CJCE, n° C-453/99, Arrêt de la Cour, Courage Ltd contre Bernard Crehan et Bernard Crehan contre Courage Ltd et autres, 20 septembre 2001

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 20 sept. 2001, C-453/99
Numéro(s) : C-453/99
Arrêt de la Cour du 20 septembre 2001.#Courage Ltd contre Bernard Crehan et Bernard Crehan contre Courage Ltd et autres.#Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (England and Wales) (Civil Division) - Royaume-Uni.#Article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) - Contrat d'achat exclusif de bière - Location de débits de boissons - Entente - Droit à des dommages et intérêts d'une partie au contrat.#Affaire C-453/99.
Date de dépôt : 30 novembre 1999
Précédents jurisprudentiels : arrêt du 10 juillet 1997, Palmisani, C-261/95
Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, 493
Factortame e.a., C-213/89
Michaïlidis, C-441/98 et C-442/98
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61999CJ0453
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2001:465
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61999J0453

Arrêt de la Cour du 20 septembre 2001. – Courage Ltd contre Bernard Crehan et Bernard Crehan contre Courage Ltd et autres. – Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (England and Wales) (Civil Division) – Royaume-Uni. – Article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) – Contrat d’achat exclusif de bière – Location de débits de boissons – Entente – Droit à des dommages et intérêts d’une partie au contrat. – Affaire C-453/99.


Recueil de jurisprudence 2001 page I-06297


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Mots clés


1. Concurrence – Ententes – Contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence – Droit d’une partie au contrat d’invoquer la violation de l’article 85 du traité (devenu article 81 CE) pour obtenir une protection juridictionnelle

(Traité CE, art. 85 (devenu art. 81 CE))

2. Concurrence – Ententes – Contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence – Droit d’une partie au contrat de demander des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice occasionné par l’exécution dudit contrat – Limites

(Traité CE, art. 85 (devenu art. 81 CE))

Sommaire


1. Une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de l’article 85 du traité (devenu article 81 CE), peut invoquer la violation de cette disposition pour obtenir une protection juridictionnelle («relief») à l’encontre de l’autre partie contractante.

( voir point 36, disp. 1 )

2. La pleine efficacité de l’article 85 du traité (devenu article 81 CE) et, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée à son paragraphe 1 seraient mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Un tel droit renforce, en effet, le caractère opérationnel des règles communautaires de concurrence et est de nature à décourager les accords ou pratiques, souvent dissimulés, susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.

L’article 85 du traité s’oppose dès lors à une règle de droit national interdisant à une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de ladite disposition, de demander des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice occasionné par l’exécution dudit contrat au seul motif que l’auteur de la demande est partie à celui-ci.

Toutefois, en l’absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet du droit communautaire, pour autant que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe de l’équivalence) et qu’elles ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité).

Sous ces conditions, le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que le droit national refuse à une partie, dont il est constaté qu’elle porte une responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence, le droit d’obtenir des dommages et intérêts de son cocontractant. En effet, conformément à un principe reconnu dans la plupart des systèmes juridiques des États membres et dont la Cour a déjà fait application, un justiciable ne saurait profiter de son propre comportement illicite, lorsque celui-ci est avéré.

En particulier, il appartient à ladite juridiction d’examiner si la partie qui prétend avoir subi un dommage, en raison de la conclusion d’un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, se trouvait dans une position d’infériorité caractérisée par rapport à l’autre partie, de sorte qu’auraient été sérieusement compromises, voire nulles, sa liberté de négocier les clauses dudit contrat ainsi que sa capacité d’éviter le préjudice ou d’en limiter la portée, notamment en utilisant en temps utile toutes les voies de droit qui étaient à sa disposition.

( voir points 26-27, 29, 31, 33, 36, disp. 2-3 )

Parties


Dans l’affaire C-453/99,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’article 234 CE, par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Courage Ltd

et

Bernard Crehan

et entre

Bernard Crehan

et

Courage Ltd e.a.,

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation de l’article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) et d’autres dispositions du droit communautaire,

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, C. Gulmann, M. Wathelet (rapporteur) et V. Skouris, présidents de chambre, D. A. O. Edward, P. Jann, L. Sevón, Mmes F. Macken et N. Colneric, MM. J. N. Cunha Rodrigues et C. W. A. Timmermans, juges,

avocat général: M. J. Mischo,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

