CJCE, n° C-25/62, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Plaumann & Co. contre Commission de la Communauté économique européenne, 28 mai 1963

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 28 mai 1963, Plaumann / Commission, C-25/62
Numéro(s) : C-25/62
Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 28 mai 1963. # Plaumann & Co. contre Commission de la Communauté économique européenne. # Affaire 25-62.
Date de dépôt : 30 juillet 1962
Solution : Recours en annulation : rejet pour irrecevabilité, Recours en responsabilité : rejet sur le fond
Identifiant CELEX : 61962CC0025
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1963:7
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Sur les parties

Texte intégral

Conclusions de l’avocat général

M. KARL ROEMER

28 mai 1963

Traduit de l’allemand

SOMMAIRE

Page

Introduction (Faits, conclusions des parties, procédure)

I — Recevabilité

1. Recours en annulation

a) Les particuliers peuvent-ils attaquer une décision adressée à un État membre?

b) Le droit de recours n’est-il ouvert que lorsqu’une décision est adressée apparemment à une autre personne?

c) La décision attaquée appartient-elle au domaine législatif?

d) La décision concerne-t-elle directement la requérante?

e) La décision concerne-t-elle individuellement la requérante?

f) Résumé

2. Recours en indemnité

a) Y a-t-il une modification des conclusions qui soit recevable?

b) Le recours en indemnité peut-il être exercé en même temps que le recours en annulation?

c) L’exposé des moyens est-il suffisamment étoffé?

II — Le bien-fondé

1. L’attitude du gouvernement fédéral

2. Un préjudice spécial a-t-il été prouvé?

3. La requérante a-t-elle apporté la preuve de la violation d’une règle dont le but est de protéger ses intérêts?

III — Résumé et conclusions

Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

Le 27 juillet 1962, la requérante, une société en nom collectif allemande, qui a pour objet l’importation de fruits méridionaux, a soumis à la Cour une décision de la Commission de la C.E.E. relative à des droits de douane.

Nous savons que le gouvernement de la République fédérale avait présenté le 16 juin 1961 à la Commission une demande écrite d’autorisation en vue de suspendre partiellement le tarif extérieur commun pour les clémentines fraîches. La demande a été modifiée verbalement pour obtenir la création d’une «ex-position clémentines» (tarif 10 %).

Cependant, la Commission a rejeté la demande par lettre du 22 mai 1962; c’est cette décision qui fait l’objet du procès actuel.

Ce dernier se caractérise par deux objectifs du recours :

D’une part, la requérante demande l’annulation de la décision mentionnée.

La requérante, avec l’accord de la Commission, a déclaré dans son second mémoire que des conclusions supplémentaires, relatives au recours en annulation, étaient sans objet: elles tendaient à faire déclarer que la partie défenderesse était obligée d’autoriser la république fédérale d’Allemagne à suspendre l’application du droit de douane en vigueur pour les clémentines pour la période du 1er janvier au 31 décembre 1962,

ou bien de statuer à nouveau et immédiatement sur la demande de la république fédérale d’Allemagne du 16 juin 1961 tendant à suspendre partiellement le tarif extérieur commun pour les clémentines, compte tenu de la conception juridique de la Cour sur l’interprétation du traité en matière de suspension des droits de douane;

ou, subsidiairement, à faire déclarer que la Commission était obligée d’accorder à la république fédérale d’Allemagne un contingent maximum de 11000 tonnes pour ses importations de clémentines en provenance de pays tiers … au taux de 10 %.

D’un autre côté, la requérante demande à la Cour de condamner la Commission au paiement de 39414,01 DM de dommages-intérêts. Cette conclusion remplace celle qui avait été présentée primitivement dans la requête et qui tend à la constatation d’une obligation à réparation. Elle a été présentée pour la première fois dans le mémoire du 18 janvier 1963 et le préjudice y était chiffré à 43265,30 DM. Au cours de l’audience du 2 mai 1963, la requérante a réduit le montant des dommages au chiffre énoncé ci-dessus, tout en maintenant en même temps, à titre subsidiaire, la demande de constatation qu’elle avait présentée primitivement.

La Commission conclut au rejet de l’intégralité du recours comme irrecevable et en tout cas comme mal fondé.

En outre, il faut signaler sur le plan de la procédure qu’avec l’accord de la Commission la requérante a retiré une demande d’appel en cause de la république fédérale d’Allemagne. Indépendamment de deux demandes de mesures de référé (du 8 août 1962 et du 4 décembre 1962), qui ont toutes deux été rejetées par ordonnances du président de la Cour (du 31 août 1962 et du 21 décembre 1962), la procédure présente encore cette particularité que la Commission a demandé que la Cour statue préalablement sur la recevabilité du recours, conformément à l’article 91 de son règlement de procédure. Après avoir reçu les observations de la requérante, qui a conclu au rejet de cette demande et, subsidiairement, à ce que la décision sur la recevabilité soit réservée jusqu’au jugement final, la Cour a décidé le 24 octobre 1962 de joindre l’exception au fond.

Nous avons aujourd’hui la tâche de présenter nos conclusions dans cette affaire, mais naturellement des questions de recevabilité figurent au premier plan de la discussion — le déroulement de la procédure ne laissant guère de doutes à ce sujet — et cela tant pour le recours en annulation que pour le recours en dommages-intérêts. Dans tout système de garanties juridictionnelles et par conséquent aussi dans celui des traités européens, ces questions de recevabilité présentent une importance telle qu’elles doivent être examinées d’office, indépendamment de l’argumentation des parties. Leur solution apportera une contribution importante pour déterminer les limites de la protection juridictionnelle que le traité ouvre aux particuliers.

