Cour nationale du droit d'asile, 9 juillet 2021, n° 21012994

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CNDA, 9 juill. 2021, n° 21012994
Numéro(s) : 21012994

Sur les parties

Texte intégral

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

N° 21012994

___________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS M. D Z

___________

La Cour nationale du droit d’asile M. X

Président

___________ (5ème section, 3ème chambre)

Audience du 18 juin 2021 Lecture du 9 juillet 2021 ___________

Vu la procédure suivante :

Par un recours enregistré le 24 mars 2021, M. D Z, représenté par Me Y, demande à la Cour :

1°) d’annuler la décision du 19 février 2021 par laquelle le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d’asile et de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ;

2°) de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de 1 800 euros à verser à Me Y en application de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

M. Z, qui se déclare de nationalité éthiopienne, né le […], soutient qu’il craint d’être exposé à des persécutions ou à une atteinte grave, en cas de retour dans son pays d’origine, où il est isolé et vulnérable :

- d’une part, du fait des autorités, en raison des rumeurs colportées par son oncle concernant une collaboration supposée de sa mère avec le Front de Libération oromo (FLO) et, eu égard aux tensions ethniques et à la situation politique actuelle, de son appartenance à la communauté oromo ;

- d’autre part, du fait de son oncle paternel et son cousin, en raison d’un conflit foncier relatif au champ de son père décédé, sans pouvoir utilement se prévaloir de la protection des autorités.

Vu :

- la décision attaquée ;

- la décision du bureau d’aide juridictionnelle du 30 mars 2021 accordant à M. Z le bénéfice de l’aide juridictionnelle ;

- les autres pièces du dossier.


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Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;

- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Yerbe, rapporteur ;

- les explications de M. Z, entendu en oromo et assisté de M. Sembro, interprète assermenté ;

- et les observations de Me Y.

Considérant ce qui suit :

Sur la demande d’asile :

1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

2. Aux termes de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle courrait dans son pays un risque réel de subir l’une des atteintes graves suivantes : 1° La peine de mort ou une exécution ; 2° La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; 3° S’agissant d’un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d’une situation de conflit armé interne ou international ».

3. M. Z, de nationalité éthiopienne, né le […] en Ethiopie, et qui se déclare d’ethnie oromo et de confession musulmane, soutient qu’il craint d’être exposé à des persécutions ou à une atteinte grave, en cas de retour dans son pays d’origine, où en qualité de jeune homme isolé, sans famille et vulnérable, il ne sait pas où aller et serait dans l’incapacité de se constituer un réseau pour assurer sa protection, d’une part, du fait des autorités, en raison des rumeurs colportées par son oncle concernant une collaboration supposée de sa mère avec le FLO et, eu égard aux tensions ethniques et à la situation politique actuelle, de son appartenance à la communauté oromo, et d’autre part, du fait de son oncle paternel et son cousin, en raison d’un conflit foncier relatif au champ de son défunt père, sans pouvoir utilement se prévaloir de la protection des autorités. Il fait valoir qu’il est originaire du village de Oda Dima situé à proximité de la localité de Mena, dans la zone de Bale, région Oromia. En 2007, son père, qui avait laissé un terrain agricole de sept hectares à sa mère, est décédé. En 2009, sa mère waaqqefeta a refusé de devenir la deuxième épouse de son oncle paternel comme