— pour Courage Ltd, par M. N. Green, QC, mandaté par Mme A. Molyneux, solicitor,

— pour M. Crehan, par MM. D. Vaughan, QC, et M. Brealey, barrister,

mandatés par M. R. Croft, solicitor,

— pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, en qualité d’agent, assisté de M. K. Parker, QC,

— pour le gouvernement français, par Mmes K. Rispal-Bellanger et R. Loosli-Surrans, en qualité d’agents,

— pour le gouvernement italien, par M. U. Leanza, en qualité d’agent,

— pour le gouvernement suédois, par Mme L. Nordling et M. I. Simfors, en qualité d’agents,

— pour la Commission des Communautés européennes, par M. K. Wiedner, en qualité d’agent, assisté de M. N. Khan, barrister,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales de Courage Ltd, représentée par M. N. Green et Mme M. Gray, barrister, de M. Crehan, représenté par MM. D. Vaughan et M. Brealey, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par MM. J. E. Collins et K. Parker, et de la Commission, représentée par MM. K. Wiedner et N. Khan, à l’audience du 6 février 2001,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 mars 2001,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt


1 Par ordonnance du 16 juillet 1999, parvenue à la Cour le 30 novembre suivant, la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) a posé, en vertu de l’article 234 CE, quatre questions préjudicielles relatives à l’interprétation de l’article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) et d’autres dispositions du droit communautaire.

2 Ces questions ont été soulevées à l’occasion d’un litige opposant la société Courage Ltd (ci-après «Courage») à M. Crehan, débitant de boissons, à propos de livraisons de bière demeurées impayées par ce dernier.

Les faits au principal et les questions préjudicielles

3 En 1990, Courage, une brasserie disposant au Royaume-Uni de 19 % des parts du marché de la vente de bière, et Grand Metropolitan (ci-après «Grand Met»), une société possédant divers intérêts dans l’hôtellerie et la restauration, sont convenues de fusionner leurs débits de boissons (ci-après les «pubs») qu’elles mettent en location. À cette fin, leurs pubs respectifs ont été transférés à Inntrepreneur Estates Ltd (ci-après «IEL»), une société détenue à parts égales par Courage et Grand Met. Un accord conclu entre IEL et Courage prévoyait que tous les locataires d’IEL devaient acheter leur bière exclusivement à Courage. Celle-ci était tenue de livrer les quantités de bière commandées aux prix fixés dans les tarifs applicables aux pubs loués par IEL.

4 IEL soumettait un contrat type de location à ses locataires. Si le niveau du loyer pouvait faire l’objet d’une négociation avec le locataire potentiel, l’obligation d’achat exclusif et les autres clauses du contrat n’étaient pas négociables.

5 En 1991, M. Crehan a conclu avec IEL deux baux de vingt ans assortis d’une obligation d’achat en faveur de Courage. Le loyer était soumis à une révision quinquennale, à la hausse uniquement, pour le porter au niveau du loyer le plus élevé pour la période antérieure ou du meilleur loyer pouvant être obtenu dans un marché ouvert pour le reste de la période selon les autres conditions du contrat de bail. Le débitant devait acheter une quantité minimale de bières spécifiées et IEL a accepté d’obtenir que les types de bières spécifiées soient fournis au débitant par Courage aux prix indiqués dans le tarif de cette dernière.

6 En 1993, Courage, demanderesse au principal, a introduit une action visant à faire condamner M. Crehan, défendeur au principal, au paiement d’un montant de 15 266 GBP correspondant à des livraisons de bière restées impayées. D’une part, M. Crehan a contesté le bien-fondé de cette action en soutenant que l’obligation d’achat était contraire à l’article 85 du traité. D’autre part, il a introduit une demande reconventionnelle en dommages et intérêts.

7 M. Crehan a fait valoir que Courage vendait sa bière aux tenanciers indépendants de pubs à des prix substantiellement plus bas que ceux repris dans la liste des prix appliqués aux débitants locataires d’IEL et liés à elle par une clause d’exclusivité. Il a allégué que cette différence de prix avait pour conséquence de réduire la rentabilité de l’activité des débitants soumis à une telle clause et de les contraindre à mettre fin à leur activité.

8 Le contrat type de location utilisé par Courage, Grand Met et leurs filiales a été notifié à la Commission en 1992. En 1993, celle-ci a publié une communication en application de l’article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), annonçant son intention d’accorder une exemption au titre de l’article 85, paragraphe 3, du traité.

9 La notification a été retirée en octobre 1997 à la suite de l’introduction par IEL d’un nouveau contrat type de location, qui a été également notifié à la Commission. Le nouveau bail n’est cependant pas en cause en l’espèce au principal, les actions intentées concernant la mise en oeuvre de la clause d’achat exclusif au titre de l’ancien bail.

