Tribunal administratif de Marseille, 12 août 2022, n° 2206200

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Chronologie de l’affaire

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Cloix Mendès-Gil · 7 octobre 2022

Par une ordonnance du 12 aout 2022, le tribunal administratif de Marseille a annulé une procédure de passation d'un marché public au stade de l'examen des offres. Le Tribunal applique la jurisprudence du Conseil d'Etat en la matière selon laquelle : « Une méthode de notation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent …

 

louislefoyerdecostil.fr · 20 septembre 2022

Quelle est la différence entre un critère, un sous-critère et une méthode de notation? Quid de la liberté de l'acheteur en la matière lors de la rédaction du règlemernt de la consultation puis dans sa mise en oeuvre au stade de l'analyse des offres ?Cette question récurrente en droit des marchés publics a encore été à l'honneur dans trois ordonnances rendues en 2022 par des juges du référé précontractuel. Sur l'obligation de publication des sous-critères Cette affaire portait sur une procédure engagée par le Groupement d'achats des établissements sanitaires et sociaux Manche et Calvados …

 
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Sur la décision

Référence :
TA Marseille, 12 août 2022, n° 2206200
Juridiction : Tribunal administratif de Marseille
Numéro : 2206200
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Tribunal administratif de Toulon, 20 juillet 2022
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 14 août 2022

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

I. Par une requête n°2206089, enregistrée le 20 juillet 2022, et un mémoire complémentaire enregistré le 7 août 2022, la SAS Freyssinet France, représentée par la Selarl Lexcase société d’avocats agissant en la personne de Me Apelbaum, demande au juge des référés du Tribunal, statuant sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, et dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler la décision prise le 28 juin 2022 par la commune de Castellane portant éviction de la société Freyssinet France du marché public de consolidation par injection de résine du sol de fondation de l’ancienne sous-préfecture ;

2°) d’annuler la procédure de passation dans son intégralité ;

3°) de mettre une somme de 5 000 euros à la charge de la commune de Castellane en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— en premier lieu, la procédure de passation du marché en litige est entachée d’irrégularité en ce qu’elle méconnaît les dispositions de l’article R. 2181-2 du code de la commande publique ;

— la commune ne lui a pas transmis, malgré sa demande en ce sens en date du 4 juillet 2022, de réponse à ses interrogations quant aux éléments de notation de son offre et de celle de l’attributaire quant aux sous-critères prévus dans le règlement de consultation d’une part, et quant au détail des éléments d’appréciation des deux offres concernant le sous-critère de la note méthodologique d’autre part ;

— elle n’a reçu communication que de la synthèse du rapport d’analyse des offres dans le cadre de l’instance n°2206200 introduite devant le tribunal administratif de Toulon, sans réponse à ses questions ;

— cette irrégularité constitue une atteinte aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible de la léser dès lors qu’elle n’a pas pu contester utilement le rejet de son offre ;

— par son mémoire enregistré le 7 août 2022, la SAS Freyssinet France a toutefois entendu renoncer à ce premier moyen.

— en deuxième lieu, la procédure de passation est irrégulière en l’absence d’information des candidats quant à l’existence de cinq sous-sous-critères en lien avec la note méthodologique et à leur pondération (références (5 points), délais (5 points), consolidation sol (5 points), consolidation fondation (5 points), phasage (10 points)) ;

— la commune a même induit les candidats en erreur en indiquant, dans le règlement de la consultation, des éléments relatifs à la « note méthodologique » qui n’ont en réalité pas fait l’objet de la notation (nombre et compétences des personnes effectives, modalités d’exécution, proposition d’installation de chantier, matériel à disposition) et sans rapport avec les sous-sous-critères finalement retenus ;

— les sous-sous-critères retenus ne se rattachent que de manière très imprécise aux éléments d’appréciation du règlement de consultation ;

— la commune ne s’est pas bornée à utiliser des éléments d’appréciation des offres, mais s’est fondée sur de véritables sous-critères de « la note méthodologique » dont la pondération est telle qu’elle a exercé une influence sur la présentation des offres des candidats compte tenu de la pondération accordée au sous-sous-critère du « phasage » noté sur 10 points, par rapport aux quatre autres sous-sous-critères notés sur 5 points chacun ;

— elle a ainsi méconnu les principes de transparence de la procédure et d’égalité de traitement des opérateurs ;

— ces principes sont applicables même en procédure adaptée ;

— cette irrégularité l’a lésée compte tenu de la faiblesse de l’écart de notation entre son offre et celle de l’attributaire et de ce qu’en ayant connaissance des éléments de notation retenus, elle aurait adapté la présentation de son offre au regard de ces éléments déterminants ;

— sans prise en compte du sous-critère relatif au phasage, elle aurait été attributaire du marché.

