CJCE, n° C-16/94, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Édouard Dubois & Fils SA et Général cargo services SA contre Garonor exploitation SA, 18 mai 1995

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 18 mai 1995, Dubois et Général cargo services, C-16/94
Numéro(s) : C-16/94
Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 18 mai 1995. # Édouard Dubois & Fils SA et Général cargo services SA contre Garonor exploitation SA. # Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. # Taxe de passage prévue par une convention privée - Taxe d'effet équivalent. # Affaire C-16/94.
Date de dépôt : 17 janvier 1994
Précédents jurisprudentiels : C-78/90 à C-83/90
Foster e.a. ( C-188/89, Rec. p. I-3313
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61994CC0016
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1995:148
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61994C0016

Conclusions de l’avocat général La Pergola présentées le 18 mai 1995. – Édouard Dubois & Fils SA et Général cargo services SA contre Garonor exploitation SA. – Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation – France. – Taxe de passage prévue par une convention privée – Taxe d’effet équivalent. – Affaire C-16/94.


Recueil de jurisprudence 1995 page I-02421


Conclusions de l’avocat général


++++

1 Par ordonnance rendue le 17 janvier 1994, la Cour de cassation française pose à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Les articles 9, 12, 13 et 16 du traité instituant la Communauté économique européenne s’appliquent-ils à une `taxe de passage’ qui, destinée à compenser la prise en charge par une entreprise privée de frais résultant de l’accomplissement par les services des douanes et les services vétérinaires de leur mission de service public, n’a pas été instituée par l’État mais résulte d’une convention conclue par cette entreprise privée avec ses clients?»

2 Le cas d’espèce qui est à l’origine de l’ordonnance de renvoi peut être brièvement décrit comme suit. Garonor exploitation (ci-après «Garonor»), une société privée, gère à proximité de Paris une gare routière internationale, dans l’enceinte de laquelle se trouvent les services de l’administration des douanes. Garonor a, contre paiement d’un loyer, donné à bail aux sociétés Édouard Dubois et fils et General Cargo Services (ci-après «Dubois et Cargo»), commissionnaires de transport, divers locaux destinés à l’intérieur de ladite gare routière à des bureaux et à des installations sanitaires. Les sociétés locataires ont, en outre, le droit d’utiliser les infrastructures routières et ferroviaires dont la gare est dotée. L’ensemble du terrain sur lequel la gare se dresse est la propriété de Garonor. L’activité de cette société n’est soumise à aucun acte d’autorisation ou de concession de la part de l’autorité publique. En sus du loyer, les sociétés Dubois et Cargo versent à Garonor une «taxe de passage» forfaitaire pour chaque véhicule en transit international qui effectue les opérations de dédouanement dans la gare routière. Le litige au principal porte sur le non-versement de la «taxe de passage» par les sociétés Dubois et Cargo, lesquelles font valoir en l’espèce que cette prestation pécuniaire, qui était à l’origine destinée à compenser les charges supportées par Garonor pour la construction et l’entretien d’un parc de stationnement TIR qu’utilisaient les services des douanes, serait devenue sans cause depuis que, en 1981, ces services ont accepté d’effectuer les opérations de dédouanement dans les locaux privatifs des sociétés commissionnaires de transport.

3 Selon l’ordonnance de renvoi, la «taxe de passage», qui est prévue dans les conditions générales d’intervention de Garonor applicables à tout utilisateur éventuel de la gare routière, constitue une prestation pécuniaire destinée à compenser les frais supportés par cette dernière société pour assurer la présence des services des douanes à l’intérieur de la gare. L’ordonnance de renvoi précise en outre de quels frais il s’agit: ceux de location et d’entretien des locaux mis gratuitement à la disposition des services des douanes par Garonor, ceux qui correspondent, pour partie, au financement de la cantine dont bénéficie le personnel des douanes, ainsi que les autres, relatifs à l’utilisation d’un pont-bascule par ledit personnel, au fonctionnement du service vétérinaire dans l’enceinte de la gare routière et à un parc de stationnement pour les utilisateurs de la gare. A l’exception des seuls frais concernant le parc de stationnement, ainsi que l’expose le juge a quo, la «taxe de passage» vise à compenser les frais que Garonor a pris en charge, mais qui résultent de l’accomplissement par les services des douanes et les services vétérinaires de leur mission de service public. La juridiction de renvoi explique ensuite, dans les attendus de l’ordonnance, que la «taxe de passage» ne constitue pas la rémunération de prestations contractuelles fournies par Garonor aux commissionnaires de transport: s’il est exact que l’accomplissement des formalités douanières à l’intérieur du pays est avantageux pour les opérateurs économiques, il s’agit, selon la jurisprudence de la Cour (1), d’un service dû en tout cas aux bénéficiaires du marché commun, qui ne saurait, par conséquent, comporter des charges financières imposées aux intéressés.

