Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 1er février 2019, n° 1900066
TA Cergy-Pontoise
Rejet 1 février 2019

Arguments

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  • Rejeté
    Intérêt à agir de la commune

    La cour a estimé que la commune n'avait pas démontré un intérêt suffisant à agir, étant donné la distance des forages par rapport à son territoire.

  • Rejeté
    Condition d'urgence

    La cour a jugé que la commune n'avait pas apporté de preuves suffisantes pour établir l'urgence de la suspension demandée.

  • Rejeté
    Irrégularités dans la procédure d'autorisation

    La cour a considéré que les moyens soulevés ne créaient pas de doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté, car la procédure suivie était conforme aux exigences légales.

  • Rejeté
    Droit à remboursement des frais de justice

    La cour a rejeté cette demande, considérant que l'Etat n'était pas la partie perdante dans cette affaire.

Résumé par Doctrine IA

La commune de Sinnamary a saisi le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise pour demander la suspension de l'exécution de l'arrêté préfectoral autorisant la société Total Exploration et Production Guyane Française à réaliser cinq forages d'exploration pétrolière dans le cadre du permis "Guyane maritime". La commune invoque l'urgence et un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté, arguant d'une procédure irrégulière, d'une étude d'impact insuffisante, et d'une enquête publique biaisée, en violation notamment des articles L. 121-2 et L. 121-8 du code de l'environnement, de la directive 2011/92/UE, et de la convention d'Aarhus. Elle soulève également une erreur dans la qualification juridique des faits, une méconnaissance du principe de précaution inscrit dans la Charte de l'environnement, et une erreur manifeste d'appréciation. Le préfet de Guyane et la société Total réfutent ces arguments, soutenant que la procédure a été régulière, l'étude d'impact complète, et que les risques sont connus et maîtrisés. Le juge des référés rejette la demande de suspension, estimant qu'aucun des moyens soulevés par la commune ne crée un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté, et que l'urgence n'est pas caractérisée. Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont également rejetées.

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Sur la décision

Référence :
TA Cergy-Pontoise, 1er févr. 2019, n° 1900066
Juridiction : Tribunal administratif de Cergy-Pontoise
Numéro : 1900066

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE CERGY-PONTOISE

CS

No 1900066

___________

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE Commune de SINNAMARY

___________


Mme … AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Juge des référés

___________

Ordonnance du 1er février 2019 La juge des référés __________

PCJA : 54-035-02 Code de publication : C

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 3 janvier 2019, la commune de Sinnamary, représentée par Me Lepage, demande au juge des référés, statuant en application des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté, en date du 22 octobre 2018, par lequel le préfet de la région Guyane a autorisé la société « Total exploration et production Guyane française » à réaliser cinq forages d’exploration dans le cadre du permis « Guyane maritime » ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que

- sa requête est recevable, dès lors que :

- le Tribunal de Cergy-Pontoise est territorialement compétent pour connaître de leur requête en application des dispositions de l’article R. 312-10 du code de justice administrative, le siège social de la société « Total exploration et production Guyane » étant situé dans les Hauts-de-Seine ;

- un référé suspension n’est pas entouré de condition de délai ;

- elle a intérêt pour agir contre l’arrêté attaqué car elle est située sur le littoral guyanais le long du fleuve Sinnamary qui se jette dans l’océan atlantique et que la pollution, voire une marée noire, pouvant découler des forages autorisés ne manqueraient pas d’impacter son territoire, notamment les mangroves présentes sur le littoral, qui constituent des stabilisateurs efficaces pour les zones côtières et permettent aux écosystèmes de surmonter les


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effets du dérèglement climatique en empêchant la montée du niveau des océans ; elle s’est, par ailleurs, engagée dans une politique de développement économique durable incompatible avec les travaux de forage ; les pouvoirs publics ont reconnu qu’elle était directement concernée par les effets de l’arrêté attaqué et ont organisé des permanences de l’enquête publiques dans sa mairie ; par ailleurs, dès lors que les données sur lesquelles la société « Total exploration et production Guyane » s’est fondée pour réaliser son étude d’impact sont datées et ne prennent pas en compte l’évolution récente des courants marins de l’Atlantique nord liée au réchauffement climatique, il n’est pas démontré qu’elle ne pourrait pas être atteinte en cas de marée noire ; enfin, les récents accidents pétroliers en mer montrent que, bien que située à 170 kilomètres du puits, elle ne serait pas protégée d’une marée noire.

La condition d’urgence est remplie, dès lors que :

- les travaux autorisés par l’arrêté attaqué vont être initiés par un forage dès le premier semestre de l’année 2019 et prévoient quatre forage supplémentaires d’ici l’année 2022 ;

- les travaux préjudicient de manière suffisamment grave et immédiate aux intérêts qu’elle entend protéger et leurs effets seront difficilement réversibles ;

- compte tenu de sa localisation et de sa bordure fluviale, elle se trouverait directement impactée par les conséquences qui pourraient résulter des forages, telles que la pollution ou tout autre accident comme une marée noire, et qui pourraient avoir de graves conséquences sur son développement et sa politique locale basée sur la durabilité, lesquels n’ont d’ailleurs pas été suffisamment pris en compte dans l’étude d’impact.