— en troisième lieu, la commune a dénaturé son offre en la dépréciant, notamment sur le sous-critère du phasage, en considérant à tort que cette offre ne respectait pas le phasage des travaux en deux temps exigé par l’article 1.2.3.3 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) ;

— son offre, conforme au CCTP, n’était pas irrégulière.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 29 juillet 2022 et le 8 août 2022 à 12h37, la SAS Uretek France, représentée par Me Hourcabie, conclut au rejet de la requête de la SAS Freyssinet France et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société requérante en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient :

— sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article R. 2182-2 du code de la commande publique :

— la commune de Castellane a donné une information suffisante à la SAS Freyssinet France dans son courrier de rejet de sa candidature ;

— en outre, la commune a communiqué dans l’instance contentieuse le rapport d’analyse des offres comprenant les informations demandées par la société évincée et en toute hypothèse suffisantes pour connaître les raisons de son éviction et engager utilement un recours contentieux ;

— cette information a été donnée dans le délai de quinze jours prévu à l’article R. 2181-2 du code de la commande publique ;

— en tout état de cause, un tel vice n’est pas de nature à entraîner l’annulation de la procédure de passation, mais seulement à l’injonction faite le cas échéant au pouvoir adjudicateur de procéder à une information adéquate ;

— sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’obligation de publier des éléments d’appréciation des offres :

— la commune n’étant pas tenue, en procédure adaptée, de procéder à la pondération des critères de choix des offres ;

— les sous-critères ne doivent être portés à la connaissance des candidats que s’ils constituent des critères à part entière compte tenu de leur nature et de l’importance de leur pondération et ont été susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats, tandis que l’acheteur n’est jamais tenu de communiquer les éléments d’appréciation et de notation d’un sous-critère ;

— or, la commune de Castellane a porté à la connaissance des candidats les critères de choix des offres ainsi que leur pondération, de même que les deux sous-critères de la valeur technique et leur pondération ;

— elle a ainsi donné aux candidats une information suffisante excédant ses obligations, en toute transparence ;

— elle a précisé le contenu attendu de la note méthodologique à l’article 4.2 du règlement de la consultation alors qu’aucun principe ne lui imposait de le faire ;

— elle a décidé de mettre en œuvre cinq éléments d’appréciation de la note méthodologique, en lien avec le critère de la valeur technique ;

— ces éléments d’appréciation mis en œuvre n’ont pas privé les critères énoncés de leur portée et n’ont pas neutralisé leur pondération ;

— le moyen est inopérant s’agissant d’une candidate évincée qui n’est pas susceptible d’être lésée alors que l’appréciation de son offre aurait été la même en connaissant les éléments d’appréciation du sous-critère de la valeur technique ;

— les candidats ont été placés sur un pied d’égalité ;

— l’offre de la SAS Freyssinet France était irrégulière au sens des dispositions de l’article L. 2152-2 du code de la commande publique comme ne respectant pas le phasage des travaux exigé par le CCTP à l’article 1.2.3.3 relatif au traitement du sol de fondation des nouveaux appuis et, par suite, elle n’est pas susceptible d’être lésée par les irrégularités qui affecteraient les conditions de jugement de son offre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 août 2022, la commune de Castellane, représentée par la Selarl Act avocats associés agissant en la personne de Me Morelli, conclut au rejet de la requête de la SAS Freyssinet France et à ce qu’une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société requérante en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— sur le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article R. 2182-2 du code de la commande publique :

— la requérante ne justifie pas lui avoir demandé, par un courrier du 4 juillet 2022, des informations complémentaires sur le rejet de son offre ;