10 Les considérations qui ont conduit la Court of Appeal à poser des questions préjudicielles à la Cour sont les suivantes.

11 Selon la juridiction de renvoi, le droit anglais ne permet pas à une partie à un accord illicite de réclamer des dommages et intérêts à l’autre partie. Il en résulte que, en admettant même que soit fondé le moyen soulevé par M. Crehan au soutien de sa défense, selon lequel le bail qu’il a conclu contrevient à l’article 85 du traité, le droit anglais opposerait une fin de non-recevoir à son action en dommages et intérêts.

12 Par ailleurs, la Court of Appeal avait jugé, dans un arrêt antérieur à la décision de renvoi, sans avoir estimé nécessaire d’interroger la Cour sur ce point, que l’article 85, paragraphe 1, du traité avait pour vocation de protéger les tiers, concurrents ou consommateurs, et non les parties à l’accord illicite. Celles-ci seraient, en effet, les auteurs et non les victimes de la restriction de concurrence.

13 La Court of Appeal relève que la Cour suprême des États-Unis d’Amérique a jugé, dans la décision Perma Life Mufflers Inc. v. Int’l Parts Corp. [392 U S 134 (1968)], qu’une partie à un accord anticoncurrentiel peut, lorsqu’elle est en situation d’infériorité économique, intenter une action en dommages et intérêts contre son cocontractant.

14 Aussi la Court of Appeal s’interroge-t-elle sur la compatibilité avec le droit communautaire de la fin de non-recevoir que le droit anglais opposerait aux prétentions de M. Crehan, décrites au point 6 du présent arrêt.

15 Dans l’hypothèse où le droit communautaire conférerait à une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence une protection juridique analogue à celle qu’offre le droit des États-Unis d’Amérique, la Court of Appeal relève qu’un éventuel conflit existerait entre le principe de l’autonomie procédurale et celui d’une application uniforme du droit communautaire.

16 C’est dans ces conditions qu’elle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 81 CE (ex-article 85) doit-il être interprété en ce sens qu’une partie à un contrat illicite de location d’un débit de boissons contenant une clause d’exclusivité peut invoquer ledit article 81 CE en vue d’obtenir une protection juridictionnelle (relief) à l’encontre de l’autre partie contractante?

2) S’il est répondu à la première question par l’affirmative, la partie qui demande une protection juridictionnelle (relief) est-elle en droit de se voir octroyer des dommages et intérêts pour un préjudice supposé résulter de sa sujétion à la clause du contrat qui contrevient à l’article 81?

3) Une règle de droit national qui prévoit que les organes juridictionnels ne devraient pas permettre à une personne d’invoquer et/ou de se fonder, comme une étape nécessaire pour l’obtention de dommages et intérêts, sur ses propres actions illégales est-elle compatible avec le droit communautaire?

4) Si la réponse à la question 3 est que, dans certaines circonstances, une telle règle peut être incompatible avec le droit communautaire, quelles circonstances la juridiction nationale devrait-elle prendre en considération?»

Sur les questions

17 Par ses première, deuxième et troisième questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de l’article 85 du traité, peut invoquer la violation de cette disposition devant une juridiction nationale en vue d’obtenir à l’encontre de son cocontractant une protection juridictionnelle («relief») et notamment la réparation d’un préjudice dont ladite partie allègue qu’il résulte de son assujettissement à une clause contractuelle contraire audit article 85 et, en conséquence, si le droit communautaire s’oppose à une règle de droit national qui refuse à une personne le droit de se fonder sur ses propres actions illicites aux fins d’obtenir des dommages et intérêts.

18 Dans le cas où le droit communautaire s’oppose à une règle nationale de cette nature, la juridiction nationale cherche à savoir, par sa quatrième question, quelles circonstances doivent être prises en considération pour apprécier le bien-fondé d’une telle demande en dommages et intérêts.

19 Il convient de rappeler, en premier lieu, que le traité a créé un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des États membres et qui s’impose à leurs juridictions, dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants et que, de même qu’il crée des charges dans le chef des particuliers, le droit communautaire est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique; ceux-ci naissent non seulement lorsqu’une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison d’obligations que celui-ci impose d’une manière bien définie tant aux particuliers qu’aux États membres et aux institutions communautaires (voir arrêts du 5 février 1963, Van Gend & Loos, 26/62, Rec. p. 1, 23; du 15 juillet 1964, Costa, 6/64, Rec. p. 1141, 1158 à 1160, et du 19 novembre 1991, Francovich e.a., C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357, point 31).

