Tribunal administratif de Montreuil, 17 février 2015, n° 1306435

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE MONTREUIL

N°1306435

___________

Société Groupe Bruxelles Lambert

___________

M. Charlot

Rapporteur

___________

Mme Topin

Rapporteur public

___________

Audience du 3 février 2015

Lecture du 17 février 2015

___________

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Montreuil

(10e Chambre)

19-04-01-02-06-01

C

Vu la requête, enregistrée le 14 juin 2013, présentée pour la société anonyme Groupe Bruxelles Lambert, dont le siège est situé XXX, représentée par son président directeur général en exercice, par Me Allard de Waal, la société Groupe Bruxelles Lambert demande au Tribunal :

1°) d’annuler la décision de rejet implicite de sa demande de dégrèvement d’office ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens de l’instance ;

3°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle ;

Elle soutient que la jurisprudence communautaire impose à l’administration de réexaminer sa décision en date du 8 juin 2012 rejetant la demande de remboursement de l’imposition en cause, dès lors que la non-conformité de cette décision au principe communautaire de liberté de circulation des capitaux a été révélée par l’arrêt Santander du 10 mai 2012 de la Cour de justice de l’Union européenne ; qu’en effet, la société Groupe Bruxelles Lambert est comparable à une société d’investissement à capital variable (SICAV) française, dont les dividendes sont exonérés d’impôt ; qu’à cet égard l’administration fiscale belge atteste que la société Groupe Bruxelles Lambert se trouve dans une situation fiscale comparable à une SICAV belge dès lors qu’elle est exonérée d’impôt dans les mêmes conditions sur les dividendes perçus ; que le principe de coopération loyale entre tous les Etats membres implique que cette attestation soit prise en compte ; qu’en application de la jurisprudence Kühne & Heitz de la Cour de justice de l’Union européenne, l’administration est tenue de réexaminer sa décision en date du 8 juin 2012 afin de tenir compte de l’interprétation de la disposition pertinente retenue entre temps par la Cour ; qu’une question préjudicielle portant sur l’obligation par l’administration d’user de son pouvoir de dégrèvement d’office pourrait être posée à la Cour de justice de l’Union européenne ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2013, présenté par le directeur chargé de la direction des résidents à l’étranger et des services généraux, qui conclut au rejet de la requête ;

Il fait valoir :

— que la requête est irrecevable dès lors que la société requérante est encore susceptible d’interjeter appel contre le jugement n° 1208005 en date du 21 juin 2013 du tribunal administratif de Montreuil ; que le litige échappe à la compétence du juge de l’excès de pouvoir, laquelle est limitée aux seuls litiges dont la compétence échappe au juge de l’impôt ; que l’article R 211-1 du livre des procédures fiscales confère à l’administration une simple latitude ne lui faisant nullement obligation de prononcer le dégrèvement d’impositions pour lesquelles le délai de réclamation est expiré ;

— que la requête doit être rejetée au fond dès lors que, d’une part, la jurisprudence communautaire n’impose pas, en l’espèce, à l’administration de réexaminer les demandes initiales en date du 28 novembre 2011 et que, d’autre part, la société requérante ne peut bénéficier de la jurisprudence Santander puisqu’elle ne justifie pas qu’elle a un objet social similaire à celui d’un organisme de placement collectif en valeurs mobilières, comme l’avait déjà décidé le tribunal administratif de Montreuil dans son jugement en date du 21 juin 2013 précité ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 21 octobre 2013 présenté pour la société Groupe Bruxelles Lambert, par Me Allard de Waal, qui conclut aux mêmes fins que la requête ; elle demande en outre, à titre subsidiaire, de soumettre cinq questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne ;

Elle soutient en outre que la requête est recevable au regard de la jurisprudence communautaire nonobstant l’existence d’une procédure de plein contentieux toujours pendante, et que des questions préjudicielles portant sur le pouvoir de dégrèvement d’office de l’administration et sur la comparabilité d’une société de participation financière de droit belge avec une société d’investissement à capital variable (SICAV) de droit français pourraient être posées ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 29 janvier 2015 présenté pour la société Groupe Bruxelles Lambert, par Me Allard de Waal, qui conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que ses précédentes écritures ; la société requérante demande en outre au Tribunal :

1°) à titre subsidiaire, d’ordonner la production de l’ensemble des correspondances entre la Commission européenne et la France dans le cadre des procédures 2013/4244 et 2009/5064 ;

2°) à titre plus subsidiaire, de surseoir à statuer jusqu’à la clôture des procédures précontentieuses engagées par la Commission européenne contre la France, soit par décision de clôture de la Commission, soit par la saisine par cette dernière de la Cour de justice de l’Union européenne ;

3°) à titre encore plus subsidiaire, de soumettre cinq questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne ;

Vu la demande, en date du 14 février 2013, tendant au dégrèvement d’office de la retenue à la source versée en 2008, 2009 et 2010 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu la convention fiscale conclue entre la France et la Belgique ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 3 février 2015 :

— le rapport de M. Charlot, rapporteur,

— les conclusions de Mme Topin, rapporteur public,

— et les observations de Me Allard de Waal pour la société requérante ;

1. Considérant que la société anonyme Groupe Bruxelles Lambert, ayant son siège social en Belgique, a perçu en 2008, 2009 et 2010 de la société résidente française Arkema des dividendes, lesquels ont fait l’objet d’une retenue à la source par l’application du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts, dont le taux a été fixé à 15 % en vertu de l’article 15 de la convention fiscale franco-belge ; que ses réclamations en date du 28 novembre 2011 tendant à la décharge et au remboursement de cette retenue à la source ont fait l’objet d’une décision de rejet en date du 8 juin 2012 ; que le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa requête par un jugement en date du 21 juin 2013 ; qu’elle a introduit une demande de dégrèvement d’office le 14 février 2013, qui a fait l’objet d’une décision de rejet implicite ; qu’elle demande d’annuler la décision de rejet implicite de sa demande de dégrèvement d’office ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Considérant qu’aux termes de l’article R. 211-1 du livre des procédures fiscales : « La direction générale des finances publiques (… ) peut prononcer d’office le dégrèvement ou la restitution d’impositions qui n’étaient pas dues, jusqu’au 31 décembre de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle le délai de réclamation a pris fin, ou, en cas d’instance devant les tribunaux, celle au cours de laquelle la décision intervenue a été notifiée. / La direction générale des finances publiques peut prononcer dans le délai de trente ans les dégrèvements d’office prévus au III de l’article 1414 et aux articles 1414 A et 1601 du code général des impôts relatifs à la taxe d’habitation et à la taxe pour frais de chambres de métiers et de l’artisanat. » ; que, sous réserve que la décision attaquée ne soit pas entachée d’une erreur de droit ou d’une méprise sur les faits de l’espèce, il n’appartient pas à la juridiction administrative d’apprécier l’usage fait par l’administration des pouvoirs qu’elle détient de l’article R. 211-1 du livre des procédures fiscales ;

3. Considérant qu’aux termes de l’article 10 du Traité instituant la communauté européenne dans sa version alors applicable : « Les États membres prennent toutes les mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l’accomplissement de sa mission. / Ils s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité.» ; que par un arrêt Kühne & Heitz NV n°C-443/00 du 13 janvier 2004, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que le principe de coopération découlant des stipulations précitées impose à un organe administratif, saisi d’une demande en ce sens, de réexaminer une décision administrative définitive afin de tenir compte de l’interprétation de la disposition pertinente retenue entre-temps par la Cour lorsqu’il dispose, selon le droit national, du pouvoir de revenir sur cette décision, que la décision en cause est devenue définitive en conséquence d’un arrêt d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort, que ledit arrêt est, au vu d’une jurisprudence de la Cour postérieure à celui-ci, fondé sur une interprétation erronée du droit communautaire adoptée sans que la Cour ait été saisie à titre préjudiciel dans les conditions prévues à l’article 234, paragraphe 3 dudit Traité et que l’intéressé s’est adressé à l’organe administratif immédiatement après avoir pris connaissance de ladite jurisprudence ; que, dans un arrêt Willy Kempter KG n°C-2/06 du 12 février 2008, la Cour a précisé que le droit communautaire n’imposait aucune limite dans le temps pour introduire une demande visant au réexamen d’une décision administrative devenue définitive, les États membres restant néanmoins libres de fixer des délais de recours raisonnables, en conformité avec les principes communautaires d’effectivité et d’équivalence ;

4. Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’à la date à laquelle l’administration fiscale s’est prononcée sur la demande de la société Groupe Bruxelles Lambert présentée sur le fondement de l’article R. 211-1 du livre des procédures fiscales, la société Groupe Bruxelles Lambert était susceptible d’interjeter appel contre le jugement du tribunal administratif de Montreuil en date du 21 juin 2013 qui avait rejeté a rejeté sa requête ; que, par suite, l’administration fiscale ne se trouvait pas dans l’obligation, en vertu du principe de coopération résultant de l’article 10 du Traité instituant la communauté européenne susvisé, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt Kühne & Heitz NV précité, d’examiner la demande de dégrèvement d’office présentée par la société requérante ; que cette dernière n’invoquant, par ailleurs, aucun vice propre entachant la décision attaquée, elle n’est, dès lors, pas fondée à en demander l’annulation ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête à fin d’annulation doivent être rejetées, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées par l’administration ni qu’il y ait lieu de surseoir à statuer à fin de transmission de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne et d’ordonner la communication de documents qui ne sont en tout état de cause pas utiles à la résolution de la présente affaire ;

Sur les conclusions tendant à l’application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

6. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Groupe Bruxelles Lambert demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, pour les mêmes motifs, les dépens exposés par la requérante ne peuvent être mis à la charge de l’Etat ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Groupe Bruxelles Lambert est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société Groupe Bruxelles Lambert et au directeur chargé de la direction des résidents à l’étranger et des services généraux.

Délibéré après l’audience du 3 février 2015, à laquelle siégeaient :

Mme Montagnier, président,

M. Charlot, premier conseiller,

Mme Brémeau-Manesme, conseiller,

Lu en audience publique le 17 février 2015.

Le rapporteur, Le président,

Signé Signé

S. Charlot M. Montagnier

Le greffier,

Signé

B. Lamy-Rested

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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