— en tout état de cause, le délai de quinze jours imparti pour répondre n’est pas arrivé à expiration et n’a pas même commencé à courir ;

— ce délai n’est pas expiré compte tenu de ce que le courrier du 18 juillet 2022 qu’elle a de la SAS Freyssinet France ne lui est parvenu que le 22 ;

— en tout état de cause, elle a produit le rapport d’analyse des offres qui répond à la demande de la candidate évincée, lui permettant de connaître l’appréciation de son offre et de celle de l’attributaire et les raisons de son éviction ;

— sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’obligation d’informer les candidats des critères de sélection des offres :

— l’analyse du sous-critère de la note méthodologique a bien été faite au regard des éléments précisés dans le règlement de la consultation portant sur les références, les délais, la consolidation des sols, la consolidation des fondations et le phasage des travaux mis en avant dans le cahier des clauses techniques particulières du marché ;

— la SAS Freyssinet France était informée du nécessaire phasage des travaux en deux phases préconisées dans le CCTP (point 1.2.3.3) et le planning fourni, sans variante autorisée ;

— si elle a été analysée et notée, l’offre de la société Freyssinet France n’était pas recevable dès lors qu’elle ne respectait pas l’intervention en deux phases exigée par le CCTP sans variante possible ; elle a ainsi été écartée sur le point particulier du phasage ;

— la note attribuée sur le phasage des travaux n’a pu léser la candidate évincée qui était informée de la nécessité de deux phases et n’a pas entraîné de rupture d’égalité avec l’attributaire.

II. Par une ordonnance du 21 juillet 2022, le président de la troisième chambre du tribunal administratif de Toulon a transmis au tribunal le dossier de la requête présentée pour la SAS Freyssinet France.

Par une requête n°2206200, enregistrée le 21 juillet 2022, la SAS Freyssinet France, représentée par la Selarl Lexcase société d’avocats agissant en la personne de Me Apelbaum, demande au juge des référés du Tribunal, statuant sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d’enjoindre à la commune de Castellane de produire les éléments demandés par la société Freyssinet France dans le cadre de son courrier du 4 juillet 2022 ;

2°) à défaut, d’annuler la décision prise le 28 juin 2022 par la commune de Castellane portant éviction de la société Freyssinet France du marché public de consolidation par injection de résine du sol de fondation de l’ancienne sous-préfecture.

Elle soutient que :

— la procédure de passation du marché en litige est entachée d’irrégularité en ce qu’elle méconnaît les dispositions de l’article R. 2181-2 du code de la commande publique ;

— la commune ne lui a pas transmis, malgré sa demande en ce sens en date du 4 juillet 2022, de réponse à ses interrogations quant aux éléments de notation de son offre et de celle de l’attributaire quant aux sous-critères prévus dans le règlement de consultation d’une part, et quant au détail des éléments d’appréciation des deux offres concernant le sous-critère de la note méthodologique ;

— cette irrégularité constitue une atteinte aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible de la léser dès lors qu’elle n’a pas pu contester utilement le rejet de son offre.

Par un mémoire complémentaire, enregistré le 7 août 2022, la SAS Freyssinet France, représentée par la Selarl Lexcase société d’avocats agissant en la personne de Me Apelbaum, demande au juge des référés, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler la décision prise le 28 juin 2022 par la commune de Castellane portant éviction de la société Freyssinet France du marché public de consolidation par injection de résine du sol de fondation de l’ancienne sous-préfecture ;

2°) de mettre une somme de 5 000 euros à la charge de la commune de Castellane au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— en premier lieu, elle renonce au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article R. 2182-2 du code de la commande publique ;

— en deuxième lieu, la procédure de passation est irrégulière en l’absence d’information des candidats quant à l’existence de cinq sous-sous-critères en lien avec la note méthodologique et à leur pondération (références (5 points), délais (5 points), consolidation sol (5 points), consolidation fondation (5 points), phasage (10 points)) ;

— la commune a même induit les candidats en erreur en indiquant, dans le règlement de la consultation, des éléments relatifs à la « note méthodologique » qui n’ont en réalité pas fait l’objet de la notation (nombre et compétences des personnes effectives, modalités d’exécution, proposition d’installation de chantier, matériel à disposition) et sans rapport avec les sous-sous-critères finalement retenus ;