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le voulait la tradition dans la famille de confession musulmane de son père, oncle qui avait donc déjà une épouse et cinq ou sept enfants. Par ailleurs, son oncle, ayant déjà un terrain qui n’était pas à côté de chez eux, voulait prendre le terrain agricole laissé par son père pour le donner à son cousin paternel, ce à quoi sa mère s’est opposée. En 2009 ou 2010, sa maison a été incendiée. Il s’agissait d’un acte de pression pour faire peur à sa mère afin qu’elle se résigne à accepter le mariage et la transmission de l’héritage. Son cousin paternel a été dénoncé par des élèves d’une école musulmane du voisinage comme étant l’auteur de l’incendie, mais son oncle a réussi à étouffer l’affaire. Le soir même, des anciens ont convaincu sa mère d’aller vivre avec lui chez son oncle paternel, où ils ont ainsi logé dans une pièce dédiée. Alors que lors de la médiation, son oncle s’était engagé à ne plus le faire, ce dernier a continué à solliciter en mariage sa mère en se faisant plus menaçant. Sa mère voulait qu’il continue l’école, ce que son oncle a refusé, souhaitant qu’il travaille avec ses employés dans le champ. Un jour, son oncle a voulu faire empoisonner sa mère, et lorsque ce dernier a constaté que cela avait échoué, il les a chassés deux jours plus tard sous la menace d’un pistolet. Le soir même, sa mère a porté plainte mais cela est demeuré sans suite, la police ayant conseillé à sa mère de quitter le logement si elle se sentait menacée. Il a alors vécu durant un an avec sa mère à Maliyu avant de revenir à Oda Dima. En effet, en 2015, sa mère a obtenu gain de cause auprès de l’administration en prouvant qu’elle avait elle-même payé les taxes nécessaires pour le terrain. En septembre 2015, une maison a pu être reconstruite sur le terrain, et il s’y est réinstallé avec sa mère. Parallèlement, à partir de 2015, son oncle a fait courir des rumeurs selon lesquelles sa mère aidait les militaires du FLO et transportait de la nourriture pour eux, ce qui a suscité l’inquiétude de sa mère et le fait qu’ils se sentaient surveiller par des policiers qui rôdaient autour de leur maison. Deux mois après leur réinstallation de septembre 2015, son cousin et trois amis de cet individu sont venus à leur domicile dans le but de tuer sa mère. Alors que ces derniers frappaient sa mère, il a commencé à crier et pour le faire taire, son cousin l’a poignardé, puis ses agresseurs sont partis. Ayant perdu connaissance, il ne se rappelle pas de la suite, mais sa mère lui a raconté qu’elle a crié, le voisinage est arrivé, les policiers ont été appelés, ont interpellé son cousin et l’ont relâché tout de suite, dès lors que les anciens envoyés comme intermédiaires avaient convaincu sa mère d’accepter cette libération et qu’ils ont payé pour le faire soigner durant un jour dans un hôpital privé. Le lendemain, il est rentré chez lui. En 2016, sa mère a été arrêt et a passé une nuit en garde à vue pour ses prétendus liens avec le FLO. Avant le jour de son interrogatoire par les policiers au sujet des rumeurs de collaboration avec le FLO, sa mère a préféré quitter le pays avec lui. Il a quitté l’Ethiopie avec sa mère le 2 février 2016 et, après avoir transité durant un ou deux mois au Soudan, notamment à Gadarif et à Khartoum, il s’est rendu avec sa mère en Libye. En Libye, sa mère est décédée dans un accident de voiture. Pour sa part, il a ensuite été captif des passeurs dans un entrepôt à Beni Walid avant d’être reçu par l’UNHCR, et hospitalisé par eux pendant deux mois. Le 22 décembre 2017, l’UNHCR s’est occupé de son transfert vers l’Italie, où il est arrivé. D’abord hospitalisé durant trente-cinq jours, il a ensuite été transféré dans un camp mais n’a pas demandé l’asile. Il est entré en France le 12 février 2020.

4. En premier lieu, les déclarations de M. Z permettent d’établir sa nationalité éthiopienne, son appartenance à la communauté oromo, ainsi que sa provenance du village de Oda Dima dans la zone de Bale, province d’Oromia. En effet, il a été en mesure de fournir des indications crédibles et suffisamment circonstanciées sur ses conditions matérielles d’existence dans cette localité, informations s’inscrivant dans un contexte cohérent et renseigné notamment par une note de mai 2004 de l’organisation non gouvernementale World Wildlife Fund, intitulée « Now We Can Live in Harmony with the Park. Conserving the Bale Mountains in Ethiopia ».

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5. En deuxième lieu, cependant, les pièces du dossier et les déclarations de M. Z, n’ont pas permis d’établir qu’un lien lui serait imputé avec le FLO, ni les craintes exprimées en raison de son appartenance à la communauté oromo. D’une part, il n’a apporté aucune information circonstanciée ou un tant soit peu vraisemblable sur le risque qu’aurait pris son oncle de colporter à partir de 2015 des rumeurs imputant une collaboration à sa mère avec le FLO, ainsi que s’agissant des circonstances de l’arrestation invoquée de sa mère et de l’attention particulière dont sa mère aurait fait l’objet, ne permettant pas de caractériser qu’une collaboration aurait été imputée à sa mère, à sa personne, ou à un quelconque membre de son entourage. A ce titre, il n’a livré aucun élément sur les raisons lui laissant croire qu’en cas de retour les autorités lui imputeraient des liens avec le FLO, ce qui ne permet pas d’admettre le ciblage invoqué. D’autre part, s’il allègue un risque de persécution ou de mauvais traitements du fait de son appartenance à la communauté oromo dans le contexte politico-ethnique actuel, le requérant originaire de la zone de Bale, sans qualité, profession, titre particulier ou prise de position réelle ou imputée spécifique, s’est borné à une évocation très générale sans apporter aucun élément personnalisé ou circonstancié, ne permettant pas d’admettre l’existence de craintes personnelles pour ce motif.