I — Recevabilité

1. RECOURS EN ANNULATION

Le recours s’appuie sur l’article 173, alinéa 2, du traité C.E.E., selon lequel

«toute personne physique ou morale peut former dans les mêmes conditions (id est: qu’à l’alinéa 1) un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou d’une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement».

La Commission a examiné en détail, par écrit et oralement, les différentes conditions d’application de cette disposition et elle en a tiré la conclusion que la requérante n’était pas en droit d’exercer son recours.

a)

Elle pose tout d’abord la question de savoir si, par les «autres personnes» de l’article 173, alinéa 2, ce sont aussi les États membres qui sont visés ou bien seulement les destinataires particuliers d’une décision. A notre avis, il n’y a aucune raison de comprendre l’expression citée dans un sens étroit.

Les États membres eux aussi sont des personnes, c’est-à-dire des personnes morales de droit public et, en tant que telles, elles tombent sous le coup du texte de l’article 173, alinéa 2, qui est rédigé en termes très généraux. Rappelons à cet égard la disposition de l’article 34 du statut de la Cour C.E.C.A. qui réglemente le droit d’intervention. Sa formule «les personnes physiques et morales» y vise tous les intéressés, y compris les États membres. De même, l’article 39 du statut de la Cour C.E.E. cite comme étant en droit de former une tierce opposition les États membres, les institutions et «toutes autres personnes physiques ou morales». En outre, on peut aussi remarquer que d’autres dispositions des traités soumettent expressément les États membres à une réglementation particulière lorsqu’on a voulu déroger pour eux aux prescriptions générales, par exemple l’article 41 du statut de la Cour C.E.C.A. ou l’article 37 du statut de la Cour C.E.E.. A cet égard, il faut encore mentionner que, pour les directives, c’est-à-dire pour les actes qui prescrivent un but à un État membre mais en laissant le choix des formes et des moyens aux organismes internes, le droit de recours des particuliers est expressément exclu.

Cette absence de différenciation à l’article 173, alinéa 2, entraîne déjà cette première conclusion que les décisions qui sont adressées aux États membres ne sont pas soustraites, en principe, aux recours des particuliers. En outre, aucun motif de fond n’apparaît non plus pour limiter ainsi le droit de recours. Le fait qu’une décision adressée à un État membre peut mettre en jeu des intérêts qui sont sur un autre plan que les intérêts privés est encore le moins décisif. Indépendamment du fait que, dans un cas concret, par exemple lorsqu’un État membre se voir imposer la tâche de réglementer une situation particulière, il est parfaitement possible que des intérêts particuliers de personnes privées figurent au premier plan, la coïncidence d’intérêts particuliers et d’intérêts généraux est un phénomène très fréquent dans la procédure administrative et dans la juridiction constitutionnelle. Il ne resterait pas grand-chose du droit de recours des particuliers s’il était limité aux cas où des intérêts supérieurs de l’État auraient un rôle subordonné.

Il faudrait en outre se demander pourquoi seul l’intérêt des États membres et non pas celui d’autres organismes de droit public (les Länder dans un État fédéral, les communes) exigerait un régime particulier. Eux aussi peuvent être des destinataires d’après l’article 173, alinéa 2. Or, pour de telles décisions, la Commission ne semble pas considérer que la limitation du droit de recours est nécessaire.

Enfin, l’argument tiré d’une protection juridictionnelle, obtenue éventuellement par l’initiative des États membres, ne peut pas nous amener à une autre conclusion, car le cas d’espèce nous montre précisément combien ce moyen est insuffisant lorsqu’un particulier n’a aucune possibilité de contraindre son propre État à introduire une procédure judiciaire. Tout comme dans le traité C.E.C.A. qui, pour autant, ne présente pas de particularités sur le plan systématique du droit, et sur lequel il existe une jurisprudence très nette (voir les arrêts sur les tarifs spéciaux de transport nationaux) ( 1 ), le droit de recours des particuliers ne peut pas, en principe, être limité d’après le traité C.E.E. lorsque des décisions adressées à des États membres sont soumises au contrôle de la Cour.

b)

En deuxième lieu, la Commission se demande si l’expression «une décision adressée à une autre personne» ne doit pas être comprise tout comme le membre de phrase «les décisions … qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement …», ce qui entraînerait cette conséquence que le droit de recours ne serait ouvert que si là décision attaquée n’était adressée qu’en apparence à la République fédérale.

Nous estimons que cette thèse est également fausse. Si, pour le droit de recours des particuliers, les traités de Rome s’en tiennent en premier lieu à la distinction entre décisions et règlements et font, en principe, échapper ces derniers au droit de recours, il y a une bonne raison pour permettre d’examiner la véritable nature juridique d’un acte et pour admettre le recours lorsque le règlement n’a que l’apparence extérieure et non pas le contenu de fond. Mais reprendre la même idée pour l’appliquer aux destinataires des décisions, c’est-à-dire d’un groupe d’actes juridiques qui comprennent des actes individuels incontestables, ce serait supposer que les auteurs du traité ont voulu restreindre le droit de recours de façon exorbitante. Dans cette conception, seul serait en droit de former un recours le destinataire d’un acte administratif, et toute personne non-destinataire devrait prouver qu’en réalité l’acte la vise, tandis que le destinataire de fait ne devrait être considéré que comme un destinataire apparent.

