CJUE, n° C-20/15, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre World Duty Free Group SA e.a, 21 décembre 2016

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

21 décembre 2016 ( *1 )

«Pourvoi — Aides d’État — Article 107, paragraphe 1, TFUE — Régime fiscal — Impôt sur les sociétés — Déduction — Amortissement de la survaleur résultant de prises de participations d’au moins 5 % par des entreprises fiscalement domiciliées en Espagne dans des entreprises fiscalement domiciliées en dehors de cet État membre — Notion d’“aide d’État” — Condition relative à la sélectivité»

Dans les affaires jointes C-20/15 P et C-21/15 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits le 19 janvier 2015,

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal, B. Stromsky, et C. Urraca Caviedes ainsi que par Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

World Duty Free Group SA, anciennement Autogrill España SA, établie à Madrid (Espagne) (C-20/15 P),

Banco Santander SA, établie à Santander (Espagne) (C-21/15 P),

Santusa Holding SL, établie à Boadilla del Monte (Espagne) (C-21/15 P),

représentées par Mes J. L. Buendía Sierra, E. Abad Valdenebro et R. Calvo Salinero, abogados,

parties demanderesses en première instance,

soutenues par :

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,

Irlande, représentée par Mmes G. Hodge et E. Creedon, en qualité d’agents, assistées de M. B. Doherty, barrister, et de Mme A. Goodman, barrister,

Royaume d’Espagne, représenté par M. M. A. Sampol Pucurull, en qualité d’agent,

parties intervenantes au pourvoi,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. T. von Danwitz, J. L. da Cruz Vilaça, E. Juhász et Mme A. Prechal (rapporteur), présidents de chambre, MM. A. Borg Barthet, J. Malenovský, E. Jarašiūnas, F. Biltgen, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, juges,

avocat général : M. M. Wathelet,

greffier : M. V. Tourrès, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 31 mai 2016,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 juillet 2016,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi dans l’affaire C-20/15 P, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 7 novembre 2014, Autogrill España/Commission (T-219/10, ci-après l’« arrêt attaqué Autogrill España/Commission », EU:T:2014:939), par lequel celui-ci a annulé l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 4 de la décision 2011/5/CE de la Commission, du 28 octobre 2009, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 7, p. 48, ci-après la « première décision litigieuse »).

2

Par son pourvoi dans l’affaire C-21/15 P, la Commission demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission (T-399/11, ci-après l’« arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission », EU:T:2014:938), par lequel celui-ci a annulé l’article 1er, paragraphe 1, et l’article 4 de la décision 2011/282/UE de la Commission, du 12 janvier 2011, relative à l’amortissement fiscal de la survaleur financière en cas de prise de participations étrangères C 45/07 (ex NN 51/07, ex CP 9/07) appliqué par l’Espagne (JO 2011, L 135, p. 1, ci-après la « seconde décision litigieuse »).

Les antécédents des litiges

3

Les antécédents des litiges tels qu’ils ressortent des arrêts attaqués peuvent être résumés comme suit.

4

Le 10 octobre 2007, à la suite de plusieurs questions écrites posées à la Commission au cours des années 2005 et 2006 par des membres du Parlement européen ainsi qu’à la suite d’une plainte d’un opérateur privé dont elle avait été le destinataire au cours de l’année 2007, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen à l’encontre du dispositif prévu à l’article 12, paragraphe 5, introduit dans la loi espagnole relative à l’impôt sur les sociétés par la Ley 24/2001, de Medidas Fiscales, Administrativas y del Orden Social (loi 24/2001, portant adoption de mesures fiscales, administratives et d’ordre social), du 27 décembre 2001 (BOE no 313, du 31 décembre 2001, p. 50493), et repris par le Real Decreto Legislativo 4/2004, por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Impuesto sobre Sociedades (décret législatif royal 4/2004, portant approbation du texte remanié de la loi relative à l’impôt sur les sociétés), du 5 mars 2004 (BOE no 61, du 11 mars 2004, p. 10951) (ci-après la « mesure litigieuse »).

5

La mesure litigieuse prévoit que, dans le cas d’une prise de participation d’une entreprise imposable en Espagne dans une « société étrangère », lorsque cette prise de participation est d’au moins 5 % et que la participation en cause est détenue de manière ininterrompue pendant au moins un an, la survaleur en résultant, enregistrée dans la comptabilité de l’entreprise comme actif incorporel distinct, peut être déduite, sous forme d’amortissement, de l’assiette imposable de l’impôt sur les sociétés dont l’entreprise est redevable. La mesure litigieuse précise que, pour être qualifiée de « société étrangère », une société doit être assujettie à un impôt identique à l’impôt applicable en Espagne et ses revenus doivent provenir essentiellement de la réalisation d’activités à l’étranger.

6

Aux points 10 à 13 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission, identiques aux points 15 à 18 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, le Tribunal a fourni les précisions suivantes :

« 10

Il résulte de la [première] décision [litigieuse] que, selon la loi espagnole, un regroupement d’entreprises est une opération par laquelle une ou plusieurs entreprises transmettent, au moment de leur dissolution sans liquidation, à une autre entreprise préexistante ou à une entreprise qu’elles créent, leurs patrimoines sociaux respectifs, au moyen de l’attribution à leurs actionnaires de valeurs représentatives du capital de l’autre entreprise (considérant 23 de la [première] décision [litigieuse] [, identique au considérant 32 de la seconde décision litigieuse]).

11

Une prise de participation est définie dans la [première] décision [litigieuse] comme étant une opération par laquelle une entreprise acquiert des actions dans le capital d’une autre entreprise sans obtenir une majorité ou le contrôle des droits de vote de l’entreprise acquise (considérant 23 de la [première] décision [litigieuse][, identique au considérant 32 de la seconde décision litigieuse]).

12

Par ailleurs, il est indiqué, dans la [première] décision [litigieuse], que, conformément à la mesure litigieuse, la survaleur financière est déterminée en déduisant la valeur de marché des actifs corporels et incorporels de l’entreprise acquise du prix payé pour la prise de participation. Il est également précisé que le concept de survaleur financière, tel que visé par la mesure litigieuse, introduit, dans le domaine des prises de participations, une notion généralement utilisée dans la transmission d’actifs ou dans des transactions de regroupement d’entreprises (considérant 20 de la [première] décision [litigieuse][, identique au considérant 29 de la seconde décision litigieuse]).

13

Enfin, il convient de relever que, selon le droit fiscal espagnol, une prise de participation d’une entreprise imposable en Espagne dans une société établie en Espagne ne permet pas de comptabiliser séparément, à des fins fiscales, la survaleur résultant de cette acquisition. En revanche, toujours selon le droit fiscal espagnol, la survaleur [ne] peut être amortie [qu’]en cas de regroupement d’entreprises (considérant 19 de la [première] décision [litigieuse] [, identique au considérant 28 de la seconde décision litigieuse]). »

7

Par la première décision litigieuse, la Commission a clôturé la procédure en ce qui concerne les prises de participations réalisées au sein de l’Union européenne.

8

À l’article 1er, paragraphe 1, de cette décision, la Commission a déclaré incompatible avec le marché commun le régime instauré par la mesure litigieuse (ci-après le « régime litigieux »), consistant en un avantage fiscal accordé aux entreprises imposables en Espagne afin de permettre à ces dernières d’amortir la survaleur résultant de prises de participations dans des entreprises étrangères, lorsqu’il s’appliquait à des prises de participations dans des entreprises établies au sein de l’Union. À l’article 4 de ladite décision, elle a enjoint au Royaume d’Espagne de récupérer les aides accordées au titre de ce régime.

9

La Commission a toutefois maintenu ouverte la procédure en ce qui concerne les prises de participations réalisées en dehors de l’Union, les autorités espagnoles s’étant engagées à fournir des éléments nouveaux relatifs aux obstacles aux fusions transfrontalières existant en dehors de l’Union.

