral étaient accompagnées de la mention spécifique qu’elles provenaient d’une surveillance stratégique et demeuraient liées aux buts ayant justifié leur collecte. En ce qui concerne la transmission de données aux autorités énumérées à l’article 3 § 5, la juridiction constitutionnelle a énoncé des conditions plus strictes : elle a jugé qu’il devait exister des faits précis permettant de soupçonner qu’un individu avait commis l’une des infractions énumérées à l’article 3 § 3 et que la transmission devait être consignée dans un procès-verbal. Elle a souligné que, de par ces garanties, le service fédéral des renseignements devait avoir le souci majeur de ne pas divulguer les sources et de préserver la confidentialité du travail journalistique protégé par le droit à la liberté de la presse tel que le consacre l’article 5 § 1 de la Loi fondamentale.

151.  La Cour observe qu’en l’espèce les autorités procèdent à une surveillance stratégique pour prévenir les infractions énumérées à l’article 3 § 1. La mesure ne vise donc pas à surveiller des journalistes ; en général, les autorités ne découvrent que lorsqu’elles examinent, le cas échéant, les télécommunications interceptées que les conversations d’un journaliste ont été surveillées. En particulier, les mesures de surveillance ne sont pas destinées à découvrir des sources journalistiques. L’ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression que constitue la surveillance stratégique ne saurait dès lors être qualifiée de particulièrement grave.

152.  Certes, les dispositions litigieuses de la loi G 10 dans sa teneur modifiée ne renferment pas de dispositions spéciales protégeant la liberté de la presse et, en particulier, prémunissant les journalistes contre la divulgation de leurs sources dès lors que les autorités découvrent qu’elles ont intercepté la conversation d’un journaliste. Toutefois, eu égard à ses constats sous l’angle de l’article 8, la Cour observe que les dispositions litigieuses offrent de nombreuses garanties qui permettent de limiter les atteintes au secret des télécommunications – et donc à la liberté de la presse – à ce qui est nécessaire pour atteindre les buts légitimes poursuivis. En particulier, les garanties grâce auxquelles les données recueillies ne peuvent être utilisées que pour prévenir certaines infractions pénales graves doivent également passer pour adéquates et effectives aux fins de maintenir au minimum inévitable la divulgation des sources journalistiques. Dès lors, la Cour conclut que l’Etat défendeur a fourni des raisons pertinentes et suffisantes pour justifier l’atteinte à la liberté d’expression résultant des dispositions litigieuses, au regard des intérêts légitimes que sont la sécurité nationale et la prévention des infractions pénales. Compte tenu de sa marge d’appréciation, l’Etat défendeur était fondé à considérer que ces exigences l’emportaient sur le droit à la liberté d’expression.

153.  La Cour conclut que les griefs tirés par la première requérante de l’article 10 de la Convention doivent être rejetés pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

D.  Les griefs tirés de l’article 13 de la Convention

154.  D’après les requérants, certaines dispositions de la loi sur la lutte contre la criminalité portant modification de la loi G 10, telles qu’interprétées et modifiées par la Cour constitutionnelle fédérale, ont emporté violation de leur droit à un recours effectif. Ils se plaignent en particulier de la destruction de données à caractère personnel (article 3 §§ 6 et 7 combiné avec l’article 7 § 4 de la loi G 10), de l’absence de notification des restrictions apportées au secret des télécommunications (article 3 § 8 de la loi G 10) et de l’exclusion du contrôle juridictionnel des mesures de surveillance (article 9 § 6 combiné avec l’article 3 § 1). Ces mesures les auraient empêchés de former un recours effectif devant les juridictions nationales pour dénoncer les violations de leurs droits garantis par les articles 8 et 10 de la Convention. Ils invoquent l’article 13 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

155.  D’après la jurisprudence de la Cour, l’article 13 s’applique seulement lorsqu’un individu peut se prétendre de manière défendable victime d’une violation d’un droit protégé par la Convention (Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, § 52, série A no 131, Voyager Limited c. Turquie (déc.), no 35045/97, 4 septembre 2001, Ivison c. Royaume-Uni (déc.), no 39030/97, 16 avril 2002, et Petersen c. Allemagne (déc.), nos 38282/97 et 68891/01, 12 janvier 2006).

156.  La Cour a conclu que les griefs substantiels tirés des articles 8 et 10 de la Convention étaient manifestement mal fondés. Pour des raisons analogues, elle estime que les requérants ne soulèvent aucun « grief défendable » au regard de l’article 13, lequel n’est donc pas applicable en l’espèce. Il s’ensuit que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à la majorité,

Déclare la requête irrecevable.

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CEDH, Cour (troisième section), WEBER ET SARAVIA c. ALLEMAGNE, 29 juin 2006, 54934/00