CJCE, n° C-38/98, Arrêt de la Cour, Régie nationale des usines Renault SA contre Maxicar SpA et Orazio Formento, 11 mai 2000

  • Convention de bruxelles du 27 septembre 1968 - exécution·
  • Juridictions pouvant saisir la cour à titre préjudiciel·
  • Propriété intellectuelle, industrielle et commerciale·
  • Convention de bruxelles du 27 septembre 1968·
  • Violation de l'ordre public de l'État requis·
  • Reconnaissance et exécution des décisions·
  • Libre circulation des marchandises·
  • Motifs de refus de reconnaissance·
  • Juridictions statuant «en appel»·
  • Appréciation par le juge requis

Chronologie de l’affaire

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www.gdr-elsj.eu · 5 juin 2016

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 11 mai 2000, Renault, C-38/98
Numéro(s) : C-38/98
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 11 mai 2000. # Régie nationale des usines Renault SA contre Maxicar SpA et Orazio Formento. # Demande de décision préjudicielle: Corte d'appello di Torino - Italie. # Convention de Bruxelles - Exécution des décisions - Droits de propriété intellectuelle relatifs à des éléments de carrosserie de véhicules automobiles - Ordre public. # Affaire C-38/98.
Date de dépôt : 16 février 1998
Précédents jurisprudentiels : arrêts du 2 juin 1994, Solo Kleinmotoren, C-414/92
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61998CJ0038
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2000:225
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

|

61998J0038

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 11 mai 2000. – Régie nationale des usines Renault SA contre Maxicar SpA et Orazio Formento. – Demande de décision préjudicielle: Corte d’appello di Torino – Italie. – Convention de Bruxelles – Exécution des décisions – Droits de propriété intellectuelle relatifs à des éléments de carrosserie de véhicules automobiles – Ordre public. – Affaire C-38/98.


Recueil de jurisprudence 2000 page I-02973


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Mots clés


1 Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions – Protocole concernant l’interprétation de la convention par la Cour de justice – Juridictions nationales habilitées à saisir la Cour à titre préjudiciel – Juridictions statuant «en appel» – Notion – Italie – Corte d’appello saisie du recours contre la décision rejetant la requête en exequatur – Inclusion

(Convention du 27 septembre 1968, art. 40, al. 1; protocole du 3 juin 1971, art. 2, point 2)

2 Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions – Reconnaissance et exécution des décisions – Motifs de refus – Violation de l’ordre public de l’État requis – Appréciation par le juge requis – Limites – Contrôle par la Cour

(Convention du 27 septembre 1968, art. 27, point 1)

3 Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions – Reconnaissance et exécution des décisions – Motifs de refus – Violation de l’ordre public de l’État requis – Notion

(Convention du 27 septembre 1968, art. 27, point 1)

4 Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions – Reconnaissance et exécution des décisions – Motifs de refus – Méconnaissance par le juge d’origine du droit national ou du droit communautaire – Exclusion

(Traité CE, art. 177 (devenu art. 234 CE); convention du 27 septembre 1968, art. 27, 29 et 34, al. 3)

5 Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions – Reconnaissance et exécution des décisions – Motifs de refus – Violation de l’ordre public de l’État requis – Existence dans l’État d’origine de droits de propriété intellectuelle relatifs à des éléments de carrosserie de véhicules automobiles – Exclusion

(Convention du 27 septembre 1968, art. 27, point 1)

Sommaire


1 La Corte d’appello, saisie du recours contre la décision rejetant la requête en exequatur, en application de l’article 40, premier alinéa, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être considérée comme une juridiction statuant en appel et, par conséquent, comme étant habilitée, en vertu de l’article 2, point 2, du protocole du 3 juin 1971 relatif à l’interprétation par la Cour de la convention, à demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur une question d’interprétation de la convention.

