CJCE, n° C-129/00, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre République italienne, 9 décembre 2003

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Commentaires8

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www.gdr-elsj.eu · 17 octobre 2018

Jean Denis Lefeuvre Dans un arrêt retentissant, la Cour de Justice de l'Union européenne a, pour la première fois, constaté le manquement d'un Etat membre imputable à l'une de ses juridictions suprêmes pour ne pas l'avoir saisie à titre préjudiciel, sur la base de l'article 267 TFUE. L'arrêt Commission c. France rendu le 4 octobre 2018 (C-416/17) demeurera donc dans les annales, étant entendu qu'il s'agit là d'un manquement constitué par le refus du Conseil d'Etat de déférer à son obligation de renvoi. Il interroge quant son caractère anecdotique ou quant à la mise à jour d'un nouveau …

 

blog.landot-avocats.net · 8 octobre 2018

La France vient d'être condamnée par la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) en raison de la politique jurisprudentielle « solo » du Conseil d'Etat, refusant de poser des questions préjudicielles à la CJUE. C'est une première. C'est de l'inédit. Un débat usuellement feutré, donnant lieu tout au plus à des échanges à fleuret (très) moucheté, vient d'exploser avec verdeur. En effet, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) vient de tancer le Conseil d'Etat français (CE) pour avoir tranché tout seul des questions complexes (en l'occurence sur une complexe double …

 

www.revuegeneraledudroit.eu · 4 octobre 2018

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre) 4 octobre 2018 ( *1 ) « Manquement d'État – Articles 49 et 63 TFUE ainsi que article 267, troisième alinéa, TFUE – Imposition en chaîne – Différence de traitement en fonction de l'État membre de résidence de la sous-filiale – Restitution du précompte mobilier indûment prélevé – Exigences relatives aux preuves justifiant une telle restitution – Plafonnement du droit à restitution – Discrimination – Juridiction nationale statuant en dernier ressort – Obligation de renvoi préjudiciel » Dans l'affaire C-416/17, ayant pour objet un recours en manquement …

 
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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 9 déc. 2003, Commission / Italie, C-129/00
Numéro(s) : C-129/00
Arrêt de la Cour du 9 décembre 2003. # Commission des Communautés européennes contre République italienne. # Manquement d'État - Interprétation contraire au droit communautaire d'une loi nationale par la jurisprudence et la pratique administrative - Conditions de répétition de l'indu. # Affaire C-129/00.
Date de dépôt : 4 avril 2000
Précédents jurisprudentiels : 14 janvier 1997, Comateb e.a. ( C192/95 à C218/95
2 octobre 2003, Weber' s Wine World e.a., C-147/01
arrêt du 24 mars 1988, Commission/Italie, 104/86, Rec. p. 1799
Solution : Recours en constatation de manquement : obtention
Identifiant CELEX : 62000CJ0129
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2003:656
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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62000J0129

Arrêt de la Cour du 9 décembre 2003. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement d’État – Interprétation contraire au droit communautaire d’une loi nationale par la jurisprudence et la pratique administrative – Conditions de répétition de l’indu. – Affaire C-129/00.


Recueil de jurisprudence 2003 page 00000


Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Parties


Dans l’affaire C-129/00,

Commission des Communautés européennes , représentée par M. E. Traversa, en qualité d’agent, assisté de Me P. Biavati, avvocato, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République italienne , représentée par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en maintenant en vigueur l’article 29, paragraphe 2, de la loi n° 428, du 29 décembre 1990, intitulée «Disposizioni per l’adempimento di obblighi derivanti dall’appartenenza dell’Italia alle Comunità europee (legge comunitaria per il 1990)» [dispositions en vue de l’application des obligations découlant de l’appartenance de l’Italie aux Communautés européennes (loi communautaire pour l’année 1990)] (GURI n° 10, du 12 janvier 1991, supplément ordinaire, p. 5), tel qu’interprété et appliqué par l’administration et les juridictions, qui admettrait un régime de preuve de la répercussion sur des tiers du montant de taxes perçues en violation de règles communautaires qui rendrait l’exercice du droit au remboursement desdites taxes pratiquement impossible ou, du moins, excessivement difficile pour le contribuable, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE,

LA COUR (assemblée plénière)

