CJCE, n° C-188/07, Arrêt de la Cour, Commune de Mesquer contre Total France SA et Total International Ltd, 24 juin 2008

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 24 juin 2008, C-188/07
Numéro(s) : C-188/07
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 24 juin 2008.#Commune de Mesquer contre Total France SA et Total International Ltd.#Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France.#Directive 75/442/CEE - Gestion des déchets - Notion de déchets - Principe du pollueur-payeur - Détenteur - Détenteurs antérieurs - Producteur du produit générateur - Hydrocarbures et fioul lourd - Naufrage - Convention sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures - FIPOL.#Affaire C-188/07.
Date de dépôt : 3 avril 2007
Précédents jurisprudentiels : 13 novembre 1990, Marleasing, C-106/89
26 avril 2005, Commission/Irlande, C-494/01
7 juin 2007, van der Weerd e.a., C-222/05 à C-225/05, Rec. p. I-4233
arrêt du 15 juin 2000, ARCO Chemie Nederland e.a., C-418/97 et C-419/97
arrêt du 18 décembre 1997, Inter-Environnement Wallonie, C-129/96
Conseil a adopté, le 2 mars 2004, la décision 2004/246/CE
Cour ( arrêt du 15 juin 2006, Air Liquide Industries Belgium, C-393/04 et C-41/05
Niselli, C-457/02
Peralta, C-379/92, Rec. p. I-3453, point 16, ainsi que du 3 juin 2008, Intertanko e.a., C-308/06
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 62007CJ0188
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2008:359
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Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

24 juin 2008 ( *1 )

«Directive 75/442/CEE — Gestion des déchets — Notion de déchets — Principe du pollueur-payeur — Détenteur — Détenteurs antérieurs — Producteur du produit générateur — Hydrocarbures et fioul lourd — Naufrage — Convention sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures — FIPOL»

Dans l’affaire C-188/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Cour de cassation (France), par décision du 28 mars 2007, parvenue à la Cour le 3 avril 2007, dans la procédure

Commune de Mesquer

contre

Total France SA,

Total International Ltd,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président, MM. A. Rosas, K. Lenaerts et L. Bay Larsen, présidents de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Schiemann, P. Kūris, E. Levits, A. Ó Caoimh, Mme P. Lindh, MM. J.-C. Bonichot, T. von Danwitz et Mme C. Toader (rapporteur), juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 janvier 2008,

considérant les observations présentées:

pour la commune de Mesquer, par Mes C. Lepage et A. Moustardier, avocats,

pour Total France SA et Total International Ltd, par Mes J.-P. Hordies, C. Smits, M. Memlouk, J. Boivin, E. Fontaine et F.-H. Briard, avocats,

pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme A.-L. During, en qualité d’agents,

pour le gouvernement belge, par Mme L. Van den Broeck, en qualité d’agent,

pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. Del Gaizo, avvocato dello Stato,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mmes C. Gibbs et I. Rao, en qualité d’agents, assistées de M. J. Maurici, barrister,

pour la Commission des Communautés européennes, par MM. M. Konstantinidis, J.-B. Laignelot et G. Valero Jordana, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 mars 2008,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 1er et 15 de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), telle que modifiée par la décision 96/350/CE de la Commission, du 24 mai 1996 (JO L 135, p. 32, ci-après la «directive 75/442»), ainsi que sur l’annexe I de cette directive.

2

Cette demande intervient dans le cadre d’un litige opposant la commune de Mesquer à Total France SA et à Total International Ltd (ci-après, ensemble, les «sociétés Total») au sujet de l’indemnisation des dommages causés par les déchets répandus sur le territoire de ladite commune à la suite du naufrage du navire pétrolier Erika.

Le cadre juridique

La réglementation internationale

3

La convention internationale sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, adoptée à Bruxelles le 29 novembre 1969, telle que modifiée par le protocole signé à Londres le 27 novembre 1992 (JO 2004, L 78, p. 32, ci-après la «convention sur la responsabilité civile»), régit la responsabilité des propriétaires de navires pour les dommages résultant de déversements d’hydrocarbures persistants provenant de navires-citernes. Elle pose le principe de leur responsabilité objective, limitée à un montant calculé en fonction de la jauge du navire, et instaure un système d’assurance responsabilité obligatoire.

4

En vertu de l’article II, sous a), de la convention sur la responsabilité civile, celle-ci s’applique aux dommages de pollution survenus sur le territoire, y compris la mer territoriale, d’un État contractant et dans la zone économique exclusive de cet État établie conformément au droit international ou, le cas échéant, dans une zone située au-delà de la mer territoriale dudit État et adjacente à celle-ci, déterminée par celui-ci conformément au droit international et ne s’étendant pas au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale.

5

Aux termes de l’article III, paragraphe 4, de la convention sur la responsabilité civile, «aucune demande de réparation de dommage par pollution, qu’elle soit ou non fondée sur la présente convention, ne peut être introduite contre […] tout affréteur (sous quelque appellation que ce soit, y compris un affréteur coque nue) armateur ou armateur-gérant de navire […] à moins que le dommage ne résulte de leur fait ou de leur omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement».

6

La convention internationale portant création d’un fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, adoptée à Bruxelles le 18 décembre 1971, telle que modifiée par le protocole signé à Londres le 27 novembre 1992 (JO 2004, L 78, p. 40, ci-après la «convention FIPOL»), complète la convention sur la responsabilité civile, en établissant un régime d’indemnisation des victimes.

7

Le Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (ci-après le «FIPOL»), alimenté par des contributions de l’industrie pétrolière, peut couvrir jusqu’à 135 millions de DTS (droits de tirage spéciaux) pour un événement antérieur à 2003. Selon l’article 4 de la convention FIPOL, les victimes peuvent former, devant les tribunaux de l’État partie à cette convention où les dommages ont été causés, des demandes afin d’obtenir une indemnisation, notamment lorsque la convention sur la responsabilité civile ne prévoit aucune responsabilité pour le dommage en question ou lorsque le propriétaire du navire est insolvable ou dégagé de sa responsabilité en vertu de ladite convention.