En effet, s’il est vrai qu’en Italie les deux phases de la procédure d’exequatur prévue par les articles 31 et suivants de la convention se déroulent devant la Corte d’appello, cette identité apparente, qui résulte du choix de la République italienne, ne saurait occulter le fait que la procédure introduite au titre de l’article 32, premier alinéa, concernant la présentation de la requête en apposition de la formule exécutoire, diffère de celle engagée en vertu de l’article 40, premier alinéa. Dans le premier cas, la Corte d’appello statue, conformément à l’article 34, premier alinéa, sans que la partie contre laquelle l’exécution est demandée puisse, en cet état de la procédure, présenter d’observation. Dans le second cas, en revanche, la partie contre laquelle l’exécution est demandée doit être appelée, conformément à l’article 40, second alinéa, à comparaître devant la Corte d’appello.

(voir points 21-23)

2 Si les États contractants restent, en principe, libres de déterminer, en vertu de la réserve inscrite à l’article 27, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, conformément à leurs conceptions nationales, les exigences de leur ordre public, les limites de cette notion relèvent de l’interprétation de la convention. Dès lors, s’il n’appartient pas à la Cour de définir le contenu de l’ordre public d’un État contractant, il lui incombe néanmoins de contrôler les limites dans le cadre desquelles le juge d’un État contractant peut avoir recours à cette notion pour ne pas reconnaître une décision émanant d’une juridiction d’un autre État contractant.

(voir points 27-28)

3 Un recours à la clause de l’ordre public, figurant à l’article 27, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, n’est concevable que dans l’hypothèse où la reconnaissance ou l’exécution de la décision rendue dans un autre État contractant heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’État requis, en tant qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental. Afin de respecter la prohibition de la révision au fond de la décision étrangère, l’atteinte devrait constituer une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique.

(voir point 30)

4 Le juge de l’État requis ne saurait, sous peine de remettre en cause la finalité de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, refuser la reconnaissance d’une décision émanant d’un autre État contractant au seul motif qu’il estime que, dans cette décision, le droit national ou le droit communautaire a été mal appliqué. Il importe, au contraire, de considérer que, dans de tels cas, le système des voies de recours mis en place dans chaque État contractant, complété par le mécanisme du renvoi préjudiciel prévu à l’article 177 du traité (devenu article 234 CE), fournit aux justiciables une garantie suffisante.

(voir point 33)

5 L’article 27, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale doit être interprété en ce sens que ne peut être considérée comme contraire à l’ordre public une décision rendue par un juge d’un État contractant qui reconnaît l’existence d’un droit de propriété intellectuelle sur des éléments de carrosserie de véhicules automobiles et qui confère au titulaire de ce droit une protection lui permettant d’interdire à des tiers, à savoir des opérateurs économiques établis dans un autre État contractant, de fabriquer, de vendre, de faire transiter, d’importer ou d’exporter dans cet État lesdits éléments de carrosserie.

(voir point 34 et disp.)

Parties


Dans l’affaire C-38/98

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l’interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, par la Corte d’appello di Torino (Italie) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Régie nationale des usines Renault SA,

et

Maxicar SpA, Orazio Formento,

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation de l’article 27, point 1, de la convention du 27 septembre 1968, précitée (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et – texte modifié – p. 77) et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l’adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1), ainsi que des articles 30 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE et 30 CE) et 86 du traité CE (devenu article 82 CE),

LA COUR

(cinquième chambre),

composée de MM. D. A. O. Edward, président de chambre, L. Sevón, J.-P. Puissochet, P. Jann (rapporteur) et M. Wathelet, juges,

avocat général: M. S. Alber,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

— pour la Régie nationale des usines Renault SA, par Mes M. Argan, avocat au barreau de Turin, A. Braun, E. Cornu, avocats au barreau de Bruxelles, M.-P. Escande et S. Havard-Duclos, avocats au barreau de Paris,

— pour Maxicar SpA et M. Formento, par Mes G. Floridia et M. Lamandini, avocats au barreau de Milan,

— pour le gouvernement belge, par M. J. Devadder, directeur d’administration au service juridique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d’agent,

— pour le gouvernement français, par Mmes K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et R. Loosli-Surrans, chargée de mission à la même direction, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement néerlandais, par M. M. A. Bos, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d’agent,

