CJCE, n° C-35/99, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Procédure pénale contre Manuele Arduino, en présence de Diego Dessi, Giovanni Bertolotto et Compagnia Assicuratrice RAS SpA, 10 juillet 2001

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 10 juill. 2001, Arduino, C-35/99
Numéro(s) : C-35/99
Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 10 juillet 2001. # Procédure pénale contre Manuele Arduino, en présence de Diego Dessi, Giovanni Bertolotto et Compagnia Assicuratrice RAS SpA. # Demande de décision préjudicielle: Pretore di Pinerolo - Italie. # Tarif obligatoire des honoraires d'avocat - Délibération du Conseil national de l'ordre - Approbation par le ministre de la Justice - Articles 5 et 85 du traité CE (devenus articles 10 CE et 81 CE). # Affaire C-35/99.
Date de dépôt : 9 février 1999
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61999CC0035
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2001:389
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61999C0035

Conclusions de l’avocat général Léger présentées le 10 juillet 2001. – Procédure pénale contre Manuele Arduino, en présence de Diego Dessi, Giovanni Bertolotto et Compagnia Assicuratrice RAS SpA. – Demande de décision préjudicielle: Pretore di Pinerolo – Italie. – Tarif obligatoire des honoraires d’avocat – Délibération du Conseil national de l’ordre – Approbation par le ministre de la Justice – Articles 5 et 85 du traité CE (devenus articles 10 CE et 81 CE). – Affaire C-35/99.


Recueil de jurisprudence 2002 page I-01529


Conclusions de l’avocat général


1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur les dispositions des articles 5 et 85 du traité CE (devenus articles 10 CE et 81 CE).

2. Le Pretore di Pinerolo (Italie) est appelé à se prononcer sur la légalité d’un barème fixant des honoraires minimaux et maximaux pour les prestations effectuées par les avocats dans son pays. Le barème litigieux a été adopté par le ministre de la Justice italien sur la base d’un projet du Conseil national de l’ordre des avocats.

I – Le cadre juridique national

A – Le Consiglio Nazionale Forense

3. Aux termes des articles 52 à 55 du décret-loi royal n° 1578, du 27 novembre 1933 , le Consiglio Nazionale Forense (Conseil national de l’ordre, ci-après le «CNF») est institué auprès du ministre de la Justice.

4. Il s’agit d’un organisme composé d’avocats élus par leurs confrères, à raison d’un élu pour chaque district de cour d’appel. Le CNF a notamment pour mission de fixer le barème des honoraires.

B – Les dispositions légales relatives aux honoraires

5. L’article 57 du décret-loi prévoit que les critères servant à déterminer les honoraires et les indemnités dus aux avocats et aux «procuratori» en matière civile, pénale et extrajudiciaire sont établis, tous les deux ans, par délibération du CNF.

6. Lorsque le barème a fait l’objet d’une délibération du CNF, il est transmis au ministre de la Justice pour approbation. Préalablement à cette approbation, le ministre doit recueillir l’avis du comité interministériel des prix (ci-après le «CIP») et consulter le Conseil d’État . Le décret ministériel portant approbation du barème doit ensuite être visé et enregistré par la Cour des comptes. Il a pour effet de rendre le barème obligatoire.

7. En vertu de l’article 58 du décret-loi, les critères indiqués à l’article 57 sont établis par rapport à la valeur des litiges et au degré de l’autorité saisie. Pour chaque acte ou série d’actes, une limite maximale et une limite minimale doivent être fixées. En matière extrajudiciaire, il est tenu compte de l’importance de l’affaire.

8. L’article 60 du décret-loi a trait à la liquidation judiciaire des honoraires.

9. Il prévoit que la liquidation des honoraires est effectuée par l’autorité judiciaire sur la base des critères établis à l’article 57, en tenant compte de la gravité et du nombre des questions traitées. La liquidation doit demeurer à l’intérieur des limites maximales et minimales fixées par l’article 58. Toutefois, dans certaines circonstances exceptionnelles, le juge peut déroger à ces limites à condition que sa décision soit dûment motivée.

C – Le barème litigieux

10. Le barème en cause dans l’espèce au principal résulte de la délibération du CNF du 12 juin 1993. Il a été approuvé par le décret ministériel n° 585, du 5 octobre 1994 (ci-après le «décret ministériel n° 585/94» ou le «décret litigieux») .

11. L’article 1er du décret litigieux porte approbation de la délibération du CNF.

12. L’article 2 du même décret prévoit que «les augmentations prévues dans les barèmes en annexe seront applicables à 50 % à partir du 1er octobre 1994 et pour les 50 % restants à partir du 1er avril 1995».

13. L’article 1er de la délibération du CNF dispose que les honoraires des avocats sont indiqués dans le tableau qui figure en annexe A à ladite délibération. Les honoraires relatifs aux prestations des «procuratori» sont repris dans le tableau qui figure en annexe B.

14. Aux termes de l’article 4 de la délibération du CNF, il est interdit de déroger aux minimums des honoraires prévus pour les prestations des avocats et des «procuratori».

15. Toutefois, dans les cas où il apparaîtrait une disproportion manifeste entre les prestations effectuées et les honoraires prévus, il est possible de dépasser les maximums indiqués. Il est également possible de descendre en dessous des minimums, à condition que la partie qui y a un intérêt produise un avis du conseil de l’Ordre compétent.

II – Les faits et la procédure

16. M. Arduino a été poursuivi pénalement pour avoir effectué, en violation des dispositions légales régissant la circulation routière, un dépassement sur un tronçon où cette manoeuvre était interdite. L’intéressé est entré en collision avec la voiture de M. Dessi, qui s’est constitué partie civile devant le Pretore di Pinerolo.

17. À l’issue de la procédure, les dépens exposés par la partie civile ont été mis à la charge de M. Arduino. L’avocat de M. Dessi a présenté sa note d’honoraires en se fondant sur le barème arrêté par le décret ministériel n° 585/94. Toutefois, le Pretore di Pinerolo a décidé d’écarter le barème litigieux et de fixer les honoraires à un montant inférieur au minimum tarifaire.

18. Saisie d’un pourvoi à l’encontre de cette décision, la Corte suprema di cassazione (Italie) a cassé le jugement attaqué. Elle a considéré qu’il était illégitime d’écarter le barème litigieux et a renvoyé l’affaire sur ce point devant le Pretore di Pinerolo.

19. Le juge de renvoi expose que, dans l’ordre juridique italien, il existe deux courants jurisprudentiels contradictoires quant à la question de savoir si le barème arrêté par le décret ministériel n° 585/94 constitue ou non une entente restrictive de concurrence au titre de l’article 85 du traité.

Selon la première tendance , les caractéristiques du décret litigieux seraient analogues à celles de la réglementation qui a fait l’objet de votre arrêt du 18 juin 1998 . Le CNF serait une association d’entreprises au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité et aucune disposition légale n’exigerait qu’il adopte ses décisions dans l’intérêt général. Le barème litigieux étant de nature à restreindre le jeu de la concurrence, le juge national serait tenu d’en écarter l’application.

Selon un autre courant jurisprudentiel , le barème litigieux ne résulterait pas d’une décision discrétionnaire du CNF. L’intervention des autorités publiques italiennes jouerait un rôle décisif dans la phase d’élaboration et dans la phase d’approbation du barème. On ne saurait donc considérer que les pouvoirs publics italiens ont délégué à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention en matière économique.