— les sous-sous-critères retenus ne se rattachent que de manière très imprécise aux éléments d’appréciation du règlement de consultation ;

— la commune ne s’est pas bornée à utiliser des éléments d’appréciation des offres, mais s’est fondée sur de véritables sous-critères de « la note méthodologique » dont la pondération est telle qu’elle a exercé une influence sur la présentation des offres des candidats compte tenu de la pondération accordée au sous-sous-critère du « phasage » noté sur 10 points, par rapport aux quatre autres sous-sous-critères notés sur 5 points chacun ;

— elle a ainsi méconnu les principes de transparence de la procédure et d’égalité de traitement des opérateurs ;

— ces principes sont applicables même en procédure adaptée ;

— cette irrégularité l’a lésée compte tenu de la faiblesse de l’écart de notation entre son offre et celle de l’attributaire et de ce qu’en ayant connaissance des éléments de notation retenus, elle aurait adapté la présentation de son offre au regard de ces éléments déterminants ;

— sans prise en compte du sous-critère relatif au phasage, elle aurait été attributaire du marché ;

— en troisième lieu, la commune a dénaturé son offre en la dépréciant, notamment sur le sous-critère du phasage, en considérant à tort que cette offre ne respectait pas le phasage des travaux en deux temps exigé par l’article 1.2.3.3 du CCTP ;

— son offre, conforme au CCTP, n’était pas irrégulière.

La commune de Castellane et la SAS Uretek France, société attributaire, qui ont été mises dans la cause comme parties défenderesses, n’ont, dans cette instance, pas présenté de mémoire en défense avant l’audience.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de la commande publique ;

— le code de justice administrative.

La présidente du Tribunal a désigné Mme Noire, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Au cours de l’audience publique du 8 août 2022 à 15 heures 30 tenue en présence de M. Marcon, greffier d’audience, Mme A a lu son rapport et a entendu :

— les observations de Me Busch, substituant Me Apelbaum, représentant la société Freyssinet France, qui conclut aux mêmes fins en reprenant et développant les moyens et arguments de ses mémoires ;

— les observations de Me Grotti, substituant Me Morelli, pour la commune de Castellane qui conclut aux mêmes fins en reprenant et développant les moyens et arguments de son mémoire en défense ;

— les observations de Me Troussière, substituant Me Hourcabie, pour la société Uretek France, qui conclut aux mêmes fins en reprenant et développant les moyens et arguments de ses mémoires en défense.

A l’issue des débats de l’audience, compte tenu de la production tardive du mémoire en réplique de la société Uretek France le 8 août 2022 à 12h37 dans l’instance 2206089, par lequel l’attributaire a soulevé l’irrégularité de l’offre de la SAS Freyssinet France, le juge des référés a différé la clôture de l’instruction au 9 août 2022 à 12 heures afin de permettre aux parties de produire tous éléments utiles relatifs à la régularité de cette offre.

Par un mémoire complémentaire, enregistré le 9 août 2022 à 3h58 dans chaque instance, la SAS Freyssinet France, représentée par Me Apelbaum, soutient que :

— à supposer même que son offre soit irrégulière, ses moyens sont opérants dès lors que l’irrégularité de l’offre résulterait du manquement soulevé commis par la commune de Castellane relatif à la dénaturation de son offre et à l’absence de communication des sous-sous-critères pondérés de la valeur technique des offres ;

— son offre est toutefois régulière, l’extrait de son offre concernant le phasage des travaux n’étant pas en contradiction avec les exigences du CCTP ; son offre ne prévoit pas de phasage différent de celui exigé par le document contractuel ;

— les défendeurs n’apportent aucun élément de nature à établir l’irrégularité de son offre.

La SAS Uretek a produit, dans les deux instances, des mémoires enregistrés le 9 août 2022 à 11h39 qui n’ont pas été communiqués.