— pour la Commission des Communautés européennes, par MM. J. L. Iglesias Buhigues, conseiller juridique, P. Stancanelli, membre du service juridique, et M. Desantes Real, fonctionnaire national mis à la disposition du service juridique, en qualité d’agents,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales de la Régie nationale des usines Renault SA, de Maxicar SpA et M. Formento, du gouvernement français et de la Commission à l’audience du 28 avril 1999,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 juin 1999,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt


1 Par ordonnance du 19 novembre 1997, parvenue à la Cour le 16 février 1998, la Corte d’appello di Torino a posé, en application du protocole du 3 juin 1971 relatif à l’interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, une question sur l’interprétation de l’article 27, point 1, de la convention du 27 septembre 1968, précitée (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et – texte modifié – p. 77) et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l’adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1, ci-après la «convention»), ainsi que, sur le fondement de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions sur l’interprétation des articles 30 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE et 30 CE) et 86 du traité CE (devenu article 82 CE).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant la Régie nationale des usines Renault SA (ci-après «Renault»), dont le siège est en France, à Maxicar SpA (ci-après «Maxicar») et à M. Formento, dont, respectivement, le siège et le domicile sont en Italie, au sujet de l’exécution, dans cet État contractant, d’un arrêt rendu le 12 janvier 1990 par la cour d’appel de Dijon (France) condamnant ces derniers à verser à Renault une indemnité de 100 000 FRF en réparation du préjudice causé par des agissements reconnus constitutifs de contrefaçon.

La convention

3 Aux termes de son article 1er, premier alinéa, première phrase, la convention «s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction».

4 En matière de reconnaissance et d’exécution des décisions, la règle de principe, énoncée à l’article 31, premier alinéa, de la convention prévoit que les décisions rendues dans un État contractant et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État contractant après y avoir été revêtues de la formule exécutoire sur requête de toute partie intéressée.

5 Aux termes de l’article 34, deuxième alinéa, de la convention, «La requête ne peut être rejetée que pour l’un des motifs prévus aux articles 27 et 28».

6 L’article 27, point 1, de la convention dispose:

«Les décisions ne sont pas reconnues:

1) si la reconnaissance est contraire à l’ordre public de l’État requis».

7 L’article 32, premier alinéa, de la convention, précise que la requête est présentée en Italie à la «corte d’appello».

8 Si l’exécution est autorisée, l’article 36 de la convention permet à la partie contre laquelle l’exécution est demandée de former un recours contre la décision. L’article 37 prévoit que le recours est porté, selon les règles de la procédure contradictoire, en Italie devant la «corte d’appello».

9 Si la requête est rejetée, l’article 40 de la convention permet aux requérants de former un recours, lequel doit être porté en Italie devant la «corte d’appello».

10 L’article 2 du protocole concernant l’interprétation par la Cour de justice de la convention (ci-après le «protocole») stipule:

«Les juridictions suivantes ont le pouvoir de demander à la Cour de justice de statuer à titre préjudiciel sur une question d’interprétation:

1) …

— en Italie : `la Corte suprema di cassazione',

2) les juridictions des États contractants lorsqu’elles statuent en appel;

3) dans les cas prévus à l’article 37 de la convention, les juridictions mentionnées audit article.»

Le litige au principal

11 Par arrêt du 12 janvier 1990, la cour d’appel de Dijon a déclaré M. Formento coupable du délit de contrefaçon pour avoir fabriqué et commercialisé des éléments de carrosserie destinés à des véhicules automobiles de la marque Renault. La cour d’appel de Dijon a en outre condamné M. Formento, solidairement avec Maxicar, société dont il était le dirigeant, au paiement d’une somme de 100 000 FRF à titre de dommages et intérêts envers Renault, qui s’était constituée partie civile. Cet arrêt est devenu définitif après le rejet, le 6 juin 1991, par la Cour de cassation française du pourvoi formé à son encontre.

12 Par requête introduite le 24 décembre 1996, Renault a demandé à la Corte d’appello di Torino, conformément aux articles 31 et 32 de la convention, de déclarer l’arrêt exécutoire en Italie.

13 Par décision du 25 février 1997, la Corte d’appello di Torino a rejeté la requête au motif que, s’agissant d’une décision pénale, elle aurait dû être introduite dans les délais fixés à l’article 741 du code de procédure pénale italien.

