CJUE, n° C-70/20, Arrêt de la Cour, YL contre Altenrhein Luftfahrt GmbH, 12 mai 2021

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

12 mai 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Transports aériens – Convention de Montréal – Article 17, paragraphe 1 – Responsabilité des transporteurs aériens en cas d’accident – Notion d’“accident” – Atterrissage dur s’inscrivant dans la plage de fonctionnement normale de l’aéronef – Lésion corporelle prétendument subie par un passager lors d’un tel atterrissage – Absence d’accident »

Dans l’affaire C-70/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 30 janvier 2020, parvenue à la Cour le 12 février 2020, dans la procédure

YL

contre

Altenrhein Luftfahrt GmbH,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, MM. N. Piçarra (rapporteur), D. Šváby, S. Rodin et Mme K. Jürimäe, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Altenrhein Luftfahrt GmbH, par Me H. M. Schaflinger, Rechtsanwältin,

pour le gouvernement finlandais, par Mme H. Leppo, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, initialement par M. W. Mölls et Mme N. Yerrell, puis par cette dernière, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999, signée par la Communauté européenne le 9 décembre 1999 et approuvée au nom de celle-ci par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (JO 2001, L 194, p. 38, ci-après la « convention de Montréal »), qui est entrée en vigueur, en ce qui concerne l’Union européenne, le 28 juin 2004.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant YL à Altenrhein Luftfahrt GmbH, un transporteur aérien, au sujet d’une demande de dommages et intérêts introduite par YL en raison de la lésion corporelle prétendument subie à l’atterrissage d’un vol opéré par ce transporteur.

Le cadre juridique

Le droit international

3

Les troisième et cinquième alinéas du préambule de la convention de Montréal énoncent :

« [Les États parties reconnaissent] l’importance d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation,

[…]

[L]’adoption de mesures collectives par les États en vue d’harmoniser davantage et de codifier certaines règles régissant le transport aérien international est le meilleur moyen de réaliser un équilibre équitable des intérêts ».

4

L’article 17 de la convention de Montréal, intitulé « Mort ou lésion subie par le passager – Dommage causé aux bagages », stipule, à son paragraphe 1 :

« Le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement. »

Le droit de l’Union

Le règlement (CE) no 2027/97

5

À la suite de la signature de la convention de Montréal, le règlement (CE) no 2027/97 du Conseil, du 9 octobre 1997, relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en ce qui concerne le transport aérien de passagers et de leurs bagages (JO 1997, L 285, p. 1), a été modifié par le règlement (CE) no 889/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 13 mai 2002 (JO 2002, L 140, p. 2) (ci-après le « règlement no 2027/97 »).

6

L’article 2, paragraphe 2, du règlement no 2027/97 prévoit :

« Les notions contenues dans le présent règlement qui ne sont pas définies au paragraphe 1 sont équivalentes à celles utilisées dans la convention de Montréal. »

7

Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement :

« La responsabilité d’un transporteur aérien [de l’Union] envers les passagers et leurs bagages est régie par toutes les dispositions de la convention de Montréal relatives à cette responsabilité. »

Le règlement (CE) no 216/2008

8

L’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 216/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 20 février 2008, concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile et instituant une Agence européenne de la sécurité aérienne, et abrogeant la directive 91/670/CEE du Conseil, le règlement (CE) no 1592/2002 et la directive 2004/36/CE (JO 2008, L 79, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 1108/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009 (JO 2009, L 309, p. 51) (ci-après le « règlement no 216/2008 »), dispose :

« 1. Les aéronefs, y compris tout produit, pièce et équipement installé, qui sont :

[…]

b)

immatriculés dans un État membre, à moins que la supervision réglementaire en matière de sécurité à laquelle ils sont soumis n’ait été déléguée à un pays tiers et qu’ils ne soient pas utilisés par un exploitant de [l’Union], ou

c)

immatriculés dans un pays tiers et utilisés par un exploitant dont un État membre supervise les activités, ou utilisés à destination, à l’intérieur ou au départ de [l’Union] par un exploitant établi ou résidant dans [l’Union], ou