Il existe plusieurs moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué qui :

- a été adopté à la suite d’une procédure irrégulière ; en premier lieu, la Commission nationale du débat public n’a pas été consultée, alors que le montant des travaux de forage constituent des équipements industriels dépassant le montant de 300 millions d’euros, en méconnaissance des dispositions des articles L. 121-2 et L. 121-8 du code de l’environnement ; à cet égard, la société « Total exploration et production Guyane française » n’a pas précisé le coût réel et global du projet pour que ce dernier échappe à la saisine préalable de la Commission nationale du débat public ; en deuxième lieu, les forages auraient dût faire l’objet d’une concertation préalable, sous l’égide de la Commission nationale du débat public, en application des dispositions des articles L. 121-16 et des dispositions de l’annexe II de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ; en troisième lieu, l’étude d’impact sur laquelle l’arrêté attaqué se fonde est incomplète et a nécessairement viciée l’information réelle et complète du public, dès lors que l’état initial du site est décrit de manière incomplète, que l’analyse de l’impact du projet et des mesures d’évitement est insuffisante, que les sujets les plus préoccupants que sont les boues toxiques, les risques de marées noires, les impacts sur la faune marine, la macrofaune ou sur le climat et la pollution de l’air, n’y sont pas suffisamment étudiées, que l’analyse des dangers majeurs et des réponses aux situations d’urgence est incomplète, qu’elle ne prend pas en compte la situation des pays voisins, qu’elle ne détaille pas le sort réservé aux déblais de forage et aux déchets ; en quatrième lieu, l’enquête publique est irrégulière, dès lors qu’en se basant sur une étude d’impact incomplète et sous-évaluée, l’information du public a été biaisé, en méconnaissance de l’article 1er de la convention d’Aarhus et de l’article 7 de la charte de l’environnement ; en cinquième lieu, la commission d’enquête publique a émis un avis


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favorable au projet litigieux en dépit du caractère incomplet du dossier d’étude d’impact et des 7 173 avis négatifs de la part du public, sans toutefois justifier les raisons l’ayant conduit à émettre un tel avis et sans que le commissaire ne rende un avis personnel ; en cinquième lieu, les trois recommandations la commission d’enquête publique émises auraient pu justifier un avis défavorable, dès lors que deux d’entre elles démontrent les carences du dossier d’étude d’impact ; enfin, il n’y a pas eu d’étude d’impact transfrontières en méconnaissance du principe 17 de la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement du 14 juin 1992 et d’une jurisprudence constante mettant à la charge des État la réalisation de telles études quand un de leurs projets a des conséquences sur un pays voisin ; de la même manière, il n’y a pas eu d’information et de consultation des pays frontaliers, en méconnaissance des principes du droit international et du principe 19 de la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement du 14 juin 1992 ;

- est entaché d’illégalité par voie d’exception, dès lors qu’il se fonde sur l’arrêté interministériel du 14 septembre 2017 qui, insuffisamment publié, est inopposable aux tiers et méconnaît les dispositions de l’article L. 142-2 du code minier, en l’absence de circonstances exceptionnelles ;

- est entaché d’une erreur dans la qualification juridique et matérielle des faits, dès lors que l’existence de nombreux risques d’accidents, eu égard aux conditions océanographiques extrêmes de la région, des courants d’accumulation du vent, de houle, du risque de marée noire, de la forte turbidité des eaux, des séismes ayant souvent pour origine un affaissement soudain de sédiment sur le plateau continental, du risque d’effondrement du talus, des risques liés à une éruption du puits, de l’absence d’étude de traitement d’une marée noire par dispersants dont on ignore la nature démontrent que le site ne permet pas le forage en profondeur contrairement à ce qu’estime le préfet ;

- méconnaît le principe de précaution ainsi que les dispositions de la charte de l’environnement, dès lors que ce principe, au regard des données insuffisantes détenues dans le dossier d’étude d’impact, impliquait que le préfet refuse de délivrer l’autorisation de forage ;

- est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, dès lors que l’arrêté litigieux est fondé sur une étude d’impact lacunaire qui ne prend pas en compte l’existence de nombreuses espèces vulnérables ou en danger sur le site ainsi que l’existence de fonds marins peu stabilisés ; en outre, les faits portés par l’étude d’impact ne permettaient pas de prendre l’arrêté attaqué, dès lors que celle-ci ne prenait pas en compte l’impact du projet sur certaines espèces, sur le climat, notamment l’augmentation de la température et du niveau moyen de la mer, ainsi que sur les changements de l’ensemble des systèmes naturels et les préjudices économiques, financiers et climatiques.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2019, le préfet de la région Guyane conclut au rejet de la requête.

Le préfet de la Guyane soutient, à titre principal, que :

- le tribunal administratif de Cergy-Pontoise n’est pas territorialement compétent pour connaître la requête ;

- la commune de Sinnamary est dépourvue d’intérêt à agir contre l’arrêté attaqué, dès lors que les forages ont lieu à 170 kilomètres de la commune, que le risque global sur les sédiments de ces forages n’est avéré que sur une zone de 300 m de diamètre autour de la zone du puits, que le risque global sur la colonne d’eau n’est significatif que jusqu’à 4 kilomètres au niveau des fonds marins et que les modélisations montrent que, dans le cas de scénarios accidentels, le littoral guyanais ne sera pas impacté.


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Il fait valoir, en outre, que la condition d’urgence n’est pas remplie, dès lors que :

- la campagne de forage autorisée par l’arrêté attaqué, qui se déroulera dans la zone centrale du permis « Guyane maritime », fait suite à une campagne de forage organisée dans la partie Est de cette zone, pendant laquelle aucun accident ne s’est produit ; elle concerne donc une zone maritime et une profondeur similaires à celle de la précédente campagne de forage et réalisera des puits identiques à ceux forés pendant la période précédente ;

- cette campagne de forage sera réalisée sous le contrôle de la police des mines ;

- la nouvelle campagne de forage a été autorisée dans un contexte réglementaire plus exigeant au regard de la protection de l’environnement du fait de l’intervention de la directive 2013/30/UE du 12 juin 2013 ;

- la probabilité de risque majeur a été reconnue comme réduite par un rapport de vérification indépendant ;

- les travaux de forage ayant commencé le 23 décembre 2018, ils sont dans leur phase 2 et ont dépassé le stade de leur éventuel impact sur la colonne d’eau ;

- la commune de Sinnamary n’apporte aucun commencement de preuve au regard de l’urgence qu’elle allègue.

