Conseil constitutionnel, décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996, Loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire

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Conseil Constitutionnel · Conseil constitutionnel · 21 juillet 2023

Commentaire Décision n° 2023-1058 QPC du 21 juil et 2023 M. Roméo N. (Incrimination et répression du viol sur mineur de quinze ans) * Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 mai 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 797 du 24 mai 2023) d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Roméo N. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article 222-23-1 du code pénal et de l'article 222-23-3 du même code, dans leur rédaction issue de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger …

 

Conclusions du rapporteur public · 15 mars 2023

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Sur la décision

Référence :
Cons. const., 16 juill. 1996, n° 96-377 DC
Décision n° 96-377 DC
Loi déférée : Loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire
Publication : Journal officiel du 23 juillet 1996, page 11108, Recueil, p. 87
Dispositif : Non conformité partielle
Identifiant Légifrance : CONSTEXT000017666559
Identifiant européen : ECLI:FR:CC:1996:96.377.DC
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Texte intégral

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 juin 1996, par MM Claude Estier, Guy Allouche, François Autain, Germain Authié, Robert Badinter, Mmes Monique Ben Guiga, Maryse Bergé-Lavigne, MM Jean Besson, Jacques Bialski, Pierre Biarnès, Marcel Bony, Jean-Louis Carrère, Robert Castaing, Francis Cavalier-Benezet, Michel Charasse, Marcel Charmant, Michel Charzat, William Chervy, Raymond Courrière, Roland Courteau, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Gérard Delfau, Jean-Pierre Demerliat, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, M Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM Bernard Dussaut, Léon Fatous, Aubert Garcia, Gérard Gaud, Roland Huguet, Philippe Labeyrie, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Georges Mazars, Jean-Luc Mélenchon, Charles Metzinger, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Jean-Claude Peyronnet, Mme Danièle Pourtaud, MM Paul Raoult, René Régnault, Alain Richard, Michel Rocard, Gérard Roujas, René Rouquet, André Rouvière, Claude Saunier, Michel Sergent, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Fernand Tardy, André Vezinhet, Henri Weber, sénateurs, et, le 24 juin 1996, par MM Laurent Fabius, Martin Malvy, Gilbert Annette, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Didier Boulaud, Jean-Pierre Braine, Laurent Cathala, Henri d’Attilio, Camille Darsières, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Jean-Pierre Defontaine, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul Durieux, Henri Emmanuelli, Jacques Floch, Michel Fromet, Pierre Garmendia, Kamilo Gata, Jean Glavany, Jacques Guyard, Jean-Louis Idiart, Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, André Labarrère, Jean-Yves Le Déaut, Louis Le Pensec, Alain Le Vern, Marius Massé, Didier Mathus, Louis Mexandeau, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Henri Sicre, Roger-Gérard Schwartzenberg, Daniel Vaillant, Léo Andy, Jean-Jacques Filleul, Patrice Tirolien, Jean-Marc Salinier, Mme Frédérique Bredin, MM Maurice Depaix, Pierre Forgues, Maurice Janetti, Michel Pajon, Bernard Seux, Gérard Saumade, Jean-Pierre Chevènement, Georges Sarre, Jean-Pierre Michel, Pierre Carassus, députés, dans les conditions prévues à l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu le code civil ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 5 juillet 1996 ;
Vu les observations en réplique présentées par les députés et les sénateurs ci-dessus énumérés, enregistrées respectivement le 8 juillet 1996 et le 15 juillet 1996 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les sénateurs et les députés auteurs respectivement de la première et de la seconde saisines défèrent au Conseil constitutionnel la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire, en contestant la conformité à la Constitution des dispositions des articles 1er, 10, 15, 16, 17 et 25 ; que les sénateurs contestent par ailleurs la conformité à la Constitution de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ; qu’enfin, les députés mettent en cause les dispositions de l’article 12 de la loi déférée ;
- SUR L’ARTICLE 1er DE LA LOI :
2. Considérant que l’article 1er de la loi déférée modifie l’article 421-1 du code pénal notamment en complétant les dispositions antérieurement prévues en son 3° qui devient, compte tenu des modifications opérées par ailleurs, le 4° ; qu’en application de cet alinéa, constitue désormais un acte de terrorisme, lorsqu’elle est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger définie à l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article 21 de cette ordonnance : « I. Toute personne qui, alors qu’elle se trouvait en France, aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 200 000 francs… » ; qu’en application de l’article 25 de la loi déférée, l’article 21 est complété par un III ainsi rédigé : " III. Sans préjudice de l’article 19, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement du présent article l’aide au séjour irrégulier d’un étranger lorsqu’elle est le fait : 1°) d’un ascendant ou d’un descendant de l’étranger ; 2°) du conjoint de l’étranger, sauf lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément. » ;
4. Considérant en premier lieu que les sénateurs auteurs de la première saisine font valoir que l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée est contraire à la Constitution ; qu’ils soutiennent, d’une part, que cet article, en ce qu’il prévoit une répression « générale, absolue et indistincte » de toute forme d’aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière est contraire au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ; qu’ils font valoir, d’autre part, que cette disposition ne satisfait pas aux exigences du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines posé par l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ; qu’ils en déduisent que la rédaction imprécise de l’article 21 précité a conduit le législateur à édicter une infraction entrant dans le champ des actes de terrorisme qui répond elle-même à une définition insuffisamment précise et comme telle contraire au principe de légalité des délits et des peines ;
5. Considérant en deuxième lieu que les sénateurs et les députés soutiennent qu’en introduisant dans la liste des infractions de l’article 421-1 du code pénal les faits incriminés par l’article 21 précité, le législateur a méconnu le principe de la nécessité des peines ; qu’ils font valoir en particulier que ceux qui, intentionnellement, apportent une aide à l’auteur d’un acte de terrorisme peuvent d’ores et déjà être poursuivis, notamment au titre de la complicité ;
6. Considérant enfin que les députés auteurs de la seconde saisine font grief à l’article 421-1-4° du code pénal de violer le principe d’égalité devant la loi pénale en ce qu’il aggrave la sévérité des sanctions encourues par les personnes complices de terroristes dans le seul cas où ces derniers sont des étrangers en situation irrégulière, en permettant qu’elles soient pénalement qualifiées d’auteurs d’un acte de terrorisme ;
7. Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires… » ; qu’en conséquence, il appartient au Conseil constitutionnel de vérifier, qu’eu égard à la qualification des faits en cause, la détermination des sanctions dont sont assorties les infractions correspondantes n’est pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;
8. Considérant qu’à la différence des infractions énumérées à l’article 421-1 du code pénal, l’article 21 incrimine non pas des actes matériels directement attentatoires à la sécurité des biens ou des personnes mais un simple comportement d’aide directe ou indirecte à des personnes en situation irrégulière ; que ce comportement n’est pas en relation immédiate avec la commission de l’acte terroriste ; qu’au demeurant lorsque cette relation apparaît, ce comportement peut entrer dans le champ de la répression de la complicité des actes de terrorisme , du recel de criminel et de la participation à une association de malfaiteurs prévue par ailleurs ; qu’en outre la qualification d’acte de terrorisme a pour conséquence non seulement une aggravation des peines mais aussi l’application de règles procédurales dérogatoires au droit commun ;
9. Considérant que dans ces conditions, en estimant que l’infraction définie par les dispositions de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée est susceptible d’entrer dans le champ des actes de terrorisme tels qu’ils sont définis et réprimés par l’article 421-1 du code pénal, le législateur a entaché son appréciation d’une disproportion manifeste ; que dès lors, en tant qu’il insère à l’article 421-1 du code pénal les mots « l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger, définie à l’article 21 de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France », l’article 1er de la loi est contraire à la Constitution ;
- SUR L’ARTICLE 21 DE L’ORDONNANCE DU 2 NOVEMBRE 1945 ET SUR L’ARTICLE 25 DE LA LOI :
10. Considérant en premier lieu que la régularité au regard de la Constitution des termes d’une loi déjà promulguée peut être utilement contestée à l’occasion de la soumission au Conseil constitutionnel de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ; que la loi soumise au Conseil constitutionnel a notamment pour objet en son article 25 de limiter le champ d’application de l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 susvisée ; que dès lors il appartient au Conseil constitutionnel d’examiner la conformité à la Constitution de cette dernière disposition et de se prononcer sur les griefs ci-dessus analysés ;
11. Considérant qu’il revient au législateur, compte tenu des objectifs qu’il s’assigne en matière d’ordre public s’agissant de l’entrée et du séjour des étrangers et qui peuvent notamment justifier un régime de sanctions pénales, de fixer, dans le respect des principes constitutionnels, les règles concernant la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; que les infractions telles que prévues par l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 sont définies dans des conditions qui permettent au juge, auquel le principe de légalité impose d’interpréter strictement la loi pénale, de se prononcer sans que son appréciation puisse encourir la critique d’arbitraire ; que cette définition n’est pas de nature, en elle-même, à mettre en cause le principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine; qu’ainsi les moyens formulés par les sénateurs auteurs de la première saisine doivent être écartés ;
12. Considérant en second lieu que les députés auteurs de la seconde saisine font grief à l’article 25 de la loi déférée de violer le principe d’égalité devant la loi pénale dès lors qu’il dispose que, sans préjudice de l’article 19 de l’ordonnance susvisée du 2 novembre 1945, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement de l’article 21 de cette ordonnance l’aide au séjour irrégulier d’un étranger lorsqu’elle est le fait soit d’un ascendant ou d’un descendant de l’étranger, soit du conjoint de l’étranger, sauf lorsque les époux sont séparés de corps ou autorisés à résider séparément ; qu’ils soutiennent à cette fin que ne sauraient être exclus de l’immunité familiale les frères et soeurs, le concubin ou la concubine ; que les députés et les sénateurs auteurs des saisines font valoir en outre, que cette restriction du champ de ladite immunité aurait pour conséquence de faire peser sur les personnes ainsi écartées de l’immunité une peine non nécessaire ;
13. Considérant qu’eu égard à l’objectif qu’il s’est fixé tendant à concilier la prise en compte à titre humanitaire de situations juridiquement protégées et sa volonté de ne pas faciliter l’immigration clandestine, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité, faire bénéficier d’une immunité pénale les ascendants, descendants et conjoints sans l’étendre aux frères et soeurs ainsi qu’aux concubins ; que les peines dont sont passibles ceux-ci ne sauraient être regardées de ce fait comme méconnaissant l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ;
- SUR L’ARTICLE 10 DE LA LOI :
14. Considérant que l’article 10 de la loi déférée modifie l’article 706-24 du code de procédure pénale par l’ajout de quatre alinéas ; qu’en vertu des trois premiers, s’agissant d’infractions entrant dans la définition des actes de terrorisme, peuvent désormais être opérées de nuit, des visites, perquisitions et saisies, si les nécessités de l’enquête ou de l’instruction l’exigent ; que le quatrième alinéa fixe des règles spécifiques de répartition des compétences entre présidents de tribunal de grande instance ;
15. Considérant que les sénateurs auteurs de la première saisine soutiennent que la règle posée par l’article 59 du code de procédure pénale qui interdit que visites et perquisitions puissent se dérouler entre 21 heures et 6 heures, est un principe fondamental reconnu par les lois de la République ; que les sénateurs et les députés auteurs des saisines font valoir que le principe de liberté individuelle garantissant l’inviolabilité du domicile ne saurait connaître d’atténuations qu’autant que celles-ci sont rendues nécessaires pour sauvegarder l’ordre public, et que cette exigence d’une nécessité éprouvée et indiscutable n’existe pas dans le cadre de l’enquête préliminaire ; qu’ils estiment enfin que l’intervention de l’autorité judiciaire ne saurait garantir à elle seule le respect de la liberté individuelle ;
16. Considérant que la recherche des auteurs d’infractions est nécessaire à la sauvegarde de principes et droits de valeur constitutionnelle ; qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre cet objectif de valeur constitutionnelle et l’exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et notamment l’inviolabilité du domicile ;
17. Considérant qu’eu égard aux exigences de l’ordre public, le législateur peut prévoir la possibilité d’opérer des visites, perquisitions et saisies de nuit dans le cas où un crime ou un délit susceptible d’être qualifié d’acte de terrorisme est en train de se commettre ou vient de se commettre, à condition que l’autorisation de procéder auxdites opérations émane de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, et que le déroulement des mesures autorisées soit assorti de garanties procédurales appropriées ; qu’en l’occurrence, le législateur a fait du président du tribunal de grande instance ou de son délégué, magistrats du siège, l’autorité compétente pour autoriser la mesure, en exigeant une décision écrite motivée précisant la qualification de l’infraction dont la preuve est recherchée, l’adresse des lieux concernés, les éléments de fait justifiant la nécessité des opérations ; qu’en outre il a placé les opérations sous le contrôle du magistrat qui les a autorisées, lequel peut se déplacer sur les lieux pour veiller au respect des dispositions légales ; qu’il a précisé enfin que les opérations en cause ne peuvent, à peine de nullité, laquelle revêt un caractère d’ordre public, avoir un autre objet que la recherche et la constatation des infractions qu’il a ainsi visées ; que la notion de « nécessités de l’enquête » doit s’entendre comme ne permettant d’autoriser une perquisition, visite ou saisie, que si celle-ci ne peut pas être réalisée dans les circonstances de temps définies par l’article 59 du code de procédure pénale ; qu’en outre, une fois l’autorisation accordée, les perquisitions, visites et saisies doivent être opérées sans délai ; que dans ces conditions le législateur n’a pas apporté une atteinte excessive au principe d’inviolabilité du domicile, eu égard aux nécessités de l’enquête en cas de flagrance ;
18. Considérant qu’à l’inverse, la possibilité de telles visites, perquisitions et saisies de nuit, pendant une période qui n’est pas déterminée par la loi, dans tout lieu, y compris dans les locaux servant exclusivement à l’habitation, en cas d’enquête préliminaire et au cours d’une instruction préparatoire, alors que d’une part le déroulement et les modalités de l’enquête préliminaire sont laissées à la discrétion du procureur de la République, ou sous son contrôle, des officiers et agents de police judiciaire, et que d’autre part, dans l’instruction préparatoire, l’autorité déjà investie de la charge de celle-ci se voit en outre attribuer les pouvoirs d’autoriser, de diriger et de contrôler les opérations en cause, est de nature à entraîner des atteintes excessives à la liberté individuelle ;
19. Considérant, en conséquence, que les dispositions de l’article 706-24 du code de procédure pénale, en tant qu’elles visent l’enquête préliminaire et l’instruction sont contraires à la Constitution ; qu’il suit de là que les mots « ou de l’instruction » et « à moins qu’elles ne soient autorisées par le juge d’instruction » qui visent le cas d’une instruction judiciaire doivent être jugés contraires à la Constitution et que le surplus de l’article 10 de la loi ne peut être regardé comme conforme à celle-ci que dans la mesure où il vise les seuls cas d’enquête en flagrance ;
- SUR L’ARTICLE 12 DE LA LOI :
20. Considérant que l’article 12 de la loi déférée complète le second alinéa de l’article 25 du code civil ; qu’il résulte de cet ajout que peuvent être déchues de la nationalité française, les personnes ayant acquis la qualité de français qui ont été condamnées pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ; qu’en vertu de l’article 25-1 du même code, une telle déchéance n’est encourue que si les faits reprochés à l’intéressé se sont produits dans le délai de dix ans à compter de la date de l’acquisition de la nationalité française ; qu’en outre elle ne peut être prononcée que dans un délai de dix ans à compter de la perpétration des faits en cause ;
21. Considérant que les députés auteurs de la seconde saisine font grief à l’article 12 de violer le principe d’égalité devant la loi pénale et d’être contraire au principe de nécessité des peines ; que d’une part ils soutiennent que le fait que l’auteur de l’acte de terrorisme ait acquis la nationalité française par naturalisation ou que celle-ci lui ait été attribuée dès sa naissance ne justifie pas une différence de traitement au regard de la loi pénale ; que d’autre part ils font valoir que cette disposition assimilable à une sanction n’est ni nécessaire ni utile à la protection de l’ordre public ;
22. Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que dans l’un et l’autre cas la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit ;
23. Considérant qu’au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ; que, toutefois, le législateur a pu, compte tenu de l’objectif tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme, prévoir la possibilité, pendant une durée limitée, pour l’autorité administrative de déchoir de la nationalité française ceux qui l’ont acquise, sans que la différence de traitement qui en résulte viole le principe d’égalité ; qu’en outre, eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme, cette sanction a pu être prévue sans méconnaître les exigences de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ;
- SUR LES ARTICLES 15, 16 ET 17 DE LA LOI :
24. Considérant que les auteurs des requêtes font grief aux dispositions des articles 15, 16 et 17 de la loi déférée, de violer le principe de nécessité des peines du fait de l’aggravation des sanctions pénales qu’elles édictent ;
25. Considérant que l’article 15 complète l’article 222-13 du code pénal afin de renforcer la répression des violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours lorsqu’on se trouve en présence de deux ou trois circonstances aggravantes énumérées par ce dernier article ; que de tels agissements sont alors respectivement passibles d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et 500 000 francs d’amende et sept ans d’emprisonnement et 700 000 francs d’amende ;
26. Considérant que l’article 16 modifie l’article 433-3 du code pénal par l’adjonction d’un nouvel alinéa qui réprime la menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes ou les biens lorsque ces infractions sont commises au préjudice de personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, lorsque la menace est réitérée ou matérialisée par un écrit, une image ou tout autre objet ; que cette infraction est passible d’une peine de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 francs d’amende, de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 francs d’amende en cas de menace de mort ou de menace d’atteinte aux biens dangereuse pour les personnes ;
27. Considérant que l’article 17 complète l’article 433-5 du code pénal ; qu’il résulte de cette disposition que l’outrage visant une personne chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission est puni, lorsqu’il est commis en réunion, d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 50 000 francs d’amende ; que lorsqu’il est adressé à une personne dépositaire de l’autorité publique et commis en réunion, la peine encourue est d’un an d’emprisonnement et de 100 000 francs d’amende ;
28. Considérant que les peines prévues par ces articles, qui peuvent être prononcées pour un montant ou une durée inférieurs par le juge, ne sont pas entachées de disproportion manifeste ; qu’en l’absence d’une telle disproportion, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer sa propre appréciation à celle du législateur en ce qui concerne la nécessité des peines attachées aux infractions définies par celui-ci ; que, dès lors, les griefs invoqués doivent être écartés ;
- SUR L’ARTICLE 27 DE LA LOI :
29. Considérant qu’aux termes de l’article 27 : « La présente loi est applicable dans les territoires d’outre-mer où elle entrera en vigueur le 1er mai 1996… » ; que le principe de non rétroactivité des lois en matière répressive énoncé par l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ne permet pas de fixer à la date susmentionnée l’entrée en vigueur de la loi dans les territoires d’outre-mer ;
30. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les mots « où elle entrera en vigueur le 1er mai 1996. »doivent être déclarés contraires à la Constitution ;
31. Considérant qu’il n’y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever aucune question de conformité à la Constitution s’agissant des autres dispositions de la loi qui lui est déférée ;