[…]

satisfont au présent règlement. »

9

L’article 8 de ce règlement, intitulé « Exploitation », prévoit, à son paragraphe 1 :

« L’exploitation des aéronefs visés à l’article 4, paragraphe 1, points b) et c), satisfait aux exigences essentielles définies à l’annexe IV […] »

10

Le point 1.b de l’annexe IV dudit règlement, intitulée « Exigences essentielles en matière d’exploitation visées à l’article 8 », indique :

« Un vol doit être exécuté conformément aux procédures d’exploitation prévues dans le manuel de vol ou, le cas échéant, dans le manuel d’exploitation, pour la préparation et l’exécution du vol. […] »

11

Sous l’intitulé « Performances et limitations opérationnelles des aéronefs », le point 4 de l’annexe IV du même règlement prévoit :

« 4.a.

Un aéronef doit être piloté conformément à sa documentation de navigabilité et à toutes les procédures et limitations opérationnelles applicables indiquées dans son manuel de vol approuvé ou toute documentation équivalente, selon le cas. Le manuel de vol ou la documentation équivalente doivent être à la disposition de l’équipage et tenus à jour pour chaque aéronef.

[…]

4.c.

Un vol ne peut débuter ou être poursuivi que si les performances prévues de l’aéronef, compte tenu de tous les facteurs qui ont une incidence significative sur son niveau de performances, permettent d’exécuter toutes les phases du vol dans les limites de distance/zone et de franchissement d’obstacles applicables pour la masse d’exploitation prévue. Les facteurs de performance qui ont une incidence significative sur le décollage, le vol en route et l’approche/l’atterrissage sont, en particulier :

i)

les procédures d’exploitation ;

[…]

v)

la taille, la pente et l’état de la zone de décollage/atterrissage, […]

[…]

4.c.1.

Ces facteurs doivent être pris en compte directement en tant que paramètres opérationnels, ou indirectement, par l’application de tolérances ou de marges qui peuvent être prévues dans la programmation des données de performances, en fonction du type d’exploitation. »

12

Le règlement no 216/2008 a été abrogé, avec effet au 11 septembre 2018, par le règlement (UE) 2018/1139 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2018, concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile et instituant une Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne, et modifiant les règlements (CE) no 2111/2005, (CE) no 1008/2008, (UE) no 996/2010, (UE) no 376/2014 et les directives 2014/30/UE et 2014/53/UE du Parlement européen et du Conseil, et abrogeant les règlements (CE) no 552/2004 et no 216/2008 du Parlement européen et du Conseil ainsi que le règlement (CEE) no 3922/91 du Conseil (JO 2018, L 212, p. 1). Le règlement 2018/1139 n’est toutefois pas applicable ratione temporis au litige au principal.

Le litige au principal et la question préjudicielle

13

Le 20 mars 2014, YL a voyagé de Vienne (Autriche) à Saint-Gall/Altenrhein (Suisse) sur un vol opéré par Altenrhein Luftfhart. Elle allègue avoir subi une hernie discale en raison de l’atterrissage.

14

Lors de cet atterrissage, l’enregistreur des données de vol a relevé une charge verticale de 1,8 g. La juridiction de renvoi indique à cet égard que, même si un tel atterrissage peut être subjectivement perçu comme étant dur, cette valeur s’inscrit encore, du point de vue aéronautique et compte tenu également de la marge d’erreur, dans la plage de fonctionnement normale de l’aéronef en cause. En effet, selon les spécifications de l’avionneur, la charge maximale pouvant être supportée par le train d’atterrissage et les pièces structurelles de l’aéronef en cause est égale à 2 g. Cette juridiction ajoute que, en raison du caractère montagneux de l’environnement dans lequel se situe l’aéroport de Saint-Gall/Altenrhein, les atterrissages durs y sont plus sûrs que les atterrissages trop doux et que, en l’occurrence, aucune erreur du pilote n’a pu être constatée.