Il fait valoir, par ailleurs, qu’aucun des moyens invoqués par la commune de Sinnamary n’est susceptible de faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué, dès lors que :

- la commission nationale du débat public n’avait pas à être consultée, les forages ne constituant pas des « équipements industriels » au sens de l’article R. 121-2 du code de l’environnement ;

- l’étude d’impact est suffisamment étoffée au sujet de l’état initial du site, des impacts du projet et des dangers majeurs, ainsi que des mesures d’évitements et des mesures prévues pour répondre aux situations d’urgence ;

- la procédure d’enquête publique a été régulièrement menée ; les mesures de publicité utilisées pendant l’enquête publique ont été suffisantes et il n’y a pas eu de défaut d’information du public ; ainsi, les permanences de l’enquête publique ont été réalisées dans l’ensemble des communes situées sur le littoral de la Guyane, soit dans quinze communes représentant les deux tiers des communes de la Guyane, l’enquête publique a fait l’objet d’une importante publicité dans les médias locaux, et des réunions publiques ont été organisées ; les conclusions de la commission d’enquête ne sont pas irrégulières, dès lors que son avis est motivé et a tenu compte de l’avis favorable de la collectivité territoriale de Guyane et du monde économique ; une grande majorité des observations défavorables a été émise depuis les plateformes « Stop pétrole offshore », qui proposaient des formulaires d’observations simplifiés ; la commission d’enquête publique a émis des recommandations qui ont été suivies ;

- la commune de Sinnamary n’est pas fondée à soulever l’exception d’illégalité de l’arrêté en date du 14 septembre 2017 portant prolongation du permis exclusif de recherche « Guyane maritime » à l’appui de leur requête, cet arrêté ne constituant pas la base légale de l’arrêté attaqué ;

- n’est entaché d’aucune erreur dans la qualification juridique et matérielle des faits, le navire de forage étant adapté aux conditions anticipés sur la zone de forage et la société « Total exploration et production Guyane française » ayant envisagé toutes les mesures de sécurité possibles y compris en cas de catastrophe majeure ; à cet égard, l’absence de bloc de coiffage sur place n’a pas été identifié comme un élément critique pour la sécurité et


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l’environnement dans le rapport sur les dangers majeurs ;

- n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation, l’impact des forages sur les espèces ayant été étudié ainsi que leur impact climatique ; à ce titre, il convient de rappeler que malgré un scénario à 2°, l’accord de Paris prévoit que le gaz et le pétrole constituent encore 48% du mix énergétique mondial en 2040.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2019, la société « Total exploration et production Guyane française », représentée par Me Hercé, conclut au rejet de la requête et demande en outre au Tribunal de mettre à la charge de la commune de Sinnamary la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société « Total exploration et production Guyane française » soutient, à titre principal, que :

- la requête a été introduite devant une juridiction territorialement incompétente ;

- la commune de Sinnamary est dépourvue d’intérêt à agir contre l’arrêté attaqué, dès lors que, compte tenu de sa localisation, elle ne présente pas un degré d’exposition suffisant aux nuisances éventuelles des forages au regard de la jurisprudence.

Elle fait valoir en outre que la condition d’urgence n’est pas remplie, dès lors que :

- il n’y a pas de présomption d’urgence en matière environnementale ni dans le contentieux minier ;

- les conditions exigées pour prouver l’urgence, à savoir le risque grave et immédiat, ne sont pas réunies ;

- l’association requérante n’apporte aucun élément précis et concret pour apprécier le caractère d’urgence de la suspension demandée ;

- les travaux de forage sont très courants dans le monde entier et la société « Total exploration et production Guyane française », qui appartient au groupe Total gérant plus de 500 puits sous-marins, a développé une grande connaissance technique des forages en mer ;

- le forage autorisé concerne une zone moins compliquée que celle visée par la précédente campagne de forage en zone Est du permis « Guyane maritime » ; elle bénéficie du retour d’expérience des cinq précédents forages réalisés dans la zone est du permis, dont le bilan indique qu’ils n’ont eu aucun impact environnemental ; elle a tiré les conséquences de l’accident de Macondo dans la golfe du Mexique et a sélectionné un navire de forage adapté aux conditions océano-métérologiques propres à la Guyane ;

- la campagne de forage a été précédée d’une campagne océanographique de cinquante-deux jours confirmant l’existence d’un récif mésophotique, et non d’un récif corallien, qui sera épargné par les forages, dès lors qu’il est exclu de forer dans les zones de plus faible profondeur d’eau ; la campagne de forage doit avoir lieu dans une plaine abyssale peu riche sur le plan biologique, composée de substrat meuble, de fonds vaseux et de sable située à […] mésophotique ; le forage n’a aucun impact significatif sur le milieu marin car il est réalisé en utilisant des fluides à base d’eau dans un premier temps et en circuit fermé dans un second temps ; les déblais et fluides rejetés en mer ne dépassent pas 5% de l’ensemble des fluides utilisés ; des précautions ont été prises pour préserver les animaux marins, notamment par rapport aux bruits des forages ;

- un rapport sur les dangers majeurs a été réalisé à la suite de la demande de l’autorité environnementale, le conseil général de l’environnement et du développement durable ; la probabilité de réalisation d’un risque majeur est extrêmement faible, d’autant que la zone de


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forage ne connaît pas d’occurrence particulière d’ouragans ou d’épisodes météorologiques extrêmes ;

- l’arrêté attaqué prévoit un encadrement strict des travaux, notamment avec des rapports journaliers et hebdomadaires et un système de collecte des paramètres techniques ; l’ensemble des mesures techniques de précaution prises pour cette campagne de forage est supérieur à celui qui avait été prévu pour la campagne de forage précédente ;