8

Le protocole de 2003 à la convention internationale de 1992 portant création d’un fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (JO 2004, L 78, p. 24) met en place un fonds complémentaire international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, désigné sous le nom de «fonds complémentaire international d’indemnisation de 2003 pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures», lequel permet, ensemble avec le FIPOL, de couvrir jusqu’à 750 millions d’unités de compte pour un événement déterminé postérieur au 1er novembre 2003.

La réglementation communautaire

La directive 75/442

9

Selon le troisième considérant de la directive 75/442, toute réglementation en matière d’élimination des déchets doit avoir comme objectif essentiel la protection de la santé de l’homme et de l’environnement contre les effets préjudiciables causés par le ramassage, le transport, le traitement, le stockage et le dépôt des déchets.

10

L’article 1er de la directive 75/442 dispose:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

a)

déchet: toute substance ou tout objet qui relève des catégories figurant à l’annexe I, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire.

La Commission […] établira […] une liste des déchets appartenant aux catégories énumérées à l’annexe I. […]

b)

producteur: toute personne dont l’activité a produit des déchets (‘producteur initial’) et/ou toute personne qui a effectué des opérations de prétraitement, de mélange ou autres conduisant à un changement de nature ou de composition de ces déchets;

c)

détenteur: le producteur des déchets ou la personne physique ou morale qui a les déchets en sa possession;

[…]

e)

élimination: toute opération prévue à l’annexe II A;

f)

valorisation: toute opération prévue à l’annexe II B;

g)

collecte: le ramassage, le tri et/ou le regroupement de déchets en vue de leur transport.»

11

L’article 8 de la directive 75/442 dispose:

«Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que tout détenteur de déchets:

les remette à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise qui effectue les opérations visées aux annexes II A ou II B

ou

en assure lui-même la valorisation ou l’élimination en se conformant aux dispositions de la présente directive.»

12

L’article 15 de la directive 75/442 prévoit:

«Conformément au principe du pollueur-payeur, le coût de l’élimination des déchets doit être supporté par:

le détenteur qui remet des déchets à un ramasseur ou à une entreprise visée à l’article 9

et/ou

les détenteurs antérieurs ou le producteur du produit générateur de déchets.»

13

Les catégories Q4, Q11, Q13 et Q16 de l’annexe I de la directive 75/442, intitulée «Catégories de déchets», se lisent comme suit:

«Q4 Matières accidentellement déversées, perdues ou ayant subi tout autre incident, y compris toute matière, équipement, etc., contaminés par suite de l’incident en question

[…]

Q11 Résidus d’extraction et de préparation des matières premières (par exemple résidus d’exploitation minière ou pétrolière, etc.)

[…]

Q13 Toute matière, substance ou produit dont l’utilisation est interdite par la loi

[…]

Q16 Toute matière, substance ou produit qui n’est pas couvert par les catégories ci-dessus.»

14

L’annexe II A de cette directive, intitulée «Opérations d’élimination», vise à récapituler les opérations d’élimination telles qu’elles sont effectuées en pratique, tandis que l’annexe II B de ladite directive, intitulée «Opérations de valorisation», vise de la même manière à récapituler les opérations de valorisation.

15

La directive 2006/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2006, relative aux déchets (JO L 114, p. 9), procédant dans un souci de clarté et de rationalité à une codification de la directive 75/442, reprend en ses articles 1er et 15 ainsi qu’en ses annexes I, II A et II B, les dispositions susmentionnées. La directive 2006/12 n’a toutefois été adoptée que postérieurement à la survenance des faits au principal, si bien que celle-ci n’a pas vocation à régir le litige au principal.

La directive 68/414/CEE

16

L’article 2 de la directive 68/414/CEE du Conseil, du 20 décembre 1968, faisant obligation aux États membres de la CEE de maintenir un niveau minimum de stocks de pétrole brut et/ou de produits pétroliers (JO L 308, p. 14), telle que modifiée par la directive 98/93/CE du Conseil, du 14 décembre 1998 (JO L 358, p. 100), laquelle prévoit une telle obligation notamment pour faire face à d’éventuelles pénuries ou crises d’approvisionnement, assimile les fuel-oils à une catégorie de produits pétroliers.

La directive 2004/35/CE

17

Le dixième considérant de la directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux (JO L 143, p. 56), se lit comme suit:

«Il convient de tenir compte expressément du traité Euratom et des conventions internationales pertinentes ainsi que de la législation communautaire régissant de manière plus complète et plus stricte toute activité relevant du champ d’application de la présente directive. […]»

18

L’article 4, paragraphe 2, de la directive 2004/35 dispose:

«La présente directive ne s’applique pas aux dommages environnementaux ni à aucune menace imminente de tels dommages résultant d’un incident à l’égard duquel la responsabilité ou l’indemnisation relèvent du champ d’application d’une des conventions internationales énumérées à l’annexe IV, y compris toute modification future de ces conventions, qui est en vigueur dans l’État membre concerné.»

19

L’annexe IV de la directive 2004/35 se lit comme suit:

«Conventions internationales visées à l’article 4, paragraphe 2

a)

Convention internationale du 27 novembre 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures;

b)

Convention internationale du 27 novembre 1992 portant création d’un Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures;

[…]»

La décision 2004/246/CE

20

Le Conseil a adopté, le 2 mars 2004, la décision 2004/246/CE autorisant les États membres à signer ou à ratifier, dans l’intérêt de la Communauté européenne, le protocole de 2003 à la convention internationale de 1992 portant création d’un fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, ou à y adhérer, et autorisant l’Autriche et le Luxembourg à adhérer, dans l’intérêt de la Communauté européenne, aux instruments de référence (JO L 78, p. 22).

21

Le quatrième considérant de la décision 2004/246 se lit comme suit:

«Aux termes du protocole relatif au fonds complémentaire, seuls les États souverains peuvent être parties au protocole; il n’est dès lors pas possible pour la Communauté de ratifier le protocole ou d’y adhérer, et il n’est pas envisageable qu’elle soit en mesure de le faire dans un proche avenir.»