Le caractère indéfendable de cette thèse apparaît aussitôt lorsqu’on l’applique aux cas des actes administratifs qui favorisent une personne en imposant des obligations à une autre, ou éventuellement à des autorisations données à des ententes, donc à des hypothèses où, d’après la pratique administrative usuelle, il arrive fréquemment que l’acte ne soit pas adressé à toutes les personnes auxquelles, selon les principes généraux, un intérêt important doit être reconnu. Nous estimons qu’une telle limitation du droit de recours ne peut avoir été voulue et nous ne la prendrons donc pas en considération.

c)

La Commission expose en outre que la décision attaquée relève en réalité du domaine de la législation. Il s’agirait d’octroyer ou de refuser une autorisation de modifier des règles de droit national car, d’après le droit allemand, les droits de douane ne pourraient être suspendus que par une modification des positions douanières légalement fixées. En conséquence, le droit de recours des particuliers devrait être exclu de la même façon qu’à l’égard des règlements.

Nous ne pouvons cacher que cette argumentation nous apparaît séduisante, car elle nous rappelle le point de vue que nous avons soutenu dans l’affaire 18-57, où il s’agissait d’examiner sous l’angle du droit des ententes l’autorisation donnée à une réglementation commerciale. A l’époque, nous avons jugé qu’il était correct de tenir compte, dans la qualification de l’acte juridique, de ses répercussions sur les acheteurs touchés par la réglementation commerciale et nous en sommes arrivé ainsi à estimer qu’il y avait une décision générale. Il est vrai que la Cour n’a pas suivi cette suggestion. Elle a estimé que l’élément décisif était que la décision de la Haute Autorité visait des décisions concrètes de certaines entreprises ( 2 ). A l’égard des entreprises qui ont demandé l’autorisation, il fallait donc parler d’une décision individuelle. Or, une telle décision ne pouvait pas en même temps être considérée comme une décision générale à l’égard des tiers.

Le point de vue de la Cour a été affirmé encore plus nettement dans d’autres affaires. Nous pensons au recours relatif à la prime allemande des mineurs de fond qui a été introduit par un groupement d’entreprises. Bien que la Cour ait affirmé, dans un procès fondé sur l’article 35 du traité C.E.C.A., que la décision de rejet de la Haute Autorité devait être qualifiée de la même façon que la décision qui avait été demandée à la Haute Autorité ( 3 ), et bien que le requérant ait demandé à celle-ci d’adopter une décision prise en vertu de l’article 88 du traité à l’égard d’un État membre, ce qui aurait entraîné la modification d’une législation nationale, la Cour est partie de l’idée que le procès avait pour objet une décision individuelle, car il s’agissait d’examiner une mesure particulière prise par un État membre déterminé. Le recours a donc été déclaré recevable.

Nous croyons que cette jurisprudence vaut également pour les traités de Rome, car nous ne voyons sur ce point aucune différence dans le système des traités. Si le traité C.E.C.A. opère une différence entre décisions générales et décisions individuelles pour délimiter le droit de recours, les traités de Rome s’en tiennent en premier lieu à la différence entre règlements et décisions qui sont tous deux définis à l’article 189 du traité. Mais si l’élément qui apparaît au premier plan de l’examen est le caractère juridique d’un acte, c’est-à-dire sa validité juridique et son caractère obligatoire et non pas ses effets ultérieurs (ces derniers peuvent jouer un rôle dans la question de l’intérêt), la Cour, d’après sa jurisprudence actuelle, ne pourra pas s’empêcher de considérer la décision de la Commission comme un acte individuel qui est adressé à un sujet de droit déterminé (un État membre) et dont l’objet est de réglementer une situation juridique individuelle, une question individuelle déterminée en instance. Dans cet examen, la conviction de la Cour peut être renforcée par le fait qu’en droit administratif allemand des actes semblables, par exemple l’autorisation donnée à des statuts communaux par l’autorité de tutelle, peuvent être considérés également comme des actes individuels attaquables.

Mais il ne reste alors aucune possibilité de nier le droit de recours dans le cas d’espèce en prétendant que la décision attaquée aurait le caractère d’un règlement.

d)

Le traité exige ensuite pour la recevabilité des recours en annulation un intérêt direct («concernent directement»). La requérante considère que cette condition est remplie, car la décision présente pour elle «une certaine importance». A ses yeux, le critère du caractère direct n’est rien d’autre qu’un moyen de déterminer l’intensité de l’intérêt. Mais, à notre avis, ce n’est pas bien saisir son sens. Il faut le comprendre d’une façon spéciale, en partant du système des traités et de la structure de l’organisation communautaire. Un élément essentiel de la Communauté, c’est, si l’on veut, sa structure fédérale, c’est-à-dire la circonstance que les organes communautaires sont placés au-dessus des instances étatiques, avec des pouvoirs qui influent en partie directement dans le domaine des États membres et qui, en partie aussi, sont limités et qui supposent la collaboration des États membres pour atteindre certains buts. Dans l’organisation des garanties juridictionnelles, c’est le critère de l’intérêt direct qui doit tenir compte de cette structure. Il a donc le sens de concrétiser d’une manière positive l’intérêt juridique qui, pour bien des ordres juridiques, apparaît sous une forme générale comme condition de recours.