4 En réponse à la question soulevée par la juridiction de renvoi, la Commission et les sociétés Dubois et Cargo avancent la thèse selon laquelle la «taxe de passage» serait une taxe d’effet équivalant à un droit de douane. Elles s’appuient à cet égard sur une interprétation extensive des dispositions évoquées dans l’ordonnance de renvoi, qui serait justifiée par deux ordres de considérations:

a) la prestation pécuniaire visée en l’espèce, quoique non imposée par l’État, serait cependant perçue au profit de celui-ci, avec cette conséquence que l’État en est le véritable bénéficiaire;

b) d’autre part, il serait utile en l’espèce de s’appuyer sur le principe que la Cour a déjà énoncé dans l’affaire Bauhuis (2), selon lequel «la justification de l’interdiction des taxes d’effet équivalant à des droits de douane réside dans l’entrave que des charges pécuniaires, fussent-elles minimes, appliquées en raison du franchissement des frontières, constituent pour la circulation des marchandises…». L’interdiction des taxes d’effet équivalent devrait s’analyser comme étant applicable également en l’espèce, puisque, comme on nous l’affirme, la «taxe de passage» comporte pour le transit des marchandises le même effet d’entrave que les dispositions en cause du traité visent précisément à empêcher.

5 Ni l’un ni l’autre de ces arguments n’emportent notre conviction. Le seul fait d’alléguer que l’État bénéficie de la prestation pécuniaire considérée en l’espèce, ou que celle-ci donne lieu à une entrave à la circulation des marchandises, ne suffit pas à établir qu’il s’agit, au sens du traité, d’une charge fiscale équivalant, par ses effets, à un droit de douane. Certes, les dispositions mentionnées dans l’ordonnance de renvoi interdisent ce type de taxe, et aucun autre, parce qu’elles visent à exclure les effets équivalant aux droits de douane. Mais le problème qui se pose présentement est de savoir si l’intervention, en l’espèce, de l’effet que les observations en question tiennent pour équivalant à l’imposition d’un droit de douane découle ou non d’un acte d’imposition, relevant de la catégorie des taxes interdites, telle que définie par le traité.

Or, le droit de douane, et la taxe d’effet équivalent, constituent, au sens des articles 9, 12, 13 et 16 du traité, des actes d’imposition résultant, en tant que tels, de l’exercice d’une compétence réservée à l’État ou en tout cas à l’autorité publique. Les destinataires des dispositions en question sont, en effet, exclusivement les États membres. Mais la prestation en cause, qui est prévue dans le cadre d’une convention conclue entre parties privées, ne présente pas les caractéristiques d’une prestation imposée. D’autre part, la personne qui exige le versement de la «taxe de passage» est une société commerciale qui, ainsi qu’il résulte de l’ordonnance de renvoi, n’appartient pas, et ne saurait en aucun cas être rattachée, au domaine de l’organisation étatique, et ce même pas dans l’acception très large que la Cour accorde à cette notion, dans la mesure où elle y inclut tout «organisme qui, quelle que soit sa forme juridique, a été chargé en vertu d’un acte de l’autorité publique d’accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d’intérêt public et qui dispose, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers» (3).

La «taxe de passage» ne procède du pouvoir d’imposition d’aucun organisme de ce type, alors que c’est seulement l’imposition fiscale – la taxe imposée par l’autorité compétente – qui est interdite en tant que taxe d’effet équivalant à un droit de douane. Nous estimons donc qu’une prestation pécuniaire telle que celle faisant l’objet du présent litige n’est pas une taxe d’effet équivalent au sens des articles 9, 12, 13 et 16 du traité.