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, C. Gulmann, J. N. Cunha Rodrigues et A. Rosas, présidents de chambre, MM. D. A. O. Edward, A. La Pergola, J.-P. Puissochet (rapporteur) et R. Schintgen, Mmes F. Macken et N. Colneric, et M. S. von Bahr, juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l’audience du 2 avril 2003,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 juin 2003,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt


1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 4 avril 2000, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l’article 226 CE, un recours visant à faire constater que, en maintenant en vigueur l’article 29, paragraphe 2, de la loi n° 428, du 29 décembre 1990, intitulée «Disposizioni per l’adempimento di obblighi derivanti dall’appartenenza dell’Italia alle Comunità europee (legge comunitaria per il 1990)» [dispositions en vue de l’application des obligations découlant de l’appartenance de l’Italie aux Communautés européennes (loi communautaire pour l’année 1990)] (GURI n° 10, du 12 janvier 1991, supplément ordinaire, p. 5, ciaprès la «loi n° 428/1990»), tel qu’interprété et appliqué par l’administration et les juridictions, qui admettrait un régime de preuve de la répercussion sur des tiers du montant de taxes perçues en violation de règles communautaires qui rendrait l’exercice du droit au remboursement desdites taxes pratiquement impossible ou, du moins, excessivement difficile pour le contribuable, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE.

Le droit national

2. La loi n° 428/1990 a introduit dans la législation fiscale des règles spéciales en matière de «remboursement des impositions reconnues incompatibles avec les normes communautaires». L’article 29, paragraphe 2, de ladite loi dispose à cet égard:

«Les droits de douane à l’importation, les impôts de fabrication, les impôts de consommation, la surtaxe sur le sucre et les droits d’État perçus en application de dispositions nationales incompatibles avec la législation communautaire sont remboursés, à moins que la charge correspondante ait été répercutée sur d’autres sujets.»

3. Antérieurement, cette question était régie par l’article 19, premier alinéa, du décret-loi n° 688, du 30 septembre 1982 (GURI n° 270, du 30 septembre 1982, p. 7072), converti en loi par la loi n° 873, du 27 novembre 1982 (GURI n° 328, du 29 novembre 1982, p. 8599, ciaprès le «décret-loi n° 688/1982»). Celui-ci disposait:

«Toute personne ayant indûment payé des droits de douane à l’importation, des impôts de fabrication, des impôts de consommation ou des droits d’État […] a droit au remboursement des sommes payées si elle prouve documentairement que la charge correspondante n’a pas été répercutée, de quelque manière que ce soit, sur d’autres personnes, sauf le cas d’erreur matérielle.»

Les antécédents

4. L’article 19 du décret-loi n° 688/1982 a donné lieu à deux arrêts de la Cour. Le premier (arrêt du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199/82, Rec. p. 3595) à la suite d’un renvoi préjudiciel et le second (arrêt du 24 mars 1988, Commission/Italie, 104/86, Rec. p. 1799) dans le cadre d’un recours en manquement intenté par la Commission contre la République italienne.

5. Dans ce dernier arrêt, la Cour a jugé:

«6 […] en l’absence de réglementation communautaire en matière de restitution des taxes nationales perçues en violation du droit communautaire, il incombe aux États membres d’assurer le remboursement de ces taxes, conformément aux dispositions de leur droit interne. Par ailleurs, le droit communautaire n’exige pas d’accorder une restitution de taxes indûment perçues dans des conditions qui entraîneraient un enrichissement sans cause des ayants droit; ainsi, il n’exclut pas qu’il soit tenu compte du fait que la charge de ces taxes a pu être répercutée sur d’autres opérateurs économiques ou sur les consommateurs.

7 Il convient de rappeler enfin, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt [San Giorgio], rendu précisément à propos de l’article 19 du décretloi en cause, que sont incompatibles avec le droit communautaire toutes modalités de preuve dont l’effet est de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’obtention du remboursement de taxes perçues en violation du droit communautaire, et qu’il en est notamment ainsi de présomptions ou des règles de preuve qui visent à rejeter sur le contribuable la charge d’établir que les taxes indûment payées n’ont pas été répercutées sur d’autres sujets, ou de limitations particulières, en ce qui concerne la forme des preuves à rapporter, comme l’exclusion de tout mode de preuve autre que la preuve documentaire.