Sous cet angle, la Commission a raison lorsqu’elle expose que le caractère direct fait défaut lorsqu’une décision des exécutifs communautaires donne une autorisation ou crée une obligation pour un État membre. Ici l’acte de la Commission est encore suivi d’un acte de l’État membre intéressé et ce n’est que ce dernier acte qui crée des conséquences directes pour le sujet de droit. C’est surtout pour les autorisations que ce rapport apparaît clairement: ce n’est que lorsque l’État membre fait usage de l’autorisation, ce qui constitue pour lui un acte discrétionnaire, qu’il se produit des effets juridiques pour les individus. Dans la chaîne des différents actes juridiques, la décision de l’État membre est donc un maillon important qui se place entre la décision de la Commission et l’effet juridique concret envers le particulier.

Il est vrai que se pose la question de savoir si les faits doivent être appréciés autrement en cas de refus d’une autorisation, car ici une réglementation existante, dont la modification a été demandée, subsiste sans qu’il y ait besoin d’un autre acte.

A notre avis, cette particularité ne peut aboutir à aucun autre résultat. En effet, il n’est pas possible de négliger la circonstance importante qu’ici aussi nous sommes placés devant un domaine d’appréciation gouvernementale, car c’est à l’État membre de décider s’il entend continuer à poursuivre son but primitif à l’aide de voies de recours ou bien s’incliner devant une décision de la Commission dont l’exposé des motifs peut l’avoir convaincu. Il faut aussi penser que, même si un particulier parvenait à faire annuler la décision de la Commission et à obtenir à sa place une décision positive, la mise en œuvre de cette dernière dépendrait de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de l’État: or, compte tenu des modifications de fait ou d’un changement du point de vue politique au bout d’un certain temps, il n’est pas dit que cet État exercerait ce. pouvoir de la même façon qu’au moment où il a déposé la demande de contingent. Ce fait exclut de lui-même toute relation directe dans les rapports entre les institutions communautaires et les particuliers intéressés lorsqu’il s’agit des questions de douane de l’article 25.

Le recours en annulation de l’entreprise Plaumann apparaît donc ainsi irrecevable.

e)

Cependant, nous consacrerons encore quelques instants à la question de savoir si la décision attaquée concerne individuellement la requérante, ce qui constitue également une condition de recevabilité.

La Commission estime qu’une décision ne concerne individuellement que les personnes qui sont touchées par celle-ci en raison de leur individualité ou de circonstances particulières tenant à la personne.

La requérante remarque à ce sujet qu’elle a été touchée dans son propre domaine de droits par le refus de la demande de contingent mais que le traité n’exige pas qu’elle soit seule touchée.

Lorsqu’on tente de déterminer la notion d’intérêt individuel, il faut tout d’abord bien noter que les traités de Rome présentent une particularité qui est étrangère au traité C.E.C.A. Pour ce dernier, c’est la nature juridique de l’acte attaqué qui est au premier plan lorsqu’il s’agit de délimiter les conditions du droit de recours. Il suffit donc qu’il y ait une décision individuelle qui concerne le requérant.

Comme les traités de Rome ont déjà tenu compte de la nature juridique des actes dans la définition du droit de recours en opposant les règlements et les décisions, il faut alors estimer (et c’est à juste titre que la Commission conclut ainsi) qu’avec le critère de «l’intérêt individuel» les auteurs du traité ont entendu restreindre davantage le droit de recours sous l’aspect des effets juridiques d’un acte.

Si l’on examine ces effets dans le cas d’espèce, il faut constater que, pour l’examen auquel nous procédons ici, la décision de rejet de la Commission présente le même caractère qu’une autorisation de suspension des droits de douane qui entraîne une modification du droit douanier national.

En se plaçant au point de vue des effets juridiques, qui doivent être négligés pour la détermination de la nature juridique de l’acte attaqué mais qui, par contre, sont au premier plan pour la question de l’intérêt individuel, on ne peut nier qu’il y ait une concordance entre l’acte attaqué et des mesures législatives. Sont touchés tous ceux qui, au cours de l’année 1962, voulaient importer des clémentines. Cette période expirée, peut-être verra-t-on que le nombre des intéressés est relativement faible. Mais cela ne peut pas être décisif. Ce qui est important, c’est qu’ici l’intérêt ne découle pas de l’individualité de personnes déterminées mais de l’appartenance au groupe abstraitement défini de tous ceux qui voulaient importer des clémentines à l’époque en cause. Leur groupe ne peut être déterminé au moment où la décision est adoptée, car, de par sa nature, il se modifie continuellement, si ce n’est en fait dans une faible mesure.

Mais si les conséquences juridiques de la décision sont les mêmes que pour une mesure législative qui n’est pas soumise au recours des particuliers, du point de vue de l’intérêt individuel il n’est pas non plus possible de reconnaître qu’il existe un intérêt pour former un recours.

f)

Aussi, pour nous résumer, devons-nous proposer le rejet du recours pour irrecevabilité.

2. RECOURS EN INDEMNITÉ

Le recours en indemnité se fonde sur l’article 215, alinéa 2, du traité C.E.E., c’est-à-dire sur cette disposition selon laquelle, «en matière de responsabilité non contractuelle, la Communauté doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions».