22

Les articles 1er, paragraphe 1, et 4 de la décision 2004/246 se lisent comme suit:

«Article premier

1. Les États membres sont autorisés, dans l’intérêt de la Communauté européenne, à signer ou ratifier le protocole de 2003 à la convention internationale de 1992 portant création d’un fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (ci-après dénommé ‘protocole relatif au fonds complémentaire’), ou à y adhérer, sous réserve des conditions exposées dans les articles ci-dessous.

[…]

Article 4

Les États membres mettent tout en œuvre dans les meilleurs délais pour que le protocole relatif au fonds complémentaire et les instruments de référence soient modifiés de manière à permettre à la Communauté d’en devenir partie contractante.»

La réglementation nationale

23

L’article 2 de la loi no 75-633, du 15 juillet 1975, relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux (JORF du 16 juillet 1975, p. 7279), désormais article L. 541-2 du code de l’environnement, dispose:

«Toute personne qui produit ou détient des déchets dans des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à dégrader les sites ou les paysages, à polluer l’air ou les eaux, à engendrer des bruits et des odeurs et, d’une façon générale, à porter atteinte à la santé de l’homme et à l’environnement, est tenue d’en assurer ou d’en faire assurer l’élimination conformément aux dispositions du présent chapitre, dans des conditions propres à éviter lesdits effets.

L’élimination des déchets comporte les opérations de collecte, transport, stockage, tri et traitement nécessaires à la récupération des éléments et matériaux réutilisables ou de l’énergie, ainsi qu’au dépôt ou au rejet dans le milieu naturel de tous autres produits dans des conditions propres à éviter les nuisances mentionnées à l’alinéa précédent.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

24

Le 12 décembre 1999, le navire pétrolier Erika, battant pavillon maltais et affrété par Total International Ltd, sombrait à environ 35 milles marins au sud-ouest de la pointe de Penmarc’h (Finistère, France), déversant une partie de sa cargaison et de ses soutes en mer et entraînant une pollution du littoral atlantique français.

25

Il ressort de la décision de renvoi et des observations présentées devant la Cour que la société italienne ENEL a passé un contrat avec Total International Ltd portant sur la livraison de fioul lourd destiné à servir de combustible pour la production d’électricité. Pour l’exécution de ce contrat, Total raffinage distribution, devenue Total France SA, a vendu ce fioul lourd à Total International Ltd, laquelle a affrété le navire Erika pour le transporter du port de Dunkerque (France) à celui de Milazzo (Italie).

26

C’est à l’encontre des sociétés Total que la commune de Mesquer a introduit, le 9 juin 2000, une action devant le tribunal de commerce de Saint-Nazaire, visant notamment à faire constater que celles-ci devaient assumer, en application de la loi no 75-633, les conséquences des dommages causés par les déchets répandus sur son territoire et être condamnées in solidum au paiement des sommes engagées par la commune au titre des opérations de nettoyage et de dépollution, soit 69232,42 euros.

27

Déboutée de son action, la commune de Mesquer a interjeté appel devant la cour d’appel de Rennes, laquelle a, par arrêt du 13 février 2002, confirmé le jugement de première instance, en estimant que le fioul lourd constituait, en l’espèce, non pas un déchet, mais une matière combustible constituant une matière énergétique élaborée pour un usage déterminé. La cour d’appel de Rennes a certes reconnu que le fuel lourd, ainsi déversé et transformé par son mélange avec l’eau et le sable, a généré des déchets, mais elle a toutefois estimé qu’aucune disposition ne permettait de retenir la responsabilité des sociétés Total, celles-ci ne pouvant être considérées comme productrices ou détentrices desdits déchets. La commune de Mesquer s’est alors pourvue en cassation.

28

Considérant que le litige présente une difficulté sérieuse d’interprétation de la directive 75/442, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

[L]e fioul lourd, produit issu d’un processus de raffinage, répondant aux spécifications de l’utilisateur, destiné par le producteur à être vendu en qualité de combustible et mentionné dans la directive 68/414 […] peut-il être qualifié de déchet au sens de l’article 1er de la directive 75/442 […] codifiée par la directive 2006/12 […]?

2)

[U]ne cargaison de fioul lourd, transportée par un navire et accidentellement déversée dans la mer constitue-t-elle par elle-même ou du fait de son mélange à l’eau et à des sédiments un déchet au sens de la [catégorie] Q4 de l’annexe 1 de la directive 2006/12 […]?

3)

[E]n cas de réponse négative à la première question et positive à la deuxième, le producteur du fioul lourd (Total raffinage [distribution]) et/ou le vendeur et affréteur (Total International Ltd) peuvent-ils être considérés au sens [de l’article] 1er, sous b) et c), de la directive 2006/12 […] et pour l’application de l’article 15 de la même directive comme producteur et/ou détenteur du déchet alors qu’au moment de l’accident qui l’a transformé en déchet le produit était transporté par un tiers?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

29

Les sociétés Total soutiennent que le présent renvoi préjudiciel doit être déclaré irrecevable dans la mesure où la commune de Mesquer a déjà obtenu une indemnisation au titre du FIPOL et que, par conséquent, elle serait dépourvue d’intérêt à agir. Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle revêtirait un caractère hypothétique.

30

Selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit communautaire posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2007, van der Weerd e.a., C-222/05 à C-225/05, Rec. p. I-4233, point 22 et jurisprudence citée).

31

Par ailleurs, conformément à une jurisprudence constante, il appartient aux juridictions nationales saisies d’un litige d’apprécier tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour (arrêt du 15 juin 2006, Air Liquide Industries Belgium, C-393/04 et C-41/05, Rec. p. I-5293, point 24 et jurisprudence citée).

32

À cet égard, il ressort du dossier que la commune de Mesquer a effectivement bénéficié de paiements au titre du FIPOL, lesquels ont été versés à la suite de la demande d’indemnisation qu’elle avait formulée à l’encontre, notamment, du propriétaire du navire Erika et du FIPOL. Ces paiements ont fait l’objet de transactions par lesquelles ladite commune a renoncé expressément à toutes instances et actions, sous peine de remboursement des sommes versées.