- les travaux ont été engagés le 23 décembre 2018, après que le préfet de Guyane a donné son accord le 17 décembre précédent sans qu’un quelconque impact environnemental n’ait été remarqué ;

- la suspension de l’arrêté attaqué aurait des conséquences graves et définitives, dès lors que les coûts de forage sont exorbitants ; les frais engagés pour les recherches et les forages dans le cadre du permis « Guyane maritime » se montent à plus d’un milliard d’euros ; elle a déjà engagé plus de 30 millions d’euros dans le forage du premier puits de la campagne de forage en cas de suspension, la décision sur le fond n’interviendrait que dans de nombreux mois, rendant impossible de maintenir en l’état le forage non achevé ; le permis de recherche qu’elle détient expire le 1er juin 2019, rendant impossible toute reprise du forage après l’intervention de la décision au fond ; la suspension ne peut être regardée comme une mesure provisoire au sens de l’article L. 511-1 du code de justice administrative, dès lors qu’elle produirait des conséquences irréversibles ; la collectivité territoriale de Guyane serait directement impactée par l’arrêt du forage.

Elle fait valoir qu’aucun des moyens invoqués par la commune de Sinnamary n’est susceptible de faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué, dès lors que :

- l’arrêté attaqué n’a pas été adopté à la suite d’une procédure de consultation du public irrégulière ; en tout état de cause, si une irrégularité avait entaché la conduite de la procédure d’enquête publique, il serait nécessaire de vérifier si cette irrégularité a pu nuire à l’information des personnes intéressées par l’opération ou exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ;

- la commission nationale du débat publique n’avait pas à être saisie préalablement à l’édiction de l’arrêté attaqué, son champ de compétence étant moins étendu que celui des projets soumis à étude d’impact au sens de l’article L. 122-1 du code de l’environnement ; ainsi, la commission nationale du débat public n’est compétente que pour les projet d’aménagement ou d’équipement au sens des dispositions des articles L. 121-8 et non pour les travaux tels que ceux autorisés par l’arrêté attaqué ; en tout état de cause, les travaux autorisés par l’arrêté attaqué ne concernent pas la réalisation d’un équipement industriel au sens de l’article L. 121-8 du code de l’environnement, cette notion d’ « équipement industriel » ayant été strictement interprétée par le Conseil d’État dans sa jurisprudence ; par ailleurs, la commission nationale du débat public n’intervient que pour les équipements industriels dont le coût des projets est supérieur à 300 millions d’euros, ce qui n’est pas le cas des travaux concernés par l’arrêté attaqué, ce montant étant interprété par la jurisprudence comme n’incluant ni celui du fonctionnement ultérieur de l’installation ni celui du démantèlement ; enfin, les travaux de forage autorisés par l’arrêté attaqué visent à réaliser des puits qui auront une durée de vie de quatre mois et qui seront abandonnés et rebouchés après les recherches ;

- la procédure d’enquête publique a été régulièrement suivie, un dossier complet ayant été déposé pour informer le public de la portée des forages ; à cet égard, il n’y a pas eu méconnaissance de la convention d’Aarhus, laquelle est, en tout état de cause, dépourvue d’effet direct ; le dossier soumis à l’enquête publique n’avait pas à détailler le coût du projet ou l’évaluation des dépenses ; le commissaire enquêteur n’est pas lié par les observations


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défavorables du public ; dès lors que l’avis personnel du président de la commission d’enquête publique n’a pas à être détaillé, l’avis de la commission d’enquête publique est suffisamment motivé et reflète les opinions de la commission ; en tout état de cause, la jurisprudence, qui apprécie la motivation de ce rapport de manière globale et n’en exige pas un contenu scientifique ou technique particulier, estime que des lacunes dans le rapport de la commission d’enquête publique ne sont pas susceptibles d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ; en tout état de cause, si une irrégularité avait entaché la conduite de la procédure d’enquête publique, il serait nécessaire de vérifier si cette irrégularité a pu nuire à l’information des personnes intéressées par l’opération ou exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ;

- l’étude d’impact qu’elle a réalisée à l’appui de la demande d’autorisation d’ouverture des travaux est suffisante et incluait les effets sur la macrofaune ; si l’étude d’impact initiale n’a pas pris en compte le rejet éventuel de boues toxiques puisque le forage est effectué en circuit fermé, ce point a été complété à la suite de l’avis de l’Autorité environnementale ;

- s’agissant des risques majeurs, elle a utilisé une modélisation en cas de marée noire inspirée du modèle HYCOM, adapté à la région et prenant en compte les variabilités saisonnières ; l’information des pays voisins a bien été réalisée avant l’adoption de l’arrêté attaqué ; l’utilisation de dispersants en cas de marée noire est une technique maîtrisée et tant les études que leur utilisation dans le cadre de l’accident de Macondo ont montré qu’ils n’augmentaient pas la toxicité du pétrole et qu’ils accéléraient son taux de biodégradation ; il n’est pas nécessaire de disposer d’un bloc de coiffage sur site au regard de la très faible probabilité d’occurrence d’une éruption incontrôlée de pétrole brut et de la possibilité de disposer de cet équipement dans un délai de vingt jours, un tel délai étant, en tout état de cause, nécessaire pour préparer la pose de ce bloc ; même si la prise en compte des effets cumulés des cinq puits de forage n’est pas nécessaire car les puits ne seront pas forés de façon simultanée mais successive, elle a complété son étude d’impact sur ce point à la demande de l’Autorité environnementale ; la question des émissions directes de gaz à effet de serre a été étudiée dans l’étude d’impact, contrairement à ce qu’affirment les requérantes, et il ne lui appartient pas de réaliser une telle étude sur l’utilisation future des hydrocarbures produits, dès lors que les forages ne sont pas des puits d’exploitation mais des puits de recherche ; elle a fait un inventaire des espèces présentes dans la zone de forage, y compris des espèces protégées, et a étudié la biodiversité du récif mésophotique présent sur la zone ; il convient de préciser que, s’agissant de la biodiversité, la faune du récif mésophotique se situe à 30 kilomètres de la zone de forage et que cette faune, présente à une profondeur de 50 à 120 mètres, ne pourrait en tout état de cause être impactée par un forage qui se déroule à une profondeur de 2 200 mètres ;