10

Par la seconde décision litigieuse, la Commission a déclaré incompatible avec le marché commun le régime litigieux, consistant en un avantage fiscal accordé aux entreprises imposables en Espagne afin de permettre à ces dernières d’amortir la survaleur résultant de prises de participations dans des entreprises étrangères, lorsqu’il s’appliquait à des prises de participations dans des entreprises établies en dehors de l’Union (article 1er, paragraphe 1, de cette décision), et a enjoint au Royaume d’Espagne de récupérer les aides accordées au titre de ce régime (article 4 de ladite décision).

Les procédures devant le Tribunal et les arrêts attaqués

11

Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mai 2010, Autogrill España SA, devenue World Duty Free Group SA (ci-après « WDFG »), a introduit un recours tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 4 de la première décision litigieuse.

12

À l’appui de son recours en tant qu’il est dirigé contre l’article 1er, paragraphe 1, de cette décision, WDFG a soulevé quatre moyens, tirés, le premier, d’une erreur de droit dans l’application faite par la Commission de la condition relative à la sélectivité, le deuxième, d’une absence de sélectivité de la mesure litigieuse au motif que la différenciation qu’elle introduit résulterait de la nature ou de l’économie du système dans lequel elle s’inscrit, le troisième, de ce que cette mesure ne procurerait aucun avantage aux sociétés auxquelles s’applique le régime litigieux et, le quatrième, s’agissant tant de la condition relative à la sélectivité que de celle relative à l’existence d’un avantage, d’un défaut de motivation de ladite décision.

13

Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 29 juillet 2011, Banco Santander SA et Santusa Holding SL (ci-après « Santusa ») ont introduit un recours tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 4 de la seconde décision litigieuse.

14

À l’appui de leur recours en tant qu’il est dirigé contre l’article 1er, paragraphe 1, de cette décision, Banco Santander et Santusa ont soulevé cinq moyens, tirés, le premier, d’une erreur de droit dans l’application faite par la Commission de la condition relative à la sélectivité, le deuxième, d’une erreur dans l’identification du système de référence, le troisième, d’une absence de sélectivité de la mesure litigieuse au motif que la différenciation qu’elle introduit résulterait de la nature ou de l’économie du système dans lequel elle s’inscrit, le quatrième, du fait que cette mesure ne procurerait aucun avantage aux sociétés auxquelles s’applique le régime litigieux et, le cinquième, s’agissant tant de la condition relative à la sélectivité que de celle relative à l’existence d’un avantage, d’un défaut de motivation de ladite décision.

15

Par les arrêts attaqués, le Tribunal a accueilli, sur le fondement de motifs en substance identiques, le premier moyen des deux recours, tiré d’une application erronée de l’article 107, paragraphe 1, TFUE au regard de la condition relative à la sélectivité, et a, par conséquent, sans examiner les autres moyens des recours, annulé l’article 1er, paragraphe 1, des décisions litigieuses ainsi que l’article 4 de celles-ci.

Les conclusions des parties et les procédures devant la Cour

16

La Commission demande à la Cour :

d’annuler les arrêts attaqués ;

de renvoyer les affaires respectives devant le Tribunal, et

de réserver les dépens.

17

WDFG, dans l’affaire C-20/15 P, ainsi que Banco Santander et Santusa, dans l’affaire C-21/15 P, demandent à la Cour de rejeter les pourvois, de confirmer les arrêts attaqués et de condamner la Commission aux dépens.

18

Par décisions du président de la Cour du 19 mai 2015, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande et le Royaume d’Espagne ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de WDFG dans l’affaire C-20/15 P ainsi que de Banco Santander et de Santusa dans l’affaire C-21/15 P.

19

En revanche, par ordonnances du président de la Cour du 6 octobre 2015, les demandes d’intervention de Telefónica SA et d’Iberdrola SA, au soutien des conclusions de WDFG, dans l’affaire C-20/15 P, ainsi que de Banco Santander et de Santusa, dans l’affaire C-21/15 P, ont été rejetées.

Sur les pourvois

20

Au soutien de ses pourvois, la Commission fait valoir un moyen unique identique, articulé en deux branches, tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’interprétation de la condition relative à la sélectivité telle que posée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

Sur la première branche du moyen unique

Argumentation des parties

21

Par la première branche de son moyen unique, la Commission reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en lui imposant, afin de démontrer le caractère sélectif d’une mesure, l’obligation de déterminer un groupe d’entreprises ayant des caractéristiques propres.

22

La Commission soutient que, dans les décisions litigieuses, elle s’est strictement conformée à la méthode d’analyse relative à la sélectivité en matière fiscale, telle que consacrée par la jurisprudence constante de la Cour. Elle a ainsi établi que la mesure litigieuse constituait une dérogation par rapport à un cadre de référence, en ce que celle-ci prévoyait, pour les entreprises imposables en Espagne effectuant des prises de participations d’au moins 5 % dans des sociétés établies à l’étranger, un traitement fiscal distinct de celui applicable aux entreprises imposables en Espagne effectuant une acquisition identique dans des sociétés établies en Espagne, alors même que ces deux catégories d’entreprises se trouvaient dans des situations comparables au regard de l’objectif poursuivi par le régime général espagnol de l’impôt sur les sociétés.

23

Elle estime que le Tribunal, en lui imposant la charge supplémentaire de démontrer que la mesure litigieuse favorise certaines entreprises pouvant être identifiées du fait de leurs caractéristiques spécifiques que les autres entreprises ne possèdent pas, c’est-à-dire des caractéristiques propres et identifiables ex ante, a commis une erreur de droit en ce que, ce faisant, le Tribunal a retenu une conception plus restrictive de la condition relative à la sélectivité que celle consacrée par la Cour.

24

La Commission soutient, en particulier, que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal aux points 57 et 58 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 61 et 62 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, des mesures peuvent être qualifiées de sélectives même si celles-ci s’appliquent indépendamment de la nature des activités du bénéficiaire et prévoient un avantage fiscal pour certaines opérations d’investissement sans fixer un montant d’investissement minimal.

25

Dans ce contexte, le Tribunal aurait déduit de manière erronée de l’arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C-143/99, EU:C:2001:598), qu’une mesure nationale dont l’application est indépendante de la nature de l’activité des entreprises n’est, a priori, pas sélective. L’affirmation figurant au point 36 de cet arrêt, selon laquelle « les mesures nationales telles que celles en cause au principal ne constituent pas des aides d’État […] lorsqu’elles s’appliquent à toutes les entreprises situées sur le territoire national, indépendamment de l’objet de leur activité », devrait en effet être comprise en ce sens que l’absence de sélectivité découle du fait que la mesure nationale s’applique sans distinction à toutes les entreprises dans l’État membre concerné.

26

La Commission reproche également au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en jugeant, aux points 59 à 62 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 63 à 66 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, qu’une mesure telle que la mesure litigieuse n’est pas sélective dès lors qu’elle est liée à l’achat de biens économiques particuliers, à savoir des participations dans des sociétés étrangères, et n’exclut, a priori, aucune catégorie d’entreprises de son bénéfice.

27

Ce serait à tort que le Tribunal s’est, à cet égard, fondé sur l’arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C-156/98, EU:C:2000:467). Il découlerait en effet des points 22 et 23 de cet arrêt que, dans l’affaire ayant donné lieu à celui-ci, la Commission avait qualifié la mesure en cause de sélective à l’égard de certaines entreprises géographiquement circonscrites dans lesquelles des investisseurs privés avaient réinvesti les bénéfices provenant de ventes de biens économiques et non à l’égard desdits investisseurs eux-mêmes, pour lesquels elle avait considéré que cette mesure ne constituait pas une aide.

