Cour nationale du droit d'asile, 31 août 2020, n° 19043768

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Sur la décision

Référence :
CNDA, 31 août 2020, n° 19043768
Numéro(s) : 19043768

Sur les parties

Texte intégral

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE N° 19043768

___________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Mme D Y

___________

La Cour nationale du droit d’asile Mme J-K

Présidente

___________ (6ème section, 1ère chambre)

Audience du 28 juillet 2020 Lecture du 31 août 2020 ___________

Vu la procédure suivante :

Par un recours enregistré le 23 septembre 2019, Mme D Y, par l’intermédiaire de sa mère et représentante légale, Mme E F, et représentée par Me X, demande à la Cour :

1°) d’annuler la décision du 29 mai 2019 par laquelle le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d’asile et de lui reconnaître la qualité de réfugiée ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ;

2°) de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de mille cinq cents (1 500) euros à verser à Me X en application de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.


Mme Y, de nationalité nigériane, née le […], soutient, par l’intermédiaire de sa mère et représentante légale, qu’elle L d’être exposée à des persécutions ou à une atteinte grave, en cas de retour dans son pays d’origine, par des membres de sa famille, du fait de son absence d’excision, sans pouvoir bénéficier de la protection des autorités de son pays.

Vu :

- la décision attaquée ;

- la décision du bureau d’aide juridictionnelle du 5 septembre 2019 accordant à Mme Y le bénéfice de l’aide juridictionnelle ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;

- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;


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- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience qui s’est tenue à huis clos :

- le rapport de Mme Z, rapporteure ;

- les explications de Mme E F, en sa qualité de représentante légale de Mme Y, entendue en anglais et assistée de M. Mugwanya, interprète assermenté ;

- et les observations de Me X.

Une note en délibéré, enregistrée le 30 juillet 2020 a été produite par Me X.

Considérant ce qui suit :

Sur la demande d’asile :

1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

2. Mme Y, de nationalité nigériane, née le […] à Gonesse en France, soutient, par l’intermédiaire de sa mère et représentante légale, qu’elle L d’être exposée à des persécutions, en cas de retour dans son pays d’origine, par des membres de sa famille, du fait de son appartenance au groupe social des enfants et adolescentes non mutilées sexuellement, sans pouvoir bénéficier de la protection des autorités de son pays. Elle fait valoir que sa mère, Mme E F de confession chrétienne, d’origine ethnique bini, et native de G H, vivait à Kano où elle exerçait la profession de vendeuse depuis le décès de ses parents en 2015. Celle-ci a quitté son pays en janvier 2016 et est arrivée en France en avril 2016, après avoir traversé le Niger et avoir séjourné en Libye et en Italie. Elle a présenté une demande d’asile en France rejetée, par l’OFPRA, puis par la Cour, en 2017 et en 2019. Elle a entamé une relation avec M. Y, de nationalité ghanéenne, dont est issue la requérante, née le […] en France. Le couple s’est ensuite séparé.

3. Un groupe social est, au sens de cet article, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. L’appartenance à un tel groupe est un fait social objectif qui ne dépend pas de la manifestation par ses membres, ou, s’ils ne sont pas en mesure de le faire, par leurs proches, de leur appartenance à ce groupe.

4. Il en résulte que, dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les enfants et

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les adolescentes non mutilées constituent de ce fait un groupe social. En outre, l’admission au statut de réfugié peut légalement être refusée, ainsi que le prévoit l’article L. 713-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, lorsque l’intéressée peut avoir accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d’origine, à laquelle elle est en mesure, en toute sûreté, d’accéder afin de s’y établir et d’y mener une vie familiale normale.