[…]

11 […] La disposition litigieuse de la législation italienne impose aux opérateurs la charge de la preuve d’un fait négatif, dans la mesure où ils doivent prouver, à l’encontre des seules allégations de l’administration, l’absence de répercussion sur d’autres sujets de la charge fiscale indûment acquittée, et cela au moyen de preuves uniquement documentaires. Une telle disposition est contraire aux règles du droit communautaire telles qu’elles résultent de la jurisprudence de la Cour.»

6. L’article 29, paragraphe 2, de la loi n° 428/1990 a, par la suite, luimême donné lieu à des questions préjudicielles, auxquelles la Cour a répondu dans l’arrêt du 9 février 1999, Dilexport (C343/96, Rec. p. I579). La juridiction de renvoi indiquait que cette disposition est appliquée par les juridictions italiennes en ce sens que, pour s’opposer au remboursement de droits de douane ou d’impôts indûment acquittés, l’administration peut se fonder sur la présomption que ces droits et impôts sont normalement répercutés sur les tiers.

7. La Cour a jugé ce qui suit:

«52 Si, comme le juge national l’estime, il existe une présomption de répercussion sur des tiers des droits et taxes illégalement réclamés ou indûment perçus et s’il est imposé au demandeur de renverser cette présomption pour obtenir le remboursement de la taxe, il y aura lieu de considérer que les dispositions en cause sont contraires au droit communautaire.

53 Si, en revanche, comme le soutient le gouvernement italien, il appartient à l’administration de démontrer, par tous les moyens de preuve généralement admis par le droit national, que la taxe a été répercutée sur d’autres personnes, il y aura lieu de considérer, au contraire, que les dispositions en cause ne sont pas contraires au droit communautaire.

54 Il convient donc de répondre […] que le droit communautaire s’oppose à ce qu’un État membre soumette le remboursement de droits de douane et d’impositions contraires au droit communautaire à une condition, telle que l’absence de répercussion de ces droits ou impositions sur des tiers, dont il appartiendrait au demandeur d’apporter la preuve qu’il y est satisfait.»

La procédure précontentieuse

8. La Commission considère en substance, comme la juridiction de renvoi dans l’affaire à l’origine de l’arrêt Dilexport, précité, que, telles qu’interprétées et appliquées par l’administration et les juridictions italiennes, les dispositions de l’article 29, paragraphe 2, de la loi n° 428/1990 aboutissent au même résultat que celles de l’ancien article 19 du décret-loi n° 688/1982.

9. Après avoir mis la République italienne en mesure de présenter ses observations, la Commission a, le 17 septembre 1997, émis un avis motivé invitant cet État membre à se conformer à ses obligations résultant du traité dans un délai de deux mois. Insatisfaite de la réponse apportée par les autorités italiennes par lettre du 25 novembre 1997, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

Argumentation des parties

10. La Commission fait valoir que, dans l’arrêt du 14 janvier 1997, Comateb e.a. (C192/95 à C218/95, Rec. p. I165, point 25), la Cour a rappelé que, en matière de taxes indirectes, ne saurait être admise une présomption selon laquelle l’assujetti a répercuté la taxe en aval de la chaîne des ventes, imposant à celuici de prouver négativement le contraire s’il veut obtenir le remboursement d’une taxe de cette nature.

11. Or, la Commission expose que la jurisprudence de la Corte suprema di cassazione (Italie) aboutit à instaurer une telle présomption au détriment de l’assujetti qui réclame le remboursement de taxes incompatibles avec le droit communautaire, visées à l’article 29, paragraphe 2, de la loi n° 428/1990. Les motivations des décisions rendues en la matière par cette juridiction seraient variables, mais reposeraient en substance sur l’analyse selon laquelle les sociétés commerciales répercutent les taxes indirectes sur leur clientèle, sauf circonstances exceptionnelles. Le raisonnement le plus élaboré que la Corte suprema di cassazione aurait utilisé pour aboutir à cette conclusion, notamment dans son arrêt du 28 mars 1996, n° 2844, reposerait sur les considérations suivantes:

— l’importateur n’était pas une personne privée, mais une société commerciale ou industrielle;

— l’entreprise présentait une gestion normale, ne correspondant pas à des situations de déficit ou d’insolvabilité, qui auraient permis de supposer des ventes en dessous du prix coûtant;

— l’imposition indue avait été effectuée par toutes les douanes italiennes, ce qui ne pouvait pas ne pas avoir créé un climat de confiance quant à sa légalité;

— l’imposition indue avait été appliquée pendant une longue période et sans contestation.