Si ce procès nous amène pour la première fois à examiner cette disposition, notre première tâche est de mettre en lumière l’idée fondamentale de l’article 215, alinéa 2, qui caractérise la mission de la Cour. Voici comment nous la comprenons :

L’article 215, alinéa 2, énumère lui-même toute une série de conditions pour intenter les recours en responsabilité de l’administration. S’il est laissé à la jurisprudence de la Cour le soin de développer d’autres conditions importantes, notamment celle de l’illégalité (violation d’un droit, infraction à une loi de protection) et de la faute, le renvoi au droit national des États membres ne peut être qu’un renvoi au droit national de la responsabilité administrative (ce qui, d’après certaines affirmations de la doctrine, ne semble manifestement pas être évident) et non pas au droit général de la responsabilité, et il ne peut être interprété dans le sens d’un lien étroit avec les détails de l’organisation dogmatique du droit de la responsabilité administrative dans les différents États, mais seulement dans le sens d’une orientation sur les idées fondamentales d’après laquelle l’étendue de la responsabilité administrative est admise dans le domaine national. C’est une expérience générale du droit comparé que des ordres juridiques, même très apparentés, suivent souvent des voies différentes dans les méthodes de technique juridique pour résoudre un problème, tandis que les résultats coïncident pourtant en gros. Il en est de même avec la responsabilité administrative.

Nous estimons donc que la Cour, d’après l’article 215, alinéa 2, est relativement libre d’apprécier les problèmes particuliers sur le plan dogmatique mais que, dans le résultat de sa recherche du droit en matière de responsabilité administrative de la Communauté, elle doit respecter un cadre commun à tous les ordres juridiques des États membres.

Vu ainsi, l’article 215, alinéa 2, perd beaucoup du caractère dangereux et de la nouveauté qu’il semble avoir à première vue. Il n’exige au fond pour le droit de la responsabilité administrative que l’activité de création et de comparaison du droit dont la Cour, compte tenu des nombreuses lacunes dans le droit de la Communauté, doit constamment faire preuve dans de nombreuses questions juridiques touchant la procédure et le fond. Mais avant tout, dans cette façon de comprendre la règle de la responsabilité administrative des traités de Rome, il apparaît que la Cour ne se trouve pas placée devant un domaine entièrement neuf. De même, si on observe avec attention la règle générale du traité C.E.C.A. sur la responsabilité administrative (article 40), elle n’offre pas en effet un système plus précis que celui de l’article 215, alinéa 2. Certes, le critère de faute de service y apparaît. Mais la Cour, et à juste titre nous le croyons, a évité, dans les cas qu’elle a eu à traiter jusqu’ici, de s’appuyer étroitement sur le droit français et, compte tenu des autres ordres juridiques des États membres, elle a organisé le droit de la responsabilité administrative comme s’il existait pour le droit de la Communauté C.E.C.A. une ligne directrice semblable à celle de l’article 215, alinéa 2. Nous pourrons donc tirer de la jurisprudence sur le traité C.E.C.A. des indications utiles pour traiter les recours en responsabilité administrative selon les traités de Rome.

Sur le recours en indemnité, comme sur celui en annulation, la Commission a aussi exposé toute une série d’objections tendant à faire apparaître son irrecevabilité.

a)

La première exception porte sur l’évolution des conclusions dont le contenu a été modifié à plusieurs reprises au cours du procès, comme nous l’avons indiqué au début.

La question se pose de savoir comment apprécier ces modifications répétées; constituent-elles notamment une modification licite de la demande?

Les règles écrites de procédure de la Communauté ne donnent aucun renseignement sur les possibilités et les limites d’une modification du recours. Si nous y voyons bien, jusqu’à présent la Cour ne s’est prononcée qu’une fois sur la recevabilité des modifications des recours lorsque, dans l’affaire 17-57, les parties ont prétendu que le recours devait être considéré comme intenté sur la base de l’article 35 du traité C.E.C.A. si elles ne pouvaient espérer le voir accueillir sur celle de l’article 33. A l’époque, la Cour a constaté qu’il n’était pas possible de modifier dans la réplique la qualification d’un recours ( 4 ). Or, la particularité de ce cas tenait à ce que l’article 35 du traité C.E.C.A. prévoit une procédure préalable qui n’avait pas été respectée dans le cas concret. Cet arrêt ne peut donc nous aider aujourd’hui.

Sans aborder la question de savoir quelles sont les règles applicables dans une procédure en annulation où, à la différence du recours en indemnité, le délai de recours joue un rôle, nous voudrions admettre que, dans les procès où la responsabilité des institutions est en jeu, il ne conviendrait pas d’appliquer en principe des critères trop rigides pour la modification des conclusions. Un regard sur le droit national nous confirme dans cette idée. Dans la procédure administrative allemande, par exemple, les conclusions peuvent être modifiées sans plus si elles consistent seulement dans une extension ou une limitation, le but de l’action et les faits qui sont à sa base restant inchangés ( 5 ). De même, le passage d’une action en constatation en une action en indemnité n’est pas considéré comme une modification du recours exigeant une autorisation. Enfin, la modification des conclusions qui consiste à modifier l’objet du litige, c’est-à-dire soit son but, soit sa cause, peut aussi être admise sans le consentement de la partie adverse si le tribunal la juge opportune.

Si nous nous laissons guider par ces idées dans le cas d’espèce (nous croyons savoir qu’elles existent aussi en droit administratif français ( 6 ) sous une forme semblable), nous aboutissons aux résultats suivants :

Dans le passage de la demande de constatation à la demande d’indemnité, qui était accompagné du fait que le dommage était calculé pour l’ensemble de l’année 1962, à l’encontre de ce que la requête avait annoncé, la modification de l’objet du litige (la demande d’indemnité était déjà, quant au fond, en litige) tenait seulement à l’évaluation du dommage et à l’extension dans le temps des motifs de fait.

