CEDH, Note d’information sur les affaires 38825/16, 29722/18 et 12920/20, 12 juillet 2022, 38825/16 et autres

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Sur la décision

Texte intégral

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 264

Juillet 2022

Kotlyar c. Russie - 38825/16, 29722/18 et 12920/20

Arrêt 12.7.2022 [Section III]

Article 10

Article 10-1

Liberté d'expression

Responsabilité pénale pour faux enregistrement délibéré d’immigrés à l’appartement de la requérante, en signe de protestation contre le régime d’enregistrement du lieu de résidence des immigrés : article 10 inapplicable

Article 7

Article 7-1

Rétroactivité

Application rétroactive de la loi pénale pour faux enregistrement délibéré d’immigrés à l’appartement de la requérante : violation

En fait – Défenseuse des droits de l’homme et conseillère municipale, la requérante a fourni pendant de nombreuses années des conseils juridiques et une aide sociale aux personnes qui avaient décidé de s’installer en Russie après avoir vécu dans d’autres républiques de l’ex-Union soviétique.

En 2013, une nouvelle loi relative à l’immigration introduisit la notion d’« enregistrement de résidence fictive » sur la base de laquelle de nouvelles infractions furent créées aux articles 322.2 et 322.3 du code pénal et de nouvelles causes de responsabilité administrative introduites. De 2014 à 2019, la requérante fut poursuivie et jugée en application de ces dispositions car il lui était reproché d’avoir donné des informations mensongères concernant des centaines d’étrangers qui cherchaient à obtenir leur enregistrement en tant que résidents, indiquant faussement que ces personnes habitaient toutes, de manière temporaire ou permanente, dans son appartement. Certaines de ces fausses déclarations étaient antérieures à l’entrée en vigueur des articles 322.2 et 322.3. La requérante fit en vain appel des condamnations qui lui avaient été infligées. Elle plaidait, entre autres, que c’est pour des motifs humanitaires qu’elle avait fourni des certificats de résidence à des migrants qui avaient besoin d’une domiciliation pour pouvoir demander la nationalité russe. Elle voyait en outre dans ses actions une forme de désobéissance civile.

En droit – Article 7 : Le Gouvernement arguait que même avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi l’article 322.1 du code pénal, qui sanctionnait l’organisation de l’entrée, du séjour et du transit illégaux de ressortissants étrangers, aurait pu permettre de poursuivre la requérante pour les fausses déclarations qui lui étaient reprochées.

Il n’a pas été allégué que les étrangers en question – dont la requérante avait déclaré qu’ils résidaient dans son appartement – étaient entrés illégalement en Russie ou ne possédaient pas les documents requis pour y séjourner légalement. Il n’apparaît donc pas que la requérante aurait pu prévoir qu’elle aurait pu être tenue pour responsable d’avoir organisé l’entrée illégale d’étrangers ou leur séjour illégal alors que l’élément requis de l’illégalité n’avait pas été établi.

Concernant l’application de l’article 322.1 dans la pratique, le Gouvernement n’a produit aucun élément montrant que des propriétaires ayant présenté des demandes d’enregistrement frauduleuses ont été poursuivis au titre de cette disposition. Selon l’exposé des motifs de la nouvelle loi, le phénomène des « appartements élastiques », désignant des centaines de personnes enregistrées comme résidentes dans un lieu où elles ne vivaient pas, avait atteint des proportions considérables. Une question de cette ampleur aurait dû donner lieu à une jurisprudence importante sur les poursuites dirigées au titre de l’article 322.1 contre des propriétaires d’« appartements élastiques », et pourtant aucun exemple de condamnation n’a été produit devant la Cour. L’absence d’éléments prouvant que des condamnations avaient été prononcées antérieurement laisse penser que ces activités ne pouvaient être poursuivies en application de la législation antérieure. Il ressort d’ailleurs de l’exposé des motifs que les autorités russes étaient préoccupées par le problème des « appartements élastiques » et ne disposaient pas de moyens juridiques suffisants pour y répondre.

Le moment où les procédures pénales ont été engagées contre la requérante est également significatif. Les autorités étaient au courant de ses activités des années avant l’adoption de la nouvelle loi. Les procédures n’ont toutefois été ouvertes qu’après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi et, dans un premier temps, seulement relativement à trois cas d’« enregistrement fictif » intervenus après l’entrée en vigueur de la nouvelle législation. Par la suite, les accusations ont été étendues à une période antérieure à cette date, malgré l’objection formulée par la requérante quant à l’application rétroactive de la loi pénale.

Il n’a donc pas été démontré que les actes de la requérante constituaient une infraction susceptible de poursuites en vertu du droit interne avant l’entrée en vigueur des articles 322.2 et 322.3. Il s’ensuit que, pour autant que la condamnation de la requérante portait sur des actes accomplis avant cette date, elle s’analyse en une application rétroactive du droit pénal.

Conclusion : violation (six voix contre une).

Article 10 : La requérante soutenait par ailleurs que les poursuites pénales dirigées contre elle visaient à étouffer sa liberté d’exprimer son opinion sur un problème social systémique.

La requérante contestait avec virulence la législation interne et sa mise en œuvre, dont les déficiences empêchaient – selon elle – les immigrés de bénéficier des prestations de l’état et de demander la nationalité russe. Elle a employé divers moyens pour faire connaître les difficultés auxquelles se heurtaient les immigrés, et a notamment essayé d’attirer l’attention des autorités sur ces problèmes en faisant des déclarations dans les médias, en donnant des interviews et en publiant des lettres ouvertes

Rien n’indique que des mesures répressives aient été prises en réaction aux formes d’expression choisies par elle pour prendre position sur ces questions. Dans la mesure où la requérante n’a pas été empêchée de porter son opinion à l’attention du public, la présente affaire ne concerne pas une restriction apportée à un acte de communication adressé au public en général, mais plutôt l’adoption de mesures envers l’intéressée pour des actions qui, en vertu de la législation interne, étaient contraires au droit pénal, sans que cette interdiction ait un lien quelconque avec l’exercice de la liberté d’expression. Même en admettant que la requérante ait voulu par son comportement perturbateur dans la procédure administrative transmettre un message de protestation, ce comportement ne saurait, d’un point de vue objectif, passer pour un acte d’expression dans les circonstances de l’espèce.

Il convient également de distinguer le cas d’espèce d’autres affaires comme Erdtmann c. Allemagne (déc.) (où le requérant avait embarqué un couteau à bord d’un avion pour préparer un documentaire télévisé sur les failles de la sécurité aéroportuaire) et Salihu et autres c. Suède (déc.) (où les requérants avaient acheté illégalement une arme à feu pour enquêter sur la facilité avec laquelle il était possible de s’en procurer une). Dans ces affaires, la sanction avait porté atteinte au droit à la liberté d’expression des requérants en ce que ceux-ci avaient été tenus pour responsables d’actes qui s’inscrivaient dans le cadre d’investigations destinées à recueillir des éléments en vue de la publication d’un article. Dans la présente affaire, la requérante n’a pas plaidé que les infractions à la réglementation sur la résidence qui lui étaient reprochées s’inscrivaient dans le contexte d’investigations sur de quelconques abus administratifs ou avaient pour finalité de préparer des documents qui allaient être publiés.

La loi sur l’enregistrement du lieu de résidence, à laquelle la requérante a été reconnue coupable d’avoir contrevenu, ne visait pas l’exercice de la liberté d’expression en tant que telle ou une forme d’expression en particulier. Elle se bornait à exiger la communication d’informations véridiques et précises sur le lieu de résidence des personnes, notamment pour permettre aux autorités d’évaluer correctement le nombre de services publics requis dans chaque secteur et pour que la correspondance officielle soit convenablement adressée et délivrée. La fourniture de fausses informations sur le lieu de résidence faisait obstacle à la réalisation de ces buts légitimes et les autorités étaient en droit de prendre des mesures destinées à contrecarrer pareille pratique en la réprimant par des sanctions administratives ou pénales.

La Cour ne saurait admettre que la motivation altruiste de la requérante ou la sincérité de sa conviction quant à l’illégitimité de la réglementation en matière de résidence aient pu l’exonérer de son obligation de respecter la loi. Le fait de protester contre une activité que l’on réprouve en empêchant son déroulement peut certes s’analyser en l’expression d’une opinion au sens de l’article 10 (voir, par exemple, Steel et autres c. Royaume-Uni, et Hashman et Harrup c. Royaume-Uni [GC], où étaient en cause, respectivement, des manifestations contre la chasse qui avaient perturbé le déroulement de parties de chasse et des manifestations contre la construction d’un prolongement d’une autoroute, au cours desquelles les manifestants avaient pénétré sur un chantier). Il existe toutefois une différence de taille entre le fait d’être sanctionné pour avoir résisté aux activités licites d’autrui et le fait de commettre délibérément un acte pénalement répréhensible en faisant de fausses déclarations aux autorités. La loi litigieuse érigeait en infraction le fait de fournir délibérément de fausses informations dans des formulaires officiels utilisés à des fins réglementaires ordinaires et la Cour n’y voit rien d’inhabituel ou de déraisonnable, de même que la jurisprudence de la Cour ne permet pas de conclure que l’article 10 protège la fourniture de fausses informations dans de telles circonstances.

La requérante ayant été reconnue coupable d’avoir enfreint une loi d’application générale qui n’avait pas pour objectif de réprimer un quelconque « acte de communication » accompli par elle ou pour effet d’y porter atteinte, le comportement pour lequel l’intéressée a été punie ne relève pas du champ d’application de l’article 10.

Conclusion : irrecevable (incompatible ratione materiae).

Article 41 : 6 000 EUR pour dommage moral.

(Voir aussi Steel et autres c. Royaume-Uni, 24838/94, 23 septembre 1998, Résumé juridique ; Hashman et Harrup c. Royaume-Uni [GC], 25594/94, 25 novembre 1999, Résumé juridique ; Erdtmann c. Allemagne (déc.), 56328/10, 5 janvier 2016, Résumé juridique ; Salihu et autres c. Suède (déc.), 33628/15, 10 mai 2016, Résumé juridique)

© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme
Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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