Décide :
Article premier :
Sont déclarés contraires à la Constitution :
l’article 1er en tant qu’il insère au 4° de l’article 421-1 du code pénal l’alinéa suivant : « l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger, définie à l’article 21 de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France » ;
les mots : « ou de l’instruction », « à moins qu’elles ne soient autorisées par le juge d’instruction », et les trois premiers alinéas insérés par l’article 10 à l’article 706-24 du code de procédure pénale dans la mesure où ils visent les cas d’enquête préliminaire ;
à l’article 27, les mots : « où elle entrera en vigueur le 1er mai 1996 ».
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 juillet 1996, où siégeaient : MM Roland DUMAS, président, Etienne Dailly, Maurice FAURE, Georges ABADIE, Jean CABANNES, Michel AMELLER, Jacques ROBERT, Alain LANCELOT et Mme Noëlle LENOIR.
Le président, Roland DUMAS


Saisine(s) des requérants, observations du Gouvernement et observations éventuelles en réplique des requérants

Observations du Gouvernement en réponse aux saisines du Conseil constitutionnel en date du 20 juin 1996 et 24 juin 1996 par plus de soixante sénateurs et plus de soixantes députés :


Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de recours dirigés contre la loi adoptée le 19 juin 1996 par le Parlement, et tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire.

Les requérants soulèvent à l’encontre de ce texte quatre types de griefs, sur lesquels le Gouvernement entend présenter les observations suivantes.

I : Sur les articles 1er et 25

L’article 1er de la loi déférée complète la liste des crimes et délits susceptibles d’être qualifiés d’actes de terrorisme lorsqu’ils ont été commis dans un but particulier, celui de troubler l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Au nombre des infractions ainsi ajoutées à l’article 421-1 du code pénal, figure notamment l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour d’un étranger définie à l’article 21 de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945.

Par ailleurs, l’article 25 de la loi précise le champ d’application de l’article 21 de cette ordonnance en exemptant des poursuites l’aide au séjour, lorsqu’elle est le fait d’un ascendant, d’un descendant ou du conjoint de l’étranger.

La saisine des sénateurs soutient, comme celle des députés, que la nouvelle rédaction donnée par l’article 1er à l’article 421-1 du code pénal méconnaît, par elle-même, des principes constitutionnels. Les sénateurs estiment en outre que cette inconstitutionnalité résulte de ce que l’article 21 de l’ordonnance de 1945 auquel il est fait référence serait lui-même contraire à la Constitution.

Par ailleurs, les requérants considèrent que la modification apportée à ce dernier article par l’article 25 de la loi déférée repose sur une discrimination injustifiée.

Cette argumentation ne saurait être accueillie, comme le Gouvernement entend le démontrer en examinant successivement les griefs se rapportant à l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, puis ceux qui concernent directement l’article 421-1 du code pénal.

A : L’article 25 de la loi déférée peut être considéré, au regard de la jurisprudence issue de la décision n° 85-185 DC du 25 janvier 1985, comme une disposition qui modifie et complète l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945. A ce titre, le Conseil constitutionnel est saisi par les requérants d’une argumentation mettant en cause, tant la constitutionnalité du texte initial de cet article que celle des modifications que l’article 25 lui apporte.

1. L’article 21 trouve son origine dans l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui prévoyait déjà que « tout individu qui, par aide directe ou indirecte, aura facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger sera puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de 600 à 12 000 F ».

Cet article a été modifié par la loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991, pour actualiser le montant des peines et permettre au juge d’infliger certaines peines complémentaires. La loi n° 94-1136 du 27 décembre 1994 y a ensuite introduit des dispositions tendant à mettre en uvre celles de l’article 27 de la convention d’application de l’accord de Schengen, afin notamment de faciliter l’engagement de poursuites contre les « passeurs » qui organisent l’entrée ou le séjour irréguliers d’étrangers en France ou dans les autres Etats parties à cet accord.