15

YL a introduit devant le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne, Autriche) un recours contre Altenrhein Luftfhart tendant à faire constater la responsabilité de celle-ci pour le dommage qu’elle prétend avoir subi, au titre de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, ainsi qu’à obtenir le paiement d’une somme de 68858 euros, augmentée des intérêts et des dépens. Au soutien de son recours, YL fait valoir que cet atterrissage doit être qualifié de « dur » et, par conséquent, comme étant un accident, au sens de cette disposition.

16

En revanche, Altenrhein Luftfhart fait valoir que ledit atterrissage s’est inscrit dans la plage de fonctionnement normale de l’aéronef et que, partant, il s’agit d’un événement se produisant communément lors d’un vol et non pas d’un accident, au sens de ladite disposition.

17

Par jugement du 23 janvier 2019, le Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne) a rejeté ce recours au motif qu’un atterrissage ne peut être qualifié d’« accident » et engager la responsabilité du transporteur aérien, au titre de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, que s’il est exceptionnellement dur et que tel n’a pas été le cas en l’espèce. Cette juridiction a jugé que les événements se produisant communément lors d’un vol, tel un atterrissage dur ou un freinage brusque, ne justifient pas l’engagement de la responsabilité du transporteur aérien, dès lors qu’un passager normalement avisé a connaissance de ce type d’événements et s’attend à ce qu’ils puissent se produire.

18

Par arrêt du 29 avril 2019, l’Oberlandesgericht Wien (tribunal régional supérieur de Vienne, Autriche) a confirmé le jugement rendu en première instance. Tout en n’excluant pas qu’un atterrissage dur puisse exceptionnellement constituer un accident, au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, cette juridiction a jugé que cela suppose que les valeurs limites spécifiées par l’avionneur concernant la charge pouvant être supportée par le train d’atterrissage et les pièces structurelles de l’aéronef soient clairement dépassées. Selon la même juridiction, un atterrissage se déroulant normalement, tel que celui en cause au principal, exclut l’hypothèse d’un accident.

19

Saisi d’un recours en Revision contre cet arrêt, introduit par YL, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) considère qu’un atterrissage dur s’inscrit encore dans la plage de fonctionnement normale de l’aéronef lorsque la charge supportée par le train d’atterrissage et les pièces structurelles de l’aéronef reste au-dessous des valeurs limites, spécifiées par l’avionneur, au-delà desquelles une inspection technique de l’aéronef est requise. Selon cette juridiction, un atterrissage est dur lorsque, contrairement à un atterrissage en douceur, il n’est pas largement absorbé par le train d’atterrissage de l’aéronef et qu’il est clairement perceptible par les passagers.

20

Dans ce contexte, ladite juridiction s’interroge sur la question de savoir si un atterrissage dur, s’inscrivant encore dans la plage de fonctionnement normale de l’aéronef concerné, peut être qualifié d’« événement involontaire dommageable imprévu » et, ainsi, relever de la notion d’« accident », au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, tel qu’interprété par la Cour dans son arrêt du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt (C-532/18, EU:C:2019:1127, point 35).

21

Suivant une première approche, un atterrissage dur qui, tel celui en cause au principal, tout en s’inscrivant encore dans la plage de fonctionnement normale de l’aéronef, se produit de manière soudaine et inattendue pour le passager et entraîne, selon celui-ci, des lésions corporelles, constitue un « accident », au sens de cette disposition. La juridiction de renvoi se pose donc la question de savoir si les critères mentionnés au point précédent du présent arrêt doivent être appréciés selon la perspective du passager concerné, en ce sens que serait imprévu tout événement s’étant produit soudainement et auquel le passager ne s’attendait pas. Selon cette juridiction, l’utilisation, dans l’arrêt du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt (C-532/18, EU:C:2019:1127, point 35), du terme « imprévu », au lieu du terme « imprévisible », semble indiquer qu’il importe de déterminer si l’événement en cause a été prévu par le passager concerné.

