Conseil national de l'ordre des médecins, Chambre disciplinaire nationale, 24 juin 2004, n° 8856

  • Conseil régional·
  • Code de déontologie·
  • Médecine·
  • Chirurgie·
  • Ordre des médecins·
  • Enquête·
  • Décision du conseil·
  • Région·
  • Plainte·
  • Spécialité

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Pratique d’actes chirurgicaux de " blépharoplastie " impliquant une spécialité ou une compétence que le praticien ne possède pas. L’omnivalence de son diplôme de médecin et son expérience ne sauraient tenir lieu de qualification. Violation des articles 40 et 70 du code de déontologie.

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CNOM, ch. disciplinaire nationale, 24 juin 2004, n° 8856
Numéro(s) : 8856
Dispositif : Rejet Interdiction temporaire d'exercer

Sur les parties

Texte intégral

Dossier n° 8856
Dr Robert V
Décision du 24 juin 2004
LA SECTION DISCIPLINAIRE DU CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES MEDECINS, Vu, enregistrés au secrétariat de la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins les 15 et 17 mars 2004, la requête et le mémoire présentés par et pour le Dr Robert V, qualifié en médecine générale, qualifié compétent en angeiologie, tendant à ce que la section annule une décision, en date du 13 décembre 2003, par laquelle le conseil régional d’Auvergne, statuant sur la plainte du Préfet de la région Auvergne, Préfet du Puy-de-Dôme, transmise par le conseil départemental du Puy-de-Dôme, lui a infligé la peine de l’interdiction d’exercer la médecine pendant un an dont six mois avec sursis, par les motifs que la procédure suivie devant le conseil régional a été irrégulière, que les divers manquements au code de déontologie retenus par le conseil régional ne sont pas établis, que notamment, les diplômes du Dr V le qualifiaient pour pratiquer des actes et interventions de médecine esthétique ; qu’il pratiquait, en effet, la médecine et non la chirurgie esthétique ; que, contrairement aux assertions du rapport d’enquête administrative, la qualité des soins qu’il dispensait ne peut être mise en cause et n’a d’ailleurs jamais fait l’objet de plaintes ; qu’il exerçait son art dans une installation appropriée et présentant toutes les garanties sanitaires exigées par la réglementation ;

Vu la décision attaquée ;

Vu, enregistré comme ci-dessus le 8 juin 2004, le nouveau mémoire présenté pour le Dr V tendant également à l’annulation de la décision sus-mentionnée du conseil régional d’Auvergne, par les mêmes motifs et en outre par les motifs que l’exercice de la médecine esthétique justifiée par les diplômes et l’expérience du Dr V ne présentait aucun risque pour ses patients ; que les conditions dans lesquelles il tenait ses dossiers médicaux et les honoraires qu’il demandait ne sont nullement contraires au code de déontologie ; que le Dr V, expert reconnu dans sa spécialité, n’a, à aucun moment, eu un comportement de nature à déconsidérer la profession ;

Vu, enregistrées comme ci-dessus le 1er juin 2004, les observations en défense présentées par le préfet de la région Auvergne, préfet du Puy de Dôme, tendant au rejet de la requête aux motifs que la décision du conseil régional, qui s’appuie sur les constatations et les conclusions du rapport de l’enquête administrative diligentée en juin 2003, est parfaitement motivée et a, à bon droit, retenu la violation de plusieurs dispositions du code de déontologie ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu l’ordonnance n°2000.548 du 15 juin 2000 portant code de la santé publique ;

Vu le décret du 26 octobre 1948 modifié, relatif au fonctionnement des conseils de l’Ordre des médecins, des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes et de la section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins ;

Vu le code de déontologie médicale ;

Après avoir entendu :

 – Mme le Dr KAHN-BENSAUDE en la lecture de son rapport ;

 – Me BURGOT, avocat, en ses observations pour le Dr V et le Dr V en ses explications ;

 – Mme le Dr GATEAU, médecin-inspecteur régional, en ses observations pour le préfet de la région Auvergne ;