28

En outre, la Commission fait grief au Tribunal d’avoir jugé aux points 66 à 68 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 70 à 72 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, qu’il serait contraire à la jurisprudence de la Cour de considérer qu’une mesure fiscale nationale dont le bénéfice est subordonné à certaines conditions est sélective, alors même que les entreprises bénéficiaires ne partageraient aucune caractéristique propre qui permette de les distinguer des autres entreprises, en dehors du fait qu’elles pourraient satisfaire aux conditions auxquelles l’octroi de la mesure est subordonné.

29

La Commission soutient que le Tribunal se fonde à cet égard sur une analyse erronée de la jurisprudence concernée.

30

S’agissant de l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732), la Commission fait valoir qu’il ressort des points 90 et 91 de cet arrêt que celui-ci concernait une situation particulière dans laquelle la Cour a considéré comme étant sélectif le régime fiscal de référence lui-même, et non une quelconque dérogation à celui-ci, dans la mesure où ce dernier favorisait en tant que tel les entreprises « offshore ». La référence faite dans ledit arrêt aux « propriétés spécifiques » d’une catégorie d’entreprises devrait donc être comprise comme renvoyant aux caractéristiques en raison desquelles ces entreprises étaient fiscalement favorisées dans le contexte d’un système de référence par nature sélectif et ne saurait être extrapolée au-delà de cette situation particulière.

31

Pour ce qui concerne le point 42 de l’arrêt du 29 mars 2012, 3M Italia (C-417/10, EU:C:2012:184), le Tribunal aurait omis de prendre en compte la seconde phrase de ce point, qui exprime le principe, consacré par une jurisprudence constante de la Cour, selon lequel une mesure est sélective si elle est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable.

32

WDFG ainsi que Banco Santander et Santusa relèvent à titre liminaire que, dans les décisions litigieuses, la Commission n’a pas soutenu que la mesure litigieuse était sélective de facto, de telle sorte que, dans le cadre des présents pourvois, il s’agit uniquement d’examiner les critiques dirigées contre les arrêts attaqués en ce que le Tribunal a jugé que les motifs invoqués par la Commission dans ces décisions ne permettaient pas de conclure que cette mesure était sélective de jure.

33

Elles soutiennent qu’il découle de l’arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C-143/99, EU:C:2001:598), qu’une mesure dont peuvent bénéficier toutes les entreprises ne saurait être considérée comme étant sélective. Il ne pourrait en revanche être déduit de cet arrêt, comme le soutient la Commission, qu’une mesure nationale n’est pas sélective lorsqu’elle s’applique à toutes les entreprises de l’État membre sans exception, dès lors que, en application d’une telle thèse, la quasi-totalité des règles fiscales devraient être considérées comme étant sélectives.

34

WDFG ainsi que Banco Santander et Santusa réfutent également la thèse de la Commission selon laquelle des mesures fiscales nationales auraient déjà, à maintes reprises, été qualifiées de sélectives, même si celles-ci ne fixaient aucun montant minimal d’investissement et s’appliquaient indépendamment de la nature des activités du bénéficiaire. En tout état de cause, la mesure litigieuse, en ce qu’elle confère un avantage fiscal à toute entreprise qui souhaite en bénéficier, indépendamment de la catégorie à laquelle elle appartient, ne pourrait de ce seul fait être considérée comme étant prima facie et de jure sélective.

35

Le Tribunal se serait à bon droit fondé sur l’arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C-156/98, EU:C:2000:467), puisque, dans la décision en cause dans cet arrêt, la Commission avait expressément admis l’absence de sélectivité de la mesure nationale en ce qui concerne les investisseurs concernés, ce qui aurait été confirmé par la Cour.

36

Dans sa pratique décisionnelle, la Commission aurait d’ailleurs, à maintes reprises, déjà exclu la sélectivité de mesures fiscales en appliquant ce même critère, à savoir celui de l’absence de sélectivité de mesures générales, applicables sans distinction à toute entreprise et dont tout assujetti peut bénéficier.

37

L’application de ce critère ne conduirait d’ailleurs pas à constater l’absence de sélectivité des mesures relatives à l’achat de certains actifs évoquées par la Commission. Ces mesures pourraient être qualifiées de sélectives s’il était démontré qu’elles bénéficient de facto à certaines entreprises à l’exclusion d’autres. En tout état de cause, leur sélectivité découlerait non pas de la nature des actifs acquis, mais du fait qu’il est permis de considérer que les acheteurs concernés forment une catégorie particulière.

38

S’agissant de l’arrêt du 15 juillet 2004, Espagne/Commission (C-501/00, EU:C:2004:438), WDFG ainsi que Banco Santander et Santusa estiment que le Tribunal a jugé à bon droit que la mesure en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt diffère de celle en cause en l’espèce, dès lors qu’elle visait à procurer un avantage à une catégorie distincte et identifiable d’entreprises, à savoir celles réalisant des activités d’exportation.

39

Par ailleurs, il découlerait clairement de l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732), en particulier de son point 104, qu’une mesure ne saurait être qualifiée de sélective que si elle bénéficie à une catégorie d’entreprises partageant des « propriétés » qui leur sont « spécifiques ». Il ressortirait en outre de cet arrêt que l’identification d’une dérogation à un régime commun n’est pas une fin en soi. Seul importerait l’effet réel de la mesure, à savoir le fait qu’elle bénéficie ou non à des entreprises ou à des productions déterminées.

40

WDFG ainsi que Banco Santander et Santusa font valoir que l’interprétation de l’arrêt du 29 mars 2012, 3M Italia (C-417/10, EU:C:2012:184), préconisée par la Commission, ne saurait non plus être retenue. D’une part, dans cet arrêt, la Cour n’aurait pas validé la définition d’un système de référence et une dérogation par rapport à celui-ci. D’autre part, cet arrêt ne permettrait pas de considérer qu’une mesure est sélective en raison du fait que les entreprises qui remplissent les conditions pour en bénéficier formeraient une catégorie distincte.

41

Enfin, le Tribunal aurait jugé à bon droit qu’une mesure ne saurait être qualifiée de sélective, au sens de l’article 107 TFUE, si son bénéfice dépend d’un comportement qui est prima facie permis à toute entreprise, indépendamment du secteur d’activité de cette dernière. Cela ressortirait du constat de l’absence de sélectivité d’une mesure nationale à l’égard d’investisseurs, effectué dans l’arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C-156/98, EU:C:2000:467).

42

Le Royaume d’Espagne soutient que l’arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C-143/99, EU:C:2001:598), confirme la position adoptée par les autorités espagnoles au cours de la procédure administrative devant la Commission, selon laquelle un avantage économique ne peut être qualifié d’aide que s’il est susceptible de favoriser « certaines entreprises ou certaines productions », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

43

Or, au cours de ladite procédure administrative, les autorités espagnoles auraient démontré le caractère généralement accessible de la mesure litigieuse, au motif que celle-ci a été appliquée à des entreprises actives dans des secteurs d’activité très différents, confirmant ainsi l’analyse exposée dans les arrêts attaqués et le fait que la Commission n’avait pas démontré le caractère sélectif de cette mesure dans les décisions litigieuses.

44

L’Irlande soutient que, contrairement à ce que fait valoir la Commission, le Tribunal n’a pas déduit des arrêts de la Cour du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C-143/99, EU:C:2001:598), et du Tribunal du 6 mars 2002, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T-92/00 et T-103/00, EU:T:2002:61), ainsi que du 9 septembre 2009, Diputación Foral de Álava e.a./Commission (T-227/01 à T-229/01, T-265/01, T-266/01 et T-270/01, EU:T:2009:315), que seules les mesures dont l’application était liée à la nature des activités de l’entreprise ou dont l’application était subordonnée à un montant minimal étaient sélectives, mais a jugé que la sélectivité ne pouvait être établie s’agissant d’une mesure dont toutes les entreprises fiscalement domiciliées en Espagne et effectuant une prise de participation d’au moins 5 % dans une entreprise étrangère pouvaient bénéficier, indépendamment de la nature de leurs activités et des montants investis.

