CJCE, n° C-75/84, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Metro SB-Großmärkte GmbH & Co. KG contre Commission des Communautés européennes, 12 novembre 1985

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 12 nov. 1985, Metro / Commission, C-75/84
Numéro(s) : C-75/84
Conclusions de l'avocat général VerLoren van Themaat présentées le 12 novembre 1985. # Metro SB-Großmärkte GmbH & Co. KG contre Commission des Communautés européennes. # Concurrence - Système de distribution sélective. # Affaire 75/84.
Date de dépôt : 19 mars 1984
Solution : Recours en annulation : rejet sur le fond
Identifiant CELEX : 61984CC0075
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1985:454
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Sur les parties

Texte intégral

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PIETER VERLOREN VAN THEMAAT

présentées le 12 novembre 1985 ( *1 )

Sommaire

1. Introduction

2. Les moyens et arguments invoqués par les parties par écrit

2.1. La recevabilité

2.2. Le premier moyen

2.3. Le deuxième moyen

2.4. Le troisième moyen

2.5. Le quatrième moyen

2.6. Le cinquième moyen

2.7. Le sixième moyen

2.8. Résumé

3. Les moyens de caractère procédural invoqués

3.1. Remarque préalable

3.2. La recevabilité

3.3. Le sixième moyen de la requérante

4. Appréciation des principaux moyens au fond

4.1. Remarques préalables

4.2. Les motifs pertinents de l’arrêt Metro I

4.3. Le quatrième moyen (absence d’étude de marché générale)

4.4. Le premier moyen (application de l’article 85, paragraphe 1)

4.5. Le deuxième moyen (application de l’article 85, paragraphe 3

4.6. Les autres moyens au fond

5. Résumé, observations finales et conclusion

5.1. Résumé

5.2. Observations finales

5.3. Conclusion

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Introduction

1.1.

La deuxième affaire Metro, que nous avons à examiner aujourd’hui, semble à première vue être banale. En effet, elle concerne un recours de Metro tendant à l’annulation d’une décision de la Commission, du 21 décembre 1983 (JO 1983, L 376, p. 41), par laquelle la décision du 15 décembre 1975, qui était en cause dans la première affaire Metro (affaire 26/76, Rec. 1977, p. 1875), a en fait été prorogée. Les parties ne contestent pas que le système de distribution SABA, qui est en cause dans la décision attaquée à présent, soit devenu un peu moins contraignant que le système admis par la Commission en 1975. A première vue, il semble donc que, dans cette deuxième affaire Metro, la Cour pourrait rejeter le recours, pour des motifs semblables à ceux qu’elle a exposés dans la première affaire Metro.

1.2.

Cette apparence est toutefois trompeuse. Dans cette deuxième affaire Metro, le point primordial des moyens invoqués réside en effet dans le grief, adressé à la Commission, de ne pas avoir tenu compte suffisamment, dans sa décision, d’une série de considérations émises par la Cour dans le premier arrêt Metro et qui comportent des directives pour la politique future de la Commission. Ces directives concernent toutes la structure du marché de l’électronique de divertissement en général. En particulier, elles semblent lier l’admissibilité d’un système de distribution sélective d’un producteur individuel à l’existence simultanée de canaux de distribution de type différent, mis en place par d’autres producteurs, et au souci d’éviter que la structure du marché ne se fige sous l’effet d’un trop grand nombre de réseaux de distribution sélective pour un même produit. Nous renvoyons à cet égard aux alinéas 3 et 4 de l’attendu 20, à l’alinéa 5 de l’attendu 21, aux trois premiers alinéas de l’attendu 22 et à l’alinéa 3 de l’attendu 50 du premier arrêt Metro. L’alinéa 3 de l’attendu 22 de cet arrêt exprime implicitement que ces considérations visent surtout la politique à venir de la Commission. Toutefois, cela résulte, selon nous, aussi de la circonstance que ni les conclusions de l’avocat général Reischl, ni la partie en fait, ni les motifs de l’arrêt ne font apparaître que, dans la première affaire Metro, les parties ont produit des éléments d’enquête concrets sur la structure générale du marché. Au contraire, l’argumentation développée par les parties dans la première affaire Metro était, d’après ces pièces, presque entièrement centrée sur le système SABA attaqué, examiné séparément de la structure générale du marché.

Dans la deuxième affaire Metro, que nous analysons aujourd’hui, la structure générale du marché revêt, par contre, une importance essentielle pour apprécier la décision concernant le système SABA. En particulier, le Royaume-Uni, dans son intervention à l’appui de Metro, a estimé que cet aspect de l’affaire avait une importance fondamentale pour la politique de la Commission à l’égard des systèmes de distribution sélective en général. C’est principalement lors de l’audience qu’il a exposé clairement son opinion sur ce point en réponse à des questions de la Cour.

1.3.

Pour ne pas détourner l’attention de la Cour de ce seul aspect réellement neuf et, en outre, fondamental de l’affaire, nous estimons qu’il est inutile de reprendre, dans les présentes conclusions, un exposé complet des faits concernant les activités commerciales de Metro, ou le système de distribution sélective de SABA ou le contenu de la décision attaquée présentement. Sur ce point, nous nous contenterons de constater que le compte rendu des faits figurant dans la décision attaquée et publiée ne fournit pas d’indications eu égard à la structure du marché (en particulier sur le nombre et les parts de marché des systèmes de distribution sélective et l’évolution des prix). Dans la motivation de la décision, cet aspect n’est examiné — de manière, du reste, très sommaire et sans la moindre donnée chiffrée — qu’en liaison avec l’appréciation du système SABA au regard de la condition prévue à l’article 85, paragraphe 3, sous b). Comme on le sait, la condition posée est que les restrictions imposées ne puissent pas avoir pour effet de donner aux entreprises intéressées « la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence » (voir à ce sujet point II, sous B.4, alinéas 4 et 5, de la décision). Nous reviendrons encore de manière détaillée, lors de notre examen de l’affaire au fond, sur les points précités des motifs de l’arrêt de la Cour dans la première affaire Metro, ainsi que sur les considérants de la décision de la Commission en l’espèce.

1.4.

Dans notre synthèse des moyens et des arguments invoqués par écrit par les parties, dans la deuxième partie des présentes conclusions, nous n’examinerons, pour les mêmes raisons, que les moyens et arguments de procédure, ainsi que les moyens de fond et les arguments invoqués à leur appui, qui concernent l’aspect nouveau et fondamental précité de la deuxième affaire Metro. Ce n’est que dans la mesure du nécessaire que nous examinerons encore, à la fin de nos conclusions, les moyens des requérantes concernant le système SABA en tant que tel. En outre, dans cette deuxième partie, nous ne résumerons que très brièvement les moyens et arguments des parties. Nous partons à cet égard de l’idée que la partie en fait de l’arrêt de la Cour comportera un exposé plus détaillé tant des faits et du déroulement de la procédure que des moyens et arguments invoqués par les parties par écrit et oralement, et que, comme il est d’usage dans les affaires en matière d’ententes, elle sera publiée. Dans nos conclusions, nous nous efforçons ainsi d’éviter une double information des praticiens du droit sur ces points et une charge de travail double pour les services de traduction et l’imprimeur. Toutefois, dans notre appréciation de l’affaire, nous reviendrons évidemment de manière plus complète sur les arguments invoqués.

1.5.

Dans la troisième partie de nos conclusions, nous examinerons les moyens de procédure invoqués et, dans la quatrième partie, les moyens et arguments au fond. A cette occasion, nous analyserons aussi les clarifications qui ont encore été fournies oralement à l’audience. Dans la cinquième partie, nous formulerons alors comme à l’accoutumée nos conclusions au sens strict après un résumé de nos constatations et quelques observations finales.

2. Les moyens et arguments invoqués par les parties par écrit

2.1.

Seule l’entreprise SABA conteste la recevabilité du présent recours, alors que la Commission l’admet expressément. SABA estime, d’une part, que Metro n’a pas d’intérêt à agir parce qu’elle n’exerce pas une activité de grossiste, mais se consacre au commerce de détail et ne remplit pas les conditions formelles pour participer au système de distribution SABA. D’autre part, Metro n’est, selon SABA, pas concernée directement et individuellement par la décision litigieuse, celle-ci n’ayant pas été rendue sur une demande de Metro conformément à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement no 17. SABA estime qu’il ne suffit pas que Metro puisse être considérée comme un opérateur potentiellement intéressé par l’achat de produits SABA. Nous examinerons ultérieurement, dans la troisième partie de nos conclusions, les arguments que la Commission en particulier a avancés par écrit et oralement à l’appui de la recevabilité du recours formé.

2.2.

Comme premier moyen au fond, Metro fait grief à la Commission d’avoir commis un détournement de pouvoir en ce que, lors de l’application de l’article 85, paragraphe 1, elle a omis de tenir compte des conditions établies par la Cour dans l’affaire 26/76. A cet effet, la requérante renvoie en particulier à l’attendu 22 de l’arrêt. Dans sa réplique, elle rappelle que même un système de distribution sélective dit « simple » n’est conforme à l’article 85, paragraphe 1, que lorsqu’il existe sur le marché une concurrence efficace. Elle estime que la Commission a également méconnu les conditions fixées par la Cour dans l’arrêt Metro I et qu’elle n’a pas non plus tenu compte des arrêts de la Cour du 10 juillet 1980, dans l’affaire 99/79 (Lancôme, Rec. 1980, p. 2511), et du 11 décembre 1980, dans l’affaire 31/80 (L’Oréal, Rec. 1980, p. 3775).

Le gouvernement du Royaume-Uni estime lui aussi que la Commission a tenu compte insuffisamment du premier arrêt Metro ainsi que du dernier arrêt cité.

Sur ce premier moyen, la Commission a rétorqué dans la duplique que, contrairement à l’avis de Metro, la compatibilité de systèmes de distribution sélective simples avec l’article 85, paragraphe 1, n’est pas soumise à la condition que le système n’ait pas d’incidence sensible sur la concurrence. En conséquence, une concentration éventuelle de pareils systèmes est sans effet sur leur compatibilité avec l’article 85, paragraphe 1. Il suffit de tenir compte de l’existence éventuelle de systèmes similaires lors de l’examen de l’applicabilité de l’article 85, paragraphe 3.

SABA estime également que, en ce qui concerne l’applicabilité de l’article 85, paragraphe 1, il importe peu de savoir si un système de distribution sélective « simple » exclut ou non de la distribution le commerce en libre service lorsque celui-ci ne satisfait pas aux critères de qualification ou lorsque le marché est fortement concentré ou la structure des prix rigide. Selon SABA également, ces aspects ne sont importants qu’au regard de l’application de l’article 85, paragraphe 3.

Le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne souligne en particulier que, indépendamment du nombre de systèmes de distribution sélective existants, la rigidité de la structure des prix, loin d’augmenter, a diminué, particulièrement sous la pression de la concurrence japonaise.

Nous reviendrons à nouveau sur les explications complémentaires que les parties ont données par écrit et oralement à propos de leurs opinions sur ce moyen lors de l’examen de ce dernier.