20. Le juge de renvoi explique que, face à ces deux courants jurisprudentiels, il est confronté au problème d’interprétation suivant.

Il se demande si, «en se référant plus particulièrement à l’intervention des organes publics dans la procédure d’approbation, le barème […] prévu par le D.M. n° 585/94 comporte ou non les éléments d’une décision d’association d’entreprises ayant pour effet […] de restreindre […] le jeu de la concurrence» au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité .

Dans l’affirmative, le juge de renvoi se demande si «la nature particulière de l’activité professionnelle exercée par l’avocat […] justifie que l’on prévoit des tarifs auxquels il ne peut être dérogé […], de sorte que les délibérations du CNF seraient en tout état de cause compatibles avec le traité CE à la lumière des dispositions de l’article 85, paragraphe 3, [du traité]» .

III – Les questions préjudicielles

21. En conséquence, le Pretore di Pinerolo a décidé de surseoir à statuer et de vous déférer les deux questions suivantes:

«1) [L]es délibérations du CNF, approuvées par le D.M. n° 585/94, ayant pour objet de fixer les tarifs (auxquels il ne peut être dérogé) applicables à l’activité professionnelle des avocats, relèvent-elles du champ d’application de l’interdiction visée à l’article 85, paragraphe 1, du traité CE ?

2) [E]n cas de réponse affirmative à la question sous 1), le cas de figure considéré relève-t-il toutefois des dispositions de l’article 85, paragraphe 3, du traité, prévoyant l’inapplicabilité de l’interdiction dans certaines hypothèses ?»

IV – La recevabilité du renvoi préjudiciel

22. Le gouvernement italien exprime des doutes quant à la recevabilité du présent renvoi préjudiciel . Il formule deux séries d’observations à cet égard.

23. En premier lieu, le gouvernement italien s’interroge sur le caractère réel du litige au principal.

Il explique que, à la suite de l’arrêt rendu par la Corte suprema di cassazione, la compagnie d’assurances de M. Arduino aurait procédé au versement des dépens encourus par M. Dessi. Eu égard à ce versement, la partie civile aurait renoncé à intervenir dans la suite de la procédure et l’avocat de M. Arduino aurait demandé au Pretore di Pinerolo de prononcer un non-lieu à statuer. En l’état actuel de la procédure, le litige au principal serait donc dépourvu d’objet.

Dans ces conditions, le gouvernement italien comprend mal l’insistance du juge de renvoi à vouloir examiner la compatibilité du barème litigieux avec le droit communautaire. Selon lui, il n’est pas exclu que le Pretore di Pinerolo ait saisi l’occasion de trancher une question qui fait l’objet d’une controverse en Italie.

24. En second lieu, le gouvernement italien estime que l’ordonnance de renvoi ne décrit pas suffisamment le contexte juridique et factuel dans lequel les questions sont soulevées. Le Pretore di Pinerolo n’aurait pas indiqué les motifs pour lesquels il a écarté le barème litigieux.

25. Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la procédure prévue par l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE) est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales . Dans le cadre de cette coopération, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier tant la nécessité d’une décision préjudicielle que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour . En conséquence, dès lors que les questions préjudicielles portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer .

Toutefois, la Cour a également indiqué que, dans des hypothèses exceptionnelles, il lui appartient d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie en vue de vérifier sa propre compétence . Le refus de statuer sur une question préjudicielle n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées .

26. S’agissant de la première observation du gouvernement italien, nous pensons que votre Cour ne dispose pas des éléments de preuve nécessaires pour constater que le litige au principal présente un caractère hypothétique.

Certes, il eût été souhaitable, dans le souci d’une bonne administration de la justice, que le Pretore di Pinerolo s’assure de la réalité du litige au principal et, notamment, de l’absence d’un accord intervenu entre les parties sur la question des dépens. Toutefois, force est de constater que le gouvernement italien ne fournit pas la preuve de l’existence d’un tel accord. Dans ces circonstances, votre Cour ne peut que se reporter aux indications qui lui sont fournies par le juge national.

Or, dans son ordonnance de renvoi, le Pretore di Pinerolo affirme qu’il doit se prononcer sur la compatibilité du barème litigieux avec le droit communautaire. Sans en préciser les raisons, le juge de renvoi indique qu’il «doit mettre un terme à l’instance et […] liquider les frais engagés par la partie civile sur la base de la note produite par son avocat […], en faisant application des tarifs indiqués dans le décret [litigieux], sans pouvoir y déroger si ce n’est dans les hypothèses exceptionnelles et impératives prévues par le régime normatif [italien]» .

De plus, il est possible que, nonobstant l’existence d’un accord éventuel entre les parties sur les dépens, le juge national soit tenu de vérifier d’office la légalité du barème litigieux.

27. Dans ces conditions, les éléments du dossier ne permettent pas de conclure que le litige au principal présente un caractère purement hypothétique.

28. S’agissant de la seconde observation du gouvernement italien, nous rappellerons que l’exigence d’une description suffisante du cadre juridique et factuel de l’affaire poursuit essentiellement deux objectifs.

29. Premièrement, les informations communiquées par la décision de renvoi préjudiciel doivent permettre à la Cour de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national . Ces exigences valent tout particulièrement dans certains domaines, comme celui du droit de la concurrence, qui sont caractérisés par des situations de fait et de droit complexes .

En l’espèce, l’ordonnance de renvoi présente certaines lacunes. Le Pretore di Pinerolo ne décrit que partiellement les pouvoirs dont disposent les autorités italiennes dans la procédure d’approbation du barème établi par le CNF. Toutefois, ces éléments d’information ont été complétés par les réponses que le gouvernement italien a apportées aux questions que votre Cour lui avait adressées sur ce point. Nous estimons donc que, malgré les lacunes de l’ordonnance de renvoi, votre Cour est en mesure de donner une réponse utile aux questions posées par le Pretore di Pinerolo.

30. Deuxièmement, les informations communiquées par les décisions de renvoi doivent donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 20 du statut CE de la Cour de justice . Il incombe à votre Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées .

En l’espèce, il résulte des observations présentées par les gouvernements des États membres que les informations contenues dans l’ordonnance de renvoi leur ont permis de prendre utilement position sur les questions préjudicielles . Certes, dans ses observations écrites , le gouvernement français a pu considérer que certains aspects de la procédure d’approbation du barème litigieux étaient imprécis. Toutefois, ces informations ont été complétées par les observations écrites des parties et portées à la connaissance du gouvernement français. Lors de l’audience, celui-ci a présenté une position nuancée et définitive sur les questions posées par le juge de renvoi.

31. En conséquence, nous estimons que les questions préjudicielles posées par le Pretore di Pinerolo sont recevables.

V – L’objet des questions préjudicielles

32. Comme la plupart des parties intervenantes, nous pensons que les questions préjudicielles doivent être reformulées.

33. Telles qu’elles sont libellées, les questions du Pretore di Pinerolo portent exclusivement sur l’article 85 du traité. Le juge de renvoi demande si le barème litigieux est interdit par l’article 85, paragraphe 1, et, dans l’affirmative, s’il peut faire l’objet d’une exemption au titre de l’article 85, paragraphe 3.