33

Il apparaît que la juridiction de renvoi disposait de ces informations, mais qu’elle n’a toutefois ni considéré que le litige au principal était éteint ou que la commune de Mesquer avait perdu son intérêt à agir ni renoncé à poser à la Cour ses questions préjudicielles.

34

Dans ces conditions, il convient de répondre aux questions posées par la Cour de cassation.

Sur la première question

35

Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si du fioul lourd vendu à des fins de combustible peut être qualifié de déchet au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 75/442.

36

Les sociétés Total, les États membres ayant soumis des observations ainsi que la Commission sont d’avis qu’il convient de répondre négativement à cette question. Seule la commune de Mesquer soutient qu’un tel fioul lourd doit être qualifié de déchet et que, en outre, la substance en question relève de la catégorie de produits dangereux et illicites.

37

À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 1er, sous a), de la directive 75/442, doit être considéré comme déchet toute substance ou tout objet qui relève des catégories figurant à l’annexe I de cette directive, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire.

38

Ainsi, dans le contexte de ladite directive, le champ d’application de la notion de déchet dépend de la signification des termes «se défaire» (arrêt du 18 décembre 1997, Inter-Environnement Wallonie, C-129/96, Rec. p. I-7411, point 26) et, par conséquent, conformément à la jurisprudence de la Cour, il convient d’interpréter ces termes en tenant compte de l’objectif de cette même directive (arrêt du 15 juin 2000, ARCO Chemie Nederland e.a., C-418/97 et C-419/97, Rec. p. I-4475, point 37), lequel, selon le troisième considérant de ladite directive, consiste en la protection de la santé de l’homme et de l’environnement contre les effets préjudiciables causés par le ramassage, le transport, le traitement, le stockage et le dépôt des déchets, compte tenu de l’article 174, paragraphe 2, CE, qui dispose que la politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé et est fondée, notamment, sur les principes de précaution et d’action préventive (voir arrêt du 11 novembre 2004, Niselli, C-457/02, Rec. p. I-10853, point 33).

39

La Cour a également jugé que, eu égard à l’objectif poursuivi par la directive 75/442, la notion de déchet ne peut être interprétée de manière restrictive (voir arrêt ARCO Chemie Nederland e.a., précité, point 40).

40

Cette notion peut couvrir tous les objets et substances dont le propriétaire se défait, même s’ils ont une valeur commerciale et sont collectés à titre commercial aux fins de recyclage, de récupération ou de réutilisation (voir, notamment, arrêt du 18 avril 2002, Palin Granit et Vehmassalon kansanterveystyön kuntayhtymän hallitus, C-9/00, Rec. p. I-3533, ci-après l’«arrêt Palin Granit», point 29 et jurisprudence citée).

41

À cet égard, certaines circonstances peuvent constituer des indices de l’existence d’une action, d’une intention ou d’une obligation de se défaire d’une substance ou d’un objet au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 75/442. Tel est notamment le cas lorsque la substance utilisée est un résidu de production, c’est-à-dire un produit qui n’a pas été recherché comme tel (arrêt ARCO Chemie Nederland e.a., précité, points 83 et 84). La Cour a ainsi précisé que des débris d’extraction d’une carrière de granit, qui ne sont pas la production principalement recherchée par l’exploitant, constituent en principe des déchets (arrêt Palin Granit, points 32 et 33).

42

Toutefois, un bien, un matériau ou une matière première résultant d’un processus de fabrication ou d’extraction qui n’est pas destiné principalement à le produire peut constituer non pas un résidu, mais un sous-produit, dont l’entreprise souhaite non pas se défaire, mais exploiter ou commercialiser dans des conditions économiquement avantageuses, dans un processus ultérieur, sans opération de transformation préalable (voir arrêt Palin Granit, point 34, ainsi que ordonnance du 15 janvier 2004, Saetti et Frediani, C-235/02, Rec. p. I-1005, point 35).

43

En effet, il n’y a aucune justification à soumettre aux dispositions de la directive 75/442 des biens, des matériaux ou des matières premières qui ont économiquement la valeur de produits, indépendamment d’une quelconque transformation, et qui, en tant que tels, sont soumis à la législation applicable à ces produits (voir arrêt Palin Granit, point 35, ainsi que ordonnance Saetti et Frediani, précitée, point 35).

44

Cependant, eu égard à l’obligation d’interpréter largement la notion de déchets aux fins de limiter les inconvénients ou les nuisances inhérents à leur nature, le recours à cette argumentation relative aux sous-produits doit être limité aux situations dans lesquelles la réutilisation d’un bien, d’un matériau ou d’une matière première n’est pas seulement éventuelle, mais certaine, sans transformation préalable, et dans la continuité du processus de production (arrêt Palin Granit, point 36, ainsi que ordonnance Saetti et Frediani, précitée, point 36).

45

Avec le critère tiré de la nature ou non de résidu de production d’une substance, le degré de probabilité de réutilisation de cette substance, sans opération de transformation préalable, constitue donc un second critère pertinent aux fins d’apprécier si elle est ou non un déchet au sens de la directive 75/442. Si, au-delà de la simple possibilité de réutiliser la substance, il existe un avantage économique pour le détenteur à le faire, la probabilité d’une telle réutilisation est forte. Dans une telle hypothèse, la substance en cause ne peut plus être analysée comme une substance dont le détenteur chercherait à «se défaire», mais doit être considérée comme un authentique produit (voir arrêt Palin Granit, point 37).

46

Dans l’affaire au principal, il apparaît que la substance en cause est obtenue à l’issue du processus de raffinage du pétrole.

47

Cependant, cette substance résiduelle est susceptible d’être exploitée commercialement dans des conditions économiquement avantageuses, ainsi que le confirme le fait qu’elle a fait l’objet d’une transaction commerciale et qu’elle répond aux spécifications de l’acheteur, comme le souligne la juridiction de renvoi.