2.3.

Comme deuxième moyen, la requérante invoque un détournement du pouvoir d’accorder une exemption au titre de l’article 85, paragraphe 3. En se référant au rapport Mackintosh produit par la Commission, elle affirme, notamment quant au problème que nous avons considéré comme essentiel, que les systèmes de distribution sélective servent en réalité à exclure, au détriment du consommateur, les magasins dont les méthodes de commercialisation à bas prix sont, à leur avis, susceptibles de porter atteinte à « l’image de marque » de leur produit. A ce propos, Metro a également évoqué, relativement au critère résidant dans le « profit pour les utilisateurs », les démarches entreprises par le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) au titre de l’article 3 du règlement no 17, le 25 juin 1980; cet organisme a fait part de sa préoccupation de voir une nouvelle exemption octroyée à SABA et les systèmes de distribution sélective proliférer dans ce secteur. Les autres arguments à l’appui de ce moyen concernent particulièrement les accords SABA. Les arguments avancés par écrit par le Royaume-Uni concernent aussi, en particulier, le système SABA. Toutefois, le Royaume-Uni a également produit un rapport sur la structure du marché, en n’analysant cependant les problèmes afférents à la structure du marché en cause qu’à l’occasion de l’examen du quatrième moyen.

Lors de la procédure écrite, la Commission et SABA n’ont examiné, dans le cadre de ce moyen, que le système SABA et sa part de marché. Outre Metro, seul le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne a également examiné, lors de la procédure écrite, la structure du marché d’une manière plus générale. Selon le gouvernement allemand, un distributeur ne devrait jamais pouvoir imposer sa politique de vente aux fabricants. Le sort des différentes formes de distribution devrait, au contraire, dépendre uniquement du choix de l’utilisateur. Cette liberté de choix est garantie par la multiplicité des fournisseurs européens et japonais qui utilisent des systèmes de distribution différents, ainsi que par un large éventail de formes de distribution. Les systèmes de distribution sélective en République fédérale d’Allemagne n’excluent en général pas non plus de la distribution des produits en cause le commerce de gros en libre service. Bien au contraire, la part de marché détenue par cette forme de distribution n’est pas négligeable.

2.4.

Par son troisième moyen, Metro fait grief à la Commission d’avoir commis un détournement de pouvoir en omettant de tenir compte de l’application effective des accords SABA, ce qu’elle explique de façon détaillée.

2.5.

Par son quatrième moyen, la requérante fait grief à la Commission d’avoir commis un détournement de pouvoir en ce qu’elle a fondé la décision litigieuse sur des données limitées, incomplètes et périmées. A l’appui de ce moyen, Metro conteste que le rapport Mackintosh puisse constituer une base appropriée eu égard à la décision litigieuse. En effet, il n’a été achevé que deux mois après la décision en cause et n’aborde pas les problèmes pertinents en l’espèce. Ce rapport constitue cependant la seule preuve que la Commission a avancée à l’appui de sa décision. Une enquête menée par Metro elle-même en août 1984 relativement aux marges bénéficiaires des détaillants sur le marché des téléviseurs couleur en République fédérale d’Allemagne et au Royaume-Uni a abouti à des résultats entièrement différents.

Le gouvernement du Royaume-Uni fait lui aussi grief à la Commission dans ce contexte de ne pas avoir examiné à nouveau tous les aspects pertinents de la cause en tenant compte des conditions actuelles du marché. En conséquence, les arguments que la Commission avance à l’appui de la conclusion à laquelle elle a abouti dans la décision attaquée ne sont pas suffisants, les preuves disponibles n’étant pas susceptibles de l’étayer. En effet, de l’avis du gouvernement du Royaume-Uni, la Commission n’a pas tenu compte à suffisance des modifications intervenues dans la structure globale de la distribution des produits en cause, ni des effets de ces modifications sur le jeu de la concurrence, ni de la concentration accrue de la production dans le secteur concerné. Il s’est référé à cet égard à une enquête de R. M. Grant, de la London Business School, sur l’existence et l’application de systèmes de distribution sélective au Royaume-Uni.

La Commission répond que, dans la décision litigieuse, elle a examiné les aspects pertinents de la structure du marché dans toute la Communauté. En outre, elle nie que la structure de la concurrence sur le marché ait été affectée de façon sensible par l’accroissement récent de la concentration dans le secteur en cause et elle renvoie, à cet égard, aux constatations du rapport Mackintosh établi en février 1984.

2.6.

Par son cinquième moyen, Metro fait valoir qu’en accordant l’exemption au titre de l’article 85, paragraphe 3, pour le système SABA, la Commission a permis à SABA et au groupe Thomson-Brandt d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché de l’électronique de divertissement en général et sur celui des téléviseurs couleur et des magnétoscopes en particulier. Depuis leur reprise, les entreprises du groupe Thomson-Brandt constituent une seule entité économique qui jouit d’une position dominante sur chacun des marchés partiels du marché des biens de consommation durables du secteur de l’électronique, selon les critères développés par la Cour dans ses arrêts du 13 février 1979 (affaire 85/76, Hoffmann-La Roche, Rec. 1979, p. 461) et du 14 juillet 1972 (affaire 48/69, ICI, Rec. 1972, p. 619). En mettant en place un système restreignant le jeu de la concurrence et, en particulier, en refusant d’approvisionner Metro, SABA a exploité cette position abusivement au sens de la jurisprudence récente de la Cour (voir arrêts du 21 février 1984, affaire 86/82, Hasselblad, Rec. 1984, p. 883, et du 14 février 1978, affaire 27/76, United Brands, Rec. 1978, p. 207).

La Commission réplique que les différentes entreprises du groupe Thomson-Brandt sont restées indépendantes au niveau de la distribution et que leurs systèmes de distribution diffèrent sur des points essentiels. C’est donc la position de SABA sur le marché, et non pas celle du groupe Thomson-Brandt dans son ensemble, qui doit être prise en considération pour apprécier l’existence éventuelle d’une position dominante. Metro n’a ni prouvé ni même allégué que la part du marché en cause détenue par SABA se serait accrue de 5 à 10 % depuis 1977. Même si c’est à bon droit que la requérante a considéré les parts de marché des entreprises du groupe Thomson-Brandt dans son ensemble, les chiffres relevés ne révèlent aucun élément constitutif d’une position dominante. En effet, en ce qui concerne les produits de l’électronique de divertissement, le groupe n’occupe pas une position dominante dans le marché commun dans son ensemble ou dans une partie substantielle de celui-ci, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il a éventuellement abusé de sa position dominante.

SABA, pour sa part, insiste sur le fait que les entreprises allemandes du groupe Thomson-Brandt n’occupent pas de position dominante sur le marché. S’il en était autrement, le Bundeskartellamt n’aurait pas permis l’absorption d’entreprises allemandes par le groupe Thomson-Brandt entre 1979 et 1983.

Le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne conteste également la thèse de Metro selon laquelle Thomson-Brandt ou SABA occupe une position dominante. Il observe en outre que même une entreprise ayant une position dominante est en droit de refuser de vendre à un commerçant qui ne répond pas aux critères qualitatifs d’agrément. En particulier lorsque l’entreprise concernée a mis en œuvre un système de distribution sélective bien avant d’acquérir une position dominante, il n’y a pas d’abus de position dominante.

2.7.

Par son sixième moyen, Metro fait valoir que, vu les modifications importantes apportées par SABA à son système originaire, la décision attaquée ne constitue pas un simple renouvellement de l’exemption initiale, mais une nouvelle exemption. En l’absence d’une notification nouvelle et formelle du système SABA modifié, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 17, la Commission n’était pas habilitée à accorder une exemption au titre de l’article 85, paragraphe 3, du traité CEE. En tout cas, l’exploitation concrète du système SABA s’écarte sensiblement des conditions notifiées à l’origine et des conditions des nouveaux accords types.

Dans sa réplique, Metro soutient que la Commission elle-même a établi une distinction entre l’ancienne série d’accords SABA et les accords actuels, en déclarant, dans sa décision, que les accords ont subi un grand nombre de modifications. Elle renvoie à cet égard à l’arrêt de la Cour du 10 juillet 1980 (affaire 30/78, Distillers, Rec. 1980, p. 2229).

La Commission rétorque que, selon le règlement no 27 de la Commission, du 6 février 1962 (JO 1962, p. 1118), aucune nouvelle notification n’était nécessaire en l’espèce, dès lors qu’il s’agissait du renouvellement d’une exemption au titre de l’article 85, paragraphe 3, venue à expiration. En effet, la notification originale du système SABA couvre les modifications et les amendements ultérieurs qui ont été dûment notifiés à la Commission. Dans un tel cas, l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 17 exige seulement que l’entreprise fasse une demande. Même si les affirmations de Metro s’avéraient exactes, elles ne porteraient pas atteinte à la compétence de la Commission à accorder une exemption pour le système SABA dans sa version actuelle, mais pourraient uniquement justifier une révocation de l’exemption accordée à SABA, conformément à l’article 8, paragraphe 3, du règlement no 17.

Dans sa duplique, la Commission soutient que, selon son usage, la notification au titre du règlement no 17 équivaut simplement à une demande d’exemption et détermine une limite dans le temps au-delà de laquelle l’exemption rétroactive ne saurait produire d’effets. Après notification d’un accord, il suffit de communiquer les amendements ultérieurs à la Commission, sans qu’une notification formelle soit nécessaire pour satisfaire à l’obligation d’exactitude et d’exhaustivité, dont le non-respect est sanctionné par une amende en vertu de l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement no 17.

SABA est également d’avis qu’une demande de prorogation ou de renouvellement présentée en application de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 17 n’est soumise à aucune formalité. Il en est de même des modifications apportées aux accords notifiés à la Commission pendant la procédure. Une réitération de la notification à l’aide d’un formulaire A/B lors de chaque modification du texte de l’accord constituerait une formalité absurde.

Le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne partage l’avis de la Commission et de SABA sur ce point. D’après lui, la façon de procéder préconisée par Metro est d’un formalisme inutile et rend la procédure impraticable.

2.8. Résumé

En résumé, la nouvelle question fondamentale qui se pose et que nous avons évoquée au début des présentes conclusions de savoir si la Commission a tenu compte suffisamment — et en particulier conformément aux considérations de la Cour dans l’arrêt rendu dans la première affaire Metro — de la structure générale du marché de l’électronique de divertissement est soulevée notamment dans le cadre du premier moyen (relatif à l’application de l’article 85, paragraphe 1), du deuxième moyen (concernant l’application de l’article 85, paragraphe 3) et du quatrième moyen (les faits à l’origine de la décision). En outre, un aspect plus limité de la question essentielle posée (la prétendue exploitation abusive d’une position dominante) relève du cinquième moyen. Le sixième moyen a trait à la procédure et, par conséquent, ainsi que nous l’avons annoncé antérieurement, nous l’examinerons conjointement avec la question de la recevabilité, sous le point suivant des présentes conclusions.