Sous cette dernière réserve, les éléments constitutifs de l’infraction n’ont pas été modifiés depuis 1945. Les sénateurs auteurs de la saisine estiment néanmoins que le principe de légalité des délits et des peines serait méconnu dès lors que cette infraction s’applique de façon indéterminée à toute personne, que les motifs pour lesquels son auteur a agi ne sont pas pris en compte, enfin que les agissements incriminés sont insuffisamment précisés.

Ces critiques ne sont pas fondées.

a) En premier lieu, il est de la nature même de la plupart des infractions définies par le droit pénal d’être générales et impersonnelles, et de ne pas prendre en compte, dans leurs éléments constitutifs, la catégorie de personnes à laquelle appartient leur auteur. Tel est par exemple le cas pour les violences volontaires, le vol et le recel.

Au demeurant, une infraction qui ne serait pas susceptible d’être reprochée à l’ensemble des citoyens risquerait de porter atteinte au principe d’égalité devant la loi. Lorsque certains crimes ou délits ne concernent que certaines catégories de personnes, les distinctions faites par la loi doivent être dûment justifiées par une différence de situation.

b) En deuxième lieu, et s’agissant du contenu même de l’incrimination, le caractère direct ou indirect de l’aide tombant sous le coup de la loi vise seulement la personne qui aide un tiers qui favorise lui-même l’entrée ou le séjour irrégulier d’un étranger : c’est par exemple le cas de la personne qui prête sa voiture à un tiers afin qu’il l’utilise pour faire clandestinement franchir la frontière à des étrangers. Il s’agit simplement de la répression du complice, qui est déjà prévue, de façon générale, par l’article 121-7 du code pénal.

De même, si l’article 21 réprime également le fait de tenter d’aider un étranger en situation irrégulière, la notion de tentative est précisément définie par l’article 121-5 du code pénal, qui indique qu’elle doit être manifestée par un commencement d’exécution qui n’a été suspendu ou n’a manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur.

En tout état de cause, que l’aide soit directe ou indirecte, que l’infraction soit tentée ou consommée, le délit de l’article 21 est une infraction intentionnelle, comme l’implique le principe fondamental posé par l’article 121-3 du code pénal, selon lequel il n’y a point de délit sans intention de le commettre.

Conformément aux règles générales qui prévalent en droit pénal, la constitution du délit exige donc un dol spécial, qui est la volonté d’aider un étranger à pénétrer ou à demeurer de façon irrégulière sur le sol français, ce qui rend l’infraction non constituée dans la plupart des exemples donnés par les requérants.

c) En troisième lieu, il convient de rappeler que les différentes causes d’irresponsabilité prévues par le code pénal, comme la contrainte (art 122-2), l’autorisation ou la prescription de la loi (art 122-4) ou l’état de nécessité (art 122-7) sont naturellement susceptibles de bénéficier à des personnes à l’encontre desquelles les dispositions de l’article 21 pourraient sembler applicables.

C’est ainsi qu’un médecin qui soigne un étranger en situation irrégulière ne saurait évidemment tomber sous le coup de l’article 21. L’obligation de porter secours à une personne en péril – dont le non-respect est pénalement sanctionné : comme, plus généralement, le devoir de soin qui est le sien, constitue en pareil cas le fait justificatif prévu par l’article 122-4 précité. De même, des considérations humanitaires peuvent justifier la contrainte ou l’état de nécessité.

d) Enfin, il est à peine nécessaire de souligner que l’article 21 de l’ordonnance de 1945 respecte le principe de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, dont les sénateurs saisissants ont cru pouvoir invoquer la méconnaissance.

Ce principe, dégagé par la décision n° 94-343 DC du 27 juillet 1994, implique la sauvegarde de l’intégrité humaine, la lutte contre toute persécution physique ou morale, contre tout traitement inhumain ou dégradant, c’est-à-dire qui rabaisse la personne au rang d’objet.

L’article 21 ne place évidemment pas l’étranger dans une telle situation. Il résulte en effet de ce qui a été dit ci-dessus que ses dispositions n’ont ni pour objet, ni pour effet d’empêcher un étranger en situation irrégulière de nouer le moindre contact avec des tiers ou de bénéficier du moindre secours.

En résumé, l’article 21 de l’ordonnance de 1945 dans sa rédaction résultant de lois définitivement promulguées n’est nullement contraire à la Constitution.

2. Les modifications que l’article 25 de la loi déférée lui apporte n’encourent pas davantage les critiques que lui adressent les requérants.

Le texte adopté par le Parlement institue désormais une immunité familiale qui réduit la portée de ce délit, et, partant, en délimite plus précisément encore le champ d’application. Le nouvel article 21 exempte, en effet, des poursuites pénales l’ascendant, le descendant et le conjoint de l’étranger en situation irrégulière.

Les requérants estiment que cette immunité méconnaît le principe d’égalité devant la loi pénale. Ils la jugent en même temps trop restrictive, faute d’inclure les concubins et les frères et s urs.

Cette argumentation, qui n’est pas exempte de contradictions, n’est, en tout état de cause, pas fondée.

Il convient en effet de souligner que le dispositif critiqué tend à régler de manière distincte des situations différentes. La distinction ainsi opérée n’est pas sans précédents en droit pénal.

Comme l’exposent d’ailleurs les requérants, le droit pénal général connaît déjà des cas d’exonération pour le recel de malfaiteurs (434-6), la non-dénonciation de crime (434-1) et l’abstention de témoigner de la preuve de l’innocence d’une personne détenue (434-11). De même, les articles 311-12, 313-3, 314-4 créent une immunité familiale, en exonérant le voleur ou l’escroc, s’il est ascendant, descendant ou conjoint de sa victime.

Dans ces hypothèses, le code pénal distingue l’étendue de l’immunité accordée. Ainsi, pour les cas d’entrave à la saisine de justice, elle s’étend aux descendants, collatéraux et alliés, tandis que pour les atteintes aux biens elle est plus limitée, excluant notamment les collatéraux, mêmes frères ou s urs, et le concubin.

S’agissant de la police des étrangers, le législateur a toujours distingué la situation des conjoints de celle des concubins, en ne reconnaissant à ceux-ci aucun droit particulier. Il en est de même pour les frères ou s urs qui, comme les autres collatéraux, ne bénéficient pas de droits particuliers sur le fondement de cette qualité.

De telles distinctions, qui reposent sur des différences objectives de situation n’ont jamais été jugées contraires au principe d’égalité.

Elles ne méconnaissent par ailleurs pas le droit à une vie familiale consacré par le Préambule, qui ne concerne que le conjoint et les enfants mineurs (n° 93-325 DC du 13 août 1993).

B : La nouvelle rédaction donnée par l’article 1er de la loi déférée à l’article 421-1 du code pénal n’est pas non plus contraire à la Constitution.

A supposer que les sénateurs auteurs de la première saisine puissent utilement critiquer, à l’appui des griefs adressés à l’article 1er, la constitutionnalité de l’article 21 de l’ordonnance de 1945 auquel il fait référence, il résulte de ce qui a été dit plus haut que cette critique n’est pas fondée.

Pour le surplus, la saisine des sénateurs et celle des députés contestent le caractère « strictement et évidemment nécessaire » de la nouvelle disposition. Les requérants estiment que les notions d’association de malfaiteurs et de complicité suffisent pour poursuivre ceux qui apportent une aide au terrorisme.

Cette affirmation est inexacte.

L’incrimination nouvelle vise très précisément les personnes qui ne peuvent être poursuivies comme complices de telle ou telle infraction terroriste précise pour laquelle ils auraient fourni une aide spécifique. Il s’agit de poursuivre ceux sur lesquels repose toute la logistique quotidienne, sans laquelle l’entreprise terroriste ne peut prospérer.

L’expérience a montré, en effet, que certains terroristes étrangers en situation irrégulière peuvent bénéficier de l’appui matériel de personnes qui, tout en ignorant la nature précise des actions terroristes que les bénéficiaires de leur aide comptent mettre en uvre, sont néanmoins conscientes qu’il s’agit de terroristes. Ce sont ces personnes, qui ne sont pas complices d’un acte de terrorisme au sens strict puisqu’elles ne contribuent pas directement à sa réalisation, mais sans l’aide desquelles ces terroristes ne pourraient agir, qu’il s’agit d’atteindre au travers de cette nouvelle incrimination.

En outre, et contrairement à ce qu’avancent les saisissants, l’incrimination de participation à une association de malfaiteurs ne permettrait pas d’appréhender efficacement les agissements en cause.

L’association de malfaiteurs est en effet définie comme un « groupement formé en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un crime ou d’un délit ». Or, les personnes qui fournissent un appui logistique ne peuvent pas nécessairement être considérées, au sens de ces dernières dispositions, comme participant directement à la préparation des actes terroristes.

Il semble indispensable de faire la distinction légale entre celui qui fait venir irrégulièrement en France son frère et celui qui met un logement à disposition d’étrangers en séjour irrégulier émanant d’une organisation dont les buts terroristes en France sont revendiqués et connus de lui.

Il faut souligner que les terroristes en séjour irrégulier en France ne peuvent faire aboutir leurs actions que du fait de la prise en charge matérielle de leur séjour en France par des tiers.

Il appartiendra naturellement à l’accusation d’établir que la personne poursuivie avait, non seulement l’intention d’aider à l’entrée ou au séjour irrégulier d’un étranger, mais aussi la connaissance précise du lien entre l’entrée ou le séjour irrégulier et « une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur », au sens de la loi.

On ne saurait, par ailleurs, utilement prétendre que l’article 1er de la loi déférée a pour effet d’intégrer dans le périmètre des infractions pouvant être qualifiées d’acte de terrorisme, un délit de bien moindre gravité que les autres infractions déjà énumérées par l’article 421-1 du code pénal. Ce dernier inclut en effet déjà, dans le périmètre des infractions terroristes, des délits sanctionnés moins sévèrement que celui réprimé par l’article 21 de l’ordonnance de 1945. Tel est, par exemple, le cas du vol simple, puni par l’article 311-3 d’une peine de trois ans d’emprisonnement. Il en va de même pour les destructions et dégradations, punies par l’article 322-1 d’une peine de deux ans. On peut enfin citer l’accès frauduleux à un système de traitement automatisé des données que l’article 323-1 du code pénal ne punit que d’un an d’emprisonnement.

II. : Sur l’article 10

L’article 10 de la loi déférée insère, à l’article 706-24 du code de procédure pénale, des dispositions tendant à étendre, à la matière des infractions terroristes, la possibilité de procéder à des perquisitions nocturnes, déjà prévue par la loi en matière de proxénétisme et de stupéfiants.

Les requérants font valoir que cette disposition porte une atteinte injustifiée au principe d’inviolabilité du domicile. La saisine des sénateurs soutient en particulier que l’interdiction des perquisitions nocturnes aurait le caractère d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Pour sa part, le Gouvernement considère que les principes invoqués n’ont pas la portée que leur prêtent les saisissants, et que ces principes n’ont pas été méconnus en l’espèce.

A : Il importe d’abord de préciser le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les dispositions contestées.

1. Contrairement à ce que soutient la saisine des sénateurs, il ne paraît pas possible de déceler l’existence d’un principe fondamental suivant lequel aucune perquisition ne pourrait se dérouler entre 21 heures et 6 heures.

Comme le rappelle M Genevois dans son ouvrage sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel (p 200, n° 334), le principe fondamental reconnu par les lois de la République peut être défini comme un principe essentiel, posé par le législateur républicain, touchant à l’exercice des droits et libertés et qui a reçu application avec une constance suffisante dans la législation antérieure au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

C’est à ce titre qu’ont pu être reconnus, par exemple, le principe des droits de la défense (n° 76-70 DC du 2 décembre 1976), la liberté de l’enseignement (n° 77-87 DC du 23 novembre 1977), le principe de l’indépendance de la juridiction administrative (n° 80-119 DC du 22 juillet 1980), le principe de l’indépendance des enseignants du supérieur (n° 83-165 DC du 20 janvier 1984) ou enfin l’existence d’une juridiction administrative compétente pour censurer les actes illégaux de la puissance publique (n° 86-224 DC du 23 janvier 1987).