En conséquence, ce qui était nouveau, c’étaient seulement des arguments supplémentaires de fait; si l’on tire un parallèle avec la procédure d’annulation, on pourrait les placer sur le même plan que les arguments supplémentaires admissibles dans le cadre de moyens déjà exposés. Rien ne devrait s’opposer à une telle extension, et cela a fortiori pour la réduction du montant du dommage au cours des débats oraux et pour les conclusions subsidiaires tenant au maintien de la demande de constatation. Cette dernière se trouve logiquement en retrait par rapport à la demande d’indemnité.

La seule objection importante de la partie défenderesse contre ce procédé consiste dans la référence à la limitation de son droit de défense qu’elle ne pourrait exercer que dans un seul mémoire en cas d’extension des conclusions du recours dans la réplique. Elle peut être écartée au fond en constatant que la Commission n’a pas un droit absolu de déposer deux mémoires, ce qui est le cas par exemple si une requérante renonce d’elle-même à sa réplique. En tout cas, nous ne pouvons pas constater que la défenderesse ait été gênée dans sa défense dans cette affaire.

Nous sommes donc disposés à admettre que les changements dans les conclusions portant sur l’indemnité ne se heurtent pas à des objections de procédure; cela ne signifie pas, bien sûr, que nous ayons apprécié de façon définitive la recevabilité des différentes conclusions.

b)

Une deuxième objection de la Commission porte sur le fait que la demande d’indemnité a été présentée en même temps et au même titre que la demande d’annulation. La Commission affirme explicitement qu’elle n’entend pas ainsi aborder le problème général des rapports entre le recours en annulation et le recours en indemnité, qui tous deux ont pour objet le même acte juridique, mais qu’elle veut mettre en relief cette particularité que, dans notre affaire, les deux demandes visent le même but: avec l’annulation de la décision attaquée, la requérante cherche à remplacer le rejet de la demande présentée par le gouvernement de la République fédérale par une solution positive, avec comme résultat final le remboursement par le gouvernement fédéral des droits de douane versés à la suite du refus de la suspension des droits de douane. A titre d’indemnité, la requérante réclame la même somme à la Commission, sans partir d’un rapport de subsidiarité, ce qui fait qu’en cas de succès des deux demandes elle obtiendrait plus que ce à quoi elle a droit. En conséquence, la demande d’indemnité devrait être considérée comme irrecevable.

Nous sommes d’avis que, dans ce procès, la Cour non plus n’a aucune raison de traiter de façon générale le problème de savoir si un requérant peut demander en même temps l’annulation d’un acte, avec toutes les conséquences légales prévues, et la réparation du dommage prétendument causé par l’acte. Nous voulons seulement indiquer qu’en principe nous ne considérons pas comme inadmissible une telle jonction de deux conclusions dans un seul procès lorsque, par exemple, il est certain que les mesures à prendre par l’administration après l’annulation n’entraîneront pas un complet rétablissement de l’ancienne situation.

En ce qui concerne les problèmes particuliers de notre cas, il va évidemment de soi que le même but ne peut être réclamé deux fois. Mais il faut se demander si, en fait, c’est bien à cela que tendent les conclusions dans le cas d’espèce.

La situation procédurale n’affecte que la requérante et la Commission. Même en admettant que le procès se termine en faveur de la requérante, par l’annulation de la décision attaquée, et ne laisse à la Commission que la possibilité de donner une réponse entièrement positive à la demande de contingent, cela ne préjugerait encore en rien l’attitude qu’adopterait le gouvernement fédéral ainsi habilité à agir. Ce dernier peut très bien renoncer à faire usage rétroactivement de l’autorisation à l’expiration de 1962. Il refusera certainement de rembourser les droits de douane versés, comme la requérante l’a prouvé. En d’autres termes, le remboursement des droits versés par la requérante n’est pas la conséquence indispensable d’un arrêt favorable dans la procédure d’annulation. Or, cette constatation ne nous permet pas de considérer comme irrecevable un recours en indemnité intenté en même temps contre la Commission et qui vise à la même compensation financière. Une autre question qui, dans l’état actuel des choses, n’a pas à nous occuper est de savoir si, pour ces motifs, ce recours n’est pas éventuellement en état d’être jugé en même temps que le recours en annulation, parce que les effets de l’arrêt d’annulation doivent d’abord être attendus, et si, pour ce motif, il peut apparaître comme non fondé.

c)

Une troisième objection de la Commission porte sur le fait que les conclusions tendant à une indemnité, c’est-à-dire l’exposé pertinent des conditions de fait et de droit de la demande présentée, sont peu étoffées. Cet exposé doit être fait dans la requête, comme le prescrivent l’article 19 du statut et l’article 38, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

Dans ses mémoires, la requérante invoque essentiellement le fait que la décision de la Commission est contraire au traité et à son pouvoir discrétionnaire et elle expose que le préjudice se calcule à partir de la charge supplémentaire de droits de douane, y compris la taxe sur le chiffre d’affaires, qu’elle ne peut répercuter sur sa clientèle. Au cours des débats oraux, elle a en outre exposé que la Commission a violé son devoir d’attention, qu’elle a commis une violation patente du traité et qu’elle a dans une très grande mesure utilisé ses pouvoirs à d’autres fins.