34. Il ressort cependant de la description du cadre juridique de l’affaire que le barème litigieux constitue une mesure étatique. La délibération du CNF fixant le barème des honoraires a été formellement intégrée dans le décret ministériel n° 585/94. Le barème litigieux se présente donc comme une mesure de nature législative ou réglementaire.

35. Or, il résulte d’une jurisprudence constante que, en lui-même, l’article 85 du traité ne vise pas les mesures législatives ou réglementaires qui émanent des États membres. Cette disposition concerne uniquement le comportement des entreprises. Seul l’article 5 du traité, lu en combinaison avec l’article 85 du traité, impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, de nature législative ou réglementaire, qui sont susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises.

36. Il en résulte que, pour permettre au juge de renvoi de se prononcer sur la compatibilité du barème litigieux avec le droit communautaire, les questions préjudicielles doivent nécessairement être comprises en ce sens qu’elles portent sur les articles 5 et 85 du traité .

37. En l’état actuel de la jurisprudence , votre Cour considère qu’une mesure étatique est susceptible d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence dans trois hypothèses: (1) lorsqu’un État membre impose ou favorise l’adoption d’accords, de décisions d’associations d’entreprises ou de pratiques concertées qui sont contraires à l’article 85 du traité; (2) lorsqu’un État membre renforce les effets d’une telle entente, et (3) lorsqu’un État membre retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention en matière économique.

38. Il convient donc de préciser l’objet du renvoi préjudiciel à la lumière de cette jurisprudence.

39. La première hypothèse jurisprudentielle n’est pas visée par le Pretore di Pinerolo.

Il est vrai que l’article 57 du décret-loi impose au CNF d’établir, tous les deux ans, les critères servant à déterminer les honoraires et les indemnités dus aux avocats. On pourrait ainsi se demander si cette disposition impose ou favorise l’adoption de décisions d’associations d’entreprises qui sont contraires à l’article 85 du traité. Toutefois, comme l’a souligné le gouvernement italien , aucun élément du dossier ne permet de considérer que le juge de renvoi s’interroge sur la compatibilité de l’article 57 du décret-loi avec les dispositions des articles 5 et 85 du traité.

40. En revanche, la deuxième hypothèse nous paraît pertinente en l’espèce.

En effet, il est constant que le Pretore di Pinerolo souhaite obtenir les éléments d’interprétation du droit communautaire qui lui permettront de se prononcer sur la légalité du barème litigieux. Or, ce barème pourrait être incompatible avec les articles 5 et 85 du traité si les autorités italiennes, en adoptant le décret ministériel n° 585/94, ont renforcé les effets d’une entente au sens de l’article 85 du traité. En vue de fournir une réponse utile au juge de renvoi, il est donc nécessaire d’examiner cette question.

41. Enfin, le Pretore di Pinerolo semble expressément viser la troisième hypothèse jurisprudentielle.

En effet, il ressort du dossier que le juge de renvoi a saisi votre Cour à la suite de l’arrêt CNSD, qui a constaté que la législation italienne en cause dans cette affaire avait «complètement abandonné à des opérateurs économiques privés la compétence des autorités publiques en matière de détermination des tarifs» . De plus, en relatant la controverse jurisprudentielle qui existe en Italie, le Pretore di Pinerolo pose, selon nous, la question de savoir si les autorités publiques italiennes ont délégué à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention en matière économique .

42. Sur la base des considérations qui précèdent, nous proposons donc à votre Cour de reformuler les questions préjudicielles en ce sens qu’elles visent à déterminer si:

— les articles 5 et 85 du traité s’opposent à ce qu’un État membre adopte une mesure législative ou réglementaire qui approuve, sur la base d’un projet établi par un ordre professionnel d’avocats tel que le CNF, un barème fixant des honoraires minimaux et maximaux pour les prestations effectuées par les membres de la profession, lorsque cette mesure étatique intervient à la suite d’une procédure telle que celle qui est prévue par la législation italienne; et si

— les articles 5 et 85 du traité s’opposent à ce que, dans le cadre d’une telle procédure, un État membre confère à un ordre professionnel d’avocats, tel que le CNF, la compétence d’adopter un projet de barème fixant des honoraires minimaux et maximaux pour les prestations effectuées par les membres de la profession.

VI – Sur le renforcement des effets d’une entente [première question]

43. S’agissant de la première question, nous rappellerons que la jurisprudence actuelle de la Cour exige, pour pouvoir constater qu’une mesure législative ou réglementaire est incompatible avec les articles 5 et 85 du traité, que la mesure étatique soit précédée d’une entente qui est elle-même contraire à l’article 85, paragraphe 1, du traité .

En vue de déterminer si les autorités italiennes ont méconnu les articles 5 et 85 du traité en renforçant les effets d’une entente, il est donc nécessaire d’examiner préalablement si les conditions d’application de l’article 85, paragraphe 1, du traité sont réunies en l’espèce.

A – L’article 85, paragraphe 1, du traité

44. L’article 85, paragraphe 1, du traité interdit «tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun».

45. Il convient d’examiner quatre questions successives. Il s’agit de savoir si: (1) les avocats exerçant leurs activités en Italie constituent des «entreprises»; (2) le CNF doit être considéré comme une «association d’entreprises»; (3) les décisions adoptées par le CNF ont pour objet ou pour effet de restreindre le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, et (4) ces décisions sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres.

1. La notion d’entreprise

46. Aux termes d’une jurisprudence constante, votre Cour considère que, dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d’entreprise comprend «toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement» .

Votre Cour a également jugé que la notion d'«activité économique» s’appliquait à toute activité qui consiste à offrir des biens ou des services sur un marché donné . En règle générale, une activité présente un caractère économique lorsqu’elle est susceptible d’être exercée, du moins en principe, par un opérateur privé dans un but lucratif .

47. En l’espèce, il ressort du dossier que les avocats exerçant leurs activités en Italie offrent, en qualité d’opérateurs indépendants, des services de conseil juridique ainsi que des services de représentation de leurs clients devant les autorités judiciaires. Les avocats italiens offrent ainsi des services sur un marché donné, à savoir le marché des services juridiques. En outre, il résulte du dossier que les avocats italiens exercent leurs activités dans un but lucratif. Le juge de renvoi a précisé que les intéressés demandent et perçoivent de la part de leurs clients une rémunération en contrepartie des prestations effectuées.

48. Dans ces conditions, la fourniture de services juridiques par les avocats italiens doit être considérée comme une activité économique au sens de la jurisprudence de votre Cour.

49. Contrairement à ce que soutient le gouvernement italien , cette conclusion n’est pas infirmée par le fait que l’avocat est tenu au respect de règles déontologiques, ni par le fait qu’il exerce des activités liées à l’administration de la justice.

En effet, dans l’arrêt CNSD, votre Cour a qualifié les expéditeurs en douane italiens d’entreprises au sens de l’article 85 du traité alors qu’ils étaient, comme les avocats, soumis au respect de règles disciplinaires édictées par un ordre professionnel . Par ailleurs, la mission de «service public» dont est investi l’avocat n’a pas pour effet de soustraire cette entité au domaine du droit de la concurrence, mais peut, selon nous, la faire relever du champ d’application de l’article 90, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 2, CE) .