Le conseil départemental du Puy-de-Dôme, dûment convoqué, ne s’étant pas fait représenter mais s’étant excusé ;

Le Dr V ayant été invité à reprendre la parole en dernier ;

APRES EN AVOIR DELIBERE, Considérant qu’à la suite d’une inspection effectuée conjointement le 6 juin 2003 par les services de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales du Puy-de-Dôme, de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales de la région Auvergne et de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du Puy-de-Dôme dans le cabinet médical du Dr V, et du rapport d’enquête établi à l’issue de cette inspection le 30 juillet 2003, le préfet de la région Auvergne, préfet du Puy-de-Dôme, a saisi le conseil régional d’Auvergne d’une plainte dirigée contre le Dr V et relative aux conditions d’exercice de sa profession ; que le conseil régional, par une décision en date du 13 décembre 2003, a infligé au Dr V la peine d’interdiction d’exercer la médecine pendant un an avec un sursis de six mois ; que le Dr V fait appel de cette décision ;

Sur la régularité de la décision du conseil régional d’Auvergne :

Considérant que, contrairement à ce que soutient le Dr V, le conseil régional n’a pas été saisi d’une plainte anonyme mais d’une plainte du préfet de la région Auvergne, préfet du Puy-de-Dôme s’appuyant sur le rapport d’enquête précité et introduite régulièrement en application de l’article L.417 alinéa 2 du code de la santé publique, maintenu en vigueur par l’ordonnance n° 2000.548 du 15 juin 2000 ; que les motifs pour lesquels le préfet a décidé de faire procéder à une enquête sont sans influence sur la régularité de la plainte et sur celle de la décision du conseil régional ; que les conditions irrégulières, qui ne sont d’ailleurs pas établies, dans lesquelles se seraient déroulée l’enquête, alors qu’elle a été effectuée en présence du Dr V et qu’elle a donné lieu à un procès-verbal de déclarations signé par ce dernier le 13 juin 2003, sont également sans influence sur la régularité de la décision du conseil régional ;

Sur le bien-fondé de la décision du conseil régional :

Considérant que, comme l’a relevé à juste titre le conseil régional dans sa décision, le Dr V ne saurait invoquer son expérience, sa notoriété et une longue pratique professionnelle sans plainte de patients ou accidents sanitaires pour soutenir que la plainte serait sans fondement ; qu’il importe, comme l’a fait le conseil régional, de vérifier si le Dr V a méconnu les règles du code de déontologie qui s’imposent à lui comme à tout médecin ;

Sur la violation des articles 13, 14 et 19 du code de déontologie :

Considérant qu’aux termes de l’article 13 : « Lorsque le médecin participe à une action d’information du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu’en soit le moyen de diffusion, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public. Il doit se garder à cette occasion de toute attitude publicitaire, soit personnelle, soit en faveur des organismes où il exerce ou auxquels il prête son concours, soit en faveur d’une cause qui ne soit pas d’intérêt général. » Considérant qu’aux termes de l’article 14 : « Les médecins ne doivent pas divulguer dans les milieux médicaux un procédé nouveau de diagnostic ou de traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner leur communication des réserves qui s’imposent. Ils ne doivent pas faire une telle divulgation dans le public non médical. » Considérant qu’aux termes de l’article 19 : « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale. » ;

Considérant, que si, dans un article inséré en avril 2003 dans un magazine de grande diffusion, il est fait état d’une intervention du Dr V lors d’un congrès d’esthétique à Barcelone, il résulte de l’instruction qu’il ne s’agit pas d’un « interview » mais de retracer le sens de son intervention qui ne prônait pas l’utilisation du produit « lipostabil » mais émettait certaines réserves sur son usage ; que, dans ces conditions, on ne saurait retenir, pour ces faits, une violation des articles 13 et 14 du code ;