S’agissant des perquisitions, il est exact que l’article 76 de la Constitution de l’an VIII énonçait que « la maison de toute personne habitant le territoire français est un asile inviolable » et précisait que, pendant la nuit, nul n’a le droit d’y entrer que « dans le cas d’incendie, d’inondation ou de réclamation faite de l’intérieur d’une maison ».

Mais cette règle a toujours été assortie de tempéraments, comme le montrent les termes mêmes de l’article 59 du code de procédure pénale qui, tout en prohibant les perquisitions nocturnes, réserve le cas des exceptions prévues par la loi.

C’est ainsi que d’autres dérogations que celles qui étaient mentionnées par la Constitution de l’an VIII ont été prévues dans les cas suivants :

: en état de siège, pour les perquisitions militaires (art 9 de la loi du 9 août 1849) ;

: dans les maisons d’accouchement (art 94 du décret-loi du 29 juillet 1939) ;

: dans les maisons où l’on donne habituellement à jouer des jeux de hasard, si la désignation de ces maisons a été donnée aux officiers de police par deux citoyens domiciliés (art 10 du décret des 19-22 juillet 1791) ;

: dans les lieux livrés notoirement à la débauche (art 10 du même décret).

Ces dernières dispositions ont été maintenues en vigueur sous les régimes républicains. Elles ont même été étendues par l’article 2 de la loi du 19 juillet 1845, dans sa rédaction issue de l’article 130 du décret-loi du 29 janvier 1939 sur la vente des substances vénéneuses, qui dispose que, même s’ils ont le caractère d’un domicile privé, « les locaux où l’on usera en société des stupéfiants seront assimilés aux lieux livrés notoirement aux jeux de hasard ou à la débauche, en conformité de l’article 10 du décret des 19-22 juillet 1791 ».

On constate donc que les dispositions dérogatoires figurant aujourd’hui, s’agissant du proxénétisme et des stupéfiants, à l’article 706-28 du code de procédure pénale, et que l’article contesté étend aux infractions terroristes, plongent leurs racines assez loin dans la tradition républicaine.

L’on ne peut ainsi déduire de la législation antérieure au Préambule de 1946 l’existence d’un principe, auquel le pouvoir constituant aurait entendu se référer, et qui interdirait de manière absolue au législateur de prévoir des perquisitions nocturnes.

2. En réalité, la question soumise au Conseil constitutionnel est celle de la conciliation entre le principe d’inviolabilité du domicile et d’autres objectifs de valeur constitutionnelle qu’il appartient également au législateur de prendre en compte, en l’espèce la sauvegarde de l’ordre public et la répression des infractions.

Sur le principe, la question soulevée par les auteurs des saisines n’est pas d’une nature différente de celles auxquelles le Conseil constitutionnel a été confronté en présence d’autres dispositions fixant des règles en matière de perquisitions.

S’agissant de la recherche des infractions fiscales, le Conseil a ainsi affirmé que « l’exercice des libertés et droits individuels ne saurait en rien excuser la fraude fiscale ni en entraver la légitime répression ». Il en a déduit que, dans leur principe, les dispositions qui lui étaient soumises ne pouvaient être critiquées (n° 83-164 DC du 29 décembre 1983).

La même décision ajoute que les investigations opérées dans des lieux privés « ne peuvent être conduites que dans le respect de l’article 66 de la Constitution qui confie à l’autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle sous tous ses aspects, et notamment celui de l’inviolabilité du domicile » et « que l’intervention de l’autorité judiciaire doit être prévue pour conserver à celle-ci toute la responsabilité et tout le pouvoir de contrôle qui lui reviennent ».

En d’autres termes, les garanties prévues par le législateur doivent être appropriées, compte tenu, d’une part, de l’objectif poursuivi et, d’autre part, de l’atteinte à la liberté individuelle que portent nécessairement les perquisitions et visites domiciliaires.

B : Ces principes n’ont pas été méconnus en l’espèce.

1. Les quatre alinéas ajoutés à l’article 706-24 du code de procédure pénale par l’article 10 de la loi permettent des perquisitions de nuit en matière de terrorisme dans trois hypothèses :

: au cours d’une enquête de flagrance ;

: au cours d’une enquête préliminaire ;

: au cours d’une instruction.

Dans chacun de ces trois cas, le texte précise que la perquisition ne peut intervenir que si les nécessités de l’enquête ou de l’instruction l’exigent.

L’autorisation ne peut porter que sur des perquisitions déterminées. Elle doit être accordée par un magistrat du siège (président du tribunal ou juge délégué, ou juge d’instruction). La perquisition ne peut être effectuée que dans des lieux précis dont l’adresse doit figurer dans l’autorisation, laquelle doit être écrite. Cette autorisation doit préciser la qualification de l’infraction terroriste dont la preuve est recherchée, et elle doit également être motivée par référence aux éléments de fait justifiant que la perquisition est nécessaire.

Enfin la loi spécifie que la perquisition est effectuée sous le contrôle du magistrat qui l’a autorisée et qui peut se déplacer sur les lieux pour veiller au respect de la loi.

Toutes ces règles sont édictées à peine de nullité et devront être strictement appliquées, sous le contrôle des juridictions supérieures, à la lumière des principes résultant de la jurisprudence constitutionnelle.

Cette nullité présente en outre un caractère d’ordre public. Cela signifie que le non-respect de l’une des règles précitées devra entraîner l’annulation de la procédure de perquisition sans qu’il soit besoin de rechercher, en application de l’article 802 du code de procédure pénale, si la violation de la loi a effectivement porté atteinte aux intérêts d’une partie. Par ailleurs, l’avant-dernier alinéa de l’article 706-24 précise que ces perquisitions de nuit ne pourront avoir un autre objet que la recherche et la constatation des actes de terrorisme. Cette règle, qui est également édictée à peine de nullité, interdit donc aux enquêteurs qui constateraient, au cours de leur opération, l’existence d’une autre infraction, de le mentionner dans leur procès-verbal. Toute possibilité de détournement de procédure se trouve, par là-même, empêchée.

Les requérants ne contestent pas le caractère suffisant de ces garanties. Ils ne critiquent d’ailleurs pas sérieusement le principe même des mesures adoptées ni la nécessité, en présence d’actes de terrorisme, d’investigations dérogeant aux règles de l’article 59 du code de procédure pénale, au titre d’une enquête de flagrance ou d’une instruction préparatoire. Ils estiment que de telles mesures ne sont pas admissibles dans le cadre d’une enquête préliminaire.

2. Cette argumentation ne saurait être retenue pour deux raisons, qui touchent à la spécificité des infractions terroristes.

a) En premier lieu, il est à peine besoin de souligner la gravité particulière du trouble à l’ordre public et de l’atteinte aux personnes qui caractérise les actes de terrorisme. Il serait à cet égard paradoxal de contester la légitimité de mesures nécessaires à la recherche des auteurs d’infractions aussi graves, alors que des mesures similaires ont, de longue date, été prévues contre d’autres fléaux sociaux qui, si graves soient-ils, le sont cependant moins que le terrorisme, dont on peut considérer aujourd’hui qu’il constitue le sommet des atteintes aux droits de la personne.

De ce point de vue, l’article contesté vient combler les lacunes d’un texte récent, la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992, qui a consacré cette possibilité pour les recherches effectuées tant en matière de proxénétisme qu’en matière de trafic de stupéfiants.

b) En second lieu, et au regard de la nature des entreprises terroristes, le recours à des perquisitions nocturnes est, dans certains cas, nécessaire au déroulement d’une enquête préliminaire.

Il importe à cet égard de souligner que la distinction classique entre l’enquête de flagrance et l’enquête préliminaire (les enquêteurs ayant traditionnellement plus de pouvoirs dans le premier cas) ne repose pas sur des critères indiscutables. Le législateur a d’ailleurs eu tendance à l’atténuer depuis plusieurs années. Ainsi, la procédure de comparution immédiate, qui a succédé à celle dite de « flagrant délit », est désormais possible pour les délits non flagrants (art 395 du code de procédure pénale issu de la loi n° 86-1019 du 9 septembre 1986).

L’extension de compétence d’un officier de police judiciaire, soit dans l’ensemble du ressort du tribunal de grande instance, soit sur toute l’étendue du territoire national peut intervenir dans les deux types d’enquête (art 18 du code de procédure pénale résultant de la loi n° 85-1196 du 18 novembre 1985 et de la loi n° 94-89 du 1er février 1994). En outre, le législateur a déjà prévu qu’en matière de terrorisme une perquisition de jour peut être faite sans l’assentiment de la personne concernée dans le cadre d’une enquête préliminaire (art 706-24 du code de procédure pénale issu de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, dont les dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution par la décision n° 86-213 DC du 3 septembre 1986).

En réalité, la condition pertinente au regard de laquelle il y a lieu, de manière générale, de justifier l’extension de pouvoirs d’investigation est celle de nécessités tenant à l’urgence. Ce critère est d’ailleurs parfois expressément mentionné par le législateur : ainsi l’article 18 du code de procédure pénale sur l’extension de compétence des officiers de police judiciaire fait référence au « cas d’urgence ».

Or il est évident que, même dans le cadre d’une enquête préliminaire, il peut arriver que les enquêteurs soient en possession de renseignements, par exemple les déclarations d’un témoin ou d’un « repenti », qui justifient de procéder à une perquisition, sans attendre le lendemain matin 6 heures. En pareille hypothèse, il s’agit moins d’éviter la fuite des personnes suspectes : encore que la nécessité d’attendre le réveil des intéressés pour procéder à leur interpellation, s’agissant de terroristes présumés, augmente considérablement les risques de riposte et la dangerosité de l’opération, pour les forces de l’ordre comme pour les intéressés – que de prévenir les destructions de preuves auxquelles ces personnes, qui ont pu être alertées (par exemple en ne voyant pas revenir un des leurs interpellé par la police), sont susceptibles de procéder pendant la nuit. Le cas s’est produit.

En matière de terrorisme, la destruction de documents dans lesquels figurent la liste des membres d’un réseau peut avoir pour conséquence d’empêcher l’identification et l’arrestation de ses membres, qui pourront ultérieurement continuer leurs activités criminelles et commettre de nouveaux attentats.

Compte tenu de la continuation dans le temps de « l’entreprise terroriste », la distinction entre enquête de flagrance et enquête préliminaire s’avère ainsi moins pertinente. Les perquisitions de nuit peuvent donc être nécessaires, même si elles sont accomplies un certain temps après la commission des faits objet de l’enquête. Le délai écoulé entre les faits et la perquisition importe moins que celui écoulé entre le moment où les enquêteurs disposent des renseignements rendant nécessaire cette opération et la perquisition.

Sur l’ensemble de ces éléments, la motivation exigée par la loi obligera le magistrat à expliquer pourquoi, compte tenu des éléments de l’espèce, il n’est pas possible de différer la perquisition au lendemain. Il en sera, par exemple, ainsi dans le cas évoqué ci-dessus de risque de disparition des preuves.

L’exigence de « nécessité » prévue par la loi aura pour conséquence directe d’interdire au magistrat saisi d’autoriser une perquisition de nuit autrement qu’en urgence, comme cela a été précédemment indiqué à propos du domaine d’application de l’article 706-24.