45

Le Tribunal se serait fondé à bon droit sur l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732), pour juger qu’il était nécessaire, afin qu’une différenciation fiscale puisse être qualifiée d’aide, d’identifier, en raison de leurs propriétés spécifiques, une catégorie particulière d’entreprises pouvant en bénéficier. La condition de sélectivité telle que posée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE devrait d’ailleurs être définie de la même manière dans toutes les affaires portant sur de prétendues aides d’État de nature fiscale. Partant, le principe expressément consacré au point 104 dudit arrêt ne pourrait être limité à une situation dans laquelle un régime fiscal pris dans son intégralité présente un caractère sélectif.

46

L’Irlande estime que des mesures telle la mesure litigieuse, qui n’excluent a priori aucune entreprise ni aucun secteur économique particulier du champ de leurs bénéficiaires, ne sauraient être considérées comme étant sélectives. La Commission se serait d’ailleurs déjà fondée à plusieurs reprises sur ce motif pour caractériser l’absence de sélectivité de certaines mesures nationales.

47

La République fédérale d’Allemagne soutient que l’existence, à la supposer établie, d’une dérogation ou d’une exception au cadre de référence identifié par la Commission ne permet pas, à elle seule, de considérer que la mesure litigieuse favoriserait « certaines entreprises ou certaines productions », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

48

Au contraire, il en découlerait uniquement que cette mesure s’apparente à une subvention. Par conséquent, après avoir recherché si la mesure présente un caractère dérogatoire, il conviendrait, conformément à la jurisprudence et, en particulier, à l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732), et ainsi que l’aurait également jugé à bon droit le Tribunal dans les arrêts attaqués, de vérifier, dans un second temps, si la catégorie de contribuables avantagés par une mesure fiscale regroupe des entreprises ou des productions suffisamment spécifiques au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

49

Il ressortirait ainsi de la jurisprudence de la Cour que la catégorie des entreprises bénéficiaires d’un avantage fiscal est suffisamment caractérisée lorsque la Commission est parvenue à démontrer que l’avantage en cause ne bénéficiait qu’aux entreprises appartenant à un seul secteur économique réalisant certaines opérations (arrêt du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano, C-148/04, EU:C:2005:774), qu’aux entreprises constituées sous une certaine forme juridique (arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a.,C-222/04, EU:C:2006:8), qu’à celles ayant une certaine taille (arrêt du 13 février 2003, Espagne/Commission, C-409/00, EU:C:2003:92) ou encore qu’aux entreprises dont le siège social était situé en dehors du territoire régional (arrêt du 17 novembre 2009, Presidente del Consiglio dei Ministri, C-169/08, EU:C:2009:709).

50

La République fédérale d’Allemagne rappelle que la Cour a déjà admis qu’un avantage fiscal dont bénéficiaient les assujettis qui vendaient certains biens économiques et qui pouvaient déduire le bénéfice en résultant en cas d’acquisition d’autres biens économiques leur conférait un avantage qui, en tant que mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques, ne pouvait être qualifié d’aide d’État (arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C-156/98, EU:C:2000:467, point 22).

51

À plus forte raison encore, une mesure fiscale, telle que la mesure litigieuse, dont l’application est liée de manière générale à une certaine catégorie d’opérations relevant du droit des sociétés, en l’occurrence des prises de participations, qui sont indépendantes de l’objet social et des activités d’exploitation de l’entreprise, ne devrait pas être considérée comme étant sélective.

52

Enfin, les États membres intervenants dans les présentes affaires soutiennent que, si la condition tenant à la sélectivité de la mesure nationale aux fins de sa qualification d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, devait être comprise dans le sens large préconisé par la Commission dans ses pourvois, cela aurait pour conséquence de bouleverser l’équilibre institutionnel de l’Union. En effet, s’il était conféré une telle portée à la condition de sélectivité, la Commission pourrait contrôler la quasi-totalité des mesures de fiscalité directe en vertu de ses compétences en matière d’aides d’État, alors que la fiscalité directe relève, en principe, de la compétence législative des États membres.

Appréciation de la Cour

53

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir, notamment, arrêt du 16 juillet 2015, BVVG, C-39/14, EU:C:2015:470, point 24).

54

En ce qui concerne la condition relative à la sélectivité de l’avantage qui est constitutive de la notion d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il résulte d’une jurisprudence tout aussi constante de la Cour que l’appréciation de cette condition impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent ainsi un traitement différencié pouvant en substance être qualifié de discriminatoire (voir, notamment, arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732, points 75 et 101, ainsi que du 14 janvier 2015, Eventech, C-518/13, EU:C:2015:9, points 53 à 55).

55

Par ailleurs, lorsque la mesure en cause est envisagée comme un régime d’aide et non comme une aide individuelle, il incombe à la Commission d’établir que cette mesure, bien qu’elle prévoie un avantage de portée générale, en confère le bénéfice exclusif à certaines entreprises ou à certains secteurs d’activité (voir en ce sens, notamment, arrêt du 30 juin 2016, Belgique/Commission, C-270/15 P, EU:C:2016:489, points 49 et 50).

56

S’agissant en particulier de mesures nationales conférant un avantage fiscal, il y a lieu de rappeler qu’une mesure de cette nature qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation plus favorable que les autres contribuables est susceptible de procurer un avantage sélectif aux bénéficiaires et constitue, partant, une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En revanche, ne constitue pas une telle aide au sens de cette disposition, un avantage fiscal résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques (voir en ce sens, notamment, arrêt du 18 juillet 2013, P, C-6/12, EU:C:2013:525, point 18).

57

Dans ce contexte, aux fins de qualifier une mesure fiscale nationale de « sélective », la Commission doit identifier, dans un premier temps, le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné et démontrer, dans un second temps, que la mesure fiscale en cause déroge audit régime commun, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime commun, dans une situation factuelle et juridique comparable (voir en ce sens, notamment, arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C-78/08 à C-80/08, EU:C:2011:550, point 49).

58

La notion d’« aide d’État » ne vise toutefois pas les mesures introduisant une différenciation entre des entreprises qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par le régime juridique en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable et, partant, a priori sélectives, lorsque l’État membre concerné parvient à démontrer que cette différenciation est justifiée dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elles s’inscrivent (voir en ce sens, notamment, arrêts du 29 avril 2004, Pays-Bas/Commission, C-159/01, EU:C:2004:246, points 42 et 43 ; du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C-78/08 à C-80/08, EU:C:2011:550, points 64 et 65, ainsi que du 29 mars 2012, 3M Italia, C-417/10, EU:C:2012:184, point 40).

59

Par ailleurs, il convient de rappeler que le fait que seuls les contribuables remplissant les conditions pour l’application d’une mesure peuvent bénéficier de celle-ci ne saurait, en soi, conférer à cette mesure un caractère sélectif (arrêt du 29 mars 2012, 3M Italia, C-417/10, EU:C:2012:184, point 42).

60

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le paramètre pertinent pour établir la sélectivité de la mesure en cause consiste à vérifier si celle-ci introduit entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal général concerné, dans une situation factuelle et juridique comparable une différenciation non justifiée par la nature et l’économie de ce régime (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2015, Commission/MOL, C-15/14 P, EU:C:2015:362, point 61).

61

C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner si, en l’occurrence, le Tribunal a méconnu l’article 107, paragraphe 1, TFUE, tel qu’interprété par la Cour, en jugeant que, dans les décisions litigieuses, la Commission n’avait pas démontré à suffisance de droit que la mesure litigieuse conférait un avantage sélectif à « certaines entreprises ou [à] certaines productions ».

