Tribunal administratif de Grenoble, 25 mai 2022, n° 2203163

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Grenoble, 25 mai 2022, n° 2203163
Juridiction : Tribunal administratif de Grenoble
Numéro : 2203163

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE GRENOBLE

N°2203163 ___________ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

PREFET DE L’ISERE

___________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS M. Z


M. X
Mme Y

LE JUGE DES RÉFÉRÉS ___________ STATUANT DANS LES CONDITIONS PRÉVUES

AU TROISIÈME ALINÉA DE L’ARTICLE Audience du 25 mai 2022 L. 511-2 DU CODE DE JUSTICE Ordonnance du 25 mai 2022 ADMINISTRATIVE ___________

54-035-03

C+

Vu la procédure suivante :

Par un déféré enregistré le 23 mai 2022, présenté sur le fondement du cinquième alinéa de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, le préfet de l’Isère demande au juge des référés de suspendre l’exécution de la délibération du conseil municipal de la commune de Grenoble du 16 mai 2022 en tant qu’elle approuve l’article 10 du règlement des piscines municipales autorisant le port de certaines tenues de bain.

Il soutient que :

- à titre principal, l’article 10 du règlement des piscines municipales, en tant qu’il autorise certaines tenues de bain de type « burkini », porte une atteinte grave aux principes de laïcité et de neutralité des services publics ;

- en effet, si le principe de laïcité n’impose pas d’obligations de neutralité aux usagers du service public, la libre expression de leurs convictions religieuses trouve sa limite dans le bon fonctionnement du service public et de l’ordre public ;

- au cas particulier, la délibération attaquée porte une atteinte grave au principe de neutralité du service public ;

- elle vise à reconnaître des droits particuliers à des membres d’une communauté religieuse alors qu’il n’existe aucune demande de sa part et la possibilité de se rendre à la piscine en burkini risque de se transformer en obligation ;

- la commune de Grenoble crée une exception à la règle selon laquelle les tenues de bains doivent être « près du corps » pour éviter le risque de s’accrocher ou d’être happé par des appareils de filtration ;

- à titre subsidiaire, cet article est entaché de détournement de pouvoir dès lors qu’il vise à favoriser une communauté religieuse particulière et son application est susceptible d’entraîner de graves troubles à l’ordre public, comme l’ont


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montré les manifestations organisées le jour du conseil municipal, de sorte que les modalités d’organisation du service qu’elle retient doivent être regardées comme entachées d’une erreur manifeste d’appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 mai 2022, la commune de Grenoble, représentée par Me Evin et Me Borg, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- le règlement intérieur n’a pas pour objet d’autoriser une pratique religieuse mais seulement de permettre à toute personne d’accéder aux piscines, dans le respect des règles d’hygiène et de sécurité propres à ces équipements ;

- les usagers des piscines ne sont pas soumis à des exigences de neutralité religieuse ;

- aucun texte législatif ou principe général du droit ne s’oppose à ce qu’un règlement intérieur de piscine n’interdise pas le port d’un burkini ;

- la circonstance qu’une pratique soit minoritaire est sans effet sur sa qualification religieuse ;

- le préfet ne justifie pas que le port du burkini pourrait conduire à une atténuation des règles de sécurité.

- la délibération n’est entachée d’aucun détournement de pouvoir ;

- aucun risque avéré de trouble à l’ordre public n’est établi.

Par une intervention enregistrée le 24 mai 2022, l’association Alliance Citoyenne, représentée par Me Ogier, demande que le tribunal administratif rejette le déféré du préfet de l’Isère.

Elle soutient que :

- son intervention est recevable,

- l’autorisation du port du burkini à Grenoble ne méconnait aucune exigence légale, conventionnelle ou constitutionnelle applicable en matière de laïcité, neutralité ou libertés publiques ;

- la circonstance selon laquelle certaines tenues de bain, comme le burkini, pourraient être regardées comme manifestant des convictions religieuses ne saurait empêcher leur autorisation par la commune, en l’absence de dispositions légales particulières ;

Par une intervention enregistrée le 24 mai 2022, la Ligue des Droits de l’Homme, représentée par Me Spinosi, demande que le tribunal administratif rejette le déféré du préfet de l’Isère.

