Conseil national de l'ordre des médecins, Chambre disciplinaire nationale, 3 février 2015, n° 12022

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Résumé de la juridiction

A prescrit à une patiente qui était déjà en arrêt maladie plusieurs certificats de prolongation d’arrêt de travail. Après avoir consulté des confrères spécialisés en "souffrance au travail, et pour lui faire bénéficier d’un licenciement pour inaptitude, lui a prescrit des certificats de prolongation d’arrêt de travail pour accident du travail-maladie professionnelle, établissant également un certificat initial d’arrêt de travail antidaté à la date du premier arrêt qu’il n’avait pas lui-même prescrit. En assortissant les arrêts de travail pour « accident du travail » de la mention « choc psychologique suite à un entretien traumatique au travail » a fait état de faits imputés à des conditions de travail dont il n’avait pas été le témoin et dont il n’avait pu contrôler la réalité. Même si la rédaction du certificat d’accident du travail antidaté, n’avait pas pour mobile de permettre de bénéficier d’avantages sociaux injustifiés, a établi un certificat mensonger et a commis un acte contraire à la moralité. Même s’il n’a pas aliéné son indépendance en se rangeant à l’avis de ses confrères, la sanction du blâme ne peut être considérée comme excessive au regard des manquements déontologiques commis.

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Sur la décision

Référence :
CNOM, ch. disciplinaire nationale, 3 févr. 2015, n° 12022
Numéro(s) : 12022
Dispositif : Rejet Blâme

Sur les parties

Texte intégral

N° 12022 _______________
Dr Robert G.
_______________
Audience du 17 décembre 2014
Décision rendue publique par affichage le 3 février 2015
LA CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE DE L’ORDRE DES MEDECINS, Vu, enregistrée au greffe de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins le 19 juin 2013, la requête présentée pour le Dr Robert G., qualifié spécialiste en psychiatrie ; le Dr G. demande à la chambre d’annuler la décision n° 2012.59, en date du 23 mai 2013, par laquelle la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins de Rhône-Alpes, statuant sur la plainte de la société Rautureau Apple Shoes, dont le siège est 2, rue des Boutons d’Or, B.P. 2 à La Gaubretière (85130), transmise par le conseil départemental de l’ordre des médecins du Rhône, lui a infligé la peine du blâme et l’a condamné à rembourser la somme de 35 euros à la société Rautureau Apple Shoes au titre de la contribution pour l’aide juridique ;

Le Dr G. soutient que, d’octobre 2011 à janvier 2012, il a reçu en consultation, à plusieurs reprises, Mme Sandrine G… qui, en raison de relations conflictuelles sur son lieu de travail, présentait des risques suicidaires ; qu’il lui a conseillé de consulter son médecin du travail pour qu’il apprécie son aptitude et déclenche, éventuellement, un licenciement pour inaptitude ; que le médecin du travail a orienté Mme G… vers un autre psychiatre, le Dr Jean-Pierre Tell, qui a jugé nécessaire la requalification de l’arrêt de travail pour maladie dont bénéficiait Mme G… en arrêt de travail pour accident du travail ; que, le 13 décembre 2011, il a procédé à cette requalification en inscrivant, sur le formulaire S6909B, le diagnostic suivant : « choc psychologique suite à un entretien traumatique au travail » ; que, sur plainte de la société employeur de Mme G… et en dépit de l’avis émis par le conseil départemental du Rhône, la chambre disciplinaire de première instance lui a infligé un blâme ; que Mme G… a fait, le 8 juillet 2011, une déclaration d’accident du travail qui a été validée par la sécurité sociale, ainsi qu’il résulte d’un courriel du Dr Claude A, médecin-conseil ; qu’il s’est borné, dans le respect de l’article 50 du code de déontologie médicale (codifié à l’article R. 4127-50 du code de la santé publique), à faciliter l’obtention, par Mme G…, des avantages sociaux auxquels elle avait droit ; que les symptômes manifestés par Mme G…, en juillet 2011, sont en relation avec l’entretien professionnel douloureux vécu à cette époque ; qu’il a agi dans l’intérêt de la patiente ; qu’il n’a pas cédé à une demande abusive ; qu’il existait une nécessité médicale et thérapeutique de débloquer l’avenir professionnel et psychique de la patiente ; que l’initiative de rechercher un licenciement pour inaptitude était justifiée ; que le Dr T, praticien spécialisé en souffrance au travail, a confirmé la nécessité de transformer l’arrêt de travail pour maladie en arrêt pour accident du travail ; que plusieurs confrères ont témoigné en sa faveur ; qu’il n’a commis aucune faute déontologique ; que, même s’il n’a pas été témoin de la situation conflictuelle dans laquelle vivait sa patiente, le lien de causalité qu’il a établi entre cette situation et l’état de Mme G… résulte du grand nombre de consultations et de la brusque rupture du comportement de Mme G… ; qu’il n’a pas établi un certificat tendancieux ou de complaisance, puisque sa décision repose sur des considérations purement médicales ; que ces constatations ont été validées par le Dr T, par le médecin-conseil de la sécurité sociale et d’autres praticiens ;