62

En l’espèce, la mesure litigieuse prévoit un avantage fiscal consistant en une déduction de l’assiette imposable de l’impôt sur les sociétés sous forme de l’amortissement de la survaleur résultant de prises de participations d’au moins 5 % par des entreprises fiscalement domiciliées en Espagne dans des entreprises fiscalement domiciliées en dehors de cet État membre. Cette mesure doit, dès lors qu’elle est susceptible de bénéficier à l’ensemble desdites entreprises effectuant de telles opérations, être considérée comme pouvant constituer un régime d’aide. Il incombait donc à la Commission d’établir que cette mesure, nonobstant le fait qu’elle confère un avantage de portée générale, en confère le bénéfice exclusif à certaines entreprises ou à certains secteurs d’activité.

63

À cet égard, le Tribunal a exposé, au point 50 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’au point 54 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, que la Commission, aux fins d’établir le caractère sélectif de la mesure litigieuse, s’était fondée, dans les décisions litigieuses, à titre principal, sur le motif que celle-ci constitue une dérogation par rapport à un cadre de référence, en ce que cette mesure avait pour conséquence d’appliquer aux entreprises imposables en Espagne effectuant des prises de participations dans des sociétés établies à l’étranger un traitement fiscal distinct de celui appliqué aux entreprises imposables en Espagne effectuant de telles acquisitions dans des sociétés établies en Espagne, alors même que ces deux catégories d’entreprises se trouvaient dans des situations comparables au regard de l’objectif poursuivi par ledit cadre de référence, à savoir le régime général espagnol de l’impôt sur les sociétés et, plus précisément, les règles relatives au traitement fiscal de la survaleur financière contenues dans ledit régime d’imposition.

64

Le Tribunal a jugé, au point 51 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’au point 55 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, que la Commission avait ainsi fait application de la méthode d’analyse découlant de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal rappelée, respectivement, aux points 29 à 33 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 33 à 37 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, qui correspond en substance à la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 53 à 60 du présent arrêt.

65

Or, aux points 44, 45, 52 et 53 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 48, 49, 56 et 57 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, le Tribunal a jugé que l’existence, même à la supposer établie, d’une dérogation ou d’une exception au cadre de référence identifié par la Commission ne permettait pas, à elle seule, d’établir que la mesure litigieuse favorisait « certaines entreprises ou certaines productions », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dès lors que cette mesure était accessible, a priori, à toute entreprise et visait non pas une catégorie particulière d’entreprises, qui auraient été les seules favorisées par cette mesure, mais une catégorie d’opérations économiques.

66

Il y a cependant lieu de constater que ce raisonnement repose sur une application erronée de la condition de sélectivité prévue à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, telle qu’elle a été rappelée dans le présent arrêt.

67

En effet, ainsi qu’il ressort des points 53 à 60 du présent arrêt, s’agissant d’une mesure nationale conférant un avantage fiscal de portée générale, telle que la mesure litigieuse, cette condition est remplie lorsque la Commission parvient à démontrer que cette mesure déroge au régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné, introduisant ainsi, par ses effets concrets, un traitement différencié entre opérateurs, alors que les opérateurs qui bénéficient de l’avantage fiscal et ceux qui en sont exclus se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime fiscal de cet État membre, dans une situation factuelle et juridique comparable.

68

Il ressort des arrêts attaqués que la Commission s’est fondée, dans les décisions litigieuses, aux fins d’établir le caractère sélectif de la mesure litigieuse, sur l’inégalité de traitement entre les entreprises résidentes que comportait cette mesure. En effet, en application de celle-ci, seules les entreprises résidentes qui acquerraient des participations d’au moins 5 % dans des sociétés étrangères pouvaient, sous certaines conditions, bénéficier de l’avantage fiscal en cause, alors que les entreprises résidentes effectuant une telle prise de participation dans des entreprises imposables en Espagne ne pouvaient, en dépit du fait que, selon la Commission, elles se trouvaient dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal commun espagnol, obtenir cet avantage.

69

Or, le Tribunal a estimé que la mesure litigieuse, au motif qu’elle ne visait aucune catégorie particulière d’entreprises ou de productions, que son application était indépendante de la nature de l’activité des entreprises ou qu’elle était accessible, a priori ou potentiellement, à toutes les entreprises désireuses de prendre des participations d’au moins 5 % dans des sociétés étrangères et détenant ces participations de manière ininterrompue pendant au moins un an, devait être regardée non pas comme une mesure sélective, mais comme une mesure générale au sens de la jurisprudence rappelée au point 56 du présent arrêt. Ce faisant, le Tribunal a commis une erreur de droit.

70

Ainsi, aux points 41, 45, 67 et 68 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 45, 49, 71 et 72 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, le Tribunal a jugé que, à l’égard d’une mesure a priori accessible à toute entreprise, pour que la condition de sélectivité d’une mesure nationale aux fins de la reconnaissance d’une aide d’État soit remplie, une catégorie particulière d’entreprises, qui sont les seules favorisées par la mesure en cause et qui peuvent être distinguées du fait de propriétés spécifiques, communes et propres, doit dans tous les cas être identifiée.

71

Toutefois, une telle exigence supplémentaire d’identification d’une catégorie particulière d’entreprises, qui s’ajouterait à la méthode d’analyse applicable à la sélectivité en matière fiscale découlant de la jurisprudence constante de la Cour, laquelle consiste essentiellement à rechercher si l’exclusion de certains opérateurs du bénéfice d’un avantage fiscal découlant d’une mesure dérogeant à un régime commun fiscal constitue un traitement discriminatoire à leur égard, ne saurait être déduite de la jurisprudence de la Cour et, en particulier, de l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732).

72

Certes, au point 104 de cet arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732), la Cour a jugé que, afin de pouvoir être reconnus comme conférant des avantages sélectifs, les critères constituant la base d’imposition retenus par un régime fiscal doivent être de nature à caractériser les entreprises bénéficiaires en vertu des propriétés qui leur sont spécifiques en tant que catégorie privilégiée, permettant ainsi la qualification d’un tel régime comme favorisant « certaines » entreprises ou « certaines » productions, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

73

Toutefois, ce motif de l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732), doit être lu dans le contexte de l’ensemble des motifs dont il fait partie et qui figurent aux points 87 à 108 de cet arrêt.

74

Il résulte ainsi d’une lecture de l’ensemble de ces motifs que la mesure en cause dans ledit arrêt se présentait sous la forme non pas d’un avantage fiscal dérogatoire à un régime fiscal commun, mais de l’application d’un régime fiscal « général » reposant sur des critères, en eux-mêmes, également de nature générale. La Cour a jugé que la nature de ce régime ne s’opposait pas au constat du caractère sélectif de la mesure en cause, contrairement à ce qu’avait jugé le Tribunal, dès lors que la condition tenant à la sélectivité a une portée plus large incluant des mesures qui, par leurs effets, favorisent certaines entreprises, en l’occurrence des sociétés « offshore », en raison de caractéristiques propres et spécifiques à ces entreprises. Ladite mesure opérait ainsi une discrimination de fait entre des entreprises se trouvant dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, en l’occurrence celui d’introduire une imposition généralisée de toutes les sociétés résidentes.

75

En revanche, ainsi que cela a déjà été exposé au point 63 du présent arrêt, dans les décisions litigieuses, la Commission, aux fins d’établir le caractère sélectif de la mesure litigieuse, s’est fondée à titre principal sur le motif de l’inégalité de traitement découlant de cette mesure, en ce qu’elle confère un avantage fiscal à certaines entreprises résidentes et non à d’autres qui relèvent du régime fiscal commun auquel déroge la mesure litigieuse.

76

S’il découle ainsi de l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732), que la sélectivité d’une mesure fiscale peut être établie même si celle-ci ne constitue pas une dérogation au régime commun fiscal, mais en fait partie intégrante, il n’en demeure pas moins que cet arrêt s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour, rappelée au point 57 du présent arrêt, selon laquelle il suffit, pour établir la sélectivité d’une mesure dérogatoire à un régime fiscal commun, qu’il soit démontré que celle-ci bénéficie à certains opérateurs et non à d’autres, alors que l’ensemble de ces opérateurs se trouve dans une situation objectivement comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal commun.