20 En deuxième lieu, l’article 85 du traité constitue, conformément à l’article 3, sous g), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous g), CE], une disposition fondamentale indispensable pour l’accomplissement des missions conférées à la Communauté et, en particulier, pour le fonctionnement du marché intérieur (voir arrêt du 1er juin 1999, Eco Swiss, C-126/97, Rec. p. I-3055, point 36).

21 Au demeurant, l’importance d’une telle disposition a conduit les auteurs du traité à prévoir expressément, à l’article 85, paragraphe 2, que les accords et décisions interdits en vertu de celle-ci sont nuls de plein droit (voir arrêt Eco Swiss, précité, point 36).

22 Cette nullité, qui peut être invoquée par tous, s’impose au juge dès que les conditions d’application de l’article 85, paragraphe 1, sont réunies et que l’accord concerné ne peut justifier l’octroi d’une exemption au titre de l’article 85, paragraphe 3, du traité (sur ce dernier point, voir, notamment, arrêt du 9 juillet 1969, Portelange, 10/69, Rec. p. 309, point 10). La nullité visée à l’article 85, paragraphe 2, ayant un caractère absolu, un accord nul en vertu de cette disposition n’a pas d’effet dans les rapports entre les contractants et n’est pas opposable aux tiers (voir arrêt du 25 novembre 1971, Béguelin, 22/71, Rec. p. 949, point 29). En outre, elle est susceptible d’affecter tous les effets, passés ou futurs, de l’accord ou de la décision concernés (voir arrêt du 6 février 1973, Brasserie de Haecht, 48/72, Rec. p. 77, point 26).

23 En troisième lieu, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que les articles 85, paragraphe 1, du traité et 86 du traité CE (devenu article 82 CE) produisent des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendrent des droits dans le chef des justiciables que les juridictions nationales doivent sauvegarder (voir arrêts du 30 janvier 1974, BRT et SABAM, dit «BRT I», 127/73, Rec. p. 51, point 16, et du 18 mars 1997, Guérin automobiles/Commission, C-282/95 P, Rec. p. I-1503, point 39).

24 Il résulte des considérations qui précèdent que tout particulier est en droit de se prévaloir en justice de la violation de l’article 85, paragraphe 1, du traité, même lorsqu’il est partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de cette disposition.

25 En ce qui concerne la possibilité de demander réparation du dommage causé par un contrat ou un comportement susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, il y a lieu de rappeler tout d’abord que, ainsi qu’il découle d’une jurisprudence constante, il incombe aux juridictions nationales chargées d’appliquer, dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit communautaire d’assurer le plein effet de ces normes et de protéger les droits qu’elles confèrent aux particuliers (voir, notamment, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77, Rec. p. 629, point 16, et du 19 juin 1990, Factortame e.a., C-213/89, Rec. p. I-2433, point 19).

26 La pleine efficacité de l’article 85 du traité et, en particulier, l’effet utile de l’interdiction énoncée à son paragraphe 1 seraient mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.

27 Un tel droit renforce, en effet, le caractère opérationnel des règles communautaires de concurrence et est de nature à décourager les accords ou pratiques, souvent dissimulés, susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Dans cette perspective, les actions en dommages-intérêts devant les juridictions nationales sont susceptibles de contribuer substantiellement au maintien d’une concurrence effective dans la Communauté.

28 Dans ces conditions, il ne peut être exclu a priori qu’une telle action soit introduite par une partie à un contrat qui serait jugé contraire aux règles de la concurrence.

29 Toutefois, en l’absence de réglementation communautaire en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit communautaire, pour autant que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe de l’équivalence) et qu’elles ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir arrêt du 10 juillet 1997, Palmisani, C-261/95, Rec. p. I-4025, point 27).

30 À cet égard, la Cour a déjà jugé que le droit communautaire ne faisait pas obstacle à ce que les juridictions nationales veillent à ce que la protection des droits garantis par l’ordre juridique communautaire n’entraîne pas un enrichissement sans cause des ayants droit (voir, notamment, arrêts du 4 octobre 1979, Ireks-Arkady/Conseil et Commission, 238/78, Rec. p. 2955, point 14; du 27 février 1980, Just, 68/79, Rec. p. 501, point 26, et du 21 septembre 2000, Michaïlidis, C-441/98 et C-442/98, Rec. p. I-7145, point 31).