48

Il y a donc lieu de répondre à la première question qu’une substance telle que celle en cause au principal, à savoir du fioul lourd vendu en tant que combustible, ne constitue pas un déchet au sens de la directive 75/442, dès lors qu’elle est exploitée ou commercialisée dans des conditions économiquement avantageuses et qu’elle est susceptible d’être effectivement utilisée en tant que combustible sans nécessiter d’opération de transformation préalable.

Sur la deuxième question

49

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si du fioul lourd accidentellement déversé en mer à la suite d’un naufrage doit, dans de telles circonstances, être qualifié de déchet au sens de la catégorie Q4 de l’annexe I de la directive 75/442.

Observations soumises à la Cour

50

La commune de Mesquer, rejointe en substance par les gouvernements français et italien ainsi que la Commission, est d’avis que de tels hydrocarbures, dès lors qu’ils sont déversés en mer et a fortiori s’ils se sont mélangés à l’eau et à des sédiments, doivent être qualifiés de déchets au sens de la directive 75/442.

51

Les sociétés Total estiment que le mélange constitué par des hydrocarbures, de l’eau et des sédiments du littoral ne constitue un déchet que s’il existe une obligation d’élimination ou de valorisation des hydrocarbures accidentellement déversés en tant que tels et si ces derniers sont inextricablement liés à l’eau et aux sédiments.

52

Le gouvernement belge soutient que les produits ainsi déversés en mer devraient être qualifiés non pas de déchets au sens de la directive 75/442, mais d’hydrocarbures lourds au sens des conventions sur la responsabilité civile et FIPOL. Le gouvernement du Royaume-Uni, tout en admettant que de tels hydrocarbures peuvent être qualifiés de déchets au sens de cette directive, estime souhaitable que le déversement accidentel d’hydrocarbures en mer relève des seules conventions sur la responsabilité civile et FIPOL et, par conséquent, que la directive 75/442 ne s’applique pas dans de telles circonstances.

Réponse de la Cour

53

À titre liminaire, il convient de rappeler que l’annexe I de la directive 75/442 propose des listes de substances et d’objets pouvant être qualifiés de déchets. Elle n’a cependant qu’un caractère indicatif, la qualification de déchet résultant avant tout du comportement du détenteur et de la signification des termes «se défaire» (voir arrêt du 7 septembre 2004, Van de Walle e.a., C-1/03, Rec. p. I-7613, point 42).

54

La circonstance que l’annexe I de la directive 75/442, intitulée «Catégories de déchets», mentionne à son point Q4, les «[m]atières accidentellement déversées, perdues ou ayant subi tout autre incident, y compris toute matière, équipement, etc., contaminés par suite de l’incident en question», constitue donc seulement un indice de l’inclusion de telles matières dans le champ d’application de la notion de déchet. Elle ne permet donc pas, par elle-même, de qualifier de déchets des hydrocarbures accidentellement déversés en mer et à l’origine d’une pollution des eaux territoriales et consécutivement du littoral d’un État membre (voir, en ce sens, arrêt Van de Walle e.a., précité, point 43).

55

Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner si un tel déversement accidentel d’hydrocarbures est un acte par lequel le détenteur se défait de ceux-ci au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 75/442 (voir, en ce sens, arrêt Van de Walle e.a., précité, point 44).

56

À cet égard, lorsque la substance ou l’objet en cause constituent un résidu de production, c’est-à-dire un produit qui n’a pas été recherché comme tel en vue d’une utilisation ultérieure et que le détenteur ne peut réutiliser sans transformation préalable dans des conditions économiquement avantageuses, ceux-ci doivent être analysés comme une charge dont le détenteur «se défait» (voir arrêts Palin Granit, points 32 à 37, ainsi que Van de Walle e.a., précité, point 46).

57

S’agissant d’hydrocarbures accidentellement déversés et à l’origine d’une pollution des terres et des eaux souterraines, la Cour a eu l’occasion de constater que ceux-ci ne constituaient pas un produit réutilisable sans opération de transformation préalable (voir arrêt Van de Walle e.a., précité, point 47).

58

Or, une telle constatation s’impose également en ce qui concerne des hydrocarbures accidentellement déversés en mer et à l’origine d’une pollution des eaux territoriales et consécutivement des côtes d’un État membre.

59

En effet, il est constant que l’exploitation ou la commercialisation de tels hydrocarbures, répandus ou émulsionnés dans l’eau ou encore agglomérés à des sédiments, est très aléatoire voire hypothétique. Il est également constant que, même en admettant qu’elle soit techniquement réalisable, une telle exploitation ou commercialisation supposerait en tout état de cause des opérations de transformation préalables qui, loin d’être économiquement avantageuses pour le détenteur de cette substance, constitueraient en réalité des charges financières significatives. Il s’ensuit que de tels hydrocarbures accidentellement déversés en mer sont à considérer comme des substances que leur détenteur n’avait pas l’intention de produire et dont il «se défait», quoique involontairement, à l’occasion de leur transport si bien qu’elles doivent être qualifiées de déchets au sens de la directive 75/442 (voir, en ce sens, arrêt Van de Walle e.a., précité, points 47 et 50).

60

Par ailleurs, l’applicabilité de ladite directive n’est pas remise en cause par la circonstance que le déversement accidentel d’hydrocarbures s’est produit non pas sur le territoire terrestre d’un État membre, mais dans la zone économique exclusive de celui-ci.

61

En effet, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur l’applicabilité de cette directive au lieu du naufrage, il suffit de relever que les hydrocarbures ainsi accidentellement déversés ont dérivé le long des côtes jusqu’à s’échouer sur celles-ci, se retrouvant ainsi déversés sur le territoire terrestre de cet État membre.

62

Il en résulte que, dans les circonstances du naufrage d’un navire pétrolier telles que celles caractérisant l’affaire au principal, la directive 75/442 trouve à s’appliquer ratione loci.

63

Par conséquent, il convient de répondre à la deuxième question que des hydrocarbures accidentellement déversés en mer à la suite d’un naufrage, se retrouvant mélangés à l’eau ainsi qu’à des sédiments et dérivant le long des côtes d’un État membre jusqu’à s’échouer sur celles-ci, constituent des déchets au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 75/442, dès lors que ceux-ci ne sont plus susceptibles d’être exploités ou commercialisés sans opération de transformation préalable.

