Cour nationale du droit d'asile, 9 juin 2022, n° 22014461

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Sur la décision

Référence :
CNDA, 9 juin 2022, n° 22014461
Numéro(s) : 22014461

Texte intégral

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 22014461

___________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS M. F B C

___________

La Cour nationale du droit d’asile Mme G-H

Présidente

___________ (6ème Section, 4ème Chambre)

Audience du 19 mai 2022 Lecture du 9 juin 2022 ___________

Vu la procédure suivante :

Par un recours et un mémoire enregistrés respectivement les 30 mars et 29 avril 2022, M. F B C, représenté par Me Z A, demande à la Cour d’annuler la décision du 7 février 2022 par laquelle le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d’asile et de lui reconnaître la qualité de réfugié ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire.

. M. B C, de nationalité soudanaise, né le […], soutient qu’ :

- il craint d’être exposé, en cas de retour dans son pays d’origine, à des persécutions ou à des atteintes graves du fait des autorités en raison des opinions politiques qui lui sont imputées en lien avec son origine ethnique ;

- il peut prétendre au bénéfice de la protection subsidiaire en application du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en raison de la situation sécuritaire prévalant au Darfour.

Vu :

- la décision attaquée ;

- la décision du bureau d’aide juridictionnelle du 18 mars 2022 accordant à M. B C le bénéfice de l’aide juridictionnelle ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;

- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Les parties ont été régulièrement du jour de l’audience.


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Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Vicent, rapporteur ;

- les explications de M. B C, entendu en langue arabe soudanaise, assisté de M. Brahim Abderaman Senoussi, interprète assermenté ;

- et les observations de Me Z A.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

2. Aux termes de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mais pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle courrait dans son pays un risque réel de subir l’une des atteintes graves suivantes : 1° La peine de mort ou une exécution ; 2° La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; 3° S’agissant d’un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant d’une situation de conflit armé interne ou international ».

3. M. B C, de nationalité soudanaise, né le […], soutient qu’il craint d’être exposé, en cas de retour dans son pays d’origine, à des persécutions ou à des atteintes graves du fait des autorités en raison des opinions politiques qui lui sont imputées en lien avec son origine ethnique . Il soutient également qu’il peut prétendre au bénéfice de la protection subsidiaire en application du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en raison de la situation sécuritaire prévalant au Darfour. Il fait valoir qu’originaire du Darfour-Occidental, il est d’ethnie borgo. Il fait valoir que le 2 janvier 2020, à la suite des incidents dits de « Krinding » et au saccage de sa boutique, il a été arrêté par des miliciens armés qui l’accusaient, du fait de son ethnie, d’appartenir au mouvement de libération du Soudan. Il a été détenu durant vingt-sept jours au cours desquels il a été interrogé et violenté. Le 29 janvier 2020, il est parvenu à prendre la fuite avec d’autres détenus et s’est réfugié chez des habitants des alentours, avant de rejoindre le domicile familial. Le 31 janvier 2020, des janjawid se sont présentés à son domicile, mais il a réussi à prendre la fuite, pour se rendre à Z D, puis Malha. Craignant pour sa sécurité, il a quitté le Soudan le 20 mars 2020 pour rejoindre la Libye. Le 12 juin 2021, il a quitté la Libye pour rejoindre l’Italie où il a demeuré durant deux mois, puis est arrivé en France le 1er août 2021.

4. En premier lieu, les déclarations circonstanciées et personnalisées de M. B C, notamment lors de l’audience, ont permis d’établir sa nationalité soudanaise, son appartenance ethnique borgo et sa provenance de la localité de Kanvo Haraza dans l’Etat du Darfour-Occidental, puis son déplacement au sein de la capitale régionale Z-Genaina dans lequel il avait le centre de ses intérêts avant son départ du Soudan, l’intéressé ayant été en mesure de fournir des indications suffisamment précises et tangibles sur son quotidien en tant

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que cultivateur dans sa localité d’origine, sur les conflits avec les populations nomades et les dommage causés par leur bétail, cause de son départ pour Z-E afin de pouvoir assurer la subsistance de sa famille en tant qu’aîné de la fratrie, ainsi que sur ses déplacements dans la région.