50. En conséquence, l’avocat exerçant ses activités en Italie doit être considéré comme une entreprise au sens du droit communautaire de la concurrence.

2. La notion d’association d’entreprises

51. La deuxième question qui se pose consiste à déterminer si le CNF doit être qualifié d’association d’entreprises.

52. Dans nos conclusions dans l’affaire Wouters , nous avons examiné en détail les conditions dans lesquelles la notion d’association d’entreprises peut s’appliquer à un ordre professionnel d’avocats. Nous nous référerons donc en grande partie aux développements que nous avons consacrés à ce sujet.

53. Aux termes des arrêts CNSD et Pavlov , votre Cour considère qu’une entité n’est pas une association d’entreprises au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité lorsque, d’une part, elle est composée d’une majorité de représentants de la puissance publique et, d’autre part, elle est tenue par la législation nationale de prendre ses décisions en tenant compte d’un certain nombre de critères d’intérêt public.

54. Or, en l’espèce, le CNF ne remplit pas cette double condition. En effet, il résulte des éléments du dossier que le CNF est exclusivement composé d’avocats qui sont élus par les membres de la profession. De plus, le juge de renvoi a précisé , sans être contredit par le gouvernement italien, qu’aucune disposition de droit national n’oblige, ni même n’incite, le CNF à fixer le barème des honoraires en tenant compte de critères d’intérêt général.

55. En conséquence, le CNF doit être considéré comme une association d’entreprises au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité.

56. Contrairement à ce que soutient le gouvernement italien , cette conclusion n’est pas infirmée par le fait que le CNF est un organisme de droit public , investi de pouvoirs disciplinaires . Il est également indifférent que le CNF n’exerce lui-même aucune activité économique , qu’il soit investi d’une mission d’intérêt public ou qu’il puisse effectivement adopter ses décisions dans l’intérêt général .

57. Il résulte de ces considérations que les délibérations du CNF constituent des décisions d’association d’entreprises au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité.

3. La restriction de concurrence

58. La troisième question consiste à déterminer si les décisions adoptées par le CNF ont «pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence».

59. Votre Cour procède généralement en deux étapes successives pour apprécier la compatibilité d’un accord avec l’article 85, paragraphe 1, du traité .

60. Dans un premier temps, elle vérifie si l’accord a pour objet de restreindre le jeu de la concurrence. À cet effet, elle procède à un examen objectif des buts poursuivis par l’accord, à la lumière du contexte économique dans lequel il doit être appliqué . Dès lors que l’accord a un objet anticoncurrentiel, il est interdit par l’article 85, paragraphe 1, du traité sans qu’il soit nécessaire de prendre en considération ses effets concrets . Les mêmes considérations s’appliquent aux décisions d’associations d’entreprises .

Sont ainsi contraires à l’article 85, paragraphe 1, du traité les accords ou les décisions d’associations d’entreprises qui ont pour seul objectif de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence entre les parties ou entre les parties et les tiers. Tel est le cas d’ententes horizontales visant à fixer le prix de vente des produits ou des services .

61. Dans l’hypothèse où l’accord n’a pas spécifiquement pour objet de restreindre la concurrence, votre Cour vérifie ensuite s’il a pour effet de l’empêcher, de la restreindre ou d’en fausser le jeu . À cet égard, l’article 85, paragraphe 1, du traité prohibe tant les effets anticoncurrentiels réels que les effets purement potentiels pour peu que ceux-ci soient suffisamment sensibles .

62. Dans la présente affaire, le CNF a adopté deux décisions distinctes. La première décision est celle par laquelle il a arrêté le projet de barème fixant des honoraires minimaux et maximaux pour les prestations effectuées par les membres de la profession. La seconde décision est celle par laquelle le CNF a transmis le projet de barème aux autorités italiennes en vue de rendre les tarifs obligatoires.

63. Nous examinerons ces deux décisions à la lumière de l’article 85, paragraphe 1, du traité.

a) Le projet de barème

64. En droit communautaire de la concurrence, les ententes sur les prix revêtent une «gravité particulière» . Votre Cour considère que, par sa nature même, un accord fixant le prix des produits ou des services a pour objet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché .

65. L’article 85, paragraphe 1, du traité interdit les ententes qui visent à déterminer des prix fixes , des prix minimaux , des prix maximaux ou des prix indicatifs .

66. En l’espèce, nous pensons que ces principes ne sont pas applicables à la décision du CNF arrêtant le projet de barème des honoraires.

67. Premièrement, la décision du CNF n’a pas pour objet de restreindre le jeu de la concurrence au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité .

68. Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 57 du décret-loi, le CNF est tenu d’établir, tous les deux ans, les critères servant à déterminer les honoraires et les indemnités dus aux avocats et aux «procuratori». Le projet de barème est ensuite transmis au ministre de la Justice qui doit recueillir l’avis du CIP et du Conseil d’État. Sur la base de ces différents éléments d’information, le ministre de la Justice décide s’il y a lieu ou non d’intégrer le barème dans une mesure étatique afin de rendre les tarifs obligatoires.

69. Il en résulte que, contrairement aux ententes classiques en matière de prix, la décision du CNF arrêtant le projet de barème constitue un acte préparatoire dans la procédure législative instaurée par le système juridique italien. Elle est exigée par la législation nationale et présente une valeur purement consultative. La décision litigieuse a donc pour objet de permettre aux autorités publiques d’adopter une réglementation adaptée aux particularités et aux nécessités qui caractérisent la profession .

70. Deuxièmement, la décision du CNF relative au projet de barème n’a pas pour effet de restreindre le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun.

71. En effet, il résulte des éléments du dossier que le projet de barème est exclusivement transmis au ministre de la Justice italien. En l’absence d’approbation par le ministre, les membres de la profession et les tiers sont légalement tenus d’appliquer le barème prévu par le décret ministériel précédent. La décision litigieuse ne comporte donc aucun effet restrictif de concurrence sur le marché italien des services juridiques . Toute restriction de concurrence n’est que la conséquence d’une action ultérieure des autorités italiennes, lorsque celles-ci adoptent le décret ministériel portant approbation de la délibération du CNF.

72. En conséquence, nous estimons que l’article 85, paragraphe 1, du traité ne s’oppose pas à ce qu’un ordre professionnel d’avocats, tel que le CNF, adopte un projet de barème fixant des honoraires minimaux et maximaux pour les prestations effectuées par les membres de la profession, lorsque ce projet de barème est exclusivement destiné à être transmis aux autorités publiques de l’État membre concerné dans le cadre d’une procédure législative telle que celle prévue par l’article 57 du décret-loi.

b) La communication du projet de barème aux autorités publiques

73. La seconde décision du CNF s’analyse comme une requête déposée par des opérateurs économiques privés auprès des autorités publiques d’un État membre dans le but de conférer une force obligatoire au projet d’accord qu’ils ont conclu.

74. Dans ses conclusions sous l’arrêt Albany, précité, l’avocat général Jacobs a clairement exposé les raisons pour lesquelles l’introduction d’une telle requête ne saurait être interdite par l’article 85, paragraphe 1, du traité. M. Jacobs a souligné que :

«L’article 85, paragraphe 1, [du traité] ne saurait s’appliquer lorsque des entreprises tentent simplement de convaincre les autorités publiques d’étendre les effets d’un accord donné à d’autres opérateurs économiques.