- l’exception d’illégalité tirée de l’illégalité de l’arrêté interministériel en date du 14 septembre 2017 prolongeant la durée du permis exclusif de recherche relatif à la zone de forage n’est pas fondée ; l’arrêté attaqué n’a pas pour base légale l’arrêté interministériel, les deux arrêtés n’intervenant pas dans le cadre d’une opération complexe, ainsi que l’a jugé le Conseil d’État dans sa décision rendue le 2 octobre 2013 sous le n° 369984 ; en tout état de cause, l’arrêté interministériel a été régulièrement publié, est opposable aux tiers et ne méconnaît pas les dispositions de l’article L. 142-2 du code minier dès lors que les circonstances exceptionnelles, tenant aux contraintes techniques de l’exploration offshore, aux contraintes liées à la sécurité opérationnelles et au renforcement des prescriptions règlementaires pesant sur les entreprises demandant des permis exclusif de recherches sont réunies ;

- ne méconnaît pas le principe de précaution, dès lors que les risques majeurs qui ont été étudiés sont connus et identifiés ; le principe de précaution ne doit pas être confondu avec


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le principe de prévention.

Par un mémoire complémentaire, enregistré le 24 janvier 2019, la société « Total exploration et production Guyane française » demande l’appel à la cause de la collectivité territoriale de Guyane.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la requête n° 1813515, enregistrée le 24 décembre 2018, par laquelle la commune Sinnamary demande l’annulation de l’arrêté susvisé.

Vu :

- la charte de l’environnement ;

- la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement ;

- la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 ;

- la directive 2012/30 UE du Parlement européen et du Conseil du12 juin 2013 ;

- le code minier ;

- le code de l’environnement ;

- le code de justice administrative.

Le Président du tribunal a désigné Mme …, vice-présidente, en application des dispositions de l’article L. 511-2 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 24 janvier 2019 :

- le rapport de Mme …, juge des référés ;

- les observations orales de Me Lepage, représentant la commune de Sinnamary ;

- les observations orales de MM. X et Y, représentant le préfet de la région Guyane ;

- les observations orales de Me Hercé, représentant la société « Total exploration et production Guyane française ».

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté en date du 14 septembre 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre de l’économie et des finances ont prolongé à titre exceptionnel jusqu’au 1er juin 2019 le permis exclusif de recherche de mines hydrocarbures liquides ou gazeux au large du département de la Guyane dit « Guyane maritime » et l’ont transféré à la société « Total exploration et production Guyane française ». Par un arrêté, en date du 22 octobre 2018, le préfet de la région Guyane a prononcé une autorisation d’ouverture de travaux miniers au bénéfice de la société « Total exploration et production Guyane française » en vue de réaliser cinq forages dans le cadre du même permis. Par la présente


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requête, la commune de Sinnamary demande au juge des référés, statuant en application des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté susmentionné du 22 octobre 2018.

Sur les conclusions aux fins d’appel en cause de la collectivité territoriale de Guyane par la société « Total exploration et production Guyane française » :

2. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’appeler à la cause la collectivité territoriale de Guyane. Par suite, les conclusions de la société « Total exploration et production Guyane française » présentées en ce sens doivent être rejetées.

Sur les conclusions aux fins de suspension :

Sans qu’il soit besoin d’examiner la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Guyane et la société « Total exploration et production Guyane française » :

3. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. / Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision. ». Aux termes de l’article L. 522-1 dudit code : « Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale. / Lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l’heure de l’audience publique (…) ».

En ce qui concerne la légalité externe de l’arrêté attaqué :

Sur la saisine de la Commission nationale du débat public :

4. D’une part, aux termes de l’article L. 121-8 du code de l’environnement : « I.- La Commission nationale du débat public est saisie de tous les projets d’aménagement ou d’équipement qui, par leur nature, leurs caractéristiques techniques ou leur coût prévisionnel, tel qu’il peut être évalué lors de la phase d’élaboration, répondent à des critères ou excèdent des seuils fixés par décret en Conseil d’Etat (…) ». Aux termes de l’article R. 121-1 de ce code : « I- Lorsqu’ils répondent aux conditions prévues aux articles R. 121-2 et R. 121-3, sont soumis aux dispositions du présent chapitre les projets d’aménagement ou d’équipement d’intérêt national de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des personnes privées entrant dans les catégories d’opérations et de projets d’investissements suivantes (…) 11° Equipements industriels (…) ». Aux termes de l’article R. 121-2 du même code : « La liste des catégories d’opérations relatives aux projets d’aménagement ou d’équipement dont la Commission nationale du débat public est saisie de droit en application du I de l’article L. 121-8 est fixée au tableau ci-après (…) Equipement industriels : Coût des bâtiments et infrastructures supérieur à 300 M€ (…) ».


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5. D’autre part, aux termes de l’article L. 162-1 du code minier : « L’ouverture de travaux de recherches et d’exploitation de mines est subordonnée soit à une autorisation, soit à une déclaration administratives suivant la gravité des dangers ou des inconvénients qu’ils peuvent représenter pour les intérêts mentionnés à l’article L. 161-1. La définition des travaux de recherches et d’exploitation entrant dans l’une ou l’autre de ces catégories est établie par décret en Conseil d’Etat. ».