6 Cela étant dit, il convient toutefois d’ajouter que les arguments examinés ci-dessus ne nous semblent pas épuiser les différentes possibilités de formulation du problème à soumettre à l’examen de la Cour.

La juridiction de renvoi a posé la question d’interprétation des articles 9, 12, 13 et 16 du traité sans formuler exclusivement, ni expressément, le problème – auquel nous avons déjà apporté, pour ce qui nous concerne, une réponse négative – de savoir si la «taxe de passage» en cause est une taxe interdite par ces dispositions. L’ordonnance de renvoi peut donc être comprise également en ce sens qu’elle soulève un problème plus général. La Cour est en fait appelée à préciser quelle application les dispositions susmentionnées du traité sont en tout état de cause susceptibles de recevoir dans le cas inédit et particulier d’une prestation pécuniaire frappant les marchandises en raison du franchissement des frontières, qui a pour origine une convention entre personnes privées mais dont l’objet consiste à couvrir des frais qui, ainsi que le juge a quo l’a précisé, résultent de l’accomplissement d’un service public.

A notre avis, la question ainsi posée exige que la Cour interprète les dispositions évoquées dans l’ordonnance de renvoi non seulement par rapport à l’interdiction des droits de douane et des taxes visés par ces dispositions, mais également par rapport à toute la signification et la portée contraignante que celles-ci revêtent en tant qu’elles visent à protéger la valeur fondamentale que constitue, pour le marché commun, la libre circulation des marchandises.

7 Examinons donc, selon l’approche que nous venons d’indiquer, comment les dispositions du traité peuvent concerner le cas d’espèce. Il convient à l’évidence de se référer aux termes, qui doivent être tenus pour acquis en l’espèce, dans lesquels la juridiction de renvoi définit la destination spécifique de la «taxe de passage». Les frais que cette prestation pécuniaire vise à compenser sont, selon le juge de renvoi, précisément ceux liés à l’accomplissement par les services des douanes et les services vétérinaires de leur mission. Ces frais sont toutefois supportés, en l’espèce, par des personnes privées: l’exploitant de la gare routière les prend en effet à sa charge, mais les couvre, à son tour, par le produit de la «taxe de passage» dont les importateurs et exportateurs lui sont redevables à hauteur du montant fixé forfaitairement pour chaque véhicule affecté au transport international de marchandises. La prévision de cette dernière prestation pécuniaire résulte donc de la nécessité de faire face aux dépenses que l’État a omis de prendre en charge. Il ressort, en outre, de la jurisprudence de la Cour (4), dont la juridiction de renvoi s’est inspirée dans la formulation de sa question, que les frais relatifs au maintien des services en question sont nécessairement et exclusivement à la charge de l’État, lequel ne saurait par conséquent en rejeter le coût sur les utilisateurs en leur imposant des charges pécuniaires. D’autre part, nonobstant l’avantage qu’est susceptible de présenter pour les opérateurs économiques la possibilité d’effectuer les opérations de dédouanement à l’intérieur du pays, dans la zone où se trouve la gare routière, le service douanier est – selon la jurisprudence constante de la Cour (5) – toujours dû, quel qu’en soit le lieu, aux bénéficiaires du marché commun, et ne saurait faire l’objet d’une contrepartie économique.

8 Le problème étant posé dans les termes que nous venons d’indiquer, nous estimons que le juge a quo a, en substance, demandé à la Cour de se prononcer sur l’application éventuelle des dispositions qu’il a évoquées sous deux aspects. Le premier, que nous avons déjà examiné, concerne la violation de l’interdiction des taxes d’effet équivalant à des droits de douane. L’autre, qui reste encore à aborder, consiste à apprécier si l’entrave apportée à la libre circulation des marchandises par l’institution de la «taxe de passage» découle du fait que l’État, plutôt que de contrevenir à l’interdiction spécifique des mesures fiscales susmentionnées, a manqué à l’obligation de supporter les frais liés au fonctionnement du service public considéré en l’espèce: cette obligation est, bien entendu, celle consistant à couvrir entièrement le coût du service, afin d’éviter le risque que l’opérateur privé intéressé au transit des marchandises ait à supporter le coût en question.