22

En revanche, suivant une seconde approche, un atterrissage dur ne saurait être qualifié d’« accident », au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, que si les valeurs limites spécifiées par l’avionneur concernant la charge pouvant être supportée par le train d’atterrissage et les pièces structurelles de l’aéronef concerné ont clairement été dépassées. Selon une telle approche, la responsabilité du transporteur aérien, au titre de cette disposition, ne saurait être engagée en cas d’événements s’inscrivant dans la plage de fonctionnement normale d’un aéronef, même s’ils se produisent de manière soudaine et inattendue pour le passager concerné et entraînent des lésions corporelles pour celui-ci. Si, en pareil cas, un passager subit une lésion corporelle, celle-ci s’expliquera généralement par une prédisposition particulière du passager concerné, qui ne saurait relever de la responsabilité du transporteur aérien.

23

Dans ces conditions, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Un atterrissage dur, qui s’inscrit cependant encore dans la plage de fonctionnement normale de l’avion et au cours duquel un passager est blessé, constitue-t-il un “accident”, au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la [convention de Montréal] ? »

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité

24

Altenrhein Luftfhart soutient que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, dès lors que la jurisprudence nationale mentionnée par la juridiction de renvoi et la définition donnée par la Cour dans l’arrêt du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt (C-532/18, EU:C:2019:1127), tendent, en substance, à retenir la même interprétation de la notion d’« accident », au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal. Il existerait donc un acte clair aux fins de l’issue du litige au principal, la juridiction de renvoi ayant correctement exposé et appliqué cette notion, telle qu’interprétée par la Cour, pour parvenir à la conclusion qu’un atterrissage s’inscrivant dans la plage de fonctionnement normale d’un aéronef ne constitue pas un accident, au sens de cette disposition.

25

Selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire au principal, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, dont la convention de Montréal fait partie intégrante, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 9 juillet 2020, Vueling Airlines, C-86/19, EU:C:2020:538, point 20 et jurisprudence citée).

26

Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 9 juillet 2020, Vueling Airlines, C-86/19, EU:C:2020:538, point 21 et jurisprudence citée).

27

En outre, il n’est nullement interdit à une juridiction nationale de poser à la Cour une question préjudicielle dont, selon l’opinion de l’une des parties au principal, la réponse ne laisse place à aucun doute raisonnable. Ainsi, même à supposer que tel soit le cas, cette question ne devient pas pour autant irrecevable (arrêts du 1er décembre 2011, Painer, C-145/10, EU:C:2011:798, points 64 et 65, ainsi que du 9 juillet 2020, Vueling Airlines, C-86/19, EU:C:2020:538, point 22).

28

En l’occurrence, la pertinence de la question posée par la juridiction de renvoi pour la solution du litige dont elle est saisie ne faisant pas de doute et cette juridiction ayant précisé qu’il n’y a pas, selon elle, d’acte clair et que, par conséquent, en tant que juridiction de dernière instance, elle est tenue de saisir la Cour à titre préjudiciel, la question posée doit être déclarée recevable.

Sur le fond

29

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal doit être interprété en ce sens que la notion d’« accident » prévue par cette disposition couvre un atterrissage dur perçu par le passager concerné comme un événement imprévu, bien qu’il s’inscrive dans la plage de fonctionnement normale de l’aéronef concerné.

30

À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2027/97, la responsabilité des transporteurs aériens de l’Union à l’égard des passagers et de leurs bagages est régie par toutes les dispositions de la convention de Montréal relatives à cette responsabilité.