6. Dès lors que l’arrêté attaqué a pour objet de délivrer une autorisation d’ouverture de travaux miniers au sens des dispositions précitées de l’article L. 162-1 du code minier et non d’autoriser un projet d’aménagement ou d’équipement au sens des dispositions précitées de l’article R. 121-2 du code de l’environnement, le moyen tiré de l’absence de saisine préalable de la Commission nationale du débat public n’est pas susceptible de créer un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté. Par conséquent, les moyens tirés de la sous-estimation du coût des travaux et de la méconnaissance des articles L. 121-16 et suivants du code de l’environnement et des dispositions de l’annexe II de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, à supposer ces dernières dispositions invocables, ne sont pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué.

Sur l’étude d’impact :

7. Aux termes de l’article R. 122-5 du code de l’environnement : « I. – Le contenu de l’étude d’impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d’être affectée par le projet, à l’importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l’environnement ou la santé humaine (…) ». Il est constant que les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative.

8. La commune de Sinnamary fait valoir que la description de l’état initial du site dans l’étude d’impact est insuffisante, que l’analyse de l’impact du projet et des mesures d’évitement est insuffisante, que les questions des boues toxiques, des risques de marées noires, des impacts sur la faune marine, la macrofaune, sur le climat et la pollution de l’air, n’y sont pas suffisamment étudiées, et que l’analyse des dangers majeurs et des réponses aux situations d’urgence est incomplète. La requérante fait également valoir que le principe 17 de la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 a été méconnu en l’absence d’étude d’impact transfrontière et que les pays frontaliers n’ont pas été informés.

9. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment de la réponse de la société « Total exploration et production Guyane française », en date du 14 juin 2018, à l’avis de l’Autorité environnementale, que la question des boues toxiques a été étudiée, que ces rejets seront traités à bord du navire de forage et que les déblais de forage rejetés en mer seront préalablement traités pour réduire leur toxicité. En outre, l’étude d’impact a évalué les effets des forages sur le réchauffement climatique des forages à 20 jours de trafic maritime dans la zone du permis « Guyane maritime ». Par ailleurs, l’étude d’impact analyse de manière suffisamment détaillée les incidences des forages, dont les effets seront perceptibles dans un périmètre de 300 mètres autour des puits et qui se dérouleront dans une plaine abyssale composée de substrat meuble, de fonds vaseux et de sable située à […]


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mésophotique, sur les espaces maritimes, sur la faune, sur le récif mésophotique. L’étude d’impact étudie spécifiquement les incidences des bruits des forages sur les espèces marines dans une zone qui, n’étant ni leur zone d’habitat ni leur source de nourriture, constitue une zone de passage. Enfin, la société « Total exploration et production Guyane française » a complété l’étude d’impact soumise à l’examen de l’Autorité environnementale, à la demande de cette dernière, sur la question spécifique de la survenance d’une marée noire, en détaillant les mesures d’urgence que cette dernière serait susceptible de mettre en œuvre, et a répondu à cette même autorité à sa question sur les émissions dans l’air que pourront engendrer les forages. A cet égard, la modélisation utilisée pour évaluer les risques de marée noire, dont les données auraient été réactualisées en 2014 et 2016, n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, de nature à avoir sous-estimé lesdits risques.

10. Il est constant que le principe 17 de la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 crée seulement des obligations entre les États parties et ne produit pas d’effet direct dans l’ordre juridique interne et ne peut, par suite, être utilement invoqué à l’encontre de l’arrêté attaqué.

11. Il résulte de ce qui précède que l’étude d’impact préalable à l’adoption de l’arrêté attaqué n’est pas incomplète et n’est pas de nature à avoir vicié l’information du public. Par suite, le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact au sens de l’article R. 122-5 du code de l’environnement n’est pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux suant à la légalité de l’arrêté attaqué.

Sur l’enquête publique :

12. D’une part, aux termes de l’article L. 123-1 du code de l’environnement : « L’enquête publique a pour objet d’assurer l’information et la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers lors de l’élaboration des décisions susceptibles d’affecter l’environnement mentionnées à l’article L. 123-2. Les observations et propositions parvenues pendant le délai de l’enquête sont prises en considération par le maître d’ouvrage et par l’autorité compétente pour prendre la décision. ».

13. S’il appartient à l’autorité administrative de procéder à l’ouverture de l’enquête publique et à la publicité de celle-ci dans les conditions fixées par les dispositions du code de l’environnement précédemment citées, la méconnaissance de ces dispositions n’est toutefois de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l’illégalité de la décision prise à l’issue de l’enquête publique que si elle n’a pas permis une bonne information de l’ensemble des personnes intéressées par l’opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l’enquête et, par suite, sur la décision de l’autorité administrative.

14. Aux termes de l’article 7 de la charte de l’environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. ». Ainsi qu’il a été dit au point 11, l’étude d’impact n’étant pas incomplète, elle n’est pas de nature à avoir empêché l’information du public pendant la phase d’enquête publique.

15. Par ailleurs, l’article 1er de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, qui crée seulement des obligations entre les États parties et ne


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produit pas d’effet direct dans l’ordre juridique interne, ne peut être utilement invoqué à l’encontre de l’arrêté attaqué.

16. Il résulte de ce qui précède que les conditions du déroulement de l’enquête publique ne sont pas de nature, en l’état de l’instruction, à avoir empêché une bonne information du public ou à avoir exercé une influence sur les résultats de l’enquête publique.

17. D’autre part, aux termes de l’article L. 123-15 du code de l’environnement : « Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête rend son rapport et ses conclusions motivées dans un délai de trente jours à compter de la fin de l’enquête. Si ce délai ne peut être respecté, un délai supplémentaire peut être accordé à la demande du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête par l’autorité compétente pour organiser l’enquête, après avis du responsable du projet (…) ». Aux termes de son article R. 123-19 du même code : « Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête établit un rapport qui relate le déroulement de l’enquête et examine les observations recueillies. / Le rapport comporte le rappel de l’objet du projet, plan ou programme, la liste de l’ensemble des pièces figurant dans le dossier d’enquête, une synthèse des observations du public, une analyse des propositions produites durant l’enquête et, le cas échéant, les observations du responsable du projet, plan ou programme en réponse aux observations du public. / Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête consigne, dans une présentation séparée, ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables, favorables sous réserves ou défavorables au projet (…) ».