La nécessité d’aborder la question également sous ce second aspect résulte des considérations mêmes sur lesquelles l’ordonnance de renvoi s’appuie. Comme on le sait, la «taxe de passage» est destinée à compenser des frais relatifs à l’accomplissement des services douaniers et vétérinaires. En déterminant ainsi la destination de cette prestation pécuniaire litigieuse, le juge a quo semble vouloir dire que, si les frais en cause avaient été pris en charge par l’État, la «taxe de passage» – qu’on la considère ou non comme une taxe d’effet équivalent – n’aurait pas été prévue dans le contrat, et l’obstacle qu’elle constitue pour la libre circulation des marchandises n’aurait de ce fait pas existé.

Ce second aspect de la question, de même que le premier, est inédit en jurisprudence. La Cour, dans les arrêts précités (6), a déjà dégagé la notion du service douanier gratuit et de toute façon dû aux bénéficiaires du marché intérieur, à chaque fois par référence à une charge pécuniaire qui était imposée par l’État comme une taxe d’effet équivalent, précisément parce qu’elle ne pouvait pas être assimilée à la rémunération d’un service rendu à l’intéressé. Dans le cas qui nous occupe, il s’agit au contraire d’apprécier si l’obligation qui incombe à l’État de ne pas faire supporter aux opérateurs économiques les frais relatifs à la gestion du service peut trouver application, dans les circonstances de l’espèce, même indépendamment de l’interdiction des droits de douane et des taxes d’effet équivalent.

9 Sur le fond du problème, une première constatation s’impose. Les articles 9, 12, 13 et 16 du traité prévoient expressément l’interdiction des droits de douane et des taxes d’effet équivalent, mais ne contiennent aucune disposition analogue en ce qui concerne l’obligation de prise en charge des frais qui incombe à l’État. Or, c’est cette obligation qui doit retenir notre attention, puisqu’en raison de son inobservation les frais afférents au service en cause ont été répercutés sur les opérateurs économiques. Comme nous l’annoncions plus haut, il faut, à cet égard, se rappeler la pleine signification que revêtent, dans l’économie du traité, les dispositions évoquées par la juridiction de renvoi. Elles sont l’expression, sans conteste, d’un principe qui préside à la construction communautaire dont il représente une valeur fondamentale et inéluctable: les marchandises doivent pouvoir franchir librement les frontières, ce qui est le cas lorsque le franchissement ne comporte aucune obligation pécuniaire à charge des opérateurs économiques. L’interdiction d’instituer des droits de douane et des taxes d’effet équivalent n’est donc pas une fin en soi. La ratio des dispositions qui l’édictent, telle qu’elle a été mise en évidence par l’arrêt Bauhuis, précité, réside ainsi dans l’exigence d’assurer, conformément à l’article 3, sous c), du traité, l’achèvement d’un marché intérieur effectif, dans lequel les opérateurs économiques acquièrent le droit à l’élimination des obstacles au commerce intracommunautaire. Il s’agit donc d’une interdiction liée à la poursuite d’une finalité première du traité: un véritable marché commun n’existe que dans la mesure où aucun obstacle d’ordre financier ne s’oppose au libre franchissement des frontières par les marchandises. Or, les dispositions destinées à assurer cette garantie complète de la circulation des marchandises s’inspirent également de la volonté d’empêcher l’inaction de l’État, telle qu’elle se présente en l’espèce, à savoir l’inaction qui laisse à la charge des personnes privées le coût des services douaniers et aboutit de ce fait à compromettre cette garantie fondamentale, alors même qu’une taxe d’effet équivalant à un droit de douane n’est pas imposée. La prohibition d’un tel comportement est, certes, seulement implicite dans les dispositions en cause, qui ne la formulent pas expressément: elle trouve toutefois, précisons-le tout de suite, un autre point d’appui sûr dans les dispositions expresses de caractère général qui sont prévues à l’article 5, second alinéa, selon lequel les États membres s’abstiennent de mettre en péril la réalisation des buts poursuivis par le traité. Il convient donc de considérer les dispositions évoquées dans l’ordonnance de renvoi en combinaison avec l’article 5, en raison du lien qui unit, comme nous le verrons ci-après, ces dispositions entre elles, pour ce qui concerne le régime applicable en l’espèce.