La commune de Castellane a produit, dans l’instance 2206089, un mémoire enregistré le 9 août 2022 à 11h59 qui n’a pas été communiqué.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d’appel public à la concurrence publié le 11 juin 2022, la commune de Castellane a engagé une consultation, dans le cadre d’une procédure adaptée, en vue de la conclusion d’un marché public de travaux de consolidation par injection de résine du sol de fondation de l’ancienne sous-préfecture. La société Freyssinet France, qui s’est portée candidate, a été informée, par courrier du 28 juin 2022, que son offre avait été rejetée, l’attributaire du marché étant la société Uretek. Par les présentes requêtes, la SAS Freyssinet France demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’annuler la décision du 28 juin 2022 prise par la commune de Castellane portant éviction de la société Freyssinet France du marché dont la SAS Uretek France est l’attributaire et d’annuler l’intégralité de la procédure de passation irrégulière.

Sur la jonction :

2. Les requêtes susvisées n°2206089 et n°2206200, présentées pour la SAS Freyssinet France, ont le même objet et ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 551-1 du code de justice administrative :

3. Aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative : « Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ». Aux termes de l’article L. 551-2 du même code : « I.- Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ». Selon l’article L. 551-10 de ce code : « Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat () et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué () ». En vertu de ces dispositions, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d’être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

Sur l’irrégularité de l’offre de la SAS Freyssinet France :

4. Un candidat dont la candidature ou l’offre est irrégulière n’est pas susceptible d’être lésé par les manquements qu’il invoque sauf si cette irrégularité est le résultat du manquement qu’il dénonce. L’irrecevabilité de l’offre du requérant peut être invoquée par l’administration pour la première fois devant le juge du référé précontractuel. La circonstance que le pouvoir adjudicateur a classé l’offre du requérant ne fait pas obstacle à ce qu’il invoque devant le juge du référé précontractuel l’irrégularité de celle-ci.

5. Il en résulte que la SAS Uretek et la commune de Castellane peuvent se prévaloir de ce que l’offre de la société Freyssinet France serait irrégulière et de ce que cette société ne peut dès lors, en tout état de cause, avoir été lésée, au stade de l’examen des offres, par les manquements qu’elle invoque, alors même que l’offre de cette société a été classée à l’issue de la procédure de passation du marché et rejetée pour un autre motif.

6. Toutefois, aux termes de l’article 1.2.3.3 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché en litige, relatif au traitement du sol de fondation des nouveaux appuis, au sein d’un article 1.2.3. relatif aux paramètres à prendre en compte pour les calculs : " Pour la consolidation des sols d’assise des appuis à créer (cf plans de fondation), il s’agit d’injecter sous la base des nouvelles fondations une résine expansive, mise en place de manière contrôlée, afin également ici d’améliorer la portance et de diminuer la compressibilité du sol. / Il conviendra de traiter ici l’assise de ces nouveaux appuis en 2 phases avec : – traitement du sol avant création des fondations en prenant en compte la possible présence d’anciennes fondations sous les nouveaux appuis (ce traitement devra être réalisé en même temps que celui de la base des murs) ; / – traitement du sol après mise en place des nouveaux appuis en prenant toujours en compte la possible présence d’anciennes fondations sous ces derniers. / Le nombre de lignes d’injection et la méthodologie seront définis par l’entreprise au regard des données disponibles et des essais et investigations menés par ses soins et en fonction des préconisations du procédé employé. / L’entreprise devra obligatoirement établir un autocontrôle permettant un suivi de toutes les étapes du procédé (cf § 1.5. contrôle interne) ".