En premier lieu, en elle-même, une telle action n’affecte pas le jeu de la concurrence ou la liberté pour tout un chacun d’y participer. Toute restriction [de concurrence] est la conséquence d’une action ultérieure de l’État.

En deuxième lieu, la coordination dans le dépôt d’une requête fait partie intégrante de nos sociétés démocratiques. Les personnes physiques ou morales ont la faculté de s’organiser et de présenter conjointement leurs requêtes au gouvernement ou aux organes législatifs. Il appartient alors aux autorités publiques de décider si l’action proposée répond à l’intérêt public. Elles seules en ont le pouvoir, comme la responsabilité».

75. Dans la mesure où nous souscrivons à cette analyse, nous vous proposons de constater que l’article 85, paragraphe 1, du traité ne s’oppose pas à ce qu’un ordre professionnel d’avocats, tel que le CNF, communique aux autorités publiques d’un État membre un projet de barème fixant des honoraires minimaux et maximaux pour les prestations effectuées par les membres de la profession dans le but de rendre ledit barème obligatoire à l’égard de l’ensemble des membres de la profession et des tiers.

76. Dans ces conditions, les deux décisions adoptées par le CNF sont compatibles avec les dispositions de l’article 85, paragraphe 1, du traité.

77. Il convient de noter que, dans l’arrêt BNIC, précité, votre Cour est parvenue à une conclusion différente à propos d’accords conclus au sein du Bureau national interprofessionnel du Cognac (BNIC).

Le BNIC était un organisme professionnel composé de représentants de la «famille» du négoce et de la «famille» de la viticulture. Il avait conclu un accord fixant un prix minimal pour certains produits et transmis cet accord aux autorités françaises en vue de le rendre obligatoire à tous les membres des professions représentées. L’un des négociants, assigné par le BNIC, avait contesté la compatibilité de l’accord avec les dispositions du traité en matière de concurrence.

Devant votre Cour, le BNIC a soutenu que «les accords signés dans son sein n’ont pas d’effets obligatoires et que son rôle est purement consultatif à l’égard des autorités publiques centrales qui, seules, peuvent rendre lesdits accords obligatoires au moyen d’arrêtés ministériels» .

Votre Cour a rejeté cet argument au motif que: «aux fins de l’application de l’article 85, paragraphe 1, la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue, dès lors que celui-ci a pour objet de restreindre, empêcher ou fausser le jeu de la concurrence. Or, par sa nature même, un accord fixant un prix minimal pour un produit et transmis à l’autorité publique en vue de faire entériner ce prix minimal, aux fins de le rendre obligatoire pour l’ensemble des opérateurs économiques intervenant sur le marché en cause, a pour objet de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché» .

78. Nous pensons que les principes posés par l’arrêt BNIC, précité, sont d’une rigueur excessive lorsqu’il s’agit d’examiner des affaires telles que celle qui vous est soumise en l’espèce.

79. En effet, il est constant que la plupart des secteurs économiques sont caractérisés par la nature complexe des produits ou des services en cause ainsi que par une évolution permanente due aux modifications qui interviennent dans les connaissances et les développements technologiques . En raison de ces caractéristiques, les autorités étatiques peuvent éprouver des difficultés majeures à adopter, seules, des mesures législatives détaillées, actualisées et adaptées aux différents secteurs concernés. Il est donc nécessaire de permettre aux autorités étatiques de mettre en place, d’une manière ou d’une autre, des mécanismes de concertation avec les représentants des secteurs économiques susceptibles d’être concernés par une réglementation donnée .

Or, comme l’a souligné la Commission , les principes posés par l’arrêt BNIC, précité, sont de nature à faire échec à la mise en place de tels mécanismes. Le risque est de devoir qualifier d’ententes restrictives de concurrence au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité les mesures par lesquelles les opérateurs économiques soumettent des propositions – notamment en matière de prix – aux autorités publiques ou les mesures par lesquelles ces opérateurs répondent à des demandes qui émanent des autorités publiques elles-mêmes. En d’autres termes, l’article 85, paragraphe 1, du traité risque d’être interprété d’une manière telle qu’il s’opposerait à toute action concertée d’opérateurs privés qui est destinée à informer les autorités publiques ou à influencer le contenu de leurs décisions .

80. Sur la base des considérations qui précèdent, nous proposons donc à votre Cour de constater que l’article 85, paragraphe 1, du traité ne s’oppose pas à ce qu’un ordre professionnel d’avocats, tel que le CNF, adopte un projet de barème fixant des honoraires minimaux et maximaux pour les prestations effectuées par les membres de la profession et soumette, conformément aux dispositions nationales en vigueur, ce projet de barème aux autorités de l’État membre concerné dans le but de rendre ledit barème obligatoire à l’égard de l’ensemble de la profession et des tiers.

81. Dans la mesure où les deux décisions adoptées par le CNF ne sont pas de nature à restreindre le jeu de la concurrence, il n’est pas nécessaire de vérifier si elles sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres.

B – Les articles 5 et 85 du traité

82. Il convient, à présent, d’examiner si les autorités italiennes ont méconnu les articles 5 et 85 du traité au motif que, en adoptant le décret ministériel n° 585/94, elles ont renforcé les effets d’une décision d’association d’entreprises au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité.

83. Sur ce point, nous rappellerons que la jurisprudence exige, pour pouvoir constater qu’une mesure législative ou réglementaire est incompatible avec les articles 5 et 85 du traité, l’existence d’un lien entre la mesure étatique et un comportement privé adopté par une ou plusieurs entreprises . Cette exigence vise à exclure la possibilité d’examiner des mesures étatiques en raison des effets anticoncurrentiels qui leur sont propres. Dans leurs conclusions sous les arrêts Meng, Reiff, Ohra Schadeverzekeringen et DIP e.a. , les avocats généraux Tesauro , Darmon et Fennelly ont exposé de manière convaincante les raisons pour lesquelles la jurisprudence mérite d’être approuvée sur ce point. Il n’est donc pas nécessaire de revenir sur ces différents arguments.

84. Toutefois, dans certains arrêts récents , votre Cour a précisé ses exigences en franchissant un pas supplémentaire. Elle a établi un parallélisme entre la légalité du comportement privé et la licéité de la mesure étatique. Votre Cour considère que, lorsqu’un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée n’est pas contraire à l’article 85, paragraphe 1, la mesure étatique qui en renforce les effets est automatiquement compatible avec les dispositions des articles 5 et 85 du traité.

85. En vertu de cette jurisprudence récente, il y aurait lieu de conclure que les articles 5 et 85 du traité ne s’opposent pas à l’application du décret ministériel n° 585/94. Le décret litigieux serait compatible avec les dispositions précitées au seul motif que les mesures adoptées par le CNF ne sont pas contraires à l’article 85, paragraphe 1, du traité.

86. Toutefois, nous pensons qu’un tel automatisme est peu conforme à la réalité économique. La présente affaire permet, selon nous, d’illustrer les limites de la jurisprudence actuelle .