6. Pour autant, en dernier lieu, les pièces du dossier et les propos de M. Z devant la Cour, ont permis, malgré quelques approximations et imprécisions tenant à son jeune âge, de tenir pour fondées ses craintes de traitements inhumains ou dégradants dans le cadre d’un conflit foncier avec son oncle paternel et le fils de ce dernier. Tout d’abord, il a décrit en des termes crédibles son absence de lien avec les membres de la famille de sa défunte mère ainsi que les circonstances dans lesquelles sa veuve mère aurait refusé le mariage avec son oncle paternel au titre du lévirat, et les pressions ensuite exercées sur sa mère, matérialisées notamment par l’incendie de leur domicile. Ensuite, les circonstances du ciblage foncier de sa mère, de la volonté d’accaparement des terres paternelles par son oncle et son cousin, et des démarches effectuées par sa mère pour faire valoir ses droits, ont été illustrées de manière personnalisée, tout comme l’agression dont il a été victime en 2015, dont les séquelles physiques sont utilement corroborées par le certificat médical établi le 6 janvier 2021 par un médecin légiste à Lorient qui fait état d’une cicatrice sur le bord interne de la main gauche compatible avec un stigmate de blessure par instrument tranchant ou piquant et tranchant. Le lévirat imposé à sa mère, le ciblage foncier de sa mère et sa personne, et l’issue favorable des démarches effectuées par sa mère pour faire valoir ses droits fonciers s’inscrivent dans un contexte documenté par les sources publiques disponibles notamment deux notes publiées dans le cadre du Land Investment for Transformation Programme, intitulées « Protecting land tenure security of women in Ethiopia : […] », de novembre 2019, et « […] », une thèse de mai 2007 intitulée « Violence Against Women and Girls in the Pastoralist Communities of Oromia and Afar Regions ; The Case of Fentalle and Mille Districts », et un article publié sur le site internet OPride.com le 25 janvier 2011, intitulé « Marriage Practices Among Gidda Oromo », qui mettent en exergue que, malgré les pratiques religieuses et coutumières, symbolisées par des proverbes oromo notamment, qui contribuent à ce que la part foncière d’une veuve n’est souvent pas reconnue comme la sienne, les membres masculins de la famille du défunt se considérant toujours comme ayant des droits supérieurs aux veuves, et à ce qu’une veuve refusant d’épouser un frère de son mari décédé au titre du lévirat, dit A, se trouve en principe obligée de quitter la terre avec ou sans ses enfants, pour autant, à Oromia, des veuves ont pu protéger leurs droits fonciers par le biais d’une procédure judiciaire. Enfin, bien que le requérant soit demeuré imprécis sur les conditions de son passage de la Libye vers l’Italie et ses conditions de prise en charge et d’existence en Italie, ses propos ont été tangibles sur ses

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craintes personnelles et actuelles en cas de retour et son impossibilité de se prévaloir utilement de la protection des autorités. A cet égard, le demandeur paraît placé dans une situation de vulnérabilité particulière vis-à-vis de son oncle paternel et son cousin paternel dès lors que son isolement est aggravé en raison de son jeune âge, et que sa seule perspective serait de retourner vivre auprès de cet oncle paternel, avec lequel il est en litige foncier du fait de sa mère et qui le ciblerait, et donc chez lequel il lui est impossible de trouver un soutien. Le contexte dans lequel s’inscrivent ses craintes est corroboré par la première note édictée dans le cadre du Land Investment for Transformation Programme précitée qui souligne que les orphelins sont confrontés à des obstacles pour faire valoir leurs droits fonciers et met en évidence que toutes les catégories d’orphelins sont susceptibles de subir des violations des droits fonciers.

7. Ainsi, si l’intéressé ne saurait prétendre à ce que lui soit reconnue la qualité de réfugié dès lors qu’il ne justifie d’aucune crainte fondée sur l’un des motifs énumérés à l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève, il établit en revanche être exposé à des atteintes graves au sens du 2° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en cas de retour dans son pays du fait son isolement dans le cadre d’un conflit foncier avec son oncle paternel et le fils de ce dernier, aggravé par sa particulière vulnérabilité résultant de son jeune âge, sans être en mesure de bénéficier de la protection effective des autorités. Ainsi, M. Z doit se voir accorder le bénéfice de la protection subsidiaire.

Sur l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

8. M. Z ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Y, avocate de M. Z, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État, il y a lieu de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de 1 000 euros à verser à Me Y.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du directeur général de l’OFPRA du 19 février 2021 est annulée.

Article 2 : La qualité de réfugié n’est pas reconnue à M. D Z.

Article 3 : Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à M. D Z.

Article 4 : L’OFPRA versera à Me Y la somme de 1 000 euros en application du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que Me Y renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. D Z, à Me Y et au directeur général de l’OFPRA.

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Délibéré après l’audience du 18 juin 2021 à laquelle siégeaient :

- M. X, président ;

- Mme B, personnalité nommée par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés ;

- M. C, personnalité nommée par le vice-président du Conseil d’Etat.

Lu en audience publique le 9 juillet 2021.

Le président : La cheffe de chambre :

H. X S. Delcourt

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Si vous estimez devoir vous pourvoir en cassation contre cette décision, votre pourvoi devra être présenté par le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation dans un délai de deux mois, devant le Conseil d’Etat. Le délai ci-dessus mentionné est augmenté d'un mois, pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à […], à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises et de deux mois pour les personnes qui demeurent à l’étranger.

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