En effet, si une information selon laquelle les auteurs présumés d’un acte de terrorisme se trouvent dans un endroit déterminé parvient aux enquêteurs à un moment de la journée qui leur permet de perquisitionner pendant les heures légales, ils doivent évidemment commencer de procéder à cette perquisition sans attendre 21 heures (ce qui leur permettra de la poursuivre au cours de la nuit), après avoir obtenu, s’il s’agit d’une enquête préliminaire, l’accord du président du tribunal de grande instance.

Ce n’est que dans l’hypothèse où cette information ne parviendrait aux enquêteurs qu’en fin de journée ou au cours de la nuit qu’une perquisition réalisée entre 21 heures du soir et 6 heures du matin pourra effectivement apparaître comme nécessaire et pourra être autorisée par un magistrat.

Les dispositions adoptées par le Parlement ne permettent donc pas à un magistrat de délivrer, par exemple le lundi, une autorisation pour procéder le vendredi à une perquisition de nuit, puisque, dans une telle hypothèse, des perquisitions auraient été possibles entre 6 heures et 21 heures pendant les journées de mardi à jeudi. Les autorisations prévues par le nouveau texte ne peuvent concerner que la nuit en cours ou la nuit à venir.

En définitive, et s’agissant d’agissements aussi graves que les actes de terrorisme, il ne paraît pas contraire à la Constitution que des perquisitions de nuit puissent être accomplies quel que soit le cadre procédural concerné (flagrance, instruction, enquête préliminaire), dès lors, d’une part, que les nécessités de l’enquête ou de l’instruction l’exigent, c’est-à-dire si la perquisition ne peut être différée au lendemain parce qu’il y a urgence et, d’autre part, que le recours à ces moyens d’investigation restera strictement soumis au contrôle de magistrats du siège.

III. : Sur l’article 12

A : Cet article complète l’article 25 du code civil en prévoyant que la personne qui a acquis la nationalité française pourra en être déchue si elle a été condamnée pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme.

Cette mention vient compléter le 1°, qui prévoyait déjà la même mesure en cas de crime ou de délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. Elle prend place avant le 2°, qui vise l’ensemble des crimes et délits prévus et réprimés par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal.

Dans ces différentes hypothèses, la déchéance ne peut être prononcée que par un décret pris après avis conforme en Conseil d’Etat.

La saisine des députés soutient que l’article 12 de la loi déférée méconnaît le principe d’égalité devant la loi pénale et celui de nécessité des peines. Les requérants estiment, en particulier, que l’article comporte une discrimination injustifiée, entre les auteurs d’infractions terroristes, selon qu’ils sont nés français ou qu’ils le sont devenus par naturalisation.

B : Cette argumentation n’emporte pas la conviction.

1. L’article 12 n’apporte en effet aucune innovation dans le droit de la nationalité.

Le principe même de la déchéance de la nationalité française dans certaines hypothèses, notamment celle de condamnation pour crime ou délit contre la sûreté de l’Etat, existait déjà dans l’ancien code de la nationalité.

Introduite dans notre droit, d’abord pour le temps de guerre par les lois du 7 avril 1915 et du 18 juin 1917, cette disposition a été rendue permanente par la loi du 10 août 1927. La rédaction actuelle remonte à l’ordonnance du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité. Elle a été reprise par la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973, qui s’est bornée à abroger la faculté de donner un effet collectif à la déchéance.

Les dispositions de ce texte ont été reprises par la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993, qui a été soumise au Conseil constitutionnel et n’a donné lieu, sur ce point, à aucune censure.

2. Les infractions terroristes ne sont pas d’une nature différente de celles que visait déjà l’article 25 du code civil. Elles étaient, au demeurant, déjà couvertes par le 5° de cet article, s’agissant de crimes ayant entraîné une condamnation à cinq années au moins d’emprisonnement.

Les dispositions que le Parlement a introduites au 1° permettront simplement de prononcer la même déchéance à l’égard de ceux qui auront été condamnés à une peine inférieure. Cette précision s’inscrit dans la logique du 1° et du 2° qui visent certains crimes et délits en eux-mêmes, indépendamment du quantum de la peine.

De même l’article 21-8 du code civil, issu de la même loi du 22 juillet 1993, prévoit que l’étranger qui a été condamné pour un acte de terrorisme perd le droit d’acquérir la nationalité française dans les conditions prévues à l’article 21-7.

En tout état de cause le mécanisme de la déchéance de la nationalité, consacré de longue date par le droit positif et aujourd’hui repris à l’article 25 du code civil, ne contrevient à aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République. Il ne paraît pas non plus contraire au principe d’égalité devant la loi : compte tenu de l’objectif poursuivi par le législateur, il n’est pas injustifié de prévoir des mesures spécifiques, au regard des infractions visées à cet article, applicables aux personnes qui n’ont acquis la nationalité française que depuis moins de dix ans.

Il s’agit en effet de tenir compte de la nature particulière de l’infraction terroriste, qui constitue par elle-même une rupture du pacte républicain.

IV. : Sur les articles 14, 16 et 17

A : L’article 14 de la loi déférée aggrave les peines encourues (de 5 à 7 ans), en cas de violences volontaires ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours, commises avec deux des dix circonstances énumérées à l’article 222-12. Les peines sont portées à 10 ans si ces violences sont commises avec trois de ces circonstances.

L’article 16 crée le délit de menaces de commettre un crime ou délit à l’encontre de personnes exerçant une fonction publique, dans l’exercice de leurs fonctions, dans la mesure où ces menaces sont soit réitérées, soit matérialisées par un écrit ou tout autre objet.

Ce délit est inséré au premier alinéa de l’article 433-3, qui incrimine déjà le délit de menaces sous condition. Il est ainsi créé une aggravation du délit de menaces en raison de la qualité de la victime.

Par ailleurs, l’article 17 aggrave les peines du délit d’outrage prévu à l’article 433-5 du code pénal, lorsqu’il est commis en réunion.

Les députés auteurs de la seconde saisine considèrent que ces dispositions sont disproportionnées au trouble causé par les infractions. Ils en déduisent que les articles en cause méconnaissent le principe de nécessité des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

B : Ces griefs ne peuvent être retenus.

On observera d’abord que le système de l’aggravation des peines d’un délit, lorsqu’il est commis dans des circonstances de fait augmentant le trouble causé à l’ordre public par l’infraction, est aussi ancien que le droit pénal.

C’est ainsi que l’aggravation de 3 à 5 ans en présence de deux circonstances aggravantes, puis de 5 à 7 ans si une troisième est réunie, est déjà celle utilisée par le législateur pour les atteintes aux biens (art 311-3 et 311-4 du code pénal).

Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, il est logique de retenir la même gradation pour les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, qui causent un trouble plus grand à l’ordre public que pour les atteintes aux biens.

L’aggravation d’un délit en raison de la personnalité de son auteur ou de sa victime est habituelle en droit pénal. C’est ainsi que la qualité d’agent dépositaire de l’autorité publique est spécialement considérée par le législateur, que ce soit pour créer une protection réservée à ceux qui l’exercent ou pour les sanctionner plus sévèrement en cas de commission d’un délit ou d’un crime.

Nul ne conteste en effet que cette qualité, si elle crée certains devoirs et obligations à la charge des récipiendaires, oblige les citoyens, parce qu’ils doivent respecter l’Etat et l’autorité publique, attitude indispensable à la solidité de l’Etat de droit, à respecter ceux-ci. Ainsi, menacer de mort une personne est grave, mais le trouble causé à l’ordre public est plus important si cette personne est dépositaire de l’autorité publique ou assimilée et si la menace est faite dans l’exercice des fonctions de la victime : à l’agression contre une personne s’ajoute alors une remise en cause de l’autorité de l’Etat ou des institutions.

Par ailleurs, l’infraction commise en réunion est habituellement traitée par le législateur comme une infraction aggravée, en raison de l’effet d’entraînement qu’elle suscite, et de la multiplication de ses conséquences. Ainsi un vol commis en réunion permet de soustraire plus d’objets, et sur une plus grande échelle qu’un vol commis en solitaire.

En l’espèce, la prise en considération de cette circonstance pour le délit d’outrage correspond à une réalité. Par exemple, là où un individu hésiterait à outrager des fonctionnaires, il lui est plus facile de le faire en groupe, ce qui crée des situations de tension nettement plus dangereuses en laissant supposer que les dépositaires de l’autorité publique ne doivent être respectés que s’ils sont en nombre supérieur. Il est donc nécessaire que le législateur considère plus sévèrement cette infraction commise avec la circonstance de la réunion, afin que l’effet dissuasif soit plus grand.

On relèvera enfin que l’aggravation prévue (6 mois à 1 an) est celle déjà utilisée pour la rébellion en réunion (art 433-7).

De manière générale, il convient de souligner que les articles 14, 16 et 17 de la loi déférée utilisent un système d’aggravation correspondant très exactement à celui qui prévaut dans le code pénal en vigueur depuis le 1er mars 1994 pour des infractions comparables.

Ainsi la prise en compte du cumul des circonstances aggravantes pour les violences est calquée sur celle prévue pour le viol. De même, l’aggravation de la répression de l’outrage en réunion est identique à celle prévue pour la rébellion.

Pas plus que pour les dispositions correspondantes figurant déjà dans le code pénal, il n’est possible de soutenir sérieusement que celles que le Parlement a adoptées en l’espèce reposeraient, de la part de ce dernier, sur une appréciation manifestement erronée du caractère nécessaire de ces peines.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement demande au Conseil constitutionnel de rejeter les recours dont il est saisi.

SAISINE DEPUTES :

Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers,

Conformément au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, nous avons l’honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire et plus particulièrement ses articles 1er, 7, 7 quater, 12, 16, 18 et 23 A, tels qu’ils ont été adoptés par le Parlement.

I : Sur l’article 1er de la loi déférée

Cet article prévoit en son point 3° que l’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’étrangers en France devient une « infraction terroriste » lorsqu’elle est commise « intentionnellement » en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.

L’ajout, dû à l’obstination du Sénat, de l’adverbe « intentionnellement » a heureusement levé une ambiguïté bien réelle, quoi qu’en aient dit le Gouvernement et la majorité de l’Assemblée nationale, et pourrait atténuer le caractère scandaleux de l’amalgame que pratiquait sciemment le projet de loi gouvernemental entre lutte contre le terrorisme et répression de l’immigration clandestine.

Il n’en reste pas moins que celui qui aide sciemment un terroriste corse sera moins lourdement puni que celui qui aide un terroriste maghrébin, alors qu’au regard de l’objet avoué de la loi déférée, c’est-à-dire de la lutte contre le terrorisme et de la défense de l’ordre public, aucune différence de situations justificative d’une différence de traitement ne les sépare.

La disposition déférée reste en ce sens entachée d’une incontestable violation du principe d’égalité devant la loi pénale, en ce qu’elle aggrave la sévérité des sanctions encourues par les complices des terroristes dans l’hypothèse où ces derniers seraient étrangers en situation irrégulière : comme si le fait d’être l’ami d’un étranger était une sorte de circonstance aggravante de la complicité d’acte de terrorisme. Si on voit bien ce qu’une telle conception doit de complaisance à l’égard de certains phantasmes xénophobes, on aperçoit beaucoup moins distinctement ce en quoi elle sert la protection de la sécurité des personnes et des biens, laquelle est tout autant menacée par les attentats commis par des étrangers en situation régulière (ce que les terroristes ont souvent l’intelligence d’être) ou par des Français.

L’article 1er de la loi déférée n’est dans ces conditions manifestement pas plus respectueux du principe constitutionnel de nécessité des peines que de celui de l’égalité devant la loi pénale.