12. Selon la Commission, la Corte suprema di cassazione s’appuie aussi sur la supposition que les entreprises commerciales répercutent normalement sur des tiers les taxes indirectes, pour considérer que les demandes en justice formulées par l’administration afin d’obtenir la production des documents comptables des entreprises concernées ou l’inspection de celles-ci n’ont pas un caractère purement exploratoire, ce qui les rendrait illégitimes, mais constituent un moyen valable pour lui permettre d’apporter la preuve qu’une telle répercussion a eu lieu.

13. De plus, la Corte suprema di cassazione jugerait, sur le fondement de l’article 116 du code de procédure civile italien, que la nonprésentation de documents comptables à la suite d’une telle demande, ajoutée à la présomption selon laquelle les taxes sont normalement répercutées, établit la preuve que tel a bien été le cas. La Commission indique qu’une solution identique est appliquée même lorsque l’entreprise ne présentant pas ces documents expose que ceuxci n’ont pas été conservés en raison de l’expiration du délai de conservation obligatoire de dix ans prévu par le code civil italien. Or, compte tenu des délais de plusieurs années qui peuvent s’écouler entre une demande en justice de production de documents comptables et la décision juridictionnelle sur ce point, une obligation de conservation de ces documents audelà du délai légal de conservation serait excessive pour les entreprises, notamment en raison des frais élevés et des problèmes de stockage qu’elle entraînerait. Elle constituerait ainsi un obstacle supplémentaire au remboursement effectif de taxes contraires au droit communautaire.

14. La Commission indique que de nombreuses juridictions de fond suivent ces principes, de même que certains experts désignés dans les procédures judiciaires pour examiner les documents comptables des assujettis et déterminer si ces derniers ont, ou non, répercuté les taxes en cause. Elle fournit à cet égard des exemples.

15. Or, cette approche instaurerait de facto une présomption de répercussion sur des tiers, par les assujettis, des taxes contraires au droit communautaire dont ils demandent le remboursement, présomption qu’il leur appartiendrait alors de réfuter en apportant la preuve contraire, en méconnaissance de ce que la Cour aurait jugé au point 52 de l’arrêt Dilexport, précité.

16. La Commission ajoute que le raisonnement en cause est illogique, car il partirait de la prémisse selon laquelle les entreprises répercutent normalement les taxes indirectes pour établir une présomption ayant exactement le même contenu que cette prémisse. Les éléments parfois utilisés dans ce raisonnement, relatifs à la qualité d’entreprise et à l’absence d’insolvabilité du demandeur, de même qu’à l’application généralisée et durable des impositions contestées, ne seraient nullement pertinents. Ainsi, un entrepreneur qui ne répercute pas des taxes sur des tiers pourrait simplement réaliser un bénéfice moindre, mais ne ferait pas nécessairement faillite. Déduire de l’absence d’insolvabilité la réalité d’une répercussion des taxes serait arbitraire.

17. La Commission expose que l’administration italienne ne respecte pas non plus les principes applicables au remboursement de taxes contraires au droit communautaire. Les circulaires du ministre des Finances n° 21/2/VII, du 11 mars 1994, et n° 480/VIII, du 12 avril 1995, indiqueraient en substance que la répercussion des taxes sur des tiers est établie si ces taxes n’ont pas été comptabilisées, dès l’année de leur versement, en tant qu’avances au Trésor public pour impôt non dû, comme créances à l’actif du bilan de l’entreprise qui en réclame le remboursement. Le défaut d’une telle comptabilisation montrerait que l’entreprise a considéré les taxes en cause comme des coûts normaux et les a nécessairement répercutées. La Commission considère que cette approche conduit à imposer une obligation excessive aux entreprises, surtout s’agissant des années antérieures à la constatation de la nonconformité de ces taxes avec le droit communautaire.