7. Si la SAS Uretek et la commune de Castellane ont soutenu, dans leurs écritures en défense et au cours de l’audience, que l’offre de la SAS Freyssinet France ne respectait pas les stipulations précitées du CCTP s’agissant d’une intervention en deux phases, elles se fondent essentiellement sur la synthèse de l’analyse des offres établie par le maître d’œuvre, laquelle indique que « l’entreprise Freyssinet n’a toutefois pas pris en compte le phasage préconisé dans le CCTP à savoir une intervention en 2 phases avec dans un premier temps (avant rechargement de la structure) confortement des fondations existantes qui sont apparues fragiles », précision qui entretient d’ailleurs une confusion entre la réalisation du traitement du sol de fondation des nouveaux appuis, objet du point 1.2.3.3 du CCTP, et celle du traitement du sol de fondation des appuis existants, qui fait l’objet du point 1.2.3.2 du document contractuel. Toutefois, si l’extrait de son offre produit par la SAS Freyssinet France, qui porte sur la chronologie de l’intervention et détaillant la préparation du chantier puis le phasage des travaux envisagé sur 4 à 5 semaines, expose le déroulé des étapes de travaux avec certaines spécifications techniques, sans rappeler l’exigence prévue par l’article 1.2.3.3 du CCTP d’un phasage en deux temps de l’étape des travaux de consolidation des sols d’assise des appuis à créer, il ne peut pour autant en être déduit que l’offre du candidat évincé ne respectait pas les stipulations en cause de ce document contractuel, lesquelles s’imposaient aux candidats sans variante possible. A cet égard, il ne résulte ni de l’extrait de l’offre produit ni d’aucune autre pièce que la SAS Freyssinet France aurait entendu réaliser le traitement du sol de fondation des nouveaux appuis en une seule phase ou en plus de deux phases. Il ne résulte dès lors pas de l’instruction que l’offre présentée par la SAS Freyssinet France n’aurait pas respecté les prescriptions du CCTP s’imposant au futur titulaire du marché et serait, pour ce motif, irrégulière. La société Uretek n’est par suite pas fondée à soutenir qu’en conséquence de l’irrégularité de son offre la SAS Freyssinet France n’est pas susceptible d’avoir été lésée, fût-ce de façon indirecte, par les manquements qu’elle invoque relatifs à l’information des candidats quant aux sous-sous-critères d’évaluation des offres, en particulier à celui du phasage des travaux, et à la dénaturation de son offre quant audit phasage, manquements qui ne sont en outre pas dénués de lien avec l’irrégularité dont l’offre de la candidate évincée serait entachée.

Sur les moyens soulevés par la SAS Freyssinet France :

8. En premier lieu, la société requérante ayant renoncé dans ses mémoires enregistrés le 7 août 2022 dans chaque instance au moyen tiré de l’insuffisance de l’information transmise au candidat évincé par le pouvoir adjudicateur et de la méconnaissance des dispositions de l’article R. 2181-2 du code de la commande publique, il n’y a pas lieu d’examiner ce moyen.

9. En deuxième lieu, pour assurer le respect des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l’information appropriée des candidats sur les critères d’attribution d’un marché public est nécessaire, dès l’engagement de la procédure d’attribution du marché, dans l’avis d’appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d’autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l’importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Il n’est, en revanche, pas tenu d’informer les candidats de la méthode de notation des offres.

10. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu’il a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d’appréciation pris en compte pour l’élaboration de la note des critères que les modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d’appréciation. Une méthode de notation est toutefois entachée d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d’appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l’évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l’ensemble des critères pondérés, à ce que l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n’y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l’avis d’appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.

11. Il résulte de l’instruction que le règlement de la consultation du marché en cause énonçait, à son article 4.2, que les offres seraient évaluées à partir de deux critères constitués du « prix des prestations », pondéré à hauteur de 60%, et de « la valeur technique des prestations », second critère pondéré à hauteur de 40%. La valeur technique de l’offre devait elle-même être évaluée au regard de deux sous-critères tirés, en premier lieu, de la gestion des déchets de chantier, pondéré à hauteur de 10% et, en second lieu, de la note méthodologique, pondérée à hauteur de 30%. Le règlement de la consultation indiquait également que la note méthodologique devait « décrire le mode opératoire de l’entreprise pour l’exécution du chantier, elle précise le nombre et les compétences des personnes effectives sur chantier, les modalités d’exécution, la proposition d’installation de chantier, le matériel à disposition et tout ce qui porte sur la réalisation des travaux ».

12. Le rapport d’analyse des offres révèle que, pour évaluer le sous-critère relatif à la note méthodologique, le pouvoir adjudicateur a en outre distingué cinq items, les références, pondérées à hauteur de 5 points, les délais à hauteur de 5 points, la consolidation des sols à hauteur de 5 points, la consolidation des fondations à hauteur de 5 points et enfin le phasage à hauteur de 10 points.