14 Le 28 mars 1997, Renault a formé un recours contre cette décision de rejet devant la Corte d’appello di Torino, conformément à l’article 40 de la convention, en faisant valoir que la convention est applicable en matière civile et commerciale, quelle que soit la nature de la juridiction. M. Formento et Maxicar ont soutenu que l’arrêt de la cour d’appel de Dijon ne pouvait pas être déclaré exécutoire en Italie parce qu’il était inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties en Italie et contraire à l’ordre public économique.

15 C’est dans ces conditions que la Corte d’appello di Torino a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Les articles 30 à 36 du traité CE doivent-ils ou non être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle à ce que le titulaire d’un droit de propriété industrielle ou intellectuelle dans un État membre puisse faire valoir le droit absolu correspondant pour interdire à des tiers la fabrication et la vente, ainsi que l’exportation dans un autre État membre, de pièces détachées dont l’ensemble constitue la carrosserie d’une voiture automobile déjà mise sur le marché, ces pièces détachées devant être vendues en tant que pièces de rechange destinées à la même voiture automobile?

2) Peut-on ou non appliquer l’article 86 du traité CE pour interdire à tout constructeur automobile d’abuser de la position dominante qu’il détient sur le marché des pièces de rechange destinées aux voitures automobiles de sa fabrication, abus consistant à tenter d’éliminer totalement la concurrence exercée par les fabricants indépendants de pièces de rechange, en exerçant des droits de propriété industrielle et intellectuelle et en recourant à la répression judiciaire?

3) En conséquence, faut-il considérer comme contraire à l’ordre public, au sens de l’article 27 de la convention de Bruxelles, une décision rendue par un juge d’un État membre qui reconnaît un droit de propriété industrielle ou intellectuelle sur les pièces détachées susdites, dont l’ensemble constitue la carrosserie d’une voiture automobile, et qui confère une protection au titulaire de ce prétendu droit d’exclusivité en interdisant à des tiers, à savoir des opérateurs économiques établis dans un autre État membre, de fabriquer, de vendre, de faire transiter, d’importer ou d’exporter dans cet État membre lesdites pièces détachées dont l’ensemble constitue la carrosserie d’une voiture automobile déjà mise sur le marché et en sanctionnant ce comportement?»

16 Par sa troisième question, qu’il convient d’examiner en premier lieu dans la mesure où de la réponse à cette question dépend l’examen éventuel des première et deuxième questions, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter une disposition de la convention et, plus précisément, de se prononcer sur la notion d'«ordre public de l’État requis» visée à l’article 27, point 1, de la convention.

Sur la recevabilité

17 Renault conteste que la Corte d’appello di Torino soit habilitée à demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur une question d’interprétation de la convention. Elle indique que la Corte d’appello a statué en première instance et a été saisie sur le fondement de l’article 40 de la convention, et non de l’article 37, ce qui ne correspond à aucune des hypothèses prévues à l’article 2 du protocole.

18 Maxicar et M. Formento, ainsi que le gouvernement français et la Commission, constatent que la Corte d’appello di Torino a été saisie sur le fondement de l’article 40 de la convention, c’est-à-dire dans le cadre de ce qui doit être considéré comme une procédure d’appel. Cette situation relèverait donc de l’article 2, point 2, du protocole.

19 À titre subsidiaire, la Commission ajoute que l’équilibre procédural de la convention et l’égalité de traitement des parties militent en faveur d’une interprétation extensive de l’article 2, point 3, du protocole pour l’étendre aux juridictions mentionnées à l’article 40 de la convention.

20 À cet égard, il convient de rappeler que la convention vise à faciliter, dans toute la mesure du possible, la libre circulation des jugements en prévoyant une procédure d’exequatur simple et rapide (voir, notamment, arrêt du 28 mars 2000, Krombach, C-7/98, non encore publié au Recueil, point 19).