87. En l’espèce, nous avons constaté que la décision du CNF arrêtant le projet de barème n’est pas de nature à restreindre le jeu de la concurrence puisque toute restriction de concurrence résulterait de l’action ultérieure de l’État italien. De même, la décision du CNF communiquant le projet de barème aux autorités italiennes n’est pas contraire à l’article 85, paragraphe 1, du traité puisque seul le décret ministériel portant approbation du barème comporterait des effets restrictifs de concurrence.

Or, en vertu de la jurisprudence actuelle, le décret ministériel ne saurait être visé par l’article 5 du traité au motif – précisément – que les décisions du CNF ne sont pas de nature à restreindre la concurrence. Il en résulte que, en l’état actuel de la jurisprudence, le droit communautaire de la concurrence ne permet d’interdire ni les mesures adoptées par le CNF ni la mesure adoptée par l’État, alors que la combinaison de ces deux mesures peut être de nature à restreindre sensiblement le jeu de la concurrence.

88. Tout comme l’avocat général Jacobs , nous pensons que, dans des cas tels que celui de l’espèce, il est plus justifié d’admettre que la mesure étatique puisse enfreindre les articles 5 et 85 du traité indépendamment de la légalité du comportement des opérateurs privés. En d’autres termes, il doit être possible de constater qu’une mesure étatique restreint sensiblement le jeu de la concurrence même si le comportement des opérateurs économiques qui est à l’origine de l’intervention de l’État n’est pas, en soi, contraire à l’article 85, paragraphe 1, du traité.

89. Nous pensons qu’il est également nécessaire de permettre à l’État de justifier son comportement au regard des dispositions de l’article 5 du traité . En effet, un État membre peut avoir des raisons légitimes de renforcer les effets d’une entente au sens de l’article 85 du traité. Dans une telle hypothèse, l’obligation de coopération loyale prévue par l’article 5 du traité ne saurait interdire à un État membre d’adopter des mesures législatives ou réglementaires qui, même si elles sont restrictives de concurrence, poursuivent un objectif légitime.

90. Il y a donc lieu d’identifier les critères qui permettraient à un État membre de justifier une mesure restrictive de concurrence au regard de l’article 5 du traité.

91. À cet égard, nous pensons que votre Cour pourrait retenir trois critères d’appréciation. Votre Cour pourrait considérer qu’une mesure législative ou réglementaire qui renforce les effets d’une entente est compatible avec les articles 5 et 85 du traité à condition que: (1) les autorités publiques de l’État membre concerné exercent un contrôle effectif sur le contenu de l’entente; (2) la mesure étatique poursuive un but légitime d’intérêt général, et (3) la mesure étatique soit proportionnée par rapport au but qu’elle poursuit.

La première condition, relative à l’existence d’un contrôle effectif, permettrait de s’assurer que les pouvoirs publics procèdent effectivement à un examen du contenu de l’entente. Elle aurait ainsi pour objectif d’éviter que les autorités de l’État puissent donner un «blanc seing» au comportement des opérateurs économiques.

La deuxième condition permettrait de vérifier que la mesure étatique a bien été adoptée dans un but d’intérêt général. En effet, il est «permis de présumer que normalement, lorsqu’ils concluent des accords entre eux, les acteurs économiques privés agissent dans leur propre intérêt et non dans l’intérêt public. Les conséquences de leurs accords ne correspondent donc pas nécessairement à l’intérêt public» . En vertu de la deuxième condition, les autorités étatiques seraient donc autorisées à renforcer les effets de la concertation intervenue entre les opérateurs privés si elles ont la certitude que le contenu de la concertation est conforme à l’intérêt général.

Enfin, la troisième condition viserait à s’assurer que les effets restrictifs de concurrence produits par la mesure étatique sont limités à ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

92. Conformément à la position que nous soutenons, nous examinerons donc si le décret ministériel n° 585/94 est de nature à restreindre sensiblement le jeu de la concurrence sur le marché italien des services juridiques. Dans l’affirmative, nous examinerons si le décret litigieux peut être justifié au titre de l’article 5 du traité.

1. Sur l’existence d’une restriction du jeu de la concurrence

93. Il convient de rappeler que le prix est le principal instrument de la concurrence . La concurrence par les prix vise à maintenir ceux-ci au niveau le plus bas possible et à favoriser la circulation des produits et des services entre les États membres . Elle doit ainsi permettre une répartition optimale des activités en fonction de la productivité et de la capacité d’adaptation des entreprises .

94. En l’espèce, le décret ministériel n° 585/94 prévoit un régime obligatoire de tarifs minimaux et de tarifs maximaux pour les prestations effectuées par les avocats en Italie .

95. À cet égard, il est constant que les prix minimaux constituent une forme sérieuse de restriction de concurrence . Ils empêchent les opérateurs de se faire concurrence en fixant des prix inférieurs aux minimums établis. De ce fait, ils privent les consommateurs de la possibilité d’obtenir les produits ou les services concernés au meilleur prix. En outre, les prix minimaux renforcent artificiellement les obstacles à l’accès des nouveaux opérateurs au marché puisqu’ils privent ceux-ci d’un moyen rapide et efficace de pénétrer le marché .

96. Les prix maximaux sont également de nature à restreindre sensiblement le jeu de la concurrence. L’un des principaux risques relevés dans le secteur des professions libérales est de voir les prix maximaux devenir, en pratique, un régime de prix fixes et, par suite, provoquer une augmentation artificielle des prix sur le marché.

97. Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que le décret ministériel n° 585/94 restreint sensiblement le jeu de la concurrence sur le marché italien des services juridiques.

2. Sur la justification de la restriction de concurrence

98. Cette constatation n’implique cependant pas que le décret ministériel n° 585/94 est incompatible avec les articles 5 et 85 du traité. Il faut encore vérifier si le décret litigieux peut être justifié au regard des dispositions de l’article 5 du traité. Conformément aux trois conditions précédemment exposées, nous examinerons si: (1) les autorités italiennes ont exercé un contrôle effectif sur la délibération du CNF; (2) le décret ministériel n° 585/94 poursuit un but d’intérêt général, et (3) le décret litigieux est proportionné par rapport au but qu’il poursuit.

a) Sur l’existence d’un contrôle effectif des autorités italiennes

99. En ce qui concerne la première condition, nous pensons que les modalités de la procédure d’approbation du barème confèrent aux autorités italiennes la possibilité de procéder à un contrôle effectif du barème établi par le CNF.

100. En effet, préalablement à l’approbation du barème, le ministre de la Justice italien est tenu de recueillir l’avis du CIP et de consulter le Conseil d’État. Le décret ministériel doit ensuite être visé et enregistré par la Cour des comptes.

101. Il ressort de l’ordonnance de renvoi que le CIP est un organe de l’État, composé de huit ministres et de trois experts nommés par le président du Conseil des ministres. Il a notamment pour fonction de fixer les prix des biens de consommation courante, de contrôler le respect de ces prix et de donner un avis sur les tarifs fixés par les professions libérales.

102. Le Conseil d’État est, quant à lui, chargé d’apprécier la conformité du barème établi par le CNF avec la loi et les critères fixés par celle-ci .

103. S’agissant du ministre de la Justice, l’ordonnance de renvoi ne décrivait que partiellement les pouvoirs qui lui sont attribués. Votre Cour a donc invité le gouvernement italien à préciser ces éléments lors de la procédure orale.

