Tribunal administratif de Montreuil, 3 avril 2020, n° 2003861

  • Santé·
  • Couvre-feu·
  • Urgence·
  • Justice administrative·
  • Juge des référés·
  • Maire·
  • Commune·
  • Police spéciale·
  • Épidémie·
  • Personnes

Sur la décision

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MONTREUIL

N°2003861 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
M. Z R.

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
M. X

Juge des référés

Le juge des référés

Ordonnance du 3 avril 2020

54-035-03 C

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29, 30 mars et 2 avril 2020, M. Z R. demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d’annuler l’arrêté du 25 mars 2020 par lequel le maire de Saint-Ouen-sur-Seine a instauré un couvre-feu entre 19 heures et 6 heures du matin dans cette commune ;

2°) à titre subsidiaire, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 25 mars 2020 jusqu’à ce que la préfecture de la Seine-Saint-Denis se prononce sur le couvre-feu ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 25 mars 2020 et d’enjoindre au maire de Saint-Ouen-sur-Seine de restreindre le champ de cette mesure aux personnes, périmètres et heures concernés par les débordements évoqués dans l’arrêté en litige, après avis du directeur général de l’agence régionale de santé.

Il soutient que :

- la condition d’urgence est satisfaite au regard de l’atteinte portée aux droits et libertés fondamentaux et à l’intérêt public ; qu’il ne peut pas sortir, en raison de ses horaires de travail, ni pour pratiquer une activité sportive, ce qui a des répercussions importantes sur son état de santé, ni pour se rendre dans les magasins afin de faire ses courses essentielles ; que l’arrêté lui porte également un préjudice sur le plan professionnel, l’empêchant de rentrer de son travail après 19 heures les jours où le télétravail est impossible ;

- l’arrêté porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie, à la liberté d’aller et venir, au droit à la vie privée et familiale et à la liberté d’entreprendre ;



N°2003861 2

- le maire est incompétent pour prendre une telle décision, les pouvoirs de police spéciale de l’Etat dont il est fait usage dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire étant exclusifs ;

- l’arrêté présente un caractère disproportionné, alors que les mesures nationales et préfectorales suffisent ;

- à titre subsidiaire, l’arrêté présente un caractère trop général.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 avril 2020, la commune de Saint-Ouen-sur-Seine conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable en tant qu’elle demande l’annulation de l’arrêté contesté ;

- aucun des moyens n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, complété par le décret n° 2020-344 du 27 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. X, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

La requête a été communiquée au préfet du département de Seine-Saint-Denis et à l’Agence Régionale de Santé qui n’ont pas produits d’observations.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article 9 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, de l’absence d’audience et de la clôture de l’instruction le 2 avril 2020 à 15 heures. A la suite de la production de la commune de Saint- Ouen-sur-Seine les parties ont été informées que la clôture d’instruction était reportée au 2 avril 2020 à 19 heures.

Considérant ce qui suit :

1. L’article L. 521-2 du code de justice administrative dispose que : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait



N°2003861 3

porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ».

2. Il résulte de ces dispositions qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence caractérisée. Celle-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, Le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte du contexte.

Sur les conclusions principales :

3. M. R. demande au juge des référés dans ses conclusions principales d’annuler l’arrêté du 25 mars 2020 par lequel le maire de Saint-Ouen-sur-Seine a instauré un couvre-feu entre 19 heures et 6 heures du matin dans cette commune. Or, il n’entre pas dans l’office du juge des référés tel que défini à l’article L.521-2 du code de justice administrative de prononcer une telle annulation qui emporterait des effets définitifs. Ces conclusions ne peuvent donc qu’être rejetées.

Sur les conclusions subsidiaires :

4. Ainsi que le fait valoir M. R., l’arrête contesté est susceptible de porter une atteinte grave notamment à la liberté d’aller et de venir des personnes concernées, qui constitue une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Ainsi la condition d’urgence prévue par le même article est remplie en l’espèce.

5. D’une part, aux termes de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, issu de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 : « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Le ministre peut habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent à prendre toutes les mesures d’application de ces dispositions (..) ». Aux termes de l’article L3131-15 du même code : « Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : 1° Restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret ; 2° Interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ; (..) 6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature (…) ». Aux termes de l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 alors en vigueur : « I. – Jusqu’au 31 mars 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile est interdit à l’exception des déplacements pour les motifs suivants en évitant tout regroupement de personnes : 1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de



N°2003861 4

l’activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d’être différés ; 2° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par l’article 8 du présent décret ; 3° Déplacements pour motifs de santé à l’exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d’une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être différés ; 4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables et pour la garde d’enfants ; 5° Déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d’autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ; 6° Déplacements résultant d’une obligation de présentation aux services de police ou de gendarmerie nationales ou à tout autre service ou professionnel, imposée par l’autorité de police administrative ou l’autorité judiciaire ; 7° Déplacements résultant d’une convocation émanant d’une juridiction administrative ou de l’autorité judiciaire ; 8° Déplacements aux seules fins de participer à des missions d’intérêt général sur demande de l’autorité administrative et dans les conditions qu’elle précise. (…) III. – Le représentant de l’Etat dans le département est habilité à adopter des mesures plus restrictives en matière de trajets et déplacements des personnes lorsque les circonstances locales l’exigent. ».

6. D’autre part, aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, (…) les maladies épidémiques ou contagieuses »

7. Les dispositions citées au point 5 confèrent à l’Etat un pouvoir de police spéciale en cas d’urgence sanitaire. Parmi ces mesures figurent celles restreignant ou interdisant la circulation des personnes et des véhicules. Toutefois ce pouvoir de police spéciale ne fait pas obstacle à ce que, pour assurer la sécurité et la salubrité publiques le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu’il tient des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales. Toutefois, la légalité de mesures plus restrictives est subordonnée à la condition qu’elles soient justifiées par l’existence de circonstances locales particulières.

8. En l’espèce, l’arrête contesté interdit le déplacement et la circulation des personnes sur l’ensemble du territoire de la commune entre 19 heures et 6 heures du matin, cette interdiction ne s’appliquant pas aux personnels intervenant pour des missions de service public. La commune fait valoir les difficultés de la situation sanitaire dans le département de la Seine-Saint-Denis et les entorses aux mesures de confinement et de distanciation sociale qui seraient favorisées par l’ouverture tardive de certains commerces. Toutefois, il est constant que le préfet a, par un arrête du 25 mars 2020, interdit l’ouverture notamment des débits de boisson après 21 heures sur l’ensemble du département de Seine-Saint-Denis afin de lutter contre les attroupements intempestifs de nature à favoriser la propagation de l’épidémie. Par ailleurs, la seule invocation générale du défaut de respect des règles du confinement dans la commune de Saint-Ouen-sur-Seine ne saurait être regardée comme une circonstance particulière de nature à justifier une restriction à la liberté de circulation particulièrement contraignante, puisque prenant effet à partir de 19 heures, et ce alors même qu’aucune autre commune de ce département n’a pris de telles dispositions.



N°2003861 5

9. Il résulte de ce qui précède que M. R. est fondé à demander la suspension de l’exécution de l’arrêté du 25 mars 2020 pris par le maire de la commune de Saint-Ouen-sur-Seine. Cette suspension prendra fin le 15 avril 2020, date d’expiration, en l’état de l’instruction, des mesures de confinement.

O R D O N N E :

Article 1er : L’exécution de l’arrêté du 25 mars 2020 du maire de Saint-Ouen-sur-Seine est suspendu jusqu’au 15 avril 2020.

Article 2 : le surplus des conclusions de la requête de M. R. est rejeté.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Z R. et à la commune de Saint-Ouen-sur-Seine.

Copie en sera adressée à l’autorité régionale de santé et au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Fait à Montreuil, le 3 avril 2020.

Le juge des référés,

signé

J.-F. X

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution de la présente ordonnance.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal administratif de Montreuil, 3 avril 2020, n° 2003861