21 En vue d’obtenir l’exécution d’une décision, les articles 31 et suivants de la convention prévoient une procédure comportant deux phases, lesquelles reflètent l’esprit général de la convention qui est de concilier l’effet de surprise nécessaire dans les procédures de ce genre avec le respect des droits de la défense. C’est pour cette raison que, en première instance, le défendeur ne peut pas s’expliquer, tandis que, en appel, la procédure devient nécessairement contradictoire (arrêt du 12 juillet 1984, Firma P., 178/83, Rec. p. 3033, point 11).

22 Certes, en Italie, ces deux phases de la procédure se déroulent devant la Corte d’appello. Cette identité apparente, qui résulte du choix de la République italienne, ne saurait occulter le fait que la procédure introduite au titre de l’article 32, premier alinéa, diffère de celle engagée en vertu de l’article 40, premier alinéa. Dans le premier cas, la Corte d’appello statue, conformément à l’article 34, premier alinéa, sans que la partie contre laquelle l’exécution est demandée puisse, en cet état de la procédure, présenter d’observation. Dans le second cas, en revanche, la partie contre laquelle l’exécution est demandée doit être appelée, conformément à l’article 40, second alinéa, à comparaître devant la Corte d’appello.

23 Il s’ensuit que, en l’espèce, la juridiction de renvoi, saisie en application de l’article 40, premier alinéa, de la convention, doit être considérée comme une juridiction statuant en appel et, par conséquent, comme étant habilitée, en vertu de l’article 2, point 2, du protocole, à demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur une question d’interprétation de la convention.

Sur le fond

24 Maxicar et M. Formento attendent de la Cour qu’elle précise la notion d’ordre public économique. En particulier, ils attendent qu’elle confirme que le droit communautaire, notamment les principes de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence, conforte la solution du droit italien qui, à la différence du droit français, ne reconnaît pas l’existence de droits de propriété industrielle sur les pièces de rechange destinées aux véhicules automobiles et qu’elle consacre cette solution en tant que principe d’ordre public économique.

25 Les gouvernements français et néerlandais, ainsi que la Commission, après avoir relevé que la question liminaire qui se pose est de savoir si et dans quelle mesure la Cour est compétente pour se prononcer sur la notion d'«ordre public de l’État requis» visée à l’article 27, point 1, de la convention, se prononcent pour une interprétation restrictive de cette notion, qui ne devrait jouer que dans des cas exceptionnels. Une prétendue erreur dans l’interprétation de règles de droit communautaire ne justifierait pas, à elle seule, un recours à la clause de l’ordre public.

26 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 27 de la convention doit recevoir une interprétation stricte en ce qu’il constitue un obstacle à la réalisation de l’un des objectifs fondamentaux de la convention (arrêts du 2 juin 1994, Solo Kleinmotoren, C-414/92, Rec. p. I-2237, point 20, et Krombach, précité, point 21). S’agissant plus précisément du recours à la clause de l’ordre public, figurant à l’article 27, point 1, de la convention, la Cour a précisé qu’il ne doit jouer que dans des cas exceptionnels (arrêts du 4 février 1988, Hoffmann, 145/86, Rec. p. 645, point 21, et du 10 octobre 1996, Hendrikman et Feyen, C-78/95, Rec. p. I-4943, point 23).

27 La Cour en a déduit que, si les États contractants restent, en principe, libres de déterminer, en vertu de la réserve inscrite à l’article 27, point 1, de la convention, conformément à leurs conceptions nationales, les exigences de leur ordre public, les limites de cette notion relèvent de l’interprétation de la convention (arrêt Krombach, précité, point 22).

28 Dès lors, s’il n’appartient pas à la Cour de définir le contenu de l’ordre public d’un État contractant, il lui incombe néanmoins de contrôler les limites dans le cadre desquelles le juge d’un État contractant peut avoir recours à cette notion pour ne pas reconnaître une décision émanant d’un autre État contractant (arrêt Krombach, précité, point 23).

29 À cet égard, il convient de relever que, en prohibant la révision au fond de la décision étrangère, les articles 29 et 34, troisième alinéa, de la convention interdisent au juge de l’État requis de refuser la reconnaissance ou l’exécution de cette décision au seul motif qu’une divergence existerait entre la règle de droit appliquée par le juge de l’État d’origine et celle qu’aurait appliquée le juge de l’État requis s’il avait été saisi du litige. De même, le juge de l’État requis ne saurait contrôler l’exactitude des appréciations de droit ou de fait qui ont été portées par le juge de l’État d’origine (arrêt Krombach, précité, point 36).

