Conseil de l'Ordre national des pharmaciens, rapport du rapporteur, Affaire 408 - Dispensation de stupéfiants et de substances vénéneuses, n° 922-D

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Sur la décision

Référence :
ONPH

Texte intégral

Affaire Mme A
Document n°922-R
Le Rapporteur
Le 30 juin 2010, a été enregistrée au greffe du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de
Bourgogne, une plainte formée par la directrice générale de l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Bourgogne, à l’encontre de Mme A, pharmacien titulaire de l’officine « Pharmacie A », sise … (ANNEXE I).
I – ORIGINE DE LA PLAINTE
Au cours de l’inspection réalisée, le 23 mars 2010, dans les locaux de l’officine de Mme A par M. M, pharmacien inspecteur en chef de santé publique, les manquements suivants ont été relevés :
− « un non respect des règles de dispensation des médicaments stupéfiants utilisés dans la prise en charge des traitements de substitution aux opiacés ;
− un manque de personnel qualifié habilité à délivrer des médicaments ;
− un défaut de mise à jour des connaissances du titulaire, notamment des règles relatives aux conditions de réalisation des préparations magistrales (BPP) ».
Dans ces conditions, la directrice de l’ARS de Bourgogne a formé une plainte disciplinaire contre Mme A pour violation des dispositions suivantes :
− article R.5132-30 du code de la santé publique et arrêté du 8 février 2000 relatif au fractionnement de la délivrance des médicaments à base de méthadone pris pour son application (délivrance de METHADONE sans en fractionner la délivrance) ;
− article R.5121-78 du code de la santé publique (délivrance de METHADONE, médicament à prescription initiale hospitalière, en l’absence de présentation de ladite prescription initiale) ;
− article R.5132-10 5° du code de la santé publique (absence de report sur l’ordonnancier des mentions prévues pour les médicaments à prescription initiale hospitalière) ;
− article R.5132-36 du code de la santé publique (tenue non conforme de la comptabilité des stupéfiants);
− articles R.4235-8, R.4235-10 et R.4235-14 du code de la santé publique (non respect de certaines obligations déontologiques).
II – PREMIERE INSTANCE
Le procès verbal d’audition de Mme A par le rapporteur désigné figure en ANNEXE II.
Le rapport de première instance figure en ANNEXE III.
Le 13 août 2010, un mémoire de Mme A a été enregistré au greffe du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Bourgogne (ANNEXE IV). Cette dernière fait valoir qu’elle a véritablement essayé de limiter la délivrance de stupéfiants. Elle n’est cependant pas en mesure d’en apporter la preuve. Elle affirme avoir tenté d’orienter « des patients étrangers visiblement réfugiés-méthadone en France » vers des organismes spécialisés qui ont refusé de les prendre en charge. Elle aurait finalement obtenu que certains d’entre eux viennent quotidiennement prendre leur dose de méthadone à la pharmacie. En outre, elle affirme que, suite à l’inspection du 23 mars 2010, elle aurait refusé de délivrer des traitements à ces patients, conduisant ainsi 1
Ordre national des pharmaciens ces derniers à se les procurer illégalement. Mme A précise que certains viennent encore la voir avec des prescriptions de méthadone, Subutex®, Durogésic® dont elle refuse désormais la délivrance. Elle souligne avoir pris des mesures pour remédier aux manquements constatés lors de l’inspection du 23 mars 2010, et avoir notamment embauché une préparatrice expérimentée à temps partiel pour la seconder. Elle ajoute que « Mme C, pharmacienne assistante ne s’occupe plus du tout des registres des stupéfiants ». Elle indique « que la mise en place d’un lieu d’essayage est retardée par des inondations à répétition ». Mme A affirme enfin qu’elle ne souhaite pas minimiser les manquements constatés mais qu’à aucun moment elle n’a agi avec « légèreté, insouciance ou indifférence ».
Par courrier, enregistré le 3 février 2011 au greffe du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Bourgogne, la directrice générale de l’ARS a souhaité faire part de ses observations relatives au procès-verbal d’audition de Mme A, établi par le rapporteur chargé d’instruire le dossier (ANNEXE V). S’agissant des prescriptions de traitements de substitution, la plaignante relève que Mme A n’a « jamais contacté le conseil de l’ordre, le pharmacien inspecteur de santé publique de la DRASS ou le pharmacien conseil de l’assurance maladie pourtant légitimes à recevoir ce type de signalements ». Elle estime également que l’argument avancé par Mme A, selon lequel il n’existait pas de trafic de stupéfiants entre patients dans le quartier de …, n’est pas recevable dès lors qu’il s’agit d’une simple affirmation, qui ne repose sur aucun élément probant.
Par courrier enregistré le 22 février 2011, Mme A confirme qu’elle n’a jamais pris contact avec aucune autorité au sujet des prescriptions en cause (ANNEXE VI). Par ailleurs, elle affirme n’avoir jamais évoqué de trafic de stupéfiants propre au quartier de … . Elle précise que le problème auquel elle était confrontée concernait l’agglomération … dans son ensemble et une population immigrée définie. Elle ajoute avoir essayé « d’éviter justement que des délivrances massives de substituts donnent lieu à un trafic et ce, (…), sans aucune aide des services spécialisés existants » auxquels elle aurait fait appel.
Par courrier, enregistré le 1er avril 2011, la directrice générale de l’ARS observe que si Mme A indique avoir essayé d’éviter que des délivrances massives de substituts donnent lieu à un trafic, c’est précisément « le fait d’avoir délivré des médicaments stupéfiants pouvant faire l’objet d’un usage détourné en ne respectant pas les règles fixées », qui est à l’origine de la plainte (ANNEXE VII).
Le 27 juin 2011, le conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Bourgogne a décidé de traduire en chambre de discipline Mme A (ANNEXEVIII).
Par une décision en date du 15 novembre 2011, la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Bourgogne a prononcé la sanction de l’interdiction d’exercer la pharmacie pendant une durée d’un mois, assortie du sursis pour sa totalité, à l’encontre de Mme A (ANNEXE IX).

III – APPEL
Cette décision a été notifiée à la Directrice générale de l’ARS, le 17 novembre 2011. Cette dernière en a interjeté appel et sa requête a été enregistrée au greffe du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, le 20 janvier 2012 (ANNEXE X). Elle reproche à la chambre de 2
Ordre national des pharmaciens discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Bourgogne de ne pas avoir statué sur tous les faits qui lui étaient soumis et, notamment, sur « la délivrance de la spécialité
Méthadone sirop (…) effectuée pour des doses très supérieures au doses usuelles et, parfois, en association avec d’autres spécialités stupéfiantes (Méthadone gélules et Durogésic®) en contradiction avec leurs autorisations de mise sur le marché ». Selon elle, ces faits constituent « une violation flagrante des règles professionnelles de l’exercice pharmaceutique et du monopôle de compétence confié aux pharmaciens, le pharmacien n’étant pas un simple « distributeur » de médicaments, quand bien même il disposerait d’une prescription ».
Elle ajoute que la compassion pour ses patients, invoquée par Mme A, ne saurait constituer une circonstance atténuante. La Directrice générale de l’ARS reproche ensuite à la chambre de discipline d’avoir pris en compte « l’isolement dans lequel se trouvait Mme A » pour déterminer la sanction, alors que cet état ne ressort d’aucun élément du dossier. Elle affirme, qu’au contraire, Mme A « n’était aucunement isolée puisqu’elle reconnaît elle-même avoir contacté diverses structures (SEDAP, CHU) ainsi que les prescripteurs et, monsieur B, pharmacien du réseau … ». Selon elle, Mme A ne pouvait ignorer les règles relatives à la délivrance des médicaments de substitution, « notamment en raison du fait qu’elles lui avaient été rappelées par le biais d’un document diffusé en février 2010 par la DRASS Bourgogne à l’ensemble des pharmaciens Bourguignons ».
La Directrice générale de l’ARS reproche enfin à la chambre de discipline d’avoir assorti la sanction prononcée à l’encontre de Mme A du sursis total. Elle invoque une décision rendue par la section des assurances sociales du même conseil régional, retenant la sanction de l’interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux pendant une durée de 3 mois dont deux avec sursis, à l’encontre d’un pharmacien, qui n’avait pas respecté les règles de prescription et de délivrance des stupéfiants sous prétexte que sa clientèle était constituée de toxicomanes et qu’un médecin le lui avait demandé. Elle demande ainsi à la chambre de discipline du Conseil national d’annuler la décision rendue en première instance et de prononcer une sanction disciplinaire aggravée, en adéquation avec la gravité des faits constatés.
Par courrier enregistré le 15 février 2012 au greffe du Conseil national, Mme A a indiqué qu’elle n’avait rien à ajouter aux faits exposés lors de l’enquête faite par Mme RA, rapporteur auprès du conseil régional de l’Ordre, ou lors de sa comparution devant la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens (ANNEXE XI). Elle a cependant précisé qu’il n’était pas dans son intention d’agir illégalement ou de contrevenir à ses obligations déontologiques.
Le 13 septembre 2012, un mémoire de Mme A a été déposé au greffe du Conseil national (ANNEXE XII). Sur le premier grief invoqué par la Directrice générale de l’ARS, relatif à l’appréciation des faits par la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Bourgogne, Mme A affirme que celui-ci n’est pas fondé puisque la décision vise la plainte formée à son encontre. Elle considère que la chambre de discipline « n’avait pas l’obligation dans sa motivation de reprendre l’ensemble des faits et l’ensemble du dossier ».
En outre, elle précise que les clients de l’officine « étaient dans un état de dépendance évident, et la délivrance de substituts constituait pour eux un acte allant au-delà de la compassion, acte de prévention de la santé du patient ». Elle demande à l’ARS de « préciser quelles sont les structures qu’elle avait mises en place pour éviter qu’une pharmacienne dans son officine soit confrontée à de tels problèmes à cette époque ».
Sur le grief relatif au caractère inapproprié de la sanction prononcée par la chambre de discipline du conseil régional, Mme A estime regrettable que la décision de la section des assurances sociales du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Bourgogne, citée par la 3
Ordre national des pharmaciens Directrice générale de l’ARS, ne soit pas versée aux débats. Selon elle, la chambre de discipline aurait tenu compte de la spécificité de cette affaire pour prononcer la sanction. Pour sa défense, Mme A invoque le fait qu’aucun service spécialisé ne pouvait prendre en charge les patients de cette région. Elle indique que ces patients sont « des Géorgiens arrivés dans un état de dépendance sur le territoire français, état de dépendance irréversible ». Elle précise que ces derniers étaient dans un état de dépendance depuis un an et que le passage aux comprimés de méthadone était médicalement acceptable. Elle considère qu’il n’existe aucun suivi de ces patients « qui se retrouvent ainsi lâchés dans la nature et vont échouer dans les cabinets de médecins généralistes et dans les officines de pharmacie ».
Elle reconnaît ses fautes qui, selon elle, peuvent être qualifiées de graves sans, toutefois, mériter la sanction réclamée par la plaignante. Elle ajoute que l’ARS « a également failli dans sa mission d’accueil et d’accompagnement médico-social ». Si Mme A reconnaît qu’elle aurait dû refuser les ordonnances qui n’étaient pas conformes à la réglementation, elle ajoute qu’elle « était plus inquiète des doses prescrites que du formalisme » de celles-ci. Elle estime que son honnêteté ne peut être remise en cause dans cette affaire puisqu’elle ne retirait aucun avantage financier à délivrer ces substituts. Elle verse aux débats un comparatif de ses chiffres d’affaires pour la période considérée, qui démontrerait que son intérêt pécuniaire passe après l’intérêt des patients. Elle estime que l’état d’isolement dans lequel elle se trouvait est incontestable. Elle indique avoir pris contact, à plusieurs reprises, avec les médecins prescripteurs mais avoir constaté que ces derniers étaient également « dépassés par la présence de ces réfugiés
Géorgiens à la recherche de substituts aux stupéfiants ». Mme A reconnaît sa responsabilité mais elle ne veut pas assumer seule cette situation puisqu’elle s’estime « victime d’une désorganisation de la politique publique qui n’a pas su assumer ses choix d’accueil d’immigrés dépendants ». Elle reconnaît enfin que l’ARS a diffusé des informations relatives aux traitements de substitution aux opiacés. Elle précise, cependant, que cette action est intervenue suite à la présente procédure. Elle considère enfin que les « deux mots isolement et compassion peuvent résumer ce dossier et expliquer la décision rendue » par la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Bourgogne. Elle demande donc que cette décision soit confirmée par la chambre de discipline du Conseil national.
Le 30 octobre 2012, un mémoire en réplique de la Directrice générale de l’ARS a été enregistré au greffe du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (ANNEXE XIII). Sur l’appréciation des faits par la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de
Bourgogne, la plaignante reprend les arguments développés dans sa requête en appel. Sur le caractère inapproprié des sanctions, elle verse aux débats la décision de la section des assurances sociales, invoquée dans ses précédentes écritures, qui permettrait d’apprécier le caractère inapproprié de la sanction prononcée en première instance à l’encontre de Mme A.
Sur les moyens de défense développés par Mme A, la Directrice générale de l’ARS considère que les arguments de cette dernière démontrent une méconnaissance certaine des modalités de prise en charge des patients dépendants aux opiacés. Selon elle, rien ne prouve que ces personnes dépendantes aient été confrontées au refus de prise en charge opposé par des centres spécialisés ou qu’elles aient même tenté d’obtenir une prise en charge. Elle estime que Mme A a omis de s’interroger sur la compatibilité des quantités délivrées avec un traitement de substitution aux opiacés. Elle ajoute que Mme A n’a jamais fait part des difficultés invoquées aux autorités de tutelle ou à l’Ordre des pharmaciens dont elle relève. Sur les informations relatives aux traitements de substitution aux opiacés, elle indique que ce document n’est pas daté et que contrairement à ce que prétend Mme A, sa diffusion est antérieure à l’année 2010 « puisqu’il mentionne les « futurs CSAPA » créées par le Décret n°2007-877 du 14 mai 2007 et officiellement autorisés au début de l’année 2010 ». Elle ajoute que ce document ne porte pas 4
Ordre national des pharmaciens l’identification de l’ARS et n’émane pas, par conséquent, de ses services. Elle considère donc que l’administration l’a diffusé bien avant les faits reprochés à Mme A. Elle en déduit que Mme A n’était pas dans la situation d’isolement invoquée et mentionnée par la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Bourgogne.
J’ai reçu, le 11 janvier 2013, Mme A au siège du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (ANNEXE XIV). Cette dernière m’indique qu’elle s’était déjà investie auprès d’une population toxicomane, conjointement avec la police et le centre médical, lorsqu’elle exerçait à …. Elle affirme qu’à …, les ordonnances du médecin prescripteur étaient souvent incomplètes et la prise de contact par téléphone avec ce dernier n’aboutissait à rien. Selon elle, le médecin ne prenait pas réellement en charge cette population, par peur. Elle indique avoir fait des démarches auprès de l’assistante sociale, référente de cette population, et du commissariat compétent, pour les informer de la prise en charge qu’elle réalisait. Elle précise n’avoir « jamais osé mettre le médecin en défaut » et signale que toutes les structures auxquelles elle a fait appel, ont refusé de prendre en charge cette population (services d’addictologie du CHU de …, …) Selon elle, un confrère, investi dans les soins aux toxicomanes, « les envoyaient dans un autre département ». Elle affirme avoir déposé trois plaintes dont deux nominatives pour vol et une pour agression physique contre X juste après la visite de l’inspecteur. Mme A précise enfin qu’elle « est particulièrement éprouvée par cette affaire, morte de honte à l’idée de rencontrer des confrères lors de formation par exemple » et qu’« elle envisage l’avenir avec beaucoup d’angoisse et d’appréhension ».
Compte tenu de ces éléments, il vous appartient de dire la suite devant être réservée à l’appel a minima interjeté par la Directrice générale de l’ARS dans cette affaire.

18 janvier 2013
Le Rapporteur signé 5
Ordre national des pharmaciens

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