18. La Commission fait valoir que, même si certains contribuables finissent par obtenir gain de cause devant le juge du fond, au prix, selon elle, de procès longs et coûteux, cette circonstance est insuffisante pour conclure au respect du principe d’effectivité, selon lequel les modalités procédurales nationales appliquées aux demandes fondées sur les droits que les justiciables tirent du droit communautaire ne doivent pas rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice de ces droits. Au demeurant, les recours couronnés de succès de certains contribuables, qui leur ont permis, selon le gouvernement italien, d’obtenir le remboursement de 120 milliards de ITL entre 1992 et 2000, hors intérêts et dépens, seraient insignifiants par rapport aux sommes faisant l’objet, en la matière, de contentieux. La Commission prétend que le principe d’effectivité ne serait respecté que si les cas de rejet de demandes de remboursement étaient exceptionnels et soutient que l’exercice des droits tirés du traité ne saurait être entravé par des mesures générales motivées par une présomption d’abus de droit.

19. Le gouvernement italien reproche à la Commission de se livrer à des spéculations et de négliger les données réelles. Seule la constatation effective que les contribuables ayant acquitté des taxes contraires au droit communautaire ne parviennent pas, ou parviennent très difficilement, à en obtenir le remboursement pourrait caractériser la méconnaissance du principe d’effectivité. À cet égard, outre le montant des sommes remboursées en principal mentionné au point précédent, le gouvernement italien fait valoir 17 arrêts ou jugements émanant de différentes juridictions du fond, qui auraient donné gain de cause aux contribuables et seraient passés en force de chose jugée.

20. S’agissant de l’éventualité d’une mesure d’instruction de la Cour visant à quantifier le pourcentage des demandes de remboursement satisfaites par rapport à l’ensemble de celles qui ont été introduites, le gouvernement italien soutient que l’application d’une telle mesure équivaudrait à reporter sur la Cour la charge de la preuve du manquement que la Commission allègue et que cette dernière devrait être à même de prouver à l’issue de la phase précontentieuse.

21. À titre subsidiaire, le gouvernement italien analyse dans leur principe les modalités d’exercice du droit à répétition de l’indu critiquées par la Commission et souligne, en premier lieu, que la Commission admet que le texte de l’article 29, paragraphe 2, de la loi n° 428/1990 est en luimême compatible avec le droit communautaire. Selon lui, ce texte impose à l’administration de démontrer que le contribuable a répercuté la taxe sur des tiers pour échapper à l’obligation de rembourser le montant de celle-ci.

22. Le gouvernement italien rappelle, en second lieu, que, au point 25 de l’arrêt Comateb e.a., précité, la Cour a jugé que «la répercussion effective, partielle ou totale [d’une taxe indirecte] dépend de plusieurs facteurs qui entourent chaque transaction commerciale et la différencient d’autres cas situés dans d’autres contextes» et que, «[e]n conséquence, la question de la répercussion ou de la nonrépercussion dans chaque cas d’une taxe indirecte constitue une question de fait qui relève de la compétence du juge national qui est libre dans l’appréciation des preuves». Le gouvernement italien fait valoir que, dans ses conclusions dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Dilexport, précité, l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer a ajouté que le juge national pouvait faire appel à tous les moyens de preuve autorisés en droit interne pour établir les faits. Ce gouvernement expose que la Corte suprema di cassazione n’est pas juge du fond, mais se borne à poser certains principes généraux d’administration de la preuve, en fonction de circonstances procédurales qui peuvent considérablement varier selon les litiges. Le juge du fond pourrait parfaitement retenir des mécanismes déductifs comme moyen de preuve. Les décisions de justice favorables aux contribuables produites dans la présente instance constateraient simplement que l’administration n’a pas prouvé la répercussion des taxes.

23. Quant à l’administration, sur laquelle pèserait la charge de cette preuve, il serait légitime qu’elle demande l’accès aux comptes du demandeur, car seule cette mesure d’instruction lui permettrait d’apporter cette preuve et elle n’aurait, par conséquent, nullement un caractère exploratoire. Lorsque le demandeur ne présente pas ses comptes spontanément, il serait normal que, s’il poursuit ses prétentions en justice, l’administration sollicite cette présentation par la même voie. Tel serait le sens des deux circulaires ministérielles mentionnées au point 17 du présent arrêt et critiquées par la Commission. Le gouvernement italien précise que le juge ne considère le défaut de présentation des comptes comme un argument en faveur de l’administration que si la demande de présentation de ces documents a été déposée avant l’expiration du délai légal de conservation. Dans ce cas, même si le juge ne se prononce sur ladite demande que postérieurement à cette expiration, un devoir de loyauté dans le procès imposerait au contribuable de conserver ses comptes et de les présenter à la suite de la décision du juge d’accéder à cette demande (arrêt de la Corte suprema di cassazione du 18 novembre 1994, n° 9797).