10 Selon l’approche que nous avons retenue en l’espèce, le principe du franchissement libre et gratuit des frontières pour les marchandises peut être enfreint par l’État tant en raison de la conduite directement prévue et interdite par les articles 9, 12, 13 et 16, qu’en raison d’un autre comportement qui, tout en ne présentant pas les caractéristiques d’une taxe d’effet équivalant à des droits de douane, est cependant de nature à porter atteinte à l’intérêt protégé par ces dispositions. Dans cette dernière hypothèse, l’article 5 trouve application en tant que disposition ultime du système, qui garantit de manière générale la pleine protection des éléments fondamentaux de l’ordre juridique communautaire, lorsque leur violation est indirecte, c’est-à-dire que l’on ne peut pas la relever sur la base de la formulation littérale d’une disposition spécifique du traité. Sinon, il faudrait admettre que, dans notre cas comme dans d’autres situations similaires, l’ordre juridique communautaire reste indifférent devant une attitude de l’État qui, tout en respectant formellement une interdiction, aboutit cependant par ses effets concrets au résultat prohibé. Or, tel n’est pas le cas. En l’espèce, l’État ne saurait se soustraire licitement aux limites qui résultent de l’interprétation de ces normes et qui lui sont imposées par l’exigence impérieuse de garantir la poursuite de finalités essentielles du traité, telles que celle, fondamentale, ayant trait à la libre circulation des marchandises.

11 Il est clair que, dans ces conditions, l’obligation générale énoncée à l’article 5, second alinéa, n’entre en ligne de compte qu’à titre résiduel. Lorsque l’attitude de l’État, qui porte atteinte à un intérêt juridiquement protégé par l’ordre communautaire, est régie de manière spécifique et complète par une autre disposition du traité, ce sera en effet exclusivement cette dernière disposition qui réglera le cas d’espèce. Les dispositions de l’article 5, second alinéa, peuvent en revanche trouver application, à titre subsidiaire, pour frapper des comportements ou pratiques de l’État qui ne tombent pas sous le coup d’autres règles, plus spécifiques, alors qu’ils sont contraires aux objectifs du traité (7).

Dans le cas d’espèce, l’obligation de s’abstenir de «toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité» devait être satisfaite en respectant non seulement l’interdiction expresse d’instituer des taxes d’effet équivalent, mais également – et c’est là que s’applique le mécanisme prévu par l’article 5, qui sanctionne à titre résiduel les mesures illicites qui ne tombent pas sous le coup d’une disposition spécifique – la défense, qui est implicite dans cette interdiction, de gérer les services des douanes d’une façon qui porte atteinte au transit libre et gratuit des marchandises qui franchissent les frontières.

Il convient, en outre, d’observer que les buts du traité, que l’article 5, second alinéa, vise à protéger, doivent être dégagés des différentes dispositions du traité lui-même. Seul le système général du corps de règles définissant l’organisation du marché commun permet à l’interprète de tirer des indications décisives quant aux valeurs qu’il convient de protéger dans ce cadre. L’article 5, second alinéa, doit par conséquent être nécessairement lu et appliqué par le juge en combinaison avec d’autres dispositions du traité: il incombe à l’État, ainsi que cet article le prévoit de manière générale, de s’abstenir de tout comportement qui soit susceptible de porter atteinte aux biens ou valeurs juridiques qui sont protégés, à chaque fois, par les dispositions applicables au cas d’espèce. La jurisprudence de la Cour plaide clairement en ce sens lorsqu’elle souligne que l’article 5, second alinéa, «énonce une obligation générale des États membres, dont le contenu concret dépend, dans chaque cas particulier, des dispositions du traité ou des règles qui se dégagent de son système général» (8).