5. Il ressort des sources publiques consultées, notamment des observations finales du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes publiées le 24 juillet 2017 et du rapport du Home Office britannique intitulé « Country Policy and Information Note Nigeria : Female Genital Mutilation » publié en février 2017, que malgré les mesures prises par le gouvernement nigérian, sur le plan légal, institutionnel et politique, pour lutter contre les mutilations sexuelles féminines (MSF), cette pratique persiste au Nigéria et les sanctions à l’égard de ses auteurs restent mineures. Si une loi sur la prohibition des violences contre les personnes, dont les MSF, intitulée « Violence against Persons (Prohibition) Act 2015 » a été adoptée par le Parlement nigérian le 5 mai 2015 et est entrée en vigueur en juin 2015, ce texte ne fournit aucune définition de la pratique en cause et n’est applicable que sur le territoire de la capitale fédérale et non dans les États fédéraux où elle reste la plus répandue, ce qui diminue considérablement son effet. Selon une étude du Nigeria Demographic and Health Survey parue en juin 2014, 25% des femmes nigérianes sont excisées. Cette prévalence est plus forte dans les Etats du sud, notamment dans l’Etat d’Edo dont la mère de la requérante est originaire, dans lequel le taux d’excision s’élève à 41,6%. En outre, selon le rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) intitulé EASO Country of Origin Information Report: Nigeria – Country Focus, paru au mois de juin 2017, plusieurs enquêtes sur les MSF montrent que la pratique a tendance à être plus courante parmi les groupes ethniques du sud que parmi les groupes du nord et qu’elle serait de 69 à 77 % chez l’ethnie Bini. Ainsi, il peut être considéré que l’excision s’apparente au sein de la communauté Bini à une norme sociale et que les enfants et femmes non mutilées y constituent un groupe social au sens de la convention de Genève.

6. Les déclarations précises et circonstanciées de la mère de Mme D Y, lors de l’audience se tenant à huis clos, permettent de tenir pour avéré le risque encouru par la requérante d’être exposée à une mutilation sexuelle féminine en cas d’entrée sur le territoire nigérian. En effet, elle a tenu des propos spontanés s’agissant de son environnement familial et du poids des traditions au sein de sa famille d’ethnie Bini. A cet égard, elle a précisé qu’en cas de retour au Nigéria, elle serait contrainte de retourner vivre dans sa famille maternelle à G H, compte tenu notamment de sa qualité de parent isolé depuis sa rupture avec le père de l’enfant et de l’indifférence de ce dernier quant à leurs conditions d’existence. En outre, elle a indiqué qu’elle avait été jointe en France, postérieurement à son entretien devant l’Office, par une tante maternelle qui s’est étonnée que la fillette n’ait pas encore été excisée. Il a paru ainsi vraisemblable que cette famille proche représenterait une menace pour l’intégrité physique de la requérante. De plus, sa mère a également expliqué de manière personnalisée qu’elle avait été elle-même excisée et qu’elle ne voulait pas que sa fille rencontre les mêmes difficultés qu’elle. A cet égard, le certificat médical établi par un médecin généraliste le 24 août 2018 est venu corroborer les dires concernant l’excision de la mère de la requérante, lorsqu’elle était enfant. Dans ces conditions et dans le contexte qui prévaut toujours au Nigéria concernant la pratique des mutilations génitales féminines, si D Y, dont l’intégrité physique est attestée par plusieurs certificats médicaux datés des 24 août 2018 et 14 mai 2019, devait se rendre au Nigéria, il est tenu pour établi que sa mère ne serait pas en mesure de la protéger efficacement contre le risque d’une excision décidée au sein du clan familial. Il résulte de ce qui précède que Mme D Y L

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avec raison, au sens des stipulations de la convention de Genève, d’être persécutée en cas de retour au Nigéria, par sa famille, en raison de son appartenance au groupe social des enfants exposées à une mutilation génitale féminine, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités nigériennes. Dès lors, Mme D Y est fondée à se prévaloir de la qualité de réfugiée.

Sur l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

7. Aux termes de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’OFPRA la somme correspondant à celle que Me X aurait réclamée à sa cliente si cette dernière n’avait pas eu l’aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du directeur général de l’OFPRA du 29 mai 2019 est annulée.

Article 2 : La qualité de réfugiée est reconnue à Mme D Y.

Article 3 : Le surplus des conclusions est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme E F, à Me X et au directeur général de l’OFPRA.

Délibéré après l’audience du 28 juillet 2020 à laquelle siégeaient :

- Mme J-K, présidente ;

- Mme B, personnalité nommée par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés ;

- Mme C, personnalité nommée par le vice-président du Conseil d’Etat.

Lu en audience publique le 31 août 2020.

La présidente : La cheffe de chambre :

B. J-K A. Halilovic

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Si vous estimez devoir vous pourvoir en cassation contre cette décision, votre pourvoi devra être présenté par le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation dans un délai de deux mois, devant le Conseil d’Etat. Le délai ci-dessus mentionné est augmenté d'un mois, pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à […], à Saint-K, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises et de deux mois pour les personnes qui demeurent à l’étranger.

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