31

De même, il est de jurisprudence constante qu’un traité international, tel que la convention de Montréal, doit être interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but, conformément au droit international général, qui s’impose à l’Union, tel que codifié à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331) (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt, C-532/18, EU:C:2019:1127, point 31, ainsi que du 9 juillet 2020, Vueling Airlines, C-86/19, EU:C:2020:538, point 27 et jurisprudence citée).

32

Il ressort du libellé de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal que, afin que la responsabilité du transporteur aérien soit engagée, l’événement ayant causé la mort ou la lésion corporelle du passager doit être qualifié d’« accident » et s’être produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement.

33

Dans son arrêt du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt (C-532/18, EU:C:2019:1127, point 35), la Cour a précisé que le sens ordinaire de la notion d’« accident » se comprend comme un événement involontaire, dommageable et imprévu.

34

Il ressort des indications de la juridiction de renvoi, telles que rappelées aux points 20 à 22 du présent arrêt, que celle-ci s’interroge, en particulier, sur le point de savoir si la qualification d’un événement dommageable d’« imprévu », au sens de cette jurisprudence et, partant, d’« accident », au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, doit être effectuée en tenant compte de la perspective du passager concerné ou, plutôt, de la plage de fonctionnement normale de l’aéronef à bord duquel cet événement s’est produit.

35

Or, il y a lieu de rejeter d’emblée une interprétation des notions mentionnées au point précédent fondée sur la perspective de chaque passager. Dans la mesure où les perspectives et les attentes sont susceptibles de varier d’un passager à l’autre, une telle interprétation pourrait conduire à un résultat paradoxal, si un même événement venait à être qualifié d’« imprévu » et, partant, d’« accident » pour certains passagers, mais pas pour d’autres.

36

Au demeurant, une interprétation de la notion d’« accident » prévue à l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, en ce sens que l’appréciation du caractère imprévu de l’événement en cause dépend de la seule perception du passager concerné à l’égard de cet événement, est susceptible d’étendre cette notion de manière déraisonnable au détriment des transporteurs aériens. S’il est vrai que, aux termes du troisième alinéa du préambule de la convention de Montréal, les États parties à celle-ci, conscients de « l’importance d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et [de] la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation », ont décidé de prévoir un régime de responsabilité objective des transporteurs aériens, un tel régime implique, néanmoins, ainsi qu’il découle du cinquième alinéa de ce préambule, que soit préservé un « équilibre équitable des intérêts », notamment des intérêts des transporteurs aériens et des passagers (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Niki Luftfahrt, C-532/18, EU:C:2019:1127, point 36 et jurisprudence citée).

37

S’agissant, en revanche, des exigences essentielles en matière d’exploitation de l’aéronef concerné, il y a lieu de rappeler que, aux termes du point 1.b de l’annexe IV du règlement no 216/2008, un vol doit être exécuté conformément aux procédures d’exploitation prévues dans le manuel de vol ou, le cas échéant, dans le manuel d’exploitation, pour la préparation et l’exécution du vol. En outre, le point 4.a de cette annexe dispose qu’un aéronef doit être piloté conformément à sa documentation de navigabilité et à toutes les procédures et les limitations opérationnelles applicables indiquées dans son manuel de vol approuvé ou toute documentation équivalente, selon le cas.

38

Par ailleurs, il ressort du point 4.c de ladite annexe qu’un vol ne peut débuter ou être poursuivi que si les performances prévues de l’aéronef, compte tenu de tous les facteurs qui ont une incidence significative sur son niveau de performances, permettent d’exécuter toutes les phases du vol dans les limites de distance/zone et de franchissement d’obstacles applicables pour la masse d’exploitation prévue. Parmi les facteurs de performance qui ont une incidence significative sur, notamment, l’atterrissage d’un aéronef figurent, en particulier, les procédures d’exploitation ainsi que la taille, la pente et l’état de la zone de décollage/atterrissage. Conformément au point 4.c.1 de la même annexe, ces facteurs de performance doivent être pris en compte directement, en tant que paramètres opérationnels, ou indirectement, par l’application de tolérances ou de marges qui peuvent être prévues dans la programmation des données de performance de l’aéronef.