Elle soutient que :

- son intervention est recevable,

- le maillot de bain couvrant n’est pas, par lui-même, un signe d’appartenance religieuse ;

- son port ne méconnait pas les exigences du principe de laïcité ;

- il n’appartient pas à l’Etat de s’immiscer dans le fonctionnement d’une religion et aucune pression n’a été relevée sur les femmes de la communauté musulmane ;


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- le préfet ne peut utilement soulever un problème de sécurité dans le cadre d’un déféré-laïcité ; en tout état de cause, le risque allégué n’est pas établi ;

- il n’existe aucun risque de trouble au sein des piscines de Grenoble causé par le port du burkini ;

- le détournement de pouvoir n’est pas établi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a décidé que la nature de l’affaire justifiait qu’elle soit jugée, en application du dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, par une formation composée de trois juges des référés et a siégé accompagné de M. X et Mme Y, vice-présidents, pour statuer sur cette demande de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Au cours de l’audience publique tenue en présence de M. Buguellou, greffier d’audience, M. Z a lu son rapport et entendu :

- les observations de Mme A, représentant le préfet de l’Isère ;

- les observations de Me Evin, représentant la commune de Grenoble,

- les observations de Me Fodil-Chérif, représentant la Ligue des Droits de l’Homme.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. L’association Alliance Citoyenne et la Ligue des Droits de l’Homme ont intérêt au maintien de la délibération attaquée. Leur intervention doit être admise.

2. Aux termes de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales repris à l’article L. 554-3 du code de justice administrative : « Le représentant de l’Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l’article L. 2131-2 qu’il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. (…) Le représentant de l’Etat peut assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. Il est statué dans un délai d’un mois. (…). Lorsque l’acte attaqué est de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle, ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures. La décision relative à la suspension est susceptible d’appel devant le Conseil d’Etat dans la quinzaine de la notification. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat ou un conseiller d’Etat délégué à cet effet statue dans un délai de quarante-huit heures ».


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3. Par délibération du 16 mai 2022, le conseil municipal de Grenoble a adopté une délibération approuvant un nouveau règlement intérieur des piscines municipales. L’article 10 de ce règlement dispose : « Pour des raisons d’hygiène et de sécurité, l’accès aux bassins se fait exclusivement dans une tenue de bain correspondant aux obligations suivantes : « (…) Les tenues de bain doivent être faites d’un tissu spécifiquement conçu pour la baignade, ajustées près du corps, et ne doivent pas avoir été portées avant l’accès à la piscine. Les tenues non prévues pour un strict usage de la baignade (short, bermuda, sous-vêtements etc), les tenues non près du corps plus longues que la mi-cuisse (robe ou tunique longue, large ou évasée) et les maillots de bain-short sont interdits. (…) ».

4. Si les usagers du service public peuvent exprimer librement, dans les limites fixées par la loi, leur appartenance religieuse, les dispositions de l’article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances pour s’affranchir des règles communes organisant et assurant le bon fonctionnement des services publics. Par ailleurs, l’autorité administrative doit respecter le principe de neutralité et édicter des règles concourant au maintien de l’ordre public sous ses composantes de la sécurité, de la salubrité et de la tranquillité publiques. Il ne saurait être dérogé aux règles édictées dans l’objectif d’assurer l’ordre public.

5. Par la présente requête, le préfet de l’Isère demande au juge des référés de suspendre l’exécution de cet article sur le fondement du cinquième alinéa précité de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, issues de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

6. En permettant aux usagers du service public communal des piscines de Grenoble de porter des tenues « non près du corps », sous la seule condition qu’elles soient moins longues que la mi-cuisse – comme c’est le cas notamment du vêtement de baignade appelé burkini-, c’est à dire en dérogeant à la règle générale d’obligation de porter des tenues ajustées près du corps pour permettre à certains usagers de s’affranchir de cette règle dans un but religieux, ainsi qu’il est d’ailleurs reconnu dans les écritures de la commune, les auteurs de la délibération litigieuse ont gravement porté atteinte aux principe de neutralité du service public.

7. Dans ces conditions, il y a lieu de suspendre l’exécution de l’article 10 du règlement des piscines en tant qu’il autorise certaines tenues non près du corps.

O R D O N N E :

Article 1er : Les interventions de l’association Alliance Citoyenne et de la Ligue des Droits de l’Homme sont admises.

Article 2 : L’exécution de l’article 10 précité du règlement des piscines de Grenoble dans sa rédaction issue de la délibération du conseil municipal du 16 mai 2022 est suspendue en tant qu’elle autorise l’usage de tenues de bains non près du corps moins longues que la mi-cuisse.

Article 3 : Le surplus des conclusions du déféré est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l’intérieur, à la commune de Grenoble, à l’association Alliance citoyenne et à la Ligue des Droits de l’Homme.


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Copie en sera adressée au préfet de l’Isère.

Les juges des référés,

P. X J-P. Z D. Y

Le greffier en chef,

Ph. Buguellou

Fait à Grenoble, le 25 mai 2022.

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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