CEDH, Communiqué de presse sur les affaires 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, 5 mars 2010

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Sur la décision

Référence :
CEDH, 5 mars 2010
Type de document : Communiqués de presse
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Opinion(s) séparée(s) : Non
Identifiant HUDOC : 003-3056640-3381010
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Sur les parties

Texte intégral

186

05.03.2010

Communiqué du Greffier

Décision sur la recevabilité

Demopoulos c. Turquie et 7 autres affaires

(requêtes n°s 46113/99, 3843/02,
13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04,19993/04 et 21819/04)

Requêtes irrecevables :

LA LOI MODIFIÉE FOURNIT UNE VOIE DE RECOURS ACCESSIBLE ET EFFECTIVE POUR LES GRIEFS DES CHYPRIOTES GRECS SE PLAIGNANT D’ÊTRE PRIVÉS
DE LEURS BIENS DANS LE NORD DE CHYPRE À LA SUITE DE L’INVASION DE CETTE RÉGION PAR LA TURQUIE EN 1974

Principaux faits

Les requérants sont 17 ressortissants chypriotes d’origine chypriote grecque habitant Nicosie, Limassol, Lakatamia ou Larnaca. Ils se plaignent d’être privés de l’usage de leurs biens et/ou de l’accès à leurs domiciles respectifs dans le nord de Chypre, région sous le contrôle de la « République turque de Chypre du Nord » (la « RTCN »). Parmi leurs biens figurent plusieurs parcelles de terre, certaines cultivées et d’autres comprenant des maisons totalement meublées ou des bâtiments.

Les griefs exposés dans les requêtes se rapportent aux opérations militaires menées par la Turquie dans le nord de Chypre en juillet et août 1974 ainsi qu’à la division toujours actuelle du territoire de Chypre, qui a abouti à la proclamation de la « RTCN » en 1983. Cette proclamation a été déclarée juridiquement nulle par les Nations unies, et le Conseil de l’Europe a décidé qu’il continuerait à considérer le gouvernement de la République de Chypre comme le seul gouvernement légitime de Chypre.

Selon les nouvelles dispositions légales entrées en vigueur en décembre 2005 (loi  no 67/2005), toutes les personnes physiques ou morales revendiquant des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers peuvent saisir la Commission des biens immobiliers, moyennant un droit de 100 livres turques (TRY) pour chaque demande et à condition de produire un titre de propriété ou la preuve de leur qualité.

En novembre 2009, la Commission avait déjà été saisie de 433 affaires. 85 d’entre elles avaient été clôturées, dont la majorité par un règlement amiable. Dans plus de 70 affaires, la Commission avait alloué une compensation. Elle avait ordonné la restitution de 361 493 m2 de terrain et le versement de quelque 47 millions d’euros à titre de compensation.

Griefs, procédure et composition de la Cour

Invoquant l’article 1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété), l’article 8 (droit au respect du domicile) et, sauf dans l’affaire Christosomou, l’article 14 (interdiction de la discrimination), les requérants se plaignaient d’être privés de l’usage de leurs biens et de leurs domiciles depuis l’invasion du nord de Chypre par la Turquie en 1974, et ils se disaient victimes d’une discrimination. Les requérants dans les affaires Sotiriou et Moushoutta et Stylas dénonçaient aussi, sur le terrain de l’article 13, l’absence d’un recours effectif concernant leurs droits garantis par l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et par l’article 1 du Protocole no 1.

Les requêtes ont été introduites devant la Cour entre janvier 1999 et mars 2004. Par une décision du 19 mai 2009, la chambre à laquelle l’affaire avait été initialement attribuée s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre (article 30 de la Convention). Le 18 novembre 2009, la Grande Chambre a tenu une audience à Strasbourg.