12 Nous voudrions souligner enfin que la Cour a déjà utilisé la disposition de l’article 5, second alinéa, exactement dans le sens dans lequel il conviendrait de l’appliquer en l’espèce, en tant que règle sanctionnant la violation indirecte de prescriptions ou de principes qui se dégagent du système général du traité. A cet égard, nous renvoyons à l’arrêt rendu dans l’affaire Commission/Belgique (9). En l’occurrence, la Commission faisait grief au royaume de Belgique d’avoir violé l’article 12, sous b), du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes, en vertu duquel les fonctionnaires et agents de la Communauté sont exemptés de toute obligation d’inscription au registre de la population dans les États membres où les institutions de la Communauté ont leurs lieux de travail. Dans le cas d’espèce, la disposition en cause était cependant enfreinte non pas directement, par l’institution d’une obligation d’inscription, mais seulement indirectement: l’État défendeur faisait subir aux intéressés, du fait de leur non-inscription, des conséquences défavorables sur le plan fiscal. Selon la Cour, un tel comportement constituait donc une violation de l’article 5, second alinéa, du traité dans la mesure où il avait pour effet une contrainte indirecte à l’inscription au registre de la population, contrairement à la ratio de l’article 12 précité. L’article 5, second alinéa, constitue dès lors le fondement juridique approprié pour déclarer illicite le comportement de l’État qui, bien qu’il soit conforme au texte littéral d’une disposition du traité, va cependant à l’encontre du but poursuivi par cette disposition.

13 Les raisons exposées ci-dessus nous amènent à conclure que les articles 9, 12, 13 et 16 du traité, lus en combinaison avec les articles 5, second alinéa, et 3, sous c), non seulement établissent l’interdiction des droits de douane et des taxes d’effet équivalent, mais imposent également aux États membres de prendre en charge intégralement les frais afférents aux services douaniers et vétérinaires. Seule cette solution permet d’éviter que les frais en question soient répercutés sur les opérateurs économiques et que les prestations pécuniaires destinées à les couvrir, même si elles sont prévues dans le cadre de conventions entre personnes privées, aboutissent à leur tour à entraver le libre passage des marchandises aux frontières.

14 Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre comme suit à la question posée par la Cour de cassation française par ordonnance rendue le 17 janvier 1994:

«Une `taxe de passage’ qui n’est pas instituée par l’État ou en tout cas par un organisme relevant de l’État, mais résulte d’une convention conclue entre des personnes privées, n’est pas une taxe d’effet équivalant à un droit de douane au sens des articles 9, 12, 13 et 16 du traité CE. Toutefois, les frais liés au fonctionnement des services douaniers et vétérinaires, dans la mesure où ils concernent un service public accompli dans l’intérêt général, doivent être supportés intégralement par l’État et ne sauraient par conséquent, à aucun titre, être mis à la charge des opérateurs économiques. En conséquence, est contraire aux dispositions combinées des articles 3, sous c), 5, second alinéa, 9, 12, 13 et 16 du traité, le comportement de l’État qui aboutit de toute façon à ce que des personnes privées soient tenues de supporter de tels frais, fût-ce moyennant une prestation pécuniaire prévue par une convention privée, en ce qui concerne le transport des marchandises qui franchissent les frontières d’un État membre.»

(1) – Arrêts du 17 mai 1983, Commission/Belgique (132/82, Rec. p. 1649, points 13 à 15), et Commission/Luxembourg (133/82, Rec. p. 1669, points 14 à 16).

(2) – Arrêt du 25 janvier 1977 (46/76, Rec. p. 5, point 9).

(3) – Arrêt du 12 juillet 1990, Foster e.a. (C-188/89, Rec. p. I-3313, point 20). En outre, il est de jurisprudence constante que même une société de droit privé peut, en principe, être rattachée à la notion d’État, et ce en fonction de critères tels que celui du contrôle de fait exercé par les pouvoirs publics, de l’influence dominante et de la possibilité pour l’autorité publique de donner des instructions obligatoires, de la propriété ou de la participation financière, de la subordination – administrative ou par des dispositions légales – aux pouvoirs publics, ou encore celui de la nomination des membres du conseil d’administration par des organismes publics. En pareils cas, il y a lieu de considérer qu’une entité, indépendamment de sa forme et de sa nature, relève de l’État, ou bien que ses actes sont en tout cas imputables à l’État. Nous renvoyons, à cet égard, aux arrêts du 24 novembre 1982, Commission/Irlande (249/81, Rec. p. 4005, point 15); du 2 février 1982, Van der Kooy e.a. (67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, points 36 à 38), et du 20 septembre 1988, Beentjes (31/87, Rec. p. 4635, points 11 et 12).