39

Le respect des dispositions rappelées aux points 37 et 38 du présent arrêt vise à assurer un atterrissage accompli conformément aux procédures et aux limitations applicables, indiquées dans le manuel de vol de l’aéronef en cause, ou toute documentation de navigabilité équivalente afférente à celui-ci, et en tenant compte des règles de l’art et des meilleures pratiques dans le domaine de l’exploitation des aéronefs, quand bien même cet atterrissage serait perçu par certains passagers comme étant plus dur que celui auquel ils s’attendaient.

40

Partant, un atterrissage qui ne dépasse pas les limites prévues par les procédures applicables à l’aéronef en cause, y compris les tolérances et les marges prévues concernant les facteurs de performance qui ont une incidence significative sur l’atterrissage, et qui se déroule conformément à ces procédures et en tenant compte des règles de l’art et des meilleures pratiques dans le domaine de l’exploitation des aéronefs, ne saurait être considéré comme « imprévu » dans le cadre de l’appréciation de la condition, posée à l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, tenant à la survenance d’un « accident ».

41

En l’occurrence, il y a lieu de relever que, selon la juridiction de renvoi, un atterrissage dur à l’aéroport de Saint-Gall/Altenrhein, tel que celui à l’origine du litige au principal, est plus sûr en raison du caractère montagneux de l’environnement dans lequel se situe cet aéroport. Toujours selon cette juridiction, l’atterrissage en cause au principal s’est déroulé sans qu’une erreur du pilote ait pu être constatée, l’enregistreur des données de vol ayant relevé une charge verticale de 1,8 g, une valeur inférieure à la limite maximale de 2 g qui, selon les spécifications de l’avionneur, peut être supportée par le train d’atterrissage et les pièces structurelles de l’aéronef concerné.

42

Or, sous réserve des vérifications de l’ensemble des circonstances entourant la survenance de l’atterrissage à l’origine du litige au principal qu’il échoit à la juridiction de renvoi de faire, un atterrissage qui s’est déroulé dans les conditions indiquées au point précédent ne saurait être considéré comme étant un accident, au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal, et, partant, engager, sur le fondement de cette disposition, la responsabilité du transporteur aérien, et ce indépendamment de la perception subjective qu’un passager peut en avoir.

43

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 17, paragraphe 1, de la convention de Montréal doit être interprété en ce sens que la notion d’« accident » prévue par cette disposition ne couvre pas un atterrissage qui s’est déroulé conformément aux procédures et aux limitations opérationnelles applicables à l’aéronef en cause, y compris les tolérances et les marges prévues concernant les facteurs de performance qui ont une incidence significative sur l’atterrissage, ainsi qu’en tenant compte des règles de l’art et des meilleures pratiques dans le domaine de l’exploitation des aéronefs, quand bien même le passager concerné percevrait cet atterrissage comme un événement imprévu.

Sur les dépens

44

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

L’article 17, paragraphe 1, de la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999, signée par la Communauté européenne le 9 décembre 1999 et approuvée au nom de celle-ci par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001, doit être interprété en ce sens que la notion d’« accident » prévue par cette disposition ne couvre pas un atterrissage qui s’est déroulé conformément aux procédures et aux limitations opérationnelles applicables à l’aéronef en cause, y compris les tolérances et les marges prévues concernant les facteurs de performance qui ont une incidence significative sur l’atterrissage, ainsi qu’en tenant compte des règles de l’art et des meilleures pratiques dans le domaine de l’exploitation des aéronefs, quand bien même le passager concerné percevrait cet atterrissage comme un événement imprévu.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.



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CJUE, n° C-70/20, Arrêt de la Cour, YL contre Altenrhein Luftfahrt GmbH, 12 mai 2021