Selon les informations communiquées par le gouvernement italien, le ministre de la Justice ne dispose pas du pouvoir de substituer ses propres décisions aux délibérations du CNF. Néanmoins, le ministre a le pouvoir de modifier de sa propre initiative le contenu des délibérations. Dans ce cas, il appartient au CNF d’intégrer ces modifications dans le projet de barème initial. En outre, le ministre de la Justice a le pouvoir – indirect – de contraindre le CNF à modifier le contenu de ses délibérations puisque, sans décret d’approbation, le barème établi par le CNF est dépourvu de toute force contraignante. Dans ce cas, les membres de la profession et les tiers restent tenus d’appliquer les tarifs prévus par le décret ministériel précédent.

104. Enfin, la Cour des comptes, avant d’accorder le visa et l’enregistrement, procède à un contrôle de la légalité du décret ministériel portant approbation du barème .

105. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les modalités de la procédure d’approbation du barème accordent aux autorités italiennes le pouvoir de procéder à un contrôle particulièrement étendu des délibérations du CNF.

106. Toutefois, cette constatation ne suffit pas pour conclure que les autorités italiennes procèdent à un contrôle effectif du contenu de l’entente. En effet, il faut encore vérifier que, dans la pratique, les autorités de l’État exercent réellement les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi . À défaut d’un exercice effectif de ces pouvoirs, on devra considérer que les autorités étatiques approuvent sans discussion les concertations qui sont intervenues au sein du CNF.

107. En l’espèce, les éléments du dossier permettent de dégager les informations suivantes . Le CIP et le Conseil d’État ont formulé une série d’observations relatives à l’incidence de l’entrée en vigueur de la délibération du CNF du 12 juin 1993 sur l’inflation. Ces organes ont suggéré de procéder à une introduction graduelle des augmentations tarifaires prévues par le CNF. Le ministre de la Justice s’est rallié à l’avis du CIP et du Conseil d’État: il a demandé au CNF de modifier sa délibération et de reporter de six mois la moitié des augmentations tarifaires. Le CNF a intégré les observations du ministre de la Justice dans une seconde délibération, du 29 septembre 1994.

En outre, dans ses observations écrites , le gouvernement italien a indiqué que «le ministère [de la Justice] a formulé toute une série d’observations qui ne coïncidaient qu’en partie avec celles du Conseil d’État et auxquelles le CNF a dû en grande partie se conformer, sous peine de voir le nouveau barème privé de sanction (par défaut d’approbation)».

108. Nous pensons que ces informations sont insuffisantes pour permettre à votre Cour de se prononcer sur la question de l’effectivité du contrôle exercé par les autorités italiennes.

Les informations relatives au report des augmentations tarifaires laissent présumer que les autorités publiques exercent un contrôle réel sur les délibérations du CNF. Néanmoins, ces informations doivent, selon nous, être confirmées par d’autres éléments de preuve devant le Pretore di Pinerolo.

Le juge de renvoi pourra ainsi examiner les interventions du ministre de la Justice qui ont été évoquées par le gouvernement italien au cours de la présente procédure. Il pourra également vérifier si, en ce qui concerne le barème litigieux ou d’autres projets de barème, les autorités publiques ont formulé des objections ou des observations substantielles à l’égard du CNF (par exemple, si le ministre de la Justice a déjà refusé d’approuver une délibération du CNF au motif que les augmentations tarifaires étaient trop importantes).

Le critère décisif à cet égard n’est pas de savoir si les autorités publiques ont exigé de nombreuses modifications du projet de barème. Il consiste à vérifier que les autorités italiennes interviennent effectivement pour contrôler le contenu des délibérations du CNF sur des points essentiels pour la profession et les tiers.

b) Sur le but d’intérêt général poursuivi par le décret ministériel n° 585/94

109. En ce qui concerne la deuxième condition, le dossier contient peu d’informations.

110. Le Pretore di Pinerolo et le gouvernement italien n’ont pas précisé les objectifs poursuivis par le décret ministériel n° 585/94. Seule la partie civile a formulé quelques remarques à ce sujet au cours de la présente procédure. Lors de l’audience, elle a soutenu que le décret ministériel n° 585/94 visait essentiellement à garantir un niveau élevé de qualité pour les services prestés par les membres de la profession.

111. Dans la mesure où cette information n’émane ni du gouvernement italien ni du juge de renvoi, nous la traiterons à titre d’hypothèse. Il appartient, avant tout, au Pretore di Pinerolo d’identifier les objectifs réellement poursuivis par le barème litigieux et de vérifier que ces objectifs sont conformes à l’intérêt général.

112. S’agissant de l’objectif évoqué par la partie civile, il convient de souligner que la qualité des services fournis par les professions libérales revêt une importance cruciale à plusieurs titres.

D’abord, les professions libérales assurent des services qui touchent à des aspects essentiels de la société, tels que la santé publique (les professions médicales), la justice (la profession d’avocat) ou la sécurité publique et l’urbanisme (la profession d’architecte). Ces différents services peuvent aussi avoir des répercussions directes et immédiates sur des aspects fondamentaux de la vie des citoyens, tels que leur intégrité physique.

Ensuite, d’un point de vue économique, les services fournis par les professions libérales ne produisent pas uniquement des effets à l’égard de leurs destinataires. Comme l’a souligné l’avocat général Jacobs , ils produisent également des «effets externes», qui consistent en des pertes ou des bénéfices pour l’ensemble de la société. La demande de services professionnels «est souvent une demande dérivée, ce qui signifie que le résultat final qu’ils produisent (un avis d’avocat, un plan d’architecte) constitue un bien intermédiaire dans une chaîne de production plus longue. La qualité de ces services [constitue] de ce fait […] l’une des données décisives dans de nombreux secteurs de l’économie nationale» .

Enfin, les marchés des services professionnels sont caractérisés par une «asymétrie de l’information» . Dans la mesure où le consommateur est rarement en position d’apprécier lui-même la qualité des services offerts, il est indispensable de prévoir certaines règles destinées à maintenir la qualité de ces services.

113. Il résulte de ces considérations que le maintien d’un niveau élevé de qualité pour les services fournis par la profession d’avocat constituerait indéniablement un objectif légitime d’intérêt général.

c) Sur la proportionnalité du décret ministériel n° 585/94

114. Conformément à la troisième condition, il reste à examiner si les mesures posées par le décret ministériel n° 585/94 sont proportionnées par rapport au but qu’elles poursuivraient .

115. Il résulte d’une jurisprudence constante que, pour établir si une mesure est conforme au principe de proportionnalité, il importe de vérifier si les moyens qu’elle met en oeuvre sont aptes à réaliser l’objectif visé et s’ils ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

116. En l’espèce, le décret ministériel n° 585/94 prévoit un régime obligatoire de tarifs minimaux et de tarifs maximaux pour les prestations effectuées par les avocats en Italie .

117. Dans l’hypothèse où le but poursuivi par le décret litigieux consisterait à maintenir la qualité des services fournis par les membres de la profession, une telle mesure ne nous paraît pas apte à atteindre l’objectif visé .