(4) – Nous citons à cet égard l’arrêt du 30 mai 1989, Commission/Italie (340/87, Rec. p. 1483, point 17), dans lequel la Cour a constaté le manquement de la République italienne consistant à mettre à la «charge des opérateurs économiques le coût des contrôles et formalités administratives effectués pendant une partie des heures normales d’ouverture des bureaux de douane…». Voir également l’arrêt du 5 février 1976, Bresciani (87/75, Rec. p. 129, point 10), dans lequel la Cour a considéré que, en ce qui concerne l’activité de l’administration de l’État destinée à mettre en oeuvre un régime de contrôle sanitaire dans l’intérêt général, «les frais occasionnés par [ce régime] doivent être supportés par la collectivité publique qui bénéficie, dans son ensemble, de la libre circulation des marchandises communautaires».

(5) – Arrêts Commission/Belgique et Commission/Luxembourg, précités à la note 1, dans lesquels la Cour a posé le principe selon lequel les avantages résultant de la possibilité d’effectuer les opérations de dédouanement à l’intérieur du pays sont «liés au seul accomplissement des formalités douanières qui, quel qu’en soit le lieu, constitue toujours une obligation». Ces facilités sont d’ailleurs accordées «en vue d’accroître la fluidité du mouvement des marchandises et de faciliter le transport à l’intérieur de la Communauté. Il ne saurait donc être question de frapper de charges quelconques des facilités de dédouanement accordées dans l’intérêt du marché commun».

(6) – Voir notes 1 et 4.

(7) – Ce rôle de l’article 5, second alinéa, a déjà été évoqué par les avocats généraux MM. Mancini et Tesauro dans leurs conclusions présentées, respectivement, sous les arrêts du 30 janvier 1985, Commission/France (290/83, Rec. p. 439, et spécialement p. 442), et du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l’Ouest e.a. (C-78/90 à C-83/90, Rec. p. I-1847, et spécialement p. I-1864). L’affaire Commission/France, précitée, mérite une attention particulière. La Commission y avançait en effet la thèse selon laquelle le comportement de l’État français pouvait être sanctionné par application de l’article 5, second alinéa, dans la mesure où, bien qu’il fût formellement impossible de ramener ce comportement à la notion d’aide d’État, il était cependant égal, par ses effets, à une telle aide. L’avocat général et la Cour ont à juste titre rejeté une telle interprétation. En effet, la formulation de l’article 92 («… sont incompatibles avec le marché commun … les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État, sous quelque forme que ce soit…») est suffisamment large pour englober tout comportement de l’État qui produit le résultat interdit par la disposition: le recours à la disposition générale, et subsidiaire, énoncée à l’article 5, second alinéa, est donc inutile.

(8) – Arrêt du 8 juin 1971, Deutsche Grammophon (78/70, Rec. p. 487, point 5). La nécessité de lire et d’appliquer l’article 5 en liaison avec d’autres normes du traité ressort d’ailleurs clairement de la jurisprudence de la Cour qui, sur la base des dispositions combinées des articles 5, 3, sous f), 85 et 86, a sanctionné les mesures étatiques susceptibles de porter atteinte à l’effet utile des règles prévues en matière de concurrence. Voir, par exemple, les arrêts du 16 novembre 1977, GB-INNO-BM (13/77, Rec. p. 2115, points 29 à 31); du 3 décembre 1987, Aubert (136/86, Rec. p. 4789, points 22 et 23); du 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebuero (66/86, Rec. p. 803, points 48 et 49), et du 17 novembre 1993, Meng (C-2/91, Rec. p. I-5751, point 14).

(9) – Arrêt du 18 mars 1986, (85/85, Rec. p. 1149, point 22).

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