5. En deuxième lieu, M. B C n’a fourni en revanche, tant devant l’OFPRA que devant la Cour et, notamment, lors de l’audience, que des déclarations très peu personnalisées, voire schématiques et convenues sur les faits allégués, qui seraient à l’origine de son départ du Soudan ainsi que sur ses craintes personnelles et actuelles en cas de retour. En particulier, s’il a tenu des propos étayés sur son arrestation par des miliciens janjawid à la suite de l’attaque du marché où il possédait une étale, ainsi que sur ses conditions de détention durant trois semaines, en revanche ses déclarations sont demeurées sommaires et peu personnalisées sur le ciblage dont il aurait fait l’objet en raison de son appartenance ethnique, ainsi que sur les circonstances de son évasion, sans pour autant expliquer de manière étayée et circonstanciée les raisons pour lesquelles il serait rentré par la suite à son domicile alors qu’il se savait ciblé. De même, ses propos s’agissant des circonstances selon lesquelles il aurait fui en raison de la surveillance dont il supposait faire l’objet de la part des janjawid, y compris suite à ses déplacements dans les villes de Z D puis Malha, se sont révélés très peu substantiels ou personnalisés. Les articles généraux concernant les événements du « camp de Krinding » ainsi que la torture et ses traumatismes ne revêtent aucune valeur probante, en l’absence d’explications substantielles et détaillées sur les faits personnellement vécus. Si le certificat médical délivré par médecin généraliste le 30 mars 2022 fait état de blessures et de cicatrices, celui-ci ne saurait suffire, à lui seul, à déterminer les circonstances exactes à l’origine des séquelles constatées, ni à les rattacher aux faits allégués, tout comme les photographies de ses blessures également produites devant la Cour. Par suite, ses craintes, en cas de retour dans son pays d’origine, du fait d’opinions politiques qui lui seraient imputées en raison de son origine ethnique et de cette arrestation, détention et évasion alléguées, n’ont pu être établies. Il suit de là que ni les faits que le requérant allègue, ni les craintes qu’il énonce ne peuvent être tenus pour établis ou pour fondées, ni au regard de l’article 1er, A, 2 précité de la convention de Genève, ni au regard des 1° et 2° de l’article L. 512-1 précité du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

6. En troisième lieu, le bien-fondé de la demande de M. B C doit également être apprécié au regard du contexte sécuritaire prévalant dans son pays d’origine et, plus particulièrement, dans l’Etat du Darfour-Occidental, où il avait le centre de ses intérêts avant son départ de son pays et où il a vocation à se réinstaller en cas de retour.

7. Le bénéfice de la protection subsidiaire, au titre des dispositions précitées du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, découle, en principe, de l’existence, dans le pays ou la région que l’intéressé a vocation à rejoindre, d’un degré de violence, résultant d’un conflit armé, tel qu’il existe des motifs sérieux et avérés de penser qu’un civil renvoyé dans ce pays ou cette région courrait, du seul fait de sa présence sur ce territoire, un risque réel de subir une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne. Lorsque cette violence n’atteint pas un tel niveau, il appartient au demandeur de démontrer qu’à raison d’éléments propres à sa situation personnelle, il serait exposé à une menace grave et individuelle dans le contexte de violence prévalant dans son pays ou sa région d’origine. Aux fins d’application de ces dispositions, le niveau de violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne ou international, doit être évalué en prenant en compte un ensemble de critères tant quantitatifs que qualitatifs appréciés au vu des sources d’informations disponibles et pertinentes à la date de cette évaluation.