Sur la troisième question

64

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, dans les circonstances du naufrage d’un navire pétrolier, le producteur du fioul lourd déversé en mer et/ou le vendeur de ce fioul et affréteur du navire qui transportait cette substance peuvent être tenus de supporter les coûts liés à l’élimination des déchets ainsi générés, alors même que la substance déversée en mer était transportée par un tiers, en l’occurrence un transporteur maritime.

Observations soumises à la Cour

65

La commune de Mesquer estime que, dans l’affaire au principal, aux fins de l’application de l’article 15 de la directive 75/442, le producteur du fioul lourd ainsi que le vendeur de ce fioul et affréteur du navire transportant cette substance doivent être considérés, au sens de l’article 1er, sous b) et c), de cette directive, comme producteurs et détenteurs des déchets résultant du déversement en mer de ladite substance.

66

Selon les sociétés Total, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’article 15 de la directive 75/442 ne s’applique pas au producteur du fioul lourd ni au vendeur de ce fioul et affréteur du navire qui transportait cette substance dès lors que, au moment de l’accident qui a transformé ladite substance en déchets, celle-ci était transportée par un tiers. Par ailleurs, cette disposition ne s’appliquerait pas non plus au producteur du fioul lourd au seul motif qu’il serait producteur du produit qui a généré les déchets.

67

Le gouvernement français, rejoint en partie par le gouvernement italien et la Commission, est d’avis que le producteur du fioul lourd et/ou le vendeur de ce fioul et affréteur du navire qui transportait cette substance ne peuvent être considérés comme producteurs et/ou détenteurs des déchets résultant du déversement en mer de ladite substance que si le naufrage du navire, qui a transformé la cargaison de fioul lourd en déchets, était imputable à divers agissements susceptibles d’engager leur responsabilité. La Commission ajoute cependant que le producteur d’un produit tel que le fioul lourd ne peut, du seul fait de cette activité, être considéré comme «producteur» et/ou «détenteur», au sens de l’article 1er, sous b) et c), de la directive 75/442, des déchets générés par ce produit à l’occasion d’un accident lors de son transport. Néanmoins, il resterait tenu, en vertu de l’article 15, second tiret, de cette directive, de supporter le coût d’élimination des déchets en sa qualité de «producteur du produit générateur de déchets».

68

Pour le gouvernement belge, l’application de la directive 75/442 est exclue du fait que la convention sur la responsabilité civile a vocation à s’appliquer. De la même manière, le gouvernement du Royaume-Uni estime que la Cour ne doit pas répondre à cette question dans la mesure où l’affaire au principal porte sur des questions de responsabilité du fait d’un déversement de fioul lourd en mer.

Réponse de la Cour

69

Dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, eu égard à l’objectif de la directive 75/442 tel que rappelé au troisième considérant de celle-ci, l’article 15, second tiret, de cette directive prévoit que, conformément au principe du pollueur-payeur, le coût de l’élimination des déchets doit être supporté par les détenteurs antérieurs ou par le producteur du produit générateur des déchets.

70

En vertu de l’article 8 de la directive 75/442, tout «détenteur de déchets» est tenu soit de les remettre à un ramasseur privé ou public ou à une entreprise qui effectue les opérations visées aux annexes II A ou II B de cette directive, soit d’en assurer lui-même la valorisation ou l’élimination en se conformant aux dispositions de ladite directive (arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C-494/01, Rec. p. I-3331, point 179).

71

Il résulte des dispositions susmentionnées que la directive 75/442 distingue la réalisation matérielle des opérations de valorisation ou d’élimination, qu’elle met à la charge de tout «détenteur de déchets», qu’il en soit le producteur ou le possesseur, de la prise en charge financière desdites opérations, qu’elle impose, conformément au principe du pollueur-payeur, aux personnes qui sont à l’origine des déchets, qu’elles en soient détentrices ou anciennes détentrices ou encore productrices du produit générateur des déchets (arrêt Van de Walle e.a., précité, point 58).

72

À cet égard, l’application du principe du pollueur-payeur, au sens de l’article 174, paragraphe 2, premier alinéa, seconde phrase, CE et de l’article 15 de la directive 75/442, serait mise en échec si de telles personnes impliquées dans la génération de déchets devaient échapper à leurs obligations financières telles que prévues par cette directive, alors même qu’est clairement établie l’origine des hydrocarbures qui ont été déversés en mer, bien qu’involontairement, et qui ont été à l’origine d’une pollution du territoire côtier d’un État membre.

Sur les notions de «détenteur» et de «détenteurs antérieurs»

73

La Cour a estimé, s’agissant d’hydrocarbures accidentellement déversés, provenant de la fuite d’installations de stockage d’une station-service et qui avaient été achetés par cette dernière pour les besoins de son exploitation, que ces hydrocarbures étaient, en fait, en possession du gestionnaire de la station-service. La Cour a ainsi estimé que, dans ce contexte, celui qui, pour les besoins de son activité, stockait ces hydrocarbures lorsqu’ils sont devenus des déchets, peut être considéré comme celui les ayant «produits», au sens de l’article 1er, sous b), de la directive 75/442. En effet, dès lors qu’il est à la fois le possesseur et le producteur de ces déchets, le gestionnaire d’une telle station-service doit être considéré comme étant détenteur de ces déchets, au sens de l’article 1er, sous c), de cette directive (voir, en ce sens, arrêt Van de Walle e.a., précité, point 59).

74

De la même manière, dans le cas d’hydrocarbures accidentellement déversés en mer, il convient de relever que le propriétaire du navire transportant lesdits hydrocarbures est, en fait, en possession de ceux-ci immédiatement avant qu’ils ne deviennent des déchets. Dans ces conditions, le propriétaire dudit navire peut donc être considéré comme ayant produit ces déchets au sens de l’article 1er, sous b), de la directive 75/442 et être ainsi qualifié à ce titre de «détenteur» au sens de l’article 1er, sous c), de cette directive.