77

En effet, si aux fins d’établir la sélectivité d’une mesure fiscale il n’est pas toujours nécessaire que celle-ci ait un caractère dérogatoire par rapport à un régime fiscal commun, la circonstance qu’elle présente un tel caractère est tout à fait pertinente à ces fins lorsqu’il en découle que deux catégories d’opérateurs sont distinguées et font a priori l’objet d’un traitement différencié, à savoir ceux relevant de la mesure dérogatoire et ceux qui continuent de relever du régime fiscal commun, alors même que ces deux catégories se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime.

78

Contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal dans les arrêts attaqués, il ne saurait davantage être exigé, aux fins de l’établissement de la sélectivité d’une telle mesure, que la Commission identifie certaines caractéristiques propres et spécifiques, communes aux entreprises bénéficiaires de l’avantage fiscal, qui permettent de les distinguer de celles qui en sont exclues.

79

En effet, seul importe à cette fin le fait que la mesure, indépendamment de sa forme ou de la technique réglementaire utilisée, ait pour effet de placer les entreprises bénéficiaires dans une situation plus avantageuse que celle d’autres entreprises, alors même que l’ensemble de ces entreprises se trouve dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal en cause.

80

En outre, selon une jurisprudence constante de la Cour, la circonstance que le nombre d’entreprises pouvant prétendre au bénéfice d’une mesure nationale soit très significatif, ou que ces entreprises appartiennent à des secteurs d’activité divers, ne saurait suffire à remettre en cause le caractère sélectif de cette mesure et, partant, à écarter la qualification d’aide d’État (voir, notamment, arrêts du 13 février 2003, Espagne/Commission, C-409/00, EU:C:2003:92, point 48, et du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas, C-279/08 P, EU:C:2011:551, point 50).

81

Ainsi, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal aux points 53 à 58 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 57 à 62 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, l’éventuel caractère sélectif de la mesure litigieuse n’est nullement remis en cause par le fait que la condition essentielle pour l’obtention de l’avantage fiscal conféré par cette mesure viserait une opération économique, plus particulièrement une « opération purement financière », qui n’est pas assortie d’un montant minimal d’investissement et qui est indépendante de la nature de l’activité des entreprises bénéficiaires.

82

Dans ce contexte, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal au point 57 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’au point 61 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, il ne saurait être déduit du point 36 de l’arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C-143/99, EU:C:2001:598), aux termes duquel des mesures ne sont pas sélectives lorsqu’elles s’appliquent à toutes les entreprises situées sur le territoire national, « indépendamment de l’objet de leur activité », qu’une mesure dont l’application est indépendante de la nature de l’activité des entreprises n’est, a priori, pas sélective.

83

En effet, il ressort d’une lecture de l’ensemble des motifs de cet arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C-143/99, EU:C:2001:598), que la Cour, à ce point 36, lu à la lumière du point 35 du même arrêt, a considéré que des mesures nationales, telles que celles en cause dans cette affaire, étaient dépourvues de caractère sélectif dès lors qu’elles s’appliquaient sans distinction à l’ensemble des entreprises de l’État membre concerné et constituaient, de ce fait, une mesure générale au sens de la jurisprudence rappelée au point 56 du présent arrêt.

84

Il importe également de préciser que si la Cour, au point 36 de l’arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C-143/99, EU:C:2001:598), a fait référence à l’objet de l’activité des entreprises bénéficiant des mesures nationales, une telle référence s’explique par les termes de la seconde question posée par la juridiction de renvoi dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt. Cela est confirmé par le fait que cette référence est absente des arrêts ultérieurs de la Cour rappelant ledit principe (voir, notamment, arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C-106/09 P et C-107/09 P, EU:C:2011:732, point 73, ainsi que du 29 mars 2012, 3M Italia, C-417/10, EU:C:2012:184, point 39).

85

Par ailleurs, il est vrai, ainsi que l’a rappelé le Tribunal au point 66 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’au point 70 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, que la Cour a jugé, au point 42 de l’arrêt du 29 mars 2012, 3M Italia (C-417/10, EU:C:2012:184), que le fait que seuls les contribuables remplissant les conditions d’obtention de la mesure concernée dans cette affaire pouvaient bénéficier de cette mesure ne saurait, en soi, conférer à celle-ci un caractère sélectif. Toutefois, il importe de constater que, au même point 42, la Cour a expressément précisé que cette absence de caractère sélectif résultait de la constatation que les personnes qui ne pouvaient prétendre au bénéfice de la mesure concernée ne se trouvaient pas dans une situation factuelle et juridique comparable à celle des contribuables pouvant y prétendre, au regard de l’objectif poursuivi par le législateur national.

86

Il en découle qu’une condition d’application ou d’obtention d’une aide fiscale peut fonder le caractère sélectif de cette aide, si cette condition conduit à opérer une différenciation entre des entreprises se trouvant pourtant, au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal en cause, dans une situation factuelle et juridique comparable, et si, partant, elle révèle une discrimination à l’égard des entreprises qui en sont exclues.

87

En outre, si, ainsi que le souligne le Tribunal dans les arrêts attaqués, l’avantage fiscal que comporte la mesure litigieuse peut être obtenu sans qu’un montant minimal soit investi et que cette mesure ne réserve pas, dès lors, de fait, son bénéfice à des entreprises disposant des ressources financières suffisantes, ces circonstances ne s’opposent pas à la reconnaissance d’un éventuel caractère sélectif de celle-ci pour d’autres motifs, tels que le fait que les entreprises résidentes effectuant des prises de participations dans des sociétés fiscalement domiciliées en Espagne ne pouvaient obtenir cet avantage.

88

À cet égard, la Cour a d’ailleurs déjà jugé qu’une mesure fiscale, dont bénéficiaient uniquement les entreprises réalisant les opérations qu’elle visait et non pas les entreprises du même secteur ne réalisant pas ces opérations, pouvait présenter un caractère sélectif sans qu’il y ait lieu d’apprécier si cette mesure bénéficiait davantage aux entreprises de grande taille (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano, C-148/04, EU:C:2005:774, points 47 à 50).

89

Contrairement à ce que le Tribunal a affirmé aux points 59 à 62 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 63 à 66 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, aucune indication contraire quant à l’analyse de la condition tenant à la sélectivité d’une mesure fiscale ne ressort de l’arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C-156/98, EU:C:2000:467).

90

Il découle en effet des points 22 et 23 de l’arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C-156/98, EU:C:2000:467), que, dans l’affaire ayant donné lieu à celui-ci, la Commission avait qualifié la mesure en cause de sélective à l’égard de certaines entreprises géographiquement circonscrites dans lesquelles des investisseurs privés avaient réinvesti les bénéfices provenant de ventes de biens économiques et non à l’égard desdits investisseurs eux-mêmes, pour lesquels elle avait considéré que cette mesure ne constituait pas une aide, dès lors que, en tant que mesure générale, celle-ci bénéficiait à tous les opérateurs sans distinction, appréciation qui n’avait du reste pas été remise en cause devant la Cour et dont celle-ci n’avait donc pas à juger.

91

En tout état de cause, la situation desdits investisseurs privés ne saurait être assimilée à celle des entreprises résidentes pouvant bénéficier de la mesure litigieuse.

92

En effet, dans les décisions litigieuses, la Commission, aux fins de qualifier la mesure litigieuse de mesure sélective, s’est prévalue du fait que l’avantage fiscal conféré par cette mesure ne bénéficiait pas sans distinction à tous les opérateurs économiques se trouvant objectivement dans une situation comparable, au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal commun espagnol, dès lors que les entreprises résidentes effectuant des prises de participations du même type dans des sociétés fiscalement domiciliées en Espagne ne pouvaient obtenir cet avantage. La Commission a ensuite estimé que la justification de cette différenciation entre les opérateurs, invoquée par le Royaume d’Espagne, tirée de la nature ou de l’économie générale du système dont fait partie ladite mesure, ne pouvait être retenue.