24. Le gouvernement italien ajoute que, même si de longues procédures sont parfois nécessaires pour obtenir un remboursement, les inconvénients liés à cette durée sont compensés par l’octroi d’intérêts sur les sommes dues.

Appréciation de la Cour

25. Ainsi que le rappelle une jurisprudence constante, en l’absence de réglementation communautaire en matière de restitution de taxes nationales indûment perçues, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire, pour autant, d’une part, que ces modalités ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et, d’autre part, qu’elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir, notamment, arrêts du 16 décembre 1976, Rewe, 33/76, Rec. p. 1989, point 5, et du 24 septembre 2002, Grundig Italiana, C255/00, Rec. p. I8003, point 33).

26. S’agissant de l’article 29, paragraphe 2, de la loi n° 428/1990, comme rappelé au point 7 du présent arrêt et compte tenu des divergences d’interprétation de cette disposition, l’arrêt Dilexport, précité, rendu dans le contexte d’une affaire préjudicielle où il appartenait au juge national de trancher le litige, a indiqué que, s’il existait une présomption de répercussion sur des tiers des droits et taxes illégalement réclamés ou indûment perçus et s’il était imposé au demandeur de renverser cette présomption pour obtenir le remboursement de la taxe, il y aurait lieu de considérer que la disposition en cause est contraire au droit communautaire.

27. Dans le cadre du présent recours en manquement, il appartient en revanche à la Cour de déterminer ellemême si, compte tenu des éléments invoqués par la Commission, l’application faite par les autorités italiennes de l’article 29, paragraphe 2, de la loi n° 428/1990 conduit effectivement à instaurer une telle présomption ou amène d’une autre façon à rendre l’exercice du droit au remboursement de ces taxes en pratique impossible ou excessivement difficile, auxquels cas il y aurait lieu de constater le manquement de la République italienne.

28. Le grief présenté par la Commission à l’appui de son recours présente trois aspects. En premier lieu, de nombreuses juridictions italiennes, en particulier de manière constante la Corte suprema di cassazione, estimeraient établie la répercussion des taxes sur des tiers du seul fait que le demandeur est une entreprise commerciale, en y ajoutant parfois les motifs que l’entreprise n’est pas faillie et que la taxe a été perçue pendant des années sur l’ensemble du territoire national sans contestations. En deuxième lieu, l’administration demanderait systématiquement la production des documents comptables du demandeur. Les juridictions saisies en cas d’opposition de celui-ci accéderaient à cette demande en retenant le même type de motifs que ceux évoqués ci-dessus et elles interpréteraient de manière défavorable au demandeur le défaut de production desdits documents alors même que le délai légal de conservation de ces derniers aurait expiré. En troisième lieu, l’administration considérerait que l’absence de comptabilisation du montant des taxes en cause, dès l’année de leur versement, en tant qu’avances au Trésor public pour impôt non dû, comme créances à l’actif du bilan de l’entreprise qui en réclame le remboursement, prouve que lesdites taxes ont été répercutées sur des tiers.

29. Un manquement d’un État membre peut être en principe constaté au titre de l’article 226 CE quel que soit l’organe de cet État dont l’action ou l’inaction est à l’origine du manquement, même s’il s’agit d’une institution constitutionnellement indépendante (arrêt du 5 mai 1970, Commission/Belgique, 77/69, Rec. p. 237, point 15).

30. La portée des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales doit s’apprécier compte tenu de l’interprétation qu’en donnent les juridictions nationales (voir, notamment, arrêt du 8 juin 1994, Commission/RoyaumeUni, C382/92, Rec. p. I2435, point 36).