75

Toutefois, ladite directive n’exclut pas que, dans certaines hypothèses, le coût de l’élimination des déchets soit à la charge d’un ou de plusieurs détenteurs antérieurs (arrêt Van de Walle e.a., précité, point 57).

Sur la détermination des personnes devant supporter le coût de l’élimination des déchets

76

Dans l’affaire au principal, la question qui se pose est celle de savoir si celui qui a vendu la marchandise au destinataire final et a pour cela affrété le navire qui s’est abîmé en mer peut également être considéré comme «détenteur», à ce titre «antérieur», des déchets ainsi déversés. Par ailleurs, la juridiction de renvoi se demande si le producteur du produit générateur de ces déchets peut également être tenu de supporter le coût de l’élimination des déchets ainsi générés.

77

À cet égard, l’article 15 de la directive 75/442 prévoit que certaines catégories de personnes, en l’occurrence les «détenteurs antérieurs» ou le «producteur du produit générateur», peuvent, conformément au principe du pollueur-payeur, être tenues de supporter le coût de l’élimination des déchets. Ainsi, cette obligation financière leur incombe en raison de leur contribution à la génération desdits déchets et, le cas échéant, au risque de pollution qui en résulte.

78

Dès lors, s’agissant d’hydrocarbures accidentellement déversés en mer à la suite du naufrage d’un navire pétrolier, le juge national peut considérer que le vendeur de ces hydrocarbures et affréteur du navire les transportant a «produit des déchets», si ce juge, au vu des éléments que lui seul est à même d’apprécier, aboutit à la conclusion que ce vendeur-affréteur a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par ce naufrage, en particulier s’il s’est abstenu de prendre les mesures visant à prévenir un tel événement telles que celles concernant le choix du navire. Dans de telles circonstances, ledit vendeur-affréteur pourra être considéré comme détenteur antérieur des déchets aux fins de l’application de l’article 15, second tiret, première partie, de la directive 75/442.

79

Ainsi qu’il a été rappelé au point 69 du présent arrêt, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, l’article 15, second tiret, de la directive 75/442 prévoit, par le recours à la conjonction «ou», que le coût de l’élimination des déchets doit être supporté soit par les «détenteurs antérieurs», soit par le «producteur du produit générateur» des déchets en question.

80

À cet égard, conformément à l’article 249 CE, les États membres destinataires de la directive 75/442, tout en ayant la compétence quant à la forme et aux moyens, sont liés quant à ce résultat à atteindre en termes de prise en charge financière des coûts liés à l’élimination des déchets. Par conséquent, ils sont tenus de s’assurer que leur droit national permette l’imputation desdits coûts soit aux détenteurs antérieurs, soit au producteur du produit générateur des déchets.

81

Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 135 de ses conclusions, l’article 15 de la directive 75/442 ne s’oppose pas à ce que les États membres prévoient, en application d’engagements internationaux souscrits en la matière, tels que les conventions sur la responsabilité civile et FIPOL, que le propriétaire du navire et l’affréteur de ce dernier ne peuvent répondre des dommages causés par le déversement d’hydrocarbures en mer qu’à hauteur de montants plafonnés en fonction de la jauge du navire et/ou que dans des circonstances particulières liées à leur comportement négligent. Cette disposition ne s’oppose pas non plus à ce que, en application desdits engagements internationaux, un fonds d’indemnisation, tel que le FIPOL, aux ressources plafonnées pour chaque sinistre, prenne en charge en lieu et place des «détenteurs» au sens de l’article 1er, sous c), de la directive 75/442, les coûts liés à l’élimination des déchets résultant d’hydrocarbures accidentellement déversés en mer.

82

Toutefois, s’il s’avère que les coûts liés à l’élimination des déchets générés par un déversement accidentel d’hydrocarbures en mer ne sont pas pris en charge par ledit fonds ou ne peuvent l’être en raison de l’épuisement du plafond d’indemnisation prévu pour ce sinistre et que, en application des limitations et/ou des exonérations de responsabilité prévues, le droit national d’un État membre, y compris celui issu de conventions internationales, empêche que ces coûts soient supportés par le propriétaire du navire et/ou l’affréteur de ce dernier, alors même que ceux-ci sont à considérer comme des «détenteurs» au sens de l’article 1er, sous c), de la directive 75/442, un tel droit national devra alors permettre, pour assurer une transposition conforme de l’article 15 de cette directive, que lesdits coûts soient supportés par le producteur du produit générateur des déchets ainsi répandus. Cependant, conformément au principe du pollueur-payeur, un tel producteur ne peut être tenu de supporter ces coûts que si, par son activité, il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage du navire.

83

À cet égard, l’obligation pour un État membre de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le résultat prescrit par une directive est une obligation contraignante imposée par l’article 249, troisième alinéa, CE et par la directive elle-même. Cette obligation de prendre toutes mesures générales ou particulières s’impose à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles (voir arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106/89, Rec. p. I-4135, point 8, et Inter-Environnement Wallonie, précité, point 40).

84

Il s’ensuit que, en appliquant le droit national, qu’il s’agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive ou de dispositions résultant de conventions internationales auxquelles l’État membre a souscrit, la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l’article 249, troisième alinéa, CE (voir, en ce sens, arrêt Marleasing, précité, point 8).

85

Par ailleurs, contrairement à ce que les sociétés Total ont fait valoir lors de l’audience, la Communauté n’est pas liée par les conventions sur la responsabilité civile et FIPOL. En effet, d’une part, la Communauté n’a pas adhéré auxdits instruments internationaux et, d’autre part, elle ne saurait être considérée ni comme s’étant substituée à ses États membres, ne serait-ce que parce que ceux-ci ne sont pas tous parties à ces conventions (voir, par analogie, arrêts du 14 juillet 1994, Peralta, C-379/92, Rec. p. I-3453, point 16, ainsi que du 3 juin 2008, Intertanko e.a., C-308/06, Rec. p. I-4057, point 47), ni comme étant indirectement liée par lesdites conventions du fait de l’article 235 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, entrée en vigueur le 16 novembre 1994 et approuvée par la décision 98/392/CE du Conseil, du 23 mars 1998 (JO L 179, p. 1), disposition dont le paragraphe 3 se borne, ainsi que l’a souligné le gouvernement français à l’audience, à établir une obligation générale de coopération entre les parties à ladite convention.