93

Il découle de tout ce qui précède que le Tribunal a commis une erreur de droit, en annulant partiellement les décisions litigieuses au motif que la Commission n’aurait pas déterminé une catégorie donnée d’entreprises favorisées par la mesure fiscale en cause, sans vérifier si la Commission, dans l’application de la méthode d’examen rappelée aux points 29 à 33 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 33 à 37 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission et devant être utilisée pour examiner la condition tenant à la sélectivité de la mesure litigieuse, avait effectivement analysé et établi le caractère discriminatoire de cette mesure.

94

Si, certes, cet examen doit être effectué de manière rigoureuse et suffisamment motivée afin de permettre un contrôle juridictionnel complet, notamment sur le caractère comparable de la situation des opérateurs bénéficiant de la mesure avec celle des opérateurs qui en sont exclus et, le cas échéant, sur la justification d’une inégalité de traitement invoquée par l’État membre concerné, il n’en demeure pas moins que le Tribunal a commis une erreur de droit en n’effectuant pas une telle vérification et en jugeant, dans les arrêts attaqués, que la méthode d’examen appliquée par la Commission dans les décisions litigieuses, en ce qu’elle ne comportait pas la détermination d’une catégorie particulière d’entreprises qui étaient les seules à être favorisées par la mesure fiscale en cause, procédait d’une interprétation erronée de la condition relative à la sélectivité telle que posée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

95

Par conséquent, la première branche du moyen unique de la Commission est fondée.

Sur la seconde branche du moyen unique

Argumentation des parties

96

Par la seconde branche de son moyen unique, la Commission fait grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans l’application de la jurisprudence relative aux aides à l’exportation et d’avoir introduit une distinction artificielle entre les aides à l’exportation et les aides à l’exportation de capitaux.

97

S’agissant, en premier lieu, de la jurisprudence relative aux aides à l’exportation invoquée dans les décisions litigieuses, en particulier les arrêts du 10 décembre 1969, Commission/France (6/69 et 11/69, non publié, EU:C:1969:68), du 7 juin 1988, Grèce/Commission (57/86, EU:C:1988:284), et du 15 juillet 2004, Espagne/Commission (C-501/00, EU:C:2004:438), la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit, en jugeant aux points 69 à 76 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 73 à 80 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, que cette jurisprudence porte non pas sur la condition tenant à la sélectivité d’une mesure nationale, mais uniquement sur celle relative au fait que la concurrence et les échanges sont affectés.

98

Il ressortirait des arrêts cités au point précédent que la Cour a estimé que les mesures fiscales concernées présentaient un caractère sélectif, au motif que leur bénéfice était réservé aux entreprises réalisant des opérations à l’étranger, telles que des investissements, et non aux entreprises effectuant des opérations similaires de portée nationale. Il en découlerait que toute mesure qui profite aux opérations transfrontalières, mais exclut les mêmes opérations de portée nationale est sélective.

99

En deuxième lieu, la Commission reproche au Tribunal d’avoir introduit, aux points 79 à 81 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 83 à 85 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, une distinction artificielle entre les aides à l’exportation et les aides à l’exportation de capitaux en jugeant qu’il ressortirait de la jurisprudence relative aux aides à l’exportation invoquée dans les décisions litigieuses, en particulier des arrêts du 10 décembre 1969, Commission/France (6/69 et 11/69, non publié, EU:C:1969:68), du 7 juin 1988, Grèce/Commission (57/86, EU:C:1988:284), et du 15 juillet 2004, Espagne/Commission (C-501/00, EU:C:2004:438), que « la catégorie des entreprises bénéficiaires qui permettait de conclure à la sélectivité de la mesure [litigieuse] était constituée par les entreprises exportatrices », catégorie regroupant des entreprises qui pouvaient être distinguées du fait de caractéristiques communes liées à leur activité d’exportation.

100

Selon la Commission, les entreprises visées par la mesure litigieuse constituent une catégorie distincte d’entreprises, à savoir celle des entreprises exportatrices de capitaux, dès lors qu’elles partagent des caractéristiques spécifiques communes liées à leur activité d’exportation de capitaux.

101

Elle estime que, dès lors que, au regard de la condition relative à la sélectivité, il n’existe aucune différence entre l’exportation de biens et l’exportation de capitaux, la mesure litigieuse présentait un caractère sélectif au même titre que les mesures en cause dans la jurisprudence relative aux aides à l’exportation invoquée dans les décisions litigieuses.

102

La Commission soutient que la catégorie des entreprises exportatrices n’existe pas davantage, en dehors du groupe composé d’entreprises réalisant des opérations transfrontalières. Toute entreprise d’un État membre pourrait effectuer une opération transfrontalière et, ainsi, bénéficier d’un régime d’aides à l’exportation. Elle estime que le caractère sélectif d’une mesure nationale peut être conféré par l’avantage accordé au bénéficiaire de celle-ci, en raison de la réalisation d’une opération d’exportation, de biens, de services ou de capitaux, et non en raison du fait que les entreprises concernées relèveraient d’un prétendu secteur d’exportation.

103

Ainsi, à l’instar de ce qu’a jugé la Cour dans l’arrêt du 15 juillet 2004, Espagne/Commission (C-501/00, EU:C:2004:438), dans une situation comparable à celle de l’espèce, le Tribunal aurait dû considérer que la Commission avait à juste titre établi le caractère sélectif de la mesure litigieuse en raison du fait que le bénéfice de celle-ci était réservé à certaines entreprises, à savoir celles qui se livraient à des activités d’exportation de capitaux.

104

Enfin, l’approche retenue par le Tribunal méconnaîtrait le rôle et la finalité de la discipline des aides d’État au regard de la protection du marché intérieur. Cette discipline aurait notamment pour objet d’éviter que les États membres accordent des avantages économiques spécifiquement liés à l’exportation de biens ou de capitaux. Or, le fait de favoriser spécifiquement l’exportation de capitaux pourrait provoquer des distorsions sur le marché intérieur de la même manière que le fait de favoriser spécifiquement les exportations de biens.

105

WDFG ainsi que Banco Santander et Santusa rétorquent que le Tribunal a jugé à bon droit que les arrêts de la Cour invoqués dans les décisions litigieuses portaient non pas sur la condition de sélectivité, mais sur celle relative au fait que les échanges sont affectés.

106

En outre, le Tribunal aurait considéré à bon droit que, dans la jurisprudence relative aux aides à l’exportation invoquée dans les décisions litigieuses, en particulier les arrêts du 10 décembre 1969, Commission/France (6/69 et 11/69, non publié, EU:C:1969:68), du 7 juin 1988, Grèce/Commission (57/86, EU:C:1988:284), et du 15 juillet 2004, Espagne/Commission (C-501/00, EU:C:2004:438), la Cour a estimé que les mesures en cause présentaient un caractère sélectif, au motif principal des caractéristiques communes des entreprises bénéficiaires, ce qui permettait de les considérer comme appartenant à un secteur défini de l’économie, à savoir celui de l’exportation, plus particulièrement l’exportation de biens. Les mesures en cause dans les affaires ayant donné lieu auxdits arrêts auraient favorisé des entreprises qui se caractérisaient par le fait qu’elles exportaient une partie plus ou moins significative de leurs biens ou de leurs services.

107

WDFG ainsi que Banco Santander et Santusa font valoir que la mesure litigieuse ne saurait, en outre, être considérée comme étant sélective au motif qu’elle s’appliquerait à la catégorie d’entreprises dites « exportatrices de capital ».