Certes, la procédure devant la Cour n’exige qu’un exposé des moyens sommaire et non pas une discussion intégrale de toutes les questions. Mais cependant nous ne voyons pas comment les quelques remarques de la requérante pourraient répondre aux exigences voulues. Nous avons notamment des objections en ce qui concerne les conditions d’exercice de son droit relatives à l’existence d’une faute de service. On ne peut non plus les écarter en opposant que l’évolution du droit de la responsabilité administrative de la C.E.E. n’en est qu’à ses débuts. La requérante devrait savoir que, pour la responsabilité administrative, la simple illégalité d’un acte ne peut suffire, sinon un recours en annulation et un recours en responsabilité administrative devraient être motivés de la même façon malgré une différence d’effets juridiques, ce que le traité ne peut avoir voulu puisqu’il a délimité les droits de recours de façon différente. Même si on ne pouvait attendre de la requérante qu’elle procède à un large examen de droit comparé pour déterminer les principes généraux du droit de la responsabilité administrative, la connaissance du droit allemand et peut-être aussi celle du droit français auraient dû l’amener à la conclusion qu’on ne peut invoquer un droit résultant de la responsabilité administrative que lorsqu’une faute ou un agissement fautif au sens de «faute de service» a été prouvé. Or, son exposé sommaire ne contient aucune indication sur cet élément nécessaire du recours en responsabilité administrative.

En outre, la requérante aurait dû indiquer, tout au moins dans ses grandes lignes, comment elle a procédé à son calcul des dommages-intérêts. Elle aurait dû notamment donner des explications sur la question de savoir de quelle façon ses affaires se seraient développées en cas de réduction des droits de douane, car il n’est pas évident qu’en pareil cas la totalité du surcroît de droits de douane lui serait restée à titre de bénéfice.

Elle aurait donc dû exposer quelle était la structure de sa marge de bénéfice au cours des années passées et quelle était la situation du marché en 1962 qui ne permettait pas de répercuter l’augmentation des droits de douane. La détermination de tels faits essentiels ne peut être réservée à une instruction éventuelle dont, en outre, on ne peut évaluer l’effet utile, car les offres de preuve qui ont été faites ne permettent pas de voir avec certitude quels éclaircissements ces moyens de preuve offerts peuvent apporter.

Au total, l’exposé écrit et oral de la requérante ne répond pas aux exigences en vigueur pour une demande bien développée, ce qui force la Cour à rejeter également le recours en indemnité comme irrecevable.

II — Le bien-fondé

Nous voudrions cependant, en quelques mots, entrer dans le fond de l’affaire et prouver que le recours en indemnité ne peut pas non plus être considéré comme bien fondé.

1.

Tout d’abord, il se pose la question de savoir quel est le rôle que joue l’attitude du gouvernement fédéral dans l’appréciation du recours en responsabilité.

Déjà dans l’examen des questions de recevabilité, nous avons souligné le fait que les décisions prises en matière de droits de douane sur la base de l’article 25, paragraphe 3, du traité, qu’il s’agisse d’autorisations ou du refus de suspension de droits de douane, ne peuvent concerner directement les particuliers car, entre la Commission et eux, il existe un domaine discrétionnaire de politique économique qui est réservé au gouvernement national, lequel a le pouvoir d’influencer la marche des événements prétendument dommageables.

Si la Commission refuse une demande de contingent ou une demande de suspension de droits de douane, seul l’État intéressé, et non pas ses nationaux, a un droit de recours. Qu’il en fasse ou non usage, c’est également une question d’appréciation discrétionnaire sur le plan politique. Dans le cadre de la responsabilité de l’institution, nous ne pouvons pas négliger cette constatation. Par rapport aux sujets de droit, il apparaît donc que ce n’est pas seulement la Commission mais aussi l’État membre demandeur qui supportent la responsabilité d’une non-modification du droit de douane. Mais alors se pose la question de savoir si la responsabilité de cet État membre ne l’emporte pas sur celle de la Commission. Nous inclinons à répondre par l’affirmative à cette question et à exclure les droits à indemnité des particuliers car, au fond, la situation qui nous est soumise diffère bien peu de celle où un État membre, en dépit des désirs de ses nationaux, omet de présenter une demande de contingent ou ne fait pas usage, pour certains motifs, d’une autorisation qui lui a été donnée. Or, personne n’envisagerait de reconnaître un droit à indemnité fondé sur cette attitude contre l’État membre intéressé.

2.

Voici maintenant une seconde considération du même ordre. Comme nous l’avons montré, le recours en annulation doit être rejeté comme irrecevable, notamment parce qu’un intérêt individuel fait défaut. Même si la décision de la Commission ne relève pas en tant que telle du domaine de la législation, ses effets juridiques font qu’elle doit être assimilée aux actes législatifs. Mais cela nous amène à poser la question de savoir si les droits résultant d’une faute de service peuvent aussi être invoqués dans de pareils cas ou s’ils n’existent pas en l’absence d’un préjudice spécial. Nous sommes d’avis que la Cour devrait appliquer ici le principe valable par exemple en droit administratif français pour les «actes-règles». D’après la jurisprudence constante du Conseil d’État, un recours pour faute de service ne peut pas, en principe, s’appuyer sur des actes législatifs qui créent une situation juridique générale et impersonnelle à juger selon des critères abstraits ( 7 ). Une dérogation à cette règle ne peut être envisagée que dans des conditions très strictes, c’est-à-dire en cas de dommage anormal, spécial et direct, s’il existe donc une charge spéciale supportée par quelques personnes seulement.

Dans notre cas, le refus de suspendre les droits de douane affectait également tous les importateurs de clémentines qui procèdent à des opérations d’importation dans la République fédérale. En outre, il affecte aussi les consommateurs en cas de répercussion totale ou partielle de la charge douanière sur ces derniers, ce qui n’est pas certain sans être pourtant exclu. En conséquence, on ne peut parler d’un préjudice spécial de la requérante et, pour ce motif aussi, sa demande d’indemnité devrait être rejetée.