31. En l’espèce est en cause l’article 29, paragraphe 2, de la loi n° 428/1990 qui prévoit que les droits et taxes perçus en application de dispositions nationales incompatibles avec la législation communautaire sont remboursés, à moins que la charge correspondante ait été répercutée sur d’autres sujets. Une telle disposition est en elle-même neutre au regard du droit communautaire tant en ce qui concerne la charge de la preuve que la taxe a été répercutée sur d’autres personnes que les modes de preuve admissibles à cette fin. Sa portée doit être déterminée compte tenu de l’interprétation qu’en donnent les juridictions nationales.

32. À cet égard, des décisions de justice isolées ou fortement minoritaires dans un contexte jurisprudentiel marqué par une autre orientation, ou encore une interprétation démentie par la juridiction suprême nationale, ne sauraient être prises en compte. Il n’en est pas de même d’une interprétation jurisprudentielle significative non démentie par ladite juridiction suprême, voire confirmée par celleci.

33. Lorsqu’une législation nationale fait l’objet d’interprétations juridictionnelles divergentes pouvant être prises en compte, les unes aboutissant à une application de ladite législation compatible avec le droit communautaire, les autres aboutissant à une application incompatible avec celui-ci, il y a lieu de constater que, à tout le moins, cette législation n’est pas suffisamment claire pour assurer une application compatible avec le droit communautaire.

34. En l’occurrence, le gouvernement italien ne conteste pas qu’un certain nombre d’arrêts de la Corte suprema di cassazione aboutissent, sur la base d’un raisonnement déductif, à la conclusion que, sauf preuve contraire, des entreprises commerciales se trouvant dans une situation normale répercutent en aval de la chaîne des ventes une taxe indirecte, en particulier si celle-ci est perçue sur l’ensemble du territoire national pendant une période appréciable et sans contestations. Le gouvernement italien se limite en effet à exposer que de nombreux juges du fond ne se contentent pas d’un tel raisonnement pour considérer comme établie la preuve d’une telle répercussion et à fournir des exemples de contribuables ayant obtenu le remboursement de taxes contraires au droit communautaire, l’administration n’ayant pas réussi dans ces cas à prouver à la juridiction saisie qu’ils avaient répercuté lesdites taxes.

35. Or, le raisonnement suivi dans les arrêts évoqués de la Corte suprema di cassazione repose lui-même sur une prémisse qui n’est qu’une présomption, à savoir que les taxes indirectes seraient en principe répercutées en aval de la chaîne des ventes par les opérateurs économiques lorsqu’ils en ont la possibilité. Les autres éléments pris le cas échéant en compte, à savoir le caractère commercial de l’activité du contribuable et le fait que sa situation financière ne soit pas dégradée, ainsi que la perception de la taxe en cause sur l’ensemble du territoire national pendant une période appréciable et sans contestations, ne permettent en effet de conclure qu’une entreprise ayant exercé son activité dans un tel contexte a effectivement répercuté les taxes en cause que si l’on s’appuie sur la prémisse selon laquelle tout opérateur économique procède ainsi, sauf dans des circonstances particulières telles que l’absence de l’un ou l’autre desdits éléments. Cependant, ainsi que la Cour l’a déjà jugé (voir arrêts San Giorgio, précité, points 14 et 15; du 25 février 1988, Bianco et Girard, 331/85, 376/85 et 378/85, Rec. p. I1099, point 17; Commission/Italie, précité, point 7, et Comateb e.a., précité, point 25), et pour les raisons économiques rappelées par M. l’avocat général aux points 73 à 80 de ses conclusions, une telle prémisse ne se vérifie pas dans un certain nombre de circonstances et constitue une simple présomption qui ne saurait être admise dans le contexte de l’examen de demandes de remboursement de taxes indirectes contraires au droit communautaire.

36. S’agissant de l’exigence de production des documents comptables de l’entreprise qui demande le remboursement de taxes contraires au droit communautaire, posée comme condition préalable à tout remboursement, il faut tenir compte des considérations qui suivent.