Considérant, toutefois, que le Dr V, qui est médecin généraliste avec compétence en angéiologie, fait figurer sur des pannonçeaux apposés dans la salle d’attente de son cabinet, les indications : « dermatologie, dermochirurgie, ultraviolets », alors qu’il n’a pas de spécialité médicale de dermatologie, « phlébo-chirurgie, chirurgie de toutes varices » alors qu’il n’a pas la qualification de chirurgie ; qu’il a également affiché une pancarte indiquant « consultations pour traitement amaigrissant » ; qu’ainsi, comme l’a relevé à juste titre le conseil régional, le Dr V, alors que sa plaque d’entrée ne mentionne aucune spécialité, entretient une confusion sur ses réelles compétences et qualifications et que, même limités à sa salle d’attente, ces affichages multiples ainsi qu’un catalogue énonçant diverses prestations telles que « kystes, verrues, grains de beauté, meulage, épilation électrique, peeling » relèvent de procédés indirects de publicité en méconnaissance de l’article 19 précité du code ;

Sur la violation des articles 40 et 70 du code de déontologie :

Considérant qu’aux termes de l’article 40 : « Le médecin doit s’interdire, dans les investigations et interventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié. » ;

Considérant qu’aux termes de l’article 70 : « Tout médecin est, en principe habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose. » ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’enquête sus-mentionné que le Dr V pratique en particulier des actes de « blépharoplastie » qui sont des actes chirurgicaux ; que, comme l’a relevé le conseil régional dans sa décision : « l’activité de phlébectomie du Dr V est très importante et qu’il doit être nécessairement déduit des observations qu’il fournit à ses patients, notamment en cas de tension au pli de l’aine, comme d’ailleurs, de la bonne pratique telle que recommandée par l’A.N.A.E.S., qu’il pratique des crossectomies avec éveinage, actes chirurgicaux qui devraient au surplus être cotés en « KCC » et non en « KC » pour se conformer aux préconisations de la N.G.A.P. » ; que ces divers actes doivent être regardés comme des actes de chirurgie ou du moins des actes impliquant une spécialité ou une compétence que le Dr V ne possède pas et que l’omnivalence de son diplôme de médecin et son expérience ne sauraient en tenir lieu ; que la violation des articles sus-mentionnés est ainsi établie ;

Sur la violation de l’article 45 :

Considérant qu’aux termes de l’article 45 du code : « Indépendamment du dossier de suivi médical prévu par la loi, le médecin doit tenir pour chaque patient une fiche d’observation qui lui est personnelle ; cette fiche est confidentielle et comporte les éléments actualisés, nécessaires aux décisions diagnostiques et thérapeutiques. Dans tous les cas, ces documents sont conservés sous la responsabilité du médecin. Tout médecin doit, à la demande du patient ou avec son consentement, transmettre aux médecins qui participent à sa prise en charge ou à ceux qu’il entend consulter, les informations et documents utiles à la continuité des soins. Il en va de même lorsque le patient porte son choix sur un autre médecin traitant. » ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport d’enquête sus-mentionné qu’il n’existe pas de comptes rendus opératoires en bonne et due forme, que les dossiers médicaux des patients ne sont pas tenus dans des conditions permettant, notamment, d’assurer le suivi médical de ces derniers mais se présentent en réalité comme des dossiers classés par nature d’examens contenant des renseignements sommaires sur les patients qu’ils concernent ; que, sur ce point également, c’est à juste titre que le conseil régional a retenu la violation de l’article 45 sus-mentionné ;

Sur la violation de l’article 71 du code :

Considérant qu’aux termes de l’article 71 du code « Le médecin doit disposer, au lieu de son exercice professionnel, d’une installation convenable, de locaux adéquats pour permettre le respect du secret professionnel et de moyens techniques suffisants en rapport avec la nature des actes qu’il pratique ou de la population qu’il prend en charge. Il doit notamment veiller à la stérilisation et à la décontamination des dispositifs médicaux qu’il utilise et à l’élimination des déchets médicaux selon les procédures réglementaires. Il ne doit pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins et des actes médicaux ou la sécurité des personnes examinées. Il doit veiller à la compétence des personnes qui lui apportent leur concours. » ;