II. : Sur l’article 7 de la loi déférée

Cet article autorise, en cas d’infraction qualifiée d’acte de terrorisme, une dérogation à la règle posée par les articles 59 et 76 du code de procédure pénale selon laquelle, dans le cas d’une enquête de flagrance ou d’une enquête préliminaire, les visites, perquisitions et saisies doivent être effectuées entre six heures et vingt et une heures.

On se trouve ici devant une nouvelle manifestation du développement de plus en plus rapide d’un droit pénal d’exception qui remet en question les principes les plus fondamentaux de l’ordre juridique républicain. En effet, si de telles dérogations ont déjà été décidées en matières de trafic de stupéfiants et de proxénétisme, d’une part, dans ce dernier cas les visites, perquisitions et saisies ne peuvent être opérées que dans des lieux publics, ce qui prive le précédent de toute pertinence, d’autre part, et surtout, dans un cas comme dans l’autre, les visites et perquisitions de nuit ne sont autorisées qu’en cas de flagrance, ce qui peut aisément se comprendre au regard des nécessités de l’action publique, alors que la loi déférée étend le champ d’une dérogation similaire au cas d’enquêtes préliminaires menées en dehors de toute flagrance.

Il s’agit donc bien d’une atteinte sans précédent au principe de l’inviolabilité du domicile, dont on sait qu’il est une composante du respect de la vie privée (Conseil constitutionnel n° 83-164 DC du 29 décembre 1983, Rec. page 67 ; Conseil constitutionnel n° 93-325 DC du 13 août 1993, Rec. page 224) et dont la protection relève de la plus constante tradition républicaine. Même la Constitution de l’An VIII, en son article 76, proclamait que " la maison de toute personne habitant le territoire français est un asile inviolable.

Pendant la nuit, nul n’a le droit d’y entrer que dans le cas d’incendie, d’inondation, ou de réclamation faite de l’intérieur de la maison ".

Si l’on peut comprendre que s’ajoute la flagrance aux exceptions à l’inviolabilité que le constituant de l’an VIII lui-même limitait aussi strictement, on imagine en revanche difficilement qu’un Parlement de la République puisse se montrer moins sourcilleux que les hommes du 18-Brumaire sur la défense d’une liberté aussi fondamentale, dès lors qu’aucune nécessité de force comparable ne commande d’y porter atteinte.

Toute la question est précisément de savoir si les exigences de la lutte contre le terrorisme exigent un tel reniement de la tradition républicaine. A la vérité, les débats parlementaires ont apporté la preuve contraire : le garde des sceaux lui-même, qui tentait de défendre devant le Sénat l’article 7 de la loi déférée en invoquant l’urgence empêchant prétendûment d’attendre « l’heure du laitier » pour procéder à une perquisition, a dû échafauder pour prouver l’absolue nécessité de cette disposition un scénario imaginaire tel qu’après un grave attentat terroriste commis à l’aide d’une voiture piégée aucune information ne soit ouverte par le parquet : ce qui ne laisse pas, en soi, d’interroger -, puis qu’un mois plus tard un voleur de voiture déclare en garde à vue connaître les auteurs de l’attentat et en donne l’adresse à 22 heures et qu’alors les preuves de la participation des intéressés à l’attentat disparaissent au cours de la nuit (Bulletin analytique du Sénat, n° 84, débats du mercredi 15 mai 1996, pages 84-85).

Il suffit de rapporter ce scénario ministériel à la réalité pour en mesurer l’invraisemblance : on ne sait s’il faut donner la palme de l’ingénuité à un procureur qui oublierait d’informer sur un attentat ou à des criminels qui, ayant négligé d’effacer les traces de leur forfait pendant le mois d’impunité qu’on a ainsi bien voulu leur laisser, y pensent justement la nuit où un délinquant arrêté pour un tout autre motif et donc à leur insu donne à la police leur adresse.

Malheureusement, qui cherche à comprendre pourquoi la loi déférée s’écarte ici d’un des principes les plus sacrés de notre droit des libertés publiques trouve dans la suite des débats un aveu autrement plus éclairant voire révélateur. Mme Michaux-Chevry, sénateur de la Guadeloupe, vint en effet au secours du garde des sceaux en déclarant sans être contredite ni par le ministre ni par aucun de ses collègues de la majorité : « Il est très bien de respecter des principes comme l’inviolabilité du domicile ou la liberté individuelle. Ces principes s’appliquent à des individus qui respectent la démocratie. Mais les terroristes sont des individus au comportement irrationnel contre qui toutes procédures peuvent être utilisées » (idem, page 86).

Tout est dit : l’atteinte à l’inviolabilité du domicile, qui hormis le cas de flagrance n’est en rien justifiée par les nécessités de l’action publique, ne s’explique que par la volonté d’en instaurer une application sélective, les présumés terroristes n’ayant aucun droit à se prévaloir du respect de la vie privée. On imagine avec effroi le prolongement du raisonnement de l’honorable parlementaire en matière de droit à l’assistance d’un avocat, voire de protection contre la détention arbitraire, etc.

En réalité, seule la limitation de la perquisition de nuit aux cas de flagrance permet, comme en témoigne toute la législation républicaine antérieure, de concilier la protection de la sûreté des citoyens avec l’inviolabilité du domicile la nuit, c’est-à-dire avec le droit constitutionnellement protégé au respect de la vie privée.

Il est vrai que dans son dernier état la loi déférée subordonne la perquisition de nuit à la délivrance d’une autorisation par le président du tribunal de grande instance, mais très significativement la majorité s’est systématiquement opposée à ce que cette autorisation soit motivée par référence à des éléments non seulement de fait mais aussi de droit, ce qui signifie que la loi n’oblige pas son auteur à s’expliquer sur la relation des faits invoqués au soutien de la demande d’autorisation de perquisition nocturne avec un « acte terroriste » au sens du code pénal. Si tous les amendements déposés à ce propos par l’opposition ont été repoussés, c’est bien pour permettre une interprétation aussi extensive que possible des motifs d’exception à l’inviolabilité du domicile, alors qu’en tout état de cause une telle exception ne saurait être que d’interprétation stricte.

Dans ces conditions, l’article 7 de la loi déférée porte au respect de la vie privée une atteinte assez manifestement disproportionnée avec les nécessités de la lutte contre le terrorisme pour encourir la censure.

III. : Sur l’article 7 quater de la loi déférée

L’article 7 quater de la loi déférée complète le deuxième alinéa de l’article 25 du code civil en prévoyant qu’un Français ayant acquis sa nationalité par naturalisation puisse en être déchu en cas de condamnation pénale pour « acte de terrorisme ».

En dépit de son insertion dans le code civil, cette disposition présente en réalité un indéniable caractère pénal : il s’agit bel et bien d’une sorte de peine accessoire qui ne frappe, parmi les Français condamnés pour acte de terrorisme, que ceux qui ne sont pas « de souche » mais ont été naturalisés. Il s’agit à l’évidence de la mise en forme juridique d’une xénophobie assez tenace pour poursuivre celui qui fut étranger jusque après qu’il a cessé de l’être afin que précisément il continue à se sentir différent des « Français de souche ». En ce sens, cette disposition est entachée d’une grossière violation de l’égalité devant la loi (pénale) en ce qu’à l’évidence le fait que l’auteur de l’acte terroriste ait été naturalisé ou soit né Français ne change strictement rien ni à la gravité de l’acte ni à la menace pour l’ordre public que ledit acte représente. En d’autres termes, la différence entre « Français de souche » et Français naturalisés n’est en rien justificative d’une différence de traitement au regard de l’objet de la loi à moins que l’objet réel de la loi soit non pas la lutte contre le terrorisme mais la discrimination xénophobe à retardement.

Pour les mêmes raisons, cette disposition est également contraire au principe constitutionnel de nécessité des peines, dont on sait qu’en tout état de cause il s’applique aussi à toute sanction même non pénale (Conseil constitutionnel n° 87-237 DC du 30 décembre 1987, Rec. page 63).

Il est enfin à peine besoin d’insister sur l’écho d’une période historique déplaisante que renvoie cette tentative de revenir sur les naturalisations récentes : on sait que tel fut le souci d’un législateur qui n’avait rien de républicain il y a un peu plus d’un demi-siècle.

L’inconstitutionnalité de l’article 7 quater de la loi déférée est au surplus si évidente qu’elle n’a même pas échappé à M Alain Marsaud, rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale, que l’on sait pourtant assez peu enclin au laxisme en matière de sécurité et à l’indulgence pour les populations d’origine étrangère.

En réalité, la disposition déférée peut s’analyser en une inquiétante « fabrique d’apatrides » que bien évidemment aucun pays étranger ne voudra accueillir, si bien que cette sanction n’est ni nécessaire ni même utile à la protection de l’ordre public : on peut au contraire estimer raisonnablement qu’elle contribuerait à en détériorer l’état à terme.

La violation des principes constitutionnels de nécessité des peines et d’égalité devant la loi pénale est patente.

IV. : Sur les articles 12, 16 et 18 de la loi déférée

L’article 12 de la loi déférée punit de cinq, voire de sept ans d’emprisonnement les violences ayant entraîné une incapacité de travail de moins de huit jours à l’égard de personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public, selon que deux ou trois circonstances aggravantes (dont celle résultant de la qualité de la victime) seront réunies.

L’article 16 punit de deux ans de prison et de 200 000 F d’amende la menace de commettre un crime ou un délit contre la personne ou les biens proférée à l’encontre d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public en vue d’influencer son comportement dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission.

L’article 18 punit l’outrage fait à personne chargée d’une mission de service public de six mois de prison et d’une amende de 50 000 F (alors que seule l’amende était jusqu’à présent encourue) et l’outrage fait à personne dépositaire de l’autorité publique d’un an de prison et de 100 000 F d’amende.

Ces trois dispositions, qui aggravent fortement la sévérité des sanctions pénales, sont manifestement disproportionnées au trouble causé par les infractions qu’elles sanctionnent : sept ans d’emprisonnement pour des violences légères, deux ans de prison pour des menaces, un an de prison pour une injure lancée à un fonctionnaire de police, tout cela est si lourd que l’on peut se demander si l’application de la loi déférée est envisageable dans la réalité de la société française actuelle et, à supposer que des dizaines de milliers de personnes qui profèrent de tels outrages dans les quartiers dits « sensibles » puissent être vraiment condamnées aux peines prévues par la loi déférée et que le système pénitentiaire soit en état d’accueillir pareil surcroît de pensionnaires pour de telles durées, il est évident que le trouble qui résulterait de ce traitement pénal de choc de la situation desdits quartiers serait infiniment supérieur à celui que la loi déférée prétend sanctionner.

En ce sens, les dispositions en cause, auxquelles s’ajoutaient dans le projet initial plusieurs aggravations si nettement plus invraisemblables de la sévérité des peines que même la majorité sénatoriale s’en est aperçue et a jugé préférable de prévenir la censure, sont toutes trois entachées de violation manifeste du principe constitutionnel de nécessité et de proportionnalité des peines. Il suffit pour s’en convaincre de constater que le président de la commission des lois du Sénat lui-même a pu considérer qu’elles ne présentaient pas d’intérêt particulier, qu’elles n’avaient qu’une « valeur symbolique » alors qu'« on n’arrête pas la violence avec des symboles » On ne saurait mieux établir l’absence de nécessité de ces lourdes aggravations de peines dont aucun juge répressif en France n’a jamais prononcé le maximum existant jusqu’à présent.

