Conseil constitutionnel, décision n° 2011-113/115 QPC du 1er avril 2011, M. Xavier P. et autre [Motivation des arrêts d'assises]

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Sur la décision

Texte intégral

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 21 janvier 2011 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 516 du 19 janvier 2011), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Xavier P., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 353 et 357 du code de procédure pénale.

Il a également été saisi par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 515 du 19 janvier 2011), le 25 janvier 2011, dans les mêmes conditions, d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Jean-Louis M. et portant sur les articles 349, 350, 353 et 357 du même code.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu l’arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, du 14 octobre 2009, n° 08-86480 ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour Mme Annick B., Mme Nathalie B. agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de représentante légale de sa fille mineure Élisabeth B., Mme Sandrine M. agissant tant en son nom personnel qu’en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs Mickaël B. et Morgane B., M. Jacques M. et M. David Q., par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 8 février 2011 ;

Vu les observations produites pour M. Jean-Louis M. par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 17 février et le 1er mars 2011 ;

Vu les observations produites pour M. Xavier P. par la SCP Gadio et Chevalier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 18 février et le 1er mars 2011 ;

Vu les observations produites pour Mme Jeanine W. épouse O. et MM. Roger, Jean-Pierre et Franck O. par la SCP Baraduc et Duhamel, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, enregistrées le 18 février et le 1er mars 2011 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 18 février 2011 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Jean-Pierre Chevalier pour M. P., Me Claire Waquet pour M. M., Me Françoise Thouin-Palat pour les consorts B., M. et Q., Me Jean-Philippe Duhamel pour les consorts O. et M. Thierry-Xavier Girardot, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l’audience publique du 15 mars 2011 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que ces questions prioritaires de constitutionnalité portent sur les modes de délibération de la cour d’assises ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article 349 du code de procédure pénale : « Chaque question principale est posée ainsi qu’il suit : "L’accusé est-il coupable d’avoir commis tel fait ?"
« Une question est posée sur chaque fait spécifié dans le dispositif de la décision de mise en accusation.
« Chaque circonstance aggravante fait l’objet d’une question distincte.
« Il en est de même, lorsqu’elle est invoquée, de chaque cause légale d’exemption ou de diminution de la peine » ;

3. Considérant qu’aux termes de l’article 350 du même code : « S’il résulte des débats une ou plusieurs circonstances aggravantes, non mentionnées dans l’arrêt de renvoi, le président pose une ou plusieurs questions spéciales » ;

4. Considérant qu’aux termes de son article 353 : « Avant que la cour d’assises se retire, le président donne lecture de l’instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations :
« "La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : Avez-vous une intime conviction ? » ;

5. Considérant qu’aux termes de son article 357 : « Chacun des magistrats et des jurés reçoit, à cet effet, un bulletin ouvert, marqué du timbre de la cour d’assises et portant ces mots : « sur mon honneur et en ma conscience, ma déclaration est… »
« Il écrit à la suite ou fait écrire secrètement le mot « oui » ou le mot « non » sur une table disposée de manière que personne ne puisse voir le vote inscrit sur le bulletin. Il remet le bulletin écrit et fermé au président, qui le dépose dans une urne destinée à cet usage » ;

6. Considérant qu’il ressort de la jurisprudence constante de la Cour de cassation relative à ces articles que les arrêts de la cour d’assises statuant sur l’action publique ne comportent pas d’autres énonciations relatives à la culpabilité que celles qu’en leur intime conviction les magistrats et les jurés composant la cour d’assises ont données aux questions posées conformément au dispositif de la décision de renvoi et à celles soumises à la discussion des parties ;

7. Considérant que, selon les requérants, ces dispositions méconnaîtraient le principe d’égalité entre les personnes poursuivies devant les juridictions pénales, le respect des droits de la défense et l’obligation de motiver les décisions en matière répressive ;

8. Considérant, d’une part, qu’il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l’article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, à la condition que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense ;

9. Considérant, en premier lieu, que les personnes accusées de crime devant la cour d’assises sont dans une situation différente de celle des personnes qui sont poursuivies pour un délit ou une contravention devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police ; que, par suite, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité, édicter pour le prononcé des arrêts de la cour d’assises des règles différentes de celles qui s’appliquent devant les autres juridictions pénales ;