Vu la décision attaquée ;

Vu, enregistré comme ci-dessus le 25 septembre 2013, le mémoire présenté pour la société Rautureau Apple Shoes, tendant au rejet de la requête et à ce que la sanction prononcée contre le Dr G. soit confirmée ou aggravée et à ce qu’il lui soit donné acte de ce qu’elle se réserve de saisir les juridictions répressives ;

La société Rautureau Apple Shoes soutient que, pour appuyer la plainte pour harcèlement moral que Mme G… a engagée devant le juge prud’homal, le Dr G. a établi, en les datant du 8 juillet 2011, de faux arrêts de travail sur le formulaire « accident du travail et maladie professionnelle » ; que, selon la juridiction saisie, la version des faits et les pièces produites changent ; que Mme G… a été placée en arrêt de travail pour maladie, le 8 juillet 2011, par le Dr Cydias L ; que cet arrêt de travail a été prolongé, à deux reprises, jusqu’au 30 septembre 2011 ; qu’à compter du 1er octobre 2011, le Dr G., succédant au Dr L, a prescrit à Mme G… cinq prolongations pour maladie jusqu’au 12 décembre 2011 ; qu’alors qu’aucune déclaration d’accident du travail ne lui a jamais été adressée, la société a reçu un nouvel avis d’arrêt de travail jusqu’au 16 janvier 2012, sur le formulaire réservé aux accidents du travail ; qu’un nouvel avis de prolongation pour accident du travail, jusqu’au 13 février 2012, a été établi le 17 janvier 2012 avec la mention « choc psychologique suite à un entretien traumatique au travail » ; qu’il ne peut donc y avoir eu, de la part du Dr G., une déclaration initiale d’arrêt de travail, le 8 juillet 2011 ; que ce sont, pourtant, de telles pièces qui ont été produites devant les prudhommes ; qu’en fait, Mme G… a été en arrêt de travail pour maladie depuis le 8 juillet 2011 et n’a plus reparu sur son lieu de travail ; que le Dr G. a pris l’initiative, a posteriori, d’établir un lien entre l’état de sa patiente et de prétendues conditions de travail traumatiques ; que le Dr G. a favorisé les actions de sa patiente qui, forte des certificats de complaisance obtenus, a porté plainte contre son employeur ; que les faits reprochés au Dr G. sont des manquements aux articles 8 et 28 du code de déontologie médicale (codifiés aux articles R. 4127-8 et -28 du code de la santé publique) ; que le Dr G. prétend, sans en avoir été témoin, que la pathologie de Mme G… a un lien « scientifiquement prouvé » avec des relations conflictuelles sur son lieu de travail ; que le médecin ne peut attester que ce qu’il a personnellement constaté ; que s’il peut attester de l’état de santé du patient, il ne peut se faire juge de ses conditions de travail ; que s’il rapporte les dires du patient, il ne peut le faire que sur le mode conditionnel et avec circonspection ; qu’en l’espèce, la décision de la chambre disciplinaire de première instance doit être confirmée en ce qu’elle relève que le Dr G. n’a pas assisté aux faits qu’il relate et ne disposait d’aucun élément autre que les dires de la patiente elle-même ; qu’aucun des nombreux médecins qui sont intervenus dans ce dossier n’est venu dans la société constater la prétendue dégradation des conditions de travail de Mme G… ; que le Dr G. a préjugé de la culpabilité de l’employeur de Mme G… ; que celle-ci, pendant toute sa période d’arrêt de travail, a eu de nombreuses activités littéraires et associatives incompatibles avec l’état d’abattement que décrit le Dr G. ; que le refus d’une hospitalisation, exprimé par Mme G…, est symptomatique ; que cette activité a été exercée aux frais de la caisse primaire d’assurance maladie pendant plusieurs mois ; que les certificats du Dr G. ont permis à Mme G… de se procurer des avantages illicites ; que les conséquences de l’attitude du Dr G. ont été graves pour la société Rautureau Apple Shoes, tant sur le plan financier que judicaire ;