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8. Il résulte des sources d’informations publiques disponibles et pertinentes sur le Soudan que la situation au Darfour et, plus particulièrement, dans l’Etat du Darfour-Occidental, se caractérise par un conflit armé interne opposant les forces armées soudanaises appuyées par les janjawid, des milices paramilitaires, aux groupes armés rebelles du Darfour. En particulier, le rapport de l’organisation non gouvernementale Amnesty International pour l’année 2019 indique que « malgré une baisse des violences dans certaines régions du Darfour, le conflit perdurait dans la région du Djebel Marra où la faction Abdul Wahid de l’Armée de libération du Soudan (ALS/AW) affrontait l’armée soudanaise et les RSF [Forces d’appui rapide, une force militaire spéciale alliée à l’ancien gouvernement]. Les forces gouvernementales et leurs milices alliées se sont encore rendues responsables de crimes de guerre et d’autres violations graves des droits humains, y compris des homicides, des violences sexuelles, des pillages systématiques et des déplacements forcés. (…) Selon l’OCHA [Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies], dans l’ensemble du Darfour, les violences ont contraint environ deux millions de personnes à se déplacer, dont un grand nombre sont restées dans le pays voisin, le Tchad, sous le statut de personnes réfugiées ». Selon le rapport spécial du président de la Commission de l’Union africaine et du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour et la présence de suivi de l’Opération, publié le 12 mars 2020, qui couvre la période du 15 octobre 2019 au 12 mars 2020, « la situation générale en matière de sécurité est restée inchangée dans la plupart des régions du Darfour, mais le Darfour occidental a connu une série d’incidents violents qui ont fait 65 morts entre le 29 décembre et le 1er janvier. Les troubles civils se sont poursuivis dans tout le Darfour, avec 85 cas observés, lesquels ont fait 1 mort et 12 blessés, contre 54 cas lors de la période précédente, qui avaient fait 9 morts et 20 blessés. (…) Entre le 15 octobre 2019 et le 31 janvier 2020, la MINUAD [Mission conjointe Union africaine-Nations Unies au Darfour] a enregistré cinq affrontements intercommunautaires, qui ont fait 70 morts, contre 10 cas lors de la période précédente (15 juillet au 14 octobre), qui avaient fait 30 morts. L’incident le plus significatif s’est produit le 29 décembre dans le Darfour occidental, où un conflit personnel entre un Arabe et une personne déplacée a conduit à une attaque de grande envergure menée par des tribus arabes armées, avec le soutien d’éléments des Forces d’appui rapide, contre le camp de déplacés de Krinding ». En janvier 2021, l’escalade de la violence intercommunautaire au Darfour a causé la mort de 250 personnes, a fait plus de 300 blessés et a causé le déplacement de plus de 100 000 individus, selon un communiqué de l’ONU publié le 22 janvier 2021. Des affrontements intercommunautaires à Z E ont également éclaté le 3 avril 2021 et auraient causé la mort de 144 personnes, fait plus de 230 blessés et auraient déjà forcé près de 2 000 personnes à fuir pour le Tchad, selon le porte-parole du Haut- commissariat aux réfugiés des Nations Unies, lors d’une conférence de presse du 13 avril 2021. D’après le point d’actualité publié le 29 avril 2021 par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), la situation dans la ville d’Z E, « bien que stable, demeure tendue et imprévisible », le gouvernement soudanais ayant déployé près de 2 000 membres des forces armées les jours précédents et la situation dans les camps informels s’étant formés dans Z E étant critique en raison notamment de l’insécurité. Ces violences ont perduré dans la mesure où une dépêche de l’Agence France Presse, reprise par Le Journal de Montréal le 30 juillet 2021, rapporte que des affrontements tribaux ont fait vingt morts et des dizaines de blessés dans l’Ouest du Soudan. Ainsi, ces informations conduisent à regarder la situation au Darfour-Occidental comme critique et évolutive, d’autant plus que, le 25 octobre 2021, l’armée soudanaise a pris par la force le pouvoir qu’elle partageait avec des civils depuis la destitution d’Omar Al-Bachir, permettant de considérer qu’il y prévaut une situation de violence aveugle dont le niveau n’atteint toutefois pas, à la date de la présente décision, un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que tout civil courrait, du seul fait de sa présence

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dans cette région, un risque réel de subir une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne.

9. Dès lors, il y a lieu de rechercher si les civils originaires de cette zone présentent un profil particulier ou des éléments d’individualisation permettant de les regarder comme exposés à une atteinte grave au sens des dispositions du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En l’espèce, M. B C, qui est un civil et dont la nationalité soudanaise et le centre de ses intérêts dans le village de Kanvo Haraza ainsi qu’à Z-E ont pu être établis, a apporté des éléments concrets et tangibles sur sa situation personnelle permettant de considérer qu’il serait exposé, à raison de sa situation de vulnérabilité particulière liée à son statut de déplacé interne, à une menace directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en cas de retour au Soudan et, en particulier, dans l’Etat du Darfour-Occidental. L’ensemble de ces éléments permet de le regarder comme étant personnellement exposé, en cas de retour dans son pays d’origine, à un risque réel de subir une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne, en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle, et résultant d’une situation de conflit armé interne, au sens du 3° de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, sans pouvoir se prévaloir de la protection effective des autorités

D E C I D E :

Article 1er : La décision du directeur général de l’OFPRA du 7 février 2022 est annulée.

Article 2 : Le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à M. F B C.

Article 3 : Le surplus des conclusions est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. F B C et au directeur général de l’OFPRA.

Délibéré après l’audience du 19 mai 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme G-H, présidente ;

- Mme X, personnalité nommée par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés ;

- M. Y, personnalité nommée par le vice-président du Conseil d’Etat.

Lu en audience publique le 9 juin 2022.

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La présidente : La cheffe de chambre :
M. G-H M-E. J

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Si vous estimez devoir vous pourvoir en cassation contre cette décision, votre pourvoi devra être présenté par le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation dans un délai de deux mois, devant le Conseil d’Etat. Le délai ci-dessus mentionné est augmenté d'un mois, pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises et de deux mois pour les personnes qui demeurent à l’étranger.

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