D’une part, nous pensons qu’il n’existe pas de relation de cause à effet entre le niveau des honoraires demandés et la qualité des services prestés. On ne voit pas en quoi un régime de prix obligatoires empêcherait des membres de la profession d’offrir des services de qualité médiocre si, par ailleurs, leurs qualifications, leur compétence ou leur sens moral font défaut. D’autre part, la qualité des prestations est – ou doit être – garantie par des mesures d’une autre nature, telles que celles qui régissent les conditions d’accès à la profession et la responsabilité professionnelle des avocats.

118. En conséquence, nous pensons que, si l’objectif poursuivi par le décret ministériel n° 585/94 consiste à maintenir la qualité des prestations effectuées par les avocats en Italie, le décret litigieux ne pourrait être justifié au regard des dispositions de l’article 5 du traité.

119. Sur la base des considérations qui précèdent, nous proposons donc à votre Cour de répondre à la première question préjudicielle en ce sens que les articles 5 et 85 du traité ne s’opposent pas à ce qu’un État membre adopte une mesure législative ou réglementaire qui approuve, sur la base d’un projet établi par un ordre professionnel d’avocats, un barème fixant des honoraires minimaux et maximaux pour les prestations effectuées par les membres de la profession, à la triple condition que: (1) les autorités publiques de l’État membre concerné exercent un contrôle effectif sur le contenu du barème proposé par l’ordre professionnel; (2) la mesure étatique portant approbation du barème poursuive un but légitime d’intérêt général, et (3) la mesure étatique soit proportionnée par rapport au but qu’elle poursuit.

VII – Sur la délégation de pouvoirs à des opérateurs privés [seconde question]

120. Par sa seconde question, le Pretore di Pinerolo demande si, eu égard aux modalités de la procédure d’approbation du barème, les autorités italiennes ont enfreint les articles 5 et 85 du traité au motif qu’elles ont retiré à leur propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention en matière économique.

121. Sur ce point, nous rappellerons que votre Cour soulève une «objection de principe à l’égard des mesures législatives par lesquelles l’État renonce à jouer le rôle qui est le sien et confère aux entreprises les pouvoirs nécessaires pour mettre en oeuvre leur propre politique» .

Votre Cour estime qu’une réglementation préserve son caractère étatique lorsque les autorités publiques se réservent le pouvoir de fixer elles-mêmes les termes essentiels de la décision économique . Tel est évidemment le cas lorsque la mesure étatique formule elle-même l’interdiction comportant d’éventuels effets restrictifs de concurrence . Tel est aussi le cas lorsque la décision est prise par des opérateurs économiques privés, mais que les autorités publiques disposent du pouvoir de l’approuver, de la rejeter, de la modifier ou d’y substituer leur propre décision . Dans cette hypothèse, le caractère étatique d’une réglementation n’est pas remis en cause par le simple fait qu’elle a été adoptée après une concertation avec des représentants d’opérateurs économiques privés .

122. La question qui se pose en l’espèce consiste à déterminer si les autorités italiennes se sont réservé le pouvoir de fixer elles-mêmes le contenu du barème des honoraires des avocats. En vue de répondre à cette question, il convient d’identifier les pouvoirs dont disposent les autorités publiques dans la procédure d’approbation du barème. Dans la mesure où nous avons abordé ce problème lors de l’examen de la première question préjudicielle, nous nous référerons en grande partie aux développements que nous y avons consacrés.

123. Aux points 99 à 105 des présentes conclusions, nous avons constaté que les modalités de la procédure d’approbation du barème accordent aux autorités italiennes le pouvoir de procéder à un contrôle particulièrement étendu des délibérations du CNF.

124. S’agissant des pouvoirs du ministre de la Justice, nous avons indiqué que, selon les informations communiquées par le gouvernement italien, le ministre de la Justice dispose du pouvoir de modifier de sa propre initiative le contenu des délibérations. Dans ce cas, il appartient au CNF d’intégrer ces modifications dans le projet de barème initial. En outre, le ministre de la Justice a le pouvoir de contraindre le CNF à modifier le contenu de ses délibérations puisque, sans décret d’approbation, le barème établi par le CNF est dépourvu de force contraignante. Dans ce cas, les membres de la profession et les tiers restent tenus d’appliquer les tarifs prévus par le décret ministériel précédent.

125. Compte tenu de ces éléments, nous pensons que les autorités publiques italiennes se sont réservé le pouvoir – indirect – de déterminer le contenu du barème des honoraires des avocats.

126. Toutefois, nous avons soutenu que le contrôle exercé par les autorités publiques sur le comportement des opérateurs économiques privés devait être un contrôle effectif . Il est donc nécessaire de vérifier si, dans la pratique, les autorités italiennes exercent réellement les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi. À défaut, on devra conclure que les autorités publiques ont effectivement délégué à des opérateurs économiques privés leur compétence en matière de détermination des tarifs.

127. Sur ce point, nous avons constaté que les éléments du dossier étaient insuffisants pour permettre à votre Cour de se prononcer elle-même sur la question. Il convient donc d’en renvoyer l’examen au Pretore di Pinerolo.

Le critère déterminant à cet égard consiste à vérifier que les autorités italiennes interviennent effectivement pour contrôler le contenu des délibérations du CNF sur des points essentiels pour la profession et les tiers.

128. En conséquence, nous proposons à votre Cour de répondre à la seconde question préjudicielle en ce sens que les articles 5 et 85 du traité ne s’opposent pas à ce qu’un État membre confère à un ordre professionnel d’avocats, tel que le CNF, la compétence d’adopter un projet de barème fixant des honoraires minimaux et maximaux pour les prestations effectuées par les membres de la profession, à la double condition que: (1) les autorités publiques de l’État membre concerné se réservent le pouvoir de déterminer directement ou indirectement le contenu du barème des honoraires, et (2) lesdites autorités exercent réellement les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi.

VIII – Conclusion

129. Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons donc à votre Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Pretore di Pinerolo:

«1) Les dispositions des articles 5 et 85 du traité CE (devenus articles 10 CE et 81 CE) ne s’opposent pas à ce qu’un État membre adopte une mesure législative ou réglementaire qui approuve, sur la base d’un projet établi par un ordre professionnel d’avocats tel que le Consiglio Nazionale Forense, un barème fixant des honoraires minimaux et maximaux pour les prestations effectuées par les membres de la profession, à la triple condition que: (1) les autorités publiques de l’État membre concerné exercent un contrôle effectif sur le contenu du barème proposé par l’ordre professionnel; (2) la mesure étatique portant approbation du barème poursuive un but légitime d’intérêt général, et (3) la mesure étatique soit proportionnée par rapport au but qu’elle poursuit. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si tel est le cas.

2) Les articles 5 et 85 du traité ne s’opposent pas à ce qu’un État membre confère à un ordre professionnel d’avocats, tel que le Consiglio Nazionale Forense, la compétence d’adopter un projet de barème fixant des honoraires minimaux et maximaux pour les prestations effectuées par les membres de la profession, à la double condition que: (1) les autorités publiques de l’État membre concerné se réservent le pouvoir de déterminer directement ou indirectement le contenu du barème des honoraires, et (2) lesdites autorités exercent réellement les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si tel est le cas.»

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CJCE, n° C-35/99, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Procédure pénale contre Manuele Arduino, en présence de Diego Dessi, Giovanni Bertolotto et Compagnia Assicuratrice RAS SpA, 10 juillet 2001