Vu, enregistrées comme ci-dessus les 21 février et 7 mars 2014, les lettres par lesquelles la société Rautureau Apple Shoes fait valoir que plusieurs pièces mentionnées dans la requête d’appel du Dr G. ne lui ont pas été communiquées (courriel du Dr A, médecin-conseil de la sécurité sociale, avis du Dr Nicole S et avis du Dr Sabine M) ;

Vu, enregistré comme ci-dessus le 16 avril 2014, le mémoire présenté pour le Dr G., tendant aux mêmes fins que sa requête, selon les mêmes moyens ;

Le Dr G. soutient, en outre, qu’en se conformant à l’avis du Dr T et en acceptant de requalifier en congé pour accident du travail l’arrêt de travail pour maladie de Mme G…, il n’a pas aliéné son indépendance ; qu’il n’a pas cédé à une demande abusive ;

Vu, enregistrés comme ci-dessus les 21 mai et 30 octobre 2014, les mémoires présentés pour la société Rautureau Apple Shoes, tendant aux mêmes fins que ses précédentes écritures, selon les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu le code de la santé publique, notamment le code de déontologie médicale figurant aux articles R. 4127-1 à R. 4127-112 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 17 décembre 2014 :

 – Le rapport du Dr Cerruti ;

 – Les observations du Dr G. ;

 – Les observations de Me Lesne-Bernat pour la société Rautureau Apple Shoes ;

Le Dr G. ayant été invité à reprendre la parole en dernier ;

APRES EN AVOIR DELIBERE, 1. Considérant que Mme G…, responsable d’un magasin de chaussures situé à Lyon, appartenant à la société Rautureau Apple Shoes, a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 8 juillet 2011 après-midi et jusqu’au 22 juillet par son médecin, le Dr L ; que cet arrêt de travail initial a été prolongé, pour le même motif de maladie, par le même médecin, les 22 juillet et 29 août 2011, ce dernier arrêt de travail courant jusqu’au 30 septembre 2011 ; qu’à partir du 1er octobre 2011, des prolongations d’arrêt de travail pour maladie ont été prescrites au bénéfice de Mme G… par le Dr G., les 1er octobre, 14 octobre, 17 octobre, 3 novembre et 17 novembre 2011 ; que, le 13 décembre 2011, le Dr G. a établi pour Mme G… un certificat d’arrêt de travail pour « accident du travail-maladie professionnelle », portant la mention « prolongation », puis, le 17 janvier 2012, un nouveau certificat de prolongation d’arrêt de travail pour accident du travail-maladie professionnelle avec, à la rubrique « constatations détaillées » de ce document, la mention « choc psychologique suite à un entretien traumatique au travail » ; que le certificat suivant, daté du 14 février 2012, porte, cette fois, la mention « choc psychologique suite entretien traumatique » ; qu’enfin, à une date indéterminée, mais vraisemblablement en janvier ou février 2012, le Dr G. a établi, en faveur de Mme G…, un « certificat initial d’arrêt de travail pour accident du travail-maladie professionnelle », qu’il a daté du 8 juillet 2011 ;

2. Considérant, d’une part, qu’il ressort des pièces du dossier que c’est après avoir consulté des confrères spécialisés en « souffrance au travail » et pour permettre à Mme G… de bénéficier d’un licenciement pour inaptitude, que le Dr G. a transformé, à compter du 13 décembre 2011, les arrêts de travail pour maladie, dont bénéficiait Mme G…, depuis le 8 juillet 2011, en arrêts de travail pour « accident du travail » ; qu’en assortissant le certificat du 17 janvier 2012 de la mention selon laquelle l’accident en question était un « choc psychologique suite à un entretien traumatique au travail », le Dr G. ne s’est pas borné aux constatations médicales qu’il était en mesure de faire en décrivant l’état de sa patiente et en rapportant ses dires, mais a fait état de faits imputés aux conditions de travail de l’intéressée, dont il n’avait pas été le témoin et dont il n’avait pu contrôler la réalité ; qu’il a ainsi manqué aux dispositions de l’article R. 4127-28 du code de la santé publique qui interdit aux médecins la délivrance de certificats tendancieux ou de complaisance ;

3. Considérant, d’autre part, qu’en datant du 8 juillet 2011, pour une patiente qui l’avait consulté pour la première fois le 1er octobre 2011, un « certificat d’accident du travail » destiné à permettre à la patiente, qui n’avait fait aucune déclaration d’accident de travail lorsqu’elle a cessé son travail, le 8 juillet 2011, de bénéficier d’un régime d’indemnisation plus favorable, le Dr G. a établi un document mensonger ; qu’en admettant même qu’en établissant ce certificat, le Dr G. n’ait pas eu pour mobile de permettre à Mme G… de bénéficier d’avantages sociaux injustifiés, en violation de l’article R. 4127-24 du code de la santé publique, il n’en a pas moins commis un acte contraire à la moralité ;

4. Considérant que, même si le Dr G. n’a ni aliéné son indépendance professionnelle, en se rangeant à l’avis de confrères qu’il a estimés plus qualifiés que lui sur les causes de la maladie de Mme G…, ni commis d’immixtion dans la vie privée de la patiente, la sanction du blâme, que lui a infligée la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes, n’est pas excessive au regard des manquements déontologiques qu’il a commis ;

Sur les conclusions incidentes de la société Rautureau Apple Shoes :

5. Considérant que les conclusions de la société plaignante tendant à l’aggravation de la sanction prononcée contre le Dr G., présentées après l’expiration du délai d’appel, ne sont pas recevables ; qu’il n’appartient pas à la juridiction disciplinaire de lui « donner acte » de ce qu’elle entend agir devant les juridictions répressives ;

PAR CES MOTIFS,
D E C I D E :

Article 1er : La requête du Dr G. est rejetée.

Article 2 : Les conclusions incidentes de la société Rautureau Apple Shoes sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Dr Robert G., à la société Rautureau Apple Shoes, au conseil départemental de l’ordre des médecins du Rhône, à la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes, au préfet du Rhône, au directeur général de l’agence régionale de santé de Rhône-Alpes, au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lyon, au conseil national de l’ordre des médecins et au ministre chargé de la santé.

Ainsi fait et délibéré par : Mme Aubin, président de section honoraire au conseil d’Etat, président ; MM. les Drs Cerruti, Emmery, Fillol, Munier, membres.

Le président de section honoraire au Conseil d’Etat, président de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins

Marie-Eve Aubin


Le greffier en chef


François-Patrice Battais

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