3. Les moyens de caractère procédural invoqués

3.1. Remarque préalable

La question de la recevabilité du recours soulevée par SABA et le sixième moyen de la requérante sont manifestement liés. En effet, SABA conteste notamment la recevabilité du recours en se fondant sur la procédure suivie en l’espèce par la Commission en vue de renouveler l’exemption accordée antérieurement [à laquelle l’article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement no 17 n’était pas applicable], procédure que la requérante elle-même a jugée contraire au règlement no 17. Nous examinerons par conséquent ces deux moyens de caractère procédural dans la présente partie des conclusions.

3.2. La recevabilité du recours

La Commission a exposé son opinion sur la recevabilité du recours le plus clairement lors de la procédure orale. Elle a admis la recevabilité du recours en se situant sur le plan plus général des recours formés par des tiers contre des exemptions accordées au titre de l’article 85, paragraphe 3, du traité CEE. Elle estime que Metro satisfait à la condition posée d’être concernée directement et individuellement par la décision en cause. La décision concerne directement la requérante parce qu’elle déclare les dispositions de l’article 85, paragraphe 1, inapplicables au système de distribution sélective de SABA. Des décisions d’exemption individuelles de cette nature et des décisions prises sur la base de l’article 9 du règlement no 17 favorisent une personne en imposant des obligations à une autre, ainsi que l’avocat général Roemer l’a expliqué pertinemment, selon la Commission, dans l’affaire 25/62 (Plaumann, Rec. 1963, p. 235 du texte français). Dans le cas de pareilles décisions d’exemption, l’obligation imposée est la conséquence directe de la décision elle-même. Des mesures d’application ne sont pas nécessaires à cette fin. La conséquence affecte en outre non pas des possibilités objectives ou des chances ou perspectives sur le marché, mais des droits légalement protégés dans le chef des entreprises intéressées. La protection légale résulte directement de l’effet direct de l’interdiction énoncée à l’article 85, paragraphe 1. La Cour a non seulement confirmé expressément l’effet direct de l’article 85, paragraphe 1, dans sa jurisprudence constante. Elle a en outre déclaré itérativement que cette interdiction crée, dans le chef des particuliers, des droits dont ceux-ci peuvent se prévaloir dans des procédures civiles. A cet égard, la Commission renvoie notamment à l’attendu 16 de l’arrêt de la Cour du 30 janvier 1974, dans l’affaire BRT/Sabam (Rec. 1974, p. 51).

Si l’interdiction énoncée à l’article 85, paragraphe 1, engendre des droits individuels dans le chef de particuliers qui sont concernés directement par l’effet d’une entente, la décision qui déclare cette interdiction inapplicable prive les personnes intéressées des droits en question. La Commission a illustré l’importance de cette conclusion par le cas d’espèce. Sans la décision d’exemption, SABA et ses distributeurs agréés n’auraient pas été tenus, mais du moins libres de vendre à tout client, même aux revendeurs non agréés, et la requérante aurait normalement pu, d’une manière ou d’une autre, se procurer les produits SABA. En cas de refus de vente sur la base d’une politique de vente coordonnée de SABA et de ses distributeurs, la requérante aurait pu entamer une action civile tendant à une condamnation à une obligation de faire ou au paiement de dommages et intérêts.

La Commission estime que la requérante est également concernée individuellement par la décision attaquée. Sur la base des critères développés dans la jurisprudence de la Cour, la situation de la requérante se distingue notamment de celle d’autres entreprises également concernées directement par la décision, en ce qu’elle a présenté des observations écrites à la Commission, aussi bien avant qu’après la publication, en vertu de l’article 19, paragraphe 3, du règlement no 17, de l’intention de la Commission d’accorder à nouveau une exemption pour le système de distribution sélective de SABA. Des observations de la requérante entre autres sont d’ailleurs mentionnées expressément au point I.C de la décision, puis rejetées sous le point II de la même décision. La Commission estime que la présentation de telles observations individualise la requérante de la même manière que l’introduction d’une plainte au sens visé dans l’arrêt Metro I (fondée sur l’article 3 du règlement no 17). Elle considère qu’une demande d’être entendue ou la présentation d’observations écrites à la suite de la publication conformément à l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 17 constitue même la façon normale de faire connaître ses griefs à l’encontre d’un projet d’exemption. Sur le fondement des informations ainsi obtenues, la Commission peut éventuellement refuser l’exemption demandée. Pour les motifs précités, les entreprises tierces en cause n’ont pas de raison de faire d’autres démarches contre l’entente, en sus de leurs observations. Même en admettant qu’une exemption soit refusée sur la base de ces observations, il faut en effet supposer, sur la base de la publication, que les entreprises intéressées souhaitent respecter les règles du traité après le refus de l’attestation négative et qu’elles n’appliqueront dès lors plus l’entente, sans qu’il soit nécessaire de leur imposer une obligation en ce sens. Enfin, la Commission estime que la recevabilité ne doit pas être limitée aux entreprises qui ont démontré à la Commission l’existence d’une relation particulière. Le fait d’être partie à une procédure civile devant une juridiction nationale impliquant un ou plusieurs membres de l’entente en cause individualiserait par exemple déjà suffisamment une entreprise tierce pour que son recours soit jugé recevable, à condition que cette procédure civile ait déjà été pendante au moment où la décision a été prise.

Si nous considérons les seuls éléments ayant trait à la recevabilité d’un recours formé par des tiers contre une décision d’exemption, l’argumentation nous paraît convaincante. Nous conclurons par conséquent, pour notre part aussi, à la recevabilité du présent recours, qui satisfait aux critères généraux, correctement développés dans le cadre de l’argumentation présentée. La Commission s’est manifestement attachée à exposer son opinion le plus complètement possible, pour la rendre également applicable à des cas autres que celui de l’espèce. C’est pourquoi nous avons estimé qu’il était utile, pour la pratique du droit, de reproduire cette argumentation quasi intégralement. Comme les arguments déjà mentionnés que SABA a invoqués pour faire valoir l’irrecevabilité du présent recours sont réfutés implicitement par le raisonnement exposé, nous ne les examinerons plus séparément.

3.3. Le sixième moyen de la requérante

Ainsi que nous l’avons déjà exposé de manière détaillée, la requérante estime que la décision attaquée n’a pas pour objet un renouvellement de l’exemption initiale, mais concerne une exemption nouvelle. A son avis, celle-ci n’aurait pu être accordée qu’après une nouvelle notification formelle du système SABA tel que modifié, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 17. Nous fondant sur les motifs précités, invoqués par la Commission, nous pensons toutefois aussi qu’il s’agissait bel et bien, en l’espèce, d’une demande de renouvellement, pour laquelle l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 17 exige seulement l’introduction d’une demande, après une simple notification des modifications apportées. Ainsi que SABA et le gouvernement allemand l’ont fait valoir, une réitération de la notification à l’aide d’un formulaire A/B pour chaque modification du texte de l’accord constituerait une formalité absurde. Le sixième moyen de la requérante devra dès lors, selon nous, être rejeté.

4. Appréciation des principaux moyens au fond

4.1. Remarques préalables

a)

Lors de l’audience, la Commission a exposé une nouvelle fois son point de vue selon lequel c’est le marché communautaire dans son ensemble qui doit être considéré comme le marché géographique en cause pour trancher en l’espèce.

Le système de distribution sélective de SABA s’applique effectivement à toute la Communauté. Cette circonstance n’exclut toutefois nullement que le marché allemand doive également être considéré comme un marché géographique en cause en l’espèce. Ainsi que nous l’avons déjà exposé dans nos conclusions du 21 juin 1983 dans l’affaire 322/81 (NV Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, Rec. 1983, p. 3461, 3529), «une entreprise peut très bien exercer ses activités sur le marché mondial sans y jouir d’une position dominante et simultanément bénéficier d’une position dominante à l’intérieur du marché commun ou sur le marché national d’un ou de plusieurs États membres ». Il en va de même, mutatis mutandis, pour une entente en général ou pour un système de distribution sélective en particulier qui peut avoir pour effet de restreindre plus gravement le jeu de la concurrence sur un marché national déterminé que sur d’autres marchés nationaux ou dans le marché commun dans son ensemble. Cela peut résulter aussi bien de la propre part de marché de l’entreprise intéressée que de la structure du marché national concerné en général. Il convient, à cet égard, de songer particulièrement dans le cas de systèmes de distribution sélective au comportement parallèle, coordonné ou non, d’autres producteurs.

Il existe en outre un motif général et un motif spécial pour lesquels le marché allemand doit également être considéré comme marché en cause pour l’appréciation du système SABA.

Le motif général est que le marché commun est, comme on le sait, loin d’être achevé. C’est ce que la Commission a une nouvelle fois exposé de manière imposante récemment, dans son livre blanc sur ce sujet. La libre circulation des marchandises est notamment encore limitée par de nombreuses entraves techniques, administratives et fiscales aux échanges, auxquelles il convient évidemment d’ajouter encore les entraves en matière de transports routiers. Pour l’économie dans son ensemble, la Commission évalue les coûts annuels de ces entraves au commerce et aux transports à environ 125 milliards de HFL par an; les entraves techniques et fiscales aux échanges ainsi que les coûts de transport affecteraient notamment aussi les téléviseurs couleur si Metro voulait les acquérir dans d’autres États membres. Le rapport Mackintosh, qui a été établi à la demande de la Commission, mentionne que des entraves techniques aux échanges dans ce secteur existent en particulier également en République fédérale d’Allemagne. Aussi longtemps qu’existent de telles entraves au commerce, les marchés nationaux des États membres doivent également être considérés comme marchés en cause pour l’application des articles 85 et 86 du traité CEE. Dans nos conclusions du 19 juin 1985 dans l’affaire 161/84 (Pronuptia, Rec. 1986, p. 355), nous avons déjà exposé pourquoi, sous cet angle, la jurisprudence américaine en matière d’ententes commerciales verticales ne permet de tirer des conclusions pour la pratique communautaire que moyennant des réserves.

En ce qui concerne les systèmes de distribution sélective en République fédérale d’Allemagne, il s’y ajoute encore un motif particulier, à savoir que le marché allemand doit être considéré comme un marché en cause. Lors de la procédure, il a été établi que, selon le droit allemand, de tels systèmes de distribution sélective ne sont considérés comme juridiquement valides (pour des actions en concurrence déloyale) que lorsqu’ils sont maintenus « lückenlos », c’est-à-dire complètement ou intégralement.

C’est pourquoi les producteurs qui souhaitent maintenir un tel système en République fédérale d’Allemagne sont obligés, en fait, d’empêcher l’importation ou la réimportation par des canaux de distribution autres que le système de distribution sélective. Le système SABA, qui s’étend à l’ensemble de la Communauté, vise en fait, en d’autres termes, à empêcher des importations parallèles par des canaux de distribution autres que les commerçants SABA étrangers agréés.

b)

Comme nous l’avons déjà expliqué dans ces conclusions, le grief essentiel adressé à la Commission dans la requête est qu’elle a tenu compte insuffisamment, dans sa décision, de la condition établie dans le premier arrêt Metro, selon laquelle il faut également examiner la structure du marché des produits en cause en général. Ainsi que nous l’avons dit, ce grief est développé dans la requête et précisé dans un sens plus général dans le quatrième moyen tant en ce qui concerne l’application de l’article 85, paragraphe 1, qu’en ce qui concerne celle de l’article 85, paragraphe 3.