3.

Enfin, il faut examiner si le droit de la Communauté n’ouvre un droit à indemnité que lorsque les institutions communautaires ont contrevenu à des règles qui ont pour but la protection du requérant.

La Commission a fait remarquer qu’en droit allemand le droit à indemnité pour faute de service ne peut être reconnu que lorsqu’il existe une règle qui a pour but la protection des intérêts du requérant. Elle a prouvé qu’il existait des points de vue semblables en droit belge. Quant aux droits français et luxembourgeois, il faut rappeler que le droit résultant d’une faute de service suppose la violation d’un droit individuel, d’une «situation juridique particulière». Mais avant tout, il faut renvoyer à la jurisprudence sur l’article 40 du traité C.E.C.A., donc à cette règle générale sur la faute de service qui correspond à celle de l’article 215, alinéa 2.

Dans les affaires 9 et 12-60 ( 8 ), la Cour a développé l’idée qu’à elle seule la violation d’un droit ne suffit pas à fonder un droit à indemnité; il faut prouver que la règle violée est précisément destinée à protéger les intérêts du requérant ou du groupe auquel appartient ce dernier. Sans entrer davantage dans l’examen de cette procédure, nous estimons cependant que le principe juridique alors appliqué est particulièrement utile pour délimiter d’une façon adéquate le droit à indemnité. Il devrait donc être reconnu également pour le droit de la C.E.E. Il est donc indiqué d’examiner les règles que la requérante invoque pour motiver son droit sous l’angle de leur but protecteur.

L’article 25, paragraphe 3, c’est-à-dire la règle qui a constitué la base directe de la décision attaquée, ne permet de déduire aucun indice. Mais si, par contre, on considère les points de vue de l’article 29, dont la Commission doit se laisser inspirer pour ses décisions fondées sur l’article 25, paragraphe 3, l’image suivante apparaît.

Selon l’article 29, a, il faut tenir compte de la nécessité de promouvoir les échanges commerciaux avec les pays tiers. Cette disposition répète une thèse énoncée à plusieurs reprises dans le traité, celle d’une politique commerciale de la Communauté et des États membres ouverte sur le monde. Elle doit en outre tenir compte des besoins particuliers de la politique commerciale de certains États membres. Mais on ne peut affirmer qu’elle doit favoriser l’intérêt commercial et les avantages commerciaux des importateurs. En leur faveur, on peut tout au plus parler d’un effet-réflexe indirect.

La lettre b prescrit de promouvoir la force compétitive des entreprises établies dans la Communauté. Cet alinéa ne peut être envisagé, pour notre but, parce qu’au cours de la procédure la requérante n’a pas exposé que la Commission, à tort, avait négligé ce point de vue et avait ainsi commis une faute.

La lettre c de l’article 29 traite des nécessités d’approvisionnement de la Communauté en matières premières et demi-produits. Elle doit donc, tout comme une partie de la lettre d (expansion de la consommation), protéger les intérêts des consommateurs et des transformateurs, mais non pas ceux des commerçants qui ne sont pas nécessairement identiques à ceux-ci.

Enfin, la lettre d de l’article 29, qui parle de la nécessité d’éviter des troubles sérieux dans la vie économique des États membres et d’assurer un développement rationnel de la production, n’entre pas en ligne de compte, car la requérante n’a rien à faire avec cette dernière et elle n’a pas allégué que le refus du contingent avait créé des troubles sérieux. Il faut en outre se rappeler que les différents points de vue de l’article 29, comme cela a aussi été affirmé à plusieurs reprises dans d’autres procès, ne peuvent être envisagés tous ensemble de la même façon, compte tenu de leurs tendances divergentes, et qu’au contraire il est nécessaire de mettre en balance les différents intérêts exposés. Même si l’on pouvait voir inscrite dans l’un des alinéas de l’article 29 la protection des intérêts des commerçants, cela ne voudrait pas encore dire qu’il faudrait tenir compte de préférence de ces intérêts-là dans le cas donné.

L’article 25, paragraphe 3, conjointement avec l’article 29, ne peut donc être invoqué sous aucun aspect comme règle de protection appropriée au sens d’un recours pour faute de service pour motiver un droit à dommages-intérêts de la société importatrice requérante.

Pour ce motif également, le recours en indemnité doit être rejeté.

III — Résumé et conclusions

Nous en arrivons donc à ce résultat que le recours ne peut avoir de succès. Il est irrecevable dans la mesure où il tend à l’annulation de la décision attaquée; il est également irrecevable et tout au moins non fondé pour autant qu’il poursuit une demande d’indemnité.

Aussi concluons-nous au rejet. D’après les dispositions de notre règlement de procédure, la requérante doit supporter les dépens.


( 1 ) Affaires 3 à 18-58, 25 et 26-58, Recueil, tome VI, p. 367; 27 à 29-58, Recueil, tome VI, p. 503.

( 2 ) Recueil, tome V, p. 112.

( 3 ) Recueil, tome VII, p. 34.

( 4 ) Recueil, tome V, p. 26.

( 5 ) Kochler : Kommentar zur Verwaltungsgerichtsordnung 1960, notes II et III, § 91.

( 6 ) Gabolde : Traité pratique de la procédure administrative contentieuse 1960, no 310.

( 7 ) Duez-Debeyre, Droit administratif, 1952, p. 458 et s.

( 8 ) Recueil, tome VII, p. 428.

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CJCE, n° C-25/62, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Plaumann & Co. contre Commission de la Communauté économique européenne, 28 mai 1963