La décision sur la recevabilité a été rendue le 1er mars 2010 par la Cour siégeant en une formation de Grande Chambre ainsi composée :

Jean-Paul Costa (France), président,
Christos Rozakis (Grèce),
Nicolas Bratza (Royaume-Uni),
Peer Lorenzen (Danemark),
Françoise Tulkens (Belgique),
Josep Casadevall (Andorre),
Giovanni Bonello (Malte),
Vladimiro Zagrebelsky (Italie),
Lech Garlicki (Pologne),
Khanlar Hajiyev (Azerbaïdjan),
Ljiljana Mijović (Bosnie-Herzégovine),
Egbert Myjer (Pays-Bas),
David Thór Björgvinsson (Islande),
Ján Šikuta (République slovaque),

Mark Villiger (Liechtenstein),
Päivi Hirvelä (Finlande),
Işıl Karakaş (Turquie), juges,
 

et Erik Fribergh, greffier.

Décision de la Cour

Article 1 du Protocole n° 1

Ces huit affaires sont les premières requêtes dont la recevabilité soit examinée depuis la procédure d’arrêt pilote suivie dans l’affaire Xenides-Arestis c. Turquie. Bien que la chambre dans cette dernière affaire ait conclu au caractère apparemment adéquat du recours, son arrêt ne comportait pas d’analyse détaillée des points de principe et d’interprétation de la Convention et ne lie pas la Grande Chambre.

Quant au point de savoir si l’exigence de l’épuisement des voies de recours internes (article 35 § 1) s’applique à la situation des Chypriotes grecs propriétaires de biens sous le contrôle de la « RTCN »

La Cour demeure de l’avis que, en attendant une solution à l’occupation illégale du nord de Chypre, il est essentiel que les individus continuent à bénéficier de la protection de leurs droits au quotidien. Même si les requérants ne vivent pas à proprement parler sous le contrôle de la « RTCN », la Cour considère que, s’il existe un recours effectif pour leurs griefs, la règle de l’épuisement s’applique. Cette conclusion ne remet nullement en cause le fait que le gouvernement de la République de Chypre reste le seul gouvernement légitime de Chypre. La Cour réaffirme qu’un organe interne adéquat, qui a accès aux informations pertinentes, est certainement mieux placé pour statuer sur des questions complexes de propriété et d’évaluation et pour fixer une indemnisation, nonobstant le temps et les efforts que l’épuisement des voies de recours internes requiert des demandeurs.

Quant au point de savoir si le gouvernement a mis en place, par le biais de la Commission des biens immobiliers, un recours de nature à offrir un redressement effectif dans les présentes affaires

Même si la communauté internationale considère que la Turquie occupe illégalement la partie nord de Chypre, cela n’implique pas qu’en cas de requêtes individuelles introduites en vertu de la Convention et concernant des ingérences dans le droit au respect des biens, le pouvoir d’appréciation de la Turquie quant aux modalités d’exécution d’un arrêt ne doive pas être respecté. Compte tenu des nombreux changements intervenus au cours des quelque trente-cinq années qui se sont écoulées depuis que les requérants ont quitté leurs biens, la Cour risquerait de verser dans l’arbitraire et de manquer de discernement si elle imposait l’obligation de procéder à une restitution dans tous les cas – ce qui entraînerait l’expulsion de force et le relogement d’un nombre important d’hommes, de femmes et d’enfants –, fût‑ce dans le but de défendre les droits de victimes de violations de la Convention. Le caractère discrétionnaire prétendu du pouvoir de restitution que confère la loi no 67/2005, qui remédie à l’absence de dispositions prévoyant la restitution que la Cour avait relevée dans l’affaire Xenides-Arestis, ne pose donc pas de problème.

La Cour ne souscrit pas à l’allégation selon laquelle les membres de la Commission des biens immobiliers manquent d’impartialité subjective en raison entre autres de la présence de militaires turcs en son sein ou du fait que les membres de la Commission sont désignés par le président de la « RTCN ». Elle ne considère pas non plus que les sommes allouées à titre de compensation en application de la loi no 67/2005 seront automatiquement en deçà de ce qui peut être considéré comme une compensation raisonnable.