10. Considérant, en second lieu, qu’il ressort de l’ensemble des dispositions du titre Ier du livre II du code de procédure pénale, relatives à la cour d’assises, que les droits de la défense de l’accusé sont assurés tout au long de la procédure suivie devant cette juridiction ; que les dispositions contestées ont pour seul objet de déterminer les modalités selon lesquelles la cour d’assises délibère ; qu’elles ne portent, en elles-mêmes, aucune atteinte aux droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;

11. Considérant, d’autre part, qu’il ressort des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789 qu’il appartient au législateur, dans l’exercice de sa compétence, de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l’arbitraire dans la recherche des auteurs d’infractions, le jugement des personnes poursuivies ainsi que dans le prononcé et l’exécution des peines ; que l’obligation de motiver les jugements et arrêts de condamnation constitue une garantie légale de cette exigence constitutionnelle ; que, si la Constitution ne confère pas à cette obligation un caractère général et absolu, l’absence de motivation en la forme ne peut trouver de justification qu’à la condition que soient instituées par la loi des garanties propres à exclure l’arbitraire ;

12. Considérant, en premier lieu, que les dispositions particulières prévues par le chapitre VI du titre Ier du livre II du code de procédure pénale soumettent les débats de la cour d’assises aux principes d’oralité et de continuité ; que ces principes imposent que les preuves et les moyens de défense soient produits et discutés oralement au cours des débats ; qu’il ressort des articles 317 et suivants du code de procédure pénale que l’accusé assiste personnellement aux débats et bénéficie de l’assistance d’un défenseur ; que l’article 347 interdit qu’en cours de délibéré, le dossier de la procédure soit consulté par la cour d’assises hors la présence du ministère public et des avocats de l’accusé et de la partie civile ; qu’en outre, les magistrats et les jurés délibèrent ensemble immédiatement après la fin des débats ; qu’ainsi, ces dispositions assurent que les magistrats et les jurés ne forgent leur conviction que sur les seuls éléments de preuve et les arguments contradictoirement débattus ;

13. Considérant, en deuxième lieu, que la cour d’assises doit impérativement statuer sur les questions posées conformément au dispositif de la décision de renvoi dont l’article 327 du code de procédure pénale prescrit la lecture à l’ouverture des débats ; que l’article 348 prévoit qu’après avoir déclaré les débats terminés, le président donne lecture des questions auxquelles la cour et le jury doivent répondre ; que l’article 349 impose que chaque fait spécifié dans la décision de mise en accusation ainsi que chaque circonstance ou chaque cause légale d’exemption ou de diminution de peine invoquée fassent l’objet d’une question ; que des questions spéciales ou subsidiaires peuvent, en outre, être posées à l’initiative du président ou à la demande du ministère public ou d’une partie ; que l’accusé peut ainsi demander que la liste des questions posées soit complétée afin que la cour d’assises se prononce spécialement sur un élément de fait discuté pendant les débats ;

14. Considérant, en troisième lieu, que les modalités de la délibération de la cour d’assises sur l’action publique sont définies de façon précise par le chapitre VII du même titre ; que les dispositions de ce chapitre, parmi lesquelles figurent les articles contestés, fixent l’ordre d’examen des questions posées à la cour d’assises, l’organisation du scrutin et les règles selon lesquelles les réponses doivent être adoptées ;

15. Considérant, en quatrième lieu, qu’il appartient au président de la cour d’assises et à la cour, lorsqu’elle est saisie d’un incident contentieux, de veiller, sous le contrôle de la Cour de cassation, à ce que les questions posées à la cour d’assises soient claires, précises et individualisées ;

16. Considérant, en dernier lieu, que l’article 359 du code de procédure pénale a pour effet d’imposer que toute décision de la cour d’assises défavorable à l’accusé soit adoptée par au moins la majorité absolue des jurés ; qu’en imposant que la décision de la cour d’assises sur la culpabilité de l’accusé soit rendue par la seule lecture des réponses faites aux questions, le législateur a entendu garantir que la décision sur l’action publique exprime directement l’intime conviction des membres de la cour d’assises ;

17. Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces garanties relatives aux débats devant la cour d’assises et aux modalités de sa délibération, que le grief tiré de ce que les dispositions critiquées laisseraient à cette juridiction un pouvoir arbitraire pour décider de la culpabilité d’un accusé doit être écarté ;

18. Considérant que les dispositions contestées ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,

DÉCIDE :

Article 1er.- Les articles 349, 350, 353 et 357 du code de procédure pénale sont conformes à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 31 mars 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 1er avril 2011.



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