Aussi analyserons-nous d’abord plus en détail ci-après les motifs pertinents du premier arrêt Metro (point 4.2). Puis, nous examinerons le quatrième moyen invoqué par la requérante, qui exprime le grief dans sa forme la plus générale (point 4.3). Ce n’est qu’ensuite que nous examinerons successivement (au point 4.4) le premier moyen de la requérante (dans lequel le grief essentiel permet de dégager des conclusions en ce qui concerne l’article 85, paragraphe 1, point 4.5), le deuxième moyen (concernant l’application faite de l’article 85, paragraphe 3) et (au point 4.6) le cinquième moyen (relatif à l’article 86, qui n’a pas été pris en considération). Enfin, nous résumerons nos constatations en ce qui concerne les principaux moyens au fond de la requérante.

4.2. Les motifs pertinents de l’arrêt Metro I

Dans le premier arrêt Metro, la Cour reconnaît l’importance de la structure générale du marché au regard de l’appréciation de l’applicabilité de l’article 85 à des systèmes de distribution sélective, ce qui ressort en premier lieu de l’alinéa 3 de l’attendu 20. La Cour y constate que, dans le secteur de la production de biens de consommation durables, de haute qualité et technicité, « la structure du marché ne s’oppose pas à l’existence de canaux de distribution différenciés adaptés aux caractéristiques propres des différents producteurs et aux besoins des différentes catégories de consommateurs» (c’est nous qui soulignons). Dans l’alinéa 4, la Cour en déduit « que, dans cette perspective, la Commission a, à juste titre, reconnu que des systèmes de distribution sélective constituaient, parmi d’autres, un élément de concurrence conforme à l’article 85, paragraphe 1, à condition… » (suit alors la condition qu’il existe des critères objectifs de caractère qualitatif). Lorsqu’elle utilise les termes « parmi d’autres », la Cour vise manifestement, selon nous, d’autres canaux de distribution que ceux qui sont visés à l’alinéa précédent.

A l’alinéa 5 de l’attendu 21 de l’arrêt, la Cour constate

« que la préoccupation, s’agissant de grossistes et détaillants spécialisés, de maintenir un certain niveau de prix correspondant à celle du maintien, dans l’intérêt du consommateur, de la possibilité pour ce canal de distribution de subsister à côté de formes de distribution nouvelles axées sur une politique concurrentielle de nature différente, rentre dans le cadre des objectifs qui peuvent être poursuivis sans tomber nécessairement sous l’interdiction de l’article 85, paragraphe 1, et, si tel était en tout ou en partie le cas, dans le cadre de l’article 85, paragraphe 3 ».

Les considérations précitées sont ensuite résumées et complétées dans les alinéas 1, 2 et 3 de l’attendu 22, qui sont libellés comme suit:

« attendu que les chiffres avancés, de part et d’autre, en ce qui concerne l’existence d’une concurrence dans les prix entre les distributeurs SABA, s’ils aboutissent à constater une certaine rigidité dans la structure des prix, ne permettent cependant pas, en raison notamment de l’existence à la fois d’autres facteurs de concurrence entre produits d’une même marque (intra-brand) et de l’existence d’une concurrence effective entre marques différentes, de conclure à une restriction ou une élimination de la concurrence dans le secteur de l’électronique de divertissement; qu’il appartiendra cependant à la Commission de veiller à ce que la rigidité de cette structure ne soit pas renforcée, ce qui pourrait se produire dans l’hypothèse d’une multiplication de réseaux de distribution sélective pour la commercialisation d’un même produit; que, en n’accordant l’exemption sollicitée que pour un délai expirant le 21 juillet 1980, la Commission s’est réservé la possibilité de réexaminer dans des délais raisonnables les conséquences de sa décision à cet égard ».

De notre constatation antérieure selon laquelle, dans la première décision SABA — de même que dans la deuxième décision SABA attaquée actuellement, abstraction faite d’une de ses parties —, la Commission a, en fait, examiné uniquement le système SABA, nous déduisons que la Cour a exprimé, dans les attendus cités ci-dessus, que le point décisif pour apprécier un système de distribution sélective individuel comme celui dont il s’agit en l’espèce, sur la base de l’article 85, paragraphes 1 et 3, est de savoir si, outre le système de distribution en cause, il existe dans une mesure suffisante d’autres « canaux de distribution » (attendu 20) ou des « formes de distribution nouvelles » (par exemple supermarchés et magasins «discount», attendu 21) pour satisfaire les « besoins des différentes catégories de consommateurs » (attendu 20). Cet avis se situe dans la ligne de la jurisprudence antérieure de la Cour, en particulier de l’arrêt Haecht, qui a également été cité dans la présente affaire (affaire 23/67, Rec. 1967, p. 511) et où on peut lire ce qui suit à la page 537, à propos des contrats de brasseries dont il s’agissait:

« que, pour apprécier si elle est frappée par l’article 85, paragraphe 1, une convention ne peut donc être isolée de ce contexte, c’est-à-dire des circonstances de fait ou de droit ayant pour conséquence qu’elle a pour effet d’empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence; que, par rapport à cet objectif, l’existence de contrats similaires peut être prise en considération dans la mesure où l’ensemble des contrats de ce genre est de nature à restreindre la liberté du commerce ».

Comme nous l’avons déjà observé dans nos conclusions du 19 juin 1985 dans l’affaire 161/84 (Pronuptia), au point 3.3, il ressort de l’attendu 5 de l’arrêt dans l’affaire Bilger/Jehle (affaire 43/69, Rec. 1970, p. 127) que la Cour a songé également, à cet égard, à des systèmes de distribution ayant de même pour effet d’exclure des tiers (en l’espèce, des tiers producteurs), qui sont appliqués par d’autres producteurs.

Pour apprécier le cas d’espèce, il est important, à cet égard, que, selon les deux arrêts précités, il faut clairement tenir compte de l’effet restrictif parallèle de plusieurs systèmes de distribution exclusive (des contrats de brasseries dans les arrêts précités, des systèmes de distribution sélective en l’espèce) sur le jeu de la concurrence, dès l’application de l’article 85, paragraphe 1, et pas seulement lors de l’application du paragraphe 3 du même article.

Dans nos conclusions dans l’affaire Pronuptia, nous avons en outre souligné que, depuis l’arrêt Sylvania, en 1977, la jurisprudence américaine considère elle aussi en général, pour ce qui est des restrictions verticales au jeu de la concurrence (contrats d’exclusivité), qu’il est nécessaire de tenir compte de l’existence ou de l’inexistence d’une concurrence effective avec d’autres produits sur le marché des produits en cause. A cet égard, il conviendra dès lors de prendre également en considération l’existence de systèmes de distribution différenciés. Ainsi que nous l’avons exposé également dans les conclusions citées, la jurisprudence américaine ne faisait pas encore de distinction, à l’époque de l’arrêt Sylvania, entre les différents types de systèmes de distribution sélective tels que les contrats d’exclusivité, les systèmes de distribution sélective et les contrats de franchisage. Comme la doctrine que nous avons citée à l’époque l’atteste, cette distinction n’a été opérée qu’ultérieurement. Quoi qu’il en soit, l’appréciation énoncée dans l’arrêt Sylvania et celle développée sur ce point par la Cour dans les arrêts dans les affaires Haecht I, Bilger/Jehle et Metro I sont, selon nous, conformes à la nécessité d’une conception réaliste — économiquement parlant — de la concurrence effective que la politique en matière d’ententes doit viser à maintenir. Il n’est pas réaliste de ne tenir compte, à cet égard, que des effets d’un système de distribution ou d’un accord vertical en particulier, sans prendre en considération les effets parallèles d’autres systèmes de distribution ou d’accords verticaux. Ainsi que nous l’avons également indiqué dans nos conclusions dans l’affaire Pronuptia, la fixation verticale et individuelle de prix imposés illustre aussi clairement que la restriction du jeu de la concurrence engendrée par des accords verticaux ne découle généralement pas de chaque contrat individuel, mais provient en premier lieu de l’effet cumulé de pratiques de distribution similaires, mises en place par un certain nombre de producteurs.

En ce qui concerne les systèmes de distribution sélective en particulier, il nous semble évident que, pour apprécier un système individuel, il suffit effectivement d’exiger, conformément à l’alinéa 4 de l’attendu 20 du premier arrêt Metro, que « le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs d’un caractère qualitatif, relatifs à la qualification professionnelle du revendeur, de son personnel et de ses installations, que ces conditions soient fixées d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliquées de façon non discriminatoire ». Lorsqu’il existe un nombre suffisant d’autres producteurs et de systèmes de distribution différents au sens de l’alinéa précédent du même attendu, la concurrence avec d’autres systèmes de distribution (en ce compris des « formes de distribution nouvelles » telles que visées à l’attendu 21), garantira sans doute que « les critères objectifs de caractère qualitatif » ne soient pas trop élevés. La garantie disparaît toutefois si les principaux concurrents appliquent un système similaire qui exclut de l’approvisionnement certaines formes de distribution (telles que les magasins « cash and carry », sans personnel qualifié et, partant, sans obligations de prestations de services avant et après la vente). L’historique de la législation néerlandaise en matière d’établissement de commerces de détail qui datait des années 30 (mais qui a encore été maintenue en vigueur pendant de nombreuses années après la guerre) et qui appliquait aussi exclusivement « des critères objectifs de caractère qualitatif », montre clairement combien de tels critères objectifs de nature qualitative peuvent restreindre le jeu de la concurrence lorsqu’ils sont appliqués de façon générale. Les effets restrictifs qui limitaient l’accès au marché par des conditions qualitatives élevées ont, du reste, été visés expressément à l’origine et leur réalisation (qui se traduisait dans la baisse régulière du nombre des détaillants) a été considérée initialement, même après la guerre, comme une preuve du succès de la législation. La restriction du jeu de la concurrence provoquée par des « formes de distribution nouvelles », en particulier à l’égard des détaillants non spécialisés dans la vente de certains produits, a toutefois entraîné, par la suite, un assainissement profond de la législation, afin de permettre à ces formes nouvelles de distribution de se développer largement.

4.3. Le quatrième moyen

Dans son quatrième moyen, Metro fait grief à la Commission, ainsi que nous l’avons déjà dit, d’avoir commis un détournement de pouvoir en basant la décision litigieuse sur des données limitées, incomplètes et périmées.

Tant la requérante que le gouvernement du Royaume-Uni, qui la soutient, reprochent en particulier à la Commission de ne pas avoir fondé sa décision sur une étude générale du marché, telle que visée dans le premier arrêt Metro.

Nous estimons que ce moyen est fondé. La lecture de la décision attaquée fait apparaître que ni la partie en fait ni la partie en droit de la décision ne comportent des faits relatifs à la structure générale du marché. Cette lacune doit être considérée comme d’autant plus grave que le point I.C de la décision mentionne expressément, parmi les objections formulées par des tiers intéressés à ľencontre d’une exemption du système de distribution SABA, que « ses incidences préjudiciables sont d’autant plus préoccupantes que de nombreux autres fabricants ont mis en place des systèmes de distribution analogues dans cette branche et qu’une exemption serait un précédent néfaste ».

Il est vrai que la décision mentionne, dans l’appréciation juridique du système SABA au regard de l’article 85, paragraphe 3, sous b), que, « de même, la Commission n’a pas pu constater que la diffusion de systèmes de distribution sélective … écarte par principe certaines formes de distribution, telles que tes grandes surfaces » (« discount », « cash and carry » et autres) « et les grossistes ou détaillants en libre service, de l’écoulement de ces produits ». Aucun passage de la décision ne fait cependant apparaître, comme nous l’avons vu, que la décision se fondait effectivement sur une analyse des faits dont cette conclusion importante avait été tirée. En ce qui concerne le rapport d’enquête (rapport Mackintosh), que la Commission a invoqué lors de la procédure devant la Cour, elle a elle-même reconnu à l’audience qu’il n’a été rédigé que deux mois après la décision. Ainsi se confirme que la décision n’était pas fondée sur une analyse générale du marché et le considérant cité selon lequel « de même, la Commission n’a pas pu constater… » prend dès lors un aspect quelque peu particulier. Nous reviendrons encore sur d’autres griefs à ľencontre de ce considérant lors de l’appréciation du deuxième moyen de la requérante. En fait, ce considérant revient à admettre que rien n’empêche la reconnaissance de « formes de distribution nouvelles » pourvu que les opérateurs qui y recourent soient prêts à renoncer aux avantages concurrentiels qui leur permettent de réduire les coûts. Le gouvernement du Royaume-Uni, en particulier, a exposé clairement à l’audience, en réponse à une question du juge rapporteur, quels éléments de fait relatifs à la structure du marché doivent par exemple être considérés comme importants à cet égard et n’ont pas été examinés dans la décision. Il a cité:

a)

la répartition des systèmes de distribution sélective (notifiés ou non, limités ou non à l’établissement de critères objectifs tels que visés dans l’arrêt Metro I et comportant ou non des obligations supplémentaires pour le commerce, comme le système SABA);

b)

l’importance économique réelle de l’appartenance de SABA au groupe Thomson-Brandt;

c)

les conséquences pratiques de la distribution sélective sur le marché en cause (à cet égard, il importe, par exemple, de savoir dans quelle mesure les obligations en matière de détention de stocks et d’achat lient en fait un commerçant à un fabricant déterminé, ensuite, quels effets les coûts résultant de ces obligations ou d’autres obligations imposées aux distributeurs — par exemple en matière de prestation de services gratuite — exercent sur les marges commerciales et les prix — effets sur la rigidité des prix —, quelle est l’incidence des systèmes de distribution existants sur les écarts de prix entre les États membres et dans quelle mesure les conditions de qualification imposées au commerce de détail doivent s’appliquer également au commerce de gros);

d)

la justification réelle des conditions de qualification imposées par un certain nombre de fabricants à des commerçants pour tous les produits en cause en l’espèce.

A propos de ces questions, que nous jugeons également pertinentes, nous nous contenterons de noter que ni la décision de la Commission ni même le rapport Mackintosh ultérieur n’y apportent de réponses claires. En fait, le rapport Mackintosh ne consacre que trois pages et trois tableaux à la structure de distribution et nous n’y trouvons que des renseignements très globaux.

4.4. Le premier moyen

Par son premier moyen, Metro invoque, ainsi que nous l’avons vu, un détournement de pouvoir commis par la Commission en ce que, lors de l’application de l’article 85, paragraphe 1, elle a omis de tenir compte des conditions établies par la Cour dans l’affaire 26/76. Pour une analyse de ces conditions, nous renvoyons au point 4.2 des présentes conclusions.

Pour les raisons indiquées lors de l’examen du quatrième moyen, formulé d’une manière plus générale, nous estimons déjà que ce moyen est également fondé. Compte tenu de l’importance que cette lacune de la décision présente au regard de l’application de l’article 85, paragraphe 1, nous y ajouterons toutefois encore les considérations suivantes.

Notre analyse de la jurisprudence antérieure de la Cour suffit à montrer qu’il est nécessaire de tenir compte de l’existence d’autres systèmes de distribution qui excluent également certains groupes de fournisseurs ou d’acheteurs, lors de l’examen d’un système de distribution prévu contractuellement au regard de l’article 85, paragraphe 1. Cela vaut certainement lorsque des entreprises exclues formulent des objections pendant la procédure administrative, précisément à l’encontre de la prolifération de tels systèmes. Ainsi que nous l’avons déjà observé, la décision elle-même mentionne que tel était le cas en l’espèce. Lorsque, à cet égard, il s’agit d’un système de distribution qui, par un ensemble de conditions de sélection et d’obligations imposées aux distributeurs, ne permet plus que l’approvisionnement du commerce spécialisé ou de commerçants disposant de rayons spécialisés, la prise en considération d’autres systèmes de distribution nécessite, selon nous, de tenir compte de tous les systèmes de distribution qui, de la même façon, ne permettent plus que l’approvisionnement du commerce spécialisé ou de commerçants disposant de rayons spécialisés. Le fait de ne recourir alors qu’à de simples critères qualitatifs objectifs pour déterminer la qualification professionnelle du personnel ou aussi à des critères relatifs aux locaux de l’entreprise, aux stocks obligatoires et aux obligations d’achat, aux obligations de réaliser un certain chiffre d’affaires sur les produits en cause, ainsi qu’aux obligations de prestations de services avant et après la vente, ne nous paraît pas pertinent pour apprécier l’applicabilité de l’article 85, paragraphe 1. Lorsque la coexistence d’un grand nombre de systèmes de distribution sélective « simples » a, dans son ensemble, l’effet d’une position dominante, l’accumulation de systèmes « simples » pourra entraîner, par exemple, l’exclusion des magasins du type « discount » et des supermarchés qui ne possèdent pas de rayon spécialisé et exclure ainsi certaines formes d’entreprises de la concurrence. Lors de l’application de l’article 85, paragraphe 1, l’existence de tels systèmes de distribution sélective « simples » devra donc également être prise en considération. En fait, il ressort cependant du point ILA de la décision que, pour apprécier l’applicabilité de l’article 85, paragraphe 1, la Commission n’a tenu compte ni de l’existence d’autres systèmes de distribution sélective « plus développés » ni de l’existence d’autres systèmes de distribution sélective « simples ». En ce qui concerne d’autres systèmes « simples », cela ressort en particulier du point 6 de cette partie de la décision. De même, lors de la procédure devant la Cour, la Commission a exposé son opinion selon laquelle ces systèmes de distribution sélective simples ne peuvent jamais, donc pas non plus en cas d’application générale, être considérés comme restreignant le jeu de la concurrence au sens de l’article 85, paragraphe 1. Elle estime que de tels systèmes simples ne doivent pas non plus être notifiés et il faudra dès lors en déduire qu’au moment de la décision la Commission ne disposait pas non plus d’un aperçu complet de pareils systèmes.

La conception défendue par la Commission lors de l’audience, selon laquelle les attendus 22 et 50 du premier arrêt Metro ne sont pertinents qu’au regard de l’application de l’article 85, paragraphe 3, sous b), est également, selon nous, sur la base de notre analyse de la jurisprudence, inexacte, ainsi que nous l’avons déjà observé. Comme nous l’avons aussi déjà indiqué précédemment, la Commission a également invoqué dans ce contexte — à mauvais escient — l’attendu 21 du même arrêt.

A la fin de l’audience, le représentant de la Commission a encore ajouté, en réponse à des questions que nous lui avons posées sur cet aspect de l’affaire, que le point de vue qu’il avait développé sur les systèmes de distribution sélective simples signifiait que la Commission reconnaît une priorité aux intérêts des producteurs qui, selon elle, sont libres de réglementer la distribution de leurs produits comme ils l’entendent et de négliger, à cette occasion, les intérêts du commerce non spécialisé (commerce non qualifié). D’après cette réponse de la Commission, les commerçants non spécialisés en cause ne voient pas négliger leurs intérêts parce qu’ils ne pourraient pas vendre les produits avec succès, mais parce que le fabricant ne veut pas laisser au commerçant le soin de décider s’il veut ou non fournir des services à ses clients et maintenir ou non des normes de qualité. La Commission a admis, à ce propos, que la décision d’un fabricant pourrait être influencée par la présence d’un grand nombre de systèmes de distribution sélective simples. Le fabricant pourrait alors être forcé, par le refus du commerce spécialisé d’acheter ses produits s’il agissait autrement, d’appliquer lui aussi un système de distribution sélective. La Commission considère que la protection accordée par l’article 85 ne vise pas les intérêts du commerce non qualifié (c’est-à-dire du commerce qui ne peut ou ne veut pas satisfaire aux exigences imposées). Le premier objet de protection de cet article est bien plus le consommateur. Tant que les fabricants sont convaincus de pouvoir optimiser leurs gains par une distribution sélective et tant qu’il existe une concurrence efficace, les intérêts des consommateurs semblent être protégés suffisamment. Les consommateurs qui ne souhaitent pas profiter du système de distribution sélective peuvent s’adresser au commerce non qualifié et obliger ainsi les fabricants à abandonner éventuellement la distribution sélective. Tant que la majorité des consommateurs est satisfaite de la distribution sélective, la Commission ne voit par conséquent pas de raison de déroger à l’arrêt Metro I. Cette réponse de la Commission à des questions que nous lui avons posées éclaire son opinion sur plusieurs points.

En premier lieu, le texte complet de la réponse confirme que la Commission fonde sa politique en la matière uniquement sur l’article 85, paragraphe 3. En conséquence, il n’est pas nécessaire, selon la Commission, d’envisager la coexistence d’un grand nombre de systèmes de distribution sélective lors d’une appréciation au regard de l’article 85, paragraphe 1. Nous avons déjà dit qu’à notre avis cette thèse n’est pas compatible avec la jurisprudence de la Cour. Avant d’examiner les éventuels effets positifs des systèmes de distribution sélective sur la base de l’article 85, paragraphe 3, il faut d’abord déterminer quels effets restreignent le jeu de la concurrence sur la base de l’article 85, paragraphe 1. A cette fin, il convient, par conséquent, également d’être attentif aux effets parallèles de systèmes parallèles tels que nous les avons déjà décrits. Lors de l’application de la première condition de l’article 85, paragraphe 3, il convient, en effet, de faire le « bilan économique » des effets qui restreignent le jeu de la concurrence et des effets positifs des restrictions de concurrence constatées.

En second lieu, il ressort de la réponse résumée de manière détaillée ci-dessus à notre question en la matière que la Commission reconnaît que, lorsque les commerçants spécialisés détiennent une grande part de marché, les producteurs puissent se voir obligés, sous la menace d’un boycottage par ces commerçants spécialisés, d’appliquer un système de distribution sélective. En fait, il ne reste alors plus grand-chose de la liberté de décision du producteur présumée par la Commission ni de la voix finalement décisive des consommateurs mentionnée par la Commission à la fin de cette partie de la réponse. La voix décisive sur le système de distribution à appliquer revient alors, au contraire, au commerce spécialisé. A un autre endroit de son exposé, la Commission a reconnu que le commerce spécialisé détient, en République fédérale d’Allemagne, une très grande part de marché. Selon le rapport Mackintosh, les magasins du type « discount » et les supermarchés ne détiendraient, en République fédérale d’Allemagne, qu’une part de marché de 5 % (contre 15 % en France et 16 % au Royaume-Uni). En revanche, toujours d’après le rapport Mackintosh, le commerce spécialisé indépendant disposerait d’une part de marché de 55 %, les entreprises de location spécialisées d’une part de marché de 4 % et les magasins « multiples » et les grands magasins d’une part de marché commune de 27 %. On peut présumer qu’au moins une partie des deux derniers groupes dispose également de rayons spécialisés, mais le rapport ne contient pas d’autres données sur ce point pertinent. La Commission a cependant déclaré à l’audience que l’entreprise allemande de vente par correspondance la plus importante (qui appartient au groupe restant détenant une part de marché de 9 %) satisfait aux conditions du système SABA. Le risque d’un boycottage de la part du commerce spécialisé semble donc en tout cas réel en République fédérale d’Allemagne.

Enfin, la déclaration expresse de la Commission selon laquelle elle considère que les intérêts de commerçants autres que les commerçants spécialisés ne sont pas dignes d’être protégés est surprenante. La France (avec son interdiction déjà ancienne du refus de vente) et les Pays-Bas (d’après la modification, dont nous avons déjà fait état, de la législation en matière d’établissement et les interventions itératives sur le plan du droit de la concurrence contre le boycottage de nouveaux systèmes de distribution au sens visé dans l’arrêt Metro I, par des fabricants d’articles de marque, même lorsque le boycottage était la conséquence de pressions exercées à cette fin par le commerce spécialisé), ont manifestement, de même que le Royaume-Uni, une position différente qui nous paraît plus exacte du point de vue de la politique de la concurrence, et notamment au regard de l’interprétation de l’article 85 du traité CEE. Plusieurs arguments peuvent être invoqués à l’appui de ce point de vue différent. La politique néerlandaise est influencée par l’idée essentielle que le boycottage de certaines formes d’activités économiques constitue une infraction au principe de la liberté d’établissement et au libre exercice d’une activité économique. Peut-être le souci séculaire des Pays-Bas d’organiser un commerce efficace comme source de prospérité a-t-il également joué un rôle ici. La réponse de la Commission dont il s’agit en l’occurrence comme l’intervention du gouvernement de la République fédérale d’Allemagne semblent méconnaître entièrement, en tant que facteurs importants du jeu de la concurrence, le rôle indépendant du commerce et la multitude de formes de distribution indépendantes. L’organisation de la distribution semble, en effet, relever en principe des producteurs. En France, abstraction faite de l’interdiction du « refus de vente », un rôle important revient certainement à la circonstance que la législation d’après-guerre en matière d’ententes — conçue comme une branche de la législation sur les prix — a été considérée initialement, dans les années 50, dans le cadre de la politique anti-inflationniste, en particulier comme un instrument de lutte contre les hausses de prix et de stimulation des baisses de prix (notamment par l’apparition de canaux de distribution nouveaux et moins coûteux). Les conceptions en matière de politique de la concurrence au Royaume-Uni semblent être davantage influencées par des considérations pragmatiques, par des analyses précises de marché et peut-être par les doctrines anglaises et américaines sur la « workable competition ». Cette doctrine considère le libre accès au marché comme un critère très important, si ce n’est le plus important, d’une concurrence efficace. Ce critère n’admet pas de boycottage collectif — coordonné consciemment ou non — de certaines activités économiques dans le secteur commercial. Nous n’avons pas d’explication claire de la thèse allemande qui se dégage de l’intervention de la République fédérale d’Allemagne à l’appui du point de vue de la Commission dans la présente affaire, puisque cet État a en général, comme on le sait, une politique de concurrence précisément plus sévère que les trois autres États membres cités. Peut-être des traditions historiques, remontant à une époque antérieure à la dernière guerre mondiale, jouent-elles ici également un rôle. L’interdiction d’une intégration du commerce de gros et de détail, qui existe en particulier en République fédérale d’Allemagne depuis longtemps déjà, pourrait constituer une indication en ce sens. Dans beaucoup d’autres pays, une telle interdiction est considérée comme une entrave non souhaitée à l’abaissement des coûts dans le commerce. En ce qui concerne l’application de l’article 85, paragraphe 1, il nous semble clair entretemps, ainsi que nous l’avons déjà dit — entre autres sur le fondement de la jurisprudence de la Cour — que la thèse soutenue Ear la Commission est indéfendable. Sur la ase du texte de l’article 85, paragraphe 1, il nous semble en effet évident que l’exclusion de certaines formes d’activité économique dans le secteur du commerce (en l’espèce, des commerçants non qualifiés qui ne fournissent pas des services avant et après la vente des produits en cause, mais vendent par contre à dès prix inférieurs) représente en principe une restriction au jeu de la concurrence. Aucun élément du texte de l’article 85 n’indique que celui-ci ne protège que le jeu de la concurrence entre fabricants, et non pas aussi entre commerçants. Sur la base de la « rule of reason » développée par la Cour dans l’arrêt Metro I et dans la jurisprudence antérieure, telle est en tout cas la règle soit que le fabricant intéressé seul, soit qu’une grande partie des fabricants en cause (même en l’absence de toute concertation) appliquent conjointement une telle exclusion, lorsque ces fabricants détiennent ensemble (et certains aussi séparément) une part de marché largement supérieure au chiffre limite utilisé par la Commission et reconnu en principe dans la jurisprudence pour parler d’un « accord d’importance mineure ». Pour le moins en ce qui concerne l’article 85, paragraphe 1, les intérêts de nouvelles formes d’activité économique dans le secteur commercial doivent donc certainement être considérés comme dignes de protection. Nous examinerons à présent dans quelle mesure cela s’applique également à l’article 85, paragraphe 3.

4.5. Le deuxième moyen

a)

Comme deuxième moyen, la requérante invoque, ainsi que nous l’avons déjà mentionné, le détournement du pouvoir d’accorder une exemption au titre de l’article 85, paragraphe 3. En ce qui concerne le problème que nous avons qualifié d’essentiel, elle fait valoir, en particulier, que les systèmes de distribution sélective dans le secteur en cause servent en réalité à exclure, au détriment du consommateur, les magasins dont les méthodes de commercialisation à bas prix sont susceptibles de porter atteinte, selon les fabricants intéressés, à « l’image de marque » de leur produit. Relativement au critère de « l’avantage pour les consommateurs », Metro a évoqué en particulier dans ce cadre les démarches entreprises auprès de la Commission par le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) conformément à l’article 3 du règlement no 27, le 25 juin 1980. Le BEUC a fait part à cette occasion de sa préoccupation quant à la nouvelle exemption accordée à SABA et à la prolifération des systèmes de distribution sélective dans ce secteur.

b)

En ce qui concerne ce moyen, nous observerons pour commencer que la conclusion à laquelle nous avons abouti quant au bien-fondé du quatrième moyen de la requérante vaut également pour l’application de l’article 85, paragraphe 3. Selon le texte de la décision, la Commission n’a pas du tout tenu compte en effet, lors de l’appréciation du système SABA modifié à la lumière des trois premières conditions de la disposition précitée, des effets parallèles d’autres systèmes de distribution sélective. Ce n’est qu’en analysant le système au regard de la quatrième condition de l’article 85, paragraphe 3, que la Commission semble à première vue avoir tenu compte de l’existence d’autres systèmes de distribution sélective. Ainsi que nous l’avons déjà constaté lors de l’appréciation du quatrième moyen, la conclusion de la Commission en ce qui concerne cette condition n’était cependant pas basée sur une analyse de marché (qui n’a en effet été disponible sous la forme du rapport Mackintosh que deux mois après la décision et qui, de plus, ne fournit aucune donnée claire en ce qui concerne les questions que le Royaume-Uni considère à juste titre comme pertinentes).

c)

L’appréciation du système SABA au regard de la première condition de l’article 85, paragraphe 3, est donc limitée dans la décision aux effets de ce système considéré isolément. Il n’est donc nullement question d’un « bilan économique » mettant en balance l’ensemble des restrictions au jeu de la concurrence et les avantages objectifs du système SABA. A cet égard, on notera par exemple la constatation faite à l’alinéa 3, au point B.l, selon laquelle « l’obligation faite aux grossistes qui s’approvisionnent directement auprès de SABA de conclure à l’avance des accords sur le chiffre d’affaires annuel et quadrimestriel précisant les types et nombres d’appareils, … permet à SABA d’établir un programme précis de production et de distribution et d’assurer ainsi un approvisionnement continu, tout en rationalisant la fabrication et la vente ». Ni ce passage ni les considérants suivants n’indiquent que la Commission se soit demandée si la possibilité d’établir un tel « programme précis de production et de distribution » n’est pas un indice du défaut fondamental de concurrence efficace dans ce secteur. En effet, lorsque la concurrence est efficace, il n’est pas possible d’établir un tel programme précis.

Dans l’alinéa 4 de cette partie de la décision, la Commission précise cependant ce qui suit: « Le fait que, pour la durée des accords sur le chiffre d’affaires, les grossistes ne puissent plus affecter à d’autres fabricants la part de leur programme d’achats revenant à SABA ne constitue pas un inconvénient notable au regard des avantages susmentionnés. » Dans ce considérant et dans l’explication qui en a été donnée, la Commission reconnaît donc que le système peut avoir pour effet de priver les clients des grossistes SABA (et, par voie de conséquence, également les clients des détaillants SABA) de la liberté de choix entre les marques concurrentes les plus importantes chez ces commerçants, ce qui est important pour apprécier le système au regard de la deuxième condition de l’article 85, paragraphe 3. Du reste, la constatation figurant dans l’explication relative à ce considérant, selon laquelle les grossistes « ont librement déterminé » le programme (de leur assortiment) semble être difficilement conciliable avec la teneur (en particulier avec l’étendue) de leurs obligations d’achat vis-à-vis de SABA, telle que la partie en fait de la décision et le résumé à l’alinéa 5 du point II. B.1 de la décision en font état.