86

En outre, s’agissant de la décision 2004/246 autorisant les États membres à signer ou à ratifier, dans l’intérêt de la Communauté, le protocole de 2003 à la convention FIPOL, ou à y adhérer, il suffit de constater que ladite décision et ledit protocole de 2003 ne sauraient trouver d’application aux faits en cause dans l’affaire au principal.

87

Certes, la directive 2004/35 prévoit expressément, à son article 4, paragraphe 2, qu’elle ne s’applique pas à un incident ni à une activité à l’égard desquels la responsabilité ou l’indemnisation relèvent du champ d’application d’un des instruments internationaux énumérés à son annexe IV, laquelle mentionne les conventions sur la responsabilité civile et FIPOL. En effet, le législateur communautaire, ainsi que l’indique le dixième considérant de cette directive, a estimé nécessaire de tenir compte expressément des conventions internationales pertinentes régissant de manière plus complète et plus stricte toute activité relevant du champ d’application de cette directive.

88

Cependant, force est de constater que la directive 75/442 ne contient pas une disposition analogue, y compris dans sa version codifiée telle qu’elle résulte de la directive 2006/12.

89

Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que, aux fins de l’application de l’article 15 de la directive 75/442 au déversement accidentel d’hydrocarbures en mer à l’origine d’une pollution des côtes d’un État membre:

le juge national peut considérer le vendeur de ces hydrocarbures et affréteur du navire les transportant comme producteur desdits déchets, au sens de l’article 1er, sous b), de la directive 75/442, et, ce faisant, comme «détenteur antérieur» aux fins de l’application de l’article 15, second tiret, première partie, de cette directive, si ce juge, au vu des éléments que lui seul est à même d’apprécier, aboutit à la conclusion que ce vendeur-affréteur a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par ce naufrage, en particulier s’il s’est abstenu de prendre les mesures visant à prévenir un tel événement telles que celles concernant le choix du navire;

s’il s’avère que les coûts liés à l’élimination des déchets générés par un déversement accidentel d’hydrocarbures en mer ne sont pas pris en charge par le FIPOL ou ne peuvent l’être en raison de l’épuisement du plafond d’indemnisation prévu pour ce sinistre et que, en application des limitations et/ou des exonérations de responsabilité prévues, le droit national d’un État membre, y compris celui issu de conventions internationales, empêche que ces coûts soient supportés par le propriétaire du navire et/ou l’affréteur de ce dernier, alors même que ceux-ci sont à considérer comme des «détenteurs» au sens de l’article 1er, sous c), de la directive 75/442, un tel droit national devra alors permettre, pour assurer une transposition conforme de l’article 15 de cette directive, que lesdits coûts soient supportés par le producteur du produit générateur des déchets ainsi répandus. Cependant, conformément au principe du pollueur-payeur, un tel producteur ne peut être tenu de supporter ces coûts que si, par son activité, il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage du navire.

Sur les dépens

90

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)

Une substance telle que celle en cause au principal, à savoir du fioul lourd vendu en tant que combustible, ne constitue pas un déchet au sens de la directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets, telle que modifiée par la décision 96/350/CE de la Commission, du 24 mai 1996, dès lors qu’elle est exploitée ou commercialisée dans des conditions économiquement avantageuses et qu’elle est susceptible d’être effectivement utilisée en tant que combustible sans nécessiter d’opération de transformation préalable.

2)

Des hydrocarbures accidentellement déversés en mer à la suite d’un naufrage, se retrouvant mélangés à l’eau ainsi qu’à des sédiments et dérivant le long des côtes d’un État membre jusqu’à s’échouer sur celles-ci, constituent des déchets au sens de l’article 1er, sous a), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, dès lors que ceux-ci ne sont plus susceptibles d’être exploités ou commercialisés sans opération de transformation préalable.

3)

Aux fins de l’application de l’article 15 de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, au déversement accidentel d’hydrocarbures en mer à l’origine d’une pollution des côtes d’un État membre:

le juge national peut considérer le vendeur de ces hydrocarbures et affréteur du navire les transportant comme producteur desdits déchets, au sens de l’article 1er, sous b), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, et, ce faisant, comme «détenteur antérieur» aux fins de l’application de l’article 15, second tiret, première partie, de cette directive, si ce juge, au vu des éléments que lui seul est à même d’apprécier, aboutit à la conclusion que ce vendeur-affréteur a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par ce naufrage, en particulier s’il s’est abstenu de prendre les mesures visant à prévenir un tel événement telles que celles concernant le choix du navire;

s’il s’avère que les coûts liés à l’élimination des déchets générés par un déversement accidentel d’hydrocarbures en mer ne sont pas pris en charge par le Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ou ne peuvent l’être en raison de l’épuisement du plafond d’indemnisation prévu pour ce sinistre et que, en application des limitations et/ou des exonérations de responsabilité prévues, le droit national d’un État membre, y compris celui issu de conventions internationales, empêche que ces coûts soient supportés par le propriétaire du navire et/ou l’affréteur de ce dernier, alors même que ceux-ci sont à considérer comme des «détenteurs» au sens de l’article 1er, sous c), de la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350, un tel droit national devra alors permettre, pour assurer une transposition conforme de l’article 15 de cette directive, que lesdits coûts soient supportés par le producteur du produit générateur des déchets ainsi répandus. Cependant, conformément au principe du pollueur-payeur, un tel producteur ne peut être tenu de supporter ces coûts que si, par son activité, il a contribué au risque de survenance de la pollution occasionnée par le naufrage du navire.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le français.

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CJCE, n° C-188/07, Arrêt de la Cour, Commune de Mesquer contre Total France SA et Total International Ltd, 24 juin 2008