18. Il résulte de ces dispositions que si elles n’imposent pas à la commission d’enquête de répondre à chacune des observations présentées lors de l’enquête publique, elles l’obligent à indiquer, au moins sommairement, en donnant son avis, les raisons qui déterminent le sens de cet avis.

19. Il ressort des pièces du dossier que, dans le corps de son rapport, la commission d’enquête a détaillé le déroulement de l’enquêtes, synthétisé les critiques du public adressées aux projets de forage ainsi que les réponses apportées par la société « Total exploration et production Guyane française » et a fait part de son avis. Si son avis favorable est donné sous réserve du respect de trois recommandations relatives à la réactivation de la commission de suivi et de concertation sur le pétrole en Guyane, à la nécessité pour la société « Total exploration et production Guyane française » d’établir un cahier des charges pour sa société sous-traitante sur les rejets dans l’océan et le traitement des boues toxiques et à la nécessité pour l’autorité publique de mettre en œuvre un contrôle effectif des opérations de rejet et de traitement des boues toxiques, la commission d’enquête a mentionné l’avis favorable des milieux économiques et de la collectivité territoriale de Guyane. Par ailleurs, il est constant que les avis défavorables émis pendant une enquête publique ne lient pas une commission d’enquête. Par suite, en l’état de l’instruction, la commission d’enquête a respecté les dispositions précitées de l’article R. 123-19 du code de l’environnement en rendant un avis personnel et motivé.

20. La commune de Sinnamary fait valoir qu’il n’y a pas eu d’information et de consultation des pays frontaliers, en méconnaissance des principes du droit international et du principe 19 de la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992. Toutefois, il est constant que le principe 19 de la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 crée seulement des obligations entre les États parties et ne produit pas d’effet direct dans l’ordre juridique interne et ne peut, par suite, être utilement invoqué à l’encontre de l’arrêté attaqué. Par ailleurs, la commune de Sinnamary n’assortit son moyen


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tiré de la méconnaissance des principes du droit international d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier, notamment des écritures du préfet de la Guyane, que les pays susceptibles d’être impactés par la survenance d’une marée noire, à savoir le Surinam, le Brésil et le Guyana, ont été informés par les canaux diplomatiques.

21. Il résulte de ce qui précède que les conditions du déroulement de l’enquête publique ne sont pas de nature, en l’état de l’instruction, à avoir empêché une bonne information du public ou à avoir exercé une influence sur les résultats de l’enquête publique. Par suite, en l’état de l’instruction, les moyens tirés du défaut d’information du public, de la méconnaissance de la convention d’Aarhus et de l’article 7 de la charte de l’environnement, de l’irrégularité de l’avis de la commission d’enquête et de la méconnaissance du principe 19 de la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 ne sont pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté attaqué.

En ce qui concerne la légalité interne de l’arrêté attaqué :

Sur l’exception d’illégalité de l’arrêté interministériel du 14 septembre 2017 :

22. Aux termes de l’article L. 122-1 du code minier : « Le permis exclusif de recherches de substances concessibles confère à son titulaire l’exclusivité du droit d’effectuer tous travaux de recherches dans le périmètre qu’il définit et de disposer librement des produits extraits à l’occasion des recherches et des essais. ». Aux termes de l’article L. 162-1 du même code : « L’ouverture de travaux de recherches et d’exploitation de mines est subordonnée soit à une autorisation, soit à une déclaration administratives suivant la gravité des dangers ou des inconvénients qu’ils peuvent représenter pour les intérêts mentionnés à l’article L. 161-1. La définition des travaux de recherches et d’exploitation entrant dans l’une ou l’autre de ces catégories est établie par décret en Conseil d’Etat. ». Aux termes de l’article L. 162-4 de ce code : « L’autorisation d’ouverture de travaux de recherches ou d’exploitation est accordée par l’autorité administrative compétente, après la consultation des communes intéressées et l’accomplissement d’une enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement, d’une étude d’impact réalisée conformément au chapitre II du titre II du même livre Ier du même code ainsi que, le cas échéant, de l’étude de dangers prévue à l’article L. 181-25 de ce code (…) ».

23. L’article L. 122-1 du code minier détermine les conditions dans lesquelles sont accordés les permis exclusifs de recherches, lesquels donnent à leur titulaire l’exclusivité du droit d’effectuer tous travaux de recherches dans le périmètre dudit permis. L’arrêté attaqué dans le présent litige concerne l’autorisation d’ouverture de travaux miniers accordée à la société « Total exploration et production Guyane française » par le préfet de la Guyane dans le périmètre du permis « Guyane maritime » et a été précédé par un arrêté, en date du 14 septembre 2017, du ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l’économie et des finances, prolongeant, à titre exceptionnel le permis exclusif de recherche pour la zone concernée et le transférant à la société « Total exploration et production Guyane française ». Il est constant qu’un permis exclusif de recherche délivré sur le fondement de l’article L. 122-1 du code minier, qui est une décision individuelle dont la légalité ne peut en principe être contestée après l’expiration des délais de recours, ne forme pas avec l’arrêté attaqué une opération administrative unique comportant un lien tel que les illégalités qui l’affecteraient pourraient, alors même qu’il aurait acquis un caractère définitif, être régulièrement invoquées par la voie de l’exception. Par suite, la commune de Sinnamary n’est


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pas fondée à soulever, par voie d’exception, d’illégalité de l’arrêté, en date du 14 septembre 2017, du ministre de la transition écologique et solidaire et de l’économie et des finances à l’appui de leur référé dirigé contre l’arrêté, en date du 22 octobre 2018, par lequel le préfet de la Guyane a accordé une autorisation d’ouverture de travaux miniers au bénéfice de la société « Total exploration et production Guyane française ». Dès lors, les moyens développés à l’appui de cette exception d’illégalité et tirés de son inopposabilité du fait de son absence de publication et de la méconnaissance de l’article L. 142-2 du code minier ne peuvent être de nature à faire un naître un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté attaqué.