Comme le point II.B.1 de la décision ne repose pas sur une étude de marché, la dernière phrase est également dépourvue de fondement. Il y est précisé que les obligations précitées de promotion des ventes de produits SABA « favorisent ainsi la concurrence entre SABA et les autres marques, sans que la concurrence entre les distributeurs SABA s’en trouve affectée ». Dans un marché oligopolistique comme celui dont il s’agissait déjà, selon l’alinéa 2 de l’attendu 17, dans le premier arrêt Metro (à savoir que huit producteurs détenaient ensemble une part de marché de 91 %), un tel système, appliqué par la majorité des producteurs, peut très bien entraîner le gel des parts de marché en cause et restreindre ainsi sensiblement la concurrence avec d’autres marques. Nous avons déjà observé tout à l’heure que l’applicabilité effective du programme de production et de distribution convenu va manifestement dans ce sens. La Commission n’aurait donc pas dû tirer cette conclusion sans effectuer, au préalable, une analyse de marché appropriée. La partie de la motivation de la décision examinée ici confirme donc que le quatrième moyen, que nous avons estimé fondé, est également pertinent au regard de l’application de l’article 85, paragraphe 3.

d)

Par le deuxième moyen, la requérante fait cependant grief à la Commission d’avoir violé en particulier la deuxième condition à l’octroi d’une exemption pour l’accord en cause, à savoir qu'« une partie équitable du profit qui en résulte » (en l’espèce, l’amélioration de la production et de la distribution) soit « réservée aux utilisateurs ». Si on met en regard le point II.B.2 de la décision et l’avis contraire du BEUC, il apparaît déjà que la Commission, agissant dans un esprit quelque peu paternaliste, substitue ici son propre jugement à une analyse de l’opinion des consommateurs eux-mêmes. De plus, ce jugement propre ne repose sur aucune analyse de marché de la part de la Commission, mais sur une hypothèse théorique. Dans l’alinéa 2 du point II.B.2 de la décision, nous lisons en effet ce qui suit: «On peut considérer que la vive concurrence qui existe dans le secteur de l’électronique de divertissement doit amener SABA à répercuter sur les utilisateurs les avantages découlant de la rationalisation de la production et de la distribution, d’autant plus que tous les grossistes et détaillants SABA ont le droit de distribuer aussi des produits concurrents» (c’est nous qui soulignons).

Eu égard à cet alinéa et au suivant (dont l’optique générale est la même), nous désirons faire la remarque suivante.

Le premier passage que nous avons souligné confirme que l’appréciation au regard de la deuxième condition de l’article 85, paragraphe 3, n’est pas non plus fondée sur une quelconque analyse de marché, mais sur une « considération » ou une présomption, comme la Commission l’a reconnu à l’audience.

Comme la décision n’est fondée sur aucune étude du marché, le deuxième passage que nous avons souligné (à savoir la constatation de l’existence d’une concurrence efficace) est également dépourvu de tout fondement.

Lorsque la Commission constate, dans le troisième passage souligné, l’existence d’un « droit de distribuer aussi des produits concurrents », elle se met en contradiction avec la constatation antérieure que les grossistes ne peuvent plus s’adresser à d’autres fabricants pendant la durée de leurs contrats sur le chiffre d’affaires.

Comme nous l’avons déjà dit, la Commission a ensuite reconnu, en réponse à une question que nous lui avons posée à l’audience, que les consommateurs doivent être libres de s’adresser au commerce non qualifié (pour autant que les avantages de prix que ce type de commerce leur procure sont, à leurs yeux, plus importants que les obligations en matière de stocks et de prestations de services qui sont assumées par le commerce qualifié et entraînent des prix plus élevés). La Commission a cependant reconnu en même temps, dans cette réponse, qu’une prolifération de systèmes de distribution sélective (par exemple sous la pression du commerce spécialisé) peut, en ait, éliminer cette possibilité pour le consommateur. La façon dont la Commission a conclu dans sa réponse à notre question, à savoir qu'« aussi longtemps que la majorité des consommateurs est satisfaite de la distribution sélective, la Commission ne voit pas de motif de déroger à l’arrêt Metro I », n’a évidemment aucun fondement réel dans un tel cas. Le consommateurn’est alors pas en mesure de manifester sa préférence pour des supermarchés ou des magasins en libre service disposant d’un large assortiment et pratiquant des prix inférieurs, sans fournir les prestations de services offertes par le commerce qualifié. En outre, nous estimons que l’interprétation du premier arrêt Metro que la Commission donne ainsi est, comme nous l’avons déjà expliqué, incompatible avec le texte de cet arrêt.

Enfin, nous estimons qu’il est inacceptable, en l’espèce, que la Commission remplace, sans analyse de marché, l’opinion du BEUC par son avis personnel sur les avantages qui en résultent pour les utilisateurs, en se basant sur une « considération » théorique (voir la décision, point II.B.2, alinéa 2). Dans la présente affaire, la « vive concurrence » sur laquelle cette supposition est fondée a en effet précisément été jugée inexistante par le BEUC, en raison de la prolifération de systèmes de distribution sélective. Nous pensons reconnaître ici la théorie du « consommateur avisé », qui rassemble de nombreux adeptes en République fédérale d’Allemagne, mais qui y est également contestée. Cette théorie permet de substituer l’avis d’une autorité administrative ou judiciaire sur l’intérêt des consommateurs à l’avis des consommateurs eux-mêmes sur leur propre intérêt. Nous avons également déjà contesté la théorie du « consommateur avisé » dans un autre contexte, au point 2.1 de nos conclusions précitées du 21 juin 1983, dans l’affaire NV Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin, nous ralliant ainsi en revanche à la thèse de la Commission.

e)

Le point II.B.3 de la décision concerne la condition que l’accord soit indispensable. A cet égard, nous nous contenterons de constater qu’ici la Commission ne tient pas plus compte des effets parallèles de systèmes similaires, mais envisage uniquement le système SABA, pris isolément. Conformément à la conclusion à laquelle nous avons abouti sur le quatrième moyen, nous estimons cette façon de procéder à nouveau inadmissible.

f)

En revanche, nous estimons opportun de commenter séparément les conclusions de la Commission sur la réalisation de la quatrième condition énoncée à l’article 85, paragraphe 3 (point II.B.4 de la décision).

Lorsque la Commission constate, à l’alinéa 4 de ce point de la décision, que « le marché de l’électronique de divertissement se caractérise par une concurrence particulièrement vive, qui est principalement imputable à la multitude des producteurs, à l’évolution rapide de la technologie et à la diversité de la structure commerciale », cela dénote d’abord à nouveau quel est le vice général qui entache la décision, à savoir qu’elle n’est pas fondée sur une étude de marché (puisque celle-ci n’est devenue disponible que deux mois plus tard). La deuxième phrase de cet alinéa, dans laquelle la Commission affirme qu’elle « n’a … pas pu constater que la large diffusion » de « contrats de coopération », proposés également par un « certain nombre d’autres fabricants importants » et « quelquefois réduits à de simples obligations de passer par le commerce spécialisé », « se soit traduite par un raidissement de la structure des prix », n’a donc aucun fondement avéré en fait. Sans étude de marché, il va de soi, effectivement, que la Commission ne pouvait pas constater de tels effets. En outre, cette deuxième phrase de l’alinéa 4 considère uniquement l’ensemble de la Communauté comme marché en cause, alors que nous avons déjà conclu précédemment que la Commission aurait également dû examiner séparément le marché allemand en tant que marché concerné. Enfin, cet alinéa ignore qu’un « raidissement de la structure des prix » peut également être l’expression d’un effet uniforme tendant à la majoration des prix et dérivant des obligations imposées aux commerçants en matière de stock, d’achat, d’aménagement des locaux, de personnel et de prestations de services. Le raidissement des prix ainsi causé ne peut être compensé par la concurrence par les prix au détriment des marges commerciales restantes qu’en prenant en considération les coûts de distribution qu’il a engendrés, et donc uniquement dans une mesure réduite. C’est d’ailleurs précisément le raidissement des prix susceptible d’apparaître comme nous venons de le préciser qui peut inciter les consommateurs à donner leur préférence à d’autres formes de distribution, moins onéreuses. Toutefois, en cas de prolifération de systèmes de distribution sélective (en ce compris les systèmes de distribution sélective « simples »), la préférence du consommateur peut ne pas s’exprimer ou ne s’exprimer que dans une mesure limitée. Ainsi que la Cour l’a souligné pertinemment dans l’arrêt Metro I, il ne suffit pas, lors de l’appréciation de systèmes de distribution sélective, d’examiner uniquement les conséquences sur les prix. La présence d’autres canaux de distribution est également importante. A l’audience, la Commission n’a pas contesté sur ce point l’affirmation de Metro selon laquelle aucun des fabricants importants qu’elle a cités, représentant au total une part de marché de 82 % en République fédérale d’Allemagne, n’a voulu lui fournir de produits. A cette part de marché, il faut alors encore ajouter, selon les propres déclarations de la Commission, la part de marché de Sony, producteur japonais qui pratique également un système de distribution sélective. Les fabricants cités par Metro sont Grundig, Philips, les trois entreprises du groupe Thomson-Brandt, ITT, Blaupunkt et Loewe-Opta. Metro n’a pu obtenir quelques produits de Philips qu’indirectement en Italie et sous une autre marque que Philips. Comme, en vertu de l’avis général défendu par la Commission, les systèmes sélectifs « simples » ne doivent pas lui être notifiés, il ne lui était pas non plus possible de constater, sans l’étude de marché qui n’était pas encore disponible au moment où la décision fut arrêtée, combien de systèmes « simples » étaient appliqués sur le marché allemand ni dans quelle mesure, sous la pression du commerce spécialisé — possibilité qu’elle a admise dans sa réponse à une question que nous lui avons posée — les abricants ne livraient qu’au commerce spécialisé. Le rapport Mackintosh ne comporte du reste pas davantage de données à ce sujet. Nous avons déjà observé que, même d’après cette étude de marché que la Commission a reçue ultérieurement, le commerce spécialisé détient, en République fédérale d’Allemagne (contrairement à la situation en France et au Royaume-Uni), une part de marché de 55 %, à laquelle il faut encore ajouter les parts de marché d’autres canaux de distribution disposant de rayons spécialisés.

Enfin, l’alinéa 5 du point II.B.4 de la décision est caractéristique de l’opinion de la Commission selon laquelle les commerçants qui ne sont pas soumis à des obligations en matière de prestations de services et autres, imposées par les fabricants, telles que les grandes surfaces (« discount », « cash and carry », etc.), et les grossistes ou détaillants en libre service (qui représentent une part de marché de 5 % en République fédérale d’Allemagne), ne sont pas dignes d’être protégés. La Commission affirme, dans cet alinéa, qu’elle n’avait pas pu davantage « constater que la diffusion de systèmes de distribution sélective … écarte par principe certaines formes de distribution … de l’écoulement de ces produits. Les critères de la distribution sélective SABA ne sont en effet pas tels qu’ils ne puissent pas, en principe, être également réunis par ces formes de distribution, même si cela implique une modification partielle de leurs méthodes particulières de commercialisation ». Ainsi que la requérante l’a souligné à bon droit à l’audience, le considérant cité confirme que, pour la Commission, la concurrence des formes de distribution visées à cet alinéa ne mérite pas d’être protégée lorsque ces formes ne sacrifient pas d’abord leurs avantages spécifiques au niveau des coûts. Ce n’est qu’en défendant un tel avis que la Commission n’était plus tenue de vérifier si les formes d’entreprises citées n’étaient pas exclues de la vente de produits SABA, non seulement en « principe », mais également en réalité. Nous estimons qu’un tel point de vue, susceptible de justifier (bien qu’à l’audience la Commission ait reconnu prudemment aux groupes de consommateurs le droit de choisir en définitive ces formes de distribution dont les coûts et prix sont inférieurs) une élimination complète du commerce non spécialisé, est incompatible avec le texte et l’économie de l’article 85.