31 De même, le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que, à la condition de respecter les principes de l’équivalence et d’effectivité (voir arrêt Palmisani, précité, point 27), le droit national refuse à une partie, dont il est constaté qu’elle porte une responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence, le droit d’obtenir des dommages et intérêts de son cocontractant. En effet, conformément à un principe reconnu dans la plupart des systèmes juridiques des États membres et dont la Cour a déjà fait application (voir arrêt du 7 février 1973, Commission/Italie, 39/72, Rec. p. 101, point 10), un justiciable ne saurait profiter de son propre comportement illicite, lorsque celui-ci est avéré.

32 À cet égard, parmi les éléments d’appréciation susceptibles d’être pris en considération par la juridiction nationale compétente, il y a lieu de mentionner le contexte économique et juridique dans lequel les parties se trouvent ainsi que, comme le gouvernement du Royaume-Uni le relève à juste titre, le pouvoir de négociation et le comportement respectifs des deux parties au contrat.

33 En particulier, il appartient à ladite juridiction d’examiner si la partie qui prétend avoir subi un dommage, en raison de la conclusion d’un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, se trouvait dans une position d’infériorité caractérisée par rapport à l’autre partie, de sorte qu’auraient été sérieusement compromises, voire nulles sa liberté de négocier les clauses dudit contrat ainsi que sa capacité d’éviter le préjudice ou d’en limiter la portée, notamment en utilisant en temps utile toutes les voies de droit qui étaient à sa disposition.

34 Se référant aux arrêts de la Cour du 12 décembre 1967, Brasserie de Haecht (23/67, Rec. p. 525, 537), et du 28 février 1991, Delimitis (C-234/89, Rec. p. I-935, points 14 à 26), la Commission et le gouvernement du Royaume-Uni ont également évoqué à juste titre l’hypothèse d’un contrat qui s’avérerait contraire à l’article 85, paragraphe 1, du traité pour la seule raison qu’il relève d’un réseau de contrats similaires qui produisent un effet cumulatif sur le jeu de la concurrence. Dans une telle hypothèse, le cocontractant du titulaire du réseau peut ne pas porter une responsabilité significative dans la violation de l’article 85, notamment lorsque les termes du contrat lui ont été, en fait, imposés par le titulaire du réseau.

35 Contrairement à ce que soutient Courage, une appréciation différenciée de l’étendue des responsabilités n’est pas contraire à la jurisprudence de la Cour selon laquelle il importe peu, aux fins de l’application de l’article 85 du traité, que les parties à un accord se trouvent ou non sur un pied d’égalité en ce qui concerne leur position et leur fonction économique (voir, notamment, arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429, 493). En effet, cette jurisprudence concerne les conditions d’application de l’article 85 du traité alors que les questions déférées à la Cour dans la présente affaire ont trait à certaines conséquences civiles d’une violation de cette disposition.

36 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que:

— une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de l’article 85 du traité, peut invoquer la violation de cette disposition pour obtenir une protection juridictionnelle («relief») à l’encontre de l’autre partie contractante;

— l’article 85 du traité s’oppose à une règle de droit national interdisant à une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de ladite disposition, de demander des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice occasionné par l’exécution dudit contrat au seul motif que l’auteur de la demande est partie à celui-ci;

— le droit communautaire ne s’oppose pas à une règle de droit national qui refuse à une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence de se fonder sur ses propres actions illicites aux fins d’obtenir des dommages et intérêts, dès lors qu’il est établi que cette partie a une responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

37 Les frais exposés par les gouvernements du Royaume-Uni, français, italien et suédois, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division), par ordonnance du 16 juillet 1999, dit pour droit:

1) Une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de l’article 85 du traité CE (devenu article 81 CE), peut invoquer la violation de cette disposition pour obtenir une protection juridictionnelle («relief») à l’encontre de l’autre partie contractante.

2) L’article 85 du traité s’oppose à une règle de droit national interdisant à une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de ladite disposition, de demander des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice occasionné par l’exécution dudit contrat au seul motif que l’auteur de la demande est partie à celui-ci.

3) Le droit communautaire ne s’oppose pas à une règle de droit national qui refuse à une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence de se fonder sur ses propres actions illicites aux fins d’obtenir des dommages et intérêts, dès lors qu’il est établi que cette partie a une responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence.

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CJCE, n° C-453/99, Arrêt de la Cour, Courage Ltd contre Bernard Crehan et Bernard Crehan contre Courage Ltd et autres, 20 septembre 2001