13. Si la commune de Castellane et la société Uretek soutiennent que ces items constitueraient de simples éléments d’appréciation du sous-critère « note méthodologique » de la valeur technique des offres que le pouvoir adjudicateur n’était pas tenu de porter préalablement à la connaissance des candidats avec leur pondération et que ces éléments d’appréciation avaient été annoncés dans le règlement de consultation, ces cinq items ne correspondent toutefois pas directement aux éléments annoncés dans les documents de la consultation portant sur le nombre et les compétences des personnes sur le chantier, les modalités d’exécution, la proposition d’installation de chantier, le matériel à disposition et la réalisation des travaux.

14. En outre, compte tenu de la pondération de 10% de la note globale des offres accordée, au stade de l’analyse des offres, à l’item portant sur le phasage des travaux, affecté d’une pondération différente et d’une importance particulière par rapport à celle des quatre autres items pondérés chacun à hauteur de 5 points s’agissant des références, des délais, de la consolidation des sols et de la consolidation des fondations, ces cinq items ne peuvent être considérés comme de simples éléments d’appréciation définis par le pouvoir adjudicateur pour préciser ses attentes au regard de chaque critère. Ils doivent être regardés comme des sous-critères du sous-critère « note méthodologique » de la valeur technique des offres et, ainsi, comme de véritables critères d’analyse et de sélection des offres. Par suite, en omettant de porter à la connaissance des candidats la façon dont elle entendait décomposer, au stade de l’analyse des offres, le sous-critère de la valeur technique en cinq sous-critères avec le poids respectif de chacun d’eux, alors qu’elle était de nature, si elle avait été connue des candidats, à influencer la présentation des offres des candidats ou leur sélection, la commune de Castellane a commis un manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, et en particulier au principe de transparence des procédures, applicables y compris dans le cadre d’une procédure adaptée. Ce manquement est susceptible d’avoir lésé la SAS Freyssinet France qui a obtenu la meilleure note au regard du critère du prix, alors que l’écart de points entre elle et la société attributaire était relativement faible au niveau de leur valeur technique et de leur note globale, l’attributaire ayant en outre obtenu la note de 10/10 au sous-sous-critère du phasage et la requérante une note nulle.

15. En troisième lieu, il n’appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d’un contrat, de se prononcer sur l’appréciation portée sur la valeur d’une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n’a pas dénaturé le contenu d’une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l’attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats.

16. Compte tenu de ce qui a été dit au point 7, le moyen tiré de la dénaturation de l’offre de la SAS Freyssinet France en ce qu’elle ne respecterait pas les prescriptions du CCTP relatives au phasage des travaux, et ainsi en la dépréciant, doit également être accueilli.

17. Il résulte de ce qui précède que la procédure de passation du marché doit être annulée au stade de l’examen des offres et que la décision du 28 juin 2022 par laquelle la commune de Castellane a rejeté son offre doit également être annulée ainsi que le demande la SAS Freyssinet France. Il y a lieu d’enjoindre par conséquent à la commune de Castellane, si elle entend poursuivre l’attribution du marché, de reprendre la procédure au stade de l’examen des offres, en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Sur les frais d’instance :

18. Aux termes des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, ou pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. ».

19. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la SAS Freyssinet France, qui n’a pas la qualité de partie perdante à l’instance, verse une quelconque somme à la commune de Castellane et à la SAS Uretek France au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de la commune de Castellane à verser à la SAS Freyssinet France au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

ORDONNE :

Article 1er : La procédure de passation du marché « consolidation par injection de résine du sol de fondation de l’ancienne sous-préfecture » passé par la commune de Castellane est annulée au stade de l’examen des offres.

Article 2 : La décision du 28 juin 2022 par laquelle la commune de Castellane a rejeté l’offre de la SAS Freyssinet France pour l’attribution du marché est également annulée.

Article 3 : Il est enjoint à la commune de Castellane, si celle-ci entend poursuivre la procédure d’attribution du marché, de reprendre la procédure au stade de l’examen des offres.

Article 4 : La commune de Castellane versera une somme globale de 1 500 euros à la SAS Freyssinet France au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Freyssinet France, à la commune de Castellane et à la SAS Uretek France.

Fait à Marseille, le 12 août 2022.

La juge des référés,

Signé

F. A

La République mande et ordonne à la préfète des Alpes-de-Haute-Provence en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Le greffier

N° 2206089 ; 2206200



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Tribunal administratif de Marseille, 12 août 2022, n° 2206200