Sur l’erreur dans la qualification juridique et matérielle des faits :

24. La commune de Sinnamary fait valoir que la zone du permis « Guyane maritime » ne peut faire l’objet de forage, dès lors que les risques d’accidents sont importants, qu’il existe un risque d’effondrement du talus de la zone en cas d’affaissement soudain de sédiments sur le plateau continental, que les fluides de forages et les boues toxiques n’ont pas de solution de stockage, que le risque d’éruption du puits de dorage n’est pas pris en compte de manière suffisante par la société « Total exploration et production Guyane française » et qu’en l’absence de précision sur la nature des dispersants à utiliser en cas de marée noire, il n’est pas possible de connaître leur impact sur l’environnement.

25. Il ressort toutefois des pièces du dossier, notamment de la réponse, en date du 14 juin 2018, de la société « Total exploration et production Guyane française » à l’Autorité environnementale, que le risque d’accident majeur a été évalué et quantifié. Par ailleurs, l’étude d’impact précise que les forages projetés se déroulent sur une crête et non dans canyon sous-marin pour éviter les risques d’affaissement éventuel du talus. En outre, les fluides de forage sont à base d’eau et les rejets de boues toxiques font l’objet d’un suivi particulier en application de la recommandation de la commission d’enquête publique rappelée au point 19. L’hypothèse d’une éruption du puits a été étudiée par la société « Total exploration et production Guyane française » dans sa réponse à l’Autorité environnementale, qui a précisé la nature des dispersants utilisés en cas de marée noire, ces derniers étant connus par la communauté scientifique et ayant été utilisés lors de l’accident de Macondo. Par suite, le moyen tiré de l’erreur dans la qualification juridique et matérielle des faits n’est pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute quant à la légalité de l’arrêté attaqué.

Sur le principe de précaution et la méconnaissance des dispositions de la charte de l’environnement :

26. Aux termes de l’article 5 de la Charte de l’environnement : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Les conditions d’application de ces dispositions sont notamment précisées à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, qui définit le principe de précaution dans les termes suivants : « (…) Le principe de précaution, selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable (…) ». Il résulte de ces dispositions que le principe de précaution est applicable lorsqu’il existe des éléments circonstanciés de


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nature à accréditer l’hypothèse de risques de dommages graves et irréversibles pour l’environnement ou d’atteintes à l’environnement susceptibles de nuire de manière grave à la santé, en dépit des incertitudes subsistant sur leur réalité et leur portée en l’état des connaissances scientifiques. Il ne saurait, en revanche, être utilement invoqué lorsque la réalité et la portée de tels risques ne présentent pas, en l’état des connaissances scientifiques, un caractère hypothétique mais sont, au contraire, connues et évaluées.

27. Ainsi qu’il a été exposé aux points 9 et 11 et ainsi que le décrivent l’étude d’impact et la réponse, en date du 14 juin 2018, de la société « Total exploration et production Guyane française » à l’avis de l’Autorité environnementale, les forages autorisés par l’arrêté attaqué présentent des risques connus, quantifiés et identifiés, qui ne sont pas au nombre de ceux, mentionnés au 1° de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, présentant des incertitudes quant à leur réalité et à leur portée en l’état des connaissances scientifiques. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de précaution n’est pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sur la légalité de l’arrêté attaqué.

Sur l’erreur manifeste d’appréciation :

28. La commune de Sinnamary fait valoir que l’arrêté attaqué est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, dès lors que l’étude d’impact réalisée au préalable par la société « Total exploration et production Guyane française » est lacunaire, que cette étude d’impact n’a pas pris en compte l’effet des forages sur les tortues marines et ne prend pas en compte les effets des forages sur le climat.

29. Toutefois, ainsi qu’il a été dit aux points 9 et 11, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’étude d’impact soit incomplète. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que, suite à l’avis de l’Autorité environnementale, la société « Total exploration et production Guyane française » a complété son étude d’impact et a, en particulier, précisé les effets des forages sur les tortues marines et les conséquences des forages sur les émissions des gaz à effet de serre. Dès lors, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation n’est pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sur la légalité de l’arrêté attaqué.

30. Il résulte de ce qui précède que, dès lors qu’aucun des moyens soulevés n’est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité l’arrêté attaqué, et sans qu’il soit besoin de statuer sur l’urgence, les conclusions de la commune de Sinnamary aux fins de suspension de l’arrêté, en date du 22 octobre 2018, par lequel le préfet de la région Guyane a autorisé la société « Total exploration et production Guyane française » à réaliser cinq forages d’exploration dans le cadre du permis « Guyane maritime », doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

31. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de l’État, qui n’est pas la partie perdante dans cette affaire. Par suite, les conclusions présentées sur ce fondement par la commune de Sinnamary doivent être rejetées.

32. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société présentées par la« Total exploration et production Guyane française » sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


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O R D O N N E :

Article 1 : La requête de la commune de Sinnamary est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société « Total exploration et production Guyane française » demandant l’appel en la cause de la collectivité territoriale de Guyane sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société « Total exploration et production Guyane française » sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Sinnamary, à la société « Total exploration et production Guyane française » et au préfet de la Guyane.

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Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 1er février 2019, n° 1900066