En ce qui concerne la charge de la preuve que la loi no 67/2005 fait peser sur les demandeurs, la Cour rappelle que les revendications sur le terrain de la Convention doivent être étayées par des pièces documentaires – dans les présentes affaires, des titres de propriété ou la preuve de la qualité des demandeurs – nonobstant les difficultés que cela implique.

La Cour prend aussi acte des dispositions prises, dans le cadre de la loi modifiée, pour le paiement d’une compensation ainsi que des garanties données aux demandeurs et à leurs représentants pour ce qui est de l’entrée et dans la zone nord et la sortie de ce territoire. La Cour n’est pas non plus convaincue par les éléments que les requérants avancent à l’appui de leur grief selon lequel la procédure est excessivement lourde ou est inaccessible – les intéressés dénoncent entre autres des problèmes de représentation par un conseil ou de traduction, une absence de transparence et des pressions indues.

En outre, bien qu’ils en aient la possibilité, aucun des requérants n’a saisi la cour administrative d’appel au sujet des sommes allouées ou pour alléguer un manque matériel d’équité ou une irrégularité procédurale.

En conséquence, dans la situation d’occupation qui règne actuellement et que la Cour n’a pas la compétence de résoudre, la loi no 67/2005 offre un cadre accessible et effectif pour le redressement d’allégations d’atteintes au droit au respect de biens appartenant à des Chypriotes grecs. Les requérants ne se sont pas prévalus de ce dispositif et leurs griefs fondés sur l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention doivent donc être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes.

La Cour tient à ajouter que la présente décision ne doit pas s’interpréter comme imposant l’obligation de saisir la Commission ; les demandeurs peuvent choisir d’attendre une solution politique. Si toutefois à l’heure actuelle un requérant souhaite introduire une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, celle-ci se prononcera sur la recevabilité conformément aux principes qu’elle énonce ici.

Article 8

Les griefs des requérants propriétaires de biens concernant une ingérence continue dans leur droit au respect de leur domicile tombent eux aussi pour non-épuisement des voies de recours internes, les intéressés n’ayant pas saisi la Commission des biens immobiliers.

La Cour examine néanmoins la substance du grief de Mme Ariana Lordou Anastasiadou (requête no 13751/02), doutant qu’elle ait aucune chance réaliste, en tant que non-propriétaire, de pouvoir saisir la Commission des biens immobiliers ou les tribunaux de la « RTCN ». La Cour conclut que les faits de la cause de cette requérante ne révèlent aucune ingérence actuelle dans son droit au respect de son domicile, l’intéressée ayant vécu en dehors du domicile familial presque toute sa vie. La perspective d’hériter d’une fraction de cette propriété est hypothétique et spéculative. En conséquence, cette partie de la requête est manifestement mal fondée.

Autres griefs

Compte tenu de ses constats sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 8, la Cour estime qu’il n’y a lieu d’examiner aucune autre question se rapportant aux autres griefs des requérants.

***

La décision existe en français et en anglais et est disponible sur le site Internet de la Cour (www.echr.coe.int). Ce communiqué est un document rédigé par le greffe. Il ne lie pas la Cour.

Contacts pour la presse

Céline Menu-Lange (tél : + 33 (0)3 90 21 58 77) ou
Stefano Piedimonte (tél : + 33 (0)3 90 21 42 04)
Tracey Turner-Tretz (tél : + 33 (0)3 88 41 35 30)
Kristina Pencheva-Malinowski (tél : + 33 (0)3 88 41 35 70)

Frédéric Dolt (tél : + 33 (0)3 90 21 53 39)

Nina Salomon (tél : + 33 (0)3 90 21 49 79)

La Cour européenne des droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les États membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des droits de l’homme de 1950.

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