37. Une telle exigence, concernant les années pour lesquelles le remboursement est demandé et formulée pendant la période au cours de laquelle les documents comptables en cause doivent obligatoirement être conservés, ne saurait être considérée en elle-même comme un renversement, au détriment des assujettis, de la charge de la preuve de la non-répercussion des taxes sur des tiers. Ces documents apportent en effet des données factuelles neutres à partir desquelles, notamment, l’administration peut tenter de démontrer que les taxes ont été répercutées sur d’autres sujets (voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 2003, Weber’s Wine World e.a., C-147/01, non encore publié au Recueil, point 115). Dans ces conditions, sauf circonstances exceptionnelles dont pourrait se prévaloir le demandeur, le défaut de production des documents comptables lorsqu’ils sont demandés par l’administration peut être considéré par celle-ci ou par le juge comme un élément à prendre en compte dans la démonstration que les taxes ont été répercutées sur des tiers. Toutefois, cet élément ne saurait suffire à lui seul pour présumer que lesdites taxes ont été répercutées sur des tiers, ni, à plus forte raison, pour faire peser sur le demandeur la charge de renverser une telle présomption en apportant la preuve contraire (voir, en ce sens, arrêt Weber’s Wine World e.a., précité, point 116).

38. En tout état de cause, dans les situations où l’administration demanderait la production de ces documents après l’expiration de leur délai de conservation légal et où l’assujetti serait en défaut de les fournir, le fait d’en tirer la conclusion que celuici a répercuté les taxes en cause sur des tiers ou d’en tirer la même conclusion sous réserve de la preuve contraire apportée par l’assujetti reviendrait à instaurer une présomption au détriment de ce dernier conduisant à rendre excessivement difficile l’exercice du droit au remboursement de taxes contraires au droit communautaire.

39. En ce qui concerne la circonstance que l’administration estime la répercussion d’une taxe sur les tiers établie lorsque le montant de cette taxe n’a pas été comptabilisé, dès l’année de son versement, en tant qu’avance au Trésor public pour impôt non dû, comme créance à l’actif du bilan de l’entreprise qui en demande le remboursement, il y a lieu de constater ce qui suit.

40. Ce raisonnement conduit à instaurer une présomption injustifiée au détriment du demandeur. En effet, compte tenu des conditions dans lesquelles une demande de remboursement de taxe intervient, porter le montant de cette taxe à l’actif du bilan dès l’année de son versement suppose que l’assujetti estime immédiatement pouvoir contester avec de fortes chances de succès son paiement, alors que, aux termes mêmes de l’article 29, paragraphe 1, de la loi n° 428/1990, il dispose d’un délai de plusieurs années pour introduire cette demande. En outre l’assujetti peut très bien, même s’il conteste le paiement de la taxe, juger ses chances de succès insuffisamment certaines pour prendre le risque de comptabiliser le montant correspondant à l’actif. À cet égard, compte tenu des difficultés à obtenir une suite favorable à une demande de remboursement dans les conditions exposées dans la présente affaire, une telle inscription pourrait même s’avérer contraire aux principes d’une comptabilité régulière. De plus, estimer la répercussion de la taxe sur des tiers établie au motif que son montant n’est pas porté comme créance à l’actif repose déjà sur la présomption que les taxes indirectes sont normalement répercutées en aval de la chaîne des ventes, présomption qui a été déclarée contraire au droit communautaire dans le cadre de l’examen du premier aspect critiqué par la Commission.

41. Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en ne modifiant pas l’article 29, paragraphe 2, de la loi n° 428/1990, qui est interprété et appliqué par l’administration et une part significative des juridictions, y compris la Corte suprema di cassazione, d’une manière telle que l’exercice du droit au remboursement de taxes perçues en violation de règles communautaires est rendu excessivement difficile pour le contribuable, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

42. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. En l’occurrence, la République italienne a succombé et la Commission a conclu à sa condamnation aux dépens. Il y a donc lieu de condamner cet État membre aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (assemblée plénière)

déclare et arrête:

1) En ne modifiant pas l’article 29, paragraphe 2, de la loi n° 428, du 29 décembre 1990, intitulée «Disposizioni per l’adempimento di obblighi derivanti dall’appartenenza dell’Italia alle Comunità europee (legge comunitaria per il 1990) [dispositions en vue de l’application des obligations découlant de l’appartenance de l’Italie aux Communautés européennes (loi communautaire pour l’année 1990)], qui est interprété et appliqué par l’administration et une part significative des juridictions, y compris la Corte suprema di cassazione (Italie), d’une manière telle que l’exercice du droit au remboursement de taxes perçues en violation de règles communautaires est rendu excessivement difficile pour le contribuable, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité CE.

2) La République italienne est condamnée aux dépens.

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CJCE, n° C-129/00, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre République italienne, 9 décembre 2003