108

Une telle catégorie n’existerait pas et la Commission ne l’aurait invoquée ni dans les décisions litigieuses ni devant le Tribunal. Cet argument serait irrecevable au stade du pourvoi, dès lors qu’il s’agit d’une question de fait qui est en outre invoquée tardivement. Il serait d’ailleurs en contradiction avec l’argumentation principale de la Commission, selon laquelle celle-ci ne serait pas tenue d’identifier une catégorie d’entreprises visée par une mesure afin d’établir la sélectivité de cette mesure.

109

En tout état de cause, WDFG ainsi que Banco Santander et Santusa soutiennent que la sélectivité d’une mesure nationale ne peut être recherchée sur le fondement de caractéristiques telles que le capital d’une entreprise ou la capacité d’investissement de celle-ci, dès lors que ces caractéristiques sont consubstantielles à toute entreprise.

110

De plus, les règles en matière de libre circulation de capitaux ne s’opposeraient pas à une mesure telle que la mesure litigieuse. Si cette mesure comportait un traitement différencié favorisant les prises de participations à l’étranger, il s’agirait tout au plus d’une discrimination à rebours qui est compatible avec les libertés fondamentales.

111

Le Royaume d’Espagne réitère sa position, déjà avancée au cours de la procédure administrative devant la Commission, selon laquelle il n’existe pas d’activité économique consistant en l’exportation de capital. La mesure litigieuse ne favoriserait pas certaines entreprises ou certaines productions, dans la mesure où elle ne vise pas l’offre de biens et de services sur le marché.

112

L’Irlande soutient que les arrêts invoqués par la Commission dans les décisions litigieuses concernaient des mesures qui favorisaient une catégorie aisément identifiable d’entreprises ou de productions, à savoir celle constituant le secteur de l’exportation. En revanche, il n’existerait pas de catégorie uniforme d’entreprises qui « exportent des capitaux », dès lors que toute entreprise qui réalise une acquisition à l’étranger « exporte des capitaux ».

113

La République fédérale d’Allemagne fait valoir que le fait que la Commission soutienne à titre subsidiaire que la mesure litigieuse est comparable à une mesure d’aides à l’exportation de biens et vise donc également la catégorie suffisamment délimitée des entreprises exportatrices doit être regardé comme une motivation complémentaire et a posteriori des décisions litigieuses. Elle estime que cet argument doit être déclaré irrecevable au stade du pourvoi.

114

Selon cet État membre, la catégorie des entreprises exportatrices en cause dans la jurisprudence invoquée par la Commission dans les décisions litigieuses se distingue des autres entreprises en raison de caractéristiques communes liées à leur activité d’exportation qui, le cas échéant, était associée à la réalisation d’investissements spécifiques.

Appréciation de la Cour

115

S’agissant de la jurisprudence relative aux aides à l’exportation invoquée dans les décisions litigieuses, en particulier les arrêts du 10 décembre 1969, Commission/France (6/69 et 11/69, non publié, EU:C:1969:68), du 7 juin 1988, Grèce/Commission (57/86, EU:C:1988:284), et du 15 juillet 2004, Espagne/Commission (C-501/00, EU:C:2004:438), il convient de constater que, ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général aux points 126 à 130 de ses conclusions, le Tribunal a commis une erreur de droit, en jugeant, aux points 69 à 76 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 73 à 80 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, que cette jurisprudence portait non pas sur la condition tenant à la sélectivité d’une mesure nationale, mais uniquement sur la condition relative au fait que la concurrence et les échanges sont affectés.

116

En effet, au point 20 de l’arrêt du 10 décembre 1969, Commission/France (6/69 et 11/69, non publié, EU:C:1969:68), et au point 8 de l’arrêt du 7 juin 1988, Grèce/Commission (57/86, EU:C:1988:284), la Cour, en constatant l’existence d’une aide d’État, a nécessairement jugé que toutes les conditions prévues à cet égard à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, y compris celle relative à la sélectivité, étaient remplies. En outre, au point 120 de l’arrêt du 15 juillet 2004, Espagne/Commission (C-501/00, EU:C:2004:438), la Cour, en se référant, notamment, aux deux arrêts précités, s’est expressément exprimée sur la sélectivité de la mesure nationale examinée en jugeant que, en l’occurrence, celle-ci découlait du fait que seules des entreprises ayant des activités d’exportation et réalisant certaines opérations d’investissement à l’étranger bénéficiaient de l’avantage fiscal que comportait cette mesure.

117

Le Tribunal a également commis une erreur de droit en jugeant, aux points 77 à 82 de l’arrêt attaqué Autogrill España/Commission ainsi qu’aux points 81 à 86 de l’arrêt attaqué Banco Santander et Santusa/Commission, que la jurisprudence relative aux aides à l’exportation invoquée dans les décisions litigieuses devait être comprise en ce sens que la catégorie des entreprises bénéficiaires au regard de laquelle le caractère sélectif de régimes d’aides à l’exportation doit être examiné était celle constituée par les « entreprises exportatrices », devant être définie comme une catégorie, certes extrêmement large mais tout de même particulière, regroupant les entreprises qui pouvaient être distinguées du fait de caractéristiques communes et spécifiques liées à leur activité d’exportation.

118

En effet, ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général aux points 133 à 136 de ses conclusions, cette jurisprudence ne saurait être comprise en ce sens que le caractère sélectif d’une mesure nationale doit nécessairement découler du fait que celle-ci bénéficie aux seules entreprises exportatrices de biens ou de services, même si, de fait, tel peut avoir été le cas s’agissant des mesures fiscales particulières en cause dans les arrêts concernés.

119

Au contraire, compte tenu des principes consacrés par la jurisprudence constante de la Cour déjà rappelée aux points 53 à 60 du présent arrêt et qui s’appliquent pleinement aux aides fiscales à l’exportation, une mesure telle la mesure litigieuse visant à favoriser les exportations peut être considérée comme étant sélective si elle bénéficie aux entreprises réalisant des opérations transfrontalières, en particulier des opérations d’investissement, au détriment d’autres entreprises qui, se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable, au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal concerné, effectuent des opérations de même nature sur le territoire national.

120

Dans ces conditions, la seconde branche du moyen unique est également fondée.

121

Par conséquent, le moyen unique de la Commission étant fondé dans ses deux branches, il y a lieu d’annuler les arrêts attaqués.

Sur les recours devant le Tribunal

122

Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

123

Tel n’est pas le cas en l’espèce, le Tribunal ayant fait droit aux deux recours en annulation sans avoir examiné trois des quatre moyens invoqués dans chacun de ces recours, moyens qui ne se recoupent d’ailleurs que pour partie, et sans avoir examiné, dans le cadre de l’examen du premier moyen desdits recours, si les entreprises ne remplissant pas les conditions pour l’obtention de l’avantage fiscal conféré par la mesure litigieuse se trouvaient, au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal concerné, dans une situation juridique et factuelle comparable à celle des entreprises favorisées par cette mesure. En outre, l’examen de ces moyens est susceptible d’impliquer l’appréciation d’éléments factuels. Il y a donc lieu de renvoyer les affaires devant le Tribunal.

Sur les dépens

124

Les affaires étant renvoyées devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens.

125

Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, la République fédérale d’Allemagne, l’Irlande et le Royaume d’Espagne, qui sont intervenus au litige, supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)

Les arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 7 novembre 2014, Autogrill España/Commission (T-219/10, EU:T:2014:939), ainsi que du 7 novembre 2014, Banco Santander et Santusa/Commission (T-399/11, EU:T:2014:938), sont annulés.

2)

Les affaires sont renvoyées devant le Tribunal de l’Union européenne.

3)

Les dépens sont réservés.

4)

La République fédérale d’Allemagne, l’Irlande et le Royaume d’Espagne supportent leurs propres dépens.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol.



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CJUE, n° C-20/15, Arrêt de la Cour, Commission européenne contre World Duty Free Group SA e.a, 21 décembre 2016