30 Un recours à la clause de l’ordre public, figurant à l’article 27, point 1, de la convention, n’est concevable que dans l’hypothèse où la reconnaissance ou l’exécution de la décision rendue dans un autre État contractant heurterait de manière inacceptable l’ordre juridique de l’État requis, en tant qu’elle porterait atteinte à un principe fondamental. Afin de respecter la prohibition de la révision au fond de la décision étrangère, l’atteinte devrait constituer une violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique (arrêt Krombach, précité, point 37).

31 En l’espèce, ce qui conduit le juge de l’État requis à s’interroger sur la contrariété de la décision étrangère avec l’ordre public de son État est une erreur qu’aurait éventuellement commise le juge de l’État d’origine dans l’application de certaines règles de droit communautaire. Le juge de l’État requis éprouve des doutes quant à la compatibilité avec les principes de la libre circulation des marchandises et de la libre concurrence de la reconnaissance, par le juge de l’État d’origine, de l’existence d’un droit de propriété intellectuelle sur des éléments de carrosserie de véhicules automobiles, permettant au titulaire d’interdire à des opérateurs économiques établis dans un autre État contractant de fabriquer, de vendre, de faire transiter, d’importer ou d’exporter dans cet État contractant lesdits éléments de carrosserie

32 Il convient de relever que la circonstance que cette éventuelle erreur concerne des règles de droit communautaire ne modifie pas les conditions de recours à la clause de l’ordre public. En effet, il incombe au juge national d’assurer avec la même efficacité la protection des droits établis par l’ordre juridique national et des droits conférés par l’ordre juridique communautaire.

33 Le juge de l’État requis ne saurait, sous peine de remettre en cause la finalité de la convention, refuser la reconnaissance d’une décision émanant d’un autre État contractant au seul motif qu’il estime que, dans cette décision, le droit national ou le droit communautaire a été mal appliqué. Il importe, au contraire, de considérer que, dans de tels cas, le système des voies de recours mis en place dans chaque État contractant, complété par le mécanisme du renvoi préjudiciel prévu à l’article 177 du traité, fournit aux justiciables une garantie suffisante.

34 Une erreur éventuelle de droit, telle que celle en cause au principal, ne constituant pas une violation manifeste d’une règle de droit essentielle dans l’ordre juridique de l’État requis, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 27, point 1, de la convention doit être interprété en ce sens que ne peut être considérée comme contraire à l’ordre public une décision rendue par un juge d’un État contractant qui reconnaît l’existence d’un droit de propriété intellectuelle sur des éléments de carrosserie de véhicules automobiles et qui confère au titulaire de ce droit une protection lui permettant d’interdire à des tiers, à savoir des opérateurs économiques établis dans un autre État contractant, de fabriquer, de vendre, de faire transiter, d’importer ou d’exporter dans cet État contractant lesdits éléments de carrosserie.

35 Compte tenu de la réponse donnée à la troisième question, il n’y a pas lieu de répondre aux première et deuxième questions.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

36 Les frais exposés par les gouvernements belge, français et néerlandais, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par la Corte d’appello di Torino, par ordonnance du 19 novembre 1997, dit pour droit:

L’article 27, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l’adhésion de la République hellénique, doit être interprété en ce sens que ne peut être considérée comme contraire à l’ordre public une décision rendue par un juge d’un État contractant qui reconnaît l’existence d’un droit de propriété intellectuelle sur des éléments de carrosserie de véhicules automobiles et qui confère au titulaire de ce droit une protection lui permettant d’interdire à des tiers, à savoir des opérateurs économiques établis dans un autre État contractant, de fabriquer, de vendre, de faire transiter, d’importer ou d’exporter dans cet État contractant lesdits éléments de carrosserie.

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CJCE, n° C-38/98, Arrêt de la Cour, Régie nationale des usines Renault SA contre Maxicar SpA et Orazio Formento, 11 mai 2000