Considérant qu’il résulte également de l’instruction et notamment des constatations du rapport d’enquête, que ne remettent pas en cause celles effectuées lors du constat d’huissier établi le 18 septembre 2003 à la demande du Dr V, que l’installation et le fonctionnement du cabinet médical révèlent de graves manquements à la sécurité sanitaire, notamment en ce qui concerne les conditions de stérilisation, de décontamination des locaux et d’élimination des déchets, ceci d’autant que, comme il a été précisé ci-dessus, le Dr V pratique, dans certains cas, des actes de nature chirurgicale ; que ces conditions d’installation ont d’ailleurs, entre autres motifs, conduit le préfet du Puy-de-Dôme à prendre un arrêté en date du 28 août 2003 mettant en demeure le Dr V de cesser toute activité chirurgicale à défaut d’autorisation d’exercice de chirurgie ambulatoire, décision dont la légalité a été reconnue par un jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 26 février 2004 rejetant la requête du Dr V à fin d’annulation dudit arrêté ;

Considérant, au surplus, qu’il résulte de l’instruction que le Dr V, notamment lorsqu’il lui arrive de s’absenter de son cabinet, a recours à l’assistance de deux aides opératoires et de son épouse qui est titulaire d’un diplôme de sage-femme ; que ces aides opératoires, qualifiées pour la chirurgie vasculaire et la chirurgie plastique et reconstructrice, ne sont pas plus que Mme V habilitées à pratiquer des actes réservés à l’exercice de la profession d’infirmier ; que, dans ces conditions, c’est à juste titre que le conseil régional a retenu la méconnaissance de l’article 71 du code de déontologie sus-mentionné ;

Considérant enfin, qu’en admettant même que le conseil régional ait reproché à tort au Dr V la violation des articles 53 et 58 du code de déontologie, dont la méconnaissance n’est pas suffisamment caractérisée, s’agissant notamment des honoraires pratiqués ou des relations avec les médecins traitants, pour être retenue, les infractions aux articles 19, 40, 70, 45, 71 du code sont suffisamment établies pour retenir un comportement fautif justiciable d’une sanction disciplinaire ; que le conseil régional d’Auvergne a fait, dans les circonstances de l’affaire, une juste appréciation de ces fautes, en tenant d’ailleurs compte de l’absence de sanction disciplinaire antérieure frappant le Dr V, en lui infligeant la peine d’interdiction d’exercice de la médecine durant un an, assortie d’un sursis de six mois ; qu’il s’ensuit que la décision du conseil régional en date du 13 décembre 2003 doit être confirmée et la requête du Dr V rejetée ;

PAR CES MOTIFS,
D E C I D E :

Article 1er  : La requête susvisée du Dr Robert V est rejetée.

Article 2 : La peine de l’interdiction d’exercer la médecine pendant un an assortie d’un sursis de six mois infligée au Dr V par la décision du conseil régional d’Auvergne, en date du 13 décembre 2003, prendra effet pour sa partie ferme le 1er octobre 2004 et cessera de porter effet le 31 mars 2005 à minuit.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Dr Robert V, au conseil départemental du Puy-de-Dôme, au conseil régional d’Auvergne, au directeur départemental des affaires sanitaires et sociales du Puy-de-Dôme, au directeur régional des affaires sanitaires et sociales d’Auvergne, au préfet du Puy-de-Dôme, préfet de la région d’Auvergne, au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, au ministre chargé de la santé, au ministre chargé de la sécurité sociale et à tous les conseils départementaux.

Ainsi fait et délibéré, à l’issue de l’audience publique du 24 juin 2004, par M. FRANC, Président de Section au Conseil d’Etat, Président ; Mme le Dr KAHN-BENSAUDE, MM. les Drs CRESSARD, JOUAN, membres titulaires, M. le Dr PRENTOUT, membre suppléant.

LE PRESIDENT DE SECTION AU CONSEIL D’ETAT
PRESIDENT DE LA SECTION DISCIPLINAIRE DU
CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES MEDECINS M. FRANC
LA SECRETAIRE DE LA
SECTION DISCIPLINAIRE I. LEVARD

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Conseil national de l'ordre des médecins, Chambre disciplinaire nationale, 24 juin 2004, n° 8856