CEDH, Note d’information sur l'affaire 61838/10, 18 octobre 2016, 61838/10

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Texte intégral

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 200

Octobre 2016

Vukota-Bojic c. Suisse - 61838/10

Arrêt 18.10.2016 [Section III]

Article 8

Article 8-1

Respect de la vie privée

Surveillance illicite par des détectives privés des activités d’une allocataire de prestations sociales en litige : violation

En fait – La requérante fut blessée au cours d’un accident de la circulation, qui engendra de nombreux litiges et de longues procédures l’opposant à sa compagnie d’assurances au sujet de son incapacité de travail, du lien de causalité entre l’accident et son degré d’invalidité allégué, ainsi que du montant de la prestation à laquelle elle estimait avoir droit. La requérante fit l’objet de plusieurs évaluations médicales et, à la suite de son refus de subir un examen médical supplémentaire, la compagnie d’assurances, agissant dans le cadre des pouvoirs que lui conférait le régime d’assurance public, décida de la placer sous surveillance. Des détectives privés engagés par la compagnie d’assurances surveillèrent les déplacements de la requérante à quatre reprises sur une période de vingt-trois jours. Dans le cadre de la procédure devant les tribunaux, la compagnie d’assurances se servit des rapports détaillés de surveillance pour contester le taux d’invalidité allégué par la requérante ainsi que l’exactitude des rapports médicaux que celle-ci invoquait. La requérante se plaignait que la surveillance secrète de ses activités quotidiennes que la compagnie d’assurances avait demandée était contraire à ses droits découlant de l’article 8 de la Convention. En particulier, elle soutenait que les dispositions du droit interne qui avaient servi de base juridique à la surveillance manquaient de clarté et de précision.

En droit – Article 8 : la mesure de surveillance contestée a été demandée par une compagnie d’assurances privée. Toutefois, c’est l’État qui a donné à celle-ci le droit de verser des prestations dans le cadre de l’assurance médicale obligatoire et le pouvoir de prélever des cotisations. Un État ne peut pas se soustraire à sa responsabilité découlant de la Convention en déléguant ses obligations à des organismes privés ou à des particuliers. Puisque la compagnie mettait en œuvre le régime d’assurance public et était réputée être une autorité publique en droit interne, il y a lieu de la considérer comme telle et ses actes étaient imputables à l’État défendeur.

Quant au point de savoir s’il y a eu ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit au respect de sa vie privée, la Cour note que, à quatre reprises sur une période de vingt-trois jours, la requérante a été systématiquement et intentionnellement surveillée et filmée par des professionnels agissant sur instruction de sa compagnie d’assurances. Les données obtenues ont été conservées et triées et les images capturées ont été utilisées comme base pour un avis d’expert et, en fin de compte, pour la réévaluation du montant de la pension de l’intéressée. La Cour est convaincue que la nature permanente de l’enregistrement et l’usage ultérieur de celui-ci dans le cadre d’un litige en matière d’assurances peuvent passer pour le traitement et la collecte de données à caractère personnel concernant la requérante, ce qui révèle une ingérence dans sa vie privée.

La question se posant à la Cour est celle de savoir si les dispositions du droit interne ayant servi de base juridique pour demander la surveillance de la requérante étaient suffisamment claires et détaillées pour que l’on puisse considérer que l’ingérence était « prévue par la loi ». À cet égard, la Cour observe que, même si les dispositions pertinentes du droit interne ne semblaient pas inclure expressément ou même implicitement l’enregistrement d’images ou de vidéos parmi les mesures d’enquête auxquelles les compagnies d’assurances pouvaient recourir, le Tribunal fédéral suisse a conclu que ces dispositions recouvraient la surveillance dans des circonstances analogues à celles de l’affaire de la requérante. En recherchant si le droit interne comportait des garanties adéquates et effectives contre les abus, la Cour observe qu’il n’établissait aucune procédure à suivre pour autoriser ou encadrer des mesures de surveillance secrète mises en œuvre dans le contexte particulier des litiges en matière d’assurances. En outre, les dispositions juridiques pertinentes étaient muettes quant à la procédure à suivre pour conserver, consulter, examiner, utiliser, communiquer ou détruire les données collectées grâce à des mesures de surveillance secrète. Le lieu et la durée de conservation du rapport contenant les enregistrements et les photographies de la requérante, l’identité des personnes pouvant le consulter, et le point de savoir si la requérante disposait d’une voie de droit lui permettant de contester la manière dont le rapport était utilisé n’étaient pas clairs. La Cour admet que la surveillance en cause en l’espèce doit passer pour constituer une ingérence moins importante dans la vie privée d’une personne que, par exemple, des écoutes téléphoniques. Néanmoins, elle doit suivre les principes généraux à observer pour une protection adéquate contre une ingérence arbitraire dans l’exercice des droits garantis par l’article 8.

Pour ces motifs, nonobstant le caractère sans doute mineur de l’ingérence dans l’exercice par la requérante des droits découlant de l’article 8, la Cour estime que le droit interne n’indiquait pas de manière suffisamment claire l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré aux compagnies d’assurances, agissant en tant qu’autorités publiques dans le cadre de litiges en matière d’assurances, pour faire surveiller secrètement des assurés. En particulier, le droit interne ne comportait pas des garanties suffisantes contre les abus. L’ingérence dans l’exercice par la requérante des droits garantis par l’article 8 n’était donc pas prévue par la loi.

Conclusion : violation (six voix contre une).

La Cour conclut aussi, à l’unanimité, que, dans la procédure concernant la requérante, l’usage des données secrètement enregistrées n’était pas contraire aux exigences d’équité posées par l’article 6 § 1 de la Convention.

Article 41 : 8 000 EUR pour préjudice moral.

(Voir aussi De La Flor Cabrera c. Espagne, 10764/09, 27 mai 2014 ; et Uzun c. Allemagne, 35623/05, 2 septembre 2010, Note d’information 133)

© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme
Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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