V : Sur l’article 23 A de la loi déférée

Cet article, qui résulte d’un amendement gouvernemental, exempte de la peine de cinq ans d’emprisonnement prévue par l’article 21 de l’ordonnance du 2 février 1945 en cas d’aide directe ou indirecte à l’entrée ou au séjour irrégulier d’un étranger les ascendants ou descendants et le conjoint (sauf en cas de séparation de corps ou d’autorisation de résider séparément) de l’étranger tout en permettant de poursuivre ces proches pour complicité d’entrée et de séjour irrégulier, cette entrée et/ou ce séjour étant punis par l’article 19 de l’ordonnance d’un an d’emprisonnement.

En refusant d’adopter un amendement qui exemptait identiquement les frères et s urs et le concubin ou la concubine, le législateur a entaché la loi déférée d’une rupture manifeste d’égalité devant la loi pénale : à l’évidence, ces personnes, tout aussi proches de l’étranger que celles qui sont exemptées par la loi déférée, ont à son égard le même devoir de solidarité familiale (par exemple, lorsque le foyer de concubins a des enfants) et doivent donc bénéficier de la même exception à la sanction en cause.

Au surplus, l’immunité familiale qui existe d’ores et déjà en cas d’hébergement d’un proche parent criminel s’applique aussi aux frères et s urs. Le devoir d’humanité revendiqué par le garde des sceaux lors de la défense de son amendement ne se laisse ainsi diviser ni proche parent par proche parent ni infraction par infraction. Le caractère discriminatoire de la disposition déférée n’en est que plus clairement établi.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l’honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de déclarer non conforme à celle-ci la loi qui vous est déférée, et en particulier les articles 1er, 7, 7 quater, 12, 16, 18 et 23 A.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l’expression de notre haute considération.

SAISINE SENATEURS :

Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers,

Nous avons l’honneur, conformément au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de soumettre à votre examen la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire, telle qu’elle a été définitivement adoptée par le Parlement le 19 juin 1996.

Plusieurs dispositions de ce texte nous paraissent contraires à la Constitution.

Sur l’article 1er :

L’article 421-1 du code pénal prévoit et réprime les actes de terrorisme. Bien qu’établie par une législation relativement récente, les auteurs du projet ont jugé indispensable d’allonger la liste des agissements susceptibles d’être qualifiés d’infractions terroristes.

Toutefois, au nombre de ces agissements figurent désormais ceux définis à l’article 21 de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.

Les débats parlementaires n’ont pas manqué de souligner le malaise que suscite la confusion ainsi opérée entre deux législations portant l’une sur les étrangers et l’autre sur le terrorisme, confusion qui, suggérant un lien de causalité, alimente toutes sortes de suspicions illégitimes.

Cela suffit à faire du texte qui vous est déféré une mauvaise loi, mais chacun sait que la circonstance qu’une loi est mauvaise ne suffit pas à la faire regarder comme inconstitutionnelle. Celle-ci l’est cependant pour des raisons qui tiennent, d’une part, à l’article 21 de l’ordonnance de 1945 lui-même, d’autre part à son insertion dans l’article 421-1 du code pénal.

a) Sur l’article 21 de l’ordonnance de 1945 :

Le texte aujourd’hui applicable n’a plus que de lointains rapports avec la rédaction d’origine. Il résulte au contraire de deux modifications très substantielles et récentes, opérées successivement par l’article 21 de la loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991 puis par l’article 1er de la loi n° 94-1136 du 27 décembre 1994.

Aucune de ces deux lois ne vous a été déférée préalablement à sa promulgation, vous interdisant ainsi de vous prononcer sur leur conformité, pourtant douteuse, à la Constitution.

Or il est acquis, depuis votre décision 85-158 DC du 25 janvier 1985, que « la régularité au regard de la Constitution d’une loi déjà promulguée peut être utilement contestée à l’occasion de l’examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ».

Il ne fait aucune espèce de doute, en l’occurrence, que l’inclusion de l’article 21 de l’ordonnance de 1945 dans la législation contre le terrorisme affecte considérablement son domaine. Où cette disposition n’était jusqu’ici destinée qu’à lutter contre l’aide aux infractions prévues par l’ordonnance, elle pénètre désormais de plain-pied dans l’arsenal répressif appelé à combattre les crimes terroristes. Le domaine de l’article 21 de l’ordonnance de 1945 n’est donc pas affecté simplement. Il l’est spectaculairement.

A ce titre, sa constitutionnalité peut être contestée au moins aussi utilement que celle d’une disposition ancienne qu’une législation nouvelle étendait aux chemins de fer (93-256 DC du 25 juillet 1993).

Au fond, l’article 21 de l’ordonnance méconnaît gravement plusieurs règles et principes de valeur constitutionnelle.

Sur son principe même, la répression générale, absolue et indistincte de toute forme d’aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière coupe ces derniers, quelles que soient leur détresse et ses causes, de tout contact humain, de toute main tendue, fût-elle celle d’une association de secours social. Les voilà donc, par l’effet de la loi, retranchés de toute relation humaine, voués à contaminer pénalement quiconque se bornerait à simplement tenter de leur venir en aide et, partant, de faciliter même indirectement leur séjour.

Il ne s’agit nullement là du sombre phantasme agité par des esprits inquiets, mais bien de la réalité déjà attestée tant par des décisions de justice que par des comportements administratifs.

Ainsi, pour se borner à quelques exemples :

: le 8 mars 1995, la cour d’appel de Grenoble a condamné deux ressortissants tunisiens, coupables (!) d’avoir continué à héberger leur frère après expiration du visa de celui-ci ;

: le 8 janvier 1996, le tribunal correctionnel de Saint-Etienne a sanctionné la culpabilité d’un ressortissant algérien pour avoir favorisé l’entrée en France de sa femme, mère de ses trois enfants.

Dans un autre registre, des associations signataires de certificats d’hébergement produits dans le cadre de demandes de régularisation ont fait l’objet soit d’une enquête préliminaire (Gasprom à Nantes), soit de menaces de plainte (Femme de la Terre à Paris).

L’impossibilité dans laquelle les étrangers en situation irrégulière sont ainsi mis de pouvoir nouer le moindre contact, bénéficier du moindre secours, sans que celui qui l’apporterait s’expose à des sanctions graves, est notoirement attentatoire au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine dont vous n’avez pas manqué de constater la valeur constitutionnelle (94-343/344 DC du 27 juillet 1994).

En second lieu, les termes de l’article 21 de l’ordonnance de 1945 ne satisfont évidemment pas aux exigences constitutionnelles déduites des articles 7 et 8 de la Déclaration de 1789.

S’agissant du coupable, le texte vise « toute personne ».

S’agissant des faits, il vise « toute aide directe et indirecte ».

S’agissant de l’objet, il vise celui d’avoir « facilité ou tenté de faciliter » l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger.

Il s’est déjà trouvé des juridictions pour relever à juste titre les malfaçons de l’article incriminé. Ainsi le tribunal de grande instance de Toulouse, dans un jugement en date du 30 octobre 1995 (Dalloz, 1996, p 101), a-t-il souligné que :

«  la rédaction de l’article 21 en terme générique visant »toute personne" et toutes actions directes ou indirectes facilitant le séjour irrégulier d’un étranger en France, ne semble pas répondre aux exigences du principe de légalité, aucun des éléments de l’infraction n’étant énoncé avec suffisamment de précision ; la généralité des termes semble viser des comportements aussi divers que le passeur, le trafiquant de main-d’ uvre ou le financeur d’un réseau terroriste ; mais pourrait aussi inclure dans une interprétation large l’organisation humanitaire fournissant nourriture et habits à des étrangers clandestins ; l’ecclésiastique exerçant la charité dans les mêmes conditions, le médecin qui soignerait l’étranger en séjour irrégulier sans qu’il y ait urgence " (souligné par nous).

On ne saurait mieux dire.

Or s’il se trouve que, en l’espèce, le juge a choisi, précisément pour des raisons de hiérarchie des normes, d’interpréter le texte imprécis à la lumière des principes constitutionnels et, en l’espèce toujours, a refusé de prononcer une condamnation, on ne saurait s’accommoder d’un texte dont la conformité à la Constitution dépend non de son contenu mais seulement de l’attitude, aléatoire, de la juridiction saisie.

A tous ces titres, l’article 21 modifié de l’ordonnance de 1945 est intrinsèquement inconstitutionnel.

b) Sur l’extension au terrorisme de l’article 21 de l’ordonnance de 1945 :

Il va de soi, tout d’abord, que l’inconstitutionnalité du dispositif, lorsqu’il se trouve dans l’ordonnance de 1945, poursuit ses effets lorsqu’il est inséré dans le code pénal.

Au-delà, conformément à l’article 8 de la Déclaration de 1789, « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Tel n’est à l’évidence pas le cas de celles encourues dans les cas visés au 4° de l’article 421-1 du code pénal.

Il convient en effet d’observer que ceux qui, intentionnellement, apportent une aide au terrorisme peuvent déjà être poursuivis : et, comme on le sait, l’ont effectivement été : aux titres de la complicité ou de l’association de malfaiteurs, s’exposant d’ailleurs dans ce cadre à des peines plus graves que celles applicables au délit prévu et réprimé par le nouveau texte.

De deux choses l’une alors : ou il s’agit, au nom de la défense de l’ordre public, de renforcer les sanctions et il est pour le moins contradictoire d’ouvrir une voie permettant de les alléger, ou, au contraire, ce qui ici est plus conforme à la réalité, il ne s’agit que de créer une incrimination superflue, à des fins exclusivement politiques sur un sujet douloureusement sensible.

Or, par définition, les peines ne sont pas strictement et évidemment nécessaires qui sanctionnent une incrimination elle-même inutile.

S’il se trouvait, par extraordinaire, des agissements pouvant relever du nouveau 4° de l’article 421-1 et qui n’auraient pu être poursuivis aux titres ni de la complicité ni de l’association de malfaiteurs, alors ce ne pourrait être que grâce aux coupables facilités qu’offre la rédaction extrêmement large et imprécise de l’article 21 de l’ordonnance de 1945, ce qui ferait resurgir l’atteinte au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.

Sous quelque angle qu’on l’envisage, donc, la liaison opérée entre l’ordonnance de 1945 et la répression du terrorisme, très choquante en elle-même, viole, selon l’interprétation qu’on en fait, soit l’article 7, soit l’article 8 de la Déclaration de 1789, quand ce n’est les deux simultanément.

Le 3° de l’article 1er de la loi qui vous est déférée ne saurait donc en aucun cas échapper à la censure.

Sur l’article 10 :

Modifiant l’article 706-24 du code de procédure pénale, cet article a pour objet de permettre les visites, perquisitions et saisies de nuit.

Vous n’avez pas manqué de souligner que l’inviolabilité du domicile est l’un des aspects de la liberté individuelle (83-164 DC du 29 décembre 1983) et se trouve à ce titre élevée au rang de principe de valeur constitutionnelle.

De ce fait, l’inviolabilité du domicile ne peut connaître de dérogations que celles explicitement prévues par la loi, destinées à assurer le respect d’autres principes de même valeur : en l’occurrence ceux de la nécessaire répression pénale : et bénéficiant toujours des garanties que l’autorité judiciaire doit pouvoir apporter conformément à l’article 66 de la Constitution.

Mais, pour des raisons dont l’histoire a abondamment démontré la légitimité et l’importance, l’inviolabilité du domicile bénéficie d’une protection encore accrue pendant les périodes nocturnes.

De là l’article 59 du code de procédure pénale, qui interdit formellement que visites ou perquisitions puissent se dérouler entre 21 heures et 6 heures.