Pour les motifs indiqués, nous estimons que le deuxième moyen de la requérante est également fondé.

4.6. Les autres moyens au fond

Comme nous estimons que les premier, deuxième et quatrième moyens de la requérante, qui sont, selon nous, fondés, constituent déjà en eux-mêmes une base largement suffisante pour annuler la décision attaquée, nous pensons qu’il n’est pas nécessaire d’examiner encore de façon détaillée les troisième et cinquième moyens de la requérante.

Dans son troisième moyen, la requérante fait grief à la Commission d’avoir commis un détournement de pouvoir en omettant de tenir compte de la mise en œuvre effective des accords SABA. Vu le grief essentiel de la requérante, mentionné ci-dessus et fondé selon nous, tel qu’il est développé dans les premier, deuxième et quatrième moyens, nous estimons qu’il est superflu d’examiner les questions de fait compliquées qui se poseraient dans un examen du troisième moyen et dont quelques arrêts relatifs à des systèmes de distribution sélective illustrent la pertinence, mais aussi la complexité (voir, par exemple, l’affaire 107/82, AEG-Tele-funken/Commission, Rec. 1983, p. 3151).

Le cinquième moyen de la requérante présente un certain lien avec le grief fondamental formulé contre la Commission. Par ce moyen, la requérante reproche à la Commission d’avoir permis à SABA et au groupe Thomson-Brandt, en lui accordant une exemption pour le système appliqué conformément à l’article 85, paragraphe 3, d’exploiter de manière abusive une position dominante sur le marché de l’électronique de divertissement en général et sur celui des téléviseurs couleur en particulier. A l’appui de cette allégation, elle invoque les arrêts que nous avons déjà cités dans le résumé des moyens.

La définition même de la notion de position dominante, telle qu’elle figure aux attendus 26 et 30 de l’arrêt du 11 décembre 1980 dans l’affaire 31/80 (L’Oréal, Rec. 1980, p. 3775) et qu’elle a été empruntée à l’arrêt dans l’affaire Hoffmann-La Roche, nous permet effectivement d’imaginer que SABA ou le groupe Thomson-Brandt, malgré une part de marché réduite, doivent être considérés comme jouissant d’une position dominante au sens de l’article 86. En particulier, la possibilité dont SABA dispose manifestement de planifier sa production et ses ventes sur une période de quatre mois et d’un an respectivement pourrait indiquer, selon nous, que sa position sur le marché « lui permet de se comporter dans une mesure importante de façon indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses acheteurs et, finalement, des consommateurs ». Des fabricants pratiquant un système comparable pourraient alors également disposer d’une position dominante. Dans le cadre de la politique néerlandaise en matière de concurrence, les pouvoirs publics sont intervenus itérativement contre des positions dominantes parallèles comparables qui avaient été utilisées abusivement en ce que les fabricants avaient boycotté certaines formes de distribution. Toutefois, les arguments qui ont été avancés au cours de la procédure ne permettent pas vraiment de conclure définitivement sur ce moyen, ce qui ne s’avère d’ailleurs pas non plus nécessaire pour les raisons indiquées ci-dessus.

5. Résumé, observations finales et conclusion

5.1. Résumé

L’analyse des différents moyens nous a permis d’aboutir aux conclusions partielles suivantes:

a)

le recours de la requérante est recevable, pour les motifs qui ont été exposés en particulier lors de l’audience par la Commission;

b)

le sixième moyen de la requérante, concernant la procédure administrative suivie par la Commission, est non fondé et doit donc être rejeté;

c)

le quatrième moyen de la requérante, dans lequel elle fait en particulier grief à la Commission de ne pas avoir fondé sa décision entre autres sur une enquête concernant la structure générale du marché conformément aux directives établies par la Cour dans le premier arrêt Metro, est fondé;

d)

les premier et deuxième moyens de la requérante, dans lesquels elle fait grief à la Commission d’avoir fait une application erronée de l’article 85, paragraphes 1 et 3, sont — en particulier à la lumière du quatrième moyen, que nous avons jugé fondé — également fondés;

e)

les vices de la décision attaquée, qui sont ainsi apparus lors de l’examen des quatrième, premier et deuxième moyens au fond, doivent être considérés comme si graves que la décision doit être annulée pour ces motifs;

f)

compte tenu de la conclusion qui précède, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres moyens invoqués par la requérante au fond.

5.2. Observations finales

a)

Nous espérons avoir montré clairement, dans les analyses qui précèdent, que la présente affaire n’est effectivement pas aussi banale qu’elle semble l’être à première vue. Le fait que la solution du litige que nous avons proposée découle directement, selon nous, des directives que la Cour a données dans le premier arrêt Metro, eu égard à la politique à suivre par la Commission, n’y change rien. Bien que cet aspect ne soit pas important en soi pour trancher en l’espèce, la circonstance que, selon l’arrêt de la Cour du 13 février 1969 dans l’affaire 14/68 (Walt Wilhelm, Rec. 1969, p. 1), les autorités compétentes en matière d’ententes de trois États membres (France, Pays-Bas et Royaume-Uni) ne pourraient pas maintenir sans changement la politique différente qu’ils pratiquent eu égard au boycottage de certaines formes de distribution si on accepte l’orientation de la politique apparemment préconisée par la Commission dans la présente décision souligne le caractère non banal de la présente affaire.

b)

Comme il convient d’examiner la décision en fonction de ses mérites propres et des explications qui ont été données au cours de la procédure et qu’il est apparu, à cette occasion, que la décision n’a pas ou a à peine tenu compte des directives données par la Cour dans le premier arrêt Metro en ce qui concerne la nécessité d’une étude de marché, nous pensons qu’il serait incorrect, du point de vue de la procédure, d’examiner encore exhaustivement, dans les présentes conclusions, les éléments d’enquête qui n’ont été communiqués à la Commission que deux mois après que la décision eut été arrêtée. Le texte de la décision fait apparaître clairement que la Commission a considéré que les données générales du rapport relativement à la structure du marché étaient sans importance au regard de sa décision; c’est à bon droit que le grief essentiel de la requérante porte sur ce point. En outre, il n’est plus possible de reconstituer a posteriori la décision de la Commission telle qu’elle aurait été si la Commission avait effectivement tenu compte des éléments en question. En aucun cas, une procédure devant la Cour ne peut permettre de substituer à la motivation d’une décision une motivation entièrement différente couvrant un vice fondamental constaté dans la décision mise en cause. Nous avons déjà souligné en outre que le rapport Mackintosh ne répare le vice relevé que dans une mesure très insuffisante.

c)

Pour les motifs indiqués et d’après le texte clair de la décision, la Commission a basé l’acte exclusivement — sauf l’exception que nous avons examinée et qui concerne la quatrième condition d’exemption visée à l’article 85, paragraphe 3 — sur une analyse du système SABA considéré isolément de la structure de marché au sein de laquelle ce système fonctionne. Dans les considérations que nous avons émises, nous avons indiqué quelles étaient les conclusions inacceptables ou, du moins, fondées sur de pures hypothèses ou des préjugés auxquelles la méthode de travail de la Commission aboutit. Sur la base de notre analyse du grief principal de la requérante et des conséquences qu’il entraîne au regard de l’application donnée à l’article 85, paragraphes 1 et 3, nous avons estimé qu’il était inutile que la Cour procède à un examen séparé des arguments relatifs au système SABA en tant que tel.

d)

Ne serait-ce qu’en raison de la première observation que nous avons formulée à la fin des présentes conclusions, nous n’avons pas plus tenu compte des données fournies par la Commission après l’audience en réponse à une question du juge rapporteur que du rapport Mackintosh. Les renseignements relatifs à la répartition des systèmes de distribution sélective dans le secteur en cause, que la Commission connaissait et qui n’ont pas été qualifiés de confidentiels, n’ont d’ailleurs que peu de valeur parce que la Commission estime, comme nous l’avons déjà dit, que les systèmes de distribution sélective simples ne sont pas soumis à l’obligation de notification, alors qu’il n’est pas clair jusqu’à quel point l’institut de recherche en cause (la Gesellschaft für Konsumforschung Neurenberg) dispose, quant à elle, de renseignements sur les systèmes de distribution sélective non notifiés. Le commentaire de la requérante que nous avons obtenu entre-temps nous fait mettre en doute la valeur de ces données (publiées dans Neue Medien no 5, mai 1985) et d’autres renseignements produits. Dans ce commentaire, au terme d’un aperçu détaillé, Metro aboutit à la conclusion que huit marques de téléviseurs dont les fabricants appliquent un système de distribution sélective formelle ou un système équivalent représentent une part de marché de 58 % en République fédérale d’Allemagne et que neuf autres marques commercialisées selon des systèmes de distribution sélective informels d’effet similaire correspondent à une part de marché de 33 %. Au total, Metro et les entreprises du même type ne pourraient donc accéder normalement qu’à des marques représentant une part de marché de 9 %. Les données fournies par Metro à l’appui de ces calculs sont certainement plus précis que la base des calculs de la Commission. Comme nous l’avons observé, nous estimons toutefois que ces chiffres, qui ont été produits par la Commission et par Metro après l’audience en réponse à des Questions de la Cour, ne sont finalement pas écisifs, et cela en priorité pour d’autres motifs. Si la Cour devait en juger autrement, la procédure devrait, selon nous, être rouverte, en raison de la base sérieuse des chiffres importants produits par Metro, qui ne correspondent pas aux chiffres de la Commission.

5.3. Conclusion

Pour ces motifs, nous proposons en conclusion à la Cour:

1)

de déclarer le recours de la requérante recevable;

2)

de déclarer les premier, deuxième et quatrième moyens de la requérante fondés;

3)

d’annuler la décision de la Commission, du 21 décembre 1983, relative à une procédure au titre de l’article 85 du traité CEE concernant le système de distribution de SABA (décision 83/672/CEE, JO 1983, L 376, p. 41), sur la base des motifs indiqués;

4)

de condamner la Commission aux dépens de l’instance, à l’exception des frais engagés par les parties intervenantes, puisque celles-ci n’ont pas conclu à la condamnation de la partie qui succombe aux dépens, qu’elles devront donc supporter elles-mêmes.


( *1 ) Traduit du néerlandais.

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CJCE, n° C-75/84, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Metro SB-Großmärkte GmbH & Co. KG contre Commission des Communautés européennes, 12 novembre 1985