A ce stade, on se doit déjà de souligner que cette interdiction s’applique lors même que de telles visites ou perquisitions seraient opérées sur la décision et sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

Ici, il ne s’agit pas d’apporter des garanties en cas de violation, jugée légitime ou nécessaire, du domicile, mais bien purement et simplement d’en bannir l’hypothèse.

Ce même article 59 plonge ses racines assez profondément dans notre histoire pour présenter tous les caractères d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République, venant renforcer le principe général, constitutionnel également, de l’inviolabilité du domicile.

Certes, il envisage lui-même la possibilité d’exceptions, dès lors qu’elles sont prévues par la loi. Mais celles-ci appellent deux remarques.

En premier lieu, aucune de celles qui existent ou ont existé n’a jamais pu vous être déférée, de sorte qu’on est en droit de douter de leur constitutionnalité et, en conséquence, dans l’impossibilité d’exciper de l’existence de précédents conformes à la Constitution.

En second lieu, l’unique exception actuellement prévue est celle tenant à la flagrance. Elle s’explique et, au moins en large partie, se justifie par sa nature même.

En revanche, la novation tout à fait considérable qu’introduirait le texte déféré est celle consistant, indépendamment des hypothèses de flagrance, à permettre les visites domiciliaires de nuit dans le cadre de l’enquête préliminaire.

Ainsi donc, un des principes les plus essentiels, les plus anciens, les plus constants, qui procède de l’idée même de liberté individuelle et la caractérise, se trouverait atteint en dehors des seuls cas où une urgence impérative peut le justifier.

A cela, les auteurs du texte ont cru pouvoir opposer deux séries de considérations tirées l’une de l’utilité, l’autre des garanties offertes. Elles ne sauraient évidemment convaincre.

a) Sur l’utilité en premier lieu, nul ne la conteste. En toute situation, toute autorité ayant une mission à accomplir se trouve mieux de disposer de larges pouvoirs plutôt que de pouvoirs limités.

Mais cet argument de l’utilité trouve une limite naturelle, heureuse et nécessaire dans le respect des principes de valeur constitutionnelle. Ces derniers ne peuvent jamais s’incliner. Tout au plus faut-il occasionnellement qu’ils s’harmonisent entre eux lorsque l’un, sauf à être lui-même indûment sacrifié, tempère nécessairement le jeu d’un autre avec lequel il est contradictoire.

Encore faut-il alors que cela réponde à une nécessité éprouvée, indiscutable, et non à une simple utilité, voire une commodité. Nul ne conteste que le principe constitutionnel de liberté individuelle doive souffrir les atténuations de toutes sortes qu’imposent les principes, également constitutionnels, de sauvegarde de l’ordre public et de répression des infractions.

Mais tel, à l’évidence, n’est nullement le cas en l’espèce.

Certes, le garde des sceaux n’a pas manqué, dans les débats (Sénat, séance du 1er février 1996, JOS, p 373), d’invoquer un précédent dans lequel le renseignement obtenu dans le cadre d’une enquête préliminaire avait permis, par une visite domiciliaire, d’appréhender des artificiers avant qu’ils n’aient pu transporter l’engin qu’ils venaient de confectionner. Et d’insister sur le fait que, par bonheur, tout cela s’était produit avant vingt et une heures, mais qu’il faut pour l’avenir envisager le cas où cela surviendrait de nuit.

A cela, il est aisé d’objecter, d’une part, que le droit applicable à la flagrance pouvait ne pas laisser la police sans ressources, d’autre part, que rien ne lui interdisait de surveiller les issues de l’immeuble et, soit d’y pénétrer à partir de six heures, soit de se saisir des malfaiteurs s’ils avaient prétendu en sortir durant la nuit. Techniquement, matériellement, même dans une hypothèse de ce type, la visite domiciliaire nocturne n’est en aucun cas le moyen unique : peut-être le plus expédient, mais pas plus efficace que les autres : d’assurer la défense de la sécurité publique. Dès lors, aucune exigence constitutionnelle ne vient ici justifier qu’il puisse être porté atteinte au principe d’interdiction des violations nocturnes de domicile.

Cela étant acquis, il importe de souligner, à l’inverse, que la généralité des termes que la loi prétend donner au code de procédure pénale et au code pénal élargit très considérablement la brèche illégitimement ouverte.

D’une part, l’enquête préliminaire peut s’étendre sur une durée très longue, comme le prouvent un certain nombre de celles en cours, sans qu’existent nécessairement ni l’urgence d’une situation, ni l’imminence d’un danger, et c’est tout au long de cette durée, à laquelle n’est fixée aucune borne a priori, à laquelle ne s’attache aucune caractéristique particulière, que seraient permises ces visites, perquisitions et saisies.

D’autre part, l’allongement de la liste, déjà dense, de l’article 421-1 du code pénal multiplie les hypothèses. Pour s’en tenir à ce seul exemple, par l’effet combiné des articles 1er et 10 de la loi, pourra faire l’objet d’une visite de nuit à son domicile toute personne simplement soupçonnnée de tenter de faciliter indirectement le séjour d’un étranger en situation irrégulière, la preuve du caractère intentionnel de cette infraction ne pouvant être apportée que par la violation du domicile elle-même ou à sa suite.

Plus généralement encore, si l’exemple cité par le garde des sceaux est intéressant, dans les limites qu’on a dites, il serait plus édifiant encore de disposer d’éléments sur les visites domiciliaires infructueuses. Elles font inévitablement partie des aléas du travail de la police. Mais tandis que chaque visite finalement infondée relève, en l’état du droit, des désagréments auxquels quiconque peut être légitimement exposé en contrepartie de la recherche de la sécurité de tous, la même visite opérée de nuit, ou simplement son risque, serait une atteinte intolérable à la liberté individuelle la plus élémentaire.

Si l’argument de l’utilité existe, il est donc radicalement insuffisant pour fonder une telle violation.

b) Conscients de cette faiblesse, les auteurs du projet ont cru y pallier en insistant sur les garanties offertes par la présence et le rôle de l’autorité judiciaire.

De cela on peut volontiers donner acte. Le deuxième alinéa de l’article 706-24 du code de procédure pénale, tel qu’il résulte de la loi déférée, exige des conditions multiples. On ne saurait cependant s’en satisfaire.

Du principe posé par l’article 66 de la Constitution, on ne saurait déduire que la liberté individuelle est respectée à la seule condition que l’autorité judiciaire soit appelée à jouer un rôle précis et déterminant. Les principes de la liberté sont plus exigeants. Ce n’est que dans le droit, très élaboré, de l’Inquisition qu’on pouvait se satisfaire de l’usage de toutes sortes de moyens pourvu seulement qu’un magistrat autorisé y présidât.

La fonction confiée par la Constitution à l’autorité judiciaire est une garantie de la liberté, non une excuse permettant d’y porter atteinte.

Dans ces conditions, de même qu’on ne saurait, par exemple, rétablir la torture sous le prétexte qu’on en confierait le contrôle à un juge, on ne saurait davantage, et toutes proportions naturellement gardées, se résigner à la méconnaissance d’un droit fondamental au seul motif que celle-ci ne pourrait intervenir que par une décision écrite signée d’un magistrat.

Au moins pour avoir autorisé, dans le cadre de l’enquête préliminaire, les visites, perquisitions et saisies de nuit l’article 10 sera immanquablement déclaré non conforme à la Constitution.

Sur l’article 25 :

Cet article ajoute un III à l’article 21 de l’ordonnance de 1945 précité. Il tend à exonérer de poursuites pénales fondées sur le délit prévu et réprimé par cette disposition les ascendant, descendant ou conjoint de l’étranger en situation irrégulière.

Cette immunité familiale ne concerne pas l’ensemble des faits incriminés par l’article 21 de l’ordonnance de 1945, mais seulement ceux relatifs au séjour, à l’exclusion, donc, de l’entrée ou de la circulation.

Le problème, ici, vient du champ abusivement restrictif de cette immunité. Elle est fondée, a-t-il été expliqué dans les débats, sur des considérations humanitaires évidentes. Mais de cette évidence se trouvent exclus les frères et s urs et concubins ou concubines.

Notons, en premier lieu, que l’exclusion des collatéraux serait pour le moins ironique au regard de l’article 2 de la Constitution qui, dans la devise de la République, fait figurer la fraternité au même rang que la liberté et l’égalité.

Notons, en deuxième lieu, que les obstacles récents mis, malgré votre jurisprudence, à la célébration des mariages font que tel concubin non seulement n’aura pas pu contracter l’union désiré, mais en plus, et du même fait, s’exposerait à des condamnations dont le mariage l’eût libéré.

Notons, en troisième lieu, que le concubin ainsi exclu de l’immunité familiale pourrait même être le père ou la mère des enfants de l’étranger en situation irrégulière auquel, malgré cela, il lui serait strictement interdit de venir en aide, et même de tenter de venir en aide, même indirectement.

Tout ceci est assez dire l’absurdité du dispositif. Mais cette absurdité se double évidemment de son inconstitutionnalité.

En effet, l’immunité familiale, dérogatoire au principe d’égalité des citoyens devant la répression pénale puisque, pour les mêmes faits, une personne pourra n’être pas poursuivie quand d’autres le seraient, ne peut répondre qu’à un souci objectif : en l’occurrence celui des valeurs familiales auxquelles fait référence le préambule de 1946 : et ne saurait être distribuée de manière aléatoire ou hasardeuse.

Aussi le code pénal n’en use-t-il qu’avec circonspection. C’est le cas dans le second alinéa de son article 434-6 à propos du recel de malfaiteur.

Il s’agit là d’une infraction très grave et, à ce titre, lourdement sanctionnée. Pourtant, sont exemptés, d’une part, « les parents en ligne directe et leurs conjoints, ainsi que les frères et s urs et leurs conjoints » et, d’autre part, « le conjoint ou la personne qui vit notoirement en situation maritale ».

En présence de ces liens familiaux, et pour les raisons constitutionnelles que l’on sait, le législateur a donc estimé, à juste titre au demeurant, que les peines qui sont applicables à cette infraction ne pouvaient frapper les bénéficiaires de l’immunité.

Dans ces conditions, s’agissant du cas présent qui est considéré comme moins grave et se trouve, de ce fait, moins lourdement sanctionné, la loi ne peut restreindre le champ de l’immunité, sauf à faire peser sur ceux qui en sont indûment exclus des peines dont il est ainsi prouvé qu’elles ne sont pas strictement et évidemment nécessaires. Il est en effet inconcevable qu’un frère ou une s ur, un concubin ou une concubine, puissent échapper à toute poursuite s’ils aident effectivement un criminel et le soustraient à la justice, tandis qu’ils s’exposeraient à des condamnations sévères s’ils secourent, ou tentent de secourir, même indirectement, leur parent étranger en situation irrégulière.

Au demeurant, il est significatif qu’aucune justification n’ait été donnée : et pour cause sans doute : d’un choix aussi aberrant dans les débats, les auteurs du texte se bornant à considérer qu’il leur paraissait « correspondre davantage à la matière » (Sénat, séance du 15 mai 1996, JOS, p 2605).

Pour avoir ainsi laissé subsister une peine ne répondant pas aux exigences de la Déclaration de 1789, l’article 25 ne pourra manquer d’être déclaré contraire à la Constitution, comme doit l’être, ainsi qu’il a été démontré, l’ensemble de l’article 21 de l’ordonnance de 1945 qu’il complète.

Enfin, il vous restera à apprécier si ne sont pas entachées de disproportion manifeste les sanctions prévues par le chapitre II de la loi déférée.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l’expression de notre haute considération.

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Conseil constitutionnel, décision n